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Premier Alcibiade La bibliothèque libre. Œuvres de Platon Tome cinquième - Premier Alcibiade Traduction française de Victor Cousin Euthydème TOME V Second Alcibiade ARGUMENT PHILOSOPHIQUE. Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine, ou la connaissance de soi-même, considérée comme le principe de toute perfection, de toute science, et particulièrement de la science politique. Platon, ou l’auteur quel qu’il soit de ce dialogue, n’arrive au vrai sujet, la connaissance de soi-même, qu’à travers un assez long préambule sur le juste et l’utile, et à peine est-il arrivé au point essentiel, qu’il l’effleure et se jette dans les conséquences politiques. Le préambule sur le juste est fort remarquable par la méthode du raisonnement. Socrate prouve à Alcibiade qu’il doit ignorer ce que c’est que le juste ; car, comment [page ]le saurait-il ? On ne sait que ce que l'on a trouvé soi-même ou appris des autres. L'a-t-il trouvé lui-même? Il a pu le trouver s'il l'a cherché : il a pu le chercher s'il a cru l'ignorer. Mais quand a-t-il cru l'ignorer ? Assurément ce n'est pas hier, ni le mois dernier, ni l'année dernière, ni auparavant dans les jours de son enfance, où les mots de justice et d'injustice se mêlaient sans cesse à tous ses propos. Il est donc impossible de déterminer le temps où il a cru l'ignorer, et par conséquent où il a pu le chercher et le trouver. — L'a-t-il appris des autres? Mais les autres, ou l'ont trouvé d'eux-mêmes, ou l'ont appris des autres. Ils n'ont pu le trouver d'eux-mêmes plus qu'Alcibiade, et, s'ils l'ont appris des autres, de qui ceux-là l'avaient-ils appris ? Ce cercle est sans fin. Et il ne faut pas dire qu'Alcibiade a pu l'apprendre dans le commerce du peuple; car le peuple est un excellent maître de langue, mais un très mauvais [page ]maître de justice, qui n'est d'accord là-dessus ni avec lui-même, ni avec les autres. La preuve en est dans les orages des délibérations publiques d'Athènes, et dans les guerres perpétuelles des peuples de la Grèce entre eux. Le même raisonnement s'applique à l'utile. Mais, sans rengager Alcibiade dans le même genre d'argumentation, Socrate se contente de lui demander s'il croit que l'utile et le juste sont la même chose. Alcibiade le nie d'abord, et en convient ensuite, après une discussion qui aurait pu être aisément plus sévère et plus lumineuse. Or, si l'utile est la même chose que le juste, et si Alcibiade ne sait pas ce 1/68

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Premier AlcibiadeLa bibliothegraveque libre

Œuvres de Platon

Tome cinquiegraveme - Premier Alcibiade

Traduction franccedilaise de Victor Cousin

Euthydegraveme TOME V Second Alcibiade

ARGUMENT PHILOSOPHIQUE

Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Platon ou lrsquoauteur quel qursquoil soit de ce dialogue nrsquoarrive au vrai sujet la connaissance de soi-mecircme qursquoagrave travers un assez long preacuteambule sur le juste et lrsquoutile et agrave peine est-il arriveacute au point essentiel qursquoil lrsquoeffleure et se jette dans les conseacutequences politiques

Le preacuteambule sur le juste est fort remarquable par la meacutethode du raisonnement Socrate prouve agrave Alcibiade qursquoil doit ignorer ce que crsquoest que le juste car comment [page]le saurait-il On ne sait que ce que lon a trouveacute soi-mecircme ou appris des autres La-t-il

trouveacute lui-mecircme Il a pu le trouver sil la chercheacute il a pu le chercher sil a cru lignorer Mais quand a-t-il cru lignorer Assureacutement ce nest pas hier ni le mois dernier ni lanneacutee derniegravere ni auparavant dans les jours de son enfance ougrave les mots de justice et dinjustice se mecirclaient sans cesse agrave tous ses propos Il est donc impossible de deacuteterminer le temps ougrave il a cru lignorer et par conseacutequent ougrave il a pu le chercher et le trouver mdash La-t-il appris des autres Mais les autres ou lont trouveacute deux-mecircmes ou lont appris des autres Ils nont pu le trouver deux-mecircmes plus quAlcibiade et sils lont appris des autres de qui ceux-lagrave lavaient-ils appris Ce cercle est sans fin Et il ne faut pas dire quAlcibiade a pu lapprendre dans le commerce du peuple car le peuple est un excellent maicirctre de langue mais un tregraves mauvais [page]maicirctre de justice qui nest daccord lagrave-dessus ni avec lui-mecircme ni avec les autres La preuve

en est dans les orages des deacutelibeacuterations publiques dAthegravenes et dans les guerres perpeacutetuelles des peuples de la Gregravece entre eux

Le mecircme raisonnement sapplique agrave lutile Mais sans rengager Alcibiade dans le mecircme genre dargumentation Socrate se contente de lui demander sil croit que lutile et le juste sont la mecircme chose Alcibiade le nie dabord et en convient ensuite apregraves une discussion qui aurait pu ecirctre aiseacutement plus seacutevegravere et plus lumineuse Or si lutile est la mecircme chose que le juste et si Alcibiade ne sait pas ce

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que cest que le juste il ne sait donc point ce que cest que lutile et il reste convaincu dignorer preacuteciseacutement les deux points sur lesquels roulent toutes les affaires de ce monde lui qui se proposait daller de ce pas donner son avis aux Atheacuteniens sur leurs affaires [page]La conseacutequence de toute cette discussion est quAlcibiade a beaucoup agrave apprendre avant

decirctre un homme dEacutetat et quil faut dabord quil sinstruise et se perfectionne Or la perfection dun ecirctre nest point ailleurs que dans la fideacuteliteacute agrave sa propre nature et qui ne sait quel il est ne peut concevoir quel il doit ecirctre le point de deacutepart de toute perfection est la connaissance de soi-mecircme Cest lagrave le fond de lAlcibiade

Que sommes-nous donc On a dit que lhomme est une intelligence servie par des organes Il fallait dire que lhomme est une intelligence qui se sert des organes En effet le moi ne saperccediloit lui-mecircme que dans le sentiment intime du pouvoir quil a de se servir quand et comment il lui plaicirct de ces mecircmes organes qui lenveloppent et dont il semble le produit Ce nest quen se servant deux quil sen distingue et ce nest quen sen distinguant quil soupccedilonne leur existence et reconnaicirct la sienne Tant que [page]lhomme ne fait que sentir jouir ou souffrir sa sensibiliteacute eucirct-elle acquis les deacuteveloppements

les plus riches et les plus vastes occupacirct-il lespace entier de son eacutetendue remplicirct-il le temps de sa dureacutee lhomme nest pas encore du moins pour lui-mecircme il nest agrave ce degreacute quune des forces de la nature une piegravece ordinaire de lordre du monde et du meacutecanisme universel qui agit en lui et par lui Mais quand parti des profondeurs de lacircme preacutemeacutediteacute deacutelibeacutereacute voulu lacte libre vient sinterposer au milieu du flux et du reflux des affections et des mouvements organiques le miracle de la personnaliteacute humaine saccomplit Tant que le sentiment de laction volontaire et libre subsiste dans lacircme le miracle continue lhomme sappartient agrave lui-mecircme et possegravede la conscience dune existence qui lui est propre Quand ce sentiment diminue celui de lexistence deacutecroicirct proportionnellement ses divers degreacutes mesurent leacutenergie [page]la pureteacute la grandeur de la vie humaine et quand il est eacuteteint le pheacutenomegravene intellectuel a

peacuteri

Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον pour le bien connaicirctre il ne suffit pas de leὸ ὐ ὸ ἕ consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

Ce qui constitue le moi cest son caractegravere de force ou de cause Or cette cause preacuteciseacutement parce quelle est personnelle relative deacutetermineacutee τ α τ καστον et quelle agit dans le temps et dansὸ ὐ ὸ ἕ lespace est finie limiteacutee par lespace et par le temps et lopposition neacutecessaire des forces eacutetrangegraveres de la nature elle a ses degreacutes ses bornes ses affaiblissements ses suspensions ses deacutefaillances elle ne se suffit donc pas agrave elle-mecircme et alors mecircme que fidegravele agrave sa nature elle [page]reacutesiste agrave la fataliteacute qui fait effort pour lentraicircner et labsorber dans son sein alors mecircme

quelle deacutefend le plus noblement contre cette fataliteacute et les passions qui en deacuterivent la liberteacute faible et borneacutee mais reacuteelle et perfectible dont elle est doueacutee elle eacuteprouve le besoin dun point dappui plus ferme encore que celui de la conscience dune puissance supeacuterieure ougrave elle se renouvelle se fortifie et seacutepure Mais cette puissance ougrave la trouver Sera-ce agrave la scegravene mobile de ce monde que nous demanderons un principe fixe Sera-ce agrave des formules abstraites que nous demanderons un principe reacuteel Il faut donc revenir agrave lacircme mais il faut entrer dans ses profondeurs Il faut revenir au moi car le moi seul peut donner un principe actif et reacuteel mais il faut deacutegager le moi de lui-mecircme pour en obtenir un principe fixe cest-agrave-dire quil faut consideacuterer le moi substantiellement car la substance du moi comme substance du moi doit ecirctre [page]une force et comme substance elle doit ecirctre une force absolue Or nest-ce pas un fait que

sous le jeu varieacute de nos faculteacutes et pour ainsi dire agrave travers la conscience claire et distincte de notre

