Principes de Metaphysique t2

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Très intéressante théorie philosophique et psychologique de Paul Janet tome 2

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  • Paul JANET[1823-1899]

    PHILOSOPHE, MEMBRE DE LINSTITUT

    (1897)

    Principes de mtaphysiqueet de psychologie.

    Leons professes la Facult des Lettres de Paris 1888-1894

    TOME SECOND

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  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 2

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    Paul JANET

    PRINCIPES DE MTAPHYSIQUE ET DE PSYCHOLOGIE.Leons professes la Facult des Lettres de Paris 1888-1894. TOME SECOND.

    Paris : Librairie Ch. Delagrave, 1897, 620 pp.

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    Paul JANETPHILOSOPHE, MEMBRE DE LINSTITUT

    PRINCIPES DE MTAPHYSIQUE ETDE PSYCHOLOGIE.

    Leons professes la Facult des Lettres de Paris 1888-1894 .TOME SECOND.

    Paris : Librairie Ch. Delagrave, 1897, 620 pp.

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  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 6

    [619]

    Table des matires

    LIVRE TROISIME. VOLONT ET LIBERT. [1]

    Leon I. La volont et l'action rflexe [3]

    Leon II. Analyse psychologique de la volont [18]

    Leon III. Suite de l'analyse de la volont [29]

    Leon IV. La libert. Les deux sens du mot libert [46]

    Leon V. Une illusion d'optique dans le problme du libre arbitre [54]

    Leon VI. Le libre arbitre et la possibilit des contraires [62]

    Leon VII. L'ide de la libert [71]

    LIVRE QUATRIME. DIEU [81]

    Leon I. L'Infini [83]

    Leon II. L'Absolu [95]

    Leon III. L'ide de perfection [102]

    Leon IV. La personnalit divine [111]

    Leon V. Des rapports de Dieu et du monde [123]

    Leon VI. Le devoir et Dieu [134]

    LIVRE CINQUIME. LE MONDE EXTRIEUR [147]

    Leon I. De la subjectivit des sensations [149]

    Leon II. De l'objectivit des sensations [160]

    Leon III. De la perception visuelle de la distance [169]

    Leon IV. Un essai de dmonstration de l'existence du monde extrieur [189]

    Leon V. Perception et imagination [200]

    Leon VI. Perception et imagination (suite) [208]

    Leon VII. Les illusions et les hallucinations [220]

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 7

    LIVRE SIXIME. DE L'IDALISME [235]

    Leon I. De l'idalisme en gnral et de ses diffrentes formes [237]

    Leon II. L'idalisme anglais. Le relativisme de M. Grote [247]

    Leon III. Discussion du relativisme [257]

    Leon IV. L'idalisme de Kant. La perception extrieure [269]

    Leon V. La thorie de la conscience dans la philosophie de Kant [278]

    Leon VI. L'idalisme de Kant en lui-mme [288]

    Leon VII. L'ide de Dieu dans la philosophie de Kant. L'argument ontolo-gique [303]

    Leon VIII. Ralisme et idalisme [311]

    APPENDICE. TUDES CRITIQUES [325]

    I. Leon d'ouverture d'un cours de thodice [327]

    II. La philosophie de la libert. Schelling et Secrtan [349]

    III. La philosophie de la volont. Schopenhauer et Hartmann [389]

    IV. Schopenhauer et la physiologie franaise. Cabanis et Bichat [418]

    V. La philosophie de la contingence. M. mile Boutroux [451]

    VI. La philosophie de la croyance. M. Oll-Laprune [467]

    VII. La thorie de l'erreur. M. Victor Brochard [493]

    VIII. L'idalisme de M. Lachelier [515]

    IX. Le spiritualisme biranien [530]

    X. L'automatisme psychologique. M. Pierre Janet [556]

    XI. Le testament d'un philosophe. M. Vacherot [573]

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 8

    [1]

    PRINCIPES DE MTAPHYSIQUE ET DE PSYCHOLOGIE.Leons professes la Facult des Lettres de Paris 1888-1894

    TOME SECOND.

    Livre troisimeVOLONT ET LIBERT

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  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 9

    [3]

    PRINCIPES DE MTAPHYSIQUE ET DE PSYCHOLOGIE.Leons professes la Facult des Lettres de Paris 1888-1894

    TOME SECOND.

    LIVRE TROISIMEVOLONT ET LIBERT

    Leon ILA VOLONT

    ET LACTION RFLEXE

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    Messieurs,Il y a dans la langue franaise et dans toutes les langues des mots

    dont les philosophes et les savants font continuellement usage, et dontle sens commun se sert aussi sans scrupule. Ce sont les mots d'activi-t, d'action, de pouvoir, d'nergie, d'effort, de travail, et tous cestermes se ramnent celui que nous avons nomm le premier, savoircelui d'activit. D'ou vient cette notion d'activit ? Quelle en est l'ori-gine ? Quel en est le type, le caractre, et par consquent quelle en estl'autorit ?

    Il faut reconnatre que, si l'esprit de notre temps parait favorable l'ide d'activit et d'action (car aucune socit n'a t jamais plus tu-multueuse et plus agite, la philosophie, au contraire, se montre engnral assez oppose cette ide, et toutes les coles sont en quelquesorte d'accord pour la rduire ou la supprimer.

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 10

    Demande, par exemple, l'cole empiriste et associationiste cequ'il faut entendre par action, pouvoir, force, elle vous rpondra qu'iln'y a rien de semblable dans les choses. Nulle part nous ne surprenonsen dehors de nous un vritable pouvoir, c'est--dire une cause transi-tive qui fasse passer quelque chose d'elle-mme son effet. Il n'y aque des successions [4] et des simultanits. Il n'y a pas de diffrencedans le fond, suivant Stuart Mill, entre l'agent et le patient ; ce n'estqu'une diffrence de point de vue.

    Si nous interrogeons l'cole physiologique, l'explication prc-dence qu'elle accepte elle en ajoute une autre plus ngative encore.Elle nie absolument ce que nous appelons l'effort. L'effort, qui estpour nous le type de l'activit, n'est autre chose qu'une sensation pri-phrique, affrente, comme on dit, et non effrente : c'est une sensa-tion musculaire, accompagne d'un grand nombre d'autres, galementpriphriques, mais ne contenant rien qui corresponde l'ide de pou-voir, au passage de la cause l'effet.

    L'cole idaliste n'est pas non plus loigne d'admettre le mmepoint de vue. Tout est ide, et il n'y a rien autre chose que des ides, etrien de semblable ce que nous appelons une action. Le moi n'estpas un acte, c'est une forme ; 1 s'il y avait quelque chose de sem-blable ce que nous appelons action, il ne faudrait pas dire que toutest ide, et que la pense est tout. L'action n'est pas une pense. lavrit, quelques philosophes admettent des ides force ; mais ce n'estplus de l'idalisme : c'est du dynamisme. Encore faut-il nous dire d'ovient l'ide de force : elle ne peut venir que du sens interne de l'effort,que nous transportons aux choses extrieures (cheval, cours d'eau,machine) et que, par un nouveau transfert, nous appliquons ensuiteaux ides. Toujours est-il que l'idalisme pur ne contient rien de sem-blable.

    Un autre moyen de supprimer l'activit, c'est de confondre la causeefficiente avec la cause finale. Toute cause, dit-on, n'agit qu' titre defin : c'est dire qu'elle n'agit pas, car la fin est immobile, comme ditAristote. La vritable action est dans l'tre qui se dirige vers la fin, etcette action est celle d'une cause efficiente, non d'une cause finale :c'est l qu'est la force. le pouvoir, l'activit. Or nos ides (et une cause

    1 Lachelier, Du fondement de l'induction.

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    finale n'est qu'un idal) n'ont rien de semblable ; on ne voit donc pas[5] comment un agent pourrait se diriger vers la fin, tant destitu lui-mme de toute activit intrieure. L'action par la cause finale est uneaction mystrieuse, une fascination ou un magntisme qui n'est sem-blable en rien une action vritable. L'tre soumis au magntisme, l'hypnotisme, n'agit pas, il est agi. Tout cela est potique, mais sansfondement dans la ralit, .

    la vrit, dans la philosophie contemporaine on parle beaucoupde libert. C'est la seule notion qui ait surnag (on ne sait pourquoi)dans le naufrage des ides mtaphysiques ; mais en mme temps onenseigne, avec Kant, que l'on n'a pas conscience de la libert, que lapreuve du sentiment dit interne doit disparatre, et que la seule preuvede la libert est la preuve morale. Mais alors ou prend-on dans la rali-t la force et le type de l'ide de libert ? La libert est une action ; ets'il n'y a pas en nous le sentiment de l'action, et par consquent dupouvoir et de la force, il n'y a plus qu'une ide ngative de la libert, savoir la non ncessit ; mais cette notion, toute ngative, ne sert arien, car elle est aussi bien celle du contingent et du fortuit que dulibre.

    De toutes les formes de l'activit, celle o elle se manifeste de lamanire la plus sensible tant l'acte de la volont, c'est la volont quenous aurons surtout dfendre contre ceux qui la rduisent et qui l'an-nulent, et tout d'abord contre ceux qui la confondent avec l'action r-flexe ou avec une coordination d'actions rflexes. 2 Depuis la sensitivequi se replie au toucher, jusqu' l'action de Regulus qui meurt par d-vouement la patrie et l'honneur, il n'y a rien qu'une srie croissanteet de plus en plus complique d'actions rflexes. En quoi consiste cettesrie ?

    Nous savons quel est le type de l'action rflexe. Une excitation seproduit la priphrie de l'organisme ; elle se communique de procheen proche jusqu' un centre par l'intermdiaire des nerfs sensitifs. Del elle passe dans les nerfs [6] moteurs et se traduit en dehors par unmouvement. Ce circulus peut avoir lieu sans conscience, mais il peutavoir lieu avec conscience ; c'est toujours la mme chose, La volont

    2 Voir Ribot, Des Maladies de la volont.

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    se rencontre dans la classe des actions rflexes conscientes. quelmoment la rencontrons-nous ?

    Le premier tat du nouveau-n est presque exclusivement rflexe ;les actions motrices sont innombrables et indtermines : le travail del'ducation consistera pendant longtemps en supprimer le plus grandnombre. Ces mouvements ont t acquis par l'espce ; ils n'appartien-nent pas en propre l'individu : ils sont donc instinctifs et peu prsinconscients.

    La conscience commence avec le dsir qui accompagne unetape ascendante de l'tat rflexe l'tat volontaire . Les dsirs sontles formes les plus lmentaires de la vie affective, et physiologique-ment ils ne diffrent pas des rflexes d'ordre compos. Psychologi-quement ils en diffrent par l'tat de conscience souvent trs intensequi les accompagne. La tendance du dsir se traduire en acte estimmdiate et irrsistible comme celle des rflexes ; mais aussitt quel'exprience a permis l'intelligence de natre, il se produit une nou-velle forme d'activit que l'on peut appeler ide motrice, qui est unperfectionnement, mais qui n'est qu'un perfectionnement de l'actionrflexe.

