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Dialogue http://journals.cambridge.org/DIA Additional services for Dialogue: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Présence et représentation chez Pierre d'Ailly. Quelques problèmes de théorie de la connaissance au XIV e siècle Joël Biard Dialogue / Volume 31 / Special Issue 03 / June 1992, pp 459 - 474 DOI: 10.1017/S0012217300012099, Published online: 13 April 2010 Link to this article: http://journals.cambridge.org/ abstract_S0012217300012099 How to cite this article: Joël Biard (1992). Présence et représentation chez Pierre d'Ailly. Quelques problèmes de théorie de la connaissance au XIV e siècle. Dialogue, 31, pp 459-474 doi:10.1017/S0012217300012099 Request Permissions : Click here Downloaded from http://journals.cambridge.org/DIA, IP address: 195.19.233.81 on 06 Dec 2013

Présence et représentation chez Pierre d'Ailly. Quelques problèmes de théorie de la connaissance au XIVe siècle

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Présence et représentation chez Pierre d'Ailly.Quelques problèmes de théorie de laconnaissance au XIVe siècle

Joël Biard

Dialogue / Volume 31 / Special Issue 03 / June 1992, pp 459 - 474DOI: 10.1017/S0012217300012099, Published online: 13 April 2010

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Presence et representation chez Pierred'Ailly. Quelques problemes de theoriede la connaissance ail Xive siecle

JOEL BIARD CNRS - Paris

Face aux difficultes soulevees par le rapport de l'intellect a la chose intel-ligee — question qui suscite de nombreux debats aux confins des XIIIe etXIVe siecles —, Guillaume d'Ockham adopte une solution radicale: elleconsiste a supprimer tout intermediate entre l'acte d'intellection et la chosereelle, donnee dans sa presence singuliere, ultime cause efficiente du procesd'emergence et d'elaboration de la connaissance. De ce fait, Guillaumed'Ockham rejette tout correlat de la connaissance qui serait distinct de lachose meme. Cela revient a invalider aussi bien l'idee d'intentio in concretoque celle d'esse obiectivum. Sans faire l'unanimite, loin de la, la solutionockhamiste trouve des echos aussi bien chez des anglais tels que GauthierChatton ou Robert Holkot, que dans la pensee parisienne a partir de JeanBuridan. L'essentiel, de ce point de vue, est 1'exigence de presence de lachose meme dans le renvoi semantique et dans Ie rapport de connaissance,par consequent la determination de l'objet — entendu comme ce qui faitface a l'intellect — a partir de la presence et de l'etre donne, l'instaurationd'une relation de causalite efficiente (au moins a titre de cause partielle) en-tre la chose et la connaissance.

Les theses ockhamistes ne sont pas reproduites telles quelles, soit qued'autres influences s'y melent (comme par exemple chez Jean Buridan), soitplus fondamentalement que d'autres questions soient integrees et compli-quent les solutions adoptees (en particulier des questions proprementpsychologiques, ou psycho-noetiques, que le Venerabilis Inceptor avaitquelque peu delaissees), soit enfin du fait de debats avec des auteurs profes-sant des theories logiques et semantiques differentes (par exemple Gregoirede Rimini). Elles sous-tendent neanmoins de nombreuses reflexions sur laconnaissance: un exemple particulierement elabore se trouve dans les textescomposes par Pierre d'Ailly au cours des annees 1370-1380.

Dialogue XXXI (1992), 459-74

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Cognition et signification

L'une des caracteristiques les plus marquantes de la pensee de Pierred'Ailly est de traiter explicitement la connaissance comme un langage.Depuis un siecle, on rencontrait chez certains auteurs une demarche consis-tant a faire du concept, acte simple de connaitre, l'element d'un langage, etune tendance a privilegier ce signe conceptuel sur les autres especes designes. L'idee meme de connaissance s'en est trouvee progressivementmodifiee. Chez Guillaume d'Ockham, une sorte de juxtaposition subsistecependant entre 1'analyse logique des signes conceptuels dans la Somme delogique et les elements de gnoseologie du Commentaire des Sentences,meme si ces deux versants sont complementaires. Pierre d'Ailly, lorsqu'iletudie les signes conceptuels, en particulier dans le Conceptus, lie beaucoupplus etroitement signification et cognition. Ainsi, les questions proprementnoetiques (rapport de l'intellect a l'objet), meme si elles doivent etre traiteesde fac,on plus autonome dans d'autres textes, se trouvent inscrites dans uneperspective semiologique.

II ne suffit pas de rappeler que signifier, c'est engendrer une intellec-tion — ce ne serait qu'un lieu commun. Le terme mental, c'est-a-dire leconcept, est identifie a la connaissance de la chose — «il faut en outre noterque le terme mental, le concept ou l'acte d'inteHiger, et la connaissanceapprehensive de la chose sont identiquesw1 —, en meme temps qu'il est rat-tache a un acte de signification. Reciproquement, la definition generate quel'auteur donne alors de «signifier», loin d'en proposer une vague caracteri-sation semiotique, nous ramene immediatement a la faculte de connaitre:«Signifier, c'est representer quelque chose, ou quelques choses, ou d'unecertaine maniere a la faculte cognitive, en la modifiant vitalement»2. C'estpourquoi les deux principales especes de termes (conventionnels et naturels)vont etre distinguees par leur rapport a la connaissance, a la notitia:

II faut noter ensuite que signifier est la meme chose que produire un signe d'unechose (significare est signum reifacere) [ . . . ] . Cependant, une chose peut etre ditesigne d'une autre chose de deux facons. En un sens, parce qu'elle conduit a laconnaissance de cette chose dont elle est signe. En un autre sens, parce qu'elle estcette connaissance meme de la chose. En ce second sens, nous disons que leconcept est signe de la chose dont un tel concept est une ressemblance naturelle,non pas qu'il conduise a la connaissance de cette chose mais parce qu'il est laconnaissance meme de cette chose, la representant proprement de maniere na-turelle3.

Cette evocation insistante de la connaissance n'est pas de pure forme. Laconnaissance est precisement caracterisee comme vitalis immutatio, «modi-fication vitale». Ici, la vitalis immutatio est simplement presentee commeune connaissance actuelle (actualis notitia), ou encore une cognition quidoit etre causee, au moins partiellement, par la faculte cognitive. Le Com-mentaire des Sentences est plus precis lorsqu'il fait appel a cette notion pourdefinir le rapport de l'ame au concept, ou a la connaissance. La faculte

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Pierre d'Ailly 461

cognitive possede une puissance vitale de percevoir, et la connaissance estun accident qui s'y trouve sur le mode de l'information, non de l'inherence,dependant effectivement de son sujet, mais non sur le mode d'une causematerielle4.

