Upload
haliem
View
220
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Premier AlcibiadeLa bibliothegraveque libre
Œuvres de Platon
Tome cinquiegraveme - Premier Alcibiade
Traduction franccedilaise de Victor Cousin
Euthydegraveme TOME V Second Alcibiade
ARGUMENT PHILOSOPHIQUE
Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Platon ou lrsquoauteur quel qursquoil soit de ce dialogue nrsquoarrive au vrai sujet la connaissance de soi-mecircme qursquoagrave travers un assez long preacuteambule sur le juste et lrsquoutile et agrave peine est-il arriveacute au point essentiel qursquoil lrsquoeffleure et se jette dans les conseacutequences politiques
Le preacuteambule sur le juste est fort remarquable par la meacutethode du raisonnement Socrate prouve agrave Alcibiade qursquoil doit ignorer ce que crsquoest que le juste car comment [page]le saurait-il On ne sait que ce que lon a trouveacute soi-mecircme ou appris des autres La-t-il
trouveacute lui-mecircme Il a pu le trouver sil la chercheacute il a pu le chercher sil a cru lignorer Mais quand a-t-il cru lignorer Assureacutement ce nest pas hier ni le mois dernier ni lanneacutee derniegravere ni auparavant dans les jours de son enfance ougrave les mots de justice et dinjustice se mecirclaient sans cesse agrave tous ses propos Il est donc impossible de deacuteterminer le temps ougrave il a cru lignorer et par conseacutequent ougrave il a pu le chercher et le trouver mdash La-t-il appris des autres Mais les autres ou lont trouveacute deux-mecircmes ou lont appris des autres Ils nont pu le trouver deux-mecircmes plus quAlcibiade et sils lont appris des autres de qui ceux-lagrave lavaient-ils appris Ce cercle est sans fin Et il ne faut pas dire quAlcibiade a pu lapprendre dans le commerce du peuple car le peuple est un excellent maicirctre de langue mais un tregraves mauvais [page]maicirctre de justice qui nest daccord lagrave-dessus ni avec lui-mecircme ni avec les autres La preuve
en est dans les orages des deacutelibeacuterations publiques dAthegravenes et dans les guerres perpeacutetuelles des peuples de la Gregravece entre eux
Le mecircme raisonnement sapplique agrave lutile Mais sans rengager Alcibiade dans le mecircme genre dargumentation Socrate se contente de lui demander sil croit que lutile et le juste sont la mecircme chose Alcibiade le nie dabord et en convient ensuite apregraves une discussion qui aurait pu ecirctre aiseacutement plus seacutevegravere et plus lumineuse Or si lutile est la mecircme chose que le juste et si Alcibiade ne sait pas ce
168
que cest que le juste il ne sait donc point ce que cest que lutile et il reste convaincu dignorer preacuteciseacutement les deux points sur lesquels roulent toutes les affaires de ce monde lui qui se proposait daller de ce pas donner son avis aux Atheacuteniens sur leurs affaires [page]La conseacutequence de toute cette discussion est quAlcibiade a beaucoup agrave apprendre avant
decirctre un homme dEacutetat et quil faut dabord quil sinstruise et se perfectionne Or la perfection dun ecirctre nest point ailleurs que dans la fideacuteliteacute agrave sa propre nature et qui ne sait quel il est ne peut concevoir quel il doit ecirctre le point de deacutepart de toute perfection est la connaissance de soi-mecircme Cest lagrave le fond de lAlcibiade
Que sommes-nous donc On a dit que lhomme est une intelligence servie par des organes Il fallait dire que lhomme est une intelligence qui se sert des organes En effet le moi ne saperccediloit lui-mecircme que dans le sentiment intime du pouvoir quil a de se servir quand et comment il lui plaicirct de ces mecircmes organes qui lenveloppent et dont il semble le produit Ce nest quen se servant deux quil sen distingue et ce nest quen sen distinguant quil soupccedilonne leur existence et reconnaicirct la sienne Tant que [page]lhomme ne fait que sentir jouir ou souffrir sa sensibiliteacute eucirct-elle acquis les deacuteveloppements
les plus riches et les plus vastes occupacirct-il lespace entier de son eacutetendue remplicirct-il le temps de sa dureacutee lhomme nest pas encore du moins pour lui-mecircme il nest agrave ce degreacute quune des forces de la nature une piegravece ordinaire de lordre du monde et du meacutecanisme universel qui agit en lui et par lui Mais quand parti des profondeurs de lacircme preacutemeacutediteacute deacutelibeacutereacute voulu lacte libre vient sinterposer au milieu du flux et du reflux des affections et des mouvements organiques le miracle de la personnaliteacute humaine saccomplit Tant que le sentiment de laction volontaire et libre subsiste dans lacircme le miracle continue lhomme sappartient agrave lui-mecircme et possegravede la conscience dune existence qui lui est propre Quand ce sentiment diminue celui de lexistence deacutecroicirct proportionnellement ses divers degreacutes mesurent leacutenergie [page]la pureteacute la grandeur de la vie humaine et quand il est eacuteteint le pheacutenomegravene intellectuel a
peacuteri
Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον pour le bien connaicirctre il ne suffit pas de leὸ ὐ ὸ ἕ consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
Ce qui constitue le moi cest son caractegravere de force ou de cause Or cette cause preacuteciseacutement parce quelle est personnelle relative deacutetermineacutee τ α τ καστον et quelle agit dans le temps et dansὸ ὐ ὸ ἕ lespace est finie limiteacutee par lespace et par le temps et lopposition neacutecessaire des forces eacutetrangegraveres de la nature elle a ses degreacutes ses bornes ses affaiblissements ses suspensions ses deacutefaillances elle ne se suffit donc pas agrave elle-mecircme et alors mecircme que fidegravele agrave sa nature elle [page]reacutesiste agrave la fataliteacute qui fait effort pour lentraicircner et labsorber dans son sein alors mecircme
quelle deacutefend le plus noblement contre cette fataliteacute et les passions qui en deacuterivent la liberteacute faible et borneacutee mais reacuteelle et perfectible dont elle est doueacutee elle eacuteprouve le besoin dun point dappui plus ferme encore que celui de la conscience dune puissance supeacuterieure ougrave elle se renouvelle se fortifie et seacutepure Mais cette puissance ougrave la trouver Sera-ce agrave la scegravene mobile de ce monde que nous demanderons un principe fixe Sera-ce agrave des formules abstraites que nous demanderons un principe reacuteel Il faut donc revenir agrave lacircme mais il faut entrer dans ses profondeurs Il faut revenir au moi car le moi seul peut donner un principe actif et reacuteel mais il faut deacutegager le moi de lui-mecircme pour en obtenir un principe fixe cest-agrave-dire quil faut consideacuterer le moi substantiellement car la substance du moi comme substance du moi doit ecirctre [page]une force et comme substance elle doit ecirctre une force absolue Or nest-ce pas un fait que
sous le jeu varieacute de nos faculteacutes et pour ainsi dire agrave travers la conscience claire et distincte de notre
268
eacutenergie personnelle est la conscience sourde et confuse dune force qui nest pas la nocirctre mais agrave laquelle la nocirctre est attacheacutee que le moi cest-agrave-dire toute lactiviteacute volontaire ne sattribue pas mais quil repreacutesente sans toutefois la repreacutesenter inteacutegralement agrave laquelle il emprunte sans cesse sans jamais leacutepuiser quil sait anteacuterieure agrave lui puisquil se sent venir delle et ne pouvoir subsister sans elle quil sait posteacuterieure agrave lui puisque apregraves des deacutefaillances momentaneacutees il se sent renaicirctre dans elle et par elle Exempte des limites et des troubles de la personnaliteacute cette force anteacuterieure posteacuterieure supeacuterieure agrave celle de lhomme ne descend point agrave des actes particuliers et par conseacutequent ne tombe ni dans le temps ni dans lespace immobile [page]dans luniteacute de son action infinie et ineacutepuisable en dehors et au-dessus du changement de
laccident et du mode cause invisible et absolue de toutes les causes contingentes et pheacutenomeacutenales substance existence liberteacute pure Dieu Or Dieu une fois conccedilu comme le type de la liberteacute en soi et lacircme humaine comme le type de la liberteacute relative ou de la volonteacute il suit que plus lacircme se deacutegage des liens de la fataliteacute plus elle se retire des eacuteleacutements profanes qui lenvironnent et qui lentraicircnent vers ce monde exteacuterieur des images et des formules aussi vaines que les images plus elle revient et sattache agrave leacuteleacutement sacreacute au Dieu qui habite en elle et mieux elle se connaicirct elle-mecircme puisquelle se connaicirct non seulement dans son eacutetat actuel mais dans son eacutetat primitif et futur dans son essence Cest lagrave la condition et le compleacutement de toute sagesse de toute science de toute perfection
Voici maintenant les conseacutequences prati- [page]ques celui qui se connaicirct lui-mecircme et dans lindividualiteacute qui constitue son eacutetat actuel et
dans le principe universel dont il eacutemane celui-lagrave sait que ce nest pas les avantages exteacuterieurs qui ne lui appartiennent pas mais lui-mecircme mais son acircme quil doit chercher agrave perfectionner et quil doit la perfectionner en la ramenant et leacutelevant sans cesse agrave son principe agrave lessence libre et pure dans laquelle elle se contemple et qui lui sert agrave la fois de substance de cause et dideacuteal Mais celui qui ne se connaicirct pas lui-mecircme ignore la perfection qui lui est propre Incapable de se perfectionner lui-mecircme il lest agrave plus forte raison de perfectionner les autres et de se mecircler utilement de leurs affaires Il est donc neacutecessairement un mauvais homme dEacutetat Tant quon nest pas vertueux il faut obeacuteir tant quon ne connaicirct pas lart de rendre vertueux les autres il ne faut pas leur commander Car ce quil faut dabord procurer agrave la reacutepublique [page]ce ne sont pas les avantages exteacuterieurs mais cest la vertu pour les citoyens La vraie
politique est lart de persuader la justice [page](page blanche) [page]
LE PREMIER ALCIBIADE ou DE LA NATURE HUMAINE
SOCRATE ALCIBIADE
[103a] SOCRATE
FILS de Clinias tu es sans doute surpris quayant eacuteteacute le premier agrave taimer seul je te reste fidegravele quand tous mes rivaux tont quitteacute et que les autres tayant fatigueacute de leurs protestations damour jai eacuteteacute tant danneacutees sans mecircme te parler Et ce nest aucune consideacuteration humaine qui ma retenu cest une consideacuteration toute divine comme je te lexpliquerai plus tard Mais aujourdhui [103b] que lobstacle qui nous seacuteparait sest retireacute je mempresse de tab- [page]order et jespegravere que deacutesormais cet obstacle ne reparaicirctra plus Sache donc que pendant
tout le temps de mon silence je nai presque cesseacute de reacutefleacutechir et davoir les yeux ouverts sur ta conduite avec mes rivaux Parmi ce grand nombre dhommes orgueilleux qui se sont attacheacutes agrave toi il ny en a pas un que tu naies rebuteacute par tes deacutedains [104a] et je veux te dire ici la cause de tes meacutepris pour eux Tu crois navoir besoin de personne et quagrave commencer par le corps et agrave finir par lacircme tu as trop davantages pour quaucun secours te soit neacutecessaire Car premiegraverement tu te crois le plus
368
beau et le mieux fait de tous les hommes et agrave vrai dire il ne faut que te voir pour ecirctre bien sucircr que tu ne te trompes pas en second lieu tu te crois de la plus illustre famille dAthegravenes qui est la premiegravere de toutes les villes grecques [104b] tu sais que du cocircteacute de ton pegravere tu y as des amis et des allieacutes nombreux et puissants qui tappuieront en toutes rencontres et que tu nen as pas moins ni de moins consideacuterables du cocircteacute de ta megravere[1] mais ce que tu regardes comme ta plus grande force cest Peacutericlegraves fils de Xan- [page]tippe que ton pegravere ta laisseacute pour tuteur agrave toi et agrave ton fregravere Peacutericlegraves dont lautoriteacute est si
grande quil fait tout ce quil veut non seulement dans cette ville mais aussi dans toute la Gregravece et chez les plus puissantes nations eacutetrangegraveres Je pourrais encore parler de tes richesses [104c] si je ne savais que cest ce qui te donne le moins de vaniteacute Tous ces grands avantages tont si fort enfleacute le cœur que tu as meacutepriseacute tous tes amants comme des hommes indignes de toi eux agrave leur tour se sont retireacutes Cela ne ta pas eacutechappeacute et voilagrave pourquoi je sais bien que tu teacutetonnes de me voir persister dans mon amour et que tu cherches quelle espeacuterance jai pu conserver pour te suivre encore apregraves que tous mes rivaux tont abandonneacute
ALCIBIADE
Mais une chose que tu ne sais peut-ecirctre pas Socrate cest que tu ne mas preacutevenu [104d] que dun moment Javais dessein de taborder le premier et de te demander ce que tu veux et ce que tu espegraveres pour mimportuner comme tu fais te trouvant toujours tregraves soigneusement dans tous les lieux ougrave je vais car veacuteritablement je ne puis concevoir ce que tu preacutetends et tu mobligeras de texpliquer
SOCRATE
Tu mentendras donc volontiers si comme [page]tu le dis tu as envie de savoir ce que je pense et je vais te parler comme agrave un homme qui aura
la patience de mentendre et qui ne cherchera pas agrave meacutechapper
ALCIBIADE
A merveille voyons parle
SOCRATE
[104e] Prends bien garde agrave quoi tu tengages afin que tu ne sois pas surpris si jai autant de peine agrave finir que jen ai eu agrave commencer
ALCIBIADE
Parle mon cher je tentendrai tout le temps que tu voudras
SOCRATE
Il faut donc lobeacuteir et quoiquil soit un peu peacutenible de parler damour agrave un homme qui a maltraiteacute tous ses amants il faut avoir le courage de te dire ma penseacutee Pour moi Alcibiade si je tavais vu satisfait de tels avantages timaginer que tu nas rien de mieux agrave faire quagrave ty reposer toute ta vie il y a longtemps que jaurais aussi renonceacute agrave ma passion [105a] du moins je men flatte Mais je vais te deacutecouvrir de toutes autres penseacutees de toi sur toi-mecircme et tu connaicirctras par lagrave que je nai jamais cesseacute de teacutetudier Je crois que si quelque Dieu te disait tout-agrave-coup Alcibiade quaimes-tu mieux ou mourir tout agrave lheure ou content des avantages [page]que tu possegravedes renoncer agrave en acqueacuterir jamais de plus grands oui je crois que tu aimerais
mieux mourir Mais dans quelle espeacuterance vis-tu donc Je vais te le dire Tu es persuadeacute quaussitocirct que tu auras harangueacute [105b] les Atheacuteniens et cela arrivera au premier jour tu leur prouveras que tu meacuterites bien plus de creacutedit que Peacutericlegraves et aucun des plus grands citoyens quait jamais eus la reacutepublique et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athegravenes et par lagrave dans toutes les villes grecques et mecircme chez les nations barbares qui habitent notre continent[2] Et si ce
468
Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest
que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre
ALCIBIADE
Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je
pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien
[106b] SOCRATE
Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose
ALCIBIADE
Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile
SOCRATE
Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc
ALCIBIADE
Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE
Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue
ALCIBIADE
Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire
568
SOCRATE
Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu
[106d] ALCIBIADE
Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux
SOCRATE
Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE
Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas
SOCRATE
Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Que pourrait-on savoir autrement
SOCRATE
Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
[106e] SOCRATE
Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance
ALCIBIADE
Non voilagrave les seules choses que jai apprises
[107a] SOCRATE
668
Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis
ALCIBIADE
Non par Jupiter
SOCRATE
Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre
ALCIBIADE
Nullement [page]SOCRATE
Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi
[107b] ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE
Quest-ce que cela fait
SOCRATE
Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche
ALCIBIADE
768
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin
ALCIBIADE
Et avec raison
SOCRATE
Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis
ALCIBIADE
Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires
SOCRATE
Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir
ALCIBIADE
Non pas Socrate [page]SOCRATE
Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Jen conviens
[107d] SOCRATE
Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi
ALCIBIADE
Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique
SOCRATE
Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lorsque cest le mieux
ALCIBIADE
Sans doute
868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
que cest que le juste il ne sait donc point ce que cest que lutile et il reste convaincu dignorer preacuteciseacutement les deux points sur lesquels roulent toutes les affaires de ce monde lui qui se proposait daller de ce pas donner son avis aux Atheacuteniens sur leurs affaires [page]La conseacutequence de toute cette discussion est quAlcibiade a beaucoup agrave apprendre avant
decirctre un homme dEacutetat et quil faut dabord quil sinstruise et se perfectionne Or la perfection dun ecirctre nest point ailleurs que dans la fideacuteliteacute agrave sa propre nature et qui ne sait quel il est ne peut concevoir quel il doit ecirctre le point de deacutepart de toute perfection est la connaissance de soi-mecircme Cest lagrave le fond de lAlcibiade
Que sommes-nous donc On a dit que lhomme est une intelligence servie par des organes Il fallait dire que lhomme est une intelligence qui se sert des organes En effet le moi ne saperccediloit lui-mecircme que dans le sentiment intime du pouvoir quil a de se servir quand et comment il lui plaicirct de ces mecircmes organes qui lenveloppent et dont il semble le produit Ce nest quen se servant deux quil sen distingue et ce nest quen sen distinguant quil soupccedilonne leur existence et reconnaicirct la sienne Tant que [page]lhomme ne fait que sentir jouir ou souffrir sa sensibiliteacute eucirct-elle acquis les deacuteveloppements
les plus riches et les plus vastes occupacirct-il lespace entier de son eacutetendue remplicirct-il le temps de sa dureacutee lhomme nest pas encore du moins pour lui-mecircme il nest agrave ce degreacute quune des forces de la nature une piegravece ordinaire de lordre du monde et du meacutecanisme universel qui agit en lui et par lui Mais quand parti des profondeurs de lacircme preacutemeacutediteacute deacutelibeacutereacute voulu lacte libre vient sinterposer au milieu du flux et du reflux des affections et des mouvements organiques le miracle de la personnaliteacute humaine saccomplit Tant que le sentiment de laction volontaire et libre subsiste dans lacircme le miracle continue lhomme sappartient agrave lui-mecircme et possegravede la conscience dune existence qui lui est propre Quand ce sentiment diminue celui de lexistence deacutecroicirct proportionnellement ses divers degreacutes mesurent leacutenergie [page]la pureteacute la grandeur de la vie humaine et quand il est eacuteteint le pheacutenomegravene intellectuel a
peacuteri
Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον pour le bien connaicirctre il ne suffit pas de leὸ ὐ ὸ ἕ consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
Ce qui constitue le moi cest son caractegravere de force ou de cause Or cette cause preacuteciseacutement parce quelle est personnelle relative deacutetermineacutee τ α τ καστον et quelle agit dans le temps et dansὸ ὐ ὸ ἕ lespace est finie limiteacutee par lespace et par le temps et lopposition neacutecessaire des forces eacutetrangegraveres de la nature elle a ses degreacutes ses bornes ses affaiblissements ses suspensions ses deacutefaillances elle ne se suffit donc pas agrave elle-mecircme et alors mecircme que fidegravele agrave sa nature elle [page]reacutesiste agrave la fataliteacute qui fait effort pour lentraicircner et labsorber dans son sein alors mecircme