    Comment une ide peut-elle se traduire en mouvement ? C'est l, dit-on, une question qui embarrasse fort l'ancienne psychologie, mais qui,parat-il, est fort simple dans la nouvelle. Voici l'explication qu'on endonne.

    En ralit, une ide ne produit pas un mouvement ; ce serait unechose merveilleuse que ce changement total et soudain de fonction. Uneide, telle que les spiritualits la dfinissent, ne serait rien moins qu'un mi-racle. Ce n'est pas l'tat de conscience comme tel, mais bien l'tat physio-logique correspondant qui se transforme en acte. Encore une fois, la rela-tion n'est pas entre un vnement psychique et un mouvement, mais entredeux vnements de mme nature, entre deux groupes d'lments nerveux,l'un sensitif, l'autre [7] moteur. Si l'on s'obstine faire de la conscienceune cause, tout reste obscur ; si on la considre comme le simple accom-pagnement d'un processus nerveux, qui lui seul est l'vnement essentiel,tout devient clair, et la difficult factice disparat.

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 13

    Ce principe une fois pos, il semble qu'il soit peu ncessaire de dis-tinguer plusieurs classes d'ides et leur puissance motrice, puisquecette puissance n'est qu'une apparence. Cependant la psychologiepourra recueillir avec intrt les donnes suivantes :

    1 Le premier groupe comprendra les tats intellectuels extrme-ment intenses qui passent l'acte avec une fatalit et une rapiditpresque gale celle des rflexe. Ce sont ces ides que l'anciennepsychologie appelait les mobiles de la volont. L'intelligence, disait-on, n'agissait sur la volont que par l'intermdiaire de la sensibilit : cequi signifie que l'tat nerveux qui correspond une ide se traduitd'autant mieux en mouvement qu'il est accompagn des tats nerveuxqui correspondent aux sentiments. Ce premier groupe comprend toutce qu'on appelle les passions.

    2 Le second groupe comprendra les ides rflchies et dlibres.C'est l'activit raisonnable, la volont au sens courant du mot. Dans cegroupe la tendance l'acte n'est ni instantane ni violente, l'tat sen-sible concomitant est modr. La plupart de nos actions se ramnent ce type, dduction faite des formes prcdentes et des habitudes.

    3 Le troisime groupe comprend les ides abstraites. Ici la ten-dance au mouvement est son minimum : ces ides tant des repr-sentations de reprsentations, des extraits fixs par un signe, l'lmentmoteur s'appauvrit dans la mme mesure que l'lment reprsentatif.

    Telle est la cause de l'opposition souvent signale entre les espritsspculatifs et les esprits pratiques, entre voir le bien et le pratiquer.

    La thorie de la volont action rflexe rencontre ici une difficultque ses partisans eux-mmes reconnaissent ne pas [8] exister dans lathorie psychologique. La volont n'est pas seulement une puissanced'action, auquel cas elle se ramne l'action motrice des ides ; maiselle est aussi une puissance d'arrt, un pouvoir d'empcher. Psycholo-giquement, il n'y a pas de diffrence essentielle entre permettre et em-pcher. La volition tant un fiat, peu importe que ce fiat commence ouarrte le mouvement. Mais si l'action rflexe est le type de toute ac-tion, si c'est une loi que tout tat de conscience se transforme en mou-

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 14

    vement, il faut expliquer pourquoi il y a des cas o il ne se transformepas.

    On accorde donc que la question physiologique est encore, l'heure qu'il est, obscure et incertaine. Cependant on sait qu'il y a desnerfs d'arrt. On sait encore que le cerveau lui-mme exerce une ac-tion modratrice, c'est--dire inhibitoire ; mais le mcanisme d'arrtest peu connu.

    Psychologiquement, la puissance d'arrt s'explique par l'associationdes ides. Tel tat psychologique, par exemple la colre, rveille (envertu de l'ducation) l'ide de la dignit personnelle, et cette ide peutsuffire dans certains cas et chez certaines personnes pour arrter l'ef-fet. Cela tient, dit-on, ce que les ides ou sentiments qui produisentl'arrt ont t primitivement des tats dpressifs, qui tendent dimi-nuer l'action, par exemple principalement la crainte. Quant cetteforce d'arrt, elle est proportionne l'habitude et l'hrdit.

    Un point trs essentiel de cette thorie de la volont, c'est que cen'est pas l seulement une facult gnrale et identique. Pour tous leshommes elle est essentiellement individuelle ; elle est la ractionpropre de l'individu . Elle ne se produit pas du moi ; elle forme lecaractre ou le moi.

    Qu'est-ce donc que la volition ? La volition est un tat de cons-cience final qui rsulte de la coordination plus ou moins complexed'un groupe d'tats conscients, subconscients et inconscients qui, tantrunis, se traduisent par une action ou un arrt. La coordination a pourfacteur principal le caractre, qui n'est que l'expression psychique del'organisme individuel. [9] C'est le caractre qui donne la coordina-tion son unit, non l'unit abstraite d'un point mathmatique, maisl'unit concrte d'un consensus. L'acte par lequel cette coordination sefait et s'affirme est le choix.

    Il n'est pas vrai cependant, comme on serait tent de le croire,d'aprs la phrasologie ordinaire du dterminisme, que le motif le plusfort l'emporte toujours : Le motif prpondrant n'est pas la cause,mais seulement une portion de la cause, et toujours la plus faible,quoique la plus visible ; il n'a d'efficacit qu'autant qu'il est choisi,c'est--dire qu'il entre, titre de partie intgrante, dans la somme destats qui constituent le moi un moment donn, et que la tendance

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 15

    l'acte s'ajoute ce groupe de tendances qui viennent du caractre pourne faire qu'un avec elles.

    La volition n'est donc, en rsum, qu'une rsultante : C'est l'effetde ce travail psychophysiologique tant de fois dcrit, dont une partieseulement entre dans la conscience sous forme de dlibration.

    En soi, la volition n'est cause de rien . Le je veux constateune situation et ne la constitue pas. C'est un effet, sans tre unecause.

    Telle est la thorie de la volont action rflexe. Il y a dans cettethorie une partie de trs bonne et trs solide psychologie, qui peuttre accepte tout entire, sauf la conclusion, parce que cette conclu-sion n'est plus un fait, mais une interprtation de faits. C'est sur cetteinterprtation de faits que la discussion doit s'instituer.

    Il est trs vrai que les ides ont une action motrice. C'est une desacquisitions les plus importantes de la psychologie moderne. Il est trsvrai que les ides peuvent se classer en diffrents groupes selon leurdegr de puissance motrice. Il est trs vrai qu'il y a un premier groupe,les passions, o l'ide est presque immdiatement motrice ; un secondgroupe, l'action dlibre, ou l'ide ne se transforme pas ncessaire-ment et immdiatement en mouvement, mais seulement aprs compa-raison et rflexion ; enfin un troisime groupe, les [10] ides abs-traites, qui ne se transforment presque jamais en actes. Il est trs vraique, pour que la volont produise un arrt, il faut des ides antago-nistes qui fassent contre-poids aux ides motrice. Il est trs vrai sur-tout que la volont est une facult individuelle, qu'elle est le propre dumoi, qu'elle n'est point l'unit abstraite d'un point mathmatique, maisl'unit concrte d'un consensus ; enfin qu'elle est l'expression du ca-ractre, parce que le caractre lui-mme est l'expression de la volont.Enfin, d'autres faits que nous n'avions pas signals, parce que l'on nepeut tout dire, sont galement trs bien observs dans cette analyse,par exemple combien il reste peu de place la volont proprementdite, dans la vie humain, quand on fait abstraction de la vie physiolo-gique, du sommeil, de l'habitude, de la passion et des mille actionsindiffrentes produites par les petites perceptions sourdes dont Leibniza tant parl. De mme encore, les lois de dissolution de la volont sonttablies avec beaucoup de force et de preuves l'appui. Voici le rsu-m de ces lois : La dissolution de la volont suit une marche rgres-

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 16

    sive du plus volontaire et du plus complexe au moins volontaire et auplus simple, c'est--dire l'automatisme.

    Mais, aprs avoir fait la part des faits, il s'agit de les interprter ; etici nous sommes en prsence du pur arbitraire.

    La thorie prcdente, quoiqu'elle semble en apparence fidle laplus stricte mthode exprimentale, est domine cependant par uneide prconue, c'est--dire par une thorie mtaphysique. Cette ide,c'est qu'il ne peut y avoir dans l'homme que des vnements phy-siques : or c'est l une solution implicite du problme de l'essence del'homme : car il est vident que si l'homme est la fois esprit et corps,il peut y avoir en lui des vnements moraux aussi bien que des v-nements physiques ; et que s'il est plus esprit que corps, les vne-ments moraux devront l'emporter sur les vnements physiques. C'estdonc rsoudre subrepticement. le problme, et le rsoudre au point devue du matrialisme, que de supposer comme un postulat vident quele fond de [11] toutes nos actions est une succession d'vnementsphysiques.

    C'est galement un postulat gratuit de soutenir qu'une ide ne peutpas produire un mouvement, et qu'en gnral un vnement moral nepeut pas produire un vnement physique, parce que ce serait unmiracle , comme s'il tait plus facile de comprendre qu'un mouve-ment puisse produire un autre mouvement, et comment un mouvementpeut passer d'un corps l'autre ; et si l'on dit qu'il faut faire abstractiondu comment, et qu'il faut simplement considrer le fait d'exprience, savoir qu'un mouvement succde un autre mouvement, nous nousdemandons pourquoi l'on ne pourrait pas dire galement qu'un mou-vement succde une ide. Il y a plus : on est bien forc d'admettre,parce que l'exprience est incontestable, que le mouvement amne uneide, c'est--dire qu'un vnement physique produit un vnementmental, et ds lors qu'y a-t-il d'extraordinaire dans la rciproque, etpourquoi un vnement mental ne produirait-il pas un vnement phy-sique ? Si le mouvement est suivi de sensation, pourquoi la sensationne serait-elle pas suivie de mouvement ? Pour esquiver la difficult,on emploie adroitement le mot accompagner pour le mot de suivre ;mais cela nous est indiffrent : que les deux phnomnes, ide etmouvement, soient accompagns ou suivis l'un par l'autre, le problmeest le mme ; si le mouvement est accompagn de sensation, pourquoila sensation ne serait-elle pas accompagne de mouvement ? Il fau-

