13
PRÉSENCES ET SIMULACRES SUR SCÈNE ET AU TRIBUNAL Richard Sherwin et Esther Gouarné Le Seuil | Communications 2013/1 - n° 92 pages 147 à 158 ISSN 0588-8018 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-communications-2013-1-page-147.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Sherwin Richard et Gouarné Esther, « Présences et simulacres sur scène et au tribunal », Communications, 2013/1 n° 92, p. 147-158. DOI : 10.3917/commu.092.0147 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Chicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Chicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le Seuil

Présences et simulacres sur scène et au tribunal

  • Upload
    esther

  • View
    215

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

PRÉSENCES ET SIMULACRES SUR SCÈNE ET AU TRIBUNAL Richard Sherwin et Esther Gouarné Le Seuil | Communications 2013/1 - n° 92pages 147 à 158

ISSN 0588-8018

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-communications-2013-1-page-147.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sherwin Richard et Gouarné Esther, « Présences et simulacres sur scène et au tribunal »,

Communications, 2013/1 n° 92, p. 147-158. DOI : 10.3917/commu.092.0147

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil.

© Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 2: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 147/296

Richard Sherwin

Présences et simulacressur scène et au tribunal

Sans l'Art, la Nature ne serait jamais parfaite, etsans la Nature l'Art ne pourrait pas exister.

Ben Jonson1

Le théâtre contemporain est un laboratoire oùpeut s'exprimer […] un état transitoire entre pré-sence physique et présence électronique.

Marianne Weems2, The Builders Association3

La performance théâtrale contemporaine et la performance du procèssont aux prises avec le même défi : gérer le processus de dématérialisationdu monde4. Comme de plus en plus d'événements culturels et sociaux, ledroit recourt aussi aux effets de réalité virtuelle par écran interposé – cetteclé d'une nouvelle sensibilité que l'on pourrait qualifier de « néo-baroque5 ». Mais le droit se fonde par ailleurs sur une présence corporellenon médiatisée, que Sherry Turkle nomme la « fidélité au réel6 » et que jenommerai le « sublime visuel », tout en convenant qu'il est bien différentd'explorer les frontières entre présence corporelle et images virtuelles dansle cadre relativement protégé du théâtre et d'autoriser l'utilisation depreuves virtuelles dans l'exercice de la justice d'État. Toutefois, je me per-mettrai d'examiner ici les critères selon lesquels on peut considérer le pro-cès comme une performance. Le théâtre d'avant-garde explore lui aussi, etfréquemment, la complexification et la diversification de la performanceaux prises avec l'hybridation multimédia. En m'appuyant sur l'exemple dela pièce House/Divided de Builders Association7, je m'interrogerai sur lesenseignements que la performance théâtrale multimédia peut transmettreà la pratique contemporaine du droit. Si la « sensibilité néo-baroque »repose sur le sentiment angoissant de la perte de notre lien immédiat au

147

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 3: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 148/296

monde, la prolifération d'images qu'elle produit pour contrer cette angoissepose de graves défis politiques et légaux. Il est même possible qu'enl'absence d'une révision cohérente de son mode de fonctionnement, la légi-timité du droit à asseoir son pouvoir soit remise en question par les proces-sus de dé-matérialisation, de dé-possession et de dé-responsabilisation quisont l'apanage de l'ère numérique.

Le droit comme performance.

Le droit a toujours comporté une part performantielle, en particulier autribunal. Un procès répond en effet aux sept définitions de la performanceformulées par Richard Schechner dans sa théorie fondatrice8. Le procèsperforme un moment de crise sociale et ses différentes résolutions pos-sibles : c'est un « drame social », pour reprendre la terminologie de VictorTurner. Le procès met en scène une trame narrative élémentaire : quelquechose a dérangé le statu quo, et quelque chose doit donc se passer pour lerestaurer ou établir un nouvel ordre social. Le procès recourt pour ce faireà différentes formes d'art. La manière dont les avocats construisent leursdiscours en est un exemple, mais aussi leur utilisation originale des preuvesainsi que leur prestation corporelle et verbale.