quelle deacutefend le plus noblement contre cette fataliteacute et les passions qui en deacuterivent la liberteacute faible et borneacutee mais reacuteelle et perfectible dont elle est doueacutee elle eacuteprouve le besoin dun point dappui plus ferme encore que celui de la conscience dune puissance supeacuterieure ougrave elle se renouvelle se fortifie et seacutepure Mais cette puissance ougrave la trouver Sera-ce agrave la scegravene mobile de ce monde que nous demanderons un principe fixe Sera-ce agrave des formules abstraites que nous demanderons un principe reacuteel Il faut donc revenir agrave lacircme mais il faut entrer dans ses profondeurs Il faut revenir au moi car le moi seul peut donner un principe actif et reacuteel mais il faut deacutegager le moi de lui-mecircme pour en obtenir un principe fixe cest-agrave-dire quil faut consideacuterer le moi substantiellement car la substance du moi comme substance du moi doit ecirctre [page]une force et comme substance elle doit ecirctre une force absolue Or nest-ce pas un fait que
sous le jeu varieacute de nos faculteacutes et pour ainsi dire agrave travers la conscience claire et distincte de notre
268
eacutenergie personnelle est la conscience sourde et confuse dune force qui nest pas la nocirctre mais agrave laquelle la nocirctre est attacheacutee que le moi cest-agrave-dire toute lactiviteacute volontaire ne sattribue pas mais quil repreacutesente sans toutefois la repreacutesenter inteacutegralement agrave laquelle il emprunte sans cesse sans jamais leacutepuiser quil sait anteacuterieure agrave lui puisquil se sent venir delle et ne pouvoir subsister sans elle quil sait posteacuterieure agrave lui puisque apregraves des deacutefaillances momentaneacutees il se sent renaicirctre dans elle et par elle Exempte des limites et des troubles de la personnaliteacute cette force anteacuterieure posteacuterieure supeacuterieure agrave celle de lhomme ne descend point agrave des actes particuliers et par conseacutequent ne tombe ni dans le temps ni dans lespace immobile [page]dans luniteacute de son action infinie et ineacutepuisable en dehors et au-dessus du changement de
laccident et du mode cause invisible et absolue de toutes les causes contingentes et pheacutenomeacutenales substance existence liberteacute pure Dieu Or Dieu une fois conccedilu comme le type de la liberteacute en soi et lacircme humaine comme le type de la liberteacute relative ou de la volonteacute il suit que plus lacircme se deacutegage des liens de la fataliteacute plus elle se retire des eacuteleacutements profanes qui lenvironnent et qui lentraicircnent vers ce monde exteacuterieur des images et des formules aussi vaines que les images plus elle revient et sattache agrave leacuteleacutement sacreacute au Dieu qui habite en elle et mieux elle se connaicirct elle-mecircme puisquelle se connaicirct non seulement dans son eacutetat actuel mais dans son eacutetat primitif et futur dans son essence Cest lagrave la condition et le compleacutement de toute sagesse de toute science de toute perfection
Voici maintenant les conseacutequences prati- [page]ques celui qui se connaicirct lui-mecircme et dans lindividualiteacute qui constitue son eacutetat actuel et
dans le principe universel dont il eacutemane celui-lagrave sait que ce nest pas les avantages exteacuterieurs qui ne lui appartiennent pas mais lui-mecircme mais son acircme quil doit chercher agrave perfectionner et quil doit la perfectionner en la ramenant et leacutelevant sans cesse agrave son principe agrave lessence libre et pure dans laquelle elle se contemple et qui lui sert agrave la fois de substance de cause et dideacuteal Mais celui qui ne se connaicirct pas lui-mecircme ignore la perfection qui lui est propre Incapable de se perfectionner lui-mecircme il lest agrave plus forte raison de perfectionner les autres et de se mecircler utilement de leurs affaires Il est donc neacutecessairement un mauvais homme dEacutetat Tant quon nest pas vertueux il faut obeacuteir tant quon ne connaicirct pas lart de rendre vertueux les autres il ne faut pas leur commander Car ce quil faut dabord procurer agrave la reacutepublique [page]ce ne sont pas les avantages exteacuterieurs mais cest la vertu pour les citoyens La vraie
politique est lart de persuader la justice [page](page blanche) [page]
LE PREMIER ALCIBIADE ou DE LA NATURE HUMAINE
SOCRATE ALCIBIADE
[103a] SOCRATE
FILS de Clinias tu es sans doute surpris quayant eacuteteacute le premier agrave taimer seul je te reste fidegravele quand tous mes rivaux tont quitteacute et que les autres tayant fatigueacute de leurs protestations damour jai eacuteteacute tant danneacutees sans mecircme te parler Et ce nest aucune consideacuteration humaine qui ma retenu cest une consideacuteration toute divine comme je te lexpliquerai plus tard Mais aujourdhui [103b] que lobstacle qui nous seacuteparait sest retireacute je mempresse de tab- [page]order et jespegravere que deacutesormais cet obstacle ne reparaicirctra plus Sache donc que pendant
tout le temps de mon silence je nai presque cesseacute de reacutefleacutechir et davoir les yeux ouverts sur ta conduite avec mes rivaux Parmi ce grand nombre dhommes orgueilleux qui se sont attacheacutes agrave toi il ny en a pas un que tu naies rebuteacute par tes deacutedains [104a] et je veux te dire ici la cause de tes meacutepris pour eux Tu crois navoir besoin de personne et quagrave commencer par le corps et agrave finir par lacircme tu as trop davantages pour quaucun secours te soit neacutecessaire Car premiegraverement tu te crois le plus
368
beau et le mieux fait de tous les hommes et agrave vrai dire il ne faut que te voir pour ecirctre bien sucircr que tu ne te trompes pas en second lieu tu te crois de la plus illustre famille dAthegravenes qui est la premiegravere de toutes les villes grecques [104b] tu sais que du cocircteacute de ton pegravere tu y as des amis et des allieacutes nombreux et puissants qui tappuieront en toutes rencontres et que tu nen as pas moins ni de moins consideacuterables du cocircteacute de ta megravere[1] mais ce que tu regardes comme ta plus grande force cest Peacutericlegraves fils de Xan- [page]tippe que ton pegravere ta laisseacute pour tuteur agrave toi et agrave ton fregravere Peacutericlegraves dont lautoriteacute est si
grande quil fait tout ce quil veut non seulement dans cette ville mais aussi dans toute la Gregravece et chez les plus puissantes nations eacutetrangegraveres Je pourrais encore parler de tes richesses [104c] si je ne savais que cest ce qui te donne le moins de vaniteacute Tous ces grands avantages tont si fort enfleacute le cœur que tu as meacutepriseacute tous tes amants comme des hommes indignes de toi eux agrave leur tour se sont retireacutes Cela ne ta pas eacutechappeacute et voilagrave pourquoi je sais bien que tu teacutetonnes de me voir persister dans mon amour et que tu cherches quelle espeacuterance jai pu conserver pour te suivre encore apregraves que tous mes rivaux tont abandonneacute
ALCIBIADE
Mais une chose que tu ne sais peut-ecirctre pas Socrate cest que tu ne mas preacutevenu [104d] que dun moment Javais dessein de taborder le premier et de te demander ce que tu veux et ce que tu espegraveres pour mimportuner comme tu fais te trouvant toujours tregraves soigneusement dans tous les lieux ougrave je vais car veacuteritablement je ne puis concevoir ce que tu preacutetends et tu mobligeras de texpliquer
SOCRATE
Tu mentendras donc volontiers si comme [page]tu le dis tu as envie de savoir ce que je pense et je vais te parler comme agrave un homme qui aura
la patience de mentendre et qui ne cherchera pas agrave meacutechapper
ALCIBIADE
A merveille voyons parle
SOCRATE
[104e] Prends bien garde agrave quoi tu tengages afin que tu ne sois pas surpris si jai autant de peine agrave finir que jen ai eu agrave commencer
ALCIBIADE
Parle mon cher je tentendrai tout le temps que tu voudras
SOCRATE
Il faut donc lobeacuteir et quoiquil soit un peu peacutenible de parler damour agrave un homme qui a maltraiteacute tous ses amants il faut avoir le courage de te dire ma penseacutee Pour moi Alcibiade si je tavais vu satisfait de tels avantages timaginer que tu nas rien de mieux agrave faire quagrave ty reposer toute ta vie il y a longtemps que jaurais aussi renonceacute agrave ma passion [105a] du moins je men flatte Mais je vais te deacutecouvrir de toutes autres penseacutees de toi sur toi-mecircme et tu connaicirctras par lagrave que je nai jamais cesseacute de teacutetudier Je crois que si quelque Dieu te disait tout-agrave-coup Alcibiade quaimes-tu mieux ou mourir tout agrave lheure ou content des avantages [page]que tu possegravedes renoncer agrave en acqueacuterir jamais de plus grands oui je crois que tu aimerais
mieux mourir Mais dans quelle espeacuterance vis-tu donc Je vais te le dire Tu es persuadeacute quaussitocirct que tu auras harangueacute [105b] les Atheacuteniens et cela arrivera au premier jour tu leur prouveras que tu meacuterites bien plus de creacutedit que Peacutericlegraves et aucun des plus grands citoyens quait jamais eus la reacutepublique et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athegravenes et par lagrave dans toutes les villes grecques et mecircme chez les nations barbares qui habitent notre continent[2] Et si ce
468
Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest
que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre
ALCIBIADE
Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je
pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien
[106b] SOCRATE
Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose
ALCIBIADE
Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile
SOCRATE
Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc
ALCIBIADE
Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE
Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue
ALCIBIADE
Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire
568
SOCRATE
Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu
[106d] ALCIBIADE
Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux
SOCRATE
Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE
Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas
SOCRATE
Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Que pourrait-on savoir autrement
SOCRATE
Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
[106e] SOCRATE
Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance
ALCIBIADE
Non voilagrave les seules choses que jai apprises
[107a] SOCRATE
668
Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis
ALCIBIADE
Non par Jupiter
SOCRATE
Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre
ALCIBIADE
Nullement [page]SOCRATE
Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi
[107b] ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE
Quest-ce que cela fait
SOCRATE
Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche
ALCIBIADE
768
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin
ALCIBIADE
Et avec raison
SOCRATE
Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis
ALCIBIADE
Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires
SOCRATE
Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir
ALCIBIADE
Non pas Socrate [page]SOCRATE
Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Jen conviens
[107d] SOCRATE
Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi
ALCIBIADE
Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique
SOCRATE
Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lorsque cest le mieux
ALCIBIADE
Sans doute
868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
eacutenergie personnelle est la conscience sourde et confuse dune force qui nest pas la nocirctre mais agrave laquelle la nocirctre est attacheacutee que le moi cest-agrave-dire toute lactiviteacute volontaire ne sattribue pas mais quil repreacutesente sans toutefois la repreacutesenter inteacutegralement agrave laquelle il emprunte sans cesse sans jamais leacutepuiser quil sait anteacuterieure agrave lui puisquil se sent venir delle et ne pouvoir subsister sans elle quil sait posteacuterieure agrave lui puisque apregraves des deacutefaillances momentaneacutees il se sent renaicirctre dans elle et par elle Exempte des limites et des troubles de la personnaliteacute cette force anteacuterieure posteacuterieure supeacuterieure agrave celle de lhomme ne descend point agrave des actes particuliers et par conseacutequent ne tombe ni dans le temps ni dans lespace immobile [page]dans luniteacute de son action infinie et ineacutepuisable en dehors et au-dessus du changement de
laccident et du mode cause invisible et absolue de toutes les causes contingentes et pheacutenomeacutenales substance existence liberteacute pure Dieu Or Dieu une fois conccedilu comme le type de la liberteacute en soi et lacircme humaine comme le type de la liberteacute relative ou de la volonteacute il suit que plus lacircme se deacutegage des liens de la fataliteacute plus elle se retire des eacuteleacutements profanes qui lenvironnent et qui lentraicircnent vers ce monde exteacuterieur des images et des formules aussi vaines que les images plus elle revient et sattache agrave leacuteleacutement sacreacute au Dieu qui habite en elle et mieux elle se connaicirct elle-mecircme puisquelle se connaicirct non seulement dans son eacutetat actuel mais dans son eacutetat primitif et futur dans son essence Cest lagrave la condition et le compleacutement de toute sagesse de toute science de toute perfection
Voici maintenant les conseacutequences prati- [page]ques celui qui se connaicirct lui-mecircme et dans lindividualiteacute qui constitue son eacutetat actuel et
dans le principe universel dont il eacutemane celui-lagrave sait que ce nest pas les avantages exteacuterieurs qui ne lui appartiennent pas mais lui-mecircme mais son acircme quil doit chercher agrave perfectionner et quil doit la perfectionner en la ramenant et leacutelevant sans cesse agrave son principe agrave lessence libre et pure dans laquelle elle se contemple et qui lui sert agrave la fois de substance de cause et dideacuteal Mais celui qui ne se connaicirct pas lui-mecircme ignore la perfection qui lui est propre Incapable de se perfectionner lui-mecircme il lest agrave plus forte raison de perfectionner les autres et de se mecircler utilement de leurs affaires Il est donc neacutecessairement un mauvais homme dEacutetat Tant quon nest pas vertueux il faut obeacuteir tant quon ne connaicirct pas lart de rendre vertueux les autres il ne faut pas leur commander Car ce quil faut dabord procurer agrave la reacutepublique [page]ce ne sont pas les avantages exteacuterieurs mais cest la vertu pour les citoyens La vraie
politique est lart de persuader la justice [page](page blanche) [page]
LE PREMIER ALCIBIADE ou DE LA NATURE HUMAINE
SOCRATE ALCIBIADE
[103a] SOCRATE
FILS de Clinias tu es sans doute surpris quayant eacuteteacute le premier agrave taimer seul je te reste fidegravele quand tous mes rivaux tont quitteacute et que les autres tayant fatigueacute de leurs protestations damour jai eacuteteacute tant danneacutees sans mecircme te parler Et ce nest aucune consideacuteration humaine qui ma retenu cest une consideacuteration toute divine comme je te lexpliquerai plus tard Mais aujourdhui [103b] que lobstacle qui nous seacuteparait sest retireacute je mempresse de tab- [page]order et jespegravere que deacutesormais cet obstacle ne reparaicirctra plus Sache donc que pendant
tout le temps de mon silence je nai presque cesseacute de reacutefleacutechir et davoir les yeux ouverts sur ta conduite avec mes rivaux Parmi ce grand nombre dhommes orgueilleux qui se sont attacheacutes agrave toi il ny en a pas un que tu naies rebuteacute par tes deacutedains [104a] et je veux te dire ici la cause de tes meacutepris pour eux Tu crois navoir besoin de personne et quagrave commencer par le corps et agrave finir par lacircme tu as trop davantages pour quaucun secours te soit neacutecessaire Car premiegraverement tu te crois le plus
368
beau et le mieux fait de tous les hommes et agrave vrai dire il ne faut que te voir pour ecirctre bien sucircr que tu ne te trompes pas en second lieu tu te crois de la plus illustre famille dAthegravenes qui est la premiegravere de toutes les villes grecques [104b] tu sais que du cocircteacute de ton pegravere tu y as des amis et des allieacutes nombreux et puissants qui tappuieront en toutes rencontres et que tu nen as pas moins ni de moins consideacuterables du cocircteacute de ta megravere[1] mais ce que tu regardes comme ta plus grande force cest Peacutericlegraves fils de Xan- [page]tippe que ton pegravere ta laisseacute pour tuteur agrave toi et agrave ton fregravere Peacutericlegraves dont lautoriteacute est si
grande quil fait tout ce quil veut non seulement dans cette ville mais aussi dans toute la Gregravece et chez les plus puissantes nations eacutetrangegraveres Je pourrais encore parler de tes richesses [104c] si je ne savais que cest ce qui te donne le moins de vaniteacute Tous ces grands avantages tont si fort enfleacute le cœur que tu as meacutepriseacute tous tes amants comme des hommes indignes de toi eux agrave leur tour se sont retireacutes Cela ne ta pas eacutechappeacute et voilagrave pourquoi je sais bien que tu teacutetonnes de me voir persister dans mon amour et que tu cherches quelle espeacuterance jai pu conserver pour te suivre encore apregraves que tous mes rivaux tont abandonneacute
ALCIBIADE
Mais une chose que tu ne sais peut-ecirctre pas Socrate cest que tu ne mas preacutevenu [104d] que dun moment Javais dessein de taborder le premier et de te demander ce que tu veux et ce que tu espegraveres pour mimportuner comme tu fais te trouvant toujours tregraves soigneusement dans tous les lieux ougrave je vais car veacuteritablement je ne puis concevoir ce que tu preacutetends et tu mobligeras de texpliquer
SOCRATE
Tu mentendras donc volontiers si comme [page]tu le dis tu as envie de savoir ce que je pense et je vais te parler comme agrave un homme qui aura
la patience de mentendre et qui ne cherchera pas agrave meacutechapper
ALCIBIADE
A merveille voyons parle
SOCRATE
[104e] Prends bien garde agrave quoi tu tengages afin que tu ne sois pas surpris si jai autant de peine agrave finir que jen ai eu agrave commencer
ALCIBIADE
Parle mon cher je tentendrai tout le temps que tu voudras
SOCRATE
Il faut donc lobeacuteir et quoiquil soit un peu peacutenible de parler damour agrave un homme qui a maltraiteacute tous ses amants il faut avoir le courage de te dire ma penseacutee Pour moi Alcibiade si je tavais vu satisfait de tels avantages timaginer que tu nas rien de mieux agrave faire quagrave ty reposer toute ta vie il y a longtemps que jaurais aussi renonceacute agrave ma passion [105a] du moins je men flatte Mais je vais te deacutecouvrir de toutes autres penseacutees de toi sur toi-mecircme et tu connaicirctras par lagrave que je nai jamais cesseacute de teacutetudier Je crois que si quelque Dieu te disait tout-agrave-coup Alcibiade quaimes-tu mieux ou mourir tout agrave lheure ou content des avantages [page]que tu possegravedes renoncer agrave en acqueacuterir jamais de plus grands oui je crois que tu aimerais
mieux mourir Mais dans quelle espeacuterance vis-tu donc Je vais te le dire Tu es persuadeacute quaussitocirct que tu auras harangueacute [105b] les Atheacuteniens et cela arrivera au premier jour tu leur prouveras que tu meacuterites bien plus de creacutedit que Peacutericlegraves et aucun des plus grands citoyens quait jamais eus la reacutepublique et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athegravenes et par lagrave dans toutes les villes grecques et mecircme chez les nations barbares qui habitent notre continent[2] Et si ce
468
Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest
que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre
ALCIBIADE
Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je
pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien
[106b] SOCRATE
Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose
ALCIBIADE
Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile
SOCRATE
Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc
ALCIBIADE
Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE
Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue
ALCIBIADE
Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire
568
SOCRATE
Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu
[106d] ALCIBIADE
Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux
SOCRATE
Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE
Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas
SOCRATE
Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Que pourrait-on savoir autrement
SOCRATE
Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
[106e] SOCRATE
Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance
