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PRÉPOSITION ET CONJONCTION ? LE CAS DE AVEC Charlotte Schapira De Boeck Université | Travaux de linguistique 2002/1 - no44 pages 89 à 100 ISSN 0082-6049 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2002-1-page-89.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Schapira Charlotte , « Préposition et conjonction ? Le cas de Avec » , Travaux de linguistique, 2002/1 no44, p. 89-100. DOI : 10.3917/tl.044.0089 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h25. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h25. © De Boeck Université

Préposition et conjonction ? Le cas de Avec

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PRÉPOSITION ET CONJONCTION ? LE CAS DE AVEC Charlotte Schapira De Boeck Université | Travaux de linguistique 2002/1 - no44pages 89 à 100

ISSN 0082-6049

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2002-1-page-89.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Schapira Charlotte , « Préposition et conjonction ? Le cas de Avec » ,

Travaux de linguistique, 2002/1 no44, p. 89-100. DOI : 10.3917/tl.044.0089

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université.

© De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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PRÉPOSITION ET CONJONCTION ?LE CAS DE AVEC

Charlotte SCHAPIRA*

Technion, Haïfa

1. Un tour particulier

Parmi les prépositions françaises, avec représente un cas particulier à plusd’un égard, un cas qui suscite, presque à lui seul, un grand nombre desquestions que pose ce colloque, comme en témoignent d’ailleurs lesnombreuses études qu’on en a déjà faites (notamment celles de P. Cadiot etChoi-Jonin) et les également nombreuses communications qui y sontconsacrées ici. Avec est, en effet, une des prépositions les plus complexes,les plus riches sémantiquement et les plus souples dans les fonctionssyntaxiques qu’elle est susceptible d’assumer, fonctions syntaxiques qui,d’ailleurs, ne sont pas toujours faciles à définir. Suivant leurs optiquesrespectives, les linguistes s’efforcent de systématiser ces comportements :certains, comme Cadiot, distinguent des valeurs sémantiques etfonctionnelles prototypiques, tels le comitatif et l’instrumental ; d’autresauteurs – la plupart des grammairiens par exemple, ou des linguistes commeChoi-Jonin – sont à la recherche d’une valeur unitaire. Les critères del’analyse varient, eux aussi, sensiblement. Le but du présent travail est deproposer l’étude d’un cas particulier du fonctionnement de avec, selon uncritère qui n’a encore jamais été exploité de façon systématique : nousexaminons, dans ce qui suit, une classe particulière de compléments en avec –le comitatif – et, à l’intérieur de cette catégorie, les cas spécifiques où lapréposition relie, à travers le verbe, deux noms animés, voire humains, etqui – il importe de le dire – gardent toujours leur autonomie référentielle. Ils’agit de la construction :

SN1 (+ humain) – V – avec SN

2 (+ humain)

* Technion-Israel Institute of Technology, 2, rue Hayéarot, Haifa (Israël) –[email protected]

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Trois types de phrases seront considérés :

[1] Pierre se promène avec Marie.[2] Pierre se dispute avec Marie.[3] Pierre s’ennuie avec Marie.

Le premier cas est celui du complément dit « d’accompagnement ». Letrait (+ humain) restreint le champ d’investigation, puisqu’il permetd’opposer notre exemple [1] à :

[1a] Pierre se promène avec son chien. = Pierre promène son chien.[1b] Pierre se promène avec un parapluie1.

Dans l’exemple [2], le complément est généralement considéré comme unobjet indirect. On s’apercevra que dans ce cas, bien que ceci ne soit pasexplicitement mentionné dans les grammaires et les dictionnaires, le trait(+ humain) est évident (cf. § 2.2. infra).

L’exemple [3] est, sémantiquement, à sens unique ; il sera donc classéparmi les asymétriques.

Notre corpus recouvre les aires d’emploi où, selon les dictionnaires(Lexis, T.L.F., Littré, le Petit Robert), la préposition exprimel’accompagnement, l’accord, la réunion. Les grammairiens, eux, affinentl’analyse et vont plus loin que les lexicographes dans la définition desrapports que la préposition crée à l’intérieur de la phrase : ils parlent d’uneimage abstraite de parallélisme, de symétrie, de co-situation, ou de co-présence.