Les stratégies discursives et de mise en scène opérées par les praticiens dudroit (les avocats, les procureurs, et même les juges) reprennent ainsi, fortsouvent, des formes de divertissement populaire (et inversement ensuite,lorsque les divertissements populaires, en particulier la télévision, reprennentles dispositifs pratiques du droit). Si le procureur met en place une sorte deroman policier où les indices mènent peu à peu à la résolution de l'intrigue,les avocats de la défense peuvent se placer du point de vue de la quêtehéroïque d'un personnage central, en l'occurrence l'accusé. Au sein de cettestructure narrative aux options multiples, comment affirmer avec certitudequelle est la bonne version ? C'est là qu'interviennent les jurés assermentés, àqui revient le fin mot de l'histoire dans le droit anglo-saxon. Ils incarnent desvaleurs universelles et doivent faire preuve d'une droiture « héroïque » pourrester fidèles à leur serment et à leur intime conviction malgré la pression duprocureur ou des plaignants en faveur d'une condamnation. Les embûchesclassiques de la quête héroïque sont donc bien respectées.Dans le système anglo-américain, le procès est une performance compé-

titive à l'issue imprévisible, s'apparentant aussi en cela à un événementsportif. Deux parties adverses s'affrontent pour remporter l'adhésion dudécisionnaire (juré ou juge), et l'on ne peut pas savoir à l'avance commentle procès se terminera, bien que, comme un match, il soit régi par unensemble de codes, de règles, de procédures ritualisées. Par exemple, la

148

Richard Sherwin

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 4: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 149/296

preuve doit être présentée au bureau du juge avant d'être autorisée àparaître, et elle doit être communiquée à la partie adverse avant d'êtreexposée aux témoins. Si un témoin échoue à répondre directement à unequestion ou si une question a déjà été posée et a obtenu une réponse, lapartie adverse peut émettre une objection, etc. Mais cela n'empêche pas leprocès d'accorder une large place au jeu. Les avocats improvisent souventleurs interrogatoires au fur et à mesure des réponses des témoins. Les plai-doiries sont plus souvent dites que lues ; les avocats y rappellent et yrejouent même parfois les moments forts du procès. Un procès met aussi enscène différents types de comportement cérémoniel : quand le juge entredans la pièce, tout le monde se lève. De même, un avocat qui veut prendrela parole se lève. La cérémonie du procès implique aussi, pour les avocatsnotamment, des choix vestimentaires judicieux (contrairement à certainspays, dont la France, où l'avocat doit revêtir une tenue conventionnelle). Siquelqu'un viole le protocole, en prenant par exemple la parole au mauvaismoment, le juge le fait taire ; si cela se répète, il peut l'expulser.Richard Schechner, dans son ouvrage, mentionne également les perfor-

mances chamaniques. Or il s'avère que même cette forme marginaletrouve sa place dans le tribunal, où la perception du temps et de l'espacepeut être altérée, notamment lorsque les jurés sont invités à se plongerdans le passé pour se représenter les origines de l'histoire. Le déroulementlinéaire du temps du procès peut aussi être interrompu par une interven-tion éclatante et décisive, et tout semble alors suspendu, comme quand lesjurés s'apprêtent à poser leur parole performative finale avec des effets surle long, voire le très long terme. Enfin, comme un chaman, le procureurconfère à chaque procès son caractère d'unicité et d'irreproductibilité9 parsa maîtrise de la parole, en affirmant comme pour la première et dernièrefois la prééminence soit du pouvoir étatique, soit de la liberté individuelle.

Quand l'écran s'immisce dans la pratique du droit.

On constatera encore que, de nos jours, les procès deviennent des événe-ments multimédias où les écrans, superposés à l'action physique, jouent unrôle de plus en plus important. À l'ère des smartphones et des caméras desurveillance, des événements qui se seraient auparavant déroulés dansl'ombre sont enregistrés et conservés pour la postérité, et, de fait, pour lestribunaux. Simultanément, les graphiques statistiques, les reconstitutionsvirtuelles et les animations numériques permettent aux décisionnairesd'observer une situation sous tous les angles imaginables : de l'intérieur ducorps humain dans le cas d'erreurs médicales, dans des machineries com-plexes dans le cas de l'utilisation abusive d'un brevet déposé, ou sur la