ALCIBIADE
Non voilagrave les seules choses que jai apprises
[107a] SOCRATE
668
Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis
ALCIBIADE
Non par Jupiter
SOCRATE
Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre
ALCIBIADE
Nullement [page]SOCRATE
Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi
[107b] ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE
Quest-ce que cela fait
SOCRATE
Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche
ALCIBIADE
768
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin
ALCIBIADE
Et avec raison
SOCRATE
Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis
ALCIBIADE
Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires
SOCRATE
Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir
ALCIBIADE
Non pas Socrate [page]SOCRATE
Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Jen conviens
[107d] SOCRATE
Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi
ALCIBIADE
Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique
SOCRATE
Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lorsque cest le mieux
ALCIBIADE
Sans doute
868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
beau et le mieux fait de tous les hommes et agrave vrai dire il ne faut que te voir pour ecirctre bien sucircr que tu ne te trompes pas en second lieu tu te crois de la plus illustre famille dAthegravenes qui est la premiegravere de toutes les villes grecques [104b] tu sais que du cocircteacute de ton pegravere tu y as des amis et des allieacutes nombreux et puissants qui tappuieront en toutes rencontres et que tu nen as pas moins ni de moins consideacuterables du cocircteacute de ta megravere[1] mais ce que tu regardes comme ta plus grande force cest Peacutericlegraves fils de Xan- [page]tippe que ton pegravere ta laisseacute pour tuteur agrave toi et agrave ton fregravere Peacutericlegraves dont lautoriteacute est si
grande quil fait tout ce quil veut non seulement dans cette ville mais aussi dans toute la Gregravece et chez les plus puissantes nations eacutetrangegraveres Je pourrais encore parler de tes richesses [104c] si je ne savais que cest ce qui te donne le moins de vaniteacute Tous ces grands avantages tont si fort enfleacute le cœur que tu as meacutepriseacute tous tes amants comme des hommes indignes de toi eux agrave leur tour se sont retireacutes Cela ne ta pas eacutechappeacute et voilagrave pourquoi je sais bien que tu teacutetonnes de me voir persister dans mon amour et que tu cherches quelle espeacuterance jai pu conserver pour te suivre encore apregraves que tous mes rivaux tont abandonneacute
ALCIBIADE
Mais une chose que tu ne sais peut-ecirctre pas Socrate cest que tu ne mas preacutevenu [104d] que dun moment Javais dessein de taborder le premier et de te demander ce que tu veux et ce que tu espegraveres pour mimportuner comme tu fais te trouvant toujours tregraves soigneusement dans tous les lieux ougrave je vais car veacuteritablement je ne puis concevoir ce que tu preacutetends et tu mobligeras de texpliquer
SOCRATE
Tu mentendras donc volontiers si comme [page]tu le dis tu as envie de savoir ce que je pense et je vais te parler comme agrave un homme qui aura
la patience de mentendre et qui ne cherchera pas agrave meacutechapper
ALCIBIADE
A merveille voyons parle
SOCRATE
[104e] Prends bien garde agrave quoi tu tengages afin que tu ne sois pas surpris si jai autant de peine agrave finir que jen ai eu agrave commencer
ALCIBIADE
Parle mon cher je tentendrai tout le temps que tu voudras
SOCRATE
Il faut donc lobeacuteir et quoiquil soit un peu peacutenible de parler damour agrave un homme qui a maltraiteacute tous ses amants il faut avoir le courage de te dire ma penseacutee Pour moi Alcibiade si je tavais vu satisfait de tels avantages timaginer que tu nas rien de mieux agrave faire quagrave ty reposer toute ta vie il y a longtemps que jaurais aussi renonceacute agrave ma passion [105a] du moins je men flatte Mais je vais te deacutecouvrir de toutes autres penseacutees de toi sur toi-mecircme et tu connaicirctras par lagrave que je nai jamais cesseacute de teacutetudier Je crois que si quelque Dieu te disait tout-agrave-coup Alcibiade quaimes-tu mieux ou mourir tout agrave lheure ou content des avantages [page]que tu possegravedes renoncer agrave en acqueacuterir jamais de plus grands oui je crois que tu aimerais
mieux mourir Mais dans quelle espeacuterance vis-tu donc Je vais te le dire Tu es persuadeacute quaussitocirct que tu auras harangueacute [105b] les Atheacuteniens et cela arrivera au premier jour tu leur prouveras que tu meacuterites bien plus de creacutedit que Peacutericlegraves et aucun des plus grands citoyens quait jamais eus la reacutepublique et alors tu ne doutes pas que tu ne deviennes tout puissant dans Athegravenes et par lagrave dans toutes les villes grecques et mecircme chez les nations barbares qui habitent notre continent[2] Et si ce
468
Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest
que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre
ALCIBIADE
Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je
pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien
[106b] SOCRATE
Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose
ALCIBIADE
Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile
SOCRATE
Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc
ALCIBIADE
Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE
Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue
ALCIBIADE
Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire
568
SOCRATE
Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu
[106d] ALCIBIADE
Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux
SOCRATE
Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE
Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas
SOCRATE
Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Que pourrait-on savoir autrement
SOCRATE
Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
[106e] SOCRATE
Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance
ALCIBIADE
Non voilagrave les seules choses que jai apprises
[107a] SOCRATE
668
Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis
ALCIBIADE
Non par Jupiter
SOCRATE
Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre
ALCIBIADE
Nullement [page]SOCRATE
Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi
[107b] ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE
Quest-ce que cela fait
SOCRATE
Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche
ALCIBIADE
768
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin
ALCIBIADE
Et avec raison
SOCRATE
Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis
ALCIBIADE
Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires
SOCRATE
Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir
ALCIBIADE
Non pas Socrate [page]SOCRATE
Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Jen conviens
[107d] SOCRATE
Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi
ALCIBIADE
Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique
SOCRATE
Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lorsque cest le mieux
ALCIBIADE
Sans doute
868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Dieu te disait encore que tu seras maicirctre de toute lEurope [105c] mais que tu ne passeras pas en Asie et que tu ny dirigeras pas les affaires je pense que tu ne voudrais pas vivre pour si peu de chose agrave moins de remplir la terre entiegravere du bruit de ton nom et de ta puissance et je crois quexcepteacute Cyrus et Xerxegraves il ny a pas un homme dont tu fasses cas Voilagrave quelles sont tes espeacuterances je le sais et ce nest point une conjecture cest pourquoi sentant bien que je te dis vrai tu me demanderas peut-ecirctre Socrate qua de commun ce preacuteambule [105d] avec ce que tu voulais me dire pour mexpliquer la perseacuteveacute- [page]rance de tes poursuites Je vais te satisfaire cher enfant de Clinias et de Dinomaque Cest
que tu ne peux accomplir tous ces grands desseins sans moi tant jai de pouvoir sur toutes tes affaires et sur toi-mecircme De lagrave vient aussi sans doute que le Dieu qui me gouverne ne ma pas permis de te parler jusquici et jattendais sa permission Et comme tu espegraveres que degraves que tu auras fait voir agrave tes concitoyens [105e] que tu leur es tregraves preacutecieux agrave linstant tu pourras tout sur eux jespegravere aussi que je pourrai beaucoup sur toi quand je taurai convaincu que je te suis du plus grand prix Alcibiade et quil ny a ni tuteur ni parent ni personne qui puisse te mener agrave la puissance agrave laquelle tu aspires excepteacute moi avec laide du Dieu toutefois Tant que tu as eacuteteacute plus jeune et que tu nas pas eu cette grande ambition le Dieu ne ma pas permis de te parler [106a] afin que mes paroles ne fussent pas perdues Aujourdhui il me le permet car tu es capable de mentendre
ALCIBIADE
Je tavoue Socrate que je te trouve encore plus eacutetrange depuis que tu as commenceacute agrave me parler que pendant que tu as gardeacute le silence et cependant tu me le paraissais terriblement Que tu aies devineacute juste mes penseacutees je le veux et quand je te dirais le contraire je ne vien- [page]drais pas agrave bout de le persuader Mais toi comment me prouveras - tu en supposant que je
pense ce que tu dis quavec ton secours je reacuteussirai et que sans toi je ne puis rien
[106b] SOCRATE
Me demandes-tu si je suis capable de te faire un long discours comme ceux que tu es accoutumeacute dentendre[3] Non car ce nest pas lagrave ma maniegravere Mais je suis en eacutetat je crois de te convaincre que je nai rien avanceacute que de vrai pour peu que tu veuilles bien maccorder une seule chose
ALCIBIADE
Je le veux bien pourvu que cela ne soit pas trop difficile
SOCRATE
Est-ce une chose si difficile que de reacutepondre agrave quelques questions
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc
ALCIBIADE
Tu nas quagrave minterroger [page]SOCRATE
Tinterrogerai-je comme si tu avais les grands desseins [106c] que je tattribue
ALCIBIADE
Soit si tu le veux je saurai du moins ce que tu as agrave me dire
568
SOCRATE
Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu
[106d] ALCIBIADE
Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux
SOCRATE
Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE
Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas
SOCRATE
Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Que pourrait-on savoir autrement
SOCRATE
Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
[106e] SOCRATE
Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance
ALCIBIADE
Non voilagrave les seules choses que jai apprises
[107a] SOCRATE
668
Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis
ALCIBIADE
Non par Jupiter
SOCRATE
Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre
ALCIBIADE
Nullement [page]SOCRATE
Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi
[107b] ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE
Quest-ce que cela fait
SOCRATE
Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche
ALCIBIADE
768
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin
ALCIBIADE
Et avec raison
SOCRATE
Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis
ALCIBIADE
Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires
SOCRATE
Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir
ALCIBIADE
Non pas Socrate [page]SOCRATE
Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Jen conviens
[107d] SOCRATE
Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi
ALCIBIADE
Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique
SOCRATE
Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lorsque cest le mieux
ALCIBIADE
Sans doute
868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Voyons Tu te preacutepares donc comme je dis agrave aller dans peu de jours agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur faire part de tes lumiegraveres Si au moment de monter agrave la tribune[4] je te prenais par la main et te disais Alcibiade sur quoi les Atheacuteniens deacutelibegraverent-ils pour que tu te legraveves et donnes ton avis nest-ce pas sur les choses que tu sais mieux queux Que me reacutepondrais-tu
[106d] ALCIBIADE
Je te reacutepondrais sans aucun doute que cest sur les choses que je sais mieux queux
SOCRATE
Car tu ne saurais donner de bons conseils que sur les choses que tu sais [page]ALCIBIADE
Comment en donnerait-on sur celles quon ne sait pas
SOCRATE
Et nest-il pas vrai que tu ne sais que ce que tu as appris des autres ou ce que tu as trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Que pourrait-on savoir autrement
SOCRATE
Mais se peut-il que tu aies appris des autres ou trouveacute de toi-mecircme quelque chose lorsque tu nas voulu ni rien apprendre ni rien chercher
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Eh bien tes-tu jamais aviseacute de chercher ou dapprendre ce que tu croyais savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
[106e] SOCRATE
Et ce que tu sais preacutesentement il a eacuteteacute un temps ougrave tu ne croyais pas le savoir
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Mais je sais agrave peu pregraves quelles sont les choses que tu as apprises si jen oublie quelquune nomme-la-moi Tu as appris si je men souviens bien agrave eacutecrire agrave jouer de la lyre et agrave faire tes exercices car pour la flucircte tu nas pas voulu lapprendre[5] Voilagrave tout ce que tu sais agrave moins que tu naies appris quelque autre chose agrave mon insu cependant je ne crois pas que tu sois sorti dici ni jour ni nuit sans que jen aie eu connaissance
ALCIBIADE
Non voilagrave les seules choses que jai apprises
[107a] SOCRATE
668
Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis
ALCIBIADE
Non par Jupiter
SOCRATE
Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre
ALCIBIADE
Nullement [page]SOCRATE
Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi
[107b] ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE
Quest-ce que cela fait
SOCRATE
Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche
ALCIBIADE
768
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin
ALCIBIADE
Et avec raison
SOCRATE
Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis
ALCIBIADE
Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires
SOCRATE
Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir
ALCIBIADE
Non pas Socrate [page]SOCRATE
Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Jen conviens
[107d] SOCRATE
Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi
ALCIBIADE
Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique
SOCRATE
Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lorsque cest le mieux
ALCIBIADE
Sans doute
868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Sera-ce donc quand les Atheacuteniens deacutelibeacutereront sur leacutecriture pour savoir comment il faut eacutecrire que tu te legraveveras pour donner ton avis
ALCIBIADE
Non par Jupiter
SOCRATE
Sera-ce quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de jouer de la lyre
ALCIBIADE
Nullement [page]SOCRATE
Mais les Atheacuteniens nont guegravere plus la coutume de deacutelibeacuterer sur les diffeacuterents exercices
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Sur quoi donc attendras-tu quils deacutelibegraverent Ce ne sera pas quand ils deacutelibeacutereront sur la maniegravere de bacirctir les maisons
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Car un maccedilon les conseillerait mieux que toi
[107b] ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Ce ne sera pas non plus quand ils deacutelibeacutereront sur quelque point de divination
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car un devin en sait plus que toi sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quil soit petit ou grand beau ou laid de haute ou de basse naissance [page]ALCIBIADE
Quest-ce que cela fait
SOCRATE
Car sur toute chose je pense que pour conseiller il faut savoir et non pas ecirctre riche
ALCIBIADE
768
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin
ALCIBIADE
Et avec raison
SOCRATE
Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis
ALCIBIADE
Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires
SOCRATE
Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir
ALCIBIADE
Non pas Socrate [page]SOCRATE
Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Jen conviens
[107d] SOCRATE
Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi
ALCIBIADE
Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique
SOCRATE
Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lorsque cest le mieux
ALCIBIADE
Sans doute
868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient sur la santeacute publique peu leur importerait [107c] que lorateur fucirct pauvre ou riche ils voudraient quil fucirct meacutedecin
ALCIBIADE
Et avec raison
SOCRATE
Sur quoi faudra-t-il donc quils deacutelibegraverent pour que tu croies devoir te lever et donner ton avis
ALCIBIADE
Quand ils deacutelibeacutereront sur leurs propres affaires
SOCRATE
Quoi quand ils deacutelibeacutereront sur ce qui regarde la construction des vaisseaux pour savoir quelle sorte de vaisseaux ils doivent bacirctir
ALCIBIADE
Non pas Socrate [page]SOCRATE
Car tu nas pas appris je crois agrave bacirctir des vaisseaux Nest-ce pas lagrave ce qui tempecircchera de parler sur cette matiegravere
ALCIBIADE
Jen conviens
[107d] SOCRATE
Mais quand deacutelibeacutereront-ils donc de leurs affaires selon toi
ALCIBIADE
Quand il sera question de la paix de la guerre ou de quelque autre affaire publique
SOCRATE
Cest-agrave-dire quand ils deacutelibeacutereront agrave qui il faut faire la guerre ou la paix et comment il faut la faire
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Il faut faire la paix ou la guerre agrave qui il est mieux de la faire
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lorsque cest le mieux
ALCIBIADE
Sans doute
868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
[page][107e] SOCRATE
Et pendant tout le temps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Rien nest plus vrai
SOCRATE
Si les Atheacuteniens deacutelibeacuteraient avec qui il faut lutter et avec qui il faut seulement en venir aux mains sans se prendre au corps[6] et comment il faut faire ces diffeacuterents exercices donnerais-tu sur cela de meilleurs conseils que le maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Le maicirctre de palestre en donnerait de meilleurs sans difficulteacute
SOCRATE
Peux-tu me dire agrave quoi regarderait principalement ce maicirctre de palestre pour ordonner avec qui quand et comment on doit faire ces diffeacuterents exercices Je mexplique avec qui faut-il lutter Nest-ce pas avec qui cela est le mieux
ALCIBIADE
Sans doute [page][108a] SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Aussi longtemps
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et ne faut-il pas que celui qui chante saccompagne tantocirct en jouant de la lyre et tantocirct en dansant
ALCIBIADE
Il le faut
SOCRATE
Et quand cela est le mieux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et aussi longtemps que cela est le mieux
ALCIBIADE
Certainement
968
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Eh bien puisquil y a un mieux [108b] pour accompagner son chant avec la lyre comme il y en a un dans la lutte comment lappelles-tu ce [page]mieux lagrave Car pour celui de la lutte je lappelle gymnastique
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Tacircche de mimiter pour moi je reacutepondrais que ce mieux cest ce qui est toujours bien Or cela est bien qui se fait selon les regravegles de lart Nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et lart de la lutte nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Oui
[108c] SOCRATE
Et le mieux dans lart de la lutte je lappelais gymnastique
ALCIBIADE
Cest ainsi que tu lappelais
SOCRATE
Eh bien navais-je pas raison
ALCIBIADE
A ce quil me semble
SOCRATE
Courage agrave ton tour pique-toi aussi de bien [page]reacutepondre Dis-moi dabord comment tu appelles lart qui enseigne agrave chanter agrave jouer de la
lyre et agrave bien danser Gomment lappelles-tu dun seul nom Ne saurais-tu encore me le dire
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Essaie je vais te mettre sur la voie Comment appelles-tu les deacuteesses qui preacutesident agrave cet art
ALCIBIADE
Tu veux parler des Muses
[108d] SOCRATE
Assureacutement Vois maintenant quel nom cet art a tireacute des Muses
ALCIBIADE
1068
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Ah cest de la musique que tu parles
SOCRATE
Preacuteciseacutement et comme je tai dit que ce qui se faisait selon les regravegles de la gymnastique sappelait gymnastique dis-moi aussi agrave ton tour comment sappelle ce qui se fait selon les regravegles de cet autre art