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    drait alors admettre qu'il peut y avoir un vnement qui n'a aucuneconsquence, aucun effet : car si l'vnement physique produit direc-tement l'vnement physique qui suit, sans rien devoir l'interm-diaire mental, cet intermdiaire serait comme s'il n'existait pas, puis-qu'il n'est cause de rien : ce qui est contraire toutes les lois du dter-minisme ; car, dans cette doctrine, il est aussi impossible de concevoirun phnomne sans effet qu'un phnomne sans cause. Si donc l'v-nement mental est absolument impuissant produire quoi que ce soit,la chane est interrompue ; [12] la srie physique est continue, la sriementale est discontinue. Au lieu d'admettre un commencement absolu,comme les partisans du libre arbitre, on admet une fin absolue, sa-voir l'vnement mental, puisqu'il ne produit rien ; et ce n'est pas seu-lement la volont qui ne produit rien, c'est encore le dsir, c'est lasensation elle-mme ; la seule cause relle, c'est le fond physique, au-quel correspondent subjectivement le plaisir, le dsir, la volont ; maisces phnomnes subjectifs ne peuvent produire par eux-mmes aucunmouvement ; ils ne peuvent mme pas engendrer des vnements sub-jectifs qui leur seraient homognes : la sensation ne peut produire undsir, ni le dsir un effort, ni l'effort un acte de volont libre : ces dif-frents phnomnes ne sont que des rpercussions, et par consquent,en tant que subjectifs, ils ne sont que des effets. Ainsi, tandis que lesvnements physiques sont la fois effets et causes, consquents etantcdents, les phnomnes mentaux ne peuvent tre que cons-quents sans tre antcdents : ce qui est contraire toutes les lois dudterminisme. Cette thse n'est pas moins contraire la thorie empi-rique de la causalit. En effet, dans cette thorie une cause n'estqu'un antcdent, un effet n'est qu'un consquent. Cela pos, il estvident que l'vnement mental est un antcdent par rapport au mou-vement qui suit : il en est donc la cause. En prtendant que le dsir etla volont ne sont cause de rien, on ne nie pas cependant qu'ils nesoient suivis de quelque chose. On ne peut leur contester l'antrioritpar rapport au mouvement effectu : par exemple, je vois un fruit quime tente ; je dsire le prendre et je le cueille ; n'est-il pas vident quele fait de dsirer est suivi du fait de cueillir ? Si je ne le dsirais pas, jene le cueillerais pas. Ainsi l'antriorit est incontestable, et, suivant lathorie empirique, le premier phnomne devrait tre appel la causedu second. Si donc on conteste au premier phnomne le titre decause, ce n'est pas l'antriorit que l'on conteste, c'est l'efficacit, laproductivit, la causalit dans le sens propre du mot. Par consquent,

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 18

    lorsqu'on dit que la vraie [13] cause n'est pas dans la volition, maisdans l'vnement physique dont elle n'est que le signe, on admet par lmme que la cause est autre chose qu'un antcdent, qu'elle est uneaction ; mais par l aussi on introduit un lment dont on n'a jamais euconnaissance par l'exprience, si ce n'est par t'exprience de la volon-t, laquelle cependant, dit-on, n'est cause de rien.

    Essayons de surprendre dans un exemple particulier les trangetsde cette thorie de la volont cause de rien ; supposons un hommequi joue aux checs. On sait qu'une partie d'checs reprsente unnombre considrable de calculs, c'est--dire une suite d'ides antici-pes qui sont, ou du moins sont censes tre la cause des mouvementsproduits ; je pousse telle pice parce que je prvois que vous en pous-serez telle autre, et moi une troisime qui vous fera mat. Dans le fait,le calcul est souvent beaucoup plus long, et les habiles prvoient debien plus loin ; mais bornons-nous au fait le plus simple, a savoir troisides que je me reprsente d'avance en sens inverse de leur produc-tion. On croit que ce sont ces ides qui dterminent la marche du jeu :en aucune faon ; chacune d'elles se rsout en sensations ou images desensation, et chaque sensation ou image est lie un mouvement ;mais la sensation, pas plus que la volont, n'est cause de rien : ce n'estdonc pas la sensation ou l'ide qui dtermine le mouvement ; chaquemouvement est produit par un mouvement antrieur : l'ide n'est qu'untmoin, ce n'est pas un acteur. Il se joue dans le cerveau une partied'checs, pice par pice. Celle-l n'est pas calcule ; ce sont lespices qui poussent les pices en vertu de certaines associations pr-cdentes. L'automate de Vaucanson est le vrai joueur d'checs,puisque la conscience n'est qu'un accident, un piphnomne. L'inva-lide qui, ayant perdu toute conscience, continue faire l'exercice, estun aussi bon soldat qu'auparavant. Qu'il aille se faire tuer comme unemachine, ou pour le but trange de se dvouer pour une ide , c'estexactement la mme chose. Qu'un Vaucanson suprieur sache cons-truire un bataillon carr infranchissable, [14] il aura cr la meilleuredes arme ; la morale civique n'aura que faire l, car, n'ayant pour butque de produire des machines imparfaites, celui qui produira la ma-chine parfaite fera une uvre infiniment suprieure.

    Il nous semble donc impossible de dire que la volont n'est qu'uneaction rflexe ; c'est, si l'on veut, une action rflexe, mais avec laconscience en plus : or la conscience est quelque chose. Il y a des ac-

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    tions rflexes sans conscience ; donc celles o il y a conscience con-tiennent un lment de plus. Cet lment est limin par les partisansde l'automatisme : il est bien issu du pass , comme le disait Leib-niz, mais il n'est pas gros de l'avenir ; ce qui est contraire toutesles lois du dterminisme.

    Pour attnuer autant que possible le paradoxe trange et contradic-toire, dans un systme dterministe, d'un phnomne sans effet, nonmoins impossible en soi qu'un phnomne sans cause, on s'efforce derduire la ralit et le contenu de ces phnomnes. On dit que le faitsubjectif n'est que le signe, le reflet du fait objectif ou physique, que laconscience est la mme chose que l'ombre par rapport au corps. Onne peut pas employer une mtaphore plus mal choisie. On sait d'ail-leurs que les matrialistes ne sont pas heureux en mtaphores. Laconscience n'est pas plus une ombre que la pense n'est une scrtion.L'ombre n'est que l'absence de la lumire ; ce n'est qu'une ngation.Dans l'ordre mental, c'est, au contraire, l'inconscience qui est l'ombre,et la conscience qui est la lumire. De quelque manire qu'on s'yprenne, il faut bien qu'on reconnaisse qu'un phnomne plus la cons-cience contient quelque chose de plus qu'un phnomne moins laconscience. Or ce quelque chose de plus est au moins un phnomne,si ce n'est plus ; mais, ne fut-ce qu'un phnomne, ce titre seul il estquelque chose de rel et, par cela mme, il doit avoir son rang dans lasrie et n'tre pas seulement un effet. S'il a t dtermin l'existencepar un vnement physique antrieur, il faut que lui-mme dtermine l'existence un vnement physique postrieur. cartons la [15] ques-tion de la libert ; ngligeons la question de savoir si la volont est oun'est pas le dsir ou l'ide ; nous nous bornons ceci : c'est qu'on nepeut admettre aucun point de vue, et surtout au point de vue dter-ministe, que la volition ne soit cause de rien.

    On ne veut pas admettre le circulus qui va de l'vnement physique l'vnement mental, pour retourner de l'vnement mental l'v-nement physique. On ne veut que le circulus de l'action rflexe, quipar un courant affrent vient du dehors la cellule suivante, et qui,communiqu de la cellule sensitive la cellule motrice, se change enun courant effrent, d'ou suit le mouvement externe. Mais que fait-ondans cette analyse de l'vnement psychologique ? Il est tellement inu-tile que l'on se demande pourquoi il est produit. C'est une superfta-tion ; c'est lui qui est un miracle. Car la loi de la conservation de la

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    force s'appliquerait sans qu'il y et de phnomne mental : autant deforce accumule dans le courant affrent, autant de force dpensedans le courant effrent. Le phnomne psychologique reste en de-hors ; il ne peut entrer dans le calcul, car on ne peut additionner en-semble un plaisir et un mouvement. Ds lors, s'il est en dehors de laloi, s'il est d'un autre ordre, pourquoi, en vertu du mme principe, neserait-il pas en dehors de la loi titre de cause, aussi bien qu' titred'effet ? tant un effet hyperphysique, puisque, par hypothse, il necompte pas dans le calcul, pourquoi ne serait-il pas aussi une causehyperphysique ? Si, au contraire, on veut le faire compter dans le cal-cul et qu'on soutienne qu'une partie de la force s'est transforme entat de conscience, pourquoi, rciproquement, l'tat de conscience netransformerait-il pas une partie de la force en mouvement produit ?D'ailleurs, on se demande ce que pourrait tre, au point de vue mental,ce qu'on appelle force au point de vue mcanique car la force dont ilest question dans le calcul n'implique que des rapports de masse et devitesse, ce qui n'a plus aucun sens quand il s'agit de phnomnes sub-jectifs, tels que le plaisir, l'attrait, la volition.

    [16]Toutes ces impossibilits, dont on fait bon march, nous forcent

    conclure que les vnements physiques ne peuvent tre le fond rel, lasubstance des vnements mentaux, qu'ils n'en sont que la condition,et que la srie subjective a en elle-mme son initiative, son individua-lit, son enchanement, dont la srie objective n'est que l'accompa-gnement ; et quant la ncessit d'un tel accompagnement, il suffit,pour la comprendre, de rflchir que le moi doit tre mis en rapportavec le monde extrieur or, pour cela il faut qu'il soit uni un appareilqui lui transmette les tats du monde extrieur, et par lequel rcipro-quement il puisse agir sur ce monde extrieur.

    Une autre manire de reprsenter la thorie serait de dire que l'v-nement mental peut tre dit cause au mme titre que l'vnement phy-sique, parce que c'est la mme chose, savoir un seul et mme ph-nomne deux faces, l'un subjectif, l'autre objectif. On dira donc in-diffremment que c'est la volont qui est la cause de l'action rflexe,ou l'action rflexe qui est la cause de la volont ; ce seront deux ma-nires de parler. Mais cette nouvelle doctrine est, en ralit, le renver-sement de la prcdente ; car alors il ne sera plus du tout vrai de direque la volition n'est cause de rien, et que l'efficacit n'existe que dans

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    le mouvement. C'est alors une seule et mme cause, volition-mouvement, qui produit un seul et mme but, sensation-mouvement.Dans ce cas, je puis dire trs exactement que la volition produitquelque chose (l'effort), qui est sensation subjectivement, et mouve-ment objectivement. Enfin, je puis faire abstraction du point de vueobjectif, et ne considrer que le point de vue subjectif, ce qui nousramne la psychologie proprement dite. Dira-t-on que, dans ce total,volition-mouvement ou mouvement-volition, c'est le mouvement quiest la substance, la chose, et le phnomne subjectif qui est l'accident,parce que je puis modifier celui-ci en modifiant celui-l ? Parexemple, en enivrant un homme je lui fais vouloir et commettre desactions insenses ; mais rciproquement en dterminant un phno-mne [17] mental (par exemple une injure, je produis en lui un troublephysique extraordinaire. Or dans l'injure il est vident que c'est lemouvement qui est l'accessoire, et l'ide qui est le principal : dans cecas, l'ide sera cause bien plus que le mouvement. Donc il est impos-sible, mme dans la thse de l'unit phnomnale deux faces, de r-duire la volition, aussi bien que tout autre phnomne subjectif, n'tre cause de rien.

