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L A P E N S É E Q U É B É C O I S E E N E S S A I S FEMMES ET FILLES HÉRITAGE ET REPRODUCTION LES MIROIRS AUX ALOUETTES LES IMPACTS DE LA CONQUÊTE COMPTE RENDU SUR UNE ENTREPRISE DE MÉMOIRE ET ENTREVUE AVEC DENIS VAUGEOIS Pour la suite du monde Pour la suite du monde Pour la suite du monde de L’Action nationale Les Cahiers de lecture PRINTEMPS 2014 volume viii, numéro 2

PRINTEMPS Les Cahiers de lecture 2014 2...Le bec sucré. Panorama d’une passion québécoise ANICET DESROCHERS 15 Miel. l’art de la ruche, l’or des abeilles MARTINE DELVAUX 16

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Page 1: PRINTEMPS Les Cahiers de lecture 2014 2...Le bec sucré. Panorama d’une passion québécoise ANICET DESROCHERS 15 Miel. l’art de la ruche, l’or des abeilles MARTINE DELVAUX 16

L A P E N S É E Q U É B É C O I S E E N E S S A I S

FEMMES ET FILLESHÉRITAGE ET REPRODUCTION

LES MIROIRS AUX ALOUETTES

LES IMPACTS DE LA

CONQUÊTE

COMPTE RENDU SUR UNE ENTREPRISE DE MÉMOIRE ET ENTREVUE AVEC DENIS VAUGEOIS

Pour la suite

du monde

Pour la suite

du monde

Pour la suite

du monde

de L’Action nationale

Les Cahiers de lecturePRINTEMPS 2014

volume viii, numéro 2

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Les Cahiers de lecture sont publiés par

L'Action nationale 82, rue Sherbrooke Ouest Montréal (Québec) H2X 1X3

Tél. : 514-845-8533 ou 1-866-845-8533, [email protected]

Dépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISSN-1911-9372

ISSN 1929-5561 (version numérique)

Membre de la SODEP

Josée LacourseChef de pupitre, sciences sociales

Sylvain DeschênesÉdition graphique, révision et coordination de la production

Daniel GomezChef de pupitre, essais politiques

de L’Action nationale

Printemps 2014volume viii, numéro 2

Tarifs 2014 - 3 numéros/an(expédition et taxes comprises)

1 an 2 ans

Abonnement 30$ 50 $Abonnement de soutien 40 $ 75 $

International 50 $ 90 $

Institution 50 $ 90 $ TVQ 1012563392 TPS 11901 9545

Vous pouvez vous abonner ou acheter au numéro à la boutique

internet de L’Action nationale :

action-nationale.qc.ca

Les Cahiers de lecture

TITRES RECENSÉS

Lucia FerrettiChef de pupitre, histoire et culture

Robert LaplanteDirecteur

LES

IMPA

CTS

DE

LA

CONQ

UÊTE

RÉAL BÉLANGER 5Henri Bourassa : le fascinant destin d’un homme libre

ROBERT MAJOR 6Parti Pris : idéologies et littérature

MAUDE ROUX-PRATTE 7Le Bien public, 1909-1978. Un journal, une maison d’édition, une imprimerie

JACQUES PELLETIER 8Victor-Lévy Beaulieu. L’homme-écriture

JOSEPH-YVON THÉRIAULT 9Évangéline. Contes d’Amérique

CLAUDE BELLAVANCE, YVAN ROUSSEAU, JEAN ROY 11Histoire du Centre-du-Québec

CAMILLE LAURIN 13Psychiatrie, psychanalyse et société canadienne-française

VINCENT PARISIEN 15Le bec sucré. Panorama d’une passion québécoise

ANICET DESROCHERS 15Miel. l’art de la ruche, l’or des abeilles

MARTINE DELVAUX 16Les filles en série. des Barbies aux Pussy Riot

MICHELINE DUMONT 17Pas d’histoire, les femmes !