ALCIBIADE
Musical je crois
SOCRATE
Fort bien continue Et le mieux dans lart [page]de faire la guerre et dans celui de faire la paix comment [108e] lappelles-tu Dans chacun
des deux autres arts tu dis que le mieux dans lun est ce qui est plus gymnastique et le mieux dans lautre est ce qui est plus musical Tacircche donc de mecircme de me dire le nom de ce qui est le mieux ici
ALCIBIADE
Je ne saurais
SOCRATE
Mais si quelquun tentendait raisonner et donner conseil sur les aliments et dire Celui-lagrave est meilleur que celui-ci il faut le prendre en tel temps et en telle quantiteacute et quil te demandacirct Alcibiade quest-ce que tu appelles meilleur Ne serait-ce pas une honte que tu lui reacutepondisses que le meilleur cest ce qui est le plus sain quoique tu ne fasses pas profession decirctre meacutedecin et que dans les choses que [109a] tu fais profession de savoir et sur lesquelles tu te mecircles de donner conseil comme les sachant bien tu ne susses que reacutepondre lorsquon tinterroge Cela ne te couvre-t-il pas de confusion
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Applique-toi donc et fais un effort pour me [page]dire quel est le but de ce mieux que nous cherchons en faisant la paix ou la guerre agrave qui nous
croyons devoir faire lune ou lautre
ALCIBIADE
Quelque effort que je fasse je ne saurais le trouver
SOCRATE
Quoi tu ne sais pas quand nous faisons la guerre de quelle chose nous nous accusons en prenant les armes et quel nom nous donnons agrave cette chose
[109b] ALCIBIADE
Je sais que nous disons quon nous a trompeacutes ou fait violence ou deacutepouilleacutes
SOCRATE
Courage Et comment ces choses arrivent-elles Tacircche de mexpliquer la diffeacuterente maniegravere dont elles peuvent arriver
ALCIBIADE
Veux-tu dire Socrate quelles peuvent arriver justement ou injustement
1168
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Cest cela mecircme
ALCIBIADE
Et cela y met une diffeacuterence infinie
SOCRATE
Eh bien agrave quels peuples conseilleras-tu aux [page]Atheacuteniens de deacuteclarer la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice ou agrave ceux qui la violent
[109c] ALCIBIADE
Terrible demande Socrate Car quand mecircme quelquun serait capable de penser quil faut faire la guerre agrave ceux qui pratiquent la justice il noserait lavouer
SOCRATE
En effet cela nest pas conforme aux lois agrave ce quil paraicirct
ALCIBIADE
Non sans doute ni honnecircte non plus dapregraves lopinion
SOCRATE
Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Mais ce mieux dont je te parlais tantocirct au sujet de la paix ou de la guerre pour savoir agrave qui quand et comment il faut faire la guerre et la paix nest-ce pas toujours le plus juste
ALCIBIADE
Il paraicirct au moins
[109d] SOCRATE
Comment donc cher Alcibiade il faut ou [page]que sans le savoir tu ignores ce que cest que le juste ou quagrave mon insu tu sois alleacute chez
quelque maicirctre qui te lait appris et qui tait enseigneacute agrave distinguer le juste et linjuste Qui est ce maicirctre dis-le-moi je ten prie afin que tu me mettes entre ses mains et me recommandes agrave lui
ALCIBIADE
Tu te moques Socrate
SOCRATE
Non je le jure par le Dieu qui preacuteside agrave notre amitieacute[7] et qui est de tous les dieux celui que je voudrais le moins offenser par un parjure Je ten prie si tu as un maicirctre dis-moi qui il est
[109e] ALCIBIADE
Eh bien quand je nen aurais point crois-tu que je ne puisse savoir dailleurs ce que cest que le juste et linjuste
SOCRATE
1268
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Tu le sais si tu las trouveacute
ALCIBIADE
Et crois-tu que je ne laie pas trouveacute
SOCRATE
Tu las trouveacute si tu las chercheacute [page]ALCIBIADE
Penses-tu donc que je ne laie pas chercheacute
SOCRATE
Tu las chercheacute si tu as cru lignorer
ALCIBIADE
Timagines-tu donc quil ny ait pas eu un temps ougrave je lignorais
SOCRATE
Tregraves bien dit Mais peux-tu me marquer preacuteciseacutement ce temps [110a] ougrave tu as cru ne pas savoir ce que cest que le juste et linjuste Voyons eacutetait-ce lanneacutee passeacutee que tu le cherchais croyant lignorer ou croyais-tu le savoir Dis la veacuteriteacute afin que notre conversation ne soit pas vaine
ALCIBIADE
Mais je croyais bien le savoir
SOCRATE
Et il y a trois quatre et cinq ans ne le croyais-tu pas de mecircme
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Avant ce temps-lagrave tu neacutetais quun enfant nest-ce pas
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Dans ce temps-lagrave mecircme je suis bien sucircr que tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Comment en es-tu si sucircr
[110b] SOCRATE
Cest que pendant ton enfance chez tes maicirctres et ailleurs et lorsque tu jouais aux osselets ou agrave quelque autre jeu je tai vu tregraves souvent ne point balancer sur le juste et linjuste et dire dun ton ferme et assureacute agrave tel ou tel de tes camarades que ceacutetait un meacutechant un injuste quil faisait une injustice[8] Nest-il pas vrai
ALCIBIADE
Que devais-je donc faire agrave ton avis quand on me faisait quelque injustice
SOCRATE
1368
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Entends-tu ce que tu devais faire en supposant que tu eusses ignoreacute que ce quon te faisait fucirct une injustice ou en supposant le contraire
[110c] ALCIBIADE
Mais je ne lignorais point du tout je savais parfaitement quon me faisait injustice [page]SOCRATE
Tu vois donc par lagrave que lors mecircme que tu neacutetais quun enfant tu croyais connaicirctre le juste et linjuste
ALCIBIADE
Je croyais le connaicirctre et je le connaissais
SOCRATE
En quel temps lavais-tu trouveacute car ce neacutetait pas lorsque tu croyais le savoir
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
En quel temps croyais-tu donc lignorer Reacutefleacutechis bien car jai grandpeur que tu ne trouves pas ce temps-lagrave
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne saurais te le dire
[110d] SOCRATE
Tu ne connais donc pas le juste et linjuste pour lavoir trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais tu avouais tout agrave lheure que tu ne las pas appris non plus or si tu ne las ni trouveacute de toi-mecircme ni appris des autres comment le sais-tu donc Dougrave cette connaissance test-elle venue [page]ALCIBIADE
Mais peut-ecirctre que jai mal reacutepondu en disant que je lai trouveacute de moi-mecircme
SOCRATE
Dis-moi donc comment cela sest fait
ALCIBIADE
Je lai appris je pense tout comme les autres
SOCRATE
Nous voilagrave agrave recommencer De qui las-tu appris dis-moi
[110e] ALCIBIADE
Du peuple
SOCRATE
En citant le peuple tu nas pas recours mon cher Alcibiade agrave un fort bon maicirctre
1468
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ALCIBIADE
Quoi le peuple nest-il pas capable de lenseigne
SOCRATE
Pas mecircme denseigner ce qui est bien ou mal aux eacutechecs[9] ce qui est pourtant un peu moins difficile agrave mon avis que denseigner la justice Eh bien ne le crois-tu pas comme moi
ALCIBIADE
Oui sans doute [page]SOCRATE
Et sil nest pas capable de tenseigner des choses moins difficiles comment ten enseignerait-il de plus difficiles
ALCIBIADE
Je suis de ton avis Cependant le peuple est capable denseigner beaucoup de choses bien plus difficiles que les eacutechecs
SOCRATE
Et lesquelles
[111a] ALCIBIADE
Notre langue par exemple je ne lai apprise que du peuple je ne pourrais pas te nommer un seul maicirctre que jaie eu pour cela et je nen puis citer dautre que ce peuple que tu trouves un si mauvais maicirctre
SOCRATE
Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grandraison de louer ses leccedilons dans ce genre
ALCIBIADE
Pourquoi
SOCRATE
Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
ALCIBIADE
Quest-ce donc quil a [page]SOCRATE
Ceux qui veulent enseigner une chose [111b] ne doivent-ils pas la bien savoir dabord
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Ceux qui savent une chose ne doivent-ils pas ecirctre daccord entre eux sur ce quils savent et nen pas disputer
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
1568
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Et crois-tu quils sachent bien ce dont ils disputeraient
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Comment donc Ienseigneraient-ils
ALCIBIADE
Ils ne le pourraient daucune faccedilon
SOCRATE
Eh quoi est-ce que le peuple nest pas daccord de la signification de ces mots une pierre un bacircton Interroge qui tu voudras tous ne reacutepondront-ils pas [111c] de mecircme tous ne courront-ils pas agrave la mecircme chose sils veulent avoir une [page]pierre ou un bacircton Nen est-il pas ainsi du reste Car je comprends que voilagrave ce que tu veux
dire par savoir la langue nest-ce pas
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tous les Grecs ne sont-ils pas daccord sur cela entre eux de particulier agrave particulier et de peuple agrave peuple
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Ainsi sous ce rapport le peuple serait un excellent maicirctre
[111d] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Si donc nous voulions que quelquun sucirct bien une langue nous ne pourrions mieux faire que de lenvoyer agrave leacutecole du peuple
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Mais si au lieu de vouloir savoir ce que signifient les mots dhomme ou de cheval nous voulions savoir quel cheval fait un bon ou un mauvais coursier le peuple serait-il capable de nous lapprendre [page]ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Et une marque bien sucircre quil ne le sait pas et [111e] quil ne pourrait lenseigner cest quil nest pas lagrave-dessus daccord avec lui-mecircme le moins du monde
1668
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ALCIBIADE
Tu as raison
SOCRATE
Et si nous voulions savoir non pas ce que signifie le mot homme mais ce que cest quun homme sain ou malsain le peuple serait-il en eacutetat de nous lapprendre
ALCIBIADE
Non certes
SOCRATE
Et ne conclurais-tu pas que cest lagrave-dessus un assez mauvais maicirctre si tu le voyais en contradiction avec lui-mecircme
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Eh bien sur le juste et sur linjuste en fait dhommes [112a] ou daffaires crois-tu que le peuple soit daccord et avec lui-mecircme et avec les autres [page]ALCIBIADE
Par Jupiter pas le moins du monde
SOCRATE
Et ne crois-tu pas au contraire que cest sur cela quil saccorde le moins
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Car je ne crois pas que tu aies jamais vu ou entendu dire que les hommes aient eacuteteacute si diviseacutes sur la question de savoir si une chose est saine ou malsaine quils aient pris les armes et se soient eacutegorgeacutes les uns les autres
ALCIBIADE
Non en veacuteriteacute
SOCRATE
Mais sur le juste et linjuste je sais bien moi que si tu ne las pas vu [112b] au moins tu las entendu dire agrave beaucoup dautres et par exemple agrave Homegravere car tu as lu lOdysseacutee et lIliade
ALCIBIADE
Oui assureacutement Socrate
SOCRATE
Et le fondement de ces poegravemes nest-ce pas la diversiteacute des sentiments sur la justice et sur linjustice
ALCIBIADE
Oui
1768
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
[page]SOCRATE
Nest-ce pas cette dissension qui a coucircteacute tant de combats et tant de sang aux Grecs et aux Troyens aux amans de Peacuteneacutelope et agrave Ulysse
[112c] ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et ceux qui moururent agrave Tanagre[10] Atheacuteniens Laceacutedeacutemoniens Beacuteotiens et apregraves agrave Coroneacutee[11] ougrave ton pegravere Clinias fut tueacute le sujet de leurs querelles et de leur mort ne fut autre je pense que cette diversiteacute de sentiments sur le juste et linjuste Nest-ce pas
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Oserons-nous donc dire que le peuple sache bien une chose sur laquelle [112d] il dispute avec tant danimositeacute quil se porte aux derniegraveres extreacutemiteacutes [page]ALCIBIADE
Il ny paraicirct certes pas
SOCRATE
Eh voilagrave les maicirctres que tu nous cites toi qui conviens toi-mecircme de leur ignorance
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Quelle apparence donc que tu saches ce que cest que le juste et linjuste sur lesquels tu es si flottant et que tu parais navoir ni appris des autres ni trouveacute de toi-mecircme
ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence dapregraves ce que tu dis
[112e] SOCRATE
Comment dapregraves ce que je dis Ne vois-tu pas que tu parles fort mal Alcibiade
ALCIBIADE
En quoi donc
SOCRATE
Tu preacutetends que cest moi qui dis cela
ALCIBIADE
Quoi nest-ce pas toi qui dis que je ne sais rien de tout ce qui regarde la justice et linjustice
SOCRATE
Non assureacutement ce nest pas moi [page]ALCIBIADE
1868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Qui donc Moi peut-ecirctre
SOCRATE
Toi-mecircme
ALCIBIADE
Comment
SOCRATE
Tu vas le voir Si je te demandais quel est le plus grand nombre dun ou de deux ne me reacutepondrais-tu pas que cest deux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et de combien plus grand
ALCIBIADE
Dun
SOCRATE
Quel est celui de nous deux qui dit que deux est plus quun
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Oui [page][113a] SOCRATE
Et sur le juste et linjuste nest-ce pas moi qui interroge et toi qui reacuteponds
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et si je te demandais quelles lettres composent le nom de Socrate et que tu les prononccedilasses qui est-ce de nous deux qui les dirait
ALCIBIADE
Moi
SOCRATE
Allons donc conclus Dans une conversation qui se passe en demandes et en reacuteponses qui affirme celui qui interroge ou celui qui reacutepond
ALCIBIADE
Celui qui reacutepond Socrate agrave ce quil me semble
1968
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
[113b] SOCRATE
Eh bien jusquici nest-ce pas moi qui ai interrogeacute
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et toi qui as reacutepondu [page]ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Eh bien qui de nous a affirmeacute tout ce qui a eacuteteacute dit
ALCIBIADE
Il faut bien que je convienne Socrate que cest moi
SOCRATE
Et na-t-il pas eacuteteacute dit que le bel Alcibiade fils de Clinias ne sachant ce que cest que le juste et linjuste et pensant pourtant bien le savoir sen va agrave lassembleacutee des Atheacuteniens pour leur donner son avis sur ce quil ne sait pas Nest-ce pas cela
[113c] ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Cest donc ici le cas du mot dEuripide Cest toi qui las nommeacute[12] car ce nest pas moi qui lai dit cest toi et tu as tort de ten prendre agrave moi
ALCIBIADE
Tu as bien lair davoir raison [page]SOCRATE
Crois-moi mon cher cest une folie de vouloir aller enseigner ce que tu ne sais pas ce que tu ne tes pas donneacute la peine dapprendre
[113d] ALCIBIADE
Mais jimagine Socrate que les Atheacuteniens et tous les autres Grecs deacutelibegraverent tregraves rarement sur ce qui est le plus juste ou le plus injuste car cela leur paraicirct tregraves clair et sans sy arrecircter ils cherchent uniquement ce qui est le plus utile Or lutile et le juste sont fort diffeacuterents je pense puisquil y a eu beaucoup de gens qui se sont tregraves bien trouveacutes davoir commis de grandes injustices et dautres qui je crois pour avoir eacuteteacute justes ont assez mal reacuteussi
SOCRATE
Quoi quelque diffeacuterence quil y ait entre lutile et le juste [113e] penses-tu donc connaicirctre lutile et ce qui le constitue
ALCIBIADE
Qui en empecircche Socrate agrave moins que tu ne demandes encore de qui je lai appris ou comment je lai trouveacute de moi-mecircme
2068
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Que fais-tu lagrave Alcibiade supposeacute que tu dises mal et quil soit possible de te reacutefuter par [page]les mecircmes raisons que jai deacutejagrave employeacutees tu veux de nouvelles preuves et tu traites les
premiegraveres comme de vieux habits que tu ne veux plus mettre [114a] il te faut du neuf absolument Mais pour moi sans te suivre dans tes eacutecarts je persiste agrave te demander dougrave tu as appris ce que cest que lutile et qui a eacuteteacute ton maicirctre et je te demande en une fois tout ce que je tai demandeacute preacuteceacutedemment Mais je vois bien que tu me reacutepondras la mecircme chose et que tu ne pourras me montrer ni que tu aies appris des autres ce que cest que lutile ni que tu laies trouveacute de toi-mecircme Or comme tu es deacutelicat et que tu ne goucircterais guegravere les mecircmes propos je ne te demande plus si tu sais ou ne sais pas ce qui est utile aux Atheacuteniens [114b] Mais que le juste et lutile sont une mecircme chose ou quils sont fort diffeacuterents pourquoi ne me le prouverais-tu pas en minterrogeant sil te plaicirct comme je tai interrogeacute ou en me parlant tout de suite
ALCIBIADE
Mais je ne sais trop Socrate si je suis capable de parler devant toi
SOCRATE
Mon cher Alcibiade prends que je suis lassembleacutee le peuple car quand tu seras lagrave ne faudra-t-il pas que tu persuades chacun en particulier nest-il pas vrai [page]ALCIBIADE
Il le faudra bien
SOCRATE
Et quand on sait bien une chose nest-il pas eacutegal de la deacutemontrer agrave un seul en particulier [114c] ou agrave plusieurs agrave la fois comme un maicirctre agrave lire montre eacutegalement agrave un ou agrave plusieurs eacutecoliers
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Et le mecircme homme nest-il pas capable denseigner larithmeacutetique agrave un ou agrave plusieurs
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais cet homme ne doit-il pas savoir larithmeacutetique Ne doit-ce pas ecirctre le matheacutematicien
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et par conseacutequent ce que tu es capable de persuader agrave plusieurs tu peux aussi le persuader agrave mi seul
ALCIBIADE
Assureacutement [page]SOCRATE
Et ce que tu peux persuader cest ce que tu sais
ALCIBIADE
2168
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Sans doute
SOCRATE
Quelle autre diffeacuterence y a-t-il entre un orateur qui parle [114d] agrave tout un peuple et un homme qui sentretient comme nous le faisons maintenant sinon que le premier a plusieurs hommes agrave persuader et que le dernier nen a quun
ALCIBIADE
Il pourrait bien ny avoir que celle-lagrave
SOCRATE
Voyons donc puisque celui qui est capable de persuader plusieurs lest aussi de persuader un seul exerce-toi avec moi et tacircche de me deacutemontrer que ce qui est juste nest pas toujours utile
ALCIBIADE
Te voilagrave bien meacutechant Socrate
SOCRATE
Si meacutechant que je vais tout agrave lheure te prouver le contraire de ce que tu ne veux pas me prouver
ALCIBIADE
Voyons parle [page]SOCRATE
Reacuteponds seulement agrave mes questions
[114e] ALCIBIADE
Ah point de questions je ten prie parle toi seul
SOCRATE
Quoi est-ce que tu ne veux pas ecirctre persuadeacute
ALCIBIADE
Je ne demande pas mieux
SOCRATE
Quand ce sera toi-mecircme qui affirmeras tout ce qui sera avanceacute ne seras-tu pas persuadeacute autant quon peut lecirctre
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Reacuteponds-moi donc et si tu napprends pas de toi-mecircme que le juste est toujours utile ne le crois jamais sur la foi dun autre
ALCIBIADE
A la bonne heure je suis precirct agrave te reacutepondre car il ne men arrivera aucun mal je pense
[115a] SOCRATE
Tu es prophegravete Alcibiade Eh bien dis-moi crois-tu quil y ait des choses justes qui soient utiles et dautres qui ne le soient pas
2268
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
[page]ALCIBIADE
Assureacutement je le crois
SOCRATE
Crois-tu aussi que les unes soient honnecirctes et les autres tout le contraire
ALCIBIADE
Comment dis-tu sil te plaicirct
SOCRATE
Je te demande par exemple si un homme qui fait une action deacuteshonnecircte fait une action juste
ALCIBIADE
Je suis bien eacuteloigneacute de le croire
SOCRATE
Tu crois donc que tout ce qui est juste est honnecircte
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quant agrave lhonnecircte tout ce qui est honnecircte est-il bon Ou crois-tu quil y ait des choses honnecirctes qui soient bonnes et dautres qui soient mauvaises
ALCIBIADE
Pour moi je pense Socrate quil y a certaines choses honnecirctes qui sont mauvaises [page]SOCRATE
Et par conseacutequent de deacuteshonnecirctes qui sont bonnes
ALCIBIADE
Oui
[115b] SOCRATE
Vois si je tentends bien il est souvent arriveacute agrave la guerre quun homme voulant secourir son ami ou son parent a eacuteteacute blesseacute ou tueacute et quun autre en manquant agrave ce devoir a sauveacute sa vie Nest-ce pas cela que tu dis
ALCIBIADE
Cest cela mecircme
SOCRATE