Si l’on se penche toutefois sur les seuls comitatifs exprimant desrapports entre les humains, on s’aperçoit très vite que, dans leur cas, loin des’exclure les uns les autres, les différents sens mentionnés plus hautcoexistent. Dans le corpus discuté ici, les sens principaux de la prépositionsont la simultanéité d’action et la co-spatialité intentionnelles ou laréciprocité.

2. Pour un classement

Notre propos est de montrer que, dans la construction

SN1 (+ humain) – V – avec SN

2 (+ humain)

il est possible de cerner trois classes distinctes, caractérisées par des traitssémantiques et des fonctions syntaxiques différentiels permettant laformalisation. Cette hypothèse incite à reconsidérer, d’une part, les critèresen faveur de l’existence d’une classe d’objets indirects en avec et, d’autrepart, le comportement de cet élément comme copule. En d’autres termes,peut-on parler d’une conjonction avec?

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Afin de simplifier la présentation, les exemples ne comporteront quedeux actants (SN

1 et SN

2) bien que, comme on le verra par la suite, dans la

plupart des catégories citées, le nombre des actants peut être, théoriquementdu moins, infini.

2.1. Le parallélisme : SN1 accomplit l’action en parallèle avec SN

2.

Ces constructions sont accessibles aux verbes dont le sémantismen’implique pas obligatoirement plusieurs actants (cf. infra, la réciprocité).

[4] Pierre mange, court, chante, danse, se promène, voyage, étudie, sebaigne, lit, joue du piano, va au cinéma, regarde le match à la télé,etc., avec Paul.

La phrase est rangée sous l’étiquette « parallélisme » parce que lecomplément implique en parallèle une phrase dont le sujet est SN

2,

accomplissant lui aussi l’action verbale : si

[4a] Pierre mange avec Paul,alors

[4a’] Pierre mange.et [4a’’] Paul mange.

Dans tous ces exemples, la préposition commute avec « en compagnie de ».Ce qui nous permet de les considérer comme symétriques est le fait quepour chacune de ces phrases dont le sujet est SN

1, il existe, en parallèle, une

phrase vraie, dans laquelle l’ordre de SN1 et SN

2 est inversé :

Pierre mange avec Paul.[4b] Paul mange avec Pierre.

C’est aussi ce qui permet de réécrire la phrase avec des sujets multiples (nsujets) :

[4c] Pierre et Paul mangent (ensemble).

On peut en conclure que la phrase à complément d’accompagnement est enréalité la réduction de deux propositions en une seule : deux propositionsayant un même verbe mais avec deux sujets différents (cf. § 4 infra).

2.2. La réciprocité concerne les verbes dont le sémantisme implique desagents multiples, comme dans [5] :

[5] Pierre (et alii), se dispute, se querelle, se bat, se réconcilie, serencontre, s’entretient, s’associe2 3 avec Anne (et alii)

En effet, la réciprocité est inscrite dans le sémantisme verbal. De plus, les

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agents sont perçus comme des entités distinctes, donc comptables ; mêmesi le sujet est un seul nom au pluriel :

Les enfants se disputent.

il est toujours conçu comme un groupe d’individus et non comme une masseamorphe, comme c’est le cas, par exemple, pour le sujet des verbes fourmiller,grouiller, pulluler.Certains verbes n’impliquent que deux agents :

[6] Pierre se fiance / se marie avec Anne.

Tous peuvent se réécrire avec un sujet multiple :

[7] Pierre et Anne se disputent / se marient, etc.

Les verbes de cette catégorie sont pour la plupart des verbes pronominauxréciproques. Il est intéressant de noter que la réciprocité implique leparallélisme :

[8] Pierre et Anne se marient = Pierre se marie ; Anne se marie (chacunde leur côté)

Dans certains cas, le parallélisme implique à son tour la symétrie :

[8a] Anne se marie avec Pierre = Pierre se marie avec Anne.

La réciprocité est un trait sémantique et fonctionnel complexe qui pourraità lui seul faire l’objet d’une étude à part. Cependant, il est possible d’ydiscerner un certain nombre de phénomènes systématiques : des verbestransitifs directs et indirects qui, a priori, n’impliquent pas laréciprocité, peuvent toutefois l’exprimer parfois et, dans ce cas, ils peuventse réécrire avec le sujet double ou multiple :

[9] Pierre aime, adore, hait, déteste, respecte, honore, craint, appelle,invite, félicite Marie.