Que la signification soit assimilee a la connaissance elle-meme (dans lecas des concepts ou signes naturels) ou que le signe y conduise de maniereinstrumentale (dans le cas des signes conventionnels), il est clair que leconcept est ici du cote de ce qui signifie, et non pas de ce qui est signifie. Si-gnifier, c'est representer une res, une ou plusieurs choses (sauf dans le casparticulier des syncategoremes, lesquels signifient aliqualiter). Con-formement a une idee ockhamiste dorenavant largement partagee, le signevocal ne saurait signifier le concept, du moins de maniere propre etpremiere: « [ . . . ] le terme vocal ne signifie pas proprement le concept au-quel il est subordonne en signifiant, parce qu'il ne le signifie pas a titre designifie ultime, mais a titre de signifie non ultime, puisqu'il n'a pas propre-ment ete cree par imposition pour signifier un tel concept»5.

Ce rapport de subordination entre langage parle et langage conceptuel, re-formule en tenant compte du role attribue a la connaissance, conduit a dis-tinguer differentes sortes de signification.

Dans le Conceptus, Pierre d'Ailly appelle «signification formelle» la si-gnification du concept «parce qu'elle est formellement la modification vitaleelle-meme»6. Le concept est done immediatement ce qui informe l'intellect,ce qui lui donne forme en son acte de connaissance. En revanche, il qualified'«instrumentale» la signification du mot, qui est susceptible (en fonctionde 1'imposition qu'il a recue) de produire dans la faculte cognitive la modi-fication vitale par laquelle celle-ci se representera quelque chose d'autre quele mot lui-meme. La subordination du mot au concept est ainsi reformuleedu point de vue cognitif. Dans un celebre passage des Insolubilia, Pierred'Ailly propose une distinction voisine, mais un peu differente7. II opposela signification du concept a celle d'une image, telle que l'image du roi.Puisque la signification equivaut a la representation d'un objet pour lafaculte cognitive, la signification peut etre double, comme Test la represen-tation. Elle peut etre formelle, comme le concept par lequel je connais le roiest une representation formelle du roi. La signification n'est en l'occurrencerien d'autre que la modification en acte de ma faculte de connaitre lorsquemon intellect apprehende une chose. Une image du roi, en revanche, ne si-gnifie pas le roi formellement mais objectivement, de meme que le cercledevant la taverne. Dans ce cas, le signe renvoie a autre chose que soi en sus-citant une connaissance de cet objet. L'auteur insiste moins ici sur lecaractere instrumental du mot que sur 1'introduction d'une mediation entrele signifie et la faculte qui se le represente. La meme structure complexe derenvoi peut en effet etre consideree selon un vecteur conduisant de la chosea sa representation, ou selon un autre de l'esprit a ce qu'il se represente.

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La multiplication des especes

Jusqu'a present, abordee a partir d'une relation semiologique entre le termeet la chose (res), la connaissance (notitia) est apparue comme un rapport di-rect et simple entre la faculte cognitive et la chose connue. Seule la disso-ciation entre signification formelle et signification objective est venue com-plexifier ce schema. Cependant, la conception de la connaissance quedefend Pierre d'Ailly ne se reduit pas a un simple face a face entre leconcept et la chose congue. A la suite des auteurs parisiens du milieu dusiecle, Pierre d'Ailly admet la presence de species qui assument une cer-taine fonction dans la connaissance, alors que Guillaume d'Ockham lesavait resolument exclues8. On peut done se demander dans quelle mesureces species ne constituent pas, comme le craignait le Venerabilis Inceptor,un ecran entre la faculte cognitive et la chose meme. Ne faut-il pas, en toutcas, reinterroger le statut de Vobjet de la connaissance? A quoi se «termine»exactement l'acte de connaitre?

C'est surtout dans les commentaires sur le Traite de Vame que la speciesa trouve place chez des auteurs qui, par ailleurs, professent des theories lo-giques et epistemologiques influencees par l'ockhamisme. Guillaumed'Ockham, on le sait, n'a pas commente le Traite de Vame. La conceptionde la connaissance exposee dans le «Prologue» du Commentaire des Sen-tences appelle plus une logique et une semiologie (procuree quelquesannees plus tard par la Somme de logique) qu'une psychologic Noustrouvons bien 5a et la, dans le Commentaire des Sentences ou dans lesQuodlibeta, des elements rudimentaires de psychologie, a propos de la sen-sation, de 1'imagination ou de la memoire; mais ceux-ci ne jouent pas unrole essentiel dans la gnoseologie ockhamiste. Guillaume d'Ockham recuse

* toute conception de la connaissance qui reposerait sur la constitution et latransmission d'elements intermediates entre la chose et l'intellect et, pourlui, laiiotton de species tombe sous une telle critique.

Jean Buridan et ses successeurs, en revanche, redigent des commentairesou des questions sur le Traite de Vame. Les documents rassembles par PeterMarshall9 montrent comment la reflexion sur les especes sensibles et intelli-gibles est liee a ces questions. Dans ce cadre, Jean Buridan lui-meme estconduit a admettre la presence d'especes sensibles et d'especes intelligi-bles10. Pierre d'Ailly prolonge ce courant. Suivant Gregoire de Rimini, ildefinit l'espece comme «une forme, qui est une similitude ou une image dela chose connue, restant naturellement dans l'ame, meme apres que celle-ci acesse de connaitre en acte, et apte par nature a conduire l'ame a la connais-sance de la chose dont elle est l'image ou la similitude»n. Cette definition nerapproche pas seulement l'espece de l'image, elle evoque la definition tradi-tionnelle du signe. Trace de la chose dans l'esprit connaissant, l'espece ap-parait d'emblee comme un moyen que l'ame se donne pour signifier.

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Pierre d'Ailly 463

En ce qui concerne les especes dans le milieu, l'opinion commune lesjustifie «par la raison, par l'experience et l'autorite»12: par la raison,puisque rien n'agit a distance sans agir d'abord dans le milieu; par l'expe-rience d'un rayon solaire qui traverse une vitre teintee de rouge; et par l'au-torite d'Aristote. Pierre d'Ailly expose ensuite l'opinion de Guillaumed'Ockham (sans le nommer), qui juge superflue cette multiplicite de fac-teurs, qui recuse le principe invoque, et qui tente d'expliquer autrementl'experience. Pierre d'Ailly tient les deux opinions pour «probables». Nean-moins, il prefere la premiere, non seulement parce qu'elle est la plus com-mune, mais encore parce que la seconde ne lui parait pas rendre suffisam-ment raison de l'experience, surtout concernant les miroirs. II traite ensuitede maniere analogue les especes dans les sens externes et dans le sens in-terne — 1'espece dans le sens interne permettant en particulier d'expliquerque Ton puisse penser a un objet absent.