Le secours quun homme donne agrave son ami tu lappelles une chose honnecircte en ce quil tacircche de sauver celui quil est obligeacute de secourir et nest-ce pas ce quon appelle valeur
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et ce mecircme secours tu lappelles une chose mauvaise agrave cause des blessures et de la mort quelle nous
2368
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
attire
ALCIBIADE
Oui [page][115c] SOCRATE
Mais la vaillance nest-ce pas une chose et la mort une autre
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Par conseacutequent le secours quon donne agrave son ami dans un combat nest pas une chose honnecircte et une chose mauvaise par le mecircme endroit
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Mais vois si ce qui fait une action honnecircte ne la fait pas bonne comme dans le cas dont il sagit Tu as reconnu que du cocircteacute de la valeur secourir son ami est honnecircte Examine donc preacutesentement si la valeur est un bien ou un mal et voici le moyen de bien faire cet examen Que te souhaites-tu agrave toi-mecircme des biens ou des maux
ALCIBIADE
Des biens
[115d] SOCRATE
Et les plus grands surtout Et tu ne voudrais pas en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
Non assureacutement [page]SOCRATE
Que penses-tu donc de la valeur A quel prix consentirais-tu agrave en ecirctre priveacute
ALCIBIADE
A quel prix Je ne voudrais pas mecircme de la vie agrave condition decirctre un lacircche
SOCRATE
La lacirccheteacute te paraicirct donc le dernier des maux
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Eacutegal agrave la mort mecircme
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
2468
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
La vie et la valeur ne sont-ce pas les contraires de la mort et de la lacirccheteacute
ALCIBIADE
Qui en doute
[115e] SOCRATE
Et tu souhaites les unes et repousses les autres
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Nest-ce pas que tu trouves les unes tregraves bonnes et les autres tregraves mauvaises
ALCIBIADE
Sans difficulteacute [page]SOCRATE
Tu reconnais donc toi-mecircme que secourir son ami agrave la guerre cest une chose honnecircte par son rapport au bien qui est la vaillance
ALCIBIADE
Oui je le reconnais
SOCRATE
Et que cest une chose mauvaise par son rapport au mal cest-agrave-dire agrave la mort
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Il suit quon doit appeler chaque action selon ce quelle produit si tu lappelles bonne quand il en revient du bien [116a] il faut aussi lappeler mauvaise quand il en revient du mal
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Une action nest-elle pas honnecircte en tant quelle est bonne et deacuteshonnecircte en tant quelle est mauvaise
ALCIBIADE
Sans contredit
SOCRATE
Ainsi lorsque tu dis que de secourir son ami dans les combats cest une action honnecircte et [page]en mecircme temps une action mauvaise cest comme si tu disais quelle est bonne et quelle est
mauvaise
ALCIBIADE
Il me paraicirct que tu dis assez vrai
2568
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Il ny a donc rien dhonnecircte qui soit mauvais en tant quhonnecircte ni rien de deacuteshonnecircte qui soit bon en ce quil est deacuteshonnecircte
[116b] ALCIBIADE
Cela me paraicirct ainsi
SOCRATE
Continuons et consideacuterons la chose dune autre faccedilon Vivre honnecirctement nest-ce pas bien vivre
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et bien vivre nest-ce pas ecirctre heureux[13]
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Nest-on pas heureux par la possession du bien [page]ALCIBIADE
Tregraves certainement
SOCRATE
Et le bien nest-ce pas en vivant bien quon lacquiert
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Bien vivre est donc un bien
ALCIBIADE
Qui en doute
SOCRATE
Et bien vivre cest vivre honnecirctement
ALCIBIADE
Oui
[116c] SOCRATE
Lhonnecircte et le bien nous paraissent donc la mecircme chose
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Et par conseacutequent tout ce que nous trouverons honnecircte nous devons le trouver bon
2668
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ALCIBIADE
Neacutecessairement [page]SOCRATE
Eh bien ce qui est bon est-il utile on non
ALCIBIADE
Utile
SOCRATE
Te souviens-tu de ce dont nous sommes convenus relativement agrave la justice
ALCIBIADE
Il me semble que nous sommes convenus que ce qui est juste est honnecircte
SOCRATE
Et que ce qui est honnecircte est bon
ALCIBIADE
Oui
[116d] SOCRATE
Et que ce qui est bon est utile
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Par conseacutequent Alcibiade tout ce qui est juste est utile
ALCIBIADE
Il me semble
SOCRATE
Prends bien garde que cest toi qui assures tout cela car pour moi je ne fais quinterroger [page]ALCIBIADE
Jen ai bien lair
SOCRATE
Si quelquun donc pensant bien connaicirctre la nature de la justice entrait dans lassembleacutee des Atheacuteniens on des Peacutepareacutethiens[14] et quil leur dicirct quil sait tregraves certainement que les actions justes sont quelquefois mauvaises ne te moquerais-tu pas de lui toi qui viens de dire toi-mecircme [116e] que la justice et lutiliteacute sont la mecircme chose
ALCIBIADE
Par les dieux je te jure Socrate que je ne sais ce que je dis et veacuteritablement il me semble que jai perdu lesprit car les choses me paraissent tantocirct dune maniegravere et tantocirct dune autre selon que tu minterroges
SOCRATE
Ignores-tu mon cher la cause de ce deacutesordre
2768
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ALCIBIADE
Je lignore parfaitement
SOCRATE
Et si quelquun te demandait si tu as deux yeux ou trois yeux deux mains ou quatre mains [page]ou quelque autre chose pareille penses-tu que tu reacutepondisses tantocirct dune faccedilon et tantocirct
dune autre ou ne reacutepondrais-tu pas toujours de la mecircme maniegravere
[117a] ALCIBIADE
Je commence agrave me fort deacutefier de moi-mecircme Pourtant je crois quen effet je reacutepondrais de la mecircme maniegravere
SOCRATE
Et nest-ce pas parce que tu sais ce qui en est Nen est-ce pas lagrave la cause
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Si donc tu reacuteponds si diffeacuteremment malgreacute toi sur la mecircme chose cest une marque infaillible que tu lignores
ALCIBIADE
Il y a de lapparence
SOCRATE
Or tu avoues que tu es flottant dans tes reacuteponses sur le juste et linjuste sur lhonnecircte et le malhonnecircte sur le bien et le mal sur lutile et son contraire nest-il pas eacutevident que cette incertitude vient de ton ignorance
[117b] ALCIBIADE
Cela paraicirct bien vraisemblable [page]SOCRATE
Cest donc une maxime certaine que lesprit est neacutecessairement flottant sur ce quil ignore
ALCIBIADE
Comment en serait-il autrement
SOCRATE
Dis-moi sais-tu comment tu pourrais monter au ciel
ALCIBIADE
Non par Jupiter je te jure
SOCRATE
Et ton esprit est-il flottant lagrave-dessus
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
2868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
En sais-tu la raison ou te la dirai-je
ALCIBIADE
Dis
SOCRATE
Cest mon ami que ne sachant pas le moyen de monter au ciel tu ne crois pas le savoir
[117c] ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Vois un peu avec moi Quand tu ignores une chose et que tu sais que tu lignores es-tu in- [page]certain et flottant sur cette chose-lagrave Par exemple lart de la cuisine ne sais-tu pas que tu
lignores
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Tamuses-tu donc agrave raisonner sur cet art et dis-tu tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre Ne laisses-tu pas plutocirct faire celui dont cest le meacutetier
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Et si tu eacutetais sur un vaisseau te mecirclerais-tu de dire ton avis [117d] sil faut tourner le gouvernail en dedans ou en dehors Et comme tu ne sais pas lart de naviguer heacutesiterais-tu entre plusieurs opinions ou ne laisserais-tu pas plutocirct faire le pilote
ALCIBIADE
Je laisserais faire le pilote
SOCRATE
Tu nes donc jamais flottant et incertain sur les choses que tu ne sais pas pourvu que tu saches que tu ne les sais pas
ALCIBIADE
Non agrave ce quil me semble [page]SOCRATE
Tu comprends donc bien que toutes les fautes que lon commet ne viennent que de cette sorte dignorance qui fait quon croit savoir ce quon ne sait pas
ALCIBIADE
Reacutepegravete-moi cela je te prie
SOCRATE
Ce qui nous porte agrave entreprendre une chose nest-ce pas lopinion ougrave nous sommes que nous la savons faire
2968
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ALCIBIADE
Qui en doute
[117e] SOCRATE
Et lorsquon est persuadeacute quon ne la sait pas ne la laisse-t-on pas agrave dautres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ainsi ceux qui sont dans cette derniegravere sorte dignorance ne font jamais de fautes parce quils laissent agrave dautres le soin des choses quils ne savent pas faire
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Qui sont donc ceux qui commettent des fau- [page]tes Car ce ne sont pas ceux qui savent les choses
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Puisque ce ne sont ni ceux qui savent les choses ni ceux qui les ignorent [118a] mais qui savent quils les ignorent que reste-t-il que ceux qui ne les sachant pas croient pourtant les savoir
ALCIBIADE
Non il ny en a pas dautres
SOCRATE
Et voilagrave lignorance qui est la cause de tous les maux la sottise quon ne saurait trop fleacutetrir
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Et quand elle tombe sur les choses de la plus grande importance nest-ce pas alors quelle est pernicieuse et honteuse au plus haut degreacute
ALCIBIADE
Peut-on le nier
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelque chose qui soit de plus grande importance que le juste lhonnecircte le bien et lutile [page]ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
3068
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Et nest-ce pas sur ces choses-lagrave que tu dis toi-mecircme que tu es flottant et incertain
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cette incertitude dapregraves ce que nous avons dit nest-elle pas une preuve que [118b] non seulement tu ignores les choses les plus importantes mais que les ignorant tu crois pourtant les savoir
ALCIBIADE
Jen ai bien peur
SOCRATE
O dieux en quel eacutetat deacuteplorable es-tu Alcibiade je nose le nommer Cependant puisque nous sommes seuls il faut te le dire mon cher Alcibiade tu es dans la pire espegravece dignorance comme tes paroles le font voir et comme tu le teacutemoignes contre toi-mecircme Voilagrave pourquoi tu tes jeteacute dans la politique avant de lavoir apprise Et tu nes pas le seul qui soit dans cet eacutetat il test commun avec la plupart de ceux qui se mecirclent des affaires [118c] de la reacutepublique je nen excepte quun petit nombre et peut-ecirctre le seul Peacutericlegraves ton tuteur [page]ALCIBIADE
Aussi dit-on Socrate quil nest pas devenu si habile de lui-mecircme mais quil a eu commerce avec plusieurs habiles gens comme Pythoclidegraves[15] et Anaxagore[16] et encore aujourdhui agrave lacircge ougrave il est il passe sa vie avec Damon[17] dans le dessein de sinstruire
SOCRATE
As-tu deacutejagrave vu quelquun qui sucirct une chose et qui ne pucirct lenseigner agrave un autre Ton maicirctre agrave lire ta enseigneacute ce quil savait et il la enseigneacute agrave tous ceux quil a voulu
ALCIBIADE
Oui
[118d] SOCRATE
Et toi qui las appris de lui tu pourrais lenseigner agrave un autre
ALCIBIADE
Oui [page]SOCRATE
Il en est de mecircme du maicirctre de musique et du maicirctre dexercices
ALCIBIADE
Certainement
SOCRATE
Car cest une belle marque quon sait bien une chose quand on est en eacutetat de lenseigner aux autres
ALCIBIADE
Il me le semble
SOCRATE
Mais peux-tu me nommer quelquun que Peacutericlegraves ait rendu habile agrave commencer par ses propres
3168
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
enfants
[118e] ALCIBIADE
Quoi et si Peacutericlegraves na eu pour enfants que des imbeacuteciles[18]
SOCRATE
Et Clinias ton fregravere
ALCIBIADE
Mais tu me parles lagrave dun fou
SOCRATE
Si Clinias est fou et que les enfants de Peacutericlegraves soient des imbeacuteciles dougrave vient que Peacuteri- [page]clegraves a neacutegligeacute un aussi heureux naturel que le tien
ALCIBIADE
Cest moi seul je pense qui en suis cause en ne mappliquant point du tout agrave ce quil me dit
[119a] SOCRATE
Mais parmi tous les Atheacuteniens et parmi les eacutetrangers libres ou esclaves peux-tu men nommer un seul que le commerce de Peacutericlegraves ait rendu plus habile comme je te nommerai un Pythodore fils dIsolochus et un Callias fils de Calliade qui pour cent mines sont tous deux devenus tregraves habiles dans leacutecole de Zenon[19]
ALCIBIADE
Vraiment je ne le saurais
SOCRATE
A la bonne heure Mais que preacutetends-tu faire de toi Alcibiade Veux-tu demeurer comme tu es ou prendre un peu soin de toi
[119b] ALCIBIADE
Deacutelibeacuterons-en tous les deux Socrate Jentends fort bien ce que tu dis et jen demeure daccord oui tous ceux qui se mecirclent des affaires de la [page]reacutepublique ne sont que des ignorants excepteacute un tregraves petit nombre
SOCRATE
Et apregraves cela
ALCIBIADE
Sils eacutetaient instruits il faudrait que celui qui preacutetend devenir leur rival travaillacirct et sexerccedilacirct pour entrer en lice avec eux comme avec des athlegravetes mais puisque sans avoir pris le soin de sinstruire ils ne laissent pas de se mecircler du gouvernement quest-il besoin de sexercer et de se donner tant de peine pour apprendre Je suis bien assureacute quavec les seuls secours [119c] de la nature je les surpasserai
SOCRATE
Ah mon cher Alcibiade que viens-tu de dire lagrave Quel sentiment indigne de cet air noble et des autres avantages que tu possegravedes
ALCIBIADE
3268
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Comment Socrate Explique-toi
SOCRATE
Ah je suis deacutesoleacute pour notre amitieacute si
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Si tu penses navoir agrave lutter que contre des gens de cette sorte [page]ALCIBIADE
Et contre qui donc
[119d] SOCRATE
Est-ce lagrave la demande dun homme qui croit avoir lacircme grande
ALCIBIADE
Que veux-tu dire Ces gens-lagrave ne sont-ils pas les seuls que jaie agrave redouter
SOCRATE
Si tu avais agrave conduire un vaisseau de guerre qui ducirct bientocirct combattre te contenterais-tu decirctre plus habile dans la manœuvre que le reste de ton eacutequipage ou ne te proposerais-tu pas outre cela de surpasser aussi tes veacuteritables adversaires et non comme aujourdhui tes compagnons au-dessus desquels tu dois si fort te mettre [119e] quils ne pensent pas agrave lutter contre toi mais seulement dans le sentiment de leur infeacuterioriteacute agrave taider contre lennemi si toutefois tu as reacuteellement en vue de faire quelque chose de grand digne de toi et de la reacutepublique
ALCIBIADE
Oui cest ce que jai reacuteellement en vue
SOCRATE
En veacuteriteacute est-il bien digne dAlcibiade de se contenter decirctre le premier de nos soldats au lieu de se mettre devant les yeux les geacuteneacuteraux [page]ennemis de sefforcer de leur devenir supeacuterieur et de sexercer sur leur modegravele
[120a] ALCIBIADE
Qui sont donc ces grands geacuteneacuteraux Socrate
SOCRATE
Ne sais-tu pas quAthegravenes est toujours en guerre avec les Laceacutedeacutemoniens ou avec le grand Roi
ALCIBIADE
Je le sais
SOCRATE
Si donc tu penses agrave te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens il faut que tu te preacutepares aussi agrave combattre les rois de Laceacutedeacutemone et les rois de Perse
ALCIBIADE
Tu pourrais bien dire vrai
3368
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Oh non mon cher Alcibiade les eacutemules dignes de toi cest un Midias si habile agrave nourrir des cailles[20] [120b] et autres gens de cette espegravece qui simmiscent dans le gouvernement et qui gracircce agrave leur grossiegravereteacute semblent navoir point encore coupeacute la chevelure de lesclave comme disent les bonnes femmes et la porter dans leur acircme[21] [page]vrais barbares au milieu dAthegravenes et courtisans du peuple plutocirct que ses chefs Voilagrave les
gens que tu dois te proposer pour modegraveles sans penser agrave toi-mecircme sans rien apprendre de ce que tu devrais savoir voilagrave la noble lutte quil te faut instituer et sans avoir fait aucun bon exercice [120c] aucun autre preacuteparatif cest dans cet eacutetat quil faut aller te mettre agrave la tecircte des Atheacuteniens
ALCIBIADE
Mais je ne suis guegravere eacuteloigneacute Socrate deacutepenser comme toi cependant je mimagine que les geacuteneacuteraux de Laceacutedeacutemone et le roi de Perse sont comme les autres
SOCRATE
Regarde un peu mon cher Alcibiade quelle opinion tu as lagrave
ALCIBIADE
Quelle opinion
SOCRATE
Premiegraverement qui te portera agrave avoir plus de soin de toi [120d] ou de te former de ces hommes une haute ideacutee qui te les rende redoutables ou de les deacutedaigner [page]ALCIBIADE
Assureacutement cest de men former une haute ideacutee
SOCRATE
Et crois-tu donc que ce soit un mal pour toi que davoir soin de toi-mecircme
ALCIBIADE
Au contraire je suis persuadeacute que ce serait un grand bien
SOCRATE
Ainsi cette opinion que tu as conccedilue de tes ennemis est deacutejagrave un grand mal
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
En second lieu il y a toute apparence quelle est fausse
ALCIBIADE
Comment cela
SOCRATE
Ny a-t-il pas toute appa- [page]rence que les meilleures natures se trouvent dans les hommes [120e] dune grande naissance
ALCIBIADE
Certainement
3468
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Et ceux qui agrave cette grande naissance joignent une bonne eacuteducation ny a-t-il pas apparence quils ont tout ce qui est neacutecessaire agrave la vertu
ALCIBIADE
Cela est indubitable
SOCRATE
Voyons donc en nous comparant avec les rois de Laceacutedeacutemone et de Perse sils sont de moindre naissance que nous Ne savons-nous pas que les premiers descendent dHercule et les derniers dAcheacutemeacutenegraves[22] et que le sang dHercule et dAcheacutemeacutenegraves remonte jusquagrave Jupiter
[121a] ALCIBIADE
Et ma famille Socrate ne descend-elle pas dEurisacegraves et Eurisacegraves ne remonte-t-il pas jusquagrave Jupiter
SOCRATE
Et la mienne aussi mon cher Alcibiade ne vient-elle pas de Deacutedale et Deacutedale ne nous ramegravene-t-il pas jusquagrave Vulcain fils de Jupiter[23] Mais la diffeacuterence quil y a entre eux et nous cest quils remontent jusquagrave Jupiter par une gradation continuelle de rois sans aucune interruption les uns qui ont eacuteteacute rois dArgos et de Laceacutedeacutemone et les autres qui ont toujours [page]reacutegneacute sur la Perse et souvent sur lAsie comme aujourdhui au lieu que nos aiumleux nont eacuteteacute
que de simples particuliers comme nous [121b] Si tu eacutetais obligeacute de montrer agrave Artaxerce fils de Xerxegraves tes ancecirctres et la patrie dEurisacegraves Salamine ou Eacutegine celle dEacuteaque plus ancien quEurisacegraves quel sujet de riseacutee ne lui donnerais-tu pas Mais voyons si nous ne sommes pas aussi infeacuterieurs du cocircteacute de leacuteducation que du cocircteacute de la naissance Ne ta-t-on jamais dit quels grands avantages ont en cela les rois de Laceacutedeacutemone dont les femmes sont en vertu dune loi gardeacutees par les Eacutephores afin quon soit assureacute autant quil est possible quelles ne donneront des rois que de [121c] la race dHercule Et sous ce rapport le roi de Perse est encore si fort au-dessus des rois de Laceacutedeacutemone que personne na seulement le soupccedilon que la reine puisse avoir un fils qui ne soit pas le fils du roi cest pourquoi elle na dautre garde que la crainte A la naissance du premier neacute qui doit monter sur le trocircne tous les peuples de ce grand empire ceacutelegravebrent cet eacuteveacutenement par des fecirctes et chaque anneacutee le jour de la naissance du roi est un jour de fecirctes et de sacrifices pour toute lAsie tandis que nous [121d] lorsque nous venons au monde mon cher Alcibiade on peut nous appliquer ce mot du poegravete comique [page]A peine nos voisins sen aperccediloivent-ils[24]