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eacutenergie personnelle est la conscience sourde et confuse dune force qui nest pas la nocirctre mais agrave laquelle la nocirctre est attacheacutee que le moi cest-agrave-dire toute lactiviteacute volontaire ne sattribue pas mais quil repreacutesente sans toutefois la repreacutesenter inteacutegralement agrave laquelle il emprunte sans cesse sans jamais leacutepuiser quil sait anteacuterieure agrave lui puisquil se sent venir delle et ne pouvoir subsister sans elle quil sait posteacuterieure agrave lui puisque apregraves des deacutefaillances momentaneacutees il se sent renaicirctre dans elle et par elle Exempte des limites et des troubles de la personnaliteacute cette force anteacuterieure posteacuterieure supeacuterieure agrave celle de lhomme ne descend point agrave des actes particuliers et par conseacutequent ne tombe ni dans le temps ni dans lespace immobile [page]dans luniteacute de son action infinie et ineacutepuisable en dehors et au-dessus du changement de

laccident et du mode cause invisible et absolue de toutes les causes contingentes et pheacutenomeacutenales substance existence liberteacute pure Dieu Or Dieu une fois conccedilu comme le type de la liberteacute en soi et lacircme humaine comme le type de la liberteacute relative ou de la volonteacute il suit que plus lacircme se deacutegage des liens de la fataliteacute plus elle se retire des eacuteleacutements profanes qui lenvironnent et qui lentraicircnent vers ce monde exteacuterieur des images et des formules aussi vaines que les images plus elle revient et sattache agrave leacuteleacutement sacreacute au Dieu qui habite en elle et mieux elle se connaicirct elle-mecircme puisquelle se connaicirct non seulement dans son eacutetat actuel mais dans son eacutetat primitif et futur dans son essence Cest lagrave la condition et le compleacutement de toute sagesse de toute science de toute perfection

Voici maintenant les conseacutequences prati- [page]ques celui qui se connaicirct lui-mecircme et dans lindividualiteacute qui constitue son eacutetat actuel et

dans le principe universel dont il eacutemane celui-lagrave sait que ce nest pas les avantages exteacuterieurs qui ne lui appartiennent pas mais lui-mecircme mais son acircme quil doit chercher agrave perfectionner et quil doit la perfectionner en la ramenant et leacutelevant sans cesse agrave son principe agrave lessence libre et pure dans laquelle elle se contemple et qui lui sert agrave la fois de substance de cause et dideacuteal Mais celui qui ne se connaicirct pas lui-mecircme ignore la perfection qui lui est propre Incapable de se perfectionner lui-mecircme il lest agrave plus forte raison de perfectionner les autres et de se mecircler utilement de leurs affaires Il est donc neacutecessairement un mauvais homme dEacutetat Tant quon nest pas vertueux il faut obeacuteir tant quon ne connaicirct pas lart de rendre vertueux les autres il ne faut pas leur commander Car ce quil faut dabord procurer agrave la reacutepublique [page]ce ne sont pas les avantages exteacuterieurs mais cest la vertu pour les citoyens La vraie

politique est lart de persuader la justice [page](page blanche) [page]

LE PREMIER ALCIBIADE ou DE LA NATURE HUMAINE

SOCRATE ALCIBIADE

[103a] SOCRATE

FILS de Clinias tu es sans doute surpris quayant eacuteteacute le premier agrave taimer seul je te reste fidegravele quand tous mes rivaux tont quitteacute et que les autres tayant fatigueacute de leurs protestations damour jai eacuteteacute tant danneacutees sans mecircme te parler Et ce nest aucune consideacuteration humaine qui ma retenu cest une consideacuteration toute divine comme je te lexpliquerai plus tard Mais aujourdhui [103b] que lobstacle qui nous seacuteparait sest retireacute je mempresse de tab- [page]order et jespegravere que deacutesormais cet obstacle ne reparaicirctra plus Sache donc que pendant

tout le temps de mon silence je nai presque cesseacute de reacutefleacutechir et davoir les yeux ouverts sur ta conduite avec mes rivaux Parmi ce grand nombre dhommes orgueilleux qui se sont attacheacutes agrave toi il ny en a pas un que tu naies rebuteacute par tes deacutedains [104a] et je veux te dire ici la cause de tes meacutepris pour eux Tu crois navoir besoin de personne et quagrave commencer par le corps et agrave finir par lacircme tu as trop davantages pour quaucun secours te soit neacutecessaire Car premiegraverement tu te crois le plus

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beau et le mieux fait de tous les hommes et agrave vrai dire il ne faut que te voir pour ecirctre bien sucircr que tu ne te trompes pas en second lieu tu te crois de la plus illustre famille dAthegravenes qui est la premiegravere de toutes les villes grecques [104b] tu sais que du cocircteacute de ton pegravere tu y as des amis et des allieacutes nombreux et puissants qui tappuieront en toutes rencontres et que tu nen as pas moins ni de moins consideacuterables du cocircteacute de ta megravere[1] mais ce que tu regardes comme ta plus grande force cest Peacutericlegraves fils de Xan- [page]tippe que ton pegravere ta laisseacute pour tuteur agrave toi et agrave ton fregravere Peacutericlegraves dont lautoriteacute est si

grande quil fait tout ce quil veut non seulement dans cette ville mais aussi dans toute la Gregravece et chez les plus puissantes nations eacutetrangegraveres Je pourrais encore parler de tes richesses [104c] si je ne savais que cest ce qui te donne le moins de vaniteacute Tous ces grands avantages tont si fort enfleacute le cœur que tu as meacutepriseacute tous tes amants comme des hommes indignes de toi eux agrave leur tour se sont retireacutes Cela ne ta pas eacutechappeacute et voilagrave pourquoi je sais bien que tu teacutetonnes de me voir persister dans mon amour et que tu cherches quelle espeacuterance jai pu conserver pour te suivre encore apregraves que tous mes rivaux tont abandonneacute

ALCIBIADE

Mais une chose que tu ne sais peut-ecirctre pas Socrate cest que tu ne mas preacutevenu [104d] que dun moment Javais dessein de taborder le premier et de te demander ce que tu veux et ce que tu espegraveres pour mimportuner comme tu fais te trouvant toujours tregraves soigneusement dans tous les lieux ougrave je vais car veacuteritablement je ne puis concevoir ce que tu preacutetends et tu mobligeras de texpliquer

SOCRATE

Tu mentendras donc volontiers si comme [page]tu le dis tu as envie de savoir ce que je pense et je vais te parler comme agrave un homme qui aura

la patience de mentendre et qui ne cherchera pas agrave meacutechapper

ALCIBIADE

A merveille voyons parle

SOCRATE

[104e] Prends bien garde agrave quoi tu tengages afin que tu ne sois pas surpris si jai autant de peine agrave finir que jen ai eu agrave commencer

ALCIBIADE

Parle mon cher je tentendrai tout le temps que tu voudras

SOCRATE

Il faut donc lobeacuteir et quoiquil soit un peu peacutenible de parler damour agrave un homme qui a maltraiteacute tous ses amants il faut avoir le courage de te dire ma penseacutee Pour moi Alcibiade si je tavais vu satisfait de tels avantages timaginer que tu nas rien de mieux agrave faire quagrave ty reposer toute ta vie il y a longtemps que jaurais aussi renonceacute agrave ma passion [105a] du moins je men flatte Mais je vais te deacutecouvrir de toutes autres penseacutees de toi sur toi-mecircme et tu connaicirctras par lagrave que je nai jamais cesseacute de teacutetudier Je crois que si quelque Dieu te disait tout-agrave-coup Alcibiade quaimes-tu mieux ou mourir tout agrave lheure ou content des avantages [page]que tu possegravedes renoncer agrave en acqueacuterir jamais de plus grands oui je crois que tu aimerais

mieux mourir Mais dans quelle espeacuterance vis-tu donc Je vais te le dire Tu es persuadeacute quaussitocirct que tu auras harangueacute [105b] les Atheacuteniens et cela arrivera au premier jour tu leur prouveras que tu meacuterites bien plus de creacutedit que Peacutericlegraves et aucun des plus grands citoyens quait jamais eus la reacutepublique et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athegravenes et par lagrave dans toutes les villes grecques et mecircme chez les nations barbares qui habitent notre continent[2] Et si ce

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Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest

que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre

ALCIBIADE

Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je

pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien

[106b] SOCRATE

Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose

ALCIBIADE

Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile

SOCRATE

Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc

ALCIBIADE

Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE

Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue

ALCIBIADE

Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire

568

SOCRATE

Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu

[106d] ALCIBIADE

Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux

SOCRATE

Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE

Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas

SOCRATE

Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Que pourrait-on savoir autrement