149

Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 5: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 150/296

scène du meurtre dans un procès criminel. Le cas d'Amanda Knox, enItalie, est exemplaire : cette étudiante américaine fut accusée et jugée cou-pable du meurtre de sa colocataire parce que, dans sa plaidoirie finale, leprocureur Giuliano Mignini a projeté une simulation numérique où l'ava-tar d'Amanda Knox tuait celui de Meredith Kercher tandis que le « film »se terminait sur un tableau gore du corps de la victime. Ce « film » nevéhicule-t-il pas une vision fantasmatique de l'accusée en femme fatalenymphomane telle que se la représente l'accusation, celle-là même qu'abaptisée « Foxy Knoxy » la presse people anglaise et qu'ont diabolisée denombreux journalistes européens10 ?Les différentes versions d'un événement s'affrontent encore plus vive-

ment à l'écran que dans les discours. La loi devient alors image et, commetoute image, les jugements qu'elle suscite sont fondés sur le plaisir visuel,sur l'impact émotionnel et sur des désirs inconscients plus que sur des faits.La loi est de ce fait contaminée par la mise en doute généralisée et anxio-gène de la vérité et de la fiabilité des images, et, plus largement, de lacapacité mimétique de l'homme11. Le brouillage des frontières entre réel etsimulation est en effet la marque de fabrique de la sensibilité baroque, oùles illusions s'emboîtent les unes dans les autres. C'est encore plus sensibledans le baroque numérique, où la multiplication des écrans ouvre à l'infinila perspective d'une matrice d'apparences virtuelles. Comme la peintureou la musique baroques, le droit numérisé se caractérise par la saturationdu détail et l'hyper-ornementation : un schéma animé aux couleurs vivessignale les dysfonctionnements neurologiques dans le cerveau d'un crimi-nel supposé, un montage sophistiqué de sons et d'images reconstitue ce quia pu se passer dans l'esprit d'un accusé, etc.12. Les films et les animations,souvent admis et projetés dans les cours américaines, sont certes très utilesà une justice fondée sur la recherche des faits, mais ils lui créent aussi denouveaux obstacles13. Le spectateur d'un film croit en effet voir uneretranscription fidèle du réel, alors qu'une caméra est évidemment toujoursorientée selon un certain point de vue et ne saisit de la réalité qu'un frag-ment délimité dans le temps et dans l'espace.Dans un monde numérisé comme le nôtre, le récit en images impose sa

propre logique, son savoir-faire, en même temps que son lot d'expecta-tives, d'interprétations, de critiques. L'interrogation un jour formulée parle cinéaste Chris Marker sur la façon dont les gens peuvent « se souvenirsans recourir à des outils pour filmer, photographier ou enregistrer » sou-ligne le fait que l'homme s'identifie à la longue aux outils qu'il utilise ; lacaméra est déjà presque inhérente à notre façon d'appréhender le réel, deplus en plus médiatisé par la voie d'écrans que nous nous habituons àdéchiffrer, et les mécanismes du souvenir évoluent dans notre cerveau àmesure que progressent les technologies d'enregistrement du réel.

150

Richard Sherwin

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 6: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 151/296

Aux États-Unis, les témoins jurent sur la Bible de ne dire que la vérité,leurs dépositions sont strictement examinées et soumises à contre-expertise.C'est ainsi que le système juridique accusatoire s'assure de leur fiabilité.Mais avec le passage aux écrans « être témoin » et « témoigner » changent designification, car les décisionnaires, juges et jurés, semblent devenir eux-mêmes les témoins oculaires de ce qui leur est montré. Or les modalités deréception de l'image par ces témoins de deuxièmemain ne sont pas vraimentquestionnées. La caméra est-elle témoin de ce qu'elle filme ? Les imagesparlent-elles d'elles-mêmes ? Ces questions sont encore plus pressantesdans le cas de la reconstitution et de l'image numérique. Qui ou quoi témoi-gne ? L'image ? Le photographe ? La caméra ? Les données numériques ?Le programme informatique ? L'ingénieur qui a conçu ce programme ?Une fois le pied posé dans le monde de la simulation numérique, commentne pas glisser dans unmonde de pures projections fantasmatiques ?

Le théâtre dématérialisé : House/Divided.

La relation entre performance live et représentation numérique est jus-tement un thème récurrent du théâtre contemporain. Comme le ditMarianne Weems, du groupe The Builders Association : «Que se passe-t-ilquand on a à la fois la présence palpable des acteurs et la possibilitéd'inscrire ces corps dans le réseau technologique qui les entoure14 ? » Pourelle, le théâtre ne donne pas seulement à voir l'impact de la technologiesur le corps humain, il pousse encore plus loin notre progression dans levirtuel : « L'imbrication charnelle du monde physique et du monde virtuelfait maintenant partie de la réalité dans laquelle nous vivons15. » Maisquelle est la différence entre présence physique et présence électronique ?Y a-t-il un «maintenant » et un « être-là » dans le monde virtuel ? En ypénétrant, risquons-nous, comme le pense la psychologue Sherry Turkle,de perdre notre inscription dans le réel16 ? Pourquoi s'accrocher encore ànotre fidélité au réel, et notamment à une justice fondée sur les faits ? Cesdilemmes sont le lot commun du théâtre et du droit, la perte de l'entièretéétant constitutive de la culture néo-baroque – autrement dit du « baroquenumérique ».Le théâtre post-dramatique aspire au retour à une présence live et nous