Ensuite lenfant est remis aux mains non dune femme dune nourrice de peu de valeur mais des plus vertueux eunuques de la cour qui entre autres soins dont ils sont chargeacutes ont celui de former et de faccedilonner ses membres afin quil ait la taille la plus belle possible et cet emploi leur attire [121e] une haute consideacuteration Quand lenfant a sept ans on le met entre les mains des eacutecuyers et on commence agrave le mener agrave la chasse agrave quatorze il passe entre les mains de ceux quon appelle preacutecepteurs du roi Ce sont les quatre hommes de Perse qui ont la plus grande renommeacutee de meacuterite ils sont dans la vigueur de lacircge lun passe pour le plus savant lautre pour le plus juste le troisiegraveme pour le plus sage et le quatriegraveme pour le [122a] plus vaillant Le premier lui enseigne les mystegraveres de la sagesse de Zoroastre fils dOromaze cest-agrave-dire la religion il lui enseigne aussi tout ce qui se rapporte aux devoirs dun roi Le juste lui apprend agrave dire toujours la veacuteriteacute fucirct-ce contre lui-mecircme Le sage linstruit agrave ne se laisser jamais vaincre par ses passions et par-lagrave agrave se [page]maintenir toujours libre et vraiment roi en se gouvernant dabord lui-mecircme Le vaillant
lexerce agrave ecirctre intreacutepide et sans peur car degraves quil craint il est esclave Mais toi Alcibiade [122b]
3568
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Peacutericlegraves ta donneacute pour preacutecepteur celui de ses esclaves que sa vieillesse rendait incapable de tout autre emploi Zopire le Thrace Je te rapporterais ici toute la suite de leacuteducation de tes adversaires si cela neacutetait pas trop long et si ce que jai dit ne suffisait pour en faire voir les conseacutequences Quant agrave ta naissance Alcibiade agrave ton eacuteducation et agrave celle daucun autre Atheacutenien personne ne sen met en peine agrave vrai dire agrave moins que tu naies un ami qui sen occupe Veux-tu faire attention aux richesses [122c] agrave la somptuositeacute agrave leacuteleacutegance des Perses agrave la magnificence de leurs habits agrave la recherche de leurs parfums agrave la foule desclaves qui les accompagnent enfin agrave tous les deacutetails de leur luxe tu auras honte de toi-mecircme en te voyant si au-dessous Veux-tu jeter les yeux sur la tempeacuterance des Laceacutedeacutemoniens sur leur modestie leur faciliteacute leur douceur leur magnanimiteacute leur bon ordre en toutes choses leur valeur leur fermeteacute leur patience leur noble eacutemulation et leur amour pour la gloire dans toutes ces grandes qualiteacutes tu ne te trouveras quun enfant [122d] aupregraves deux Veux-tu par hasard quon prenne garde aux ri- [page]chesses et penses-tu avoir quelque avantage de ce cocircteacute-lagrave Je veux bien en parler ici pour
que tu te mettes agrave ta veacuteritable place Considegravere les richesses des Laceacutedeacutemoniens et tu verras combien elles sont supeacuterieures aux nocirctres Personne noserait comparer nos terres avec celles de Sparte et de Messegravene pour leacutetendue et la bonteacute pour le nombre desclaves sans compter les Ilotes pour les chevaux et les autres troupeaux qui paissent dans les pacircturages [122e] de Messegravene Mais sans parler de toutes ces choses il y a moins dor et dargent dans toute la Gregravece ensemble que dans Laceacutedeacutemone seule car depuis peu largent de toute la Gregravece et souvent mecircme celui de leacutetranger entre dans Laceacutedeacutemone et nen sort jamais [123a] Veacuteritablement comme dit le Renard au Lion dans Eacutesope je vois fort bien les traces de largent qui entre agrave Laceacutedeacutemone mais je nen vois point de largent qui en sort Il est donc certain que les Laceacutedeacutemoniens sont les plus riches des Grecs et que le roi est le plus riche deux tous car outre ses revenus particuliers qui sont consideacuterables le tribut royal que les Laceacutedeacutemoniens paient agrave leurs rois [123b] nest pas peu de chose Mais si la richesse des Laceacutedeacutemoniens paraicirct si grande aupregraves de celle des autres Grecs elle nest rien aupregraves de celle du roi de Perse Jai ouiuml dire agrave un homme digne de foi qui avait [page]eacuteteacute du nombre des ambassadeurs quon envoya au grand roi je lui ai ouiuml dire quil avait fait
une grande journeacutee de chemin dans un pays vaste et fertile que les habitants appellent la Ceinture de la Reine quil y en avait un autre quon appelle [123c] le Voile de la Reine et quil y avait plusieurs autres grandes et belles provinces uniquement destineacutees agrave lhabillement de la reine et qui avaient chacune le nom des parures quelles devaient fournir Si donc quelquun allait dire agrave la femme de Xerxegraves agrave Amestris megravere du roi actuel Il y a agrave Athegravenes un homme qui meacutedite de faire la guerre agrave Artaxerce cest le fils dune femme nommeacutee Dinomaque dont toute la parure vaut peut-ecirctre au plus cinquante mines et lui pour tout bien na pas trois cents arpents de terre agrave Erchies[25] elle demanderait avec surprise [123d] sur quoi sappuie cet Alcibiade pour attaquer Artaxerce et je pense quelle dirait Il ne peut sappuyer que sur ses soins et son habileteacute car voilagrave les seules choses dont on fasse cas parmi les Grecs Mais quand on lui aurait dit que cet Alcibiade est un jeune homme qui na pas encore vingt ans sans nulle sorte dexpeacuterience et si preacutesomptueux que [page]lorsque son ami lui repreacutesente quil doit avant tout avoir soin de lui [123e] sinstruire
sexercer et alors seulement aller faire la guerre au grand roi il ne veut pas et dit quil est assez bon pour cela tel quil est je pense que sa surprise serait encore bien plus grande et quelle demanderait Sur quoi donc sappuie ce jeune homme Et si nous lui reacutepondions Il sappuie sur sa beauteacute sur sa taille sur sa richesse et quelque esprit naturel ne nous prendrait-elle pas pour des fous songeant en quel degreacute elle trouve chez elle tous ces avantages Et je crois bien que Lampyto fille [124a] de Leacuteotychidas femme dArchidamus megravere dAgis tous neacutes rois serait fort eacutetonneacutee si parmi tant davantages quelle rencontre chez elle on lui disait quaussi mal eacuteleveacute que tu las eacuteteacute tu tes mis en tecircte de faire la guerre agrave son fils Eh nest-ce pas une honte que les femmes de nos ennemis sachent mieux que nous-mecircmes ce que nous devrions ecirctre pour leur faire la guerre Ainsi mon cher Alcibiade suis mes conseils et obeacuteis au preacutecepte eacutecrit sur la porte du temple de Delphes Connais-toi [124b] toi-
3668
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
mecircme Car les ennemis que tu auras agrave combattre sont tels que je te les repreacutesente et non tels que tu te les es figureacutes Il faut pour les vaincre du soin et de lhabileteacute si tu y renonces il te faut renoncer aussi agrave la gloire [page][124d] ALCIBIADE
Tu plaisantes Socrate
SOCRATE
Peut-ecirctre mais enfin je te dis la veacuteriteacute cest quen fait de soin nous devons en avoir beaucoup de nous-mecircme tous les hommes en geacuteneacuteral et nous deux encore plus que les autres
ALCIBIADE
Moi certainement Socrate
SOCRATE
Et moi tout autant
ALCIBIADE
Mais comment prendre soin de nous-mecircme
SOCRATE
Cest ici mon ami quil faut chasser la paresse et la mollesse
ALCIBIADE
En effet elles seraient assez deacuteplaceacutees
SOCRATE
Tregraves deacuteplaceacutees assureacutement Mais examinons ensemble [124e] Dis-moi ne voulons-nous pas nous rendre tregraves bons
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et dans quel genre [page]SOCRATE
Quelles affaires donc
ALCIBIADE
Les affaires qui occupent nos meilleurs Atheacuteniens
[125a] SOCRATE
Quentends-tu par nos meilleurs Atheacuteniens Sont-ce les insenseacutes ou les hommes de sens
ALCIBIADE
Les hommes de sens
SOCRATE
Ainsi tout homme de sens est bon
ALCIBIADE
3768
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Oui
SOCRATE
Et tout insenseacute mauvais
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais un cordonnier a tout le sens neacutecessaire pour faire des souliers il est donc bon pour cela
ALCIBIADE
Fort bon
SOCRATE
Mais le cordonnier est tout-agrave-fait deacutepourvu de gens pour faire des habits [page]ALCIBIADE
Oui
[125b] SOCRATE
Et par conseacutequent il est mauvais pour cela
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Il suit de lagrave que ce mecircme homme est agrave la fois bon et mauvais
ALCIBIADE
Il semble
SOCRATE
Tu dis donc que les hommes bons sont aussi mauvais
ALCIBIADE
Point du tout
SOCRATE
Quentends-tu donc par hommes bons
ALCIBIADE
Ceux qui savent gouverner
SOCRATE
Gouverner quoi Les chevaux
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Les hommes
3868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
[page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Les malades
ALCIBIADE
Eh non
SOCRATE
Ceux qui naviguent
ALCIBIADE
Je ne dis pas cela
SOCRATE
Ceux qui font les moissons
ALCIBIADE
Non pas
[125c] SOCRATE
Qui donc Ceux qui font quelque chose ou ceux qui ne font rien
ALCIBIADE
Ceux qui font quelque chose
SOCRATE
Et qui font quoi Tacircche de me le faire comprendre
ALCIBIADE
Ceux qui traitent ensemble et qui se servent les uns des autres comme nous vivons dans la socieacuteteacute [page]SOCRATE
Cest donc gouverner des hommes qui se servent dautres hommes
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Gouverner par exemple les bossemans qui se servent de rameurs
ALCIBIADE
Non pas
SOCRATE
Car cela appartient agrave lart du pilote
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
3968
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Est-ce donc gouverner les joueurs de flucircte [125d] qui commandent aux musiciens et se servent des danseurs
ALCIBIADE
Non pas davantage
SOCRATE
Car cela regarde lart du maicirctre des chœurs
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Quattends-tu donc par gouverner des hommes qui se servent des autres hommes [page]ALCIBIADE
Jentends que cest gouverner des hommes qui vivent ensemble sous lempire des lois et forment une socieacuteteacute politique
SOCRATE
Et quel est lart qui apprend agrave les gouverner Comme par exemple si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner tous ceux qui forment leacutequipage dun navire
ALCIBIADE
Cest lart du pilote
[125e] SOCRATE
Et si je te demandais quel est lart qui enseigne agrave gouverner ceux qui forment le chœur comme nous disions tout agrave lheure
ALCIBIADE
Cest lart du maicirctre de chœur comme tu disais
SOCRATE
Eh bien comment appelles-tu lart de gouverner ceux qui forment une association politique
ALCIBIADE
Pour moi Socrate je lappelle lart de bien conseiller
SOCRATE
Comment lart du pilote est-il lart de donner de mauvais conseils [page]ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Nest-ce pas aussi lart den donner de bons
[126a] ALCIBIADE
Assureacutement pour le salut de ceux qui sont dans le vaisseau
SOCRATE
4068
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Fort bien dit Maintenant de quels bons conseils veux-tu donc parler et agrave quoi est-ce quils tendent
ALCIBIADE
Ils tendent au salut de la socieacuteteacute et agrave son meilleur eacutetat
SOCRATE
Et quelle est la chose dont la preacutesence ou labsence soutient la socieacuteteacute et lui procure son meilleur eacutetat Si tu me demandais Quest-ce qui doit ecirctre et necirctre point dans un corps pour faire quil soit sain et dans le meilleur eacutetat Je te reacutepondrais sur le champ que ce qui doit y ecirctre cest la santeacute et ce qui doit ny ecirctre pas cest la maladie Ne le crois-tu pas comme moi
[126b] ALCIBIADE
Tout comme toi
SOCRATE
Et si tu me demandais la mecircme chose sur lœil [page]je te reacutepondrais de mecircme que lœil est dans le meilleur eacutetat quand la vue y est et que la
ceacuteciteacute ny est pas Et les oreilles aussi quand elles ont tout ce quil faut pour bien entendre et quil ny a aucune surditeacute elles sont tregraves bien et dans leacutetat le meilleur possible
ALCIBIADE
Cela est juste
SOCRATE
Et une socieacuteteacute quest-ce qui doit y ecirctre ou ny ecirctre pas pour quelle soit tregraves bien et dans le meilleur eacutetat
[126c] ALCIBIADE
Il me semble Socrate que cest quand lamitieacute est entre tous les citoyens et que la haine et la division ny sont point
SOCRATE
Quappelles-tu amitieacute est-ce la concorde ou la discorde
ALCIBIADE
La concorde
SOCRATE
Quel est lart qui fait sur les nombres
ALCIBIADE
Larithmeacutetique [page]SOCRATE
Nest-ce pas elle aussi qui fait que sur cela les particuliers saccordent entre eux
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et chacun avec lui-mecircme
4168
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Et quel est lart qui fait que chacun est daccord avec lui-mecircme [126d] sur la grandeur relative dune palme et dune coudeacutee Nest-ce pas lart de mesurer
ALCIBIADE
Et lequel donc
SOCRATE
Et les eacutetats et les particuliers saccordent par lagrave
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et sur ce point nest-ce pas la mecircme chose
ALCIBIADE
La mecircme chose
SOCRATE
Et la concorde dont tu parles quelle est-elle En quoi consiste-t-elle Et quel est lart [page]qui la produit Celle dun eacutetat est-ce celle du particulier qui le fait ecirctre daccord avec lui-
mecircme et avec les autres
ALCIBIADE
Mais il me semble du moins
SOCRATE
Quelle est-elle donc je te prie Ne te lasse point de me reacutepondre et [126e] instruis-moi par chariteacute
ALCIBIADE
Je crois que cest cette amitieacute et cette concorde par laquelle un pegravere et une megravere saccordent avec leurs enfants un fregravere avec son fregravere une femme avec son mari
SOCRATE
Mais penses-tu quun mari puisse ecirctre daccord avec sa femme sur ses ouvrages de laine quelle entend agrave merveille lui qui ny entend rien
ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Il ne le faut pas mecircme le moins du monde car cest un talent de femme
ALCIBIADE
Oui
[127a] SOCRATE
4268
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Est-il possible quune femme saccorde avec [page]son mari sur ce qui regarde les armes elle qui ne sait ce que cest
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Car dirais-tu peut-ecirctre cest un talent dhomme
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Il y a donc selon toi des talents de femmes et dautres reacuteserveacutes aux hommes
ALCIBIADE
Pourrait-on le nier
SOCRATE
Il est donc impossible que sur cela les femmes soient daccord avec leurs maris
ALCIBIADE
Tout-agrave-fait
SOCRATE
Et par conseacutequent il ny aura point damitieacute puisque lamitieacute nest que la concorde
ALCIBIADE
Non agrave ce quil paraicirct
SOCRATE
Ainsi quand une femme fera ce quelle doit faire elle ne sera pas aimeacutee de son mari [page][127b] ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Et quand un mari fera ce quil doit faire il ne sera pas aimeacute de sa femme
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Ce nest donc pas quand chacun fait ce quil doit faire que la socieacuteteacute va bien
ALCIBIADE
Si fait je le crois Socrate
SOCRATE
Comment dis-tu Une socieacuteteacute ira bien sans que lamitieacute y regravegne Ne sommes-nous pas convenus que cest par lamitieacute quUn eacutetat est bien reacutegleacute et quautrement il ny a que deacutesordre et confusion
4368
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ALCIBIADE
Mais il me semble que cest cela mecircme qui produit lamitieacute que chacun fasse ce quil a agrave faire
[127c] SOCRATE
Ce nest pas du moins ce que tu disais tout agrave lheure mais comment dis-tu donc preacutesentement Sans la concorde peut-il y avoir amitieacute Et peut-il y avoir de la concorde sur les affaires [page]que les uns savent et que les autres ne savent pas
ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Quand chacun fait ce quil doit faire chacun fait-il ce qui est juste ou ce qui est injuste
ALCIBIADE
Belle demande chacun fait ce qui est juste
SOCRATE
Quand donc tous les citoyens dun eacutetat font ce qui est juste ils iie sauraient pourtant saimer
ALCIBIADE
Mais la conseacutequence semble neacutecessaire
[127d] SOCRATE
Quelle est donc cette amitieacute ou cette concorde dont nous devons connaicirctre le secret et sur laquelle nous devons savoir donner de sages conseils pour devenir bons citoyens Car je ne puis comprendre en quoi elle consiste ni en qui elle se trouve tantocirct on la trouve en certaines personnes tantocirct on ne ly trouve plus comme il semble par tes paroles
ALCIBIADE
Par les dieux je te reacutepegravete Socrate que je ne sais moi-mecircme ce que je dis et je cours [page]grand risque decirctre depuis longtemps sans men ecirctre aperccedilu dans le plus mauvais eacutetat
SOCRATE
Ne perds pas courage Alcibiade si tu ne sentais ton eacutetat [127e] quagrave lacircge de cinquante ans il te serait difficile dy apporter du remegravede mais agrave lacircge ougrave tu es voilagrave justement le temps de le sentir
ALCIBIADE
Mais quand on le sent que faut-il faire
SOCRATE
Reacutepondre agrave quelques questions Alcibiade Si tu le fais jespegravere quavec le secours de Dieu toi et moi nous deviendrons meilleurs au moins sil faut ajouter foi agrave ma propheacutetie
ALCIBIADE
Cela ne peut manquer sil ne tient quagrave reacutepondre
SOCRATE
Voyons donc Quest-ce quavoir soin de soi de peur quil ne nous arrive souvent [128a] sans que nous nous en apercevions davoir soin de toute autre chose que de nous quand nous croyons en avoir soin Quand un homme a-t-il reacuteellement soin de lui Quand il a soin des choses qui sont agrave lui a-t-il soin de
4468
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
lui-mecircme
ALCIBIADE
Il me le semble [page]SOCRATE
Comment Quand un homme a-t-il soin de ses pieds Est-ce quand il a soin des choses qui sont agrave lusage de ses pieds
ALCIBIADE
Je ne tentends pas
SOCRATE
Ne connais-tu rien qui soit agrave lusage de la main Par exemple une bague pour quelle partie du corps est-elle faite Nest-ce pas pour le doigt
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
De mecircme les souliers ne sont-ils pas pour les pieds
[128b] ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Quand donc nous avons soin des souliers avons-nous soin des pieds
ALCIBIADE
En veacuteriteacute Socrate je ne tentends pas encore bien
SOCRATE
Eh quoi Alcibiade ne dis-tu pas quon a bien soin dune chose [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quand on rend une chose meilleure ne dis-tu pas quon en a bien soin
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et quel est lart qui rend les souliers meilleurs
ALCIBIADE
Lart du cordonnier
SOCRATE
Cest donc par lart du cordonnier que nous avons soin des souliers
[128c] ALCIBIADE
4568
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Oui
SOCRATE
Est-ce aussi par lart du cordonnier que nous avons soin de nos pieds ou nest-ce pas par lart qui rend le pied meilleur
ALCIBIADE
Cest par celui-lagrave
SOCRATE
Ne rendons-nous pas nos pieds meilleurs par le mecircme art qui rend tout notre corps meilleur [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et cet art nest-ce pas la gymnastique
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
SOCRATE
Cest donc par la gymnastique que nous avons soin de nos pieds et par lart du cordonnier que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de nos pieds
ALCIBIADE
Justement
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de nos mains et par lart de la joaillerie que nous avons soin des choses qui sont agrave lusage de la main
ALCIBIADE
Qui
SOCRATE
Cest par la gymnastique que nous avons soin de notre corps et par lart du tisserand et par plusieurs [128d] autres arts que nous avons soin des choses du corps
ALCIBIADE
Cela est hors de doute [page]SOCRATE
Et par conseacutequent lart par lequel nous avons soin de nous-mecircmes nest pas le mecircme que celui par lequel nous avons soin des choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Eacutevident
SOCRATE
Quand donc tu as soin des choses qui sont agrave toi tu nas pas soin de toi
ALCIBIADE
4668
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Nullement
SOCRATE
Car ce nest pas par le mecircme art agrave ce quil paraicirct quun homme a soin de lui et des choses qui sont agrave lui
ALCIBIADE
Non assureacutement
SOCRATE
Eh bien quel est lart par lequel nous pouvons avoir soin de nous-mecircmes
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire
[128e] SOCRATE
Nous sommes deacutejagrave convenus que ce nest pas [page]celui par lequel nous pouvons rendre meilleure quelquune des choses qui sont agrave nous mais
celui par lequel nous pouvons nous rendre meilleurs nous-mecircmes
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Mais pouvons-nous connaicirctre lart qui raccommode les souliers si nous ne savons auparavant ce que cest quun soulier
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Et lart qui arrange les bagues si nous ne savons auparavant ce que cest quune bague
ALCIBIADE
Cela ne se peut
SOCRATE
Quel moyen donc de connaicirctre lart qui nous rend meilleurs nous-mecircmes si nous ne savons ce que cest que nous-mecircmes
[129a] ALCIBIADE
Cela est absolument impossible
SOCRATE