SOCRATE

Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

[106e] SOCRATE

Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance

ALCIBIADE

Non voilagrave les seules choses que jai apprises

[107a] SOCRATE

668

Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis

ALCIBIADE

Non par Jupiter

SOCRATE

Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre

ALCIBIADE

Nullement [page]SOCRATE

Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi

[107b] ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE

Quest-ce que cela fait

SOCRATE

Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche

ALCIBIADE

768

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin

ALCIBIADE

Et avec raison

SOCRATE

Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis

ALCIBIADE

Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires

SOCRATE

Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir

ALCIBIADE

Non pas Socrate [page]SOCRATE

Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Jen conviens

[107d] SOCRATE

Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi

ALCIBIADE

Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique

SOCRATE

Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lorsque cest le mieux

ALCIBIADE

Sans doute

868

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

que cest que le juste il ne sait donc point ce que cest que lutile et il reste convaincu dignorer preacuteciseacutement les deux points sur lesquels roulent toutes les affaires de ce monde lui qui se proposait daller de ce pas donner son avis aux Atheacuteniens sur leurs affaires [page]La conseacutequence de toute cette discussion est quAlcibiade a beaucoup agrave apprendre avant

decirctre un homme dEacutetat et quil faut dabord quil sinstruise et se perfectionne Or la perfection dun ecirctre nest point ailleurs que dans la fideacuteliteacute agrave sa propre nature et qui ne sait quel il est ne peut concevoir quel il doit ecirctre le point de deacutepart de toute perfection est la connaissance de soi-mecircme Cest lagrave le fond de lAlcibiade

Que sommes-nous donc On a dit que lhomme est une intelligence servie par des organes Il fallait dire que lhomme est une intelligence qui se sert des organes En effet le moi ne saperccediloit lui-mecircme que dans le sentiment intime du pouvoir quil a de se servir quand et comment il lui plaicirct de ces mecircmes organes qui lenveloppent et dont il semble le produit Ce nest quen se servant deux quil sen distingue et ce nest quen sen distinguant quil soupccedilonne leur existence et reconnaicirct la sienne Tant que [page]lhomme ne fait que sentir jouir ou souffrir sa sensibiliteacute eucirct-elle acquis les deacuteveloppements

les plus riches et les plus vastes occupacirct-il lespace entier de son eacutetendue remplicirct-il le temps de sa dureacutee lhomme nest pas encore du moins pour lui-mecircme il nest agrave ce degreacute quune des forces de la nature une piegravece ordinaire de lordre du monde et du meacutecanisme universel qui agit en lui et par lui Mais quand parti des profondeurs de lacircme preacutemeacutediteacute deacutelibeacutereacute voulu lacte libre vient sinterposer au milieu du flux et du reflux des affections et des mouvements organiques le miracle de la personnaliteacute humaine saccomplit Tant que le sentiment de laction volontaire et libre subsiste dans lacircme le miracle continue lhomme sappartient agrave lui-mecircme et possegravede la conscience dune existence qui lui est propre Quand ce sentiment diminue celui de lexistence deacutecroicirct proportionnellement ses divers degreacutes mesurent leacutenergie [page]la pureteacute la grandeur de la vie humaine et quand il est eacuteteint le pheacutenomegravene intellectuel a

peacuteri

Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον pour le bien connaicirctre il ne suffit pas de leὸ ὐ ὸ ἕ consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

Ce qui constitue le moi cest son caractegravere de force ou de cause Or cette cause preacuteciseacutement parce quelle est personnelle relative deacutetermineacutee τ α τ καστον et quelle agit dans le temps et dansὸ ὐ ὸ ἕ lespace est finie limiteacutee par lespace et par le temps et lopposition neacutecessaire des forces eacutetrangegraveres de la nature elle a ses degreacutes ses bornes ses affaiblissements ses suspensions ses deacutefaillances elle ne se suffit donc pas agrave elle-mecircme et alors mecircme que fidegravele agrave sa nature elle [page]reacutesiste agrave la fataliteacute qui fait effort pour lentraicircner et labsorber dans son sein alors mecircme

quelle deacutefend le plus noblement contre cette fataliteacute et les passions qui en deacuterivent la liberteacute faible et borneacutee mais reacuteelle et perfectible dont elle est doueacutee elle eacuteprouve le besoin dun point dappui plus ferme encore que celui de la conscience dune puissance supeacuterieure ougrave elle se renouvelle se fortifie et seacutepure Mais cette puissance ougrave la trouver Sera-ce agrave la scegravene mobile de ce monde que nous demanderons un principe fixe Sera-ce agrave des formules abstraites que nous demanderons un principe reacuteel Il faut donc revenir agrave lacircme mais il faut entrer dans ses profondeurs Il faut revenir au moi car le moi seul peut donner un principe actif et reacuteel mais il faut deacutegager le moi de lui-mecircme pour en obtenir un principe fixe cest-agrave-dire quil faut consideacuterer le moi substantiellement car la substance du moi comme substance du moi doit ecirctre [page]une force et comme substance elle doit ecirctre une force absolue Or nest-ce pas un fait que

sous le jeu varieacute de nos faculteacutes et pour ainsi dire agrave travers la conscience claire et distincte de notre

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eacutenergie personnelle est la conscience sourde et confuse dune force qui nest pas la nocirctre mais agrave laquelle la nocirctre est attacheacutee que le moi cest-agrave-dire toute lactiviteacute volontaire ne sattribue pas mais quil repreacutesente sans toutefois la repreacutesenter inteacutegralement agrave laquelle il emprunte sans cesse sans jamais leacutepuiser quil sait anteacuterieure agrave lui puisquil se sent venir delle et ne pouvoir subsister sans elle quil sait posteacuterieure agrave lui puisque apregraves des deacutefaillances momentaneacutees il se sent renaicirctre dans elle et par elle Exempte des limites et des troubles de la personnaliteacute cette force anteacuterieure posteacuterieure supeacuterieure agrave celle de lhomme ne descend point agrave des actes particuliers et par conseacutequent ne tombe ni dans le temps ni dans lespace immobile [page]dans luniteacute de son action infinie et ineacutepuisable en dehors et au-dessus du changement de

laccident et du mode cause invisible et absolue de toutes les causes contingentes et pheacutenomeacutenales substance existence liberteacute pure Dieu Or Dieu une fois conccedilu comme le type de la liberteacute en soi et lacircme humaine comme le type de la liberteacute relative ou de la volonteacute il suit que plus lacircme se deacutegage des liens de la fataliteacute plus elle se retire des eacuteleacutements profanes qui lenvironnent et qui lentraicircnent vers ce monde exteacuterieur des images et des formules aussi vaines que les images plus elle revient et sattache agrave leacuteleacutement sacreacute au Dieu qui habite en elle et mieux elle se connaicirct elle-mecircme puisquelle se connaicirct non seulement dans son eacutetat actuel mais dans son eacutetat primitif et futur dans son essence Cest lagrave la condition et le compleacutement de toute sagesse de toute science de toute perfection

Voici maintenant les conseacutequences prati- [page]ques celui qui se connaicirct lui-mecircme et dans lindividualiteacute qui constitue son eacutetat actuel et

dans le principe universel dont il eacutemane celui-lagrave sait que ce nest pas les avantages exteacuterieurs qui ne lui appartiennent pas mais lui-mecircme mais son acircme quil doit chercher agrave perfectionner et quil doit la perfectionner en la ramenant et leacutelevant sans cesse agrave son principe agrave lessence libre et pure dans laquelle elle se contemple et qui lui sert agrave la fois de substance de cause et dideacuteal Mais celui qui ne se connaicirct pas lui-mecircme ignore la perfection qui lui est propre Incapable de se perfectionner lui-mecircme il lest agrave plus forte raison de perfectionner les autres et de se mecircler utilement de leurs affaires Il est donc neacutecessairement un mauvais homme dEacutetat Tant quon nest pas vertueux il faut obeacuteir tant quon ne connaicirct pas lart de rendre vertueux les autres il ne faut pas leur commander Car ce quil faut dabord procurer agrave la reacutepublique [page]ce ne sont pas les avantages exteacuterieurs mais cest la vertu pour les citoyens La vraie

politique est lart de persuader la justice [page](page blanche) [page]

LE PREMIER ALCIBIADE ou DE LA NATURE HUMAINE

SOCRATE ALCIBIADE

[103a] SOCRATE

FILS de Clinias tu es sans doute surpris quayant eacuteteacute le premier agrave taimer seul je te reste fidegravele quand tous mes rivaux tont quitteacute et que les autres tayant fatigueacute de leurs protestations damour jai eacuteteacute tant danneacutees sans mecircme te parler Et ce nest aucune consideacuteration humaine qui ma retenu cest une consideacuteration toute divine comme je te lexpliquerai plus tard Mais aujourdhui [103b] que lobstacle qui nous seacuteparait sest retireacute je mempresse de tab- [page]order et jespegravere que deacutesormais cet obstacle ne reparaicirctra plus Sache donc que pendant

tout le temps de mon silence je nai presque cesseacute de reacutefleacutechir et davoir les yeux ouverts sur ta conduite avec mes rivaux Parmi ce grand nombre dhommes orgueilleux qui se sont attacheacutes agrave toi il ny en a pas un que tu naies rebuteacute par tes deacutedains [104a] et je veux te dire ici la cause de tes meacutepris pour eux Tu crois navoir besoin de personne et quagrave commencer par le corps et agrave finir par lacircme tu as trop davantages pour quaucun secours te soit neacutecessaire Car premiegraverement tu te crois le plus