entraîne au plus proche d'un moment originel et original, spatialement ettemporellement. Il cherche à provoquer l'expérience d'un événement par-tagé dans l'ici et maintenant17. Plus nous vivons par écrans interposés,plus nous craignons de perdre notre lien au réel18, et quand Nina Teck-lenburg demande «Que peut être le théâtre à l'ère du virtuel ? Le gardiende l'authenticité ? Un terrain de jeu pour des mondes artificiels ? Un

151

Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 7: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 152/296

microscope de la vie quotidienne ? Un espace social où projeter les fan-tasmes19 ? », nous pourrions reprendre ses paroles et y substituer au« théâtre » l'« exercice du droit ».Les groupes d'avant-garde comme Gob Squad, The Wooster Group ou

The Builders Association mettent en scène le déplacement permanent desfrontières entre l'expérience réelle et l'expérience médiatisée. Dans House/Divided, les Builders confrontent leur public avec l'impact parfois dévasta-teur des systèmes technologiques de masse en cherchant comment raconteraujourd'hui Les Raisins de la colère de Steinbeck, roman qui témoigne dela Grande Dépression de 1930 et relate la tragédie de milliers de fermiersqui ont alors perdu leurs fermes et donc leurs sources de revenu. Le roman,comme le chef-d'œuvre que John Ford en a tiré au cinéma, dépeint effica-cement la mutation de la peur des fermiers en haine face aux monstresbancaires dont l'appétit insatiable pour le capital les pousse à dévorer desvies humaines.House/Divided est construit selon un montage narratif plus proche du

cinéma que de la performance live. Des écrans multiples mettent en paral-lèle les sans-abri des années 1930 et ceux victimes de la récession de 2008,dans un va-et-vient constant entre les grandes plaines de Californie à tra-vers lesquelles ont fui les premiers et l'État de l'Ohio décimé par les saisiesjudiciaires soixante-dix ans plus tard. Les acteurs, filmés en direct, sontprojetés en noir et blanc sur un écran en fond de scène, et la maison d'où ilssont chassés est présente sur le plateau. Parfois ses murs servent d'écransde projection, parfois ils disparaissent pour laisser la place aux acteurs. Parmoments, seuls des films sont projetés. Un expert de la saisie judiciaire enexplique le fonctionnement dans un style très documentaire, des victimesde cette crise de l'hypothèque immobilière défilent, une plate-forme bour-sière apparaît, où les maisons dématérialisées sont réduites à des chiffres,de même que le prix des actions, qui défilent sur toute la scène dans un fluxlui aussi apparemment infini.Il devient difficile de savoir à qui appartiennent les parts nombreuses et

dispersées de l'hypothèque, comme de comprendre l'organisation de cesystème de dette et d'emprunt et d'en percevoir les enjeux humains. Tout semêle, les données concrètes, le pouvoir, l'Histoire et les histoires. En pas-sant rapidement d'un écran à un autre, nous changeons d'époque et defamille de victimes, à tel point que disparaît le sentiment d'une tragédieindividuelle et que s'estompe la possibilité de formuler un jugement accu-sateur, car désigner un coupable s'avère quasi impossible. Il y a trop depropriétaires, trop de parts. Les acteurs, par moments entièrement pré-sents, à d'autres projetés de manière fragmentaire sur des écrans dispersés,subissent dans les modalités mêmes de leur présence scénique l'éclatementde leur identité, à l'image des protagonistes de ces drames sociaux, victimes

