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Premier discours Mais lorsque Mathias eut vu les jeunes représentants de l’État entier, réunis là pour délibérer sur la manière de gouverner de façon à être agréable à tous, il reconnut à leurs vêtements[T1] les enfants de la campagne avec lesquels, il n’y a pas longtemps, il s’amusait si bien ; une énergie nouvelle afflua en Mathias et il prononça un très beau discours . Vous êtes des députés, dit-il. Jusqu’alors, j’étais seul. Je voulais gouverner pour que vous ne manquiez de rien. Mais il est très difficile de deviner seul ce qu’il faut à chacun. « Cela vous sera plus facile. Les uns savent ce qui est nécessaire à la ville. Les autres connaissent les besoins de la campagne. Les plus jeunes savent ce qu’il faut aux bambins et d’autres connaissent les désirs des enfants plus âgés. « Je pense qu’un jour les enfants du monde entier se réuniront de la même façon que les rois se sont rassemblés[T2] il n’y a pas longtemps. Que les enfants blancs, noirs, jaunes diront ce dont chacun a besoin. Par exemple : des patins ne sont pas utiles aux enfants noirs : chez eux il n’y a pas de patinoires… « Les ouvriers ont leur étendard rouge ? continua Mathias. Les enfants choisiront peut-être un étendard vert, parce qu'ils[T3] aiment la forêt, et la forêt est verte. » Mathias parla longtemps ainsi ; les députés écoutaient. Cela lui était agréable. Puis le journaliste se leva et il dit que chaque jour paraîtrait un journal, afin que les enfants puissent lire les nouvelles intéressantes. Si quelqu’un le désirait, il pourrait y écrire. Il demanda aussi s’ils étaient contents de leur séjour à la campagne. Alors commença un tel vacarme qu’on n’entendait plus ce que chacun disait. La police, appelée par Félix, pénétra dans la salle. Le calme revint un peu. Félix dit qui quiconque ferait

Premier Discours

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Premier Discours

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Premier discours

Premier discours

Mais lorsque Mathias eut vu les jeunes reprsentants de ltat entier, runis l pour dlibrer sur la manire de gouverner de faon tre agrable tous, il reconnut leurs vtements[T1] les enfants de la campagne avec lesquels, il ny a pas longtemps, il samusait si bien; une nergie nouvelle afflua en Mathias et il pronona un trs beau discours.

Vous tes des dputs, dit-il. Jusqualors, jtais seul. Je voulais gouverner pour que vous ne manquiez de rien. Mais il est trs difficile de deviner seul ce quil faut chacun.

Cela vous sera plus facile. Les uns savent ce qui est ncessaire la ville. Les autres connaissent les besoins de la campagne. Les plus jeunes savent ce quil faut aux bambins et dautres connaissent les dsirs des enfants plus gs.

Je pense quun jour les enfants du monde entier se runiront de la mme faon que les rois se sont rassembls[T2] il ny a pas longtemps. Que les enfants blancs, noirs, jaunes diront ce dont chacun a besoin. Par exemple: des patins ne sont pas utiles aux enfants noirs: chez eux il ny a pas de patinoires

Les ouvriers ont leur tendard rouge? continua Mathias. Les enfants choisiront peut-tre un tendard vert, parce qu'ils[T3] aiment la fort, et la fort est verte.

Mathias parla longtemps ainsi; les dputs coutaient. Cela lui tait agrable.

Puis le journaliste se leva et il dit que chaque jour paratrait un journal, afin que les enfants puissent lire les nouvelles intressantes. Si quelquun le dsirait, il pourrait y crire. Il demanda aussi sils taient contents de leur sjour la campagne.

Alors commena un tel vacarme quon nentendait plus ce que chacun disait. La police, appele par Flix, pntra dans la salle. Le calme revint un peu. Flix dit qui quiconque ferait du bruit serait mis la porte, que chacun devait parler son tour.

Un garon, dans un veston us et sans chaussures, parla le premier:

Je suis dput et je veux rpondre; nous ntions pas bien du tout la campagne. Aucun divertissement, une mauvaise nourriture, et lorsquil pleuvait leau tombait des plafonds sur nos ttes, car les toits taient trous[T4].

On ne changeait pas de linge, cria quelquun.

Leau de la vaisselle, on nous la donnait pour le dner!

Comme aux cochons!

Il ny avait aucun ordre.

Et pour une bagatelle on tait rous de coups ou mis en prison!

nouveau clata un tel tintamarre quil fallut interrompre la sance pendant dix minutes.

On expulsa les quatre dputs qui faisaient le plus de bruit.