[10] Pierre écrit, téléphone tous les jours à Marie.[11] Pierre ne parle plus avec Marie.

Le verbe actif est alors remplacé par le verbe pronominal ; le phénomèneest loin d’être quantitativement négligeable :

[9a] Pierre et Marie s’aiment, se haïssent, se détestent, se respectent, secraignent, s’appellent, s’invitent (l’un l’autre), etc.

[10a] Pierre et Marie s’écrivent, se téléphonent tous les jours.[11a] Pierre et Marie ne se parlent plus.

À l’occasion, des éléments lexicaux s’ajoutent aux marques morphologiquesexprimant la réciprocité :

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[12] Pierre tue, déchire, détruit, etc. Marie. Marie tue, déchire, détruitetc., Pierre.

deviennent

[12a] Pierre et Marie s’entre-tuent, s’entre-déchirent, s’entre-détruisent,s’entre-dévorent, s’entraident.

Cependant, même en emploi réciproque, ces verbes ne présentent pas lemême comportement syntaxique que ceux de la catégorie précédente,puisqu’ils ne permettent pas la dissociation des actants (cf. [5] supra) ensujet et complément, au moyen de avec :

[9b] *Pierre (s)’aime avec Marie. *Marie (s)’aime avec Pierre.[10b] *Pierre (s)’écrit avec Marie. *Marie (s)’écrit avec Pierre.[11b] *Pierre ne (se) parle plus avec Marie. *Marie ne (se) parle plus avec

Pierre.

Les verbes réciproques permettent le détachement d’un des actants encomplément et ce complément est traditionnellement considéré commetransitif indirect pour les raisons suivantes : la réciprocité, comme on l’adéjà dit, est

– un trait inhérent au sémantisme verbal ; or, la transitivité verbaleindirecte, comme la transitivité directe, sont des phénomènessémantiques ;

– le complément se construit invariablement avec la préposition avec ;– la préposition ne commute pas avec sans.

*Pierre se marie, se dispute, s’associe sans Marie.

Un argument supplémentaire, et qui n’a encore jamais été pris enconsidération, est que dans le cas des verbes de cette catégorie, avec nepeut pas fonctionner comme copule entre les sujets (cf.§ 4 infra)

[13] ?Pierre avec Anne se marient, se querellent, se disputent s’associent,etc.

ce qui semble démontrer que le syntagme introduit par avec estessentiellement, et seulement, complément.

2.3. L’asymétrie : SN1 accomplit une action qui n’est ni réciproque, ni

symétrique ni même parallèle à celle de SN2

; la conséquence la plusimportante de l’asymétrie est la possibilité, dans son cas, de construire lecomplément avec la préposition sans :

[14a] Pierre s’ennuie, s’énerve, s’amuse, se plaît avec Marie / sans Marie.

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La réciprocité n’y est pas nécessairement impliquée : si les exemples [14a]sont vrais, est-il permis d’en inférer que les réciproques [14b] sont vraiesaussi ?

[14b] ?Marie s’ennuie, s’énerve, s’amuse, se plaît avec Pierre / sans Pierre

En effet, les phrases à sujets multiples correspondant à celles dont lecomplément est introduit par avec :

[14c] Marie et Pierre s’amusent, s’énervent, etc.,

n’impliquent que le parallélisme :

Pierre s’amuse. Marie s’amuse (chacun de son côté).

s’il n’y a pas mention explicite de la réciprocité :

[14d] Pierre et Marie s’ennuyent mutuellement.

Le phénomène se complique ici par l’existence d’une relation supplémentaire– actif / passif – sémantiquement inverse mais elle aussi symétrique :

[15] Pierre s’ennuie, s’énerve, s’amuse avec Marie = Marie ennuie etc.Pierre.