152

Richard Sherwin

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 8: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 153/296

ou coupables. Personne n'a plus l'air de porter la responsabilité de cesdémantèlements, seules subsistent les traces d'un système d'informationmassif. La complexité baroque et la dématérialisation du système financiernous écrasent tout en nous laissant indifférents. Face à de telles incohé-rences, il est difficile de plaindre ou de blâmer qui que ce soit. Commentpourrions-nous alors répondre à la souffrance de ces milliers de gens ?House/Divided rend compte de la non-réponse qu'apportent à cette ques-tion les représentants du pouvoir : secrétaires robotisés, employés d'établis-sements dont le patron ne possède plus lui-même les droits sur les bienshypothéqués des petits propriétaires à qui il a prêté, les P-DG des banquescherchant à tout prix à sécuriser leur boîte, et qui utilisent un vocabulairedéshumanisé pour parler des stratégies impliquant la saisie de biens et leslicenciements massifs. La pièce décrit ces processus de dématérialisation,de déshumanisation, et donc la perte du sentiment de responsabilité indivi-duelle, source de la crise économique et d'une grande souffrance humaine.Il semble qu'en dématérialisant le réel on perde aussi le sens de toutes nosresponsabilités dans la gestion de ce réel.Les conséquences de ce constat brillamment posé par la pièce restent très

problématiques. Comment préserver un sens éthique lorsque la présencevirtuelle remplace l'affrontement direct, lorsque les émotions, projections etfantasmes prennent la place des données factuelles20 ? C'est ce que l'on voitquand la performance légale subit le même traitement néo-baroque que lapolitique, la publicité et le théâtre d'avant-garde, et quand des stratégiespost-modernes déterminent les modes de communication ; ils reposentalors essentiellement sur des copies de copies, détachées de toute fidélité àun éventuel original. La version des événements retranscrite sur l'écrann'est considérée comme bonne ou vraie qu'aussi longtemps que durel'impression qu'elle inscrit dans notre sensibilité constamment changeante.Si les images électroniques peuvent donner l'impression d'une complé-

tude – tant qu'elles retiennent notre regard –, elles restent souvent loin-taines et ne parviennent pas à nous toucher. Pour reprendre uneexpression de Hans-Thies Lehmann, ces images trop finies «manquentd'un manque ». Elles risquent donc de nous entraîner dans la plénituded'un monde fantôme, un monde néo-baroque saturé d'informations numé-riques où la froideur de l'image virtuelle peut absorber la chaleur des corpsvivants sur la scène, éteindre le feu de la tragédie21 et disséminer la pré-sence dans un amas d'apparences dont personne n'est plus responsable.Le risque d'une mise en scène de la dématérialisation, si brillante soit-

elle, réside justement dans son succès. House/Divided dépeint si bien cemanque du manque – qui seul rend possible l'entièreté – que la piècepourrait bien laisser son public indifférent22. Le roman de Steinbeckrepose sur la forme de la tragédie et sur l'idée de la rédemption. Il montre

153

Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 9: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 154/296

des hommes qui ne sont pas brisés, puisqu'ils se libèrent à la fin de leurpeur et s'insurgent (la colère étant alors promesse d'action politique), tan-dis que les flots d'images qui concluent House/Divided nous laissent aucontraire indifférents. Il n'y a ni affirmation de la tragédie comme genre nirevendication d'une prise de responsabilité, donc aucun espace pour lapitié, la colère ou la crainte, soit aucun espace pour faire l'expérience denotre propre aliénation à ce système. La pièce n'éveille ni plaisir brechtienlibérateur23, ni espoir de changement possible.L'absence des émotions que l'on s'attend à éprouver face à un tel sujet

provoque le retournement de la colère des spectateurs contre la pièce elle-même. Ses créateurs ont-ils trop bien réussi la plongée au cœur du videinfini des flux virtuels ? Le refroidissement des passions24 est bien un desrisques d'une telle représentation de la dématérialisation. Les acteurs sedissipent dans la froideur des simulacres filmiques et numériques, ce quirenforce la désincarnation du drame et donc la déresponsabilisation,conséquences dont les créateurs n'avaient peut-être pas perçu l'ampleur.Concentrés sur la virtuosité et la technicité de la pièce, ils laissent finale-ment la souffrance humaine dans l'ombre. Est-ce que seule une re-matérialisation de la société pourrait rallumer les passions morales et, avecelles, le sens de la responsabilité ? Si tel est le cas, la stratégie d'utilisationdes médias pour juger ces médias se révèle naturellement inefficace25.Dans le cas de la performance juridique, les implications sont d'un autre

