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RÉVOLUTION ET TERREUR : RÉFLEXIONS SUR UNE CULTURE POLITIQUE DE LA VIOLENCE PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (1789-1793) 1 De tous les problèmes auxquels sont confrontés les historiens de la Révolution française, les origines de la Terreur est peut-être le plus mystérieux, le plus difficile à résoudre. Comment expliquer qu'en l'espace de quelques années seulement, le régime révolutionnaire de 1789 se soit transformé en un régime qui utilise systématiquement la peur et la violence comme outils de contrôle étatique ? Un régime sous lequel des dizaines de milliers de citoyens étaient dénoncés et mis en prison ? Un régime où des centaines d'autres étaient envoyés à la guillotine — parfois à travers une parodie du système judiciaire — ou exécutés sommairement sans procès ? Comment expliquer que 82 députés de la Convention nationale elle-même aient été exécutés ou aient trouvé la mort dans les prisons? Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue les réalisations extraordinaires de la Révolution : les idéaux politiques et humanitaires de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et plusieurs autres décrets qui deviendront un modèle de la démocratie et de la réforme sociale à travers le monde. Il ne faut pas sous-estimer non plus les réformes importantes accomplies après la chute de la monarchie : le suffrage 1

Présentation - Timothy Tackett

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Texte intégral de la leçon inaugurale de la semaine de l'histoire par Timothy Tackett.

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RÉVOLUTION ET TERREUR : RÉFLEXIONS SUR UNE CULTURE POLITIQUE DE

LA VIOLENCE PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (1789-1793) 1

! De tous les problèmes auxquels sont confrontés les

historiens de la Révolution française, les origines de la

Terreur est peut-être le plus mystérieux, le plus difficile à

résoudre. Comment expliquer qu'en l'espace de quelques années

seulement, le régime révolutionnaire de 1789 se soit transformé

en un régime qui utilise systématiquement la peur et la violence

comme outils de contrôle étatique ? Un régime sous lequel des

dizaines de milliers de citoyens étaient dénoncés et mis en

prison ? Un régime où des centaines d'autres étaient envoyés à

la guillotine — parfois à travers une parodie du système

judiciaire — ou exécutés sommairement sans procès ? Comment

expliquer que 82 députés de la Convention nationale elle-même

aient été exécutés ou aient trouvé la mort dans les prisons?

Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue les réalisations

extraordinaires de la Révolution : les idéaux politiques et

humanitaires de la Déclaration des droits de l'homme et du

citoyen, et plusieurs autres décrets qui deviendront un modèle

de la démocratie et de la réforme sociale à travers le monde. Il

ne faut pas sous-estimer non plus les réformes importantes

accomplies après la chute de la monarchie : le suffrage

1

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universel masculin, l’expansion des droits des femmes,

l’abolition de l’esclavage, et l’objectif de l’éducation

universelle. Mais sans minimiser l'importance de ces

réalisations positives, les historiens ne peuvent esquiver la

question : pourquoi une portion significative du leadership

révolutionnaire a-t-elle accepté et, jusqu'à un certain point,

embrassé une culture politique de la violence ? Voire, pourquoi

les révolutionnaires ont-ils commencé à s'entretuer ? Cette

question est d'autant plus intéressante et importante, puisque

des périodes similaires de violence et de terreur se sont

produites dans plusieurs autres grandes révolutions ailleurs

dans le monde.

! Évidemment, la question de la violence pendant la

Révolution française n'est pas nouvelle. Depuis les premières

générations révolutionnaires et pendant plus de deux cents ans,

les historiens ont proposé différentes interprétations de la

Terreur. Pendant presque tout le vingtième siècle, deux modes

d'explications ont prévalu. Le premier, issu des travaux de

plusieurs grands historiens marxistes -- tels que Jean Jaurès,

Georges Lefebvre, Albert Soboul, et Michel Vovelle -- met

l'accent sur les «circonstances», les événements extérieurs à la

Révolution elle-même. Accablés par les dangers de la contre-

révolution intérieure et par la guerre contre les grandes

2

Page 3: Présentation - Timothy Tackett

puissances d'Europe, les révolutionnaires auraient eut recours à

la répression et à des mesures autoritaires à court terme, afin

de préserver les avancées de la Révolution pour le long terme.

Cette interprétation présuppose que la Terreur était un calcul

essentiellement rationnel, et qu'elle était considérée par les

révolutionnaires comme une mesure défensive purement temporaire,

en place jusqu'à ce que les ennemis de la Révolution soient

finalement vaincus.2 Un second mode d'interprétation, associé

aux travaux d'historiens non marxistes ou anti-marxistes - tels

que François Furet, Keith Baker et Norman Hampson — soutient,

par ailleurs, que la Terreur n'était pas le produit des

circonstances, mais principalement celui de l'idéologie des

Lumières. Sous l'influence de cette philosophie, et surtout des

idées de Jean-Jacques Rousseau, les patriotes de 1789 auraient

naïvement adopté un projet utopique, celui de reconstruire la

société de haut en bas à l'aide de la Raison. Et comme ils

tenaient pour acquis qu'il ne pouvait exister qu'une seule

solution rationnelle à chaque problème, ils rejetaient d'emblée

les idées de pluralisme politique et d'opposition loyale. 3

Quiconque s'opposait à un seul aspect du projet révolutionnaire

était forcément un conspirateur contre-révolutionnaire, et

devait donc nécessairement être neutralisé.

3

Page 4: Présentation - Timothy Tackett

! Au début des années 2000, plusieurs chercheurs ont tenté de

rompre avec cette dichotomie simpliste qui souvent divisait les

historiens de gauche et de droite. On peut citer notamment les

ouvrages de Jean-Clément Martin ; mais aussi d’Arno Mayer, David

Andress et Marisa Linton. Tous ont exploré la possibilité de

construire de nouveaux cadres d'interprétation plus nuancés afin

de complexifier notre compréhension de la violence

révolutionnaire.

! À mon avis, ce qui rend l'étude de la Révolution et des

révolutionnaires particulièrement complexe est l'extrême

instabilité du monde qu'ils habitaient. En réalité, les valeurs,

les perceptions et les différentes idéologies qui marquent la

période révolutionnaire étaient en constante évolution, une

évolution qui empruntait des directions souvent imprévisibles.

Même les identités sociales et les valeurs qui les sous-

tendaient étaient fréquemment remises en question et parfois

restructurées. En fait, il semble probable qu'à l'intérieur de

la dynamique révolutionnaire, aucun facteur n'ait joué un rôle

déterminant. La Révolution s'est plutôt transformée de façon

saccadée à travers une série de «changement de phases» (pour

employer le langage de la physique), dont chacune comportant un

réarrangement distinct des forces en présence, une

reconfiguration des relations de cause à effet. A mon avis, ni

4

Page 5: Présentation - Timothy Tackett

la culture politique révolutionnaire en général ni celle de la

violence en particulier n'étaient «scriptées» à l'avance. Ainsi,

entre les interprétations inscrites dans la longue durée - que

ce soit au niveau des idéologies ou des conflits de classe - et

celles qui reposent sur le caractère immédiat et impérieux des

«circonstances» à court terme, il est utile d'explorer le «moyen

terme». Ainsi, dans une certaine mesure, on peu considérer les

attitudes sous-jacentes à la Terreur comme étant un produit du

processus révolutionnaire lui-même. L'officier militaire Lazare

Carnot, Conventionnel et membre du Comité de salut public

pendant l’An II, exprime cette idée en peu de mots : « on n'est

pas révolutionnaire. On le devient. »4

! Aujourd’hui, en guise de contribution à ce débat toujours

en cours, j'aimerais me pencher sur le «moyen terme». Plus

particulièrement, je voudrais insister sur le cas des élites

politiques de la Révolution, cette portion éduquée de la

population, issue pour la majorité de la «classe moyenne», et

qui constitue la principale source de leadership durant la

période. Je ne nie pas que certaines circonstances «externes»,

comme la guerre extérieure et la guerre civile, aient pu

effectivement pousser ces élites à embrasser des politiques de

violence et de répression en 1793. Mais je désire avant tout

examiner le processus révolutionnaire interne durant les années

5

Page 6: Présentation - Timothy Tackett

qui précèdent 1793. Ces développements ont en effet contribué à

produire un état d'esprit, une psychologie, ou si vous préférez

une mentalité, à l'intérieur de laquelle l’option de la Terreur

devait sembler presque naturelle, voire inévitable.

