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4 PRESENCE DANS LA SOCIETE Accompagner des personnes gravement malades ou en fin de vie en milieu carcéral L'auteur de cet article est un bénévole des Petits frères des pauvres. Nous remercions vivement l'équipe MCR de Clamart (92) d'avoir pensé que Nouvel essor serait intéressé par un tel témoignage. L'auteur souhaite susciter des vocations parmi des personnes libérées des contraintes de la vie professionnelle pour accompagner ces personnes malades, voire en fin de vie, en milieu carcéral. Dans un tel domaine, n'est pas accompagnateur qui veut. Une formation est indispensable. P our camper le décor, voici quelques chiffres éloquents. En 2002, sur 247 détenus décé- dés en prison, la moitié est morte de mala- dies graves, l'autre moitié s'est suicidée: un suicide tous les 3 jours ! Ce sont en majorité les pauvres qui vont en prison. 10 % des détenus sont sous le seuil de pauvreté. Selon une étude sur la santé en prison, 35 à 42 % des personnes incarcérées sont considérées comme manifestement malades ou gravement ma- lades, 8 sur 10 ont au moins un trouble psychiatrique. Il est recensé plus de 2000 personnes de plus de 60 ans. Face à ce constat, comment ne pas s'interro- ger sur la fin de vie en prison, les questions d'accom- pagnement, de prendre soin et de la prise en charge palliative des détenus en fin de vie? « 35 à 42 % des personnes incarcérées sont considérées comme manifestement malades » À l'hôpital pénitentiaire À l'hôpital pénitentiaire de Fresnes, nous rencon- trons ceux qui connaissent la maladie grave, la conscience de la mort proche et vivant quotidien- nement des difficultés d'ordre psychologique ou psychiatrique, les angoisses, l'éloignement, l'écla- tement ou l'abandon par la famille. Notre place de bénévole est difficile et délicate mais indispen- sable comme témoin et acteur de la société civile, conforme à notre projet associatif d'aller vers les plus pauvres. Nous constatons un fort investisse- ment relationnel du détenu envers le bénévole. Nous intervenons depuis sept ans dans le cadre de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients et leur accès aux soins palliatifs, comme pour tout ••• En h. : coursives de la maison d'arrêt de Fresnes; en b. : « chambre-cellule » de l'hôpital pénitentiaire de Fresnes. Nouvel essor n° 242 - mars 2011 25

PRESENCE DANS LA SOCIETE Accompagner des personnes ... · ger sur la fin de vie en prison, ... dont près de la moitié en préventive. ... écouté que la victime sans rechercher

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Page 1: PRESENCE DANS LA SOCIETE Accompagner des personnes ... · ger sur la fin de vie en prison, ... dont près de la moitié en préventive. ... écouté que la victime sans rechercher

4PRESENCE DANS LA SOCIETE

Accompagner des personnesgravement maladesou en fin de vie en milieu carcéralL'auteur de cet article est un bénévole des Petits frères des pauvres.Nous remercions vivement l'équipe MCR de Clamart (92) d'avoir penséque Nouvel essor serait intéressé par un tel témoignage. L'auteur souhaitesusciter des vocations parmi des personnes libérées des contraintes de la vieprofessionnelle pour accompagner ces personnes malades, voire en finde vie, en milieu carcéral. Dans un tel domaine, n'est pas accompagnateurqui veut. Une formation est indispensable.

Pour camper le décor, voici quelques chiffreséloquents. En 2002, sur 247 détenus décé-dés en prison, la moitié est morte de mala-

dies graves, l'autre moitié s'est suicidée: un suicidetous les 3 jours ! Ce sont en majorité les pauvres quivont en prison. 10 % des détenus sont sous le seuilde pauvreté. Selon une étude sur la santé en prison,35 à 42 % des personnes incarcérées sont considéréescomme manifestement malades ou gravement ma-lades, 8 sur 10 ont au moins un trouble psychiatrique.Il est recensé plus de 2000 personnes de plus de60 ans. Face à ce constat, comment ne pas s'interro-ger sur la fin de vie en prison, les questions d'accom-pagnement, de prendre soin et de la prise en chargepalliative des détenus en fin de vie?

« 35 à 42 % des personnesincarcérées sont considéréescomme manifestementmalades »

À l'hôpital pénitentiaireÀ l'hôpital pénitentiaire de Fresnes, nous rencon-trons ceux qui connaissent la maladie grave, laconscience de la mort proche et vivant quotidien-nement des difficultés d'ordre psychologique oupsychiatrique, les angoisses, l'éloignement, l'écla-tement ou l'abandon par la famille. Notre placede bénévole est difficile et délicate mais indispen-sable comme témoin et acteur de la société civile,conforme à notre projet associatif d'aller vers lesplus pauvres. Nous constatons un fort investisse-ment relationnel du détenu envers le bénévole.Nous intervenons depuis sept ans dans le cadre de la loidu 4 mars 2002 relative aux droits des patients et leuraccès aux soins palliatifs, comme pour tout •••

En h. : coursives de la maison d'arrêt de Fresnes; en b. :« chambre-cellule » de l'hôpital pénitentiaire de Fresnes.