    Nous savons bien que l'on ne rduit pas la volition n'tre quel'expression d'un seul mouvement elle est, au contraire, l'effet d'unnombre incalculable de mouvements antrieurs qui ne sont pas seule-ment propres l'espce, mais encore l'individu, et c'est ce qu'on ap-pelle le caractre ; mais nous disons qu'il faut dcomposer cet en-semble et nous dire si, dans chaque mouvement particulier, l'vne-ment subjectif est effet sans tre cause ; et alors toutes nos objectionsreviennent. Si, au contraire, on a admis, un moment quelconquequ'un phnomne subjectif peut tre cause, pourquoi le dernier de lasrie serait-il destitu de ce privilge ? Que le contenu de la volitionsoit ou non emprunt tout le pass de l'individu, c'est ce que nous nediscutons point en ce moment. C'est le problme du dterminisme oude la libert que nous cartons ; mais par cela seul que tout le pass setrouve condens dans un acte unique, ce dernier fait se distingue detous les faits prcdents, de mme qu'une combinaison chimique dif-fre de tous les faits dont elle est la combinaison. Or, personne ne diten chimie que l'eau n'est cause de rien, parce qu'elle est un produit del'oxygne et de l'hydrogne. Par cela seul qu'on le dit de la volition, onpourrait le dire de tous les lments subjectifs antrieurs, et l'on re-

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    tombe toujours dans l'tonnante doctrine des phnomnes rels qui neproduisent rien et s'arrtent dans le vide. Encore une fois, le phno-mne mental est quelque chose ou il n'est rien. Mais qui osera direqu'il n'est rien, absolument rien ? Et s'il est quelque chose, commentpeut-il avoir la ralit d'tre effet sans tre en mme temps capabled'avoir la ralit d'tre cause ?

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    [3]

    PRINCIPES DE MTAPHYSIQUE ET DE PSYCHOLOGIE.Leons professes la Facult des Lettres de Paris 1888-1894

    TOME SECOND.

    LIVRE TROISIMEVOLONT ET LIBERT

    Leon IIANALYSE PSYCHOLOGIQUE

    DE LA VOLONT

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    Messieurs,Nous avons, dans notre dernire leon, rsum et discut la thorie

    physiologique de la volont. Revenons maintenant sur toute la sriedes faits prcdents la lumire de la psychologie : on verra qu'ilsprsentent un tout autre caractre. En effet, dans la thorie physiolo-gique on limine systmatiquement tous les faits et tous les caractresdes faits qui ne peuvent pas se traduire physiologiquement. Partantd'une hypothse prconue ( savoir que le physiologique est le fondet que le psychologique est l'accessoire), on supprime ou on lude toutce qui ne rentre pas dans la thorie ; et c'est au nom de la mthode ex-primentale que l'on mutile l'exprience.

    Le fait dont on part d'un commun accord, c'est que l'action exercepar l'objet extrieur sur l'tre organis, action communique au centrepar les nerfs sensitifs, se traduit psychologiquement par un tat deconscience qui sera, par exemple, le plaisir. Il est certain que cet tat

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    de conscience est dj un embarras pour la thorie physiologique ; carles choses se passeraient exactement de la mme manire, soit qu'il yait conscience, soit qu'il n'y en ait pas ; on ne voit pas ce que ce faitnouveau vient faire dans la srie, qu'il ne fait que compliquer et em-barrasser sans servir rien. Pour nous, au contraire, il est le fait capi-tal ; car il est le point de dpart d'une srie nouvelle.

    L'objet qui a caus le plaisir disparaissant, l'tat de conscience dis-parat galement ; mais il est remplac par un autre tat de conscienceque l'on appelle la douleur et, dans certains [19] cas particuliers, leregret. Jusqu'ici, rien de nouveau : en effet, on comprend que, l'tatphysiologique qui cause le plaisir tant suspendu par la disparition del'objet, cet tat soit remplac par une gne, un dsaccord qui se traduitpsychologiquement en douleur.

    Mais voici quelque chose de tout fait nouveau : c'est que, l'objetdisparu restant dans l'esprit titre d'image plus ou moins vague, il seproduit, la suite de cette reprsentation, ou mme par le simple sen-timent de vide, ou de ce que Locke appelait malaise (uneasiness), unmouvement vers l'objet, que nous appelons le dsir.

    Il y a dans le dsir quelque chose de plus que dans le plaisir ou ladouleur. Ce n'est pas une simple transformation du plaisir ou de ladouleur, c'est une action, une propulsion, une tendance. En effet, l'medans le plaisir est immobile ; elle s'y repose : elle est, en apparence aumoins, immobile. Il en est de mme de la douleur. Ce sont des tats ;ce ne sont pas des mouvements. On comprend trs bien qu'un trepuisse s'arrter au plaisir, sans aller jusqu'au dsir. Les mes molles nevont pas jusque-l. Il faut dj avoir une certaine force d'me pourdsirer. Les vieillards peuvent jouir encore ; ils ne dsirent plus. Orqu'y a-t-il de plus dans le dsir que dans le plaisir ? Il y a une ten-dance. Qu'est-ce qu'une tendance ? C'est, rpondrons-nous ceux quiferaient cette question, ce que vous prouvez quand vous dsirezquelque chose que vous n'avez pas. Dans le dsir nous sommes poss-ds, entrans par une force analogue celle qui du dehors nous pous-serait vers un prcipice ou vers quelque objet que ce soit. Le senti-ment d'entranement n'est pas seulement le sentiment d'un phno-mne : c'est la conscience du passage d'un phnomne un autre ; ob-jectivement, ce passage n'est autre chose qu'une succession de mou-vements : subjectivement, nous avons conscience d'autre chose, sa-voir d'une activit.

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    Quand nous disons que le dsir n'est pas contenu dans le plaisir,nous ne voulons pas dire qu'il n'y est pas du tout ; [20] mais il n'y estpas tout, il n'y est qu'en puissance, et il est quelque chose de plus. Simaintenant nous revenons en arrire, et si nous examinons le plaisir la lumire que nous fournit le dsir, nous trouvons dans le plaisir lui-mme un lment d'activit qui n'y parait pas quand il est seul, maisdont le dsir est la manifestation ultrieure. Si le plaisir n'tait pas uneactivit satisfaite, il ne se traduirait pas, en s'vanouissant, par une ac-tivit expectante et tendue comme est le dsir. Un pur tat passif seraitsuivi d'un autre tat passif, et rien de semblable au dsir ne se produi-rait. Mais l'activit satisfaite passant l'tat d'activit non satisfaitedevient le dsir. La satisfaction disparaissant, il ne reste que le senti-ment d'activit. Ce sentiment s'endort dans la satisfaction ; l'me, toutentire au plaisir, s'y oublie et perd le sentiment de sa force active.Spare de lui, elle se rveille et elle enfle ses voiles, en quelque sorte,pour regagner ce qu'elle a perdu.

    Cependant le dsir lui-mme est encore une activit incomplte,une activit impuissante et en quelque sorte inactive. L'amour, l'tatde dsir, est encore l'tat d'expectation. Cette activit tend vers l'ob-jet, mais ne fait rien ou ne peut rien faire pour l'amener elle ou pourse rapprocher de lui. Pour s'assimiler l'objet, il faut quelque chose deplus que le dsir ; il faut l'effort. L'effort est une action dans l'action,une tension dans la tension. Dans le dsir on peut dire encore quel'homme est agi ; dans l'effort il agit. Le dsir est le sentiment d'uneforce qui est en nous ; l'effort est le sentiment de notre propre force.Examinons d'un peu plus prs le passage du dsir l'effort.

    Il y a des mes, avons-nous dit, qui sont capables de jouir, mais quine sont pas assez fortes pour dsirer. Il y en a d'autres capables de d-sirs, mais incapables d'efforts. L'effort est donc autre chose que le d-sir. On dit que le dsir se traduit naturellement et irrsistiblement enmouvement : oui, quand le mouvement est facile et qu'il n'y a aucunobstacle entre le dsir et l'objet. Par exemple, un homme altr est aubord d'une rivire ; il n'a qu' tendre la main pour puiser de [21]l'eau. Il le fera infailliblement. Ici le dsir est cause d'une manireimmdiate. Mais si entre le dsir et l'objet dsir il y a un obstacle ouune srie d'obstacles, le dsir ne suffit plus, ou il faut qu'il se surpasselui-mme, qu'il se raidisse, qu'il prenne une initiative, qu'il passe l'tat d'effort. Supposez, en effet, l'homme altr de soif et en mme

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    temps extnu de fatigue ; supposez-le spar du ruisseau par une cer-taine distance. Dans ce cas, le dsir ne produira pas immdiatement etpar lui-mme le mouvement. Il faudra un acte propre et tout faitnouveau : il faudra une lutte, une prise de possession de l'activit parelle-mme, pour forcer le corps franchir l'intervalle qui spare lacoupe et les lvres.

    L'effort cependant n'est pas encore la volont, car il peut y avoir uneffort involontaire ; et mme il faut que l'effort ait t involontairepour devenir ensuite volontaire ; et en gnral, comme l'a dit Ad. Gar-nier, nous ne faisons volontairement que ce que nous avons faitd'abord involontairement. Pour qu'il y ait effort, il suffit que le dsirrencontre un obstacle ; l'activit indtermine du dsir se concentrealors sur le point rsistant pour en triompher. Ce surcrot d'activit estce qu'on appelle effort. Pour que l'effort devienne volont, il faut qu'ilsoit accompagn ou prcd de connaissance, c'est--dire qu'il aitconscience de lui-mme. La volont est donc un effort conscient, ou,mieux encore, un effort rflchi. Au fond et substantiellement, j'ac-corde qu'il n'y a pas l deux faits, deux facults ; c'est bien la puis-sance de l'effort qui est le rel de la volont. Mais, dans le premiercas, il fait effort sans le savoir ; dans le second cas, il fait effort le sa-chant, et c'est cela que l'on appelle plus spcialement la volont. Untre devient capable de vouloir lorsqu'il peut se reprsenter d'avanceson effort : cela donne la puissance de l'effort une vertu nouvelle, unsurcrot de forces que nous appellerons plus tard libert, mais qui,toute question de libre arbitre mise part, se manifeste par des signesparticuliers. Telle est, par exemple, la diffrence entre un caractreirascible et irritable qui ragit immdiatement et spontanment contreune injure, [22] et un caractre ferme et fort qui prvoit les obstaclesou calcule son effort. Tel est le personnage de la comdie, dont lepremier mouvement est de se prcipiter dans le pril, et le second del'esquiver. Beaucoup d'hommes sont capables d'un effort spontansous l'empire de circonstances ; bien peu le sont d'un effort voulu etsuivi.