Le probleme est plus complexe en ce qui concerne les especes irifelligi-bles13. La presence d'especes correspondant a des realites non sensibles, telles ,que pensees ou volitions, est justifiee par le souvenir. De maniere analogue, lapossibilite de penser a des choses sensibles absentes suppose que des especesde ces choses soient presentes a l'intellect. De telles especes doivent etre dis-tinguees de la connaissance elle-meme. L'espece n'est pas la connaissance ac-tuelle (intuitive ou abstractive) puisque nous eprouvons que nous n'avons pastoujours une connaissance actuelle (qui peut commencer ou cesser) alorsqu'une telle espece intelligible est en nous (puisque nous pouvons y penser anouveau). L'espece intelligible n'est pas non plus la «connaissance habi-tuelle» — c'est-a-dire une sorte de disposition a connaitre, inclinant a la repeti-tion de l'acte de connaissance —, elle n'est pas de meme nature que celle-cipuisqu'elle precede la connaissance actuelle alors que Yhabitus en resulte.

Mais tout en impliquant parfois la presence d'especes intelligibles, laconnaissance — du moins toute sorte de connaissance — ne s'y «termine»pas pour autant, c'est-a-dire que les especes ne sont pas le terme de cette re-lation qu'est la connaissance.

L'apprehension sensible sert de modele pour penser l'apprehension parl'intellect de realites non sensibles. Or la premiere se «termine» au sensiblelui-meme: « [ . . . ] lorsque nous percevons des sensibles exterieurs par lesens externe, les sensations exterieures de cette sorte se terminent en eux etnon en leurs especes, car il n'apparait aucune necessite de poser un objet in-termediaire (obiectum medium) entre ces [choses] senti[e]s et leurs connais-sances [. . . ]». II en ira done de meme en ce qui concerne les realites tellesque les pensees ou affections: ce sont elles qui «sont connues de nousimmediatement en elles-memes et intuitivement, et non les especes objec-tivement».

En ce qui concerne les especes, dans l'intellect, des realites sensibles, leschema est plus complexe. La connaissance d'une chose absente se termineimmediatement a l'espece. L'espece est done, dans ce cas, l'objet immediat

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de l'intellect. Encore faut-il preciser qu'une telle connaissance se dedouble.Elle a la species pour objet immediat, mais elle a aussi la chose absentepour objet. Car c'est bien de cette derniere, par exemple, qu'on se souvient.Celle-ci est done apprehendee par l'intellect, non pas en soi directement,mais in medio. La connaissance d'une chose absente comporte ainsi unecomposante intuitive et une composante abstractive. Pour determiner plusprecisement dans quelles composantes et a quel moment de la connaissancesont impliquees des species, il faut done voir en quel sens Pierre d'Ailly dis-

t tingue connaissance intuitive et connaissance abstractive.I La difficulty en la matiere vient, d'une part, de ce que Pierre d'Ailly ap-| plique cette distinction aussi bien a la notitia sensitiva (ou sensualis) qu'a laI notitia intellectiva, d'autre part de ce que les formulations varient entre le} Commentaire des Sentences et le Traite de l'ameu. Dans le CommentaireI des Sentences, presentant de maniere generate la difference entre connais-' sance intuitive et connaissance abstractive, Pierre d'Ailly reste proche de la' definition ockhamiste: la connaissance abstractive est celle en vertu de la-l quelle on ne peut pas savoir avec evidence d'une chose contingente si elle

existe ou non. Elle fait done abstraction de l'existence ou de la non-i existence, et elle ne permet pas de formuler des verites contingentes a pro-,•• pos de choses presentes15. Pierre d'Ailly suit aussi Guillaume d'Ockham•; lorsque celui-ci cherche une difference intrinseque entre ces deux connais-* sances, de sorte qu'elles ne doivent pas etre distinguees par ce sur quoi ellesi portent, ni meme etre opposees comme si l'une portait sur l'existence etf l'autre sur un objet qui serait indifferent a l'existence ou a la non-existence,| ou comme si l'une atteignait l'objet dans sa completude et l'autre dans une•} «ressemblance diminuee»16. C'est a la suite de ces mises au point quei » Pierre d'Ailly introduit une nouvelle distinction, qui ne se trouve pas chez! Guillaume d'Ockham. Les connaissances abstractives sont de deux sortes:

"!*' - . .I II y en a une par laquelle la chose meme est connue immediatement en elle-meme,•; et elle se termine objectivement en elle, si bien que rien d'autre qui en serait dis-1 tinct ne termine cette connaissance. II y en a une autre par laquelle la choser elle-meme n'est pas connue en soi, mais en autre chose (in alio), et qui ne se ter-| mine pas en cette chose meme immediatement, mais en son espece ou son image| existant dans l'Sme17.

) La demarche est differente dans le Traite de I'ame, oil Pierre d'Ailly3 commence par presenter la connaissance intuitive et la connaissance\ abstractive en tant que subdivisions de la connaissance sensible. II suit alors% Gregoire de Rimini et il definit la connaissance abstractive comme celle par

laquelle quelque chose est formellement connu par un certain intermediaire(medium) representatif, alors que dans la connaissance intuitive, c'est «lachose elle-meme, comme presente immediatement par soi-meme, qui faitface au connaissant»18. La connaissance abstractive sensible est done unesaisie de la chose par la mediation d'une espece sensible. Qu'en est-il dansla connaissance intellective? Elle doit etre divisee comme vient de l'etre

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l'apprehension par les sens. C'est alors que nous retrouvons le dedouble-ment evoque plus haut:

Celui done qui se souvient d'une chose qu'il a vue autrefois, bien qu'il se rappelleimmediatement cette chose qu'il se rappelle, et non par la mediation de quelqueautre objet, se souvient cependant par la mediation de quelque chose qu'il connait,a savoir par la mediation d'une espece qui lui fait immediatement face [quce sibiimmediate obicitur], et ainsi le souvenir est connaissance d'une chose absente,dont on a une connaissance abstractive et un souvenir, et connaissance d'une chosepresente, dont on a une connaissance intuitive et une claire vision19.

Ce passage, comme d'autres (tant a propos de la sensation intuitive etabstractive qu'a propos de l'intellection), tendent, dans le Traite de I'dme, aassimiler la connaissance intuitive a une connaissance de la chose «imme-diatement», «en soi-meme», et la connaissance abstractive a une connais-sance de la chose «par la mediation de son. espece»7 ou «en un pertainmoyen (terme) representant»20.

Neanmoins, dans la connaissance intellective, c'est la chose elle-meme •qui est connue ou dont on se souvient. La species n'est pas connue et recon-nue dans son etre et ses caracteristiques de species, de meme qu'en voyantune image dans un miroir, nous n'experimentons pas ce qu'est une image,en quoi elle subsiste et comment elle est l'image de quelque chose: nousvoyons ce qu'elle reflete. Ainsi, nous saisissons immediatement la speciessur le mode d'un objet donne et en meme temps nous saisissons par elle (enune liaison elle-meme immediate et non par une analyse qui thematiseraitson statut d'image) la chose meme, en une connaissance abstractive.