Ce type de phrase est intimement lié, aussi bien sémantiquement que dupoint de vue de son fonctionnement, à un autre aspect de l’asymétrie enavec : celle des phrases dont le complément introduit par la prépositionexprime une action unilatérale ; on peut y distinguer deux cas distincts :

a) le complément indique la condition nécessaire pourl’accomplissement de l’action exprimée par le verbe :

[16] Avec Pierre, Marie réussira à surmonter ces difficultés.[16a] Avec de bons professeurs, les enfants réussiront tous leurs examens

cette année.

b) l’ancrage de la phrase dans le discours

[17] Avec Pierre, on ne sait pas sur quel pied danser.[17a] Avec Jacques, on peut s’attendre à tout.

Les deux classes ont en commun, d’une part, le fait que le complément peutêtre de l’inanimé, comme on peut le voir dans [16b] et [17b] :

[16b] Avec de bons manuels, les enfants réussiront tous leurs examens cetteannée.

[17b] Avec le temps qu’il fait, on peut s’attendre au pire.

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D’autre part, le fait que le complément en avec délimite un cas hors duquell’assertion véhiculée par la phrase n’est pas valide En effet, les assertions« on ne sait pas sur quel pied danser », « on peut s’attendre à tout », etc., nesont valides qu’en fonction et dans le contexte de Pierre, Jacques, etc.

[18] Quand il s’agit de Pierre, on ne sait pas sur quel pied danser.

Dans le tour asymétrique, le complément en avec est mobile à l’intérieur dela phrase :

[18a] On ne sait plus sur quel pied danser, avec lui.

3. Fonctionnement de avec

La question qui se pose maintenant est de savoir comment fonctionne avecdans les trois catégories que nous venons de définir. Les résultats de analysequi précède montrent clairement qu’il s’agit de trois groupes distincts. Lestours classées sous la réciprocité, par exemple, sont ceux où avec estpréposition par excellence. Avec Blanche-Benveniste et alii (1984), on poseque certains verbes à traits de complexité permettent le détachement d’unou plusieurs actants, qui sont alors déplacés de la position sujet à celle decomplément, au moyen de la préposition avec ; Blanche-Benveniste donnecomme exemples uniquement des verbes réciproques. Or, apparemment,les verbes classés sous l’étiquette « parallélisme » fonctionnent de la mêmefaçon : et pourtant, leur cas est fondamentalement différent. En effet, ilsemblerait au premier abord que pour le parallélisme, comme pour laréciprocité, la matrice soit formée par la phrase à sujets multiples :

SN1, SN

2, SN

3 …..SN

n + V

Ceci soulève une question supplémentaire : ne serait-il donc pas possiblequ’avec soit effectivement conjonction dans certains de ses emplois ?L’hypothèse n’est pas nouvelle et on l’a même considérée plus d’une fois :bon nombre de grammaires (Grammaire Larousse du XXe siècle, Wilmet1997, etc.) mentionnent le fait que cette préposition est susceptible, danscertains de ses emplois, d’assumer la fonction copulative. Dans sa thèsemonumentale sur La Coordination en français, G. Antoine (1962 : 694-697) retrace l’historique de avec copule et rend compte du débat théoriquequi l’accompagne. A la vérité, la question n’est traitée que rarement et trèsrapidement dans la littérature de spécialité et l’opinion qui prévaut estqu’occasionnellement des prépositions peuvent se charger de la coordination,et inversement, des conjonctions sont parfois susceptibles de fonctionnercomme des éléments subordonnants4. Le peu d’attention accordé auphénomène est dû au fait qu’il ne concerne qu’un nombre très restreint de

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prépositions : avec, sans et jusqu’à selon Antoine ; on pourrait même enéliminer sans, qui : 1 n’est pas le contraire de avec (bien qu’il soit interprétépar Antoine et d’autres après lui comme « pas avec ») ; et 2 ne fonctionnecomme avec ni du point de vue sémantique ni du point de vue syntaxique.

Antoine (1962 : 694) prend à l’égard de ces emplois une positiontranchée, que reprennent moins explicitement les autres grammaires :

« […] normalement, […] la préposition implique dépendance, i.e.subordination ; et même lorsque s’estompe cette destination foncière, on nese trouve pas au juste devant un succédané conjonctionnel, mais plutôt devantun fait de substitution, donc en définitive, devant une illusion syntaxique[…] »

Mais est-ce vraiment une illusion ? Antoine lui-même finit pardémentir cette hypothèse, par une assertion qu’il ne cherche toutefois pas àdémontrer : « Restent toutefois à considérer les cas où ce fait de substitution,à force de se répéter, finit par engendrer un véritable outil de remplacement ».