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beau et le mieux fait de tous les hommes et agrave vrai dire il ne faut que te voir pour ecirctre bien sucircr que tu ne te trompes pas en second lieu tu te crois de la plus illustre famille dAthegravenes qui est la premiegravere de toutes les villes grecques [104b] tu sais que du cocircteacute de ton pegravere tu y as des amis et des allieacutes nombreux et puissants qui tappuieront en toutes rencontres et que tu nen as pas moins ni de moins consideacuterables du cocircteacute de ta megravere[1] mais ce que tu regardes comme ta plus grande force cest Peacutericlegraves fils de Xan- [page]tippe que ton pegravere ta laisseacute pour tuteur agrave toi et agrave ton fregravere Peacutericlegraves dont lautoriteacute est si

grande quil fait tout ce quil veut non seulement dans cette ville mais aussi dans toute la Gregravece et chez les plus puissantes nations eacutetrangegraveres Je pourrais encore parler de tes richesses [104c] si je ne savais que cest ce qui te donne le moins de vaniteacute Tous ces grands avantages tont si fort enfleacute le cœur que tu as meacutepriseacute tous tes amants comme des hommes indignes de toi eux agrave leur tour se sont retireacutes Cela ne ta pas eacutechappeacute et voilagrave pourquoi je sais bien que tu teacutetonnes de me voir persister dans mon amour et que tu cherches quelle espeacuterance jai pu conserver pour te suivre encore apregraves que tous mes rivaux tont abandonneacute

ALCIBIADE

Mais une chose que tu ne sais peut-ecirctre pas Socrate cest que tu ne mas preacutevenu [104d] que dun moment Javais dessein de taborder le premier et de te demander ce que tu veux et ce que tu espegraveres pour mimportuner comme tu fais te trouvant toujours tregraves soigneusement dans tous les lieux ougrave je vais car veacuteritablement je ne puis concevoir ce que tu preacutetends et tu mobligeras de texpliquer

SOCRATE

Tu mentendras donc volontiers si comme [page]tu le dis tu as envie de savoir ce que je pense et je vais te parler comme agrave un homme qui aura

la patience de mentendre et qui ne cherchera pas agrave meacutechapper

ALCIBIADE

A merveille voyons parle

SOCRATE

[104e] Prends bien garde agrave quoi tu tengages afin que tu ne sois pas surpris si jai autant de peine agrave finir que jen ai eu agrave commencer

ALCIBIADE

Parle mon cher je tentendrai tout le temps que tu voudras

SOCRATE

Il faut donc lobeacuteir et quoiquil soit un peu peacutenible de parler damour agrave un homme qui a maltraiteacute tous ses amants il faut avoir le courage de te dire ma penseacutee Pour moi Alcibiade si je tavais vu satisfait de tels avantages timaginer que tu nas rien de mieux agrave faire quagrave ty reposer toute ta vie il y a longtemps que jaurais aussi renonceacute agrave ma passion [105a] du moins je men flatte Mais je vais te deacutecouvrir de toutes autres penseacutees de toi sur toi-mecircme et tu connaicirctras par lagrave que je nai jamais cesseacute de teacutetudier Je crois que si quelque Dieu te disait tout-agrave-coup Alcibiade quaimes-tu mieux ou mourir tout agrave lheure ou content des avantages [page]que tu possegravedes renoncer agrave en acqueacuterir jamais de plus grands oui je crois que tu aimerais

mieux mourir Mais dans quelle espeacuterance vis-tu donc Je vais te le dire Tu es persuadeacute quaussitocirct que tu auras harangueacute [105b] les Atheacuteniens et cela arrivera au premier jour tu leur prouveras que tu meacuterites bien plus de creacutedit que Peacutericlegraves et aucun des plus grands citoyens quait jamais eus la reacutepublique et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athegravenes et par lagrave dans toutes les villes grecques et mecircme chez les nations barbares qui habitent notre continent[2] Et si ce

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Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest

que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre

ALCIBIADE

Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je

pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien

[106b] SOCRATE

Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose

ALCIBIADE

Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile

SOCRATE

Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc

ALCIBIADE

Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE

Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue

ALCIBIADE

Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire

568

SOCRATE

Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu

[106d] ALCIBIADE

Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux

SOCRATE

Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE

Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas

SOCRATE

Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Que pourrait-on savoir autrement

SOCRATE

Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

[106e] SOCRATE

Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance

ALCIBIADE

Non voilagrave les seules choses que jai apprises

[107a] SOCRATE

668

Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis

ALCIBIADE

Non par Jupiter

SOCRATE

Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre

ALCIBIADE

Nullement [page]SOCRATE

Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi

[107b] ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE

Quest-ce que cela fait

SOCRATE

Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche

ALCIBIADE

768

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin

ALCIBIADE

Et avec raison

SOCRATE

Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis

ALCIBIADE

Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires

SOCRATE

Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir

ALCIBIADE

Non pas Socrate [page]SOCRATE

Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Jen conviens

[107d] SOCRATE

Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi

ALCIBIADE

Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique

SOCRATE

Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lorsque cest le mieux

ALCIBIADE

Sans doute

868

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

eacutenergie personnelle est la conscience sourde et confuse dune force qui nest pas la nocirctre mais agrave laquelle la nocirctre est attacheacutee que le moi cest-agrave-dire toute lactiviteacute volontaire ne sattribue pas mais quil repreacutesente sans toutefois la repreacutesenter inteacutegralement agrave laquelle il emprunte sans cesse sans jamais leacutepuiser quil sait anteacuterieure agrave lui puisquil se sent venir delle et ne pouvoir subsister sans elle quil sait posteacuterieure agrave lui puisque apregraves des deacutefaillances momentaneacutees il se sent renaicirctre dans elle et par elle Exempte des limites et des troubles de la personnaliteacute cette force anteacuterieure posteacuterieure supeacuterieure agrave celle de lhomme ne descend point agrave des actes particuliers et par conseacutequent ne tombe ni dans le temps ni dans lespace immobile [page]dans luniteacute de son action infinie et ineacutepuisable en dehors et au-dessus du changement de

laccident et du mode cause invisible et absolue de toutes les causes contingentes et pheacutenomeacutenales substance existence liberteacute pure Dieu Or Dieu une fois conccedilu comme le type de la liberteacute en soi et lacircme humaine comme le type de la liberteacute relative ou de la volonteacute il suit que plus lacircme se deacutegage des liens de la fataliteacute plus elle se retire des eacuteleacutements profanes qui lenvironnent et qui lentraicircnent vers ce monde exteacuterieur des images et des formules aussi vaines que les images plus elle revient et sattache agrave leacuteleacutement sacreacute au Dieu qui habite en elle et mieux elle se connaicirct elle-mecircme puisquelle se connaicirct non seulement dans son eacutetat actuel mais dans son eacutetat primitif et futur dans son essence Cest lagrave la condition et le compleacutement de toute sagesse de toute science de toute perfection

Voici maintenant les conseacutequences prati- [page]ques celui qui se connaicirct lui-mecircme et dans lindividualiteacute qui constitue son eacutetat actuel et

dans le principe universel dont il eacutemane celui-lagrave sait que ce nest pas les avantages exteacuterieurs qui ne lui appartiennent pas mais lui-mecircme mais son acircme quil doit chercher agrave perfectionner et quil doit la perfectionner en la ramenant et leacutelevant sans cesse agrave son principe agrave lessence libre et pure dans laquelle elle se contemple et qui lui sert agrave la fois de substance de cause et dideacuteal Mais celui qui ne se connaicirct pas lui-mecircme ignore la perfection qui lui est propre Incapable de se perfectionner lui-mecircme il lest agrave plus forte raison de perfectionner les autres et de se mecircler utilement de leurs affaires Il est donc neacutecessairement un mauvais homme dEacutetat Tant quon nest pas vertueux il faut obeacuteir tant quon ne connaicirct pas lart de rendre vertueux les autres il ne faut pas leur commander Car ce quil faut dabord procurer agrave la reacutepublique [page]ce ne sont pas les avantages exteacuterieurs mais cest la vertu pour les citoyens La vraie

politique est lart de persuader la justice [page](page blanche) [page]

LE PREMIER ALCIBIADE ou DE LA NATURE HUMAINE

SOCRATE ALCIBIADE

[103a] SOCRATE

FILS de Clinias tu es sans doute surpris quayant eacuteteacute le premier agrave taimer seul je te reste fidegravele quand tous mes rivaux tont quitteacute et que les autres tayant fatigueacute de leurs protestations damour jai eacuteteacute tant danneacutees sans mecircme te parler Et ce nest aucune consideacuteration humaine qui ma retenu cest une consideacuteration toute divine comme je te lexpliquerai plus tard Mais aujourdhui [103b] que lobstacle qui nous seacuteparait sest retireacute je mempresse de tab- [page]order et jespegravere que deacutesormais cet obstacle ne reparaicirctra plus Sache donc que pendant

tout le temps de mon silence je nai presque cesseacute de reacutefleacutechir et davoir les yeux ouverts sur ta conduite avec mes rivaux Parmi ce grand nombre dhommes orgueilleux qui se sont attacheacutes agrave toi il ny en a pas un que tu naies rebuteacute par tes deacutedains [104a] et je veux te dire ici la cause de tes meacutepris pour eux Tu crois navoir besoin de personne et quagrave commencer par le corps et agrave finir par lacircme tu as trop davantages pour quaucun secours te soit neacutecessaire Car premiegraverement tu te crois le plus