Le contact de l'intellect avec la chose est d'abord mis en evidence a pro-pos de choses sensibles presentes: «Lorsque le sens apprehende en acte unsensible qui lui est present, l'intellect apprehendant le meme sensible connaitimmediatement ce singulier lui-meme et n'apprehende pas par un autre objetintermediaire»21. L'important est ici le rapport direct a la chose. L'intellec-tion de choses materielles a la sensation pour condition (en ce qui concernel'etre humain dans ce monde), mais celle-ci est plus un accompagnementnecessaire qu'une composante formelle de l'intellection. Cette intellections'applique a la chose presente dans son etre singulier, et non a un objetpropre qui serait constitue par abstraction a partir des especes sensibles.

Mais l'intellection ne porte pas toujours sur des choses affectantpresentement les sens. Alors, l'intellect n'est pas en mesure d'apprehenderces choses directement et par lui seul. «Lorsque nous apprehendons par l'in-tellect des sensibles absents a nos sens, cette apprehension ne se termine pasimmediatement a ces sensibles mais a leurs especes, et nous les connaissonsen leurs especes [.. . ]»22. Un parallele semble done etabli entre l'apprehen-sion sensible et l'apprehension intellective, et dans les deux cas se conju-guent, pour la connaissance abstractive, l'apprehension immediate d'unespecies et l'apprehension in medio d'une chose absente.

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Encore faut-il se garder de conclure, a partir d'un tel schema, que l'intel-lect ne serait plus en mesure d'apprehender le singulier sensible des lors quecelui-ci n'est pas present. Le rapport d'intellection de la chose meme n'estpas empeche par la non-presence de cette derniere aux sens. La naturememe de ce rapport n'est pas transforme : «Lors done que l'intellect se rap-pelle, parfois, avoir connu de maniere determinee ou avoir aime un singuliersensible [qui est] absent, il s'ensuit qu'alors il intellige un tel singulier demaniere determinee et distincte, et non pas de maniere seulement univer-selle et confuse, bien qu'il ne soit pas present au sens»23. La re-presentationconceme plus ici la substitution d'une image aux donnees sensibles initiales(puisqu'il faut toujours une condition materielle pour l'activite de l'intellectici-bas) qu'une trans-formation du rapport d'intellection lui-meme qui, a encroire le Conceptus ou les Insolubilia, est lui-meme re-presentant (de) lachose et non pas seulement saisie d'un etre representatif.

En se demandant quel est le sujet des species, e'est-a-dire dans quoi ellessubsistent, Pierre d'Ailly confirme ce statut d'auxiliaire materiel assume parla species. La question est jugee tres difficile, et Pierre emet avec prudencel'hypothese selon laquelle l'intellect pour son activite, en depit de son im-materialite, a besoin d'une faculte materielle ou se situeraient les especes in-telligibles: ce sera l'imagination, ou plus exactement la fantaisie24. Ainsi,conjointement a la connaissance qui est vitalis immutatio, et qui parconsequent est un accident se trouvant par information dans la faculte co-gnitive, les species sont dotees d'un etre reel qui en fait, meme dans le casdes especes intelligibles, des images en un sens materiel. Ces images sontdes auxiliaires necessaires dans un proces complexe de connaissance. Ellesne constituent pas un etre intentionnel, elles ne sont pas non plus, a stricte-

kment parler, ce que l'intellect se represente25. Elles sont des auxiliaires quilui permettent de se representer la chose, comme nous l'avait deja suggerela the9rie du terme mental. , •

L'exigence de faire reposer l'ensemble de la connaissance sur le contactavec la chose meme se marque par la primaute de la connaissance intuitivedans le proces de connaissance et, en derniere analyse, par le besoin de l'in-tuition sensible.

La connaissance intuitive d'une chose singuliere [. . . ] est premiere par rapport ala connaissance abstractive, par laquelle cette chose singuliere est connue dans uneconnaissance singuliere et propre, parce que toute connaissance, par laquelle quel-que chose est connu dans une espece qui lui est propre, presuppose la connais-sance de cette chose en soi-meme [...] e'est pourquoi la premiere connaissanced'une chose singuliere est sa connaissance intuitive. II faut en outre conclure que lapremiere connaissance de l'intellect — en considerant la primaute du point de vuede son engendrement — est la connaissance intuitive d'un singulier sensible, a sa-voir de ce sensible qui affecte d'abord le sens d'un mouvement suffisant, apres le-quel quelqu'un peut intelliger26.

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Pierre d'Ailly 467

Primaute du contact intuitif et conditionnement sensible d'un cote,representation formelle de la chose meme de 1'autre: entre ces deux pas-sages obliges s'elabore le cycle de la connaissance, ou l'absence seconjugue a la repetition pour faire une place a la signification objective. Lamultiplication des especes n'est qu'une composante de cette construction,un element indispensable selon Pierre d'Ailly pour faire tenir l'ensemble.

La representation et ses objets

Chez Guillaume d'Ockham, la notion de representation apparait quelquefoispour marquer un redoublement lie a la structure semiotique de renvoi. C'estainsi que, dans le Commentaire des Sentences, l'image et le vestige sontqualifies de representatifs27. Discernant plusieurs sens de representare, lesQuodlibeta les relient a la connaissance. Au premier sens, le plus large,«representer, c'est etre ce par quoi quelque chose- est connu^ . Ledeuxieme sens concerne plus specialement l'image, et un passage ulterieurinsistera sur 1'aspect rememoratif de la connaissance ainsi suscitee. Le «troisieme sens evoque quant a lui un rapport de causalite, plus proche parconsequent du vestige. Mais l'idee de representation n'est pas utiliseesystematiquement; elle n'est pas l'un des concepts principaux de la logiqueou de la gnoseologie: ni le signe, que ce soit en general ou comme objetpropre de la logique, ni la connaissance telle qu'elle est etudiee dans le«Prologue» de YOrdinatio, ne sont definis par le concept de representation.

II en va differemment, un demi-siecle plus tard, avec Pierre d'Ailly. Nousl'avons deja vu lorsqu'il s'est agi de definir les differentes sortes de termes.Signifier est systematiquement lie a representer. Cela vaut pour la significa-tion conventionnelle: representer quelque chose a la faculte cognitive en lamodifiant vitalement, non pas par soi mais par la mediation d'autre chose;mais aussi pour la signification naturelle: representer quelque chose a lafaculte cognitive en la modifiant vitalement, par soi et non par l'in-termediaire d'autre chose. Pourtant, au premier abord, seule la significationconventionnelle parait impliquer une mediation, la presence d'un in-termediaire qui re-presente la chose connue et signifiee, comme le faisaitl'image dans les passages evoques de Guillaume d'Ockham. On assistedone a un deplacement et a un elargissement de la notion de representation,qui la lie a l'acte meme de connaitre: «La connaissance est un acterepresentant quelque chose a une faculte qui est vitalement perceptive»29.