Nouvel essor n° 242 - mars 2011 25

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CAMPAGNE D'ANNEE

• •• (suite de la p. 25)

citoyen. Depuis 2008, notre présence bénévole estassurée chaque après-midi de la semaine, ce qui nousa permis de rencontrer 127 personnes, d'une visiteà beaucoup de visites selon la durée d'hospitalisationet en concertation avec les soignants.

La visiteSignalé par l'assistante sociale, mais surtout par uneinfirmière ou une aide-soignante, nous rencontronsla personne dans sa chambre seule ou avec un oudeux compagnons, ce qui ne permet pas toujoursla confidentialité...L'entretien selon les circonstances peut durer d'unquart d'heure à plus d'une heure trente selon le souhaitet l'état du malade... La personne nous dévoile trèssouvent les motifs, la durée d'incarcération mais éga-lement sa maladie, le diagnostic, les cures de chimioou de radiothérapie, les transferts vers les hôpitaux pa-risiens pour une consultation ou une opération. Avecconfiance, il parle aussi de ses angoisses, des raisonsd'une tentative de suicide, d'une grève de la faim oude médicaments, de son état moral...Le quotidien revêt une grande importance pour lui:nourriture, courrier qu'il nous demande parfoisd'écrire ou de lire, l'avocat, les demandes de condi-tionnel ou de suspension de peine, les projets de vieà l'extérieur...Dans la majorité des cas, nous ressentons une fortedensité dans les échanges, quel que soit le sujet abor-dé, et une confiance immédiate accordée, ce qui sur-prend toujours.

La loi KouchnerPour éviter que la prison ne se transforme définitive-ment en hospice ou en mouroir, le sénat a proposé une

procédure de suspension de peine pour les maladesen fin de vie ou dont la détention est incompatible avecl'état de santé. La loi Kouchner de mars 2002 a per-mis au juge d'application des peines de nous confier13 de ces personnes, que nous avons accompagnéesà l'extérieur jusqu'au bout... C'est le deuxième voletde notre mission auprès des personnes en fin de vie.

Les prisons, miroir de la sociétéLes personnes de plus en plus âgées voire démentesn'ont pas leur place en prison. Cette réflexion éthiqueengage notre société dans son ensemble. Nous sommestous, en tant que collectivité, et chacun d'entre nous,en tant que citoyen, responsables de la protection de lasanté physique et mentale des personnes incarcérées.

« Nous sommes tousresponsables de la protectionde la santé physique et mentaledes personnes incarcérées »Les prisons sont le miroir et le pouls de notre société !Nous reléguons toutes les déviances du système à lasanction pénale « punir et enfermer » avec son cortègede dégâts collatéraux : développement des pathologieslourdes et de maladies mentales, vieillissement, vulné-rabilité des plus pauvres, récidive à la sortie...Conscients de nos propres limites, nous poursuivonsce partenariat à Fresnes car nous savons que noussommes attendus par ceux qui souffrent dans tout leurêtre et qu'ils ont pour certains que quelques mois ousemaines à vivre.

Philippe Le Pelley-Fonteny

Témoignage d'un prisonnier en situation de prise en charge médicale

Monsieur D. me reçoit avec plaisir et se détend aufur et à mesure de notre entretien. Il me décrit avecdégoût les conditions exécrables de vie carcérale:mélange des prévenus et des condamnés, différencesd'âge importantes, 3 à 4 détenus dans 9m2...Pour voir son père en fin de vie qu'il ne pourra voirqu'une fois, le juge lui demande : « Vous voulez levoir vivant ou mort ? » Inhumain, écœurant !Il a pris 25 ans, «pire que s'il avait tué », dit-il. Enappel, sa peine est ramenée à 22 ans.Il a déjà 77 mois derrière les barreaux, dont près de lamoitié en préventive. Sa préoccupation, c'est de pou-voir retrouver sa mère de 83 ans, seule. Il espère obte-nir une conditionnelle ; dans 18 mois, la fin du tunnel ?Dans ce tumulte, sa femme l'a lâché. Il a été obligéde vendre ses biens pour faire face à l'ensemble desdépenses: honoraires d'avocat, frais de procédureset indemnités à la partie civile. Pour lui, le juge n'a

écouté que la victime sans rechercher les élémentsà décharge...Son souhait, après cette peine « injuste, dispropor-tionnée », c'est de vivre auprès de sa mère, tranquilleet de voyager.Il a pu grâce à ce séjour à l'hôpital (diabète, problèmecardiaque) se relâcher et goûter ce temps de reposet de prise en charge médicale. Il en est reconnais-

sant au médecin qui ne l'a pas renvoyé trop viteen centre de détention.Cette conversation ouverte et confiante lui a faitdu bien, même s'il apprécie la solitude, la possibilitéde pleurer quand il en a besoin.

« La vie est sacrée. Soulager autrui est de l'ordredu sacrement. J'appelle sainteté la perspectiveéthique elle-même, la possibilité même que la mortde l'autre compte pour moi. » Emmanuel Levinas

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