! Mon analyse est basée sur un large éventail de sources et

de travaux secondaires. Mais j’accorde une importance toute

particulière aux correspondances contemporaines, des lettres

écrites pour la plupart sur une base quotidienne ou

hebdomadaire. Destinées à des collègues, des amis ou des membres

de la famille, ces lettres sont particulièrement révélatrices

des espoirs et des craintes, des incertitudes et des

malentendus, des expériences émotionnelles d'individus qui

n'avaient aucune connaissance des événements à venir. Les

correspondances sont d'autant plus riches lorsqu'elles sont

examinées «en série», c'est-à-dire lorsque l'on compare

plusieurs ensembles de lettres rédigées par des individus qui

vivent des expériences similaires. Dans le cadre de la

présentation d'aujourd'hui, j'ai examiné plus de 150 séries

totalisant plusieurs milliers de lettres. Celles-ci représentent

tous les niveaux de la société lettrée, des hommes comme des

femmes, des nobles comme des roturiers, des Parisiens comme des

provinciaux, pour la période allant de 1789 à 1794. Bien que la

majeure partie de ces correspondances se limite à la période

6

Page 7: Présentation - Timothy Tackett

révolutionnaire, nous possédons certaines séries de lettres qui

débutent bien avant 1789. Il est donc possible de suivre

l'évolution des attitudes de certains individus depuis l'Ancien

Régime. 5

! Il est clair d'après ces sources que la mentalité des

partisans de la Terreur ne peut s'expliquer d'une façon

simpliste et unidimensionnelle. Aujourd'hui, afin de réfléchir

de façon analytique sur cette période, j'aimerais me pencher sur

cinq éléments internes du processus révolutionnaire, cinq

éléments qui à mon avis, sont particulièrement importants pour

expliquer les origines d'une disposition terroriste chez les

élites :

! 1) l'intensité des convictions révolutionnaires;

! 2) la contre-révolution;

! 3) le vide du pouvoir;

! 4) l'impact des classes populaires parisiennes; et

! 5) l'émergence d'une culture de la peur et du soupçon.

! Je conclurai ensuite avec quelques très brèves réflexions

sur l'importance de la Révolution française pour notre

compréhension des autres révolutions majeures.

1) L'intensité des convictions révolutionnaires

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Page 8: Présentation - Timothy Tackett

! D’abord, et même si cela peut sembler relativement évident,

il est important de souligner l'intensité et l'émotivité avec

laquelle une large partie de la société française embrasse les

nouvelles valeurs révolutionnaires qui émergent en 1789 : des

valeurs qu’on retrouve dans les décrets majeurs de l'Assemblée

nationale de cet été. Il est facile au vingt-et-unième siècle

d'oublier à quel point ces déclarations pouvaient, à l'époque,

être innovatrices, stupéfiantes, inattendues. Les valeurs en

question ne sont pas, à mon avis, qu'une simple appropriation de

la philosophie des Lumières, mais bien une nouvelle idéologie

forgée pendant la prérévolution et les premières années de la

Révolution elle-même. En fait, comme nous le savons, les

Lumières ont généré un ensemble d'idées extraordinairement

complexe et bien souvent contradictoire, pouvant servir de base

à toutes sortes de programmes de réforme ou de justification du

statu quo. Il ne s’agit pas d’un corpus d'idées cohérent et

unifié, mais avant tout d’une nouvelle épistémologie, d’une

confiance dans la capacité de l'Homme à trouver des solutions

rationnelles à ses problèmes. En effet, pendant les semaines

remarquablement créatives du printemps et de l'été 1789, les

patriotes font appel à un large éventail d'idées et de

traditions provenant de sources diverses, qu'ils assemblent de

façon hétéroclite à travers des débats et des compromis. Les

8

Page 9: Présentation - Timothy Tackett

révolutionnaires eux-mêmes soulignent le caractère sans

précédent et innovateur des événements qui se déroulent sous

leurs yeux. Ainsi, dans les lettres qu'il écrit à son frère, le

libraire parisien Nicolas Ruault revient toujours à l’image

d'une nouvelle époque qui émerge avec la Révolution : «Tout va

changer», écrit-il à la fin du mois de juillet, «moeurs,

opinions, lois, coutumes, usages, administration. Nous serons

dans peu de temps des hommes nouveaux.» Le député Dominique

Garat exprime les mêmes sentiments dans un discours à

l'Assemblée nationale : en quelques semaines, «tout a changé

parmi nous, les esprits, les principes, le langage, et les

choses !» 6

! Il est important de rappeler qu'avant 1789, la grande

majorité des patriotes ne s'imaginait pas que de telles

transformations puissent réellement survenir. Même la petite

minorité qui avait lu et longuement réfléchi sur les idées

abstraites des Lumières ne l'avait anticipé. Les réalisations de

1789 vont bien au-delà des souhaits exprimés par la population

dans les cahiers de doléances, rédigés au mois de mars. Jérôme

Pétion, membre de l'Assemblée nationale, résume ainsi ses

sentiments : «Le Français est étonné de la situation présente,

il est parvenu sans, pour ainsi dire, y songer.» Ou bien comme

le dit le journaliste Gudin, «ce grand spectacle que la France

9

Page 10: Présentation - Timothy Tackett

vient de donner au monde a produit des changements qu'on croyait

tellement impossibles, que personne n'eût osé les imaginer dans

un roman: on les eût pris pour les rêves d'un malade.»7

! Souvent les témoins paraissent dépassés par des événements

si inattendus et ils ont beaucoup de mal à leur donner un sens à

travers l'écrit. Plusieurs d'entre eux font appel à l’image des

époques compressées maintenant en journées. «Il nous semblait

dans ce court intervalle», écrit le magistrat breton Boullé,

«avoir vécu des siècles; notre imagination est confondue et nous

avons peine à nous persuader que ce qui vient de se passer n'est

point un songe.»8 Garat exprime sa stupéfaction devant l'ampleur

des événements : «à peine il y a deux ans ont commencé à

retentir parmi nous ces mots si doux et si fiers: liberté

individuelle, liberté nationale, constitution; et pendant ces

deux années, on dirait qu'il s'est écoulé deux siècles, tant les

événements se sont pressés, tant les lumières et les révolutions

se sont hâtées par des progrès accélérés...» Pour beaucoup,

l'expérience de cet été, la prise de conscience de la

signification des changements en cours et la dévotion au nouveau

système de valeurs, tous ces éléments avaient la force d'un

mouvement millénariste ou d'une conversion religieuse, révélant

une intensité dans l'engagement similaire à la Réforme

protestante 250 ans auparavant.

10

Page 11: Présentation - Timothy Tackett

! Cependant, des transformations de cette magnitude peuvent

aussi devenir une source d'inquiétude considérable. Pour ceux

qui n'ont jamais vécu une révolution, il est facile de sous-

estimer à quel point une telle expérience peut être perturbante,

déconcertante, voire douloureuse. Déjà au printemps de 1789,

avant le début des États généraux, on observe dans les

correspondances énormément d'anxiété quant aux répercussions

possibles de tous ces changements, et quant à la réaction

probable des puissances de l'Ancien Régime. Cet amalgame

complexe d'émotions contradictoires, de joie et de crainte,

d'optimisme et de pessimisme, transparait dans les lettres de

plusieurs Français et Françaises durant cette période. «Vous ne

saurez croire», écrit Boullé en juin, «combien le doute me

tourmente. Je suis dévoré d'inquiétude [...] entre l'espérance

et la crainte.» Antoine Durand, avocat à Cahors, exprime les

mêmes sentiments vers la mi-juillet : le «contraste frappant de

bien et de mal, de crainte et d'espérance, de joie et de

tristesse qui se succèdent si rapidement.»9

! Au début, dans la générosité du moment, plusieurs

révolutionnaires font appel à la patience et à la tolérance

envers certains des aristocrates et des membres du clergé, qui

ont du mal à comprendre et à accepter le nouveau système de

valeurs, l'idéal de liberté et d'égalité. Les députés du Tiers

11

Page 12: Présentation - Timothy Tackett

encouragent la réconciliation et la fraternité, et plusieurs

sont persuadés qu'avec le temps, les nobles récalcitrants

renonceront aux «préjugés» issus de leur éducation. 10 Mais la

patience et la tolérance des patriotes révolutionnaires ne sont

pas sans bornes : au-delà d'un certain point, la négociation et

le compromis deviennent inacceptables. Ayant goûté au nouveau

système de liberté et d'égalité, ils refusent de se soumettre à

nouveau à un gouvernement autoritaire et de vivre dans une

société hiérarchisée, basée sur la naissance. S'ils deviennent

rapidement impatients et intolérants envers l'opposition, cette

intolérance ne provient pas d'un piège rhétorique, l’artefact du

discours des Lumières, ou d'un engagement les idées de Rousseau—

comme le soutiennent certains historiens. C'est plutôt parce

qu'ils ont la conviction profonde que ces valeurs sont justes et

nécessaires afin de réaliser la nouvelle société qu’ils en sont

venus à prévoir. Ainsi, ils acceptent l'idée que les patriotes

doivent être prêts à faire tout ce qu'il faut pour sauver la

Révolution et en préserver les gains. Voilà l'état d'esprit des

hommes et des femmes partout en France, lorsque ils prêtent le

serment de «vivre libre ou mourir!».