Englobant la signification formelle et la signification instrumentale, larepresentation ne peut s'assimiler a la connaissance que par une redefinitionqui depasse la simple reproduction de la chose en un etre representatif telqu'une image ou une trace. C'est pourquoi, meme si la species trouve placedans ce schema, la representation ne se reduit aucunement a la presence despecies representant les choses pour les sens ou pour l'intellect.

Etant donne que l'intellection vise la chose meme, la connaissance intel-lective sera representation de la chose connue. Une connaissance abstractive

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468 Dialogue

s'applique a la chose en s'aidant d'une species conservee dans I'imagina-tion. En tant qu'image ou similitude, cette species est elle-meme un etrerepresentatif de la chose. Mais, comme on l'a vu, la connaissance ne setermine pas purement et simplement a cet etre representatif. La representa-tion se dedouble. L'intellect se represente formellement une chose, serait-elle absente, alors meme que la species la represente objectivement — et1' intellect ne peut se la representer que dans et par ce dedoublement.

Qu'est-ce qui, dans ce contexte, est nomme obiectum, et quel est, dansces conditions, le statut de Vobjetl

Ici encore, il faut voir que cette notion prend dans le texte de Pierred'Ailly, par un mouvement de dedoublement-englobement, un statutconceptuel qu'elle n'avait pas chez Guillaume d'Ockham — meme si onpeut en trouver des antecedents aussi bien chez Jean Duns Scot que chezThomas d'Aquin.

Pour designer le signifie, Guillaume d'Ockham parle toujours de chose,de res. En ce qui concerne Facte simple de connaitre, la plupart du tempsaussi son correlat est designe comme res, meme si le contexte du Commen-taire des Sentences, les doctrines qu'il evoque et critique, l'incitent parfois aappeler «objet» ce qui termine l'acte d'intellection, done ce a quoi sereferent les signes conceptuels. Dans les textes de-reflexion sur la science,1'obiectum est la proposition, qui est immediatement apprehendee, alorsmeme que les termes, dont cette proposition est composee, supposent pourdes choses exterieures. II me semble que, a l'epoque de Guillaume,Tideememe d'objet, le statut propre de ce qui est pose comme faisant face a l'acted'intellection, se trouvent surtout promus par les theories qui, a un titre ou aun autre, admettent un «etre objectif» distinct de l'etre subjectif. Guillaumed'Ockham, qui avait deja pu rencontrer cette idee chez Jean Duns Scot ouHenri de Harclay, y est confronte en permanence lorsqu'il cite Pierred'Au«ole..pour le.critiquer, dans sa derniere version du Commentaire desSentences. Mais il ne reprend cette notion que pour la deplacer, soit en as-similant l'objet a la chose meme30 soit en le reduisant au langage signifiantcomme correlat immediat de l'apprehension31.

Une deuxieme composante vient, au XIVe siecle, conforter l'usage de lanotion d'objet. C'est l'utilisation de la perspective et de l'optique, en parti-culier dans les commentaires sur le Traite de Vame 32. Le terme d'objet serta designer ce sur quoi porte la vision et, par elargissement, le correlat detoute operation ou faculte psychique, quel que soit le statut reel ou inten-tionnel d'un tel objet.

Chez Pierre d'Ailly, la signification, qu'elle soit verbale ou conceptuelle,est indiscutablement, une relation a la chose meme33. Mais a la difference dece qui se passait dans les textes ockhamistes, la notion d'objet est om-nipresente. Elle englobe, de ce fait, des realites au premier abord differences.

En premier lieu, Vobiectum est tres souvent assimile a la chose qui estperc,ue ou congue. C'est souvent le cas dans le Traite de Vame, la meme ou

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est exposee la theorie des species. C'est flagrant en ce qui concernel'apprehension sensible, ou, comme dans les traites de Jean Buridan ouNicole Oresme, Fobjet de la sensation doit bien etre distingue de laspecies3*. Dans sa discussion des theses ockhamistes, Pierre d'Ailly parle aplusieurs reprises d'obiectum extra35. Lorsqu'il evoque la connaissance dunon-existant, il affirme que, dans des conditions naturelles, l'existence d'un«objet sensible» est requise36. Mais eriger la chose en objet n'est pasreserve a l'apprehension sensible. Les deux sont aussi assimiles a propos dela conception telle que la presente le Conceptus: «Le concept est la connais-sance actuelle d'une chose, causee dans Fame partiellement par l'objet, asavoir par la chose congue ou connue, et partiellement par la faculte cogni-tive [.. .]»37.

Dans le Traite de I'ame, neanmoins, l'opinion qui admet l'existence despecies pour les sens et pour l'intellect, en fait aussi des objets. Pierred'Ailly a commence par designer comme objet tout correlat d'une'pUfSsanceou faculte psychique, y compris celles qui relevent de Fame vegetative38. Unargument pour justifier les species dans le sens interieur est que «dans lapensee d'une chose absente fait immediatement face quelque objet connu»39;et Pierre d'Ailly precise que «puisque la chose en dehors de Fame n'est pasl'objet immediat de cette pensee interieure, son objet est la chose dans Fame,qui est une similitudo de la chose exterieure [ . . . ] . Et c'est ce que le Philo-sophe et les saints appellent espece, image ou phantasme»40.

La species peut done etre dite «objet immediat»; d'un autre point de vue,en revanche, on peut pafler d'obiectum medium, d'objet intermediate pourdesigner ce moyen (terme) que constitue l'apprehension par l'intellect d'unespecies. Pierre d'Ailly Fevoque negativement a propos de la connaissanceintuitive, en precisant que celle-ci se termine bien a la chose singuliereelle-meme et non pas a «aliquod medium obiectum»4*. On entrevoit deja icile dedoublement qui s'est produit dans la connaissance abstractive a proposde la representation, et qui se retrouve ici du cote de l'objet. Lorsqu'une resest connue grace a une species, done principalement lorsque nous pensons ades choses absentes, la pensee (cogitatio) se termine immediatement a cettespecies. Suffit-il de dire que tel est Yobiectum, et que la chose n'est connueque dans cet etre-pense? En verite, la chose est aussi ob je t :« [ . . . ] puisquecette espece est d'une autre raison {ratio) que l'objet exterieur (ab obiectoextra), rien n'empeche que la merae connaissance ne porte sur deux objetsde diverses raisons, dont Fun est connu au moyen de Fautre»42. C'est pour-quoi, en fin de compte, lorsque Pierre d'Ailly distingue deux actes dans laconnaissance qui (se) represente quelque chose au moyen d'une spe-cies — Fun selon lequel, la species etant saisie comme image, la connais-sance se trouve etre intuitive relativement a cette species et abstractive rela-tivement a la chose representee, Fautre selon lequel, la species etant connueen elle-meme et non comme representative, la connaissance est purement

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intuitive —, il peut dire aussi bien que «quelque chose est objet de l'une, quin'est pas objet de l'autre, a savoir la chose meme»43.