    Si l'on ne confond pas absolument la volont avec l'effort, commefait Maine de Biran, faut-il cependant l'en sparer absolument et direque l'effort n'est pas l'essence, mais l'objet, le terme de la volont ? Jeveux faire effort, dira-t-on : donc la volont est autre chose que l'ef-fort ; elle est un jugement, une affirmation, c'est le dernier acte intel-

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    lectuel qui clt la dlibration. Nous avons vu qu'il n'en est rien. Unacte pur d'intelligence ne suffit pas pour passer l'acte ; psychologi-quement comme criminellement, l'intention pure ne suffit pas : il fautun commencement d'excution. Il faut passer de la puissance l'acte.L'ide prconue n'est que la cause occasionnelle de l'action ; la vraiecause est dans l'nergie intrieure qui se dveloppe sous la directionde la pense ; en un mot, une ide qui ne serait qu'une ide, ou un ef-fort qui ne serait qu'un effort, ne seraient ni l'un ni l'autre un acte devolont. L'unit de l'effort et de l'ide est la volont elle-mme.

    On dit que l'attention volontaire occupe une part extrmementfaible dans notre vie (Ribot, p. 100) : cela est possible. On dit que l'ar-rt de la colre par la volont est on ne peut plus rare (p. 17) : cela estpossible. On dit que le motif lui-mme sous l'empire duquel la volontagit n'est qu'une portion de la cause, et la plus faible (p. 32) : cela estencore possible. On dit que souvent nous croyons agir pour un motifquand, en ralit, on ne fait qu'obir une suggestion externe, et quecela vrifie le mot de Spinoza que la croyance au libre arbitre n'estque l'ignorance des motifs qui nous font agir : soit encore. Toutes cesassertions peuvent tre relativement vraies, et sont confirmes par desfaits. Mais ce qui reste vrai aussi, malgr tous ces dires, c'est que lavolont, dans le sens propre, n'est [23] autre chose que la puissanced'agir d'aprs une ide (ou, si l'on veut, d'aprs un sentiment qui esttoujours accompagn d'ide ; et c'est dans la mesure ou le moi se d-termine selon l'ide que l'action est dite volontaire la rigueur. Il peutdonc se faire que la volition pure soit un tat extrme trs rare dans laralit. Peut-tre mme devrait-on dire de la volont ce que Kant a ditde la vertu, qu'on ne sait pas si aucun acte de vertu n'a jamais t ac-compli dans le monde ; de mme aussi, dira-t-on, un acte pur de vo-lont, et fortiori un acte pur de volont libre n'a jamais eu lieu ; et,c'est cependant l qu'est l'ide de la volont ; et c'est dans la mesure ol'on s'en rapproche que l'on peut tre dit avoir ou ne pas avoir de vo-lont. Sans doute il y a un fond matriel, le caractre, qui est le subs-tratum de la volont : c'est de l que l'effort part, et il ne peut tre encontradiction avec ce fond. Mais, loin de dire que c'est ce fond qui estla volont mme, tandis que la volition apparente ne serait que l'acci-dent, nous disons au contraire que ce caractre lui-mme n'est un ca-ractre qu'en tant qu'il a t constitu en partie par la volont ; et en-

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    fin, si minime que soit dans notre vie la part faite cet lment initia-teur, c'est lui prcisment et lui seul qui mrite d'tre appel volont.

    Est-ce dire que nous mconnaissions l'unit qui peut exister entretous les modes de l'activit psychologique ? tablissons-nous des bar-rires absolues entre des faits qui se tiennent d'une manire si troiteet si intime ? Maintiendrons-nous avec intolrance la psychologie desdiffrences, tandis que tout nous porte de tous cts la thorie desanalogues ?

    Il y a d'abord une thorie des analogues que nous rejetons sans h-siter : c'est celle qui fait sortir le plus du moins, et qui explique le pro-grs des choses par la complication croissante des phnomnes ; c'estcelle qui ne voit dans la pense que l'abstraction des sens, dans le sen-timent que l'abstraction de l'apptit physique, dans la volont qu'unecombinaison d'actions rflexes. Toute notre psychologie est en con-tradiction avec celle-l. Sans doute la psychologie empirique [24] estd'un grand prix, parce qu'elle a le got des faits ; et tous ceux qu'elleinvoque et qu'elle expose servent d'enrichissement pour la science.Mais autre chose est le fait, autre chose l'interprtation des faits. Or,toute notre discussion prcdente a eu prcisment pour objet de d-montrer que la volont n'est pas une simple complexit d'actions r-flexes.

    Mais il y a une autre manire de rduire les phnomnes l'unit :c'est de prendre pour point de dpart, non pas le type infrieur, mais letype suprieur ; c'est de dire, par exemple, comme l'avait remarquKant, non pas, avec Locke, que l'entendement est la sensibilit dve-loppe, mais, avec Leibniz, que la sensibilit est l'entendement enve-lopp. De mme on dira, non pas que la volont est l'instinct perfec-tionn, mais que l'instinct est une volont imparfaite. Cette secondesorte de rduction n'a rien qui ne nous agre. Nous ne voulons pas demiracle ; nous n'admettons pas plus que M. Ribot une volition pro-venant on ne sait d'o (p. 151). Il faut donc qu'elle prexiste pourpouvoir exister ; et en ce sens on peut dire que c'tait elle dj qu'onrencontrait dans les tages infrieurs, sous d'autres formes et unmoindre degr. Cependant, tout en reconnaissant la solidit d'un telmode de raisonner, nous voudrions qu'on y apportt plus de prcisionet de rigueur qu'on ne fait aujourd'hui. En effet, les assimilateurs sont,en gnral, si proccups des analogies et des similitudes, qu'ils effa-cent toutes diffrences et noient tout dans de vagues identits ; et alors

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 29

    il est vrai de dire que commencer par l'instinct, ou commencer par lavolont, c'est tout fait la mme chose, puisque l'on n'a attribu lavolont aucun caractre nouveau qui la distingue de l'instinct. Soit ;mais alors on n'apprend plus rien en passant de l'un l'autre. Si vousvoulez, au contraire, faire partir la srie des identits du plus hautphnomne, et non pas du plus bas, commencez par dfinir l'attribut leplus lev avec ses caractres propres, de manire pouvoir toujoursle reconnatre, en le suivant de dgradation en dgradation jusqu' sesgermes les plus humbles. Par l, la mthode des [25] diffrences nonseulement n'est pas oppose la mthode de ressemblance, mais elleen est au contraire le fondement ncessaire.

    Cela tant, nous choisissons pour type la rsolution volontaire son maximum, c'est--dire l'acte de prendre un parti aprs dlibrationet de faire effort pour en commencer l'excution. Voil la volont pure(au point de vue humain, bien entendu. Supprimons maintenant la d-libration et la conception des motifs : il reste la puissance de l'effort.La volont ne nat pas de rien. Pour faire effort avec connaissance decause et avec rflexion, il a fallu d'abord faire effort sans le savoir.Nous retrouvons donc la substance de la volont dans l'acte de l'effort.Mais l'effort lui-mme ou la puissance de ragir contre un obstacle neserait pas possible s'il n'y avait pas dj dans l'tre une activit pr-existante qui va vers son objet spontanment et s'identifie immdiate-ment avec lui lorsque la jouissance se prsente d'elle-mme, mais quisera toute prte se raidir si l'obstacle se prsente. De plus, cette acti-vit concrte et dtermine qui va vers l'objet prsent suppose une ac-tivit idale qui va vers l'objet absent, et n'est plus alors qu'une vaguetension ; enfin, comme nous l'avons vu, cette activit non satisfaite,qui est l'tat d'attente, suppose que, dans le premier mouvementmme o la satisfaction est venue du dehors, et mme dans ce quenous appelons le plaisir passif, il y a encore une activit, et enfin cetteactivit doit prexister au plaisir et la sensation mme et doit dter-miner des ractions inconscientes avant d'arriver cette conscience, sihumble qu'elle soit, qui accompagne la premire sensation : c'est l'ac-tivit de l'instinct. Ainsi l'on peut donc dire que la volont est engerme dans l'instinct, dans le dsir, dans l'effort spontan, en un motdans toute forme d'activit, et, comme l'activit est le fond de touteschoses, on peut dire que la volont est le principe de toutes choses,comme l'a fait Schopenhauer ; mais c'est la condition d'ajouter que

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    cette activit, chaque tape, engendre quelque chose de nouveau, etqu'elle prend ses forces en se [26] dveloppant, vires acquirit eundo.L'instinct devient dsir, le dsir devient effort, l'effort devient volon-t ; mais ce dsir est plus que l'instinct ; l'effort est plus que le dsir, etla volont est plus que l'effort. Le progrs, ou passage du moins auplus, est le caractre propre de l'activit vitale en gnral, et en parti-culier de l'activit spirituelle. La puissance de raction va toujourscroissant, et la volont proprement dite en est la forme la plus haute.

    Cette ascension de forces, qui dans la nature extrieure se produitpar le passage de la mcanique la physique, de la physique la chi-mie, de la chimie la vie, se traduit son tour, dans l'ordre physiolo-gique et psychologique, par le, passage de l'irritabilit l'instinct, del'instinct au dsir, du dsir l'effort, de l'effort la volont. Quel est leprincipe de cette tension de forces de plus en plus nergiques ? Sui-vant quelques philosophes rcents, inspirs de la philosophie d'Aris-tote, ce serait l'attraction du souverain bien qui ferait sortir de l'en-gourdissement de la matire les forces endormies qu'elle contient, etqui, chaque degr, chaque tape nouvelle, solliciterait les forces un accroissement nouveau. Nous croyons qu'il y a l une grande partde vrit. Le souverain bien, ou Dieu, si l'on ne craint pas de lui don-ner son vrai nom, doit concourir l'action des cratures. Le concursusdivin doit tre non seulement simultaneus, mais encore prvius,comme disaient les Scolastiques. Nous savons par exprience quelprestige a sur nous l'attrait de la beaut et de la bont, et de quels ef-forts il nous rend capables. C'est l la part de la grce, et je ne me re-fuse pas ce qu'on le fasse aussi grand qu'on voudra. Mais cette partne peut pas aller jusqu' absorber tout ; autrement il n'y aurait plus decrature. La grce elle-mme suppose un certain consentement de lanature ; et si tout est grce, il n'y a plus de nature. N'est-ce pas tropappauvrir l'activit et l'initiative de l'me que de la rduire tre solli-cite par l'attrait ? N'est-ce pas trop substituer le rgne de la fascina-tion et du magntisme celui de l'initiative morale et virile ? Mmepour aller [27] vers le bien sous l'empire de l'attrait divin, il faut en-core dans l'homme une certaine force, une certaine spontanit d'ac-tion, et la cause finale ne peut pas supprimer et remplacer la cause ef-ficiente. Je me dirige vers une toile, c'est vrai s'il n'y avait pasd'toile, je ne sortirais pas du repos. Mais c'est bien moi qui vais vers

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    l'toile. Il y a donc une force propre la crature ; mais c'est l'attraitdu souverain bien qui fait que cette force peut grandir sans cesse, ettrouver en elle des ressources toujours nouvelles.