2) La contre-révolution

12

Page 13: Présentation - Timothy Tackett

! Et il devient rapidement évident que les craintes d'une

opposition à la Révolution ne sont pas sans fondement, que

certains groupes d'individus sont eux aussi prêts à mourir

plutôt que d'accepter le renversement de l'Ancien Régime. En

effet, et c'est là ma seconde thématique, il est impossible de

comprendre les motivations et le comportement des élites

révolutionnaires sans tenir compte des forces contre-

révolutionnaires, bien réelles et très déterminées, auxquelles

elles sont confrontées. Plusieurs historiens (anglais et

américains) ont souligné l'existence d'une noblesse dite

«libérale», des grands aristocrates de l'Ancien Régime qui

s'investissent dans la Révolution dès le départ.11 Cependant, il

est clair que la très grande majorité de la noblesse est

profondément mécontente et souvent ouvertement hostile à ces

changements. Elle adhère en effet à un système de valeur

radicalement différent de celui fondé par la culture politique

révolutionnaire. De longues années passées par beaucoup de

nobles dans l'armée leur ont inculqué un idéal d'honneur,

d'obéissance et de hiérarchie qui est à l'opposé de celui du

Tiers-état. La plupart d'entre eux croient à une société

fondamentalement inégalitaire, une société en fin de compte

«raciste», basée sur la supériorité biologique et ethnique de la

noblesse. Ainsi, alors que les patriotes ont embrassé une série

13

Page 14: Présentation - Timothy Tackett

d'innovations et l’image de «l'homme nouveau», les nobles

valorisent plutôt la tradition et l'ordre ancien. Si les

révolutionnaires veulent établir une Déclaration des droits, les

nobles insistent plutôt sur une «déclaration des devoirs». 12

! Tout comme les patriotes, ceux qui s'opposent à la

Révolution développent graduellement une série de positions

idéologiques, élaborées à partir d'une variété de thèmes et

d'idées issus du dix-huitième siècle, afin de justifier leurs

actions. Eux aussi font appel à certains éléments des Lumières

et de la pensée de Rousseau, et ils emploient volontiers un

langage de la «raison», de la «nature» et de la «patrie». Mais

certains sont aussi influencés par le courant des «anti-

lumières» de l’Ancien Régime, qui dénonce une conspiration de

philosophes, de protestants et de francs-maçons, vouée au

renversement de la monarchie et de l'Église. De plus, ils

peuvent également s'inspirer de la «littérature troubadour» de

l'Ancien Régime : ces histoires, romans et poèmes, largement

ignorés par la plupart des chercheurs, qui glorifient les

chevaliers du Moyen-Âge.13 Ils se voient d'emblée comme de fiers

et braves guerriers au service de leur Roi, engagés dans une

croisade pour la reconquête de la sainte terre de France.

! Plusieurs historiens associent la «contre-révolution» à des

événements qui se produisent seulement après 1791 ou 1792. Mais

14

Page 15: Présentation - Timothy Tackett

pour les patriotes, cette opposition déterminée à détruire tout

ce qu'ils ont accompli est réelle, menaçante, et bien en

évidence dès la seconde moitié de 1789. Les efforts du frère du

roi, le comte d'Artois, pour mettre sur pieds un gouvernement et

une armée contre-révolutionnaires sont bien connus.14 Si, en

rétrospective, ces tentatives apparaissent remarquablement

ineptes et improbables, pour les révolutionnaires il est

extrêmement difficile d'évaluer le danger qu'elles représentent.

Il leur est impossible d'ignorer des individus, qui ont toujours

été très influents par le passé et qui pourraient établir des

liens avec des milliers de nobles à travers la France.

! De plus, deux autres organes de la contre-révolution

confrontent directement les leaders patriotes à Paris. Le

premier est le groupe d'opposition, au sein de l'Assemblée

nationale elle-même, composé de la majorité des députés de la

noblesse et du clergé qui y siègent. À partir de l'automne 1789,

ces représentants forment une coalition parlementaire bien

organisée afin de bloquer ou renverser, à l'intérieur du nouveau

système démocratique, les décrets révolutionnaires. Avec

plusieurs orateurs de grand talent à leur tête, ils s'opposent

systématiquement à presque tous les décrets votés par les

patriotes et prédisent l'effondrement du Nouveau Régime.15

15

Page 16: Présentation - Timothy Tackett

Le second organe de la contre-révolution durant cette

période est la presse réactionnaire. Bientôt huit à dix de ces

journaux paraissent régulièrement à Paris, avec un lectorat

total plus de 100 000 lecteurs. Associée de près aux députés

"aristocrates" de l'Assemblée, qui bien souvent écrivent dans

ces journaux, la presse réactionnaire se fait elle aussi un

malin plaisir de narguer les révolutionnaires. Grâce à une

liberté de presse pratiquement illimitée et à des lois anti-

libelle jamais appliquées, on observe une escalade rapide de la

rhétorique antirévolutionnaire. En fait, des journalistes

conservateurs mobilisent un langage tout aussi violent que celui

de certains écrivains patriotes, tels que Marat ou Fréron.16

! Par ailleurs, la politique religieuse de la majorité

patriote fera fortement augmenter le potentiel d'actions des

contre-révolutionnaires. La réorganisation massive de l'Église,

qui culmine avec la Constitution civile du clergé en juillet

1790, est une histoire bien connue. Je vous rappelle seulement

que cette législation introduit des mesures qui, dans le

contexte du catholicisme français, sont extraordinairement

radicales.17 Il n'est donc pas surprenant qu'une certaine

proportion du clergé et des laïques en arrive rapidement à la

conclusion que les révolutionnaires ont embrassé l'hérésie de

Luther et de Calvin. Et à partir du moment où l'Assemblée

16

Page 17: Présentation - Timothy Tackett

nationale force l'acceptation de ces mesures, en exigeant du

clergé un serment formel et religieux à la Constitution dans son

ensemble, la nation entière se retrouve divisée par un profond

schisme religieux.18 Dès lors, la noblesse contre-révolutionnaire

pourra prétendre défendre non seulement les vraies valeurs de

l'Ancien Régime, mais également la vraie foi chrétienne.

! À partir de 1791, les patriotes se sentent profondément

menacés par l'opposition, et à l'étranger et à l’intérieur de la

France. Comme le décrit le député Pierre Ramel, «ces chimériques

idées de contre-révolution [...] désolent le peuple français, le

privent des douceurs que la nouvelle constitution devait

nécessairement lui procurer». 19 Au cours des années suivantes, la

Révolution et la contre-révolution vont constamment interagir,

se confronter et se menacer l'une et l'autre, évoluant de façon

dialectique dans un processus d'action et de réaction. Ainsi, en

s'affrontant, les deux groupes développent une forme d'analyse

manichéenne qui diabolise et déshumanise l'adversaire. D'une

certaine façon, l'intensification de cette violence verbale

préfigure la violence physique qui éclatera à travers le pays

peu de temps après.

Le vide du pouvoir

17

Page 18: Présentation - Timothy Tackett

! Par ailleurs, les tensions et les anxiétés issues du choc

entre Révolution et contre-révolution s'intensifient en raison

d'un autre développement : l'émergence rapide d'un véritable

vide du pouvoir en France. Et ce phénomène, bien mis en lumière

récemment par Jean-Clément Martin, constitue mon troisième

thème. En effet, les événements de l'été 1789 déclenchent une

crise majeure de l'autorité publique, une crise de nature à la

fois institutionnelle et psychologique.

! À l'été 1789, l'Assemblée nationale considère que la

plupart des structures institutionnelles de l'Ancien Régime

doivent pour l'instant demeurer intactes, jusqu'à ce que de

nouvelles institutions soient créées pour les remplacer. Mais

après tous les événements de l'été, il est pratiquement

impossible pour celles-ci de fonctionner comme avant, et

plusieurs institutions se retrouvent rapidement au bord de

l'effondrement. Ainsi, l’intendance, pivot du système

administratif d'Ancien Régime, perd presque toute son autorité.