368

beau et le mieux fait de tous les hommes et agrave vrai dire il ne faut que te voir pour ecirctre bien sucircr que tu ne te trompes pas en second lieu tu te crois de la plus illustre famille dAthegravenes qui est la premiegravere de toutes les villes grecques [104b] tu sais que du cocircteacute de ton pegravere tu y as des amis et des allieacutes nombreux et puissants qui tappuieront en toutes rencontres et que tu nen as pas moins ni de moins consideacuterables du cocircteacute de ta megravere[1] mais ce que tu regardes comme ta plus grande force cest Peacutericlegraves fils de Xan- [page]tippe que ton pegravere ta laisseacute pour tuteur agrave toi et agrave ton fregravere Peacutericlegraves dont lautoriteacute est si

grande quil fait tout ce quil veut non seulement dans cette ville mais aussi dans toute la Gregravece et chez les plus puissantes nations eacutetrangegraveres Je pourrais encore parler de tes richesses [104c] si je ne savais que cest ce qui te donne le moins de vaniteacute Tous ces grands avantages tont si fort enfleacute le cœur que tu as meacutepriseacute tous tes amants comme des hommes indignes de toi eux agrave leur tour se sont retireacutes Cela ne ta pas eacutechappeacute et voilagrave pourquoi je sais bien que tu teacutetonnes de me voir persister dans mon amour et que tu cherches quelle espeacuterance jai pu conserver pour te suivre encore apregraves que tous mes rivaux tont abandonneacute

ALCIBIADE

Mais une chose que tu ne sais peut-ecirctre pas Socrate cest que tu ne mas preacutevenu [104d] que dun moment Javais dessein de taborder le premier et de te demander ce que tu veux et ce que tu espegraveres pour mimportuner comme tu fais te trouvant toujours tregraves soigneusement dans tous les lieux ougrave je vais car veacuteritablement je ne puis concevoir ce que tu preacutetends et tu mobligeras de texpliquer

SOCRATE

Tu mentendras donc volontiers si comme [page]tu le dis tu as envie de savoir ce que je pense et je vais te parler comme agrave un homme qui aura

la patience de mentendre et qui ne cherchera pas agrave meacutechapper

ALCIBIADE

A merveille voyons parle

SOCRATE

[104e] Prends bien garde agrave quoi tu tengages afin que tu ne sois pas surpris si jai autant de peine agrave finir que jen ai eu agrave commencer

ALCIBIADE

Parle mon cher je tentendrai tout le temps que tu voudras

SOCRATE

Il faut donc lobeacuteir et quoiquil soit un peu peacutenible de parler damour agrave un homme qui a maltraiteacute tous ses amants il faut avoir le courage de te dire ma penseacutee Pour moi Alcibiade si je tavais vu satisfait de tels avantages timaginer que tu nas rien de mieux agrave faire quagrave ty reposer toute ta vie il y a longtemps que jaurais aussi renonceacute agrave ma passion [105a] du moins je men flatte Mais je vais te deacutecouvrir de toutes autres penseacutees de toi sur toi-mecircme et tu connaicirctras par lagrave que je nai jamais cesseacute de teacutetudier Je crois que si quelque Dieu te disait tout-agrave-coup Alcibiade quaimes-tu mieux ou mourir tout agrave lheure ou content des avantages [page]que tu possegravedes renoncer agrave en acqueacuterir jamais de plus grands oui je crois que tu aimerais

mieux mourir Mais dans quelle espeacuterance vis-tu donc Je vais te le dire Tu es persuadeacute quaussitocirct que tu auras harangueacute [105b] les Atheacuteniens et cela arrivera au premier jour tu leur prouveras que tu meacuterites bien plus de creacutedit que Peacutericlegraves et aucun des plus grands citoyens quait jamais eus la reacutepublique et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athegravenes et par lagrave dans toutes les villes grecques et mecircme chez les nations barbares qui habitent notre continent[2] Et si ce

468

Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest

que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre

ALCIBIADE

Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je

pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien

[106b] SOCRATE

Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose

ALCIBIADE

Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile

SOCRATE

Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc

ALCIBIADE

Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE

Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue

ALCIBIADE

Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire

568

SOCRATE

Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu

[106d] ALCIBIADE

Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux

SOCRATE

Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE

Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas

SOCRATE

Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Que pourrait-on savoir autrement

SOCRATE

Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

[106e] SOCRATE

Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance

ALCIBIADE

Non voilagrave les seules choses que jai apprises

[107a] SOCRATE

668

Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis

ALCIBIADE

Non par Jupiter

SOCRATE

Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre

ALCIBIADE

Nullement [page]SOCRATE

Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi

[107b] ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE

Quest-ce que cela fait

SOCRATE

Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche

ALCIBIADE

768

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin

ALCIBIADE

Et avec raison

SOCRATE

Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis

ALCIBIADE

Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires

SOCRATE

Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir

ALCIBIADE

Non pas Socrate [page]SOCRATE

Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Jen conviens

[107d] SOCRATE

Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi

ALCIBIADE

Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique

SOCRATE

Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lorsque cest le mieux

ALCIBIADE

Sans doute

868

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

beau et le mieux fait de tous les hommes et agrave vrai dire il ne faut que te voir pour ecirctre bien sucircr que tu ne te trompes pas en second lieu tu te crois de la plus illustre famille dAthegravenes qui est la premiegravere de toutes les villes grecques [104b] tu sais que du cocircteacute de ton pegravere tu y as des amis et des allieacutes nombreux et puissants qui tappuieront en toutes rencontres et que tu nen as pas moins ni de moins consideacuterables du cocircteacute de ta megravere[1] mais ce que tu regardes comme ta plus grande force cest Peacutericlegraves fils de Xan- [page]tippe que ton pegravere ta laisseacute pour tuteur agrave toi et agrave ton fregravere Peacutericlegraves dont lautoriteacute est si

grande quil fait tout ce quil veut non seulement dans cette ville mais aussi dans toute la Gregravece et chez les plus puissantes nations eacutetrangegraveres Je pourrais encore parler de tes richesses [104c] si je ne savais que cest ce qui te donne le moins de vaniteacute Tous ces grands avantages tont si fort enfleacute le cœur que tu as meacutepriseacute tous tes amants comme des hommes indignes de toi eux agrave leur tour se sont retireacutes Cela ne ta pas eacutechappeacute et voilagrave pourquoi je sais bien que tu teacutetonnes de me voir persister dans mon amour et que tu cherches quelle espeacuterance jai pu conserver pour te suivre encore apregraves que tous mes rivaux tont abandonneacute

ALCIBIADE

Mais une chose que tu ne sais peut-ecirctre pas Socrate cest que tu ne mas preacutevenu [104d] que dun moment Javais dessein de taborder le premier et de te demander ce que tu veux et ce que tu espegraveres pour mimportuner comme tu fais te trouvant toujours tregraves soigneusement dans tous les lieux ougrave je vais car veacuteritablement je ne puis concevoir ce que tu preacutetends et tu mobligeras de texpliquer

SOCRATE

Tu mentendras donc volontiers si comme [page]tu le dis tu as envie de savoir ce que je pense et je vais te parler comme agrave un homme qui aura

la patience de mentendre et qui ne cherchera pas agrave meacutechapper

ALCIBIADE

A merveille voyons parle

SOCRATE

[104e] Prends bien garde agrave quoi tu tengages afin que tu ne sois pas surpris si jai autant de peine agrave finir que jen ai eu agrave commencer

ALCIBIADE

Parle mon cher je tentendrai tout le temps que tu voudras

SOCRATE

Il faut donc lobeacuteir et quoiquil soit un peu peacutenible de parler damour agrave un homme qui a maltraiteacute tous ses amants il faut avoir le courage de te dire ma penseacutee Pour moi Alcibiade si je tavais vu satisfait de tels avantages timaginer que tu nas rien de mieux agrave faire quagrave ty reposer toute ta vie il y a longtemps que jaurais aussi renonceacute agrave ma passion [105a] du moins je men flatte Mais je vais te deacutecouvrir de toutes autres penseacutees de toi sur toi-mecircme et tu connaicirctras par lagrave que je nai jamais cesseacute de teacutetudier Je crois que si quelque Dieu te disait tout-agrave-coup Alcibiade quaimes-tu mieux ou mourir tout agrave lheure ou content des avantages [page]que tu possegravedes renoncer agrave en acqueacuterir jamais de plus grands oui je crois que tu aimerais

mieux mourir Mais dans quelle espeacuterance vis-tu donc Je vais te le dire Tu es persuadeacute quaussitocirct que tu auras harangueacute [105b] les Atheacuteniens et cela arrivera au premier jour tu leur prouveras que tu meacuterites bien plus de creacutedit que Peacutericlegraves et aucun des plus grands citoyens quait jamais eus la reacutepublique et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athegravenes et par lagrave dans toutes les villes grecques et mecircme chez les nations barbares qui habitent notre continent[2] Et si ce

468

Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest

que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre

ALCIBIADE

Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je

pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien

[106b] SOCRATE

Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose

ALCIBIADE

Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile

SOCRATE

Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc

ALCIBIADE

Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE

Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue

ALCIBIADE

Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire

568

SOCRATE

Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu

[106d] ALCIBIADE

Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux

SOCRATE

Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE

Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas

SOCRATE

Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Que pourrait-on savoir autrement