Dedoublement et englobement: concernant les sens, l'objet est assimile aquelque chose qui est exterieur a la faculte cognitive; concernant l'intellect,l'objet peut etre aussi bien l'objet exterieur que la species, dans ce rapportcomplexe a trois termes que nous avons analyse plus haut a propos de larepresentation. C'est a cette occasion qu'une fois (mais, a ma connaissance,une fois seulement dans le Traite de I'ame et jamais dans le Conceptus),Pierre d'Ailly reprend l'expression d'etre objectif44.

Qu'en est-il alors de l'etre-objet, de l'objectalite? II est clair que Pierred'Ailly englobe sous cette idee tout ce qui fait face a un acte, quel qu'il soit,d'une des puissances de Fame. II n'y a pas, en ces domaines, d'acte sansob-jection, comme le montre l'usage de verbe obicere, obicitur45. On peutdone estimer que fondamentalement, le rapport de cognition suppose unetelle position d'objet.

En meme temps, cette position n'evacue aucunement dans un esse ap-parens l'apparition de la chose meme, telle qu'elle se presente a la facultecognitive. De ce point de vue, la multiplication des especes contredit as-surement l'exigence ockhamiste de parcimonie, mais elle ne tombe pas pourautant dans le travers que redoutait le Venerabilis tnceptor, a savoir consti-tuer un ecran entre l'acte d'intellection et la chose. Sans doute la construc-tion de Pierre d'Ailly n'a-t-elle pas la belle simplicite de la theorie ockha-miste. Mais, prenant en compte des problemes etudies dans les commen-taires sur le Traite de I'ame, accordant surtout plus de place auxphenomenes mettant en jeu la memoire et 1'imagination, il integre des spe-cies en maintenant l'exigence fondamentale de la gnoseologie ockhamiste,reprise dans la theorie de la science de Jean Buridan et de ses eleves: lecontact avec la res ipsa comme element fondateur de tout proces deconnaissance. C'est dire que la representation objective ne saurait ici ni re-pousser la chose meme dans l'inconnaissable, ni la transposer integralementdans un «etre connu» puisqu'il s'agit de combiner ces objets de fonction etde statut differents que sont, pour la representation cognitive, 1'image et lachose exterieure.

Qu'en est-il done enfin de la presence? Toute la logique, la semantique etla gnoseologie de style ockhamiste tendent en effet a accentuer la presencecomme determination fondatrice de l'objet d'intellection, de signification oude connaissance. En meme temps, il faut expliquer comment le langage ins-taure, par des procedures reglees, un ecart avec cette presence fondatrice. Enmettant au premier plan le concept de representation, Pierre d'Ailly met enlumiere, plus que ses predecesseurs, le jeu de cette repetition. Dans la saisieintuitive (dont la place cruciale a ete confirmee), «la chose elle-meme estcomme presente immediatement en soi-meme au connaissant». Dans la con-naissance par species, c'est cette derniere qui est immediatementpresente — on a meme vu Pierre d'Ailly chercher a la localiser dans Pimagi-

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nation. En ce sens, tout objet a non seulement une presence, mais meme unecertaine forme de subsistance. Pierre d'Ailly lie l'etre-objet a ce qu'il nomme«presentialite» lorsqu'il dit que «la connaissance abstractive [. . . ] fait abs-traction de la presentialite objective de la chose»46. De telles formules sontreprises a Gregoire de Rimini, que Pierre d'Ailly suit ici de pres et qui le pre-mier a defini la connaissance abstractive comme connaissance «dans unmoyen (terme) representatif». II faut cependant se garder de transposer chezPierre d'Ailly toutes Jes implications ontologiques des theses de Gregoire.Celui-ci distingue, on le sait, plusieurs sens de res et de aliquid pour elaborersa theorie du signifie total et adequat de la proposition, une theorie que dansses Insolubilia Pierre denonce comme «irrationnelle et inintelligible»47.L'ontologie de Pierre d'Ailly est plus proche de celle de Guillaume d'Ock-ham ou de Jean Buridan. II ne faudrait done pas entendre ici une reduction dela presentialite a l'etre representatif, a un esse obiectivum; au contraire «lachose meme, comme absente, est connu'e dans autre chose, dans uniwoyen[terme] representatif». La representation, qui a partie liee avec le langage, sesubstitue a la presence. Mais pas a n'importe quelle presence. Ce n'est pas del'existence, est-il bien precise, qu'il est fait abstraction. C'est done de cetteforme de presence qui est liee a l'objectalite, a l'etre-objet de la chose et qui,en l'occurrence, se trouve assumee par la species, dans l'acte complexe parlequel V intellect se represente une chose absente.

Avec Pierre d'Ailly, nous avons l'une des plus riches expressions de lareflexion sur la connaissance au XIVe siecle. D'ailleurs, bien des idees quitrouvent ici leur formulation vont marquer la pensee du Moyen Age tardif,jusqu'aux Tractatus noticiarum du debut du XVIe siecle48. De nombreusesinnovations, au tournant des XIIIe et XIVe siecles se sont conjuguees pourtransformer profondement le rapport du langage, de la pensee et du monde.En poussant a l'extreme l'assimilation du langage et de la pensee et en met-tant au premier plan le concept de representation, Pierre d'Ailly tend a ins-taurer un rapport a 1'objet qui, d'une certaine maniere, parait reduire lachose a son etre represente. En verite, cette transposition dans le langageconceptuel n'evacue nullement la chose comme cause — au point de nour-rir, durant des lustres, des debats sur la possibility d'une action a distance,question dans laquelle les species trouvent precisement leur justification.Assurement, il est de la premiere importance pour l'histoire des theories dela connaissance de noter cette emergence au premier plan de l'idee derepresentation, qui tend a se subsumer la signification et la connaissance.Mais la representation ne se constitue pas en un tableau par lequel nos ideesdepeindraient les choses. D'une part, la notion de signification est elargie ades phenomenes proprement cognitifs impliquant differents niveaux d'acteset d'objets. D'autre part, le sens de la realite ne se reduit pas a l'objectalite,des lors que la chose meme doit etre accueillie telle qu'elle est, non passeulement comme une origine perdue, mais au sein meme du proces deconnaissance.

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Notes

1 Pierre d'Ailly, Conceptus, ed. L. Kaczmarek, dans Modi significandi und ihre Deslruk-tionen, Miinster, Munsteraner Arbeitskreis fur Semiotik, 1980, p. 83.