Mais est-ce une chose bien facile que de se connaicirctre soi-mecircme et eacutetait-ce quelque ignorant qui avait eacutecrit ce preacutecepte sur le temple dApollon ou est-ce au contraire une chose tregraves difficile et peu commune [page]ALCIBIADE
Pour moi Socrate jai cru souvent que ceacutetait une chose commune et souvent aussi que ceacutetait une chose fort difficile
4768
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Mais Alcibiade que cela soit facile ou non toujours est-il que si nous le savons une fois nous saurons bientocirct quel soin nous devons avoir de nous-mecircmes et que si nous lignorons nous ne parviendrons jamais agrave connaicirctre la nature de ce soin
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
[129b] SOCRATE
Courage donc Par quel moyen trouverons-nous lessence absolue des choses Par lagrave nous trouverons bientocirct ce que nous sommes nous-mecircmes et si nous ignorons cette essence nous nous ignorerons toujours
ALCIBIADE
Tu dis vrai
SOCRATE
Suis-moi donc bien je ten conjure par Jupiter Avec qui tentretiens- tu preacutesentement Est-ce avec moi
ALCIBIADE
Oui cest avec toi [page]SOCRATE
Et moi avec toi
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Socrate qui parle
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Cest Alcibiade qui eacutecoute
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Cest avec la parole que Socrate parle
[129c] ALCIBIADE
Ougrave en veux-tu venir
SOCRATE
Parler et se servir de la parole est la mecircme chose
ALCIBIADE
4868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Sans doute
SOCRATE
Celui qui se sert dune chose et ce dont il se sert ne sont-ce pas des choses diffeacuterentes
ALCIBIADE
Comment dis-tu [page]SOCRATE
Un cordonnier par exemple se sert de tranchets dalecircnes et dautres instruments
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et celui qui se sert du tranchet est-il diffeacuterent de linstrument dont il se sert
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
De mecircme un homme qui joue de la lyre nest-il pas diffeacuterent de la lyre dont il joue
ALCIBIADE
Qui en doute
[129d] SOCRATE
Cest ce que je te demandais tout agrave lheure si celui qui se sert dune chose te paraicirct toujours diffeacuterent de ce dont il se sert
ALCIBIADE
Tregraves diffeacuterent
SOCRATE
Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de ses instruments ou ne coupe-t-il pas avec ses mains
ALCIBIADE
Avec ses mains aussi [page]SOCRATE
Il se sert donc de ses mains
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Et pour travailler il se sert aussi de ses yeux
ALCIBIADE
Aussi
SOCRATE
4968
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Et nous sommes tombeacutes daccord que celui qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose dont il se sert
ALCIBIADE
Nous en sommes tombeacutes daccord
SOCRATE
Le cordonnier et le joueur de lyre sont autre chose que les mains et [129e] les yeux dont ils se servent
ALCIBIADE
Cela est sensible
SOCRATE
Et lhomme se sert de tout son corps
ALCIBIADE
Fort bien
SOCRATE
Ce qui se sert dune chose est diffeacuterent de la chose qui sert [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Lhomme est donc autre chose que le corps qui est agrave lui
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Quest-ce donc que lhomme
ALCIBIADE
Je ne saurais le dire Socrate
SOCRATE
Tu pourrais au moins me dire que cest ce qui se sert du corps
ALCIBIADE
Cela est vrai
[130a] SOCRATE
Y a-t-il quelque autre chose qui se serve du corps que lacircme
ALCIBIADE
Non aucune autre
SOCRATE
Cest donc elle qui commande
ALCIBIADE
5068
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Tregraves certainement
SOCRATE
Et il ny a personne je crois qui ne soit forceacute de reconnaicirctre [page]ALCIBIADE
Quoi
SOCRATE
Que lhomme est Une de ces trois choses
ALCIBIADE
Lesquelles
SOCRATE
Ou lacircme ou le corps ou le composeacute de lun et de lautre
ALCIBIADE
Eh bien
SOCRATE
Or nous sommes convenus au moins que lhomme est ce qui commande au corps
[130b] ALCIBIADE
Nous en sommes convenus
SOCRATE
Le corps se commande-t-il donc agrave lui-mecircme
ALCIBIADE
Nullement
SOCRATE
Car nous avons dit que le corps ne commande pas mais quon lui commande
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Ce nest donc pas lagrave ce que nous cherchons [page]ALCIBIADE
Il ny a pas dapparence
SOCRATE
Mais est-ce donc le composeacute qui commande au corps Et ce composeacute est-ce lhomme
ALCIBIADE
Peut-ecirctre
SOCRATE
Rien moins que cela car lun ne commandant point comme lautre il est impossible que les deux
5168
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ensemble commandent
ALCIBIADE
Cela est incontestable
[130c] SOCRATE
Puisque ni le corps ni le composeacute de lacircme et du corps ne sont lhomme il ne reste plus je pense que cette alternative ou que lhomme ne soit rien absolument ou que lacircme seule soit lhomme
ALCIBIADE
Il est vrai
SOCRATE
Faut-il te deacutemontrer encore plus clairement que lacircme seule est lhomme
ALCIBIADE
Non je te jure cela est assez prouveacute [page]SOCRATE
Si nous navons pas tregraves approfondi cette veacuteriteacute elle est assez prouveacutee et cela suffit Nous lapprofondirons davantage quand nous arriverons agrave ce que nous mettons de cocircteacute [130d] maintenant comme dune recherche trop difficile
ALCIBIADE
Quest-ce donc
SOCRATE
Cest ce que nous avons dit tout agrave lheure quil fallait premiegraverement chercher agrave connaicirctre lessence absolue des choses mais au lieu de lessence absolue nous nous sommes arrecircteacutes agrave examiner lessence dune chose particuliegravere et peut-ecirctre cela suffira-t-il car apregraves tout nous ne saurions en nous-mecircmes remonter plus haut que notre acircme
ALCIBIADE
Non certainement
page 70
SOCRATE
Ainsi donc cest un principe quil faut admettre que lorsque nous nous entretenons ensemble toi et moi cest mon acircme qui sentretient avec la tienne
[130e] ALCIBIADE
Tout-agrave-fait [page]SOCRATE
Et cest ce que nous disions il ny a quun moment que Socrate parle agrave Alcibiade en adressant la parole non agrave sa figure comme il semble mais agrave Alcibiade lui-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme
ALCIBIADE
Cela est fort vraisemblable
SOCRATE
Celui qui nous ordonne de nous connaicirctre nous-mecircmes nous ordonne donc de connaicirctre notre acircme
5268
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
[131a] ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui connaicirct son corps connaicirct donc ce qui est agrave lui et non ce qui est lui
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ainsi un meacutedecin ne se connaicirct pas lui-mecircme en tant que meacutedecin ni un maicirctre de palestre entant que maicirctre de palestre
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
A plus forte raison les laboureurs et tous les [page]autres artisans sont-ils plus eacuteloigneacutes de se connaicirctre eux-mecircmes en effet ils ne connaissent
pas mecircme ce qui est agrave eux et leur art les attache agrave des choses qui leur sont encore plus eacutetrangegraveres [131b] que ce qui est immeacutediatement agrave eux car du corps ils ne connaissent que ce qui peut lui ecirctre utile
ALCIBIADE
Tout cela est tregraves vrai
SOCRATE
Si donc cest une sagesse de se connaicirctre soi-mecircme il ny a aucun deux qui soit sage par son art
ALCIBIADE
Je suis de ton avis
SOCRATE
Et voilagrave pourquoi tous ces arts paraissent ignobles et indignes de leacutetude dun honnecircte homme
ALCIBIADE
Cela est certain
SOCRATE
Ainsi pour revenir agrave notre principe tout homme qui a soin de son corps a soin de ce qui est agrave lui et non pas de lui
ALCIBIADE
Jen tombe daccord [page]SOCRATE
Tout homme qui aime les richesses ne saime ni lui ni [131c] ce qui est agrave lui mais une chose encore plus eacutetrangegravere que ce qui est agrave lui
ALCIBIADE
Il me le semble
5368
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Celui qui ne soccupe que des richesses ne fait donc pas ses propres affaires
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Si donc quelquun est amoureux du corps dAlcibiade ce nest pas Alcibiade quil aime mais une des choses qui appartiennent agrave Alcibiade
ALCIBIADE
Je le crois
SOCRATE
Celui qui aime Alcibiade cest celui qui aime son acircme
ALCIBIADE
Il le faut bien
SOCRATE
Voilagrave pourquoi celui qui naime que ton corps se retire degraves que ta beauteacute commence agrave passer [page]ALCIBIADE
Il est vrai
[131b] SOCRATE
Mais celui qui aime ton acircme ne se retire jamais tant que tu deacutesires et recherches la perfection
ALCIBIADE
Il semble au moins
SOCRATE
Et cest ce qui fait que je suis le seul qui ne te quitte point et te demeure fidegravele apregraves que la fleur de ta beauteacute est ternie et que tous tes amants se sont retireacutes
ALCIBIADE
Et tu fais bien Socrate ne me quitte point je te prie
SOCRATE
Travaille donc de toutes tes forces agrave devenir tous les jours plus beau
ALCIBIADE
Jy travaillerai
[131e] SOCRATE
Voilagrave bien ougrave tu en es Alcibiade fils de Clinias na jamais eu agrave ce quil parait et na encore quun seul amant et cet amant digne de le plaire cest Socrate fils de Sophronisque et de Pheacutenaregravete [page]ALCIBIADE
Rien de plus vrai
SOCRATE
5468
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Mais ne mas-tu pas dit lorsque je tai abordeacute que je ne tavais preacutevenu que dun moment et que tu avais dessein de me parler et de me demander pourquoi jeacutetais le seul qui ne me fusse pas retireacute
ALCIBIADE
En effet ceacutetait mon dessein
SOCRATE
Tu en sais preacutesentement la raison cest que je tai toujours aimeacute toi-mecircme et que les autres nont aimeacute que ce qui est agrave toi La beauteacute de ce qui est agrave toi commence agrave passer au lieu que la tienne commence agrave fleurir [132a] et si tu ne te laisses pas gacircter et enlaidir par le peuple atheacutenien je ne te quitterai de ma vie Mais je crains fort quamoureux de la faveur populaire comme tu les tu ne te perdes ainsi que cela est arriveacute agrave un grand nombre de nos meilleurs citoyens car le peuple du magnanime Erectheacutee[26] a un beau masque mais il faut le voir agrave deacutecouvert Crois- moi donc Alcibiade prends les preacutecautions que je te dis [page]ALCIBIADE
Quelles preacutecautions
[132b] SOCRATE
Cest de texercer et de bien apprendre ce quil faut savoir pour te mecircler des affaires de la reacutepublique Avec ce preacuteservatif tu pourras aller sans rien craindre
ALCIBIADE
Tout cela est fort bien dit Socrate mais tacircche de mexpliquer comment nous pourrons avoir soin de nous-mecircmes
SOCRATE
Mais cela est fait car avant toutes choses nous avons eacutetabli qui nous sommes et nous craignions que faute de le bien savoir nous neussions soin de toute autre chose que de nous-mecircmes sans nous en apercevoir
ALCIBIADE
Preacuteciseacutement
[132c] SOCRATE
Nous sommes convenus ensuite que cest de lacircme quil faut avoir soin que cest lagrave la fin quon doit se proposer
ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Et quil faut laisser agrave dautres le soin du corps et des choses qui sy rapportent [page]ALCIBIADE
Cela peut-il ecirctre contesteacute
SOCRATE
Voyons comment pouvons-nous entendre cette veacuteriteacute de la maniegravere la plus claire possible Car degraves que nous lentendrons bien il y a grande apparence que nous nous connaicirctrons parfaitement nous-mecircmes Nentendons-nous pas bien je te prie linscription de Delphes dont nous avons deacutejagrave parleacute et le sage preacutecepte quelle renferme
5568
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
ALCIBIADE
Que veux-tu dire par lagrave Socrate
[132d] SOCRATE
Je men vais te communiquer ce que je soupccedilonne que veut dire cette inscription et le conseil quelle nous donne Il nest guegravere possible de te le faire entendre par dautre comparaison que par celle-ci qui est tireacutee de la vue
ALCIBIADE
Comment dis-tu cela
SOCRATE
Prends bien garde Si cette inscription parlait agrave lœil comme elle parle agrave lhomme et quelle lui dicirct Regarde-toi toi-mecircme que croirions-nous quelle lui dirait Ne croirions-nous pas quelle lui ordonnerait de se regarder dans une chose dans laquelle lœil peut se voir [page]ALCIBIADE
Cela est eacutevident
SOCRATE
Et quelle est la chose dans laquelle nous pouvons voir [132e] et lœil et nous-mecircmes
ALCIBIADE
On peut se voir dans les miroirs et autres choses semblables
SOCRATE
Tu dis fort bien Ny a-t-il pas aussi dans lœil quelque petit endroit qui fait le mecircme effet quun miroir
ALCIBIADE
Il y en a un assureacutement
SOCRATE
As-tu donc remarqueacute que toutes les fois que tu regardes [133a] dans un œil ton visage paraicirct dans cette partie de lœil placeacute devant toi quon appelle la pupille comme dans un miroir fidegravele image de celui qui sy regarde
ALCIBIADE
Cela est vrai
SOCRATE
Un œil donc pour se voir lui-mecircme doit regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil qui est la plus belle et qui a seule la faculteacute de voir [page]ALCIBIADE
Eacutevidemment
SOCRATE
Car sil regardait quelque autre partie du corps de lhomme ou quelque autre objet hors celui auquel ressemble cette partie de lœil il ne se verrait nullement lui-mecircme
[133b] ALCIBIADE
5668
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Tu as raison
SOCRATE
Un œil donc qui veut se voir lui-mecircme doit se regarder dans un autre œil et dans cette partie de lœil ougrave reacuteside toute sa vertu cest-agrave-dire la vue
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade nen est-il pas de mecircme de lacircme Pour se voir ne doit-elle pas se regarder dans lacircme et dans cette partie de lacircme ougrave reacuteside toute sa vertu qui est la sagesse ou dans quelque autre chose agrave laquelle cette partie de lacircme ressemble
ALCIBIADE
Il me paraicirct Socrate
[133c] SOCRATE
Mais pouvons-nous trouver quelque partie de [page]lacircme plus intellectuelle que celle agrave laquelle se rapportent la science et la sagesse
ALCIBIADE
Non certainement
SOCRATE
Cette partie de lacircme est donc sa partie divine et cest en y regardant et en y contemplant lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse quon pourra se connaicirctre soi-mecircme parfaitement
ALCIBIADE
Il y a bien de lapparence
SOCRATE
Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Ne nous connaissant pas nous-mecircmes et neacutetant point sages pouvons-nous connaicirctre nos vrais biens et nos vrais maux
ALCIBIADE
Eh comment les connaicirctrions-nous Socrate
[133d] SOCRATE
Car il nest pas possible que celui qui ne connaicirct pas Alcibiade connaisse ce qui appartient agrave Alcibiade comme appartenant agrave Alcibiade [page]ALCIBIADE
Non par Jupiter cela nest pas possible
SOCRATE
5768
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Nous ne pouvons donc connaicirctre ce qui est agrave nous comme eacutetant agrave nous si nous ne nous connaissons nous-mecircmes
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Et si nous ne connaissons pas ce qui est agrave nous nous ne connaicirctrons pas non plus ce qui se rapporte aux choses qui sont agrave nous
ALCIBIADE
Je lavoue
SOCRATE
Nous navons donc pas tregraves bien fait tantocirct quand nous sommes convenus quil y a des gens qui ne se connaissent pas eux-mecircmes et qui cependant connaissent ce qui est agrave eux Non ils ne connaissent pas mecircme les choses qui sont agrave ce qui est agrave eux car ces trois connaissances se connaicirctre soi-mecircme connaicirctre ce qui est agrave soi et connaicirctre les choses qui sont agrave ce qui est agrave soi [133e] semblent lieacutees ensemble et leffet dun seul et mecircme art
ALCIBIADE
Il est bien vraisemblable [page]SOCRATE
Tout homme qui ne connaicirct pas les choses qui sont agrave lui ne connaicirctra pas non plus celles qui sont aux autres
ALCIBIADE
Cela est constant
SOCRATE
Ne connaissant pas celles qui sont aux autres il ne connaicirctra pas celles qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cest une conseacutequence sucircre
SOCRATE
Un tel homme ne saurait donc jamais ecirctre un homme deacutetat
ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne saurait mecircme ecirctre un bon eacuteconome
[134a] ALCIBIADE
Non
SOCRATE
Il ne sait pas mecircme ce quil fait
ALCIBIADE
5868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Pas du tout
SOCRATE
Et est-il possible quil ne fasse pas des fautes [page]ALCIBIADE
Impossible
SOCRATE
Faisant des fautes ne fait-il pas mal et pour lui et pour le public
ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Et se faisant mal nest-il pas malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Et ceux pour qui agit un tel homme
ALCIBIADE
Malheureux aussi
SOCRATE
Il nest donc pas possible que celui qui nest ni bon ni sage soit heureux
[134b] ALCIBIADE
Non sans doute
SOCRATE
Tous les hommes vicieux sont donc malheureux
ALCIBIADE
Tregraves malheureux
SOCRATE
Ce nest donc point par les richesses que [page]lhomme se deacutelivre du malheur cest par la sagesse
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Ainsi mon cher Alcibiade les eacutetats pour ecirctre heureux nont besoin ni de murailles ni de vaisseaux ni darsenaux ni dune population nombreuse ni de puissance si la vertu ny est pas
ALCIBIADE
Non certainement
5968
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
SOCRATE
Et si tu veux bien faire les affaires de la reacutepublique il faut [134c] que tu donnes de la vertu agrave ses citoyens
ALCIBIADE
Jen suis tregraves persuadeacute
SOCRATE
Mais peut-on donner ce quon na pas
ALCIBIADE
Comment le donnerait-on
SOCRATE
Il faut donc avant toutes choses que tu penses agrave acqueacuterir de la vertu toi et tout homme qui ne veut pas seulement avoir soin de lui et des choses [page]qui sont agrave lui mais aussi de leacutetat et des choses qui sont agrave leacutetat
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ce nest donc pas lautoriteacute et le creacutedit de faire tout ce quil te plaira mais la sagesse et la justice que tu dois chercher agrave te procurer agrave toi et agrave leacutetat
ALCIBIADE
Cela me paraicirct tregraves vrai
[134d] SOCRATE
Car si la reacutepublique et toi vous agissez sagement et justement vous vous rendrez les dieux favorables
ALCIBIADE
Il est probable
SOCRATE
Et pour cela vous ne ferez rien sans avoir comme je lai dit tantocirct lœil fixeacute sur la lumiegravere divine
ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Car cest en vous regardant dans cette lumiegravere que vous vous verrez vous-mecircmes et reconnaicirctrez les biens qui vous sont propres [page]ALCIBIADE
Sans doute
SOCRATE
Mais en faisant ainsi ne ferez-vous pas bien
ALCIBIADE
6068
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Certainement
[134e] SOCRATE
Si vous faites bien je veux me rendre garant que vous serez heureux
ALCIBIADE
Et tu es un tregraves bon garant Socrate
SOCRATE
Mais si vous faites mal et si vous vous regardez dans ce qui est sans Dieu et plein de teacutenegravebres vous ne ferez vraisemblablement que des œuvres de teacutenegravebres ne vous connaissant pas vous-mecircmes
ALCIBIADE
Vraisemblablement
SOCRATE
Mon cher Alcibiade repreacutesente-toi un homme qui ait le pouvoir de tout faire et qui nait point de jugement que doit-on en attendre dans les affaires particuliegraveres ou publiques Par exemple quun malade ait le pouvoir de faire tout ce qui lui [135a] viendra dans la tecircte sans avoir lesprit meacutedical et quil ait assez dautoriteacute pour [page]que personne nose lui rien dire que lui arrivera-t-il Ne ruinera-t-il pas sa santeacute selon
toute apparence
ALCIBIADE
Oui vraiment
SOCRATE
Et dans un vaisseau si quelquun sans avoir ni lesprit ni lhabileteacute dun pilote a pourtant la liberteacute de faire ce que bon lui semble vois-tu ce qui lui arrivera agrave lui et agrave ceux qui sabandonnent agrave sa conduite
ALCIBIADE
Ils ne peuvent manquer de peacuterir tous
SOCRATE
Et nen est-il pas de mecircme de leacutetat de lautoriteacute et [135b] de la puissance priveacutes de la vertu leur perte nest-elle pas infaillible
ALCIBIADE
Infaillible
SOCRATE
Par conseacutequent mon cher Alcibiade ce nest pas mi pouvoir quil faut acqueacuterir pour toi et pour la reacutepublique mais de la vertu si vous voulez ecirctre heureux
ALCIBIADE
Tu dis tregraves vrai Socrate [page]SOCRATE
Et avant quon soit en possession de la vertu plutocirct que de commander soi-mecircme il est meilleur je ne dis pas agrave un enfant mais agrave un homme dobeacuteir agrave un plus vertueux que soi
ALCIBIADE
6168
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Je le crois
SOCRATE
Et le meilleur est aussi le plus honnecircte
[135c] ALCIBIADE
Nul doute
SOCRATE
Le plus honnecircte est aussi le plus convenable
ALCIBIADE
Sans difficulteacute
SOCRATE