SOCRATE

Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

[106e] SOCRATE

Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance

ALCIBIADE

Non voilagrave les seules choses que jai apprises

[107a] SOCRATE

668

Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis

ALCIBIADE

Non par Jupiter

SOCRATE

Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre

ALCIBIADE

Nullement [page]SOCRATE

Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi

[107b] ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE

Quest-ce que cela fait

SOCRATE

Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche

ALCIBIADE

768

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin

ALCIBIADE

Et avec raison

SOCRATE

Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis

ALCIBIADE

Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires

SOCRATE

Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir

ALCIBIADE

Non pas Socrate [page]SOCRATE

Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Jen conviens

[107d] SOCRATE

Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi

ALCIBIADE

Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique

SOCRATE

Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lorsque cest le mieux

ALCIBIADE

Sans doute

868

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest

que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre

ALCIBIADE

Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je

pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien

[106b] SOCRATE

Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose

ALCIBIADE

Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile

SOCRATE

Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc

ALCIBIADE

Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE

Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue

ALCIBIADE

Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire

568

SOCRATE

Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu

[106d] ALCIBIADE

Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux

SOCRATE

Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE

Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas

SOCRATE

Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Que pourrait-on savoir autrement

SOCRATE

Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

[106e] SOCRATE

Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance

ALCIBIADE

Non voilagrave les seules choses que jai apprises

[107a] SOCRATE

668

Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis

ALCIBIADE

Non par Jupiter

SOCRATE

Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre

ALCIBIADE

Nullement [page]SOCRATE

Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi

[107b] ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE

Quest-ce que cela fait

SOCRATE

Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche

ALCIBIADE

768

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin

ALCIBIADE

Et avec raison

SOCRATE

Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis

ALCIBIADE

Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires

SOCRATE

Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir

ALCIBIADE

Non pas Socrate [page]SOCRATE

Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Jen conviens

[107d] SOCRATE

Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi

ALCIBIADE

Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique

SOCRATE

Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lorsque cest le mieux

ALCIBIADE

Sans doute

868

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu

[106d] ALCIBIADE

Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux

SOCRATE

Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE

Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas

SOCRATE

Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Que pourrait-on savoir autrement

SOCRATE

Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

[106e] SOCRATE

Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance

ALCIBIADE

Non voilagrave les seules choses que jai apprises

[107a] SOCRATE

668

Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis

ALCIBIADE

Non par Jupiter

SOCRATE

Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre

ALCIBIADE

Nullement [page]SOCRATE

Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi

[107b] ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE

Quest-ce que cela fait

SOCRATE

Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche

ALCIBIADE

768

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin

ALCIBIADE

Et avec raison

SOCRATE

Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis

ALCIBIADE

Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires

SOCRATE

Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir

ALCIBIADE

Non pas Socrate [page]SOCRATE

Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Jen conviens

[107d] SOCRATE

Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi

ALCIBIADE

Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique

SOCRATE

Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lorsque cest le mieux

ALCIBIADE

Sans doute

868

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis

ALCIBIADE

Non par Jupiter

SOCRATE

Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre

ALCIBIADE

Nullement [page]SOCRATE

Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi

[107b] ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE

Quest-ce que cela fait

SOCRATE

Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche

ALCIBIADE

768

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin

ALCIBIADE

Et avec raison

SOCRATE

Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis

ALCIBIADE

Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires

SOCRATE

Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir

ALCIBIADE

Non pas Socrate [page]SOCRATE

Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Jen conviens

[107d] SOCRATE

Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi

ALCIBIADE

Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique

SOCRATE

Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lorsque cest le mieux

ALCIBIADE

Sans doute

868

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin

ALCIBIADE

Et avec raison

SOCRATE

Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis

ALCIBIADE

Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires

SOCRATE

Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir

ALCIBIADE

Non pas Socrate [page]SOCRATE

Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere

ALCIBIADE

Jen conviens

[107d] SOCRATE

Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi

ALCIBIADE

Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique

SOCRATE

Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lorsque cest le mieux

ALCIBIADE

Sans doute

868

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

[page][107e] SOCRATE

Et pendant tout le temps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Rien nest plus vrai

SOCRATE

Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute

SOCRATE

Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux

ALCIBIADE

Sans doute [page][108a] SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Aussi longtemps

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant

ALCIBIADE

Il le faut

SOCRATE

Et quand cela est le mieux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et aussi longtemps que cela est le mieux

ALCIBIADE

Certainement

968

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Oui

[108c] SOCRATE

Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique

ALCIBIADE

Cest ainsi que tu lappelais

SOCRATE

Eh bien navais-je pas raison

ALCIBIADE

A ce quil me semble

SOCRATE

Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la

lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art

ALCIBIADE

Tu veux parler des Muses

[108d] SOCRATE

Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses

ALCIBIADE

1068

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Ah cest de la musique que tu parles

SOCRATE

Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art

ALCIBIADE

Musical je crois

SOCRATE

Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun

des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici

ALCIBIADE

Je ne saurais

SOCRATE

Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous

croyons devoir faire lune ou lautre

ALCIBIADE

Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver

SOCRATE

Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose

[109b] ALCIBIADE

Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes

SOCRATE

Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver

ALCIBIADE

Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement

1168

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Cest cela mecircme

ALCIBIADE

Et cela y met une diffeacuterence infinie

SOCRATE

Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent

[109c] ALCIBIADE

Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer

SOCRATE

En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct

ALCIBIADE

Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion

SOCRATE

Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste

ALCIBIADE

Il paraicirct au moins

[109d] SOCRATE

Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez

quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui

ALCIBIADE

Tu te moques Socrate

SOCRATE

Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est

[109e] ALCIBIADE

Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste

SOCRATE

1268

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Tu le sais si tu las trouveacute

ALCIBIADE

Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute

SOCRATE

Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE

Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute

SOCRATE

Tu las chercheacute si tu as cru lignorer

ALCIBIADE

Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais

SOCRATE

Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine

ALCIBIADE

Mais je croyais bien le savoir

SOCRATE

Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Comment en es-tu si sucircr

[110b] SOCRATE

Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai

ALCIBIADE

Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice

SOCRATE

1368

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire

[110c] ALCIBIADE

Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE

Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste

ALCIBIADE

Je croyais le connaicirctre et je le connaissais

SOCRATE

En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire

[110d] SOCRATE

Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE

Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme

SOCRATE

Dis-moi donc comment cela sest fait

ALCIBIADE

Je lai appris je pense tout comme les autres

SOCRATE

Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi

[110e] ALCIBIADE

Du peuple

SOCRATE

En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre

1468

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

ALCIBIADE

Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne

SOCRATE

Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi

ALCIBIADE

Oui sans doute [page]SOCRATE

Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles

ALCIBIADE

Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs

SOCRATE

Et lesquelles

[111a] ALCIBIADE

Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre

SOCRATE

Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre

ALCIBIADE

Pourquoi

SOCRATE

Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

ALCIBIADE

Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE

Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

1568

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Comment donc Ienseigneraient-ils

ALCIBIADE

Ils ne le pourraient daucune faccedilon

SOCRATE

Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux

dire par savoir la langue nest-ce pas

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre

[111d] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde

1668

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

ALCIBIADE

Tu as raison

SOCRATE

Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre

ALCIBIADE

Non certes

SOCRATE

Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE

Par Jupiter pas le moins du monde

SOCRATE

Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres

ALCIBIADE

Non en veacuteriteacute

SOCRATE

Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade

ALCIBIADE

Oui assureacutement Socrate

SOCRATE

Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice

ALCIBIADE

Oui

1768

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

[page]SOCRATE

Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse

[112c] ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE

Il ny paraicirct certes pas

SOCRATE

Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme

ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis

[112e] SOCRATE

Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade

ALCIBIADE

En quoi donc

SOCRATE

Tu preacutetends que cest moi qui dis cela

ALCIBIADE

Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice

SOCRATE

Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE

1868

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

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collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Qui donc Moi peut-ecirctre

SOCRATE

Toi-mecircme

ALCIBIADE

Comment

SOCRATE

Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et de combien plus grand

ALCIBIADE

Dun

SOCRATE

Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Oui [page][113a] SOCRATE

Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait

ALCIBIADE

Moi

SOCRATE

Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond

ALCIBIADE

Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble

1968

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

[113b] SOCRATE

Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit

ALCIBIADE

Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi

SOCRATE

Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela

[113c] ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi

ALCIBIADE

Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE

Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre

[113d] ALCIBIADE

Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi

SOCRATE

Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue

ALCIBIADE

Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme

2068

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les

premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite

ALCIBIADE

Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi

SOCRATE

Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE

Il le faudra bien

SOCRATE

Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul

ALCIBIADE

Assureacutement [page]SOCRATE

Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais

ALCIBIADE

2168

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Sans doute

SOCRATE

Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun

ALCIBIADE

Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave

SOCRATE

Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile

ALCIBIADE

Te voilagrave bien meacutechant Socrate

SOCRATE

Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver

ALCIBIADE

Voyons parle [page]SOCRATE

Reacuteponds seulement agrave mes questions

[114e] ALCIBIADE

Ah point de questions je ten prie parle toi seul

SOCRATE

Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute

ALCIBIADE

Je ne demande pas mieux

SOCRATE

Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre

ALCIBIADE

A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense

[115a] SOCRATE

Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas

2268

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

[page]ALCIBIADE

Assureacutement je le crois

SOCRATE

Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire

ALCIBIADE

Comment dis-tu sil te plaicirct

SOCRATE

Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste

ALCIBIADE

Je suis bien eacuteloigneacute de le croire

SOCRATE

Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises

ALCIBIADE

Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE

Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes

ALCIBIADE

Oui

[115b] SOCRATE

Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis

ALCIBIADE

Cest cela mecircme

SOCRATE

Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous

2368

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

attire

ALCIBIADE

Oui [page][115c] SOCRATE

Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux

ALCIBIADE

Des biens

[115d] SOCRATE

Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

Non assureacutement [page]SOCRATE

Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute

ALCIBIADE

A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche

SOCRATE

La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Eacutegal agrave la mort mecircme