2 Ibid., p. 81. Sur l'expression, frequente chez Pierre d'Ailly, «aliquid, vel aliqua vel ali-qualiter», cf. J. Biard, Logique et thiorie du signe au xrve siecle, Paris, Vrin, 1989,p. 267-269.

3 Ibid., p. 82-83. La notitia est plus large que la seule connaissance intellectuelle,puisqu'elle inclut aussi bien 1'apprehension par la puissance sensible.

4 Pour de plus amples eclaircissements sur cette notion de vitalis immutatio, que Pierred'Ailly reprend a Jean de Ripa, cf. L. Kaczmarek, «Notitia bei Peter von Ailly, Sent. 1,q. 3. Anmerkungen zu Quellen und Textgestalt», dans O. Pluta, dir., Die Philosophic im14. und 15. Jahrhundert, Amsterdam, Grttner, 1988, p. 385-420.

5 Conceptus, p. 95; cf. aussi p. 94: «Le terme vocal est dit signifier arbitrairement demaniere ultime la chose meme en vue de laquelle il a ete cree pour la signifier demaniere ultime, a savoir la chose d'abord concue»; l'expression de «signifie ultime»,utilisee pour renvoyer a la chose reelle signified, vient de Jean Buridan, mais le sche'masemiotique ici mis en oeuvre est quelque peu different {cf. J. Biard, Logique et theoriedu signe au xrve siecle, p. 274-275).

6 Ibid., p. 93.7 Cf. Insolubilia, dans Conceptus et insolubilia magistri Petri deAlyaco, s. 1. n. d. (Paris,

Bibl. nat., Res.: R. 2239), sign. D II r; trad, anglaise dans P. V. Spade, Peter of Ailly:Concepts and Insolubles, Dordrecht, Reidel, 1980, §273, p. 72.

8 Cf. Guillaume d'Ockham, Scriptum in primum librum sententiarum ordinatio, dist. 27,q. H, Opera theologica, vol. IV, ed. G. Etzkorn et Fr. Kelley, St. Bonaventure, NY, TheFranciscan Institute, 1979, p. 205 : « [ . . . ] en aucun sens, une species n'est a poser dans1'intellect, parce qu'il ne faut pas poser une pluralite sans ne'cessite. Or [ . . . ] tout cequi peut etre justify par une telle espece peut aussi facilement etre justifie sans elle». IIest usuel de transcrire species par «espece», meme si cette transposition est in-comprehensible en bon franc,ais. Telle que je comprends la doctrine de Pierre d'Ailly, ilme semble que Ton pourrait rendre approximativement species par «image»; Pierre ditparfois que la species est une image, et il donne souvent comme exemple «l'image d'unroi» pour faire comprendre le type de relation signifiante qui est en cause. On ne peuttouftfois pas identifier totalement les deux notions.

9 P. Marshall, «Parisian Psychology in the Mid-Fourteenth Century», Archives d'histoiredoctrinale et litteraire du MoyenAge, vol. 50 (1983), p. 101-193.

10 La version imprime'e dans l'edition Lockert l'affirme d'abord pour l'espece sensible:cf. Qucestiones et decisiones physicales insignum virorum, ed. G. Lokert, Paris, 1518,f° XI ra-rb, repris par Marshall, dans «Parisian Psychology . . . », p. 153: «Tout sensdans lequel un sensible imprime une species est passif a l'egard de ce sensible. Or le sen-sible imprime une certaine species dans le sens, comme c'est evident de la vue, parexperience [ . . . ]»; et p. 1 5 5 : « [ . . . ] sans espece sensible produite par l'objet, le sens nepeut pas sentir». Pour l'espece intelligible, Jean Buridan affirme dans la meme version ladistinction de l'espece et de l'acte: cf. ibid., Ill, vm, f° XXVIIvb, rfiedite dans BenoitPatar, Le Traite de I'ame de Jean Buridan, Louvain-la-Neuve, Ed. de l'lnstitut Supdrieurde Philosophies Longueuil, Ed. du Pr6ambule, 1991, p. 589: «I1 faut alors, pour repondre,poser une conclusion, a savoir que les especes intelligibles different des actes d'intelliger».Le manuscrit de Bruges edite par B. Patar comme prima lectura affirme en revanche qu'iln'y a pas de distinction reelle entre l'acte et l'espece, a la difference de ce qui se passedans le sens, ou l'espece doit preceder l'acte {cf. ibid., p. 459).

11 Tractatus de anima, edite dans O. Pluta, Die philosophische Psychologie des Peter vonAilly, t. II: Edition —Petrus de Aillyaco: Tractatus de anima (Bochumer Studien zur

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Philosophie, vol. 6), Amsterdam, Griiner, 1987, c. 8, p. 46; pour la reference aGregoire, voir la note 3 de l'editeur, p. 45.

12 Ibid., p. 46. Je passe tres vite sur les especes dans le milieu, dans les sens externes oudans le sens interne; on peut a ce sujet consulter O. Pluta, Die philosophische..., 1.1:Die philosophische Psychologie des Peter von Ailly, p. 70-99, ou B. Meller, Studien surErkenntnislehre des Peter von Ailly, Fribourg, Herder, 1954, p. 51-81.

13 D'apres l'usage qu'en fait Pierre d'Ailly dans le Traite de I'ame, on peut estimer que leterme «intelligible» designe d'abord, au sens large, tout ce qui est ou peut etre intellige(voir par exemple p. 80), que cela soit ou non egalement perceptible par les sens;concernant plus specialement les «especes intelligibles», ainsi qu'elles sont parfoisnommees, elles sont en verite les «especes de l'intellect» (cf. ibid., c. 10, p. 58: «Apresavoir parle des especes du sens, il faut parler des especes de l'intellect»). Cela n'im-plique pas qu'elles possedent un mode d'etre specifique ou constituent un mondeproprement intelligible.

14 Dans 1'introduction a son edition du Traite de I'ame, p. 108-110, Olaf Pluta critiqueBernhard Meller qui decele une opposition entre le Traite de I'ame et le Commentairedes Sentences, a propos d'une distinction que Pierre d'Ailly~introduit au-sei«jde laconnaissance abstractive. II est bien sur important de restituer le veritable ordre chrono-logique entre les deux oeuvres — le Commentaire des Sentences (1376-1377) 6tantanterieur au Traite de I'ame (entre 1377 et 1381). Et il ne semble pas y avoir de forteopposition entre les deux textes. Toutefois, Ludger Kaczmarek (art. cite) montre quedans le passage du Commentaire des Sentences qui est consacre a la connaissance intui-tive et a la connaissance abstractive, c'est bien sur Guillaume d'Ockham et non surGregoire de Rimini que se regie Pierre d'Ailly. Le fait de reprendre, dans le Traite deI'ame, des definitions de Gregoire peut marquer une certaine evolution de la reflexion etentrainer certains deplacements. Ainsi, Ton note bien certaines differences dans lesdefinitions de la connaissance abstractive. On pourrait alors se demander s'il n'y a pasaussi une evolution entre le Conceptus (entre 1368 et 1375), qui affirme fortement lerapport direct du concept au signifie, assimile a la chose, et le Traite de I'ame qui com-bine le role des species avec la «signification objectives On peut l'admettre, mais il neme semble pas y avoir d'incompatibilite entre ces differents aspects.