    On peut donc dire que l'me agit sous l'empire de la cause finale ;on peut mme aller plus loin, et dire qu'elle-mme n'agit qu'a titre decause finale. En effet, comme on ne sait pas comment l'me agit sur lecorps, comment mme elle agit sur elle-mme, comment elle faitnatre en elle des ides et mme des sentiments, on peut supposerqu'elle est elle-mme le but vers lequel tendent et se dveloppent lesforces intellectuelles et vitales, et que c'est pour cela qu'elle n'en a pasconscience. Cette supposition est sduisante ; en effet, pour sortir del'inertie il faut que les activits aient un but poursuivre. On peutdonc admettre que toutes les forces de l'tre organis se portent l'ac-tion pour raliser les penses de l'me, pour exprimer dans leur diver-sit l'unit harmonique de l'esprit. Ainsi l'me est une cause finale ;mais elle n'est pas seulement une cause finale. Nous ne pouvons croirequ'elle soit un moteur immobile attendant paisiblement, dans sa divinesupriorit, que les forces infrieures se hissent pniblement jusqu'elle. Le fait psychologique de l'effort rsiste cette explication tropquitiste. Admettons, si l'on veut, que l'me n'agisse pas directementsur le corps, et mme qu'elle n'agit pas sur ses propres facults. Je nepuis, je le sais bien, avoir des ides volont, ni supprimer une pas-sion volont ; mais la rsolution volontaire n'en est pas moins lepropre de l'me. Le je veux lui appartient en propre, c'est son actemme. Nous ne surprenons point le passage de cet acte son effet.Mais on peut dire que les choses se passent comme [28] si cet actetait cause de cet effet. C'est la concentration de la volont qui fait laforce de l'intelligence et la faiblesse de la passion : celui qui laisse ve-nir lui les ides, sans ragir, se laisse entraner et dborder par elles ;il gaspille son esprit. Celui qui se laisse aller au dcousu des passionsdevient bien vite leur jouet. La volont peut-tre ne produit-elle rienpar elle-mme mais elle tient les rnes. Elle est la matresse souve-raine. Bien entendu, cet empire, chez la plupart des hommes, mmeles meilleurs, n'est encore qu'intermittent. Nous avons fait la part de lanature ; nous avons fait la part de la grce ; mais cet indivisible ,comme l'appelle Descartes, ce point culminant de toute force et detoute activit, ne pourrait tre supprim sans que tout le reste s'crou-

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    lt. Nous ne voulons pas dire cependant qu'il ne puisse pas y avoirdans l'me un tat suprieur la volont elle-mme nous ne cherchonspas ici le terme final de l'activit philosophique. Disons seulement quenous trouvons jusqu'ici dans l'effort voulu le plus haut degr de laforce qui constitue l'me humaine, en y ajoutant toutefois la libert.

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    [3]

    PRINCIPES DE MTAPHYSIQUE ET DE PSYCHOLOGIE.Leons professes la Facult des Lettres de Paris 1888-1894

    TOME SECOND.

    LIVRE TROISIMEVOLONT ET LIBERT

    Leon IIISUITE DE LANALYSE

    DE LA VOLONT

    Retour la table des matires

    Messieurs,Continuons tudier l'histoire de la volont. Nous aurons ici trois

    questions examiner :1 La volont peut-elle exister sans inteliigence ? 2 Quelles sont

    les origines de la volont ? 3 Quels sont les lments et les diversmoments de l'acte volontaire ?

    I. Certains philosophes, par exemple Schopenhauer, Hartmann,admettent, l'un une volont sans intelligence, l'autre une volont sansconscience. C'est tendre, selon nous, d'une manire exagre le do-maine de la volont. Une volont qui ne connat pas et qui ne se con-nat pas n'est pas une volont. On ne veut jamais, dit Bossuet, sansquelque raison. La volont est donc pour nous la spontanit raison-nable, la force qui se dtermine pour un but avec conscience. Les Sco-

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    lastiques lui donnaient le nom d'appetitus rationalis : c'est le vrai sensdu mot volont : c'est dans ce sens que nous l'entendrons. Si vous re-tranchez son caractre distinctif (rationalis) il ne reste plus que l'ap-petitus en gnral, la tendance active vers un but. On pourra, si l'onveut, donner ce principe le nom de volont : ce ne sera qu'une ques-tion de mots ; mais il y aura toujours lieu distinguer l'appetitus natu-ralis (celui de la plante), l'appetitus sensitivus (celui de l'animal), etenfin l'appetitus rationalis ou volont proprement dite.

    Demandons-nous d'abord s'il peut y avoir volont sans Intelli-gence ; nous verrons ensuite s'il y a une volont sans conscience. Cesdeux questions sembleraient devoir se rduire a une seule : car qui ditintelligence, ne dit-il pas par [30] l mme conscience ? Mais le philo-sophe Hartmann a distingu l'un de l'autre, et a soutenu d'une part,contre Schopenhauer, qu'il n'y a pas de volont sans intelligence, et,d'autre part, contre la plupart des philosophes, qu'il peut y avoir unevolont inconsciente. Il y a donc ici deux questions.

    Hartmann nous parait avoir dmontr trs solidement contre Scho-penhauer l'union ncessaire de la volont et de l'ide. Dans tout actede volont, dit-il, l'esprit veut passer d'un tat prsent un nouvel tat.On part toujours d'un tat prsent, et cet tat prsent correspond djune certaine ide ; mais cet tat prsent ne suffirait pas expliquer levouloir, si la possibilit idale d'un autre tat ne s'y trouvait en mmetemps contenue. Il y a donc dans la volont deux ides : celle d'untat prsent comme point de dpart ; celle d'un tat futur comme pointd'arrive ou comme but. La premire se manifeste comme l'ide d'uneralit prsente, la seconde comme l'ide d'une ralit produire. Lavolont est l'effort pour crer cette ralit, ou l'effort pour passer del'tat reprsent par la premire ide l'tat reprsent par la se-conde.

    Il n'y a pas en ralit de vouloir pur qui n'ait ceci ou cela pour objet.Une volont qui ne veut rien n'existe pas rellement. C'est son contenuque la volont doit la possibilit de son existence, et ce contenu est l'ide.D'o le mot d'Aristote : .

    En soi, la volont n'est que le pouvoir formel de raliser quelquechose d'une manire gnrale ; mais ce n'est qu'une pure forme. Il lui faut

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    un contenu (un but) : ce contenu ne peut tre conu que comme reprsen-tation ou comme ide.

    Telle est l'erreur fondamentale de Schopenhauer. L'ide n'est aucu-nement reconnue par lui comme constituant seule et exclusivement le con-tenu de la volont. La volont, quoique aveugle, se conduit absolumentcomme si la reprsentation ou l'ide formait son contenu.

    Cette rfutation de Schopenhauer nous parait victorieuse [31] etsans rplique. Tout ce que celui-ci, en effet, fait valoir pour sparer lavolont de l'intelligence, ne prouverait qu'une volont sans cons-cience, mais non sans ide. Reste savoir maintenant s'il est rationneld'appliquer le mme nom deux modes aussi diffrents d'activit quel'activit consciente et l'activit inconsciente.

    Si l'on veut soutenir seulement, en effet, qu'il y a en nous une puis-sance d'effort qui peut se dvelopper spontanment et par consquentsans conscience, avant de s'exercer d'une manire intentionnelle etrflchie ; que cette puissance a cependant un but dans un cas commedans l'autre (car nul effort sans but) ; si l'on soutient que cette puis-sance est en substance la mme dans les deux cas, soit qu'elle aitconscience, soit qu'elle n'ait pas conscience ; si, en un mot, on con-vient d'appeler volont la puissance de commencer le mouvementdans une direction prdtermine, il n'y a nulle difficult a accorderqu'il y ait une volont inconsciente. Seulement on peut se demander sice n'est pas un abus de mots que d'appeler volont une puissance quine sait pas ce qu'elle fait. N'est-ce pas comme si l'on admettait unevolont involontaire et une volont volontaire ? Ne vaut-il pas mieuxrserver ce terme si prcis et si familier pour ce second cas, et dsi-gner le premier par le mot d'instinct, comme on l'a toujours fait ? A-t-on clairci le moins du monde ce que c'est que l'instinct, en disant quec'est une volont inconsciente, et le mot volont employ ici (et sparde l'ide de rflexion et d'intention) dit-il quoique chose de plus que leterme d'activit ?

    Il est vrai que, pour Hartmann, la volont inconsciente parat sedistinguer de l'instinct, quoiqu'il n'explique pas nettement en quoi

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    consiste la diffrence. 3 Examinons donc les faits qu'il apporte l'ap-pui de sa thorie. Il cite l'exemple de la grenouille dcapite qui conti-nue non seulement excuter des mouvements rguliers et coordon-ns, mais encore des mouvements [32] varis et appropris pour viterles obstacles qu'on lui oppose. Il cite l'insecte coup en deux dont unemoiti continue l'acte de la nutrition, tandis que l'autre continue l'actede la copulation ; ce polype qui, sans aucun organe des sens, distinguel'insecte mort de l'insecte vivant et fait tous les mouvements nces-saires pour se l'approprier, au point que deux polypes luttent ensemblepour se disputer la mme proie. Tous ces faits ne prouvent-ils pointque la volont n'est pas circonscrite au cerveau ? Il y a une volontganglionnaire, comme une volont crbrale, puisque dans les insectesil n'y a pas de cerveau. Pourquoi n'en serait-il pas de mme aussi dansles vertbrs ? Pourquoi n'y aurait-il pas une volont de la moelle pi-nire ? Le pigeon, mme sans cerveau, sait encore viter les obstacles.Tous ces faits ne paraissent pas tre du mme ordre que l'instinct, etappartiennent ce que Hartmann appelle la volont inconsciente.

    Tous ces phnomnes prouvent sans doute qu'il peut resterquelques vestiges de volont et d'intelligence l o les organes habi-tuels de ces facults font dfaut : mais prouvent-ils une volont in-consciente, ou seulement, ce qui serait bien diffrent, une volontd'une moindre conscience ? Car, si l'on suppose qu'une sorte d'intelli-gence peut exister sans cerveau, pourquoi ne supposerait-on pasqu'une sorte de conscience peut subsister galement dans la mmecondition ? Or c'est l, au fond, la doctrine mme de Hartmann. Laconscience crbrale, dit-il, n'est pas la seule qui existe chez les ani-maux : c'est seulement la forme la plus haute de la conscience, la seulequi atteigne la personnalit et au moi, la seule par consquent que jepuisse appeler ma conscience, proprement parler. Mais pourquoin'y aurait-il pas une conscience de la moelle pinire, une conscienceganglionnaire ? Il ne faut pas la lgre considrer la volont de lamoelle pinire et des ganglions comme une volont inconsciente ensoi. Elle est seulement inconsciente pour nous, bien que rsidant dansdes centres nerveux qui font partie de notre organisme et qui par con-squent sont en nous.