Le journaliste expliqua en quelques mots que du premier coup il est difficile de russir tout organiser parfaitement[T5]. Que lanne suivante, cela irait mieux. Il demanda que les dputs expriment leurs souhaits.

De nouveau, les clameurs reprirent.

Je veux lever des pigeons, cria une voix.

Et moi, un chien!

Que chaque enfant ait une montre!

Quil soit permis aux enfants de tlphoner!

Quon ne nous embrasse pas!

Quon nous raconte des fables!

Saucisse!

Saucisson!

Quil soit permis de se coucher tard!

Que chacun ait son vlo!

Que chaque enfant ait son armoire!

Et plus de poches! Mon pre a treize poches, et moi deux seulement. Je manque de poches. Quand je perds un mouchoir, alors, on me crie dessus

Que chacun ait une trompette!

Et un revolver!

Quon se rende lcole en auto!

Quil ny ait pas du tout de filles et pas de petits enfants.

Je veux devenir magicien!

Que chacun ait son bateau!

Quon aille chaque jour au cirque!

Que chaque jour soit Nol!

Et Premier Avril! Et Mardi Gras!

Que chaque enfant ait sa chambre!

Quon distribue des savonnettes parfumes!

Et des parfums!

Quil soit permis chaque enfant de casser un carreau une fois par mois!

Et de fumer des cigarettes!

Quil ny ait pas de cartes de gographie muettes.

Ni de dictes!

Quil ne soit pas permis aux adultes de sortir une journe entire. Que cette journe soit rserve aux enfants!

Que partout les enfants soient rois!

Que les adultes aillent lcole!

Quon donne des oranges la place du sempiternel[T6] chocolat!

Et des chaussures!

Que les hommes deviennent des anges!

Que chaque enfant ait une auto!

Un bateau!

Une maison!

Un chemin de fer!

Que les enfants aient de largent et quils puissent acheter ce quils veulent!

Que partout o se trouve un enfant il y ait une vache.

Et un cheval!

Que chacun possde dix hectares de terre!

Cela dura ainsi pendant une heure. Le journaliste souriait seulement et notait tout

Au dbut, les enfants de la campagne avaient honte[T7], mais aprs quelques minutes ils se mirent parler.

Cette sance avait fatigu Mathias.

Alors, tout est inscrit, mais que faire ensuite?

Il faut les duquer, dit le journaliste. Demain jcrirai dans le journal le compte rendu et jexpliquerai ce quon peut et ce quon ne peut pas faire.

Dans le couloir passait justement le garon qui ne voulait plus de filles du tout.

Monsieur le Dput! demanda le journaliste, en quoi les filles vous drangent-elles?

Voil! Dans notre quartier[T8], il y a une fille, on ne peut pas avoir raison delle. Elle cherche toujours querelle, mais si on lui fait la moindre chose, si on la touche peine, aussitt elle se met hurler et court dposer une plainte. Elle est ainsi avec tout le monde; nous avons donc dcid den finir avec ses pareilles.

Le journaliste arrte un deuxime dput.

Pourquoi, vous, Monsieur le Dput, ne voulez-vous pas quon vous embrasse?

Si vous aviez autant de tantes que moi, alors vous ne poseriez pas cette question. Hier, ctait mon anniversaire. Alors elles mont tellement mouill les joues avec leur salive que jai vomi mon dessert la crme tout entier. Si les adultes aiment se lcher, quils sembrassent entre eux et quils nous laissent en paix, car nous dtestons cela!

Le journaliste inscrivit cela.

Et vous, Monsieur le Dput? Votre pre possde-t-il rellement tant de poches?

Eh bien, voulez-vous compter? Au pantalon, deux poches sur les cts[T9] et une derrire. Au gilet quatre petites poches et une dans la doublure. Dans le veston, deux; dans la doublure, deux sur les cts et une en haut. Pour le cure-dents, mon pre a une poche part. Moi, pour le jeu de paume[1], je nai mme pas une poche. Les adultes ont encore des tiroirs, des bureaux, des armoires, des rayons! Aprs cela ils se vantent de ne rien perdre et davoir de lordre chez eux.

Le journaliste crivait toujours.

Justement passaient deux autres dputs que les bbs manifestement drangeaient beaucoup.

Et qui donc doit donner des soins aux bbs et les bercer pour les endormir? dit le premier.

Et il faut toujours leur cder, sous prtexte quils sont si petits. Il faut leur donner le bon exemple! ajouta le second.

Quand un mioche fait quelque chose de mal, on ne crie pas aprs lui, seulement on me gronde en me disant: Cest de toi quil a appris cela! Est-ce que je lui ai ordonn de singer ce que je fais? expliqua lun des deux dputs.

Le journaliste crivit aussi tout cela.