15 Cf. Pierre d'Ailly, In I. Sent, q. 3, art. 1, texte donne par L. Kaczmarek, art. cite, §§6 et7, p. 407, avec, en regard, le texte correspondent de Guillaume d'Ockham.

16 Ibid., §10, p. 408-409; et §14 (Ockham: §17), p. 411.17 Ibid., p. 414.18 Tractatus de anima, c. 11, p. 70.19 Tractatus de anima, c. 10, p. 59; on trouve la meme idee p. 71.20 Tractatus de anima, c. 12, p. 73 et c. 11, p. 70.21 Ibid., c. 12, p. 73.22 Ibid.23 Ibid.24 Cf. ibid., c. 10, p. 6 2 : « [ . . . ] bien que notre intellect soit une faculte immaterielle, il ne

peut cependant rien intelliger naturellement sans une faculte materielle fantastique[.. . ] et ainsi une memoire materielle peut conserver les especes de toutes nos intellec-tions».

25 Les especes sensibles «ne sont pas dites especes sensibles parce qu'elles pourraient etresenties mais parce que par elles la sensation peut etre causee» (c. 8, p. 48); il en va dememe des especes intelligibles, qui ne sont pas les objets de l'intellection, mais cegrace a quoi les choses peuvent etre intelligees. On doit d'ailleurs noter que ce statut demoyen et non d'objet a d'une certaine maniere toujours ete lie a la notion d'espece; cf.Thomas d'Aquin, Summa contra gentiles, II, c. 15: «L'espece intelligible, rec,ue dans

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l'intellect possible, se comporte done, lorsque Ton intellige, comme ce par quoi Ton in-tellige et non comme ce qui est intellige [ . . . ] . Quant a ce qui est intellige', e'est la na-ture [ratio] meme des choses existant en dehors de Tame [ . . . ]» (ed. Leonine, Rome,1937, p. 179). Mais ces auteurs divergent, evidemment, sur ce qui est objet pour l'intel-lect, done aussi sur le rapport de ces differentes species a Pobjet.

26 Ibid., c. 12, p. 75 (e'est moi qui souligne). Cf. Guillaume d'Ockham, Scriptum in li-brum primum sententiarum ordinatio, Prologue, q. I, Opera theologica, I, ed. G. Gal etSt. Brown, St. Bonaventure, New York, 1967, p. 72.

27 Cf. Guillaume d'Ockham, Scriptum in primum librum Sententiarum ordinatio, dist. 3,q. IX, Opera theologica, II, ed. St. Brown et G. Gal, St. Bonaventure, NY, The Francis-can Institute, 1970, p. 545: «Et ce qui est ainsi connu peut etre dit representatif de quel-que chose d'autre, et rien d'autre n'est a proprement parler repre'sentatif, et en ce sensaussi bien le vestige que l'image representent ce dont its sont le vestige ou l'image».

28 Guillaume d'Ockham, Quodlibeta, IV, q. 3, Op. theol., IX, ed. J. C. Wey, St. Bonaven-ture, NY, The Franciscan Institute, 1980, p. 310.

29 Pierre d'Ailly, In I. Sent., q. 3, art. 1, ed. L. Kaczmarek, art. cite, p. 399.30 Cf. par exemple Guillaume d'Ockham, Scriptum in primum librum Sententiarum ordi-

natio, Prol., q. 1, p. 38, lorsqu'il s'agit de comparer la connaissance intuitive et laconnaissance abstractive: «La connaissance intuitive et la connaissance abstractivedifferent en elles-memes et non en fonction de leurs objets [. . . ]».

31 Est-il besoin de le preciser, le rapport de ce langage signifiant et de la chose exterieuresignifiee est d'une tout autre nature, et pose de tout autres problemes, que le rapport de/ 'esse apparens a Yesse reale.

32 Sur cette utilisation, cf. Graziella Federici Vescovini, Studi sulla prospettiva medievale,Turin, Giappichelli, 1965, p. 145-163, et, par exemple, les textes de Nicole Oresmedans P. Marshall, art. cite, en particulier p. 169 (3a concl.).

33 Cf. Pierre d'Ailly, Conceptus, p. 82, ou signifier est defini «esse signum alicuius rei»,p. 83, ou le concept est «ipsamet noticia rei naturaliterproprie representans rem», etc.

34 Cf. Tractatus de anima, p. 17, p. 19 sq., etc.35 Cf. ibid., p. 52 et p. 55.36 « [ . . . ] une telle sensation exterieure ne peut naturellement se produire si 1'objet sen-

sible n'existe pas ni se conserver naturellement lorsqu'il est detruit, quoi qu'il en soit dela ouissance surnaturelle et absolue de Dieu» (Tractatus de anima, c. 11, p. 68).

37 Conceptus, p. 91. ' -38 Cf. par exemple p. 12, a propos de l'objet de la puissance nutritive.39 Tractatus de anima, c. 9, p. 56.40 Ibid., p. 57.41 Ibid., c. 12, p. 73.42 Ibid., c. 10, p. 59.43 Ibid., c. 11, p. 71.44 Cf. ibid., c. 10, p. 60; a quoi Ton peut ajouter une autre occurrence adverbiale, p. 58.45 Cf. ibid., c. 9, p. 56, a propos de la connaissance abstractive, comme du sens: «[••• ]

tali cogitationi de re absente obicitur immediate aliquod obiectum cognitum, quicquidsit Mud, sicut visioni exteriori obicitur color [. . .]»; c. 10, p. 59, a propos de laconnaissance per speciem: « [ . . . ] mediante specie, quce sibi immediate obicitur[ . . . ] » ; m a i s aus s i , c. 1 1 , p . 7 0 , a p r o p o s d e la c o n n a i s s a n c e i n t u i t i v e : « [ . . . ] in notitiaintuitiva res ipsa quasi presens immediate in se ipsa cognoscenti obicitur».

46 Ibid., c. 11, p. 70; on trouvera en note les references a Gregoire de Rimini.47 Insolubilia, sign. C ill r; trad, anglaise dans Spade, Peter ofAilly... , 1980, §190, p. 56.48 On aura un aperc.u de ces traites et des theories de la connaissance qui y sont

developpees dans A. Broadie, Notion and Object, Oxford, Clarendon Press, 1989.