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

2468

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute

ALCIBIADE

Qui en doute

[115e] SOCRATE

Et tu souhaites les unes et repousses les autres

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises

ALCIBIADE

Sans difficulteacute [page]SOCRATE

Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance

ALCIBIADE

Oui je le reconnais

SOCRATE

Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise

ALCIBIADE

Sans contredit

SOCRATE

Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est

mauvaise

ALCIBIADE

Il me paraicirct que tu dis assez vrai

2568

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte

[116b] ALCIBIADE

Cela me paraicirct ainsi

SOCRATE

Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE

Tregraves certainement

SOCRATE

Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Bien vivre est donc un bien

ALCIBIADE

Qui en doute

SOCRATE

Et bien vivre cest vivre honnecirctement

ALCIBIADE

Oui

[116c] SOCRATE

Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon

2668

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

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collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

ALCIBIADE

Neacutecessairement [page]SOCRATE

Eh bien ce qui est bon est-il utile on non

ALCIBIADE

Utile

SOCRATE

Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice

ALCIBIADE

Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte

SOCRATE

Et que ce qui est honnecircte est bon

ALCIBIADE

Oui

[116d] SOCRATE

Et que ce qui est bon est utile

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile

ALCIBIADE

Il me semble

SOCRATE

Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE

Jen ai bien lair

SOCRATE

Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose

ALCIBIADE

Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges

SOCRATE

Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre

2768

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

ALCIBIADE

Je lignore parfaitement

SOCRATE

Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct

dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere

[117a] ALCIBIADE

Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere

SOCRATE

Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores

ALCIBIADE

Il y a de lapparence

SOCRATE

Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance

[117b] ALCIBIADE

Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE

Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore

ALCIBIADE

Comment en serait-il autrement

SOCRATE

Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel

ALCIBIADE

Non par Jupiter je te jure

SOCRATE

Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

2868

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

En sais-tu la raison ou te la dirai-je

ALCIBIADE

Dis

SOCRATE

Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir

[117c] ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu

lignores

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote

ALCIBIADE

Je laisserais faire le pilote

SOCRATE

Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas

ALCIBIADE

Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE

Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas

ALCIBIADE

Reacutepegravete-moi cela je te prie

SOCRATE

Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire

2968

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

ALCIBIADE

Qui en doute

[117e] SOCRATE

Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir

ALCIBIADE

Non il ny en a pas dautres

SOCRATE

Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute

ALCIBIADE

Peut-on le nier

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

3068

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

3168

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir

ALCIBIADE

Jen ai bien peur

SOCRATE

O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE

Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire

SOCRATE

As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu

ALCIBIADE

Oui

[118d] SOCRATE

Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre

ALCIBIADE

Oui [page]SOCRATE

Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices

ALCIBIADE

Certainement

SOCRATE

Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres

ALCIBIADE

Il me le semble

SOCRATE

Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres

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enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

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SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

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6868

  • Premier Alcibiade

enfants

[118e] ALCIBIADE

Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]

SOCRATE

Et Clinias ton fregravere

ALCIBIADE

Mais tu me parles lagrave dun fou

SOCRATE

Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien

ALCIBIADE

Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit

[119a] SOCRATE

Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]

ALCIBIADE

Vraiment je ne le saurais

SOCRATE

A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi

[119b] ALCIBIADE

Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre

SOCRATE

Et apregraves cela

ALCIBIADE

Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai

SOCRATE

Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes

ALCIBIADE

3268

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

3368

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Comment Socrate Explique-toi

SOCRATE

Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE

Et contre qui donc

[119d] SOCRATE

Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande

ALCIBIADE

Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter

SOCRATE

Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique

ALCIBIADE

Oui cest ce que jai reacuteellement en vue

SOCRATE

En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele

[120a] ALCIBIADE

Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate

SOCRATE

Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi

ALCIBIADE

Je le sais

SOCRATE

Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse

ALCIBIADE

Tu pourrais bien dire vrai

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SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

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Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les

gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens

ALCIBIADE

Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres

SOCRATE

Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave

ALCIBIADE

Quelle opinion

SOCRATE

Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE

Assureacutement cest de men former une haute ideacutee

SOCRATE

Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme

ALCIBIADE

Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien

SOCRATE

Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse

ALCIBIADE

Comment cela

SOCRATE

Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance

ALCIBIADE

Certainement

3468

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

3568

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu

ALCIBIADE

Cela est indubitable

SOCRATE

Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter

[121a] ALCIBIADE

Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter

SOCRATE

Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute

que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]

Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant

lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]

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Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

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mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour

que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait

une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire

sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-

3668

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE

Tu plaisantes Socrate

SOCRATE

Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres

ALCIBIADE

Moi certainement Socrate

SOCRATE

Et moi tout autant

ALCIBIADE

Mais comment prendre soin de nous-mecircme

SOCRATE

Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse

ALCIBIADE

En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees

SOCRATE

Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et dans quel genre [page]SOCRATE

Quelles affaires donc

ALCIBIADE

Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens

[125a] SOCRATE

Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens

ALCIBIADE

Les hommes de sens

SOCRATE

Ainsi tout homme de sens est bon

ALCIBIADE

3768

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Oui

SOCRATE

Et tout insenseacute mauvais

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela

ALCIBIADE

Fort bon

SOCRATE

Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE

Oui

[125b] SOCRATE

Et par conseacutequent il est mauvais pour cela

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais

ALCIBIADE

Il semble

SOCRATE

Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais

ALCIBIADE

Point du tout

SOCRATE

Quentends-tu donc par hommes bons

ALCIBIADE

Ceux qui savent gouverner

SOCRATE

Gouverner quoi Les chevaux

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Les hommes

3868

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

[page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Les malades

ALCIBIADE

Eh non

SOCRATE

Ceux qui naviguent

ALCIBIADE

Je ne dis pas cela

SOCRATE

Ceux qui font les moissons

ALCIBIADE

Non pas

[125c] SOCRATE

Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien

ALCIBIADE

Ceux qui font quelque chose

SOCRATE

Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre

ALCIBIADE

Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE

Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs

ALCIBIADE

Non pas

SOCRATE

Car cela appartient agrave lart du pilote

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

3968

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs

ALCIBIADE

Non pas davantage

SOCRATE

Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE

Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique

SOCRATE

Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire

ALCIBIADE

Cest lart du pilote

[125e] SOCRATE

Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure

ALCIBIADE

Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais

SOCRATE

Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique

ALCIBIADE

Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller

SOCRATE

Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Nest-ce pas aussi lart den donner de bons

[126a] ALCIBIADE

Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau

SOCRATE

4068

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent

ALCIBIADE

Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat

SOCRATE

Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi

[126b] ALCIBIADE

Tout comme toi

SOCRATE

Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la

ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible

ALCIBIADE

Cela est juste

SOCRATE

Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat

[126c] ALCIBIADE

Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point

SOCRATE

Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde

ALCIBIADE

La concorde

SOCRATE

Quel est lart qui fait sur les nombres

ALCIBIADE

Larithmeacutetique [page]SOCRATE

Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et chacun avec lui-mecircme

4168

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer

ALCIBIADE

Et lequel donc

SOCRATE

Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose

ALCIBIADE

La mecircme chose

SOCRATE

Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-

mecircme et avec les autres

ALCIBIADE

Mais il me semble du moins

SOCRATE

Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute

ALCIBIADE

Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari

SOCRATE

Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien

ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme

ALCIBIADE

Oui

[127a] SOCRATE

4268

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes

ALCIBIADE

Pourrait-on le nier

SOCRATE

Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris

ALCIBIADE

Tout-agrave-fait

SOCRATE

Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde

ALCIBIADE

Non agrave ce quil paraicirct

SOCRATE

Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien

ALCIBIADE

Si fait je le crois Socrate

SOCRATE

Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion

4368

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

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6868

  • Premier Alcibiade

ALCIBIADE

Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire

[127c] SOCRATE

Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas

ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste

ALCIBIADE

Belle demande chacun fait ce qui est juste

SOCRATE

Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer

ALCIBIADE

Mais la conseacutequence semble neacutecessaire

[127d] SOCRATE

Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles

ALCIBIADE

Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat

SOCRATE

Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir

ALCIBIADE

Mais quand on le sent que faut-il faire

SOCRATE

Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie

ALCIBIADE

Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre

SOCRATE

Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de

4468

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

lui-mecircme

ALCIBIADE

Il me le semble [page]SOCRATE

Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds

ALCIBIADE

Je ne tentends pas

SOCRATE

Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds

[128b] ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds

ALCIBIADE

En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien

SOCRATE

Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs

ALCIBIADE

Lart du cordonnier

SOCRATE

Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers

[128c] ALCIBIADE

4568

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Oui

SOCRATE

Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur

ALCIBIADE

Cest par celui-lagrave

SOCRATE

Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et cet art nest-ce pas la gymnastique