Plusieurs intendants et leurs subdélégués démissionnent ou

abandonnent carrément leurs fonctions, terrifiés par le lynchage

de l'intendant de Paris en juillet 1789. 20 Des collecteurs

d'impôt, des commissaires de police, des magistrats royaux

choisissent eux aussi de prendre la fuite ou de se faire

discrets pendant tout l'été, et parfois pour une période bien

18

Page 19: Présentation - Timothy Tackett

plus longue. 21 Il existe bien entendu des variations importantes

d'une région à l'autre, mais dans beaucoup de cas, les

administrations municipales sont les seules sources d'autorité

encore en fonction à l'automne 1789. Mais les municipalités

sont elles aussi balayées par une série de révolutions locales,

dans lesquelles les oligarchies d’Ancien Régime sont expulsées

ou forcées de partager leur pouvoir. Dans plusieurs cas, ces

luttes de pouvoir et rivalités personnelles deviennent la source

d’intenses confrontations entre factions rivales pendant toute

la décennie.

! Les députés de l’Assemblée nationale sont bien conscients

de cette situation. Ainsi, pour Riberolle, «l’anarchie s’accroit

journellement et le royaume [est] à deux doigts de sa perte.» 22

Dès lors, les représentants travaillent d’arrache-pied afin de

créer de nouveaux systèmes administratif et judiciaire pour

implanter les lois qu’ils formulent à Paris. Rapidement, ils

conçoivent une hiérarchie bureaucratique des départements, des

districts et des municipalités.

! Toutefois, l’organisation et l’implantation de ce système

prennent presque une année. De plus, les nouveaux

administrateurs doivent prendre le temps de se familiariser avec

leurs fonctions et d’assimiler l’immense corps de lois produit

par l’Assemblée nationale. Ainsi, ce long interrègne

19

Page 20: Présentation - Timothy Tackett

administratif persiste pour plus d’une année, jusqu’à l’automne

1790 et parfois même jusqu’au printemps 1791. D’ailleurs, la

période est aussi marquée par une vaste réaction contre

l’autoritarisme de l’Ancien Régime, une véritable

«décentralisation à outrance» comme l’écrit Georges Lefebvre. 23

En théorie, les relations d’autorité à l’intérieur de la

bureaucratie révolutionnaire sont parfaitement claires. Mais en

pratique, il est difficile de faire obéir les échelons

inférieurs de la hiérarchie gouvernementale, qui parfois

appliquent mal les lois et les directives qui leur sont

envoyées. On observe de nombreux cas d’attitudes récalcitrantes,

de résistance passive, ou de désobéissance ouverte aux

instructions qui viennent d’en haut. Cette situation est par

ailleurs exacerbée par la coexistence physique assez fréquente,

dans une même ville, des différents paliers bureaucratiques,

chacun avec son propre agenda et un électorat sensiblement

différent. En 1791, le député Legendre se plaint que «la

malheureuse division dans les différentes sections de

l’administration politique est devenue le plus grand obstacle au

retour de la tranquillité générale». 24 Cette décentralisation

atteindra son paroxysme à l’été 1793, lorsqu’une douzaine de

départements se révolteront ouvertement contre le gouvernement

20

Page 21: Présentation - Timothy Tackett

central, bien souvent au nom de la souveraineté populaire, au

cours des insurrections dites «fédéralistes».

! Par ailleurs, l’effondrement de l’autorité n’est pas

uniquement de nature institutionnelle. Il est aussi

psychologique. Les nouveaux idéaux de liberté, d’égalité et de

démocratie pénètrent rapidement la culture et la société

entière, et mènent à une remise en question de l’autorité et des

relations de pouvoir traditionnelles - et cela à presque tous

les niveaux. Plusieurs années après les événements, le vitrier

Jacques-Louis Ménétra se souvient de l’émotion que ses amis et

lui ont ressentie lors de ces journées enivrantes qui marquent

le début de la Révolution. Comme il l’écrit, «ce mot de liberté

si souvent répété fit un effet comme surnaturel et échauffa

toutes les têtes.» 25 En effet, les concepts de liberté et de

démocratie sont si fondamentalement nouveaux que personne n’est

vraiment certain des limites de leur application. Mirabeau en

comprend rapidement les dangers. «Il faut un certain temps,»

écrit-il, «après qu’on a effacé les anciennes bornes, pour que

les nouvelles limites soient connues et respectées.»26

! Au cours des années suivantes, presque partout en France,

les effets «surnaturels» de la liberté encouragent les citoyens

à défier les autorités traditionnelles auxquelles ils étaient

auparavant soumis. Bien vite, les membres des corporations de

21

Page 22: Présentation - Timothy Tackett

travail, les soldats et les marins, de larges segments des

populations rurales, les esclaves dans les Amériques, et même un

grand nombre de femmes courageuses : toutes et tous remettent en

question les hiérarchies traditionnelles de la politique, de la

société et de la famille.27

D’ailleurs, la situation se complexifie davantage avec

l’émergence de plusieurs structures de pouvoir parallèles, qui

souvent entrent en compétition avec le système administratif

créé par l’Assemblée nationale. Souvent ils apparaissent

précisément durant l’interrègne administratif et judiciaire des

années 1789-1791. Trois de ces groupes, on le sait, ont une

importance particulière : les gardes nationales municipales, les

«sections» - ces organisations de quartiers ad hoc à Paris et

dans plusieurs autres villes — et puis les clubs politiques ou

«sociétés populaires». Tous les trois entretiennent des

relations difficiles avec les autorités municipales. Au début de

l’année 1791, tous les trois exercent une pression considérable

pour que le gouvernement adopte des politiques plus répressives.

Dans bien des cas, d’ailleurs, des sections individuelles, des

unités de gardes nationales ou des administrations de districts

agissent illégalement de leur propre chef, souvent avec la

complicité des clubs locaux, afin de réprimer les trahisons

d’aristocrates qu’elles suspectent. 28 La vague de

22

Page 23: Présentation - Timothy Tackett

décentralisation et la perte de légitimité entraînent également

des luttes de pouvoir féroces entre des élites concurrentes. En

fait, il est de plus en plus difficile pour les contemporains de

déterminer qui est véritablement en charge, et qui manipule

peut-être la situation au profit des ennemis de la Révolution.

! L’impact des classes populaires parisiennes

! La rhétorique du soupçon et les demandes pour plus de

mesures répressives sont aussi influencées, à travers le

leadership d’une élite militante radicale, par les actions des

classes populaires parisiennes, ce qui constitue mon quatrième

thème. Nous n’avons pas le temps d’aborder la riche

historiographie consacrée au rôle de la foule dans la Révolution

française — bien explorée par des historiens comme Albert Soboul

et George Rudé. Clairement, la culture et le registre émotionnel

de la masse des artisans, boutiquiers et travailleurs de Paris

diffèrent largement de ceux des élites révolutionnaires.

Cependant, deux aspects de cette culture méritent d’être

soulignés. D’abord, il n’y a pas de doute que la violence joue

un rôle beaucoup plus important dans la vie quotidienne et la

communauté émotionnelle à laquelle appartiennent bien des hommes

de la classe ouvrière parisienne. Plusieurs études consacrées à

23

Page 24: Présentation - Timothy Tackett

la ville de Paris sous l'Ancien Régime — et notamment d’Arlette

Farge, de David Garrioch, et de Thomas Brennan - ont documenté

les nombreuses bagarres et vendettas qui éclatent presque tous

les soirs entre divers groupes ou individus.29 Les confrontations

surviennent dans les rues, dans les cours ou les cabarets, pour

des motifs très variés. La plupart sont spontanées et se règlent

habituellement aux poings, avec des bâtons, ou avec tout autre

objet qui leur tombe sous la main. Mais dans certains cas, des

conflits plus violents prennent la forme de véritables duels

préparés d'avance, engagés dans les ruelles ou le long des

quais, souvent assistés par des seconds. En ce sens — et là on

peut se baser sur les recherches de Pierre Serna - la culture

masculine de l'honneur et de la vengeance que l'on observe chez

les artisans parisiens est remarquablement similaire à celle de

la noblesse. À l'inverse, les duels semblent beaucoup moins

fréquents chez les élites du Tiers état. 30

! La seconde caractéristique des classes populaires

parisiennes qui mérite d'être soulignée est leur propension

marquée pour les rumeurs. Avec un taux d’alphabétisation

«fonctionnel» relativement limité, la plupart des Parisiens

vivent d'abord et avant tout dans une culture orale. Au cours du

dix-huitième siècle, des rumeurs de toutes sortes résonnent sans

cesse à travers la ville. Nous savons grâce aux recherches

24

Page 25: Présentation - Timothy Tackett

menées en psychologie sociale que lorsque les rumeurs sont ainsi

colportées et répétées, elles sont généralement modulées et

simplifiées afin d'en faire des histoires plus faciles à

raconter. Les nuances sont habituellement laissées de côté,

amplifiant les oppositions; reflétant et justifiant aussi les

ressentiments déjà existants envers des antagonistes de longue

date. «On croit aisément», comme le dit Marc Bloch, «ce qu'on a

besoin de croire». Ces recherches nous montrent également que

des émotions peuvent être propagées avec le contenu des rumeurs,

et particulièrement les émotions liées à la peur et à la colère.