Ainsi il est convenable agrave lhomme vicieux decirctre esclave car cela lui est meilleur
ALCIBIADE
Assureacutement
SOCRATE
Le vice est donc servile
ALCIBIADE
Jen conviens
SOCRATE
Et la vertu libeacuterale [page]ALCIBIADE
Oui
SOCRATE
Mais mon ami ne faut-il pas eacuteviter la serviliteacute
ALCIBIADE
Oui certes
SOCRATE
Eh bien mon cher Alcibiade sens-tu donc leacutetat ougrave tu es Es-tu dans leacutetat dun homme libre ou dun esclave
ALCIBIADE
Il me semble que je le sens tregraves bien
SOCRATE
Et sais-tu comment tu peux sortir de leacutetat ougrave tu es car je noserais le nommer en parlant dun homme comme toi
[135d] ALCIBIADE
Mais je crois le savoir
SOCRATE
6268
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Et comment
ALCIBIADE
Sil plaicirct agrave Socrate
SOCRATE
Tu dis fort mal Alcibiade [page]ALCIBIADE
Comment faut-il donc dire
SOCRATE
Sil plaicirct agrave Dieu
ALCIBIADE
Eh bien je dis donc sil plaicirct agrave Dieu et jajoute que nous risquons deacutesormais de changer de personnage tu feras le mien et je ferai le tien A compter daujourdhui cest agrave moi agrave le faire la cour et me voilagrave ton amant
[135e] SOCRATE
Alors mon cher Alcibiade mon amour ressemblera fort agrave la cigogne si apregraves avoir fait eacuteclore dans ton sein un jeune amour aileacute celui-ci le nourrit et le soigne agrave son tour
ALCIBIADE
Oui Socrate et degraves ce jour je vais mappliquer agrave la justice
SOCRATE
Je souhaite que tu perseacutevegraveres mais sans me deacutefier de ton bon naturel en voyant la force des exemples qui regravegnent dans cette ville je tremble quils ne lemportent sur toi et sur moi [page]=== NOTES === [page](page blanche) [page]
NOTES SUR LE PREMIER ALCIBIADE
JAI eu sous les yeux leacutedition geacuteneacuterale de Bekker les eacuteditions particuliegraveres de Nuumlrnberger 1796 dAst 1809 de Biester 1780 la traduction latine de Ficin la traduction allemande de Schleiermacher les Eclogœ Cornarii le Speacutecimen criticum de VanHeusde enfin les commentaires de Proclus et dOlympiodore
Dacier et Dugour ont traduit en franccedilais ce dialogue
PAGE 3 mdash Le sujet de ce dialogue est en effet la nature humaine ou la connaissance de soi-mecircme consideacutereacutee comme le principe de toute perfection de toute science et particuliegraverement de la science politique
Tiedemann (Argumenta in Platon p 130) Quod autem dialogum hunc de natura hominis rescripserunt ridiculi prorsus fuerunt antiquiores Platonis explana- [page]tores quum ad Alcibiadem omnia referantur Ces anciens interpregravetes de Platon qui ne croient
pas que le but de lAlcibiade soit aussi futile que le veut Tiedemann sont Proclus et Olympiodore Leurs commentaires sont peu connus et contiennent des choses inteacuteressantes Jen donnerai ici quelques extraits
1deg Le commentaire de Proclus sur lAlcibiade eacutetait ineacutedit il y a quelques anneacutees Je lai publieacute dans ma
6368
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
collection de tous les eacutecrits ineacutedits de Proclus (Procli Opeacutera inedita Parisiis 1820 chez Levrault) et M Creuzer la publieacute presque en mecircme temps avec le commentaire dOlympiodore sur le mecircme dialogue
Proclus dans son introduction part du principe que la connaissance de soi-mecircme est le fondement de toute philosophie et voulant rechercher quel est le dialogue de Platon par lequel il faut commencer leacutetude de la philosophie platonicienne il trouve que ce dialogue est sans contredit lAlcibiade puisque lAlcibiade traite de lagrave connaissance de soi-mecircme Dougrave lon peut conclure que reacuteellement le professeur Atheacutenien dans lexplication et lenseignement du platonisme deacutebutait par un commentaire sur lAlcibiade Procli Opeacutera t II p 17)
Proclus dit que lAlcibiade avait eu avant lui beaucoup et de ceacutelegravebres commentateurs λλων πολλ νἌ ῶ κα καιν ν ξηγητ ν λόγοι Malheureusement il ne le nomme pas ὶ ῶ ἐ ῶ
[page]Ces commentateurs ne sentendaient pas sur le but de lAlcibiade Προθέσις ο μ ν λλας οἱ ὲ ἄ ἱ δ λλας α το γεγράφασιν (Pag 17 et 18)ὲ ἄ ὐ ῦ
Il paraicirct que ces commentateurs avaient consideacutereacute lAlcibiade les uns historiquement et relativement agrave Alcibiade les autres sous le rapport de la rheacutetorique et de la dialectique dautres encore sous le rapport religieux et mythologique parce quil y est traiteacute du deacutemon de Socrate et de la contemplation de lessence divine Ces trois points de vue sont en effet dans lAlcibiade mais non comme buts du dialogue Car on ne peut traiter des dieux quen analysant lessence divine la rheacutetorique et la dialectique sont de simples moyens et Platon se sert de lhistoire et ne sert pas lhistoire
LAlcibiade eacutetant le point de deacutepart de toute philosophie cest sans doute pour cela dit Proclus que Jamblique lui donne le premier rang le met agrave la tecircte des dix dialogues dans lesquels selon lui est concentreacutee toute la philosophie de Platon (Pag 29) Mais quels sont ces dix dialogues fondamentaux quel est leur ordre et comment contiennent-ils tous les autres cest ce que nous avons expliqueacute ailleurs
En veacuteriteacute nous ne savons pas ougrave Et M Creuzer qui a donneacute de son cocircteacute le commentaire de Proclus nen dit rien non plus Dune autre part ougrave Jamblique a-t-il parleacute de lAlcibiade Est-en dans un [page]ouvrage ex professo qui serait perdu Nul auteur ne parle de cet ouvrage Est-ce dans un
autre eacutecrit par occasion A la bonne heure mais dans les ouvrages conserveacutes rien ne sy rapporte Au reste il paraicirct que Jamblique avait traiteacute sinon speacutecialement du moins tregraves longuement de lAlcibiade puisque Proclus lorsquil en vient agrave la division du dialogue apregraves avoir critiqueacute les divisions des autres commentateurs quil ne nomme pas comme trop superficielles et neacutetant pas tireacutees du fond mecircme du sujet se deacutecide pour la division de Jamblique la division en trois grands points auxquels se rapporte tout le reste
Ces trois points le but fondamental du dialogue savoir la connaissance de soi-mecircme preacutealablement fixeacute sont
1deg lart de retrancher les erreurs de lesprit qui sopposent agrave la vraie connaissance de nous-mecircmes
2deg lart de retrancher les passions qui troublent la conscience et sopposent agrave la vertu et par-lagrave agrave la vue distincte de nous-mecircmes
3deg lart de revenir sur soi de seacutelever par tous les degreacutes de la conscience agrave la contemplation de lessence de lacircme et lart de retenir et deacutepurer cette contemplation
Tout deacutepend de ces trois points qui deacutependent eux- mecircmes du but principal [page]Proclus eacutenumegravere ensuite (pag 38) dix points secondaires quil appelle συλλογισμο argumentsὶ
lesquels deacuteveloppent en deacutetail les trois points geacuteneacuteraux et remplissent tout le dialogue
II Olympiodorus in Alcibiad Frankfurt 1821 Il est facirccheux que le commentaire de Proclus naille pas dans tous les manuscrits existants au-delagrave de la moitieacute de lAlcibiade Mais il paraicirct quOlympiodore
6468
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
avait le commentaire complet de Proclus car il rapporte lopinion contradictoire de Proclus et de Damascius sur le α τ τ α τ et lα τ τ καστον passage que natteint pas le fragment de Proclus queὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ἕ nous avons
Cest dans Olympiodore pag 3 que se trouve la mention dun grand et dun petit Alcibiade Voici la phrase πιγέγραπται λκιβιάδης μείζων περ νθρώπου φύσεωςmiddot μείζων δ στ ν λλος λκιβιάδης ἐ Ἀ ἢ ὶ ἀ ὲ ἐ ὶ ἄ Ἀ ὁ λάττων σπερ ππιάς μείζων κα λάττων Je crois que cest ici le seul endroit de lantiquiteacute avec laἐ ὥ Ἰ ὶ ὁ ἐ
vie de Platon de Diogegravene Laeumlrce ougrave il soit question dun grand et dun petit Hippias dun grand et dun petit Alcibiade Il ne faut pas oublier que Proclus dans son commentaire sur lAlcibiade ne dit pas un mot dun second Alcibiade silence bien eacutetrange sil leucirct connu ou sil leucirct jugeacute de Platon Cest encore ici je crois le seul endroit avec Diogegravene Laeumlrce ougrave se trouve la seconde inscription du dialogue περ νθρώπου ἢ ὶ ἀ
[page]φύσεως Les Eacuteditt de Deux-Ponts T V p 342 croient que cest de lagrave que ce titre a passeacute dans tous les manuscrits de Platon Buttmann est de cet avis Olympiodore cite de nouveau cette seconde inscription de lAlcibiade pag 177
Il y a trois points dans ce dialogue dit Olympiodore γ τ μ ν τ το μο ce qui est agrave moi ce quiἐ ὼ ὸ ἐ ὸ ὰ ῦ ἐ ῦ appartient agrave ce qui est agrave moi Mais il convient que le but suprecircme du dialogue est celui que fixe Proclus στ περ το γν ναι αυτόν (P 3) Et il cite le chapitre de Plotin (Ennead I i ) τί τ ζ ον τίς ἐ ὶ ὶ ῦ ῶ ἑ ὸ ῶ ὁ νθρωπος comme un commentaire de lAlcibiade (Pag 9) Partout dans son introduction il se reacutefegravere agraveἄ
Proclus et agrave Damascius qui diffegravere de Proclus en ce quil pense que le but de lAlcibiade est bien τὸ γν ναι αυτόν mais πολιτικ ς cest-agrave-dire la connaissance de soi-mecircme sous un point de vue pratiqueῶ ἑ ῶ et politique parce que Platon deacutefinit lhomme ψυχ κεχρημένη ργάν τ σώματι et quil ny a queὴ ὀ ῳ ῷ lhomme pratique politique qui ait affaire avec des instruments mateacuteriels avec le corps mdash Olympiodore est de cet avis et je lai adopteacute dans mon argument
Une des raisons qui recommandent le plus ce commentaire outre une vie de Platon depuis longtemps publieacutee cest quil nous reacutevegravele lexistence de plusieurs ouvrages perdus sur le premier Alcibiade parmi les- [page]quels il faut mettre au premier rang celui de Damascius qui agrave ce quil paraicirct embrassait
reacuteellement en deacutetail tout le dialogue de Platon car Olympiodore le cite sur un grand nombre de passages de lAlcibiade placeacutes agrave dassez grands intervalles dans le dialogue Voyez Olympiodore pag 95 105 106 126 et encore p 203 et 204 Lopinion geacuteneacuterale de Damascius sur le but de lAlcibiade est la mecircme que celle de Proclus avec la nuance que nous avons indiqueacutee plus haut mdash Olympiodore cite encore deux commentaires lun dHarpocration et lautre de Deacutemocrite
Il dit pag 48 et 49 ντα θα γενόμενος ρποκρατίων κα καλ ς προσεσχηπ ς τ ητ γραμματικα ςἘ ῦ ὁ Ἀ ὶ ῶ ὼ ῷ ῥ ῷ ῖ νάγκαις δειξε ντα θα semble indiquer un commentaire qui embrassait toutes les parties deἀ ἔ ἐ ῦ
lAlcibiade
Il cite p 205 et 206 lopinion de Deacutemocrite sur un point assez deacutelicat Mais rien nindique un commentaire en forme Ce Deacutemocrite paraicirct ecirctre celui dont parlent Porphyre dans la vie de Plotin et Runhkenius dans sa dissertation sur Longin c 4
Je ne quitterai point louvrage dOlympiodore sans en rapporter une phrase importante et belle Δεῖ νομίζειν τι προπυλαίοις όικεν ο τος διάλογοςmiddot κα σπερ κε να τ ν δύτων προηγο νται ο τω κα τ νὅ ἑ ὕ ὁ ὶ ὥ ἐ ῖ ῶ ἀ ῦ ὕ ὶ ὸ
λκιβιάδην προπυλαίοις χρ πεικάζειν δύτοις δ τ ν Παρμενίδην On peut comparer ce dialogue aux Ἀ ὴ ἀ ἀ ὲ ὸ
[page]Propyleacutees Comme elles conduisent au Sanctuaire de mecircme lAlcibiade introduit dans le Sanctuaire de la philosophie platonicienne et ce Sanctuaire est le Parmeacutenide
PAGE 8 mdash Tel est lhomme le principe individuel τ α τ καστον mais pour le bien connaicirctre il neὸ ὐ ὸ ἕ suffit pas de le consideacuterer en lui-mecircme de le suivre dans ses actes et ses applications agrave tout ce qui nest pas lui il faut le consideacuterer de plus haut et le rapporter lui-mecircme agrave son propre principe agrave
6568
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
lessence universelle dont il eacutemane α τ τ α τόὐ ὸ ὸ ὐ
La marche du dialogue est un peu plus embarrasseacutee que celle de largument Socrate avance que lon ne peut connaicirctre lessence particuliegravere de lhomme quen connaissant lessence universelle des ecirctres Cependant il examine dabord lessence particuliegravere de lhomme assez en deacutetail ensuite il revient agrave sa premiegravere proposition et passe de leacutetude de lacircme agrave la contemplation de la diviniteacute ou du moins agrave la deacutemonstration que cette contemplation est le compleacutement neacutecessaire de la connaissance de lhomme Cette derniegravere partie est bien faible vague et obscure Quant agrave lexplication que nous donnons des expressions ceacutelegravebres τ α τ καστον et α τ τ α τό elle nest pas tregraves eacuteloigneacutee ὸ ὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ
[page]de celle quen ont donneacute Proclus et Damascius selon Olympiodore Il est veacuteritablement agrave regretter que nous soyons priveacutes du commentaire de ces deux savants et profonds interpregravetes de Platon Leur disciple Olympjadore rapporte tregraves succinctement leur opinion Voici le passage dOlympiodore (eacutedit Francf p 203- 205) laquo Cherchons ce quentendent Proclus et Damascius par τὸ α τ καστον et α τ τ α τό Proclus entend par α τ τ α τό lacircme intelligente τ ν λογισμ ν ψυχ νὐ ὸ ἕ ὐ ὸ ὸ ὐ ὐ ὸ ὸ ὐ ὴ ὴ ὴ et par τ α τ καστον lindividu τ τομον Et il reacutefute lopinion de leacutecole peacuteripateacuteticienne qui neὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ voit dans lindividu que le reacutesultat dune combinaison daccidents il prouve quun individu nest pas une collection Damascius appelle τ α τ καστον lacircme consideacutereacutee comme agent et comme agent social enὸ ὐ ὸ ἕ tant quelle se sert du corps comme dinstrument et par α τ τ α τό il entend lacircme parvenue au plusὐ ὸ ὸ ὐ haut degreacute de la pureteacute et de la science laquelle ne se sert plus dinstrument corporel Linterpreacutetation de Damascius est plus scientifique celle de Proclus plus litteacuterale et plus conforme au texte raquo
On voit que lun et lautre interpregravete pour expliquer α τ τ α τό ne sortent pas de lacircme et de sesὐ ὸ ὸ ὐ faculteacutes plus ou moins eacuteleveacutees Cest pourtant ce quil faut faire de toute neacutecessiteacute pour trouver lessence absolue des choses (Alcibiade page 113) et quoique ce soit toujours dans lacircme que lacircme re-
[page]garde ce quelle y voit nest pas elle mais lessence de ce qui est divin Dieu et la sagesse (page 123) car je lis avec tous les manuscrits θε ν κα φρόνησιν et non pas comme le veut Heusdeὸ ὶ σοφίαν κα φρόνησιν ni comme le veut Ast νο ν κα φρονήσιν La glose dEusegravebe et de Stobeacutee supposeὶ ῦ ὶ θε ν Dans lexplication de Proclus τ α τ καστον a eacuteteacute pris pour τ τομον lindividuὸ ὸ ὐ ὸ ἕ ὸ ἄ or α τ τὐ ὸ ὸ α τό doit en ecirctre lopposeacute Quel peut donc ecirctre lopposeacute de lindividu cest-agrave-dire du moiὐ Eacutevidemment la force absolue ou la substance dougrave deacuterive la force limiteacutee de lhomme et qui lui sert de type et dexemplaire eacuteternel sans la connaissance intime duquel le moi ne peut savoir quelle est sa veacuteritable essence Et malgreacute lautoriteacute du passage dOlympiodore il semble que cest bien lagrave ce quexprimeacute cette phrase de Proclus dans le fragment conserveacute (eacutedition de Paris t 2 p 54 ) θεν δὍ ὴ κα Σωλράτης π τέλει το διαλόγου τ ν ε ς αυτ ν πιστραφέντα κα αυτο γενόμενον θεωρ ν κα τὶ ὁ ἐ ὶ ῦ ὸ ἰ ἑ ὸ ἐ ὶ ἑ ῦ ὸ ὶ ὸ θε ον παν κατόψεσθαί φησι κα δι τ ς πρ ς αυτ ν πιστροφ ς σπερ βαθμο τινος ναγωγοῖ ἅ ὶ ὰ ῆ ὸ ἑ ὸ ἐ ῆ ὥ ῦ ἀ ῦ μεταστήσεσθαι πρ ς τ ν το θείου περιωτ ν κα ε ς τ ν πρ ς τ κε ττον αυτο πανάζειν στρογήνὸ ὴ ῦ ὴ ὶ ἰ ὴ ὸ ὸ ῖ ἑ ῦ ἐ
PAGE 34 mdash Par conseacutequent tu auras toujours en vue la justice dans tes discours [page]Πρ ς τα τ ρα κα σ τ δίκαιον το ς λόγους ποιήσει (BEKKER Partis secundae vol tertiumὸ ῦ ἄ ὶ ὺ ὸ ὺ
p 312) H Etienne propose πρ ς το τ agrave en rapportant το τ agrave τ δίκαιον et Schleiermacher sembleὸ ῦ ῦ ὸ avoir traduit sur cette leccedilon Also in Bezug hierauf auf das Gerechte wuumlrdest auch du deine Rede stellen mdash Nuremberg retranche τ δίκαιον Bekker a conserveacute avec raison πρ ς το τ dapregravesὸ ὸ ῦ Proclus Il faut traduire selon moi non pas in his avec Ficin mais propterea et prendre τ δίκαιονὸ adverbialement
PAGE 40- mdash Oh pour la langue mon cher le peuple est un tregraves excellent maicirctre et lon aurait grande raison de louer ses leccedilons dans ce genre mdash Alcib Pourquoi mdash Socr Parce quil a dans ce genre tout ce que doivent avoir les meilleurs maicirctres
λλacute γεννα ε τούτου μ ν γαθο διδάσκαλοι ο πολλοί κα δικαίως παινο ντacute ν α τ ν ε ς διδασκαλίανἈ ὦ ῖ ὲ ἀ ὶ ἱ ὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἰ
6668
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
Αλκ Τί δή Σωκρ τι χουσι περ α τ χρ το ς γαθο ς διδασκάλους χειν (BEKKER p 315 316)Ὅ ἔ ὶ ὐ ὰ ἃ ὴ ὺ ἀ ὺ ἔ
Proclus donne κα δικαίως παινο τ ν α τ ν διδασκαλία se rapporterait alors agrave ο πολλο etὶ ἐ ῖ ἂ ὐ ῶ ἡ ἱ ὶ Schleiemacher adopte cette leccedilon Mais avec Bekker [page]je conserve celle des manuscrits et la suite prouve bien dans quel sens il faut entendre
α τ ν Car Alcibiade demandant agrave Socrate pourquoi on ferait bien de le louer (le peuple) pour sonὐ ῶ enseignement sur cela Socrate reacutepond parce quil est sur cela cest-agrave-dire sur la langue comme doit ecirctre un bon maicirctre
PAGE 123 mdash SOCR Se connaicirctre soi-mecircme cest la sagesse comme nous en sommes convenus
Apregraves ces mots on trouve dans Eusegravebe Preacuteparat Evangel IX 227 ce qui suit laquo Et comme les miroirs sont plus nets plus purs et plus brillants que ce qui en tient la place dans lœil de mecircme Dieu est par sa nature plus brucirclant et plus pur que ce quil y a de meilleur dans notre ame mdash ALCIB Il paraicirct bien Socrate mdash SOCR Cest donc en regardant en Dieu que nous nous servirons du plus beau miroir ougrave lacircme humaine puisse contempler le modegravele de sa vertu et ainsi nous arriverons agrave nous voir et agrave nous connaicirctre nous-mecircmes parfaitement mdash ALCIB En effet raquo
Cette addition eacutecrite dans un style qui ne ressemble guegravere agrave celui de Platon trouble le cours naturel du dialogue et na paru agrave tout le monde quune interpolation manifeste
1 uarr Par son pegravere Clinias il descendait dEurisacegraves fils dAjax et du cocircteacute de sa megravere Dinomaque il eacutetait Alcmeacuteonide et descendait de Meacutegaclegraves
2 uarr Les Thraces et les Maceacutedoniens
3 uarr Allusion agrave lhabitude quavait Alcibiade deacutecouter les longs discours des sophistes
4 uarr Το β μα Ceacutetait une pierre un peu eacuteleveacutee au milieu du Pnyx lassembleacutee des Atheacuteniens ougraveῆ lorateur montait pour haranguer
5 uarr Parce quelle lui enflait les joues deacutesagreacuteablement (PLUT Vie dAlcibiade ch II)
6 uarr Hippocrate parle de cette espegravece de lutte dans le XIe livre de la Diegravete ch II mdash POLLUX liv II 163 mdash SUIDAS au mot κροχειρίζεσθαιἀ
7 uarr Jupiter Φιλίοςὁ
8 uarr Voyez la Vie dAlcibiade dans Plutarque
9 uarr Voyez le Phegravedre
10uarr Bataille gagneacutee par les Atheacuteniens contre les Laceacutedeacutemoniens pour lindeacutependance de la Beacuteotie sous le commandement de Myronides (Voyez le Menexegravene mdash THUCYDIDE I 108 mdash WESSERLING sur Diodore de Sicile XI)
11 uarr Bataille perdue par les Atheacuteniens contre les Beacuteotiens et les Laceacutedeacutemoniens dix ans environ apregraves la victoire de Tanagre (THUCYDIDE I 113 mdash DIOD XII 8)
12uarr EURIPIDE Hippolyte v 352 mdash RACINE Phegravedre acte I scegravene III
13uarr Ε πράττειν signifie agrave la fois se bien conduire et ecirctre heureux Bien vivre en franccedilais a ceὖ double sens
14uarr Habitants de la ville et de licircle de Peacuteparegravethe une des Cyclades
15uarr Musicien pythagoricien maicirctre dAgathoclegraves Lamproclegraves et de Damon
16uarr Voyez Plutarque Vie de Peacutericlegraves REISKE t I p 595
6768
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868
17uarr Plutarque Vie de Peacutericlegraves Sous le voile de la musique il cachait sa profession qui eacutetait denseigner la politique Il fut frappeacute de lostracisme comme aristocrate
18uarr Parale et Xantippe Voyez le Mecircnon et la Vie de Peacutericlegraves par Plutarque
19uarr Zeacutenon dEacuteleacutee disciple de Parmeacutenide Voyez le Parmeacutenide
20uarr Plutarque Vie dAlcibiade
21uarr Il porte encore agrave sa tecircte la chevelure de lesclave proverbe populaire pour deacutesigner un affranchi qui a conserveacute les habitudes desclave (Voy le scholiaste et OLYMPIODORE)
22uarr Acheacutemeacutenegraves eacutetait fils de Perseacutee
23uarr Voyez Euthyphron tome I page 37
24uarr On ne sait quel est ce poegravete Le Scholiaste dit quon attribue ce vers agrave Platon le comique
25uarr Erchies degraveme de la tribu Eantide selon dautres de la tribu Egeacuteide
26uarr HOMEgraveRE Iliade liv II v 647
Reacutecupeacutereacutee de laquo httpfrwikisourceorgwikiPremier_Alcibiade raquo
6868