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

SOCRATE

Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds

ALCIBIADE

Justement

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main

ALCIBIADE

Qui

SOCRATE

Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps

ALCIBIADE

Cela est hors de doute [page]SOCRATE

Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Eacutevident

SOCRATE

Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi

ALCIBIADE

4668

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Nullement

SOCRATE

Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui

ALCIBIADE

Non assureacutement

SOCRATE

Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire

[128e] SOCRATE

Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais

celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague

ALCIBIADE

Cela ne se peut

SOCRATE

Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes

[129a] ALCIBIADE

Cela est absolument impossible

SOCRATE

Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE

Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile

4768

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

[129b] SOCRATE

Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours

ALCIBIADE

Tu dis vrai

SOCRATE

Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi

ALCIBIADE

Oui cest avec toi [page]SOCRATE

Et moi avec toi

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Socrate qui parle

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Cest Alcibiade qui eacutecoute

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Cest avec la parole que Socrate parle

[129c] ALCIBIADE

Ougrave en veux-tu venir

SOCRATE

Parler et se servir de la parole est la mecircme chose

ALCIBIADE

4868

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Sans doute

SOCRATE

Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes

ALCIBIADE

Comment dis-tu [page]SOCRATE

Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue

ALCIBIADE

Qui en doute

[129d] SOCRATE

Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert

ALCIBIADE

Tregraves diffeacuterent

SOCRATE

Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains

ALCIBIADE

Avec ses mains aussi [page]SOCRATE

Il se sert donc de ses mains

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux

ALCIBIADE

Aussi

SOCRATE

4968

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert

ALCIBIADE

Nous en sommes tombeacutes daccord

SOCRATE

Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent

ALCIBIADE

Cela est sensible

SOCRATE

Et lhomme se sert de tout son corps

ALCIBIADE

Fort bien

SOCRATE

Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Quest-ce donc que lhomme

ALCIBIADE

Je ne saurais le dire Socrate

SOCRATE

Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps

ALCIBIADE

Cela est vrai

[130a] SOCRATE

Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme

ALCIBIADE

Non aucune autre

SOCRATE

Cest donc elle qui commande

ALCIBIADE

5068

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Tregraves certainement

SOCRATE

Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE

Quoi

SOCRATE

Que lhomme est Une de ces trois choses

ALCIBIADE

Lesquelles

SOCRATE

Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre

ALCIBIADE

Eh bien

SOCRATE

Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps

[130b] ALCIBIADE

Nous en sommes convenus

SOCRATE

Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme

ALCIBIADE

Nullement

SOCRATE

Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE

Il ny a pas dapparence

SOCRATE

Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme

ALCIBIADE

Peut-ecirctre

SOCRATE

Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux

5168

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

ensemble commandent

ALCIBIADE

Cela est incontestable

[130c] SOCRATE

Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme

ALCIBIADE

Il est vrai

SOCRATE

Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme

ALCIBIADE

Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE

Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile

ALCIBIADE

Quest-ce donc

SOCRATE

Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme

ALCIBIADE

Non certainement

page 70

SOCRATE

Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne

[130e] ALCIBIADE

Tout-agrave-fait [page]SOCRATE

Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme

ALCIBIADE

Cela est fort vraisemblable

SOCRATE

Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme

5268

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

[131a] ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent

pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile

ALCIBIADE

Tout cela est tregraves vrai

SOCRATE

Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art

ALCIBIADE

Je suis de ton avis

SOCRATE

Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme

ALCIBIADE

Cela est certain

SOCRATE

Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui

ALCIBIADE

Jen tombe daccord [page]SOCRATE

Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui

ALCIBIADE

Il me le semble

5368

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

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collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade

ALCIBIADE

Je le crois

SOCRATE

Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme

ALCIBIADE

Il le faut bien

SOCRATE

Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE

Il est vrai

[131b] SOCRATE

Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection

ALCIBIADE

Il semble au moins

SOCRATE

Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes

ALCIBIADE

Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie

SOCRATE

Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau

ALCIBIADE

Jy travaillerai

[131e] SOCRATE

Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE

Rien de plus vrai

SOCRATE

5468

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute

ALCIBIADE

En effet ceacutetait mon dessein

SOCRATE

Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE

Quelles preacutecautions

[132b] SOCRATE

Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre

ALCIBIADE

Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes

SOCRATE

Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir

ALCIBIADE

Preacuteciseacutement

[132c] SOCRATE

Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer

ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE

Cela peut-il ecirctre contesteacute

SOCRATE

Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme

5568

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

ALCIBIADE

Que veux-tu dire par lagrave Socrate

[132d] SOCRATE

Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue

ALCIBIADE

Comment dis-tu cela

SOCRATE

Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE

Cela est eacutevident

SOCRATE

Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes

ALCIBIADE

On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables

SOCRATE

Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir

ALCIBIADE

Il y en a un assureacutement

SOCRATE

As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde

ALCIBIADE

Cela est vrai

SOCRATE

Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE

Eacutevidemment

SOCRATE

Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme

[133b] ALCIBIADE

5668

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

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SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

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Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

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Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

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Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

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collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Tu as raison

SOCRATE

Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble

ALCIBIADE

Il me paraicirct Socrate

[133c] SOCRATE

Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse

ALCIBIADE

Non certainement

SOCRATE

Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement

ALCIBIADE

Il y a bien de lapparence

SOCRATE

Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux

ALCIBIADE

Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate

[133d] SOCRATE

Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE

Non par Jupiter cela nest pas possible

SOCRATE

5768

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous

ALCIBIADE

Je lavoue

SOCRATE

Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art

ALCIBIADE

Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE

Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres

ALCIBIADE

Cela est constant

SOCRATE

Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cest une conseacutequence sucircre

SOCRATE

Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat

ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome

[134a] ALCIBIADE

Non

SOCRATE

Il ne sait pas mecircme ce quil fait

ALCIBIADE

5868

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

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Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Pas du tout

SOCRATE

Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE

Impossible

SOCRATE

Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public

ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Et se faisant mal nest-il pas malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Et ceux pour qui agit un tel homme

ALCIBIADE

Malheureux aussi

SOCRATE

Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux

[134b] ALCIBIADE

Non sans doute

SOCRATE

Tous les hommes vicieux sont donc malheureux

ALCIBIADE

Tregraves malheureux

SOCRATE

Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas

ALCIBIADE

Non certainement

5968

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

SOCRATE

Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens

ALCIBIADE

Jen suis tregraves persuadeacute

SOCRATE

Mais peut-on donner ce quon na pas

ALCIBIADE

Comment le donnerait-on

SOCRATE

Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat

ALCIBIADE

Cela me paraicirct tregraves vrai

[134d] SOCRATE

Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables

ALCIBIADE

Il est probable

SOCRATE

Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine

ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE

Sans doute

SOCRATE

Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien

ALCIBIADE

6068

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

Certainement

[134e] SOCRATE

Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux

ALCIBIADE

Et tu es un tregraves bon garant Socrate

SOCRATE

Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes

ALCIBIADE

Vraisemblablement

SOCRATE

Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon

toute apparence

ALCIBIADE

Oui vraiment

SOCRATE

Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite

ALCIBIADE

Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous

SOCRATE

Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible

ALCIBIADE

Infaillible

SOCRATE

Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux

ALCIBIADE

Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE

Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi

ALCIBIADE

6168

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

6268

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Je le crois

SOCRATE

Et le meilleur est aussi le plus honnecircte

[135c] ALCIBIADE

Nul doute

SOCRATE

Le plus honnecircte est aussi le plus convenable

ALCIBIADE

Sans difficulteacute

SOCRATE

Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur

ALCIBIADE

Assureacutement

SOCRATE

Le vice est donc servile

ALCIBIADE

Jen conviens

SOCRATE

Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE

Oui

SOCRATE

Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute

ALCIBIADE

Oui certes

SOCRATE

Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave

ALCIBIADE

Il me semble que je le sens tregraves bien

SOCRATE

Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi

[135d] ALCIBIADE

Mais je crois le savoir

SOCRATE

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Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

6368

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Et comment

ALCIBIADE

Sil plaicirct agrave Socrate

SOCRATE

Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE

Comment faut-il donc dire

SOCRATE

Sil plaicirct agrave Dieu

ALCIBIADE

Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant

[135e] SOCRATE

Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour

ALCIBIADE

Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice

SOCRATE

Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]

NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE

JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore

Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue

PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique

Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient

pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits

1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma

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collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

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avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue

Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)

Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ

[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ

Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire

LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs

En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un

autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste

Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont

1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes

2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes

3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation

Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ

lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue

II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore

6468

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

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lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons

Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ

vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ

[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177

Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ

Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument

Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait

reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite

Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ

lAlcibiade

Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4

Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ

λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ

[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide

PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave

6568

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

6668

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ

La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ

[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo

On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-

[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ

PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ

p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement

PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres

λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ

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Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

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17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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  • Premier Alcibiade

Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ

Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre

α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre

PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus

Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo

Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste

1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves

2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens

3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes

4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer

5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)

6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ

7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ

8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque

9 uarr Voyez le Phegravedre

10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)

11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)

12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III

13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens

14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades

15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon

16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595

6768

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

6868

  • Premier Alcibiade

17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate

18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque

19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide

20uarr Plutarque Vie dAlcibiade

21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)

22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee

23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37

24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique

25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide

26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647

Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo

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