calibre, mais peut-être une expérience esthétique telle que celle proposéepar House/Divided peut-elle s'avérer utile aux praticiens du droit. Le reculde la présence physique et de la preuve tangible peut en effet déconnecterles jurés et les juges – comme les spectateurs – de la réalité, car ils ne sontalors sensibles qu'aux répercussions provoquées en eux par l'image média-tisée. En politique et dans la publicité, l'impact des images diffusées estmesuré par les sondages et les statistiques. Les mêmes outils de mesureseraient utiles aux avocats, qui ont eux aussi intérêt à savoir quelles émo-tions et quels affects amplifiés provoquent les images et comment rempor-ter l'adhésion des jurés assez longtemps pour influencer leur verdict.Les dernières années ont vu se développer, dans plusieurs domaines,

des bulles spéculatives où augmente la disproportion entre la valeur réelledes biens et leur valeur sur le marché financier : bulle des hypothèquesimmobilières, bulle des produits financiers dérivés, bulle de la dette desétudiants du supérieur (aux États-Unis, où les frais de scolarité à l'univer-sité sont de plus en plus élevés et les jeunes diplômés de moins en moinssûrs de gagner assez et assez vite pour rembourser leurs emprunts ban-caires). À leurs côtés commence à se dessiner la bulle du droit néo-baroque. Que restera-t-il si elle explose ? Même dans un monde déréalisé,l'obligation de rendre des comptes sur le passé et d'assumer notre respon-

154

Richard Sherwin

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 10: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 155/296

sabilité historique peut nous rattraper. C'est alors que nous incombera latâche immense de re-matérialiser le processus juridique.

Performance et humanité.

Au siècle dernier, Heidegger considérait que la «Maison de l'Être » setrouvait dans le langage26. Aujourd'hui, cette maison s'agrandit de nou-velles pièces et des nombreux écrans qui en tapissent les murs. De cetélargissement découle une transformation de la construction du savoir etdu sens, déterminante tant pour l'industrie du divertissement que pour leséchanges commerciaux ou la politique gouvernementale. En ce quiconcerne le droit, contrairement au théâtre, nous ne pouvons nous conten-ter de nous délecter du fonctionnement des esthétiques contemporaines oude les analyser, à l'heure où le pouvoir de l'État – à décider de la liberté, dudroit à la propriété, voire de la vie ou de la mort (aux États-Unis) – reposesur l'impact d'images électroniques. Si la prise de position éthique com-mence avec la prise en compte d'Autrui comme un sujet insaisissablecomme cet infini dont parle Levinas et dont le visage serait une trace lacu-naire27 –, alors les conséquences d'un procès fondé sur la présence filmique,la simulation numérique et le montage doivent être très attentivement envi-sagées. Le théâtre post-dramatique semble pouvoir donner des repères surles implications éthiques de la mise en relation des corps vivants et desprojections virtuelles, mais cela demandera un travail de longue haleine.Comment ré-humaniser nos histoires pour que restent opérants le blâme oul'acquittement ?Dans la performance juridique hybride, le sens se construit à l'aide de

différents médias et selon différentes temporalités, passées et présentes,improvisées et écrites. Aux moments ennuyeux et formellement codifiéssuccèdent des moments spectaculaires hauts en couleur et surprenants. Leprocès joue donc à la fois sur les ressorts esthétiques et émotionnelsbaroques, fondés sur la projection d'images, et sur une irruption de ce quej'ai nommé au début de cet article le « sublime visuel », fondé sur la pré-sence physique, qui se traduit par exemple par une interruption perfor-mantielle du temps linéaire. La performance du droit emprunte ainsi ausublime de la performance théâtrale baroque live et au sublime de la repré-sentation numérico-baroque sur écran. S'interroger sur le sens de la« vérité » et de la « justice » dans ce cadre revient dès lors à les envisagercomme des données culturelles produites par le contexte d'une époque. Enpolitique, le droit tel qu'il est performé dans les tribunaux soulève lesmêmes questions que celles que posent les artistes et les penseurs progres-sistes dans le champ esthétique : disposons-nous de cérémonies, de rituels,

155

Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 11: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 156/296

de rôles et de valeurs capables d'aider au développement d'une vie civiqueet humaine ? «L'aptitude de la société à maintenir sa propre cohérenceinterne », pour reprendre la formule de Lehmann, est en jeu.Le spectacle numérique, en réduisant tout à l'immédiateté de la repré-

sentation, ne nous coupe-t-il pas du manque, dont l'irreprésentabilitémême légitime l'acte mimétique et l'acte performantiel ? Dans House/Divi-ded, Marianne Weems peint efficacement le fardeau de la société contem-poraine et notre difficulté à nous en libérer. Mais la pièce pâtitparadoxalement de sa réussite et nous laisse désemparés face à la perte del'entièreté du monde et à l'angoisse existentielle immanente aux conditionsde vie numérico-baroques. Sommes-nous capables de re-matérialiser la vieen société et le jugement, afin de nous les ré-approprier et d'en assumer laresponsabilité ? C'est sans doute ce qu'exige le devoir moral, et c'est sansdoute aussi la condition selon laquelle la Loi pourra maintenir sa légitimitéà l'ère du numérique.