! Nous n'avons pas le temps aujourd'hui d'explorer toute la

profusion de rumeurs qui courent à travers la ville pendant les

premières années de la Révolution, et qui sont bien documentées

dans plusieurs séries de correspondances. Cependant, on peut

souligner qu'au début de la Révolution, la circulation des

rumeurs est sensiblement amplifiée par l'apparition soudaine

d'un grand nombre de journaux non censurés qui rivalisent pour

accroître leur lectorat. De plus, elles sont amplifiées par

leurs colporteurs qui, par centaines, circulent matin et soir en

criant leurs interprétations souvent bien déformées des

dernières «nouvelles», conçues pour mieux vendre les journaux.

Quoi qu'il en soit, deux types de rumeurs doivent être mis en

évidence ici, dont tous les deux ont le potentiel de générer des

25

Page 26: Présentation - Timothy Tackett

comportements violents: d'abord, les rumeurs qui annoncent des

disette de grains; ensuite celles qui dénoncent l'existence de

grands complots, parfois en lien avec l'accaparement des grains,

parfois plus politisées, et liées avec les trahisons réelles ou

imaginaires de divers hommes politiques.

! Il est clair qu’au début de la Révolution, la grande

majorité des élites patriotes demeure éloignée du registre

émotionnel de la foule parisienne et qu’elles sont horrifiées et

consternées par les actes de violence populaire. Cela dit, dès

le départ une petite minorité de leaders patriotes endossent et

embrassent les actions du peuple, y compris ses actes de

violence. À cet égard, les militants radicaux regroupés sur la

rive gauche, sont particulièrement importants. Souvent membres

fondateurs du club des Cordeliers, des personnages comme Danton,

Desmoulins, Marat, Hébert, Fréron et Chaumette, font très tôt la

promotion d’une égalité sociale, de la démocratie directe, et

après l’été 1791, du républicanisme. En partie parce qu’ils

veulent gagner l’appui du peuple, mais aussi à cause de leurs

convictions démocratiques, les membres de ce groupe cherchent

sciemment à politiser les masses parisiennes, notamment à

travers le développement d’un réseau de «sociétés fraternelles»,

soutenues ou mises en place par les Cordeliers. Lorsque la

citoyenneté passive est abolie à l’été 1792, les assemblées de

26

Page 27: Présentation - Timothy Tackett

sections deviennent un autre lieu de rencontre privilégié entre

militants radicaux et classes populaires. De plus, il ne

faudrait pas sous-estimer le rôle des journaux radicaux, dont

certains réussissent particulièrement bien à faire la promotion

de leur conception de la démocratie républicaine, tout en

reflétant et renforçant les peurs, les rumeurs, et les appels à

la vengeance de ceux qu’ils projettent comme étant leurs

lecteurs.

! En même temps, les militants radicaux élaborent une vision

qui exalte, voire qui idolâtre le peuple de Paris, une vision

qui, à mon avis, va bien au-delà de la simple démagogie. Que ce

soit à travers l’influence de Rousseau ou en réponse à la

dynamique révolutionnaire elle-même, ces militants sont

persuadés que «le peuple» est doté d’une sagesse naturelle et

d’une bonté instinctive. Comme ils le répètent sans arrêt, c’est

bien «le peuple» qui a sauvé la Révolution: d’abord en juillet

et en octobre 1789, puis en août 1792. Cette vision du peuple

idéalisée est évidente dans les correspondances de cette

période, à la fois chez les militants parisiens et chez les

radicaux qui siègent dans les assemblées nationales. Comme

l’écrit le jeune député Michel Azéma à ses amis dans l’Aude, «le

peuple est tout, nous sommes peuple, nous ne sommes rien que par

lui et pour lui, nous sommes tout pour lui.» 31

27

Page 28: Présentation - Timothy Tackett

! En fin de compte — et ici je me base surtout sur l’analyse

de Haim Burstin — il se développe une véritable coalition

politico-culturelle entre les élites militantes radicales et les

masses militantes, une coalition que les contemporains et les

historiens désignent sous le terme de «sans-culottes». 32 À

l’origine, le mot a sans aucun doute une connotation sociale et

vestimentaire spécifique. Lorsque Rosalie Jullien, épouse d’un

député montagnard radical, commence à utiliser cette expression

en 1792, elle distingue soigneusement le «bourgeois», plus riche

et menant une existence confortable, du «sans-culotte», qu’elle

décrit comme étant «habillé en haillons». «S’il y a des vertus

sur la terre,» écrit-elle à son fils, «c’est sous les haillons

de ceux qu’on a voulu flétrir du nom de ‘sans-culottes.’» 33

Néanmoins, il est clair que la signification du mot se

transforme avec le temps, pour éventuellement désigner les

militants révolutionnaires radicaux de toutes les franges de la

société. C’est là une alliance politique à la fois curieuse et

originale, un «front populaire» social comme le dit Georges

Lefebvre.

! En tout les cas, le «front populaire» sans-culottes élabore

rapidement tout un répertoire d’actions collectives, conçues

pour influencer les positions et le comportement des députés

révolutionnaires plus modérés. En plus des pétitions aux

28

Page 29: Présentation - Timothy Tackett

Assemblées nationales et l’action des militants dans les

«tribunes» de l’assemblée, il ne faut pas sous-estimer les

nombreuses manifestations non violentes, comme ces

rassemblements en masse à l’extérieur de l’Assemblée, ou encore

ces manifestations dans les rues, durant lesquelles des hommes

et des femmes marchent bras dessus, bras dessous, en chantant et

en brandissant des pancartes. Dans certains cas, on donne la

permission à la foule de marcher à l’intérieur de l’Assemblée,

ou même de prendre place dans le côté droit de la salle,

généralement laissé vacant. Comme nous le savons, ces actions

collectives sont particulièrement influentes pendant certaines

des journées les plus célèbres. Flanqués de gardes nationales

armées, la coalition «sans-culottes» pousse le leadership

révolutionnaire à adopter des mesures de répression et de

vengeance contre ceux qu’ils croient être des «suspects» et des

conspirateurs.

! La culture de la peur et du soupçon

! En effet, le désir intense de préserver les nouvelles

valeurs révolutionnaires, l'existence d'une contre-révolution

active, les effets du vide de pouvoir, ainsi que l'influence des

militants parisiens et sans-culottes : tous sont

29

Page 30: Présentation - Timothy Tackett

inextricablement liés à ce qui devient bientôt une véritable

obsession des conspirations. Ainsi, le cinquième élément de mon

analyse des origines d'une mentalité de la Terreur est dérivé

des quatre premiers. Toutefois, la culture de la peur et du

soupçon va au fil du temps devenir une force historique à part

entière, et se répandre rapidement dans toutes les couches de la

société. C'est pourquoi ce thème doit être considéré séparément

ici.