4. Avec copule

Dans ce qui suit, nous tâcherons de démontrer que :

1 la fonction copulative n’est pas une illusion et que la prépositiondevient réellement, dans certains cas, conjonction ; ceci n’est possible,cependant, que dans un moule sémantique et syntaxique déterminé(celui du parallélisme), qui seul en permet le fonctionnement.

2 en tant que conjonction, avec n’est pas un relateur de terme à termemais de proposition à proposition.

Dans la construction posée comme matrice commune du parallélisme et dela réciprocité :

SN1, SN

2, SN

3 …..SN

n + V

il est possible de thématiser un des actants en détachant l’autre au moyen dela préposition avec. La phrase ainsi obtenue est unanimement considéréecomme la réduction des deux propositions symétriques en une seule (cf. §2.1. supra). Avec n’est toutefois pas le seul instrument possible dudétachement. Considérons, en effet, les exemples [19] :

[19a] Pierre et Anne sont partis pour Paris.

Plusieurs possibilités de détachement d’un des actants se présentent(cf. Grevisse § 817a : « Sujets joints par ainsi que, comme, avec ») :

[19b] Pierre est parti pour Paris et Anne aussi.

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[19c] Pierre(,) aussi bien qu’Anne(,) est (sont) parti(s) pour Paris.[19d] Pierre est parti pour Paris, comme Anne.[19e] Pierre comme Anne sont partis pour Paris.[19f] Pierre est parti pour Paris avec Anne.[19g] Pierre avec Anne sont partis pour Paris.

On s’apercevra que les constructions de [19a] à [19f] sont accessibles aussibien aux verbes « parallèles » qu‘aux réciproques. [19g] en revanche, onl’a vu, n’est pas consenti à ces derniers :

*Pierre avec Anne se marient, se disputent, etc.

Nous avons déjà mentionné cette interdiction comme un critèresupplémentaire en faveur de l’objet second quand un des actants est introduit,dans ces cas, par avec. Ayant éliminé ainsi les verbes réciproques, nouspouvons continuer la réflexion à propos des verbes « parallèles ».

La différence – la seule différence, peut-on dire – entre l’emploi deavec et les autres exemples est d’ordre sémantique : avec indique dans [18f]et [18g] que les actants ont accompli la même action, simultanément, deconcert.

Les arguments invoqués pour l’utilisation de comme, avec et ainsique comme copules, bien que non exprimés de façon explicite, sont lessuivants :

– ces vocables se trouvent à la place de et ;– ils commutent avec et (avec les différences sémantiques

mentionnées) ;– l’accord du verbe : généralement au pluriel si les deux syntagmes

sont antéposés au verbe, au singulier si un seul syntagme précède leverbe.

Dans ce dernier cas, comme on sait, le nom introduit par avec estunanimement interprété comme un circonstanciel d’accompagnement nedifférant formellement d’un complément d’instrument, par exemple, quepar le fait que ce dernier est de l’inanimé :

[20] Il a écrit cette lettre avec son frère.[20a] Il a écrit cette lettre avec son stylo.

L’opposition animé / inanimé ou plutôt humain / inanimé est de premièreimportance car c’est elle qui entraîne le parallélisme en [20], parallélismequi, bien plus que la question (avec qui ? = accompagnement ; avec quoi ?= instrument) représente le critère formel pour le classement ducirconstanciel. Dans les grammaires, on ne trouve généralement pour aveccopulatif que des exemples où la « préposition » se trouve entre des nomsanimés et toujours en position sujet. On trouve chez Antoine (1962 : 695) :

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[21] Le singe avec le léopard / Gagnaient de l’argent à la foire. (LaFontaine, Fables, IX, 3, cité aussi par Grevisse 1964 : § 949)

[21a] Le comte Piper avec quelques officiers étaient sortis du camp.(Voltaire)

[21b] Ce capitaine, avec cinquante hommes, qui étaient venus pour prendreElie, sont consumés par le feu du Ciel. (cité aussi par Wilmet 1997 §701).