Traduit de l'anglaispar Esther Gouarné

Richard [email protected]

Professeur de droitNew York Law School

NOTES

1. Ben Jonson, Discourses, vol. VIII, G. H. Hereford Percy et Evelyn Simpson (eds), Oxford,Clarendon Press, 1947.

2. Marianne Weems : http://poptech.org/popcasts/marianne_weems__poptech_20063. Groupe new-yorkais fondé en 1994 et dirigé par Marianne Weems, spécialisé dans la

création de formes théâtrales multimédias et portant un regard critique sur des phénomènes del'actualité sociale et politique : http://www.thebuildersassociation.org

4. Cf. Hans Ulrich Gumbrecht, Production of Presence, Stanford, Stanford University Press,2004, p. 47.

5. Cf. R. K. Sherwin, Visualizing Law in the Age of the Digital Baroque, Londres-New York,Routledge, 2011.

6. Cf. Sherry Turkle, Simulation and Its Discontents, Cambridge (Mass.), The MIT Press,2009, p. 8.

7. House/Divided (sous-titre : « Inspired by The Grapes of Wrath » / « Inspiré des Raisins de lacolère »), texte : Moe Angelos et James Gibbs, mise en scène : Marianne Weems. Création au BAMHarvey Theater, Brooklyn, New York, 24-27 octobre 2012.

8. Cf. Richard Schechner, Performance Studies, Londres, Routledge, 2006 (2e éd.), et lerecueil synthétique français Performance (trad. par Marie Pecorari et Marc Boucher), éditionétablie par Anne Cuisset et Marie Pecorari, sous la direction de Christian Biet, Montreuil, Édi-tions Théâtrales, 2008. Sept éléments de la performance y sont ainsi déclinés : crise sociale etrésolution, art, ritualisation, jeu, divertissement et sports, cérémonie (profane ou sacrée), chama-nisme.

9. Richard K. Sherwin, When Law Goes Pop : The Vanishing Line between Law and PopularCulture, Chicago, University of Chicago Press, 2000, p. 52-71.

156

Richard Sherwin

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 12: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 157/296

10. Cf. Richard K. Sherwin, The Digital Trial, Project Syndicate, 12 octobre 2011 : http://www.project-syndicate.org/commentary/the-digital-trial

11. Cf. Richard K. Sherwin, Visualizing Law in the Age of the Digital Baroque, op. cit.,p. 75.

12. Cf. Richard K. Sherwin, When Law Goes Pop, p. 193.13. Pour plus d'exemples, cf. Richard K. Sherwin, «Visual Persuasion Project » : http://www.

nyls.edu/centers/projects/visual_persuasion14. Marianne Weems : http://poptech.org/popcasts/marianne_weems__poptech_200615. Ibid.16. Sherry Turkle, Simulation and Its Discontent, op. cit., p. 7 : «Que des objets virtuels

puissent exercer un pouvoir sur le corps et l'esprit humain peut contribuer à nous faire oubliertout ce qui sous-tend la simulation numérique. »

17. Cf. Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre post-dramatique (trad. par Philippe-Henri Ledru),Paris, L'Arche, 2002 ; et Jean-François Lyotard, L'Inhumain, Paris, Galilée, 1988.

18. Hans Ulrich Gumbrecht, Éloge de la présence. Ce qui échappe à la signification (trad.par Françoise Jaouën), Paris, Libella-Maren Sell, 2010 : « Plus nous nous rapprochons d'un idéald'omniprésence [à travers les technologies de communications actuelles] et plus apparaît claire-ment le risque conjoint de la perte de notre corporéité et de notre inscription dans l'espace. Ildevient alors de plus en plus facile de rallumer notre désir des choses du monde extérieur quinous attirent et nous enveloppent dans leur espace propre. »

19. Nina Tecklenburg, « Reality Enchanted, Contact Mediated : A Story of Gob Squad »,The Drama Review, 56:2, été 2012, p. 21.