! Bien entendu, l'obsession des conspirations s'observe aussi

dans la France d'Ancien Régime. Beaucoup de travaux font état

d'une susceptibilité aux théories du complot au sein des classes

populaires bien avant 1789. Il existe en effet, chez celles-ci,

une tendance à attribuer toutes sortes de malheurs aux actions

et à la volonté de certains individus. Mais en fait, à la veille

de la Révolution, il existe peu de traces de préoccupations

semblables chez les futures élites révolutionnaires - ni dans

leurs correspondances, ni dans leurs pamphlets, ni dans leurs

discours. 34

! La propagation de la suspicion après le début de la

Révolution provient en partie d'une supposition rationnelle :

les groupes auparavant très puissants au sein du gouvernement et

de la société, et qui ont le plus à perdre sous le Nouveau

Régime, vont inévitablement tenter de le renverser. Il semble

30

Page 31: Présentation - Timothy Tackett

évident à tout le monde que certains aristocrates tentent de

reprendre le pouvoir à la mi-juillet 1789, lorsque des troupes

sont rassemblées autour de Paris et de Versailles. C'est

précisément à ce moment qu'une théorie du «complot

aristocratique» se propage au sein de beaucoup d’élites à Paris.35

Cette idée est cependant plus lente à pénétrer les provinces. Il

est maintenant clair qu'à l'extérieur de la capitale — et là je

diverge par rapport à l'interprétation de Georges Lefebvre — la

propagation de la Grande Peur est davantage liée à

l'effondrement des autorités publiques et au vide du pouvoir

qu'à la peur des aristocrates. C'est seulement dans les semaines

qui suivent que les élites provinciales commencent à accorder

plus de crédibilité aux théories du complot.36 La généralisation

de la peur des conspirations à l'extérieur de Paris est sans

doute favorisée aussi par le long interrègne qui suit l’été

1789. Alors que le gouvernement devient de plus en plus

décentralisé, un contraste marqué avec l'Ancien Régime, il est

difficile de savoir qui est aux commandes, qui tire

véritablement les ficelles du pouvoir. Il est ainsi bien plus

facile pour les patriotes d'imaginer des blocs de pouvoir,

formés d'anciens ministres royaux, de nobles et de membres du

clergé, qui manigancent en coulisses pour leur propre bénéfice. 37

31

Page 32: Présentation - Timothy Tackett

Initialement, l'obsession des complots semble être plus

répandue chez les élites situées aux deux extrémité de

l’échiquier politique : à l'extrême droite et à l'extrême

gauche. Déjà au début de l'année 1790, les patriotes et les

aristocrates s'accusent mutuellement de fomenter des complots.

Les deux camps s'appuient en partie sur des passages tirés de la

littérature romaine classique, et notamment sur certains écrits

de Salluste, appris par coeur durant leurs cours de rhétorique

avant la Révolution. Mais ces peurs sont certainement

renforcées, à gauche, par les rumeurs de complots qui courent

dans les rues de Paris au sein du menu peuple. Comme nous

l'avons vu, les journalistes patriotes radicaux et les clubistes

s'identifient de plus en plus avec ce «peuple» qu'ils

idéalisent, et ils commencent à intérioriser les craintes et

l’imaginaire des classes populaires. D’ailleurs, nous savons

grâce aux recherches en psychologie sociale que lorsque

l'anxiété et le besoin d'action deviennent suffisamment

intenses, certaines rumeurs peuvent facilement se propager d’une

classe à l’autre, et être acceptées par les élites normalement

plus sceptiques à l'égard du bouche-à-oreille. Dominique Garat a

bien saisi la nature contagieuse des rumeurs : «quand j’ai vécu

parmi tant de gens qui pensaient et se conduisaient par leurs

32

Page 33: Présentation - Timothy Tackett

soupçons,» écrit-il, «il est impossible que je n'aie pas eu

aussi quelquefois des soupçons moi-même.» 38

! De plus, la culture de la peur et du soupçon s'intensifie à

travers la pratique grandissante de la dénonciation.39 Durant les

moments de tension accrue, les élites patriotes encouragent la

communauté révolutionnaire entière à être à l'affût d'activités

suspectes. «La dénonciation», écrit Mirabeau en novembre 1789,

«doit être regardée au milieu des périls qui nous environnent,

comme la plus importante de nos nouvelles vertus, et comme le

palladium de notre liberté naissante.»40 Renforcée par l'attitude

des clubs patriotes et par les sections parisiennes, la

popularité des dénonciations se répand rapidement au sein de

toute la société. Bien que le fonctionnement de ces pratiques au

début de la Révolution aient été relativement peu étudiés, il

semble clair que les dénonciations ont un effet profondément

troublant. Nous savons qu'à partir de 1791, le club des

Jacobins, tout comme les centaines de clubs qui leur sont

affiliés à travers le pays, exigent de tous leurs membres qu'ils

prêtent un serment de chercher et de dénoncer les contre-

révolutionnaires partout où l’on les trouve. 41 A Bordeaux, par

exemple, depuis le début de 1791, des centaines de lettres

dénonçant toutes sortes de comportements présumés contre-

révolutionnaires sont adressées à la société populaire

33

Page 34: Présentation - Timothy Tackett

principale. On y accuse des nobles, des prêtres, ou même des

voisins ayant tenu des propos antipatriotiques, parfois sur la

base de simples rumeurs. Plusieurs de ces dénonciations sont

ensuite formellement lues à l'assemblée de la société.42 Et la

logique d'accusations publiques à répétition contre de présumés

conspirateurs peut avoir un effet cumulatif puissant et

dévastateur. Par peur d'être dénoncés à leur tour, plusieurs

individus se mettent en effet à accuser leurs voisins avec

encore plus de vigueur. Ainsi, les pratiques de dénonciation

sont largement répandues chez les révolutionnaires de certaines

villes bien avant qu'elles ne soient institutionnalisées dans

les comités de surveillance en 1793.

! De plus, l'obsession des conspirations s'intensifie et

trouve ses justifications dans une série de trahisons de haut

niveau, de la part d’ individus longtemps admirés par les

patriotes. En juin 1791, la fuite spectaculaire de Louis XVI et

de sa famille hors de Paris ébranle profondément la population

entière. 43 Comme nous le savons, la famille royale est rapidement

capturée et forcée de rentrer à Paris. Mais l'enquête qui suit

révèle une grande conspiration, impliquant de nombreux

participants au sein de l'armée et chez les émigrés en

Allemagne, de même qu'une série de tromperie et de parjures de

la part du roi lui-même. Même après que Louis XVI ait été remis

34

Page 35: Présentation - Timothy Tackett

sur le trône et officiellement pardonné, une profonde

incertitude demeure quant à savoir s'il sera possible de lui

faire confiance à nouveau. Et au cours des années suivantes, les

patriotes vont apprendre qu’au moins trois autres individus

jadis admirés et honorés comme de grands partisans de la

Révolution - Lafayette, Mirabeau et Dumouriez - ont tous trahi

leur pays en se liguant secrètement avec la cour ou avec les

ennemis de la France. Ainsi, la référence aux peurs des

conspirations devient de plus en plus fréquente dans la

rhétorique de l’Assemblée législative, même avant le début de la

guerre en avril 1792, un phénomène que j’ai documenté dans une

étude numérique du langage des députés. Ce langage est, en

effet, de plus en plus dominé par l’idée d’un «grand complot»,

selon laquelle toutes les menaces sont directement reliées à un

seul et même plan monolithique provenant d'une source unique,

soit d’un gouvernement étranger, soit d’un comité secret à

l’intérieur de la France, soit d’un groupe de députés à

l’Assemblée elle-même. 44

! Lorsque l’atmosphère de suspicion et de dénonciation

s’intensifie à la fin de l’Assemblée législative et sous la

Convention, il devient commun pour les députés de sombrer dans

le manichéisme des militants radicaux et «sans-culottes», et de

diviser la société entière entre les bons patriotes et les

35

Page 36: Présentation - Timothy Tackett

contre-révolutionnaires infâmes. L’évolution de cette mentalité

est à mon avis centrale dans l’émergence de la factionnalisation

toxique et meurtrière qui caractérise la politique de la

Convention. Il est clair qu'un grand nombre de Feuillants et de

Jacobins, et plus tard de Girondins et de Montagnards, sont

convaincus que leurs opposants ne sont pas seulement égarés,

mais qu’ils sont bel et bien des traîtres, ligués avec les

ennemis intérieurs ou extérieurs de la France. Les opposants

avérés ou suspectés sont ainsi déshumanisés et perçus comme des

monstres qui, par extension, doivent être éliminés du corps

social afin que la l’état lui-même puisse survivre. 45

Conclusion

! En fait, aujourd’hui je vous ai très peu parlé du règne de

la Terreur tel qu’on l’imagine habituellement. Je n’ai rien dit

du Comité de salut public de l’An II, du tribunal

révolutionnaire, des comités de surveillance ou de la

guillotine. Je me suis plutôt concentré sur l’état d’esprit des

élites révolutionnaires de Paris et de la province avant le

début de la Grande Terreur. Le but de ma présentation était de

démontrer que, dans une certaine mesure, les conditions

préalables d’une culture politique de la violence chez les

36

Page 37: Présentation - Timothy Tackett

élites étaient en place avant le déclenchement de la guerre en

1792 et de la contre-révolution de masse de 1793. Vers la fin de

l’année 1791, la culture révolutionnaire était déjà profondément

marquée par une peur obsessionnelle des conspirations fomentées

par une variété de personnages infâmes, par une polarisation

accrue de l’univers politique qui diabolisait régulièrement

l’opposition, et par l’empressement à accepter toutes les

mesures nécessaires afin de «sauver la Révolution», dont la

répression étatique au sens large.