    3 Nous supposons qu'il les distingue, parce qu'il eu fait deux chapitres diff-rents ; mais il ne dit pas en quoi consiste la distinction, et il signale de part etd'autre des faits qui paraissent bien semblables.

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    [33]Nous n'avons pas suivre ici l'auteur allemand sur le terrain ou il

    se place. Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas des volonts spciales rpan-dues dans nos organes, et diffrentes de la seule volont que nousnous connaissions, qui est la volont du moi, c'est une question quenous n'avons pas rsoudre en ce moment. Tout ce que nous pouvonsdire, c'est que si de telles volonts existent, de mme que, conscientespeut-tre en soi, elles sont inconscientes pour nous, de mme, quoiqueen elles-mmes elles puissent s'appeler volonts, elles ne sont pas desvolonts pour nous. La seule volont que nous connaissions, c'est lantre, c'est celle qui s'identifie avec notre moi ; et celle-l c'est la vo-lont consciente ; quant aux volonts subordonnes et disperses dansl'organisme, elles ne peuvent tre appeles de ce nom qu'en tantqu'elles seraient elles-mmes accompagnes d'une certaine cons-cience. La conscience resterait donc, avec l'ide, la caractristique dela volont.

    En rsum, la volont considre en soi, indpendamment del'intelligence, ne contient rien de plus que l'ide d'activit en gnral,ou l'ide de force telle que Leibniz l'avait pose. Dire que tout est vo-lont, c'est dire que tout est actif ; ce n'est rien de plus. On peut sansdoute et on doit prendre le type de l'activit et de la force l ou elle semanifeste de la manire la plus claire et la plus complte ; mais cetteclart mme ne subsisterait pas, si on ne conservait pas la forme laplus haute de l'activit son caractre propre et distinctif. Pour serendre compte des dgradations successives que subit la volont endescendant d'tage en tage, depuis le premier jusqu'au dernier desorganismes, il faut qu'elle soit d'abord dfinie et caractrise dans cequ'elle a de distinct et de suprme : sans quoi ce ne seront plus lesautres forces que l'on comparera la volont : ce sera la volont quel'on confondra avec les autres forces. La volont sera donc pour nousl'activit consciente, .

    Si le contenu de la volont est l'ide, c'est--dire le but conscient,la forme de la volont sera l'effort ou l'nergie par laquelle l'me passed'un tat un autre. Cet effort, dit avec [34] raison Hartmann, se d-robe toute analyse, toute dfinition : car notre pense ne se meutqu'au milieu des ides, et l'effort est en soi quelque chose de trs diff-rent de l'ide. Tout ce qu'on peut dire de lui, c'est qu'il est la causeimmdiate du changement. Il est la forme vide, partout semblable

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    lui-mme, du vouloir C'est la forme de la causalit, l'acte par le-quel la volont sort d'elle-mme, tandis que l'ide reste inviolablementenferme en elle-mme.

    Ici une nouvelle question se prsente : la volont ne peut rien sansl'ide : soit ; mais l'ide ne pourrait-elle pas quelque chose sans la vo-lont ? L'ide ne serait-elle pas motrice par elle-mme, n'est-elle pasune force, comme l'ont pens Hegel et Herhart ? Hermann pense que,mme dans ce cas, l'ide ne peut rien sans la volont. Il invoquel'autorit d'Aristote : L'imagination, ou la pense, quand elle agit audehors, n'agit pas sans la volont (ou sans le dsir).

    Il y a certainement des cas o le mouvement est provoqu parl'ide sans intervention directe de la volont. C'est ainsi que, dans lesommeil magntique, le sujet est entran excuter les tableaux qu'ila dans l'imagination : c'est ainsi que, dans le vertige, la vue d'un prci-pice dtermine la tentation de s'y jeter : c'est ainsi que, dans certainscas d'alination mentale, le malade se sent entran malgr lui com-mettre un crime, et demande en grce ceux qui l'coutent de l'en-chaner pour mettre obstacle ses dsirs. L'ide a donc incontestable-ment une vertu motrice. Mais est-il ncessaire de faire intervenir icil'action de la volont ? N'est-ce pas prcisment parce que la volontest absente, que l'ide agit directement sur le systme moteur ? N'est-ce pas prcisment cause de cette action directe sur le systme mo-teur, que l'on dit que la volont est absente ? Que si l'on soutient quec'est alors l'uvre d'une volont infrieure, je le veux bien ; mais alorsce n'est pas l'action de ma volont ; cette volont infrieure que je neconnais pas n'est pas une volont pour moi : c'est la volont de mesorganes, qui ne sont pas moi.

    [35]En un mot, il y a pour l'homme un mcanisme dans l'ordre des

    mouvements, comme il y a un mcanisme dans l'ordre des sensations.Tantt ce mcanisme moteur est purement physiologique : il com-mence et il finit dans le systme nerveux. Tantt l'lment psychiqueet mental intervient dans le mcanisme, et agit l'instar d'une excita-tion physique extrieure. C'est toujours de l'automatisme. L'habitudese compose pour autant d'actes psychiques que d'actes musculaires.Que j'oublie par hasard que c'est l'heure o je me livre tel exercice,je pourrai y droger pour cette fois ; mais aussitt que l'ide m'en est

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    suggre par autrui ou me revient spontanment, tout le mcanisme sedroule comme l'ordinaire.

    On peut soutenir, il est vrai, que, de mme que dans la moindresensation il y a de la pense, dans le mcanisme le plus automatique ily a de la volont ; que ce n'est l qu'une forme infrieure de la volon-t, comme le mcanisme des sensations est la forme infrieure de lapense. Cette doctrine est solide et vraie. Il n'est pas vraisemblablequ'entre la sensibilit et l'entendement il y ait cet abme qu'avait sup-pos Kant ; il est plus probable, comme le pensait Leibniz, que la sen-sibilit n'est qu'un moindre entendement. De mme il n'est pas pro-bable qu'entre l'instinct et la volont il y ait cet abme qu'avait supposBiran, voyant dans l'un le rgne du fatum, dans l'autre de la libert. Ilest plus probable, nous l'accordons, que l'instinct n'est qu'une moindrevolont. Mais autre chose est le point de vue de la thorie, autre chosele point de vue de l'analyse exprimentale. Or, au point de vue de l'ex-prience, autre est l'action volontaire, conforme aux ides, autre l'ac-tion automatique des ides. Dans le premier cas, l'homme agit dans lesecond, selon la belle expression de Malebranche, il est agi : c'estmme l, en quelque sorte, un experimentum crucis en faveur de lalibert, car on prtend que nous agissons toujours par le motif le plusfort ; mais c'est, au contraire, lorsque le motif est tellement fort qu'ildtermine infailliblement l'action, qu'elle cesse alors de nous paratrevolontaire et, plus forte raison, libre. C'est [36] l, nous le verrons,une raison trs forte contre la doctrine d'un philosophe distingu denos jours qui a voulu confondre l'ide de la libert avec la libert elle-mme.

    Comparons, en effet, les deux phnomnes que nous venons d'op-poser l'un l'autre : l'un dans lequel l'homme agit d'aprs une ide,l'autre ou il est agi par une ide. Dans le premier cas il se sent actif,dans le second il est passif, exactement comme si une force extrieureagissait sur lui. J'ai l'ide d'un rendez-vous, et je m'y rends ; j'ai l'ided'un prcipice, et je m'y jette. Quelle diffrence entre ces deux faits ?Dans l'un, c'est moi-mme qui me dtermine ; dans l'autre cas, c'estmalgr moi que je suis entran. La volont consiste prcisment rompre l'automatisme : ramener la volont un dynamisme logique,c'est la dtruire. La volont est le moyen terme entre l'ide et l'acte :c'est la force personnelle se substituant la force automatique desides.

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    Ainsi l'ide motrice n'est pas la volont, et quand l'ide est direc-tement motrice, il n'y a pas de volont.

    II. Considrons maintenant les origines de la volont.

    Maine de Biran parat avoir pos le premier le problme des ori-gines de la volont : Il y a lieu chercher, dit-il, quelle est la suitedes progrs ou des conditions qui ont pu amener le premier exercicede la puissance individuelle de l'effort quelle est la loi du passagedes mouvements instinctifs aux mouvements volontaires.

    Ce problme semble, en effet, impliquer une sorte de cercle vi-cieux : car s'il est vrai que l'tre pensant ne peut commencer con-natre qu'autant qu'il commence agir et vouloir, il n'est pas moinsvrai qu'on ne peut vouloir expressment ce qu'on ne connat en aucunemanire.

    Voici la solution de Maine de Biran. Le mouvement se produiraitprimitivement sous l'influence des excitations externes ; mais, en vertudes lois de l'habitude, qui sont bien connues, d'une part les impres-sions externes deviennent moins vives, de l'autre les mouvements de-viennent plus faciles par les rptitions. Le centre nerveux qui est ledistributeur [37] du mouvement, et qui n'a d'abord agi que sousl'influence externe, contracte peu peu des habitudes : il devientcapable d'entrer spontanment en action, en vertu de cette loi de l'ha-bitude qui fait qu'un organe vivant tend renouveler de lui-mme lesmouvements qu'une cause trangre a suscits en lui.

    En un mot, suivant Biran, la spontanit remplace l'instinct, ce-lui-ci tant encore sous l'empire d'une stimulation externe, et celle-layant son principe dans le centre. Biran, comme on le voit, accordeencore plus l'influence externe qu'on ne le fait d'ordinaire, puisqu'ildrive la spontanit de l'habitude. Quoi qu'il en soit, la spontanittant donne, il s'agit maintenant d'en faire sortir la volont. Cettespontanit, en effet, dit Biran, n'est pas encore la volont, mais elle laprcde immdiatement.

    Voici comment se ferait le passage : En vertu de la spontanitde l'action du centre, qui est le terme immdiat et l'instrument proprede la force hyperorganique de l'me, cette force, qui ne pouvait aper-

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    cevoir ses mouvements instinctifs, commence sentir les mouvementsspontans. Mais elle ne peut commencer les sentir ainsi comme pro-duits par son instrument immdiat, sans s'en approprier le pouvoir.Ds qu'elle sent ce pouvoir, elle l'exerce en effectuant elle-mme lemouvement.