20. À propos de la distinction entre les effets de la performance live et ceux de l'imageélectronique, voir aussi Richard Schechner : « en tant que spectateur, on est privé de toutepossibilité d'intervention, […] la réaction de colère se mue rapidement en paralysie […], latélévision n'apporte aucun retour émotionnel. Contrairement au théâtre vivant, ce n'est pas unsystème de communication interactif. Certains réagissent en produisant/en appréciant un artplus réel » (Performance, op. cit., p. 99).

21. Dans le débat du 25 octobre 2012 mené à la suite d'une représentation à l'Académie demusique de Brooklyn, Richard Schechner prend position pour défendre House/Divided commeétant une marque de résistance à la disparition de la tragédie. C'est incontestable, mais cela nerésout pas le doute quant au fondement moral de la transformation de la peur en colère, qui estau cœur du roman de Steinbeck.

22. À l'Académie de Brooklyn, lors des débats suivant la représentation, de nombreuses per-sonnes ont exprimé leur frustration : «Vous avez échoué », a dit l'une d'elles à Marianne Weems.

23. Sur cette fonction libératrice du théâtre distancié, voir en particulier Bertolt Brecht, PetitOrganon pour le théâtre, Paris, L'Arche, 1948, fragments 34, 47-49, 58-62.

24. Intuition formulée d'abord par Victoria Horowitz.25. Dans Visualizing Law, les images « sublimes » sont capables de transcender la perte du

monde. Est questionnée ici la capacité de House/Divided à produire de telles images.26. Cf. Joseph J. Kockelmans, Heidegger on Art and Art Works, Dordrecht, Martinus Nijhoff

Publishers, 1985, en particulier p. 198, citant Heidegger dans sa Lettre sur l'humanisme : « À tra-vers la pensée, l'Être vient au langage. Le langage est la maison de l'Être. L'homme prend placedans cette maison, et les penseurs et les poètes sont les gardiens de cette maison. »

27. Cf. Emmanuel Levinas, Autrement qu'être ou Au-delà de l'essence, Paris, Le Livre dePoche, coll. « Biblio essais », 1990.

RÉSUMÉ

Richard Sherwin analyse les changements structurels qui marquent les procès dans le contextede notre ère néo-baroque, saturée d'images et d'informations. Il recourt à une comparaison entrepratique du droit et théâtre post-moderne, en s'appuyant en particulier sur l'exemple du groupe

157

Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil

Page 13: Présences et simulacres sur scène et au tribunal

Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438Date : 11/4/2013 14h5 Page 158/296

The Builders Association. Le procès devient en effet lui aussi une performance multimédia enva-hie par les écrans, ce qui remet en question le sens du témoignage et la valeur de la preuve, carles images deviennent des copies de copies de plus en plus retravaillées et virtuelles. Le parallèleentre théâtre hybride et performance du droit permet de comprendre les risques de l'hybridationdu procès, coupé de la réalité dont il doit rendre compte, et qui doit se redéfinir pour conserver salégitimité.

SUMMARY

Richard Sherwin analyses the structural changes of the courtroom trials in the context of a neo-baroque era, saturated with images and informations. He uses a comparison between trials andpost-modern performances such as House/Divided by the Builders Association. The trial becomesindeed a multimedia performance full of screens, which questions the meaning of testimony itselfand the value of evidence, as images tend to become virtual copies of copies manipulated in a waythat pushes them away from what would appear to be the reality. The parallel between hybridtheater and law performance helps understanding the risks of trials' hybridization. Law has toredefine itself to keep its legitimacy.

RESUMEN

Richard Scherwin analisa los cambios estrucutrales que marcán los procesos en el contexto denuestra era neo-barroca, saturada de imágenes y de informaciones. Él recurre a una comparaciónentre practica del derecho y teatro post-moderno, apoyándose en particular sobre el ejemplo delgrupo Builders. El proceso se vuelve de hecho el tambien en una performance multimedia invadidapor las pantallas, lo que vuelve a discutir el sentido del testimonio y la valor de la prueba, porquelas imágenes se vuelven las copias de las copias cada vez más retrabajadas y virtuales. El paraleloentre teatro híbrido y performance del derecho permite comprender los riesgos de la hibridacióndel proceso, cortado de la realidad de la que debe dar cuenta, y que debe definirse de nuevo paraconservar su legitimidad.

Richard Sherwin

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

ity o

f Chi

cago

-

- 20

5.20

8.3.

23 -

20/

05/2

014

16h1

5. ©

Le

Seu

il D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - University of C

hicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 16h15. © Le S

euil