DALIE GIROUX, DIMITRIOS KARMIS (DIR.) 18Ceci n’est pas une idée politique

MARCEL SAINT-PIERRE 19Une abstention coupable : enjeux politiques du manifeste Refus global

LA POINTE LIBERTAIRE 19Bâtiment 7 : victoire populaire à Pointe-Saint-Charles

DESCHÊNES, GASTON ET DENIS VAUGEOIS (DIR.) 20Vivre la Conquête, tomes 1 et 2

ENTREVUE AVEC DENIS VAUGEOIS 22Pourquoi Vivre la Conquête ?ALAIN BEAULIEU, STÉPHANIE BÉREAU ET JEAN TANGUAY 24Les Wendats du Québec. Territoire, économie et identité, 1650-1930

SERGE GAGNON 25Familles et presbytères au Québec, 1790-1830

SYLVAIN RIVIÈRE 26L’Empire des Robin. Histoire de l’esclavage du pêcheur gaspésien

FRANK MACKEY 27L’Esclavage et les Noirs à Montréal, 1760-1840

MARC-ANDRÉ ROBERT 29Dans la caméra de l’abbé Proulx. La société agricole et rurale de Duplessis

SERGE BOUCHARD) 30Les images que nous sommes. 60 ans de cinéma québécois

ISABELLE GUSSE 31L’Armée vous parle : communication et propagande gouvernementales

SERGE BERNIER 33Le Royal 22e Régiment

STEVE JOURDAIN 33Mon Afghanistan

FRÉDÉRIC CYR 34Paul Levi, rebelle devant les extrêmes

FRANCIS DUPUIS-DÉRI 35Démocratie. Histoire politique d’un mot. Aux États-Unis et en France

MARC SIMARD 36Histoire du mouvement étudiant québécois, 1956-2012

RENAUD POIRIER ST-PIERRE ET PHILIPPE ÉTHIER 37De l’école à la rue. Dans les coulisses de la grève étudiante

SAMUEL DE CHAMPLAIN 38Espion en Amérique, 1598-1603

Les auteurs des textes publiés dans les Cahiers de lecture sont responsables de leur contenu.

Marise BachandProfesseur en histoire, UQTRGérard BeaudetProfesseur émérite, Institut d’urbanisme, Université de MontréalMartin BlaisProfesseur agrégé, communications sociales, Université Saint-PaulPhilippe BoudreauDoctorant en science politique, Université d’OttawaFrançoise BouffièreÉcrivaineAlexandra CarignanCandidate à la maîtrise en études québécoises, UQTRPascal ChevretteProfesseur de littérature, collège MontmorencyDenys DelâgeProfesseur émérite, Département de sociologie, Université LavalJulie GuyotProfesseure en histoire, cégep Édouard-MontpetitDavid HébertDoctorant au département de philosophie, UQAMKarine HébertProfesseure en histoire, Université du Québec à RimouskiJean-Pierre KestemanProfesseur émérite, département d’histoire, Université de Sherbrooke

Normand LandryProfesseur Téluq – Université du QuébecPierre LanthierProfesseur en histoire, UQTRJacques MichonProfesseur associé, Lettres et communications, Université de SherbrookeMarcelo OteroProfesseur, département de sociologie, UQAMFrançois OuelletProfesseur de littérature, UQACClaire PortelanceProfesseure, cégep Lionel-Groux, doctorat en Études québécoises UQTRMartin ProvencherProfesseur de philosophie, Cégep de RosemontMalcolm ReidAuteur de Notre parti est pris : un jeune reporter chez les écrivains révolutionnaires du QuébecMichel RiouxJournalisteJean RoyProfesseur en histoire, UQTRSimon Tremblay-PepinChercheur associé à l’IRIS, doctorant en science politique à l’Université YorkPierre VennatJournaliste et historien

COLLABORATEURS

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3Les Cahiers de lecture de L'Action nationale, volume viii, numéro 2, Printemps 2014