! En effet, l’un des fils conducteurs de cette présentation,

lié de près aux cinq thèmes que nous avons abordés ensemble, est

le rôle des émotions dans les origines de la Terreur. En fait,

plusieurs historiens ont tenté d’intégrer les émotions dans une

explication des origines de la violence révolutionnaire, le plus

influent d’entre eux étant sans doute William Reddy avec son

ouvrage The Navigation of Feeling. Cependant, la perspective de

Reddy, centrée sur le sentimentalisme et les «passions»

véhiculés à travers certains textes (romans, pièces de théâtre,

etc...), est à mon avis trop générale et très peu utile. Nous

devons plutôt nous demander «quelles sont ces passions, quelles

sont ces émotions», et «au sein de quels groupes sociaux» ? Pour

mieux comprendre la Terreur, il est à mon avis impératif

d'accorder plus d'attention aux origines et aux interactions

37

Page 38: Présentation - Timothy Tackett

complexes d'une gamme précise d'émotions, dans laquelle on

retrouve l’enthousiasme, la peur, la colère et le désir de

vengeance. Nous devons aussi explorer l'interrelation entre

différentes «communautés émotionnelles» dans la France

révolutionnaire. Il s'agit ici d'un concept popularisé par

l’historienne du Moyen Age, Barbara Rosenwein, et qui renvoie à

des groupes sociaux avec des normes et des styles d'expression

relativement différents. Il est clair, d’ailleurs, que dans des

périodes de peur et d’incertitude accrues — comme par exemple au

moments de paniques générales (en mai 1792, en septembre 1792,

en mars 1793) — des communautés émotionnelles normalement bien

séparées, peuvent se mêler. Ainsi, on le sait, les Massacres de

septembre ont été largement acceptés, voire salués, par la forte

majorité des élites au sein de toutes les factions.

! Mon intention n'est pas du tout d’éliminer le rôle de la

contingence, la force des «circonstances» dans l'intensification

ou la modification de la situation révolutionnaire. Des

événements imprévus comme la fuite du roi, l'assassinat de

Marat, ou l'effondrement soudain du front belge en mars 1793,

ont certainement changé la donne de façon considérable. Mais mon

hypothèse est plutôt que des circonstances n’auraient pas été

suffisantes pour provoquer la Terreur sans la transformation

préalable de la mentalité des révolutionnaires. De plus, cette

38

Page 39: Présentation - Timothy Tackett

transformation ne peut s’expliquer par la rhétorique de Rousseau

de l’Ancien Régime, ni par la littérature sentimentale, ni

encore par diverses théories abstraites du droit naturel. Au

contraire, il s’agit d’une évolution qui, en dernière analyse,

fait partie intégrante du processus de la Révolution française—

et qui est peut-être inhérente au phénomène révolutionnaire lui-

même.

! En effet, on pourrait dire que toutes les révolutions

majeures reposent sur la conviction profonde que la société peut

et doit être changée, une conviction qui peut facilement

engendrer de l’impatience et de l’intolérance envers

l’opposition. Toutes les révolutions engendrent des activités

contre-révolutionnaires chez ceux qui voient leurs intérêts

menacés et attaqués. Toutes les révolutions, au cours de leur

inévitable processus de transition, tendent à produire des vides

de pouvoir et à remettre en question toutes les sources

d’autorité. Toutes les révolutions impliquent habituellement

l’influence imprévue des classes populaires. Et il se pourrait

bien que toutes les révolutions soient aussi en proie à des

périodes d’obsession pour les complots, de suspicion intense et

de manque de confiance; d’incertitude angoissante à l’égard de

l’autre, et où il est difficile de distinguer ses amis de ses

ennemis, de véritables patriotes des loups déguisés en agneaux,

39

Page 40: Présentation - Timothy Tackett

qui se cachent derrière le masque de l’engagement

révolutionnaire.

! Il serait donc intéressant de comparer la Terreur sous la

Révolution française avec des phases similaires pendant d’autres

grandes révolutions: la Révolution anglaise, américaine, russe

et chinoise. Qu’est-ce que ces événements ont en commun et en

quoi sont-ils différents ?

! Mais cela devra être le sujet d’une autre étude, et peut-

être l’objet de vos suggestions et de vos observations.

! ! ! ! ! ! Timothy Tackett

! ! ! ! ! ! University of California, Irvine

! ! ! ! ! ! (Traduction : Nicolas Déplanche)

40

Page 41: Présentation - Timothy Tackett

NOTES ( en anglais )

41

Page 42: Présentation - Timothy Tackett

42

1 May I express my appreciation to Claude Langlois, Peter McPhee, David Garrioch, Helen Chenut, and Nicolas Tackett for their assistance at various points in the development of this paper.

2 Among the important recent exponents of this thesis, one could cite Georges Lefebvre, The French Revolution, 2 vols. (New York, 1962-64); Albert Soboul, A Short History of the French Revolution, 1789-1799 (Berkeley, 1977); and Michel Vovelle, La Révolution française, 1789-1799 (Paris, 1992).

3 See notably, François Furet, Interpreting the French Revolution, trans. Elborg Forster (Cambridge, 1981); also Keith Michael Baker, Inventing the French Revolution (Cambridge, 1990).

4 Charles-Eugène Mathiot, Pour vaincre: Vie, opinions et pensées de Lazare Carnot (Paris, 1916), 255.

5 For a list of the correspondence of the deputies to these assemblies see Tackett, Becoming a Revolutionary, bibliography; and "Etude sérielle de la psychologie Révolutionnaire: La correspondance des députés des assemblées nationales, (1789-1794)" in Archives épistolaire et histoire, ed. Mireille Bossis and Lucia Bergamasco (Paris, 2007), 171-88.

6 Nicolas Ruault, Gazette d'un Parisien sous la Révolution. Lettres à son frère, 1783-96, ed. Christiane Rimbaud and Anne Vassal (Paris, 1976), 161 (letter of July 30, 1789); Courier de Provence, no. 21, July 31, 1789; Archives parlementaires de 1787 à 1860, recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises. Première série (1787-1799), eds. Jérôme Mavidal, Emile Laurent, et al., 82 vols. (Paris, 1867-1913), 8:603, speech of Sept. 9, 1789; Romme, letter of Sept. 8, 1789, cited in Galante Garrone, 529.

7 Courier de Provence, No. 22 (Aug. 3, 1789); Jérôme Pétion de Villeneuve, Avis aux Français sur le salut de la patrie (n.p., 1789), 226; Dominique-Joseph Garat, Memoires (Paris, 1795), 211; Pierre-Philippe Gudin, Supplément au contrat social applicable particulièrement aux grandes nations (Paris, 1790), cited in Roger Barny, Le droit naturel à l'épreuve de l'histoire. Jean-Jacques Rousseau dans la Révolution (débats politiques et sociaux) (Paris, 1995), 15.

..

8 Jean-Pierre Boullé, "Ouverture des Etats généraux de 1789," ed. Albert Macé, Revue de la Révolution. Documents inédits, 14 (1889), 114 (letter of July 21, 1789).

9 Boullé, letter of May 9, 1789; Durand, letter of July 14, 1789. See also the magistrat Lamarque, letter of July 15, 1789. All three were serving as deputies to the Estates General. For other examples, see Tackett, Becoming a Revolutionary, 150-51.

10 Adrien-Cyprien Duquesnoy, Journal d'Adrien Duquesnoy, ed. R. de Crèvecoeur, 2 vols. (Paris, 1894), 1:138, entry of June 28, 1789; and François-Emmanuel Toulongeon, Histoire de la France depuis la Révolution, 7 vols. (Paris, 1801), 1:111.

11 See, e.g., Elizabeth L. Eisenstein, "Who Intervened? A Commentary on The Coming of the French Revolution," American Historical Review, 71 (1965), 77-103; William Doyle, Origins of the French Revolution (Oxford, 1980).