    On voit o est ici la difficult. L'me reconnat comme sien lemouvement, parce qu'il est produit spontanment par son instrument.Le mouvement de l'organe propre de la force motrice lui rvle elle-mme son propre pouvoir. Mais n'est-ce pas le lieu de dire ici avecAd. Garnier : L'me ne peut faire volontairement que ce qu'elle a djfait involontairemntt ? Si proche de nous-mmes que soit l'organe cen-tral, il n'est pas encore nous-mmes. Il ne semble donc pas qu'il puissey avoir de passage de la spontanit la volont, si la spontanitn'appartient pas au mme sujet que la volont mme. Biran dit bienque la spontanit donne l'veil l'me et y fait natre comme unpressentiment de son pouvoir [38] propre. Mais comment la sponta-nit d'un organe qui n'est pas le moi peut-il donner au moi le pressen-timent de ce qui est en lui ? Biran cite des exemples qui sont des faits,mais non des preuves : ainsi le passage des signes spontans, les cris,aux signes volontaires. Comment l'enfant transforme-t-il des mouve-ments purement organiques en signes d'appel ? Mais c'est toujours lamme question ; et il semble qu'on ne puisse comprendre le passageen question, si ce n'est par le mme principe qui donne naissance lafois au cri spontan et au cri volontaire. On est ainsi ramen la doc-trine de l'action motrice de l'me antrieure la volont.

    M. Bain admet galement, avec Maine de Biran, que toutes nos ac-tions volontaires ont t spontanes leur dbut. 4 Mais la spontanitne suffit pas expliquer la volont. Le mouvement spontan, en effet,dpend de l'tat du centre nerveux. La dcharge obit des conditionsphysiques, et non des fins. La spontanit provoque des mouvementsen gnral, mais non les mouvements qui sont ncessaires. Parexemple, le chien, aprs avoir dormi et une fois dtach, part et courtde toute vitesse pour satisfaire au besoin d'activit ; et c'est quand ilest puis de fatigue qu'il aurait alors besoin de ses forces pour cher-cher sa nourriture. Une force qui meurt quand l'action nous est leplus ncessaire ne peut tre le vritable soutien de notre existence. Il

    4 Des sens et de l'intelligence, 1re partie, ch. IV, IV.

  • Paul Janet, Principes de mtaphysique et de psychologie Tome II. (1897) 42

    y a donc de la spontanit dans la volont ; mais il y a aussi quelquechose de plus. Ce quelque chose de plus, selon Bain, c'est le senti-ment.

    Le lien qui unit le sentiment au mouvement est-il, comme le penseReid, un lien instinctif, ou est-il le rsultat d'une acquisition ? Parexemple, l'enfant qui commence parler, et qui trouve du plaisir dansles mouvements spontans qui composent l'articulation, recommencevolontairement le mme mouvement. Comment ce plaisir peut-il luiapprendre [39] quels sont les mouvements ncessaires pour produirel'effet qu'il dsire ? C'est l, suivant Reid, l'effet d'un instinct ; mais,selon Bain, c'est le rsultat de l'exprience et de l'habitude : Le plai-sir, dit Bain, fait bien produire quelque genre d'action, mais non pas legenre qu'il faut.

    Ce qui prouve, suivant Bain, que l'union de la volont et du mou-vement n'est pas instinctive, mais habituelle, c'est la maladresse despremiers mouvements volontaires. L'enfant est oblig d'apprendre seservir de ses doigts, de ses mains, de ses jambes. Nous apprenons marcher, nous apprenons parler, nous apprenons prendre. Ce n'estpas dire qu'il n'y ait pas quelque chose de spontan dans toutes cesactions ; mais ce qu'il y a de spontan est prcisment ce qui prcdela volont, ce qui la rend possible : ce n'est pas elle. Quant l'usagevolontaire des membres, il est, sans doute, facilit par la spontanit,mais il n'en exige pas moins une certaine ducation.

    Cela pos, comment s'expliquer, suivant Bain, la liaison du senti-ment et du mouvement volontaires, autrement dit l'origine de la volon-t ? Il l'explique par le principe suivant, c'est que le plaisir a pour effetun accroissement des forces vitales.

    Nous n'avons maintenant qu' supposer que les mouvements quiproviennent simplement de l'exubrance des forces soient accidentel-lement de nature accrotre le sentiment agrable du moment. Lefait mme de cet accroissement de plaisir impliquerait d'autres faits del'accroissement des forces de l'organisme et des mouvements qui sonten jeu au moment mme. Le plaisir s'entretiendrait de la sorte lui-mme, et nous aurions un fait quivalent en substance une voli-tion.

    Pour nous, nous ne pouvons consentir admettre comme quiva-lente une volition une simple continuation mcanique d'un mouve-

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    ment spontan. Lorsque, sous l'influence du plaisir, nous sentons s'ac-clrer le mouvement du sang dans nos veines, ou l'action digestivedes organes nutritifs, nous ne sentons nullement le mouvement circu-latoire et digestif, comme quelque chose de volontaire. Les muscles,qui sont d'abord censs [40] agir en dehors de l'action de l'esprit, au-ront beau accrotre leurs proprits vitales et, sous l'empire de cet ac-croissement, continuer ou augmenter leur puissance d'action, le mou-vement ne changera pas de caractre pour cela. D'automatique il nedeviendra pas volontaire, mais il restera automatique : on n'a pasprouv par l le passage de la spontanit la volont.

    En un mot, Biran et Bain ont pos un principe solide, en tablissantque tout ce qui est volontaire doit avoir t d'abord spontan ; maisl'un et l'autre, en mettant le mouvement spontan en dehors du moi,pour des raisons diverses, ne peuvent expliquer comment le moi pour-rait s'approprier une action qui lui est trangre. Dans Biran, il y a unhiatus qu'il n'a pas russi dissimuler ; le moi intervient tout coup etse reconnat dans ce qui n'est pas lui. Dans Bain, il n'y a pas d'hiatus ;mais le moi fait dfaut dans le second moment aussi bien que dans lepremier. Le stimulus directeur, qui est, suivant Bain lui-mme, le faitcaractristique de la volont, fait entirement dfaut.

    Il faut donc reconnatre l'me une action motrice qui s'tend aumoins sur tous les organes du mouvement volontaire, et qui peut-treva plus loin. C'est cette action qui, en s'exerant, prend conscienced'elle-mme et s'aperoit qu'elle peut s'exercer. Or elle ne peut pasprendre conscience de son pouvoir, c'est--dire se rflchir elle-mme,sans tre tente d'exercer ce pouvoir, et par consquent de faire avecrflexion et avec volont ce qu'elle a d'abord fait spontanment. Onpeut mme appeler dj ce pouvoir moteur la volont, et distinguerune volont spontane et une volont rflchie, une volont incons-ciente et une volont consciente ; mais, nous l'avons dit dj, ce serait peu prs comme si on disait qu'il y a une volont involontaire et unevolont volontaire : ce qui est une sorte de non-sens. J'admettrai qu'iln'y a pas l deux facults, l'une extrieure l'autre et l'une dirigeantl'autre, mais deux tats essentiellement diffrents d'une mme facult :et c'est le second tat de l'activit motrice que nous appellerons volon-t.

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    Maintenant comment la volont apprend-elle mouvoir les diff-rents organes et s'en servir comme il faut pour arriver ses fins ?Est-ce l'instinct, est-ce l'habitude qu'il faut avoir recours pour ex-pliquer ce fait ? Il est certain que l'habitude y est pour une grandepart : mais il faut reconnatre que l'activit spontane a fait dj unegrande partie de la besogne. Lorsque l'enfant vient marcher seulpour la premire fois, c'est sans savoir ce qu'il fait qu'il quitte sonpoint d'appui et fait quelques pas en avant : il sait donc diriger sesmembres par une force qui est en lui et qui n'a pas appris le faire,puisque jusque-l il tait soutenu : cette science, il ne la perd pas parla volont ; seulement, lorsqu'il veut recommencer, l'enfant s'tonne, iln'ose pas ; il faut qu'il soit sollicit par l'appel de ses parents, par l'ap-pt d'un jouet, d'un fruit ; il recommence moiti en vertu de la sponta-nit premire, moiti par la volont ; il russit moins bien : il va tropvite ; il se hte d'arriver au but. En un mot, les mouvements sont plusincertains, mais cependant la moiti de l'acte au moins est encorespontane : la volont est donc toujours guide par la nature ; et cen'est qu' mesure qu'elle prend conscience de sa force propre, qu'elledgage de la spontanit : en un mot, l'homme n'chappe l'instinctque lorsqu'il est devenu capable d'agir par lui-mme, de mme qu'il nes'affranchit du sein maternel que lorsqu'il a tout ce qu'il lui faut pouragir seul.

    III. Analyse de la volont. - L'cole clectique a introduit une ana-lyse de la volont qui est reste longtemps classique dans nos coles,et qui l'est peut-tre encore aujourd'hui.

    D'aprs cette analyse, que l'on peut voir en dtail dans notre Traitlmentaire de philosophie, l'acte volontaire se composerait de quatremoments : 1 conception de l'acte faire ; 2 comparaison entre lesmotifs et les mobiles de l'acte ou dlibration ; 3 rsolution et dter-mination, ou acte volitif proprement dit ; 4 excution et action.

    On a fait plusieurs objections contre l'analyse prcdente.

    1 On dit que la dlibration n'est pas spare de la volont, car il ya de la volont dans la dlibration mme : dlibrer [42] est un acte

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    de libert, et la preuve mme de la libert : comment ne serait-elle pasvolontaire ?

    Cela est incontestable et n'est nullement ni dans l'analyse qui pr-cde : il y a de la volont dans la dlibration ; mais on en fait abstrac-tion, pour ne considrer que ce qu'il y a d'intellectuel ; or cette portionintellectuelle n'est pas volontaire. Ainsi, on ne dlibre pas pour voirles choses comme on les veux, mais pour les voir telles qu'elles sont.La volont n'intervient ici que pour faire apparatre les diverses rai-sons ; mais ce n'est pas elle qui fait la force des raisons : la plus par-faite dlibration est celle o la volont s'abstient le plus qu'elle peut,et se dsintresse afin que la vrit dcide seule. Tel serait l'idal de ladlibration, et c'est en cela qu'elle n'est pas volontaire et qu'elle sedistingue de la rsolution ou de l'acte par lequel la volont veut ce quela pense a dcid.

    D'ailleurs, lorsqu'on suppose que la dlibration est distincte de larsolution, c'est que l'acte que l'on prend pour exemple sera un acteextrieur distinct de la pense ; mais il peut se faire que l'acte en ques-tion, l'acte a choisir, soit prcisment un acte de penser ; et, dans cecas, je dlibrerais si je dois ou ne dois pas faire tel acte de penser ; orla rsolution de le faire (par exemple tel acte d'attention) n'en sera pasmoins toujours diffrent de la dlibration antrieure (dois-je ou nedois-je pas faire attention ? cela en vaut-il la peine ?). Enfin il peutmme se faire que l'acte dont il s'agit soit prcisment un acte de dli-bration ;