Au moment d’écrire ces lignes, le Québec est encore invité à spéculer sur la date de la prochaine cam-pagne électorale. Entre austérité et prospérité, les discours vont tenter de faire balancer nos cœurs et peut-être un peu aussi, notre raison. Le but : tenter

de conquérir le pouvoir provincial, c’est-à-dire accéder aux leviers qui permettent de gérer la province avec les moyens que le Canada lui laisse. Dans ce contexte, il est fort peu probable que les débats se charpentent sur un portrait global de notre situation nationale. Rien là de bien nouveau, cela fait déjà deux décennies que la rhétorique sert à faire tourner les machines à boucane.

Il sera bien difficile dans ces circonstances prévisibles d’imposer des enjeux aussi abstraits que ceux que soulève la réforme fédérale du soutien aux revues savantes et à la diffusion de la recherche. Et pourtant, il y a là des risques graves de marginalisation, voire de démantèlement de l’appareil éditorial scientifique québécois. Ottawa s’organise et procède à la hussarde, comme il semble en prendre l’habitude dès lors qu’il est question de recherche scientifique. Sous le prétexte que les fonds publics soutiennent les chercheurs pour qu’ils produisent des résultats, le gouvernement fédéral exigera sous peu que ceux-ci soient disponibles gratuitement « en libre accès » à tous les lecteurs intéressés. Les revues auront le fardeau de tarifer les auteurs dont le budget de publication devra désormais être inté-gré à la subvention de recherche.

Autrement dit, non seulement ce sera la fin du subvention-nement des revues savantes par les trois conseils de recherche fédéraux, mais il sera aussi désormais impossible pour ces revues d’être vendues par abonnement. À première vue, la formule semble généreuse, mais c’est une illusion. D’une part, le renversement du circuit qui fait désormais transiter l’argent par la subvention du chercheur plutôt que par le catalogue d’abonnés, va engrais-ser une structure bureaucratique supplémentaire et détruire un arrangement éditorial patiemment élaboré par un Québec inventif et mobilisé sur des solutions adaptées à sa réalité. D’autre part, le système éditorial bascule vers des structures de plus en plus imbri-quées à un système centré sur des considérations commerciales.

Se moulant aux solutions dominantes aux États-Unis, en Angleterre et en Australie, les propositions fédérales composent avec le fait que la recherche qui se fait en anglais au Canada est déjà si intégrée aux grands réseaux de diffusion qui dominent le monde anglo-saxon qu’il est pour ainsi dire impossible de lui reconnaître une identité propre. Les chercheurs, leurs revues, leurs institutions ne se sont pas donné les organes, y compris un portail unique de diffusion, véritablement national. Par ailleurs, lorsque des revues savantes canadiennes disparaîtront à la suite de la réforme envisagée par Ottawa, les chercheurs canadiens continueront à pouvoir publier en anglais.

La situation au Québec est tout à fait différente. D’une part, nos revues et nos universités se sont donné un portail de diffusion unique, Érudit, qui est déjà presque entièrement en libre accès, mais qui est fondé sur un système d’abonnement institutionnel payant. Par ailleurs, nos revues ne sont pas, sauf rarissimes exceptions, appuyées par des fondations qui peuvent les financer ; comme elles sont le plus souvent des organes non seulement de diffusion, mais aussi de stimulation de la recherche, il est impensable de faire payer les auteurs pour être publiés lorsque ce sont elles qui sollicitent les articles. La réforme envisagée détruira une écologie de la diffusion de la recherche fondée sur le système d’abonnement payant. Cela privera les chercheurs québécois de la plus grande partie des possi-bilités de publier au Québec dans des revues québécoises puisqu’une grande partie d’entre elles disparaîtront et que les autres pourront exiger des auteurs des frais considérables pour les publier. Cela accentuera la tendance, déjà déplorable, à la publication en anglais.