Ni Antoine ni Grevisse ne distinguent entre avec, comme, ainsi que + Nentre virgules ou sans virgules. Pour l’un comme pour l’autre5, en tout cas,une chose est claire : si le verbe est au singulier, avec + SN est complément :

[22] Vertumne avec Zéphir menait des danses éternelles. (Chateaubriand)[22a] Cependant Rodolphe, avec Madame Bovary, était monté au premier

étage de la mairie. (Flaubert)

Si, au contraire, le verbe est au pluriel, c’est qu’avec est employé à la placede et : « le singe avec le léopard … ».

Comme nous l’avons déjà dit, les sujets inanimés coordonnés paravec sont rares et, à l’examen, on s’aperçoit qu’ils ne sont possibles quedans la mesure où il existe une relation sémantique privilégiée entre lesdeux noms : même aire sémantique, relation partie / tout, contenant / contenuou cause / effet :

[23a] ?Dans la nouvelle maison, le toit avec la salle de bains nécessite(nt)des réparations.

[23b] Dans la nouvelle maison, les rayons avec les livres seront placéesdans le bureau.

Voici en effet les exemples de Grevisse :

[23c] Le travail avec ses servitudes lui inspira de bonne heure un granddégoût. (Garçon)

[23d] La chaloupe avec un canot seulement se trouvèrent en état de servir.(Mérimée)

Sur des centaines d’exemples tirées de textes littéraires et non littéraires deFRANTEXT, je n’ai relevé que celui-ci :

[23e] Ah, les Noëls ! Ils en occupaient des pages de l’album, les Noëlsavec les vacances qui suivaient. (Clavel)

Plus le rapport sémantique entre les deux noms est fort et plus le secondnom tend à devenir complément du premier ou, pour employer les termesde Grevisse, il devient un simple accessoire du premier6, ce qui commandeun verbe au singulier. Que le verbe s’accorde d’ailleurs au singulier ou aupluriel, entre deux humains, qui représentent toujours des entités distinctes

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et autonomes, et quelle que soit la position de l’élément introduit par avec àl’intérieur de la phrase, le rapport entre les deux syntagmes est toujours lemême, puisque la phrase se laisse toujours réécrire avec le sujet double oumultiple.

Conclusion

Le but de cette analyse était de montrer que le trait sémantique (+ humain)des syntagmes nominaux reliés par avec constitue un critère valable,permettant de définir le fonctionnement de ce vocable selon trois modesdistincts ; qu’il ajoute au moins un élément nouveau en faveur d’uncomplément d’objet indirect en avec ; qu’il montre avec plus de clarté lejeu de la thématisation d’un des actants dans toutes les catégories analyséeset plus particulièrement dans les emplois asymétriques ; qu’enfin, dans lescas relativement nombreux des verbes exprimant le parallélisme d’actiondes actants, avec fonctionne en vraie conjonction de coordination. À laquestion : « Préposition ou conjonction ? », il semble donc possible derépondre : « Préposition et conjonction ».

NOTES

1. Exemples de Choi-Jonin (1995:122) ; cf. aussi la discussion qui lesaccompagne.

2. Blanche-Benveniste et alii (1984:39-42) donnent une liste de ces verbes « àtrait de complexité », permettant une réalisation valentielle en avec quand le sujetn’est pas au pluriel ; cette liste est aussi citée par Choi-Jonin (1995 : 114-115).

3. Cf., par exemple, la Grammaire Larousse du XXe siècle, § 459, sur les emploisde la conjonction comme à valeur prépositionnelle : rire comme un bossu, un hommecomme lui.

4. Grevisse (§ 817 b), Antoine (1962 : 696-697) : « Si avec indiquel’accompagnement « de façon telle que l’accompagnateur soit sur le plan de lasubordination (le signe le plus sûr en est alors le singulier verbal) – avec fonctionnealors comme préposition. Hausse-t-il au contraire le second terme sur un pland’équilibre à l’égard du premier [terme] (le signe le plus sûr en est alors le plurielverbal) – en ce cas avec fonctionne comme conjonction », écrit Antoine.

5. Il est intéressant de noter que, dans cette optique, Emma Bovary devient,dans l’exemple [22a] donné par Grevisse lui-même, « un simple accessoire » deRodolphe.

RÉFÉRENCES

ANTOINE G., 1962, La Coordination en français, 2 vol., Paris, d’Artrey.

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