12 See notably, Jean Tulard, ed. La Contre-Révolution (Paris, 1990), "Introduction".

13 Jean-Christian Petitfils, "Les origines de la pensée contre-révolutionnaire" in Tulard, La Contre-Révolution, 16-32.

14 Jacques Godechot, La Contre-Révolution: Doctrine et action, 1789-1004, 2nd ed. (Paris, 1984), 161-67.

Page 43: Présentation - Timothy Tackett

43

15 See the author's Becoming a Revolutionary (Princeton, 1996; and University Park, Pa, 2006), esp. chap 6.

16 See, e.g., Willaim James Murray, The Right-Wing Press in the French Revolution: 1789-92 (Woodbridge, England, 1986), 228-29; Harvey Chisick, The Ami du Roi of the Abbé Royou (Philadelphia, 1992), 40-42.

17 See the author's "The French Revolution and Religion to 1794" in Enlightenment, Revolution, and Reawakening (1660-1815), vol. 7 of The Cambridge History of Christianity, Stewart J. Brown and Timothy Tackett, eds, (Cambridge, 2006), 536-55.

18 See the author's Religion, Revolution, and Regional Culture in Eighteenth-Century France (Princeton, 1986), especially chap. 1.

19 Ramel, letter of Oct. 29, 1791.

20 The intendants of Caen, Soissons, Amiens, Dijon, Riom, Perpignan, Orléans, and Bourges all seem to have disappeared from their posts: Félix Mourlot, La fin de l'ancien régime et les débuts de la Révolution dans la généralité de Caen (Paris, 1913), 328-30; Pierre Vidal, Histoire de la Révolution française dans le département des Pyrénées-Orientales, 3 vols. (Perpignan, 1885-88), 57-62; Marcel Bruneau, Les débuts de la Révolution dans les départements du Cher et de l'Indre (Paris, 1902), 88-89; Jean Bart, La Révolution française en Bourgogne (Clermont-Ferand, 1996), 139; Alain Cohen, "Les procès des anciens intendants durant la Révolution," Annales historiques de la Révolution française, in press. Cf. Nicolas Ruault's assertion that "tous les intendants des généralités désertent leurs places, abandonnent leurs hôtels et, s'enfuient au plus vite": Ruault, Gazette, 161 (letter of July 30, 1789).

21 Les Révolutions de Paris, no. of July 26, 1789; Jean-Sylvain Bailly, Mémoires d'un témoin de la Révolution, ed. Berville et Barrière, 3 vols. (Paris, 1821-22), 2:136 (entry of July 26, 1789); Vidal, Histoire de la Révolution, 60; Bruneau, Les débuts de la Révolution, 90.

22 Marquis de Mirabeau, Dix-neuvième lettre...à ses commettans, July 24, 1789; Francisque Mège, Notes biographiques sur les députés de la Basse-Auvergne (Paris, 1865), 126-27 (letter of Aug. 24).

23 Georges Lefebvre, La Révolution française. La fuite du roi (Paris, 1939), 22. See also Alison Patrick, "Paper, Posters, and People: Official Communication in France, 1789-1794," in Revolution for Beginners. Reflections on the History of Late Eighteenth-Century France (Melbourne, 2006), 117-39.

24 Laurent-François Legendre: Aarchives municipales de Brest, 2 D 16-18, letter of June 13, 1791.

25 Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra, compagnon vitrier au 18e siècle, ed. Daniel Roche (Paris, 1982), 259.

26 Courrier de Provence, no. 26 (Aug. 10, 1789). By this date portions of the paper were actually written by Mirabeau's collaborators.

27 See, e.g., William H. Sewell, Jr. Work and Revolution in France: The Language of Labor from the Old Regime to the Revolution (Cambridge U. Press, 1980), 97-98; R. Barrie Rose, The Making of the Sans-Culottes. Democratic Ideas and Institutions in Paris, 1789-92 (Manchester, 1983), 98-105, 110-12; Jean-Paul Bertaud and Daniel Reichel, eds., Atlas de la Révolution française. Vol. 3. L'armée et la guerre (Paris, 1989), 15; P.M. Jones, The Peasantry in the French Revolution (Cambridge, 1988), 181-84; Olwen Hufton, Women and the Limits of Citizenship in the French Revolution (Toronto, 1792); Susanne Desan, The Family on Trial in Revolutionary France (Berkeley, 2004).

28 See, eg., Dupuy, La garde nationale, 200-205.

29 See esp. Farge, La vie fragile, 292; Brennan, Public Drinking, chap.1; Garrioch, Neighbourhood and Community, esp. 33 and 48; Roche, Ménétra, 319. On inter-guild violence, see Kaplan, La fin des corporations, 294-95. On rural fights and feuds, see esp. Sutherland and Le Goff, "The Revolution and the Rural Community," 96-119.

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30 Serna, in Croiser le fer, 362-63. By Daniel Roche's count, 6 of the 50 violent encounters related by Ménétra ended in formal duels: Ménétra, 319.

31 "Correspondance des députés de l'Aude pendant la Révolution de 1791-1793," ed. Camille Bloch, La Révolution française, 30 (1896), 163 (letter of July 13, 1792).; Jean-Baptiste Monestier, B.N., Nouv. Acq, Fr. 6902 , letter of Oct. 30, 1792.

32 I have relied in particular on Rose, op. cit.; and on Haim Burstin, L'invention du sans-culotte (Paris, 2005).

33 Rosalie Ducrolay Jullien, A.N. 39 AP, esp. letters of Aug. 5 and 18, 1792.

34 See the author's "Conspiracy Obsession in a Time of Revolution: French Elites and the Origins of the Terror: 1789-1792," American Historical Review, 105 (2000), 691-713; and "The Emergence of a Revolutionary Mentality: The Old Regime Correspondence of Five Future Revolutionaries," French Historical Studies, 32 (2009), in press. For a counter view, see also Peter R. Campbell, Thomas E. Kaiser, and Marisa Linton, Conspiracy in the French Revolution (Manchester, 2007).

35 Mirabeau began to write of such fears at the time of the closure of the hall of the Estates General and the Tennis Court Oath: Mirabeau, Douzième lettre...à ses commettans, June 20, 1789; compare his Treizième lettre...à ses commettans of June 23. Adrien-Joseph Colson first began writing of widespread plot fears in early July: letter of July 5, 1789: Archives départementale of Indre, 2 J 11A. Colson first used the phrase "aristocratic plot" in his letter of July 12. However, he initially believed that it was the aristocrats who had fomented popular riots in Paris on the eve of the Bastille.

36 See the author's "La grande peur de 1789 et la thèse du complot aristocratique," Annales historiques de la Révolution française, no 335 (Jan.-Mar. 2004), 1-17.

37 Cf. the analysis of Gordon Wood, "Conspiracy and the Paranoid Style: Causality and Deceit in the Eighteenth Century," The William and Marry Quarterly, 39 (1982), 401-441.

38 Garat, 125. See also the descriptions of Nicolas Ruault and Adrien Colson. Both did their best to sort through the truth and fiction of the stories of plots they heard circulating in the streets of Paris during the Revolution. But when a situation seemed especially dangerous and when no other information was available, they did sometimes take rumors into consideration and give them credence: Ruault, Gazette, 176 (letter of Dec. 28, 1789); Colson, A.D. Indre 2 J 11A, letters of Dec. 20 and 22, 1789.

39 See Colin Lucas, "The Theory and Practice of Denunciation in the French Revolution," in Sheila Fitzpatrick and Robert Gellately, eds., Accusatory Practices: Denunciation in Modern European History, 1789-1989 (Chicago, 1996).

40 Brissot set the tone in his own paper with the epigram published at the top of each issue of Le patriote francais: "Une gazette libre est une sentinelle qui veille sans cesse pour le peuple". See also Claude Labrosse and Pierre Rétat, Naissance du journal révolutionnaire: 1789 (Lyon, 1989), 194-201; and Charles Walton, Policing Public Opinion in the French Revolution: The Culture of Calumny and the Problem of Free Speech (New York, 2008).

41 See, e.g., Roger Dupuy, La garde nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine (1789-mars 1793) (Paris, 1972); Rose, The Making of the Sans-Culottes, passim; Michael L. Kennedy, The Jacobin Clubs in the French Revolution, 3 vols (Princeton, 1982-88; and New York, 2000).

42 Archives départementales de la Gironde, 12 L 20, 1791 through the Directory. According to one witness, such letters "ne tendent qu'à introduire le trouble, non seulement dans ma famille, mais encore dans le quartier que j'habite."

43 For the development in this paragraph see the author's When the King Took Flight (Cambridge, Mass., 2003).

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44 Tackett, "Conspiracy Obsession."

45 See, notably, Antoine de Baecque, Le corps de l'histoire: Métaphore et politique, 1770-1800 (1993), 195-225.