Ironie suprême, la communauté des lecteurs québécois sera ainsi plus loin qu’aujourd’hui des résultats de la recherche sur le Québec et à la merci de l’intérêt que des revues étrangères daigneront bien lui accorder.

Cette réforme s’inscrit dans une tendance malsaine consistant à redéployer les institutions publiques de manière à les imbriquer dans les grands conglomérats privés qui s’accaparent un contrôle de plus en plus fort sur la diffusion des connaissances et, de là, sur leur utilisation à des fins de profits et d’usages privés. Charles-Xavier Durand, dans La formation des monopoles du savoir a déjà fourni une analyse vraiment prémonitoire à propos de cette tendance. Avec les propositions fédérales, les perspectives de profits font d’ores et déjà saliver les entreprises qui auront un intérêt plus grand à acquérir et privatiser les revues, et qui pourront, en outre, vendre des ser-vices d’indexation, de repérage, etc. aux bibliothèques et centres de recherche. Et tout cela, évidemment, sera fondé sur des systèmes conçus en anglais. Déjà, plusieurs bibliothécaires universitaires recommandent d’utiliser des mots-clés anglais pour obtenir davan-tage de résultats lorsqu’on interroge les moteurs de recherche. Les multinationales des services connexes à la recherche ne fonction-nent pas autrement qu’en anglais, du moins pour les indexations les plus fines, et c’est bien ce qui marginalisera encore la recherche publiée en d’autres langues, y compris le français. Peu soucieux de protéger un environnement de recherche national en anglais qui n’existe pas, Ottawa ne se préoccupe pas de veiller au maintien de celui qui existe au Québec et qui affiche, sur la scène internationale, son identité propre.

Pendant que les Québécois débattront des enjeux provinciaux, le gouvernement d’Ottawa continuera d’avancer à pas feutrés afin de raffermir son emprise et d’imposer ses conceptions sur ce que doit être la diffusion en français des connaissances produites par les chercheurs du Québec. Il aura la partie d’autant plus facile que la politique provinciale reste totalement satellisée en matière de sciences et de financement de la recherche.

Le Québec a depuis longtemps intériorisé les contraintes cana-diennes et déployé ses propres instances en complément de celles d’Ottawa à qui il laisse le champ libre pour la définition des priori-tés et des orientations. Ainsi en est-il encore, hélas, de la nouvelle politique québécoise de la recherche et de l’innovation qui ne remet rien en question de l’architecture du système de l’organisation de la recherche. On veut bien lui reconnaître une ingéniosité certaine à tenter de s’en accommoder, mais cela reste de la dépendance, cela continue une logique de l’hétéronomie à laquelle la communauté scientifique et les universités souscrivent avec un mélange de rési-gnation et de consentement aliéné. Il est loin le temps où des savants réputés revendiquaient la création d’une Académie québécoise des sciences pour donner un horizon à la culture scientifique.

Les enjeux scientifiques n’auront guère de place dans la cam-pagne provinciale qui s’annonce. Et ce sera, une fois de plus, dommage et irresponsable. Pendant que la politique politicienne occupera le devant de la scène, le travail de deux générations de scientifiques et d’agents institutionnels de diffusion de la science passera à la trappe. La recherche québécoise sera appelée à se cal-quer encore davantage sur une logique institutionnelle qui donnera un peu plus de profondeur à la logique de l’assimilation, à ruiner la différence québécoise. La destruction de l’environnement éditorial de la recherche québécoise ne fera pas les manchettes. Les cher-cheurs québécois seront seulement déportés dans des pratiques étrangères. Et il s’en trouvera encore pour dire que c’est là exagérer. Il s’en trouvera encore pour faire la statistique des miettes et l’apo-logie des retombées.

Il reste encore à espérer que des voix s’élèvent.

ÉDITORIAL

LA DESTRUCTION DE L’ENVIRONNEMENT ÉDITORIALRobert Laplante

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5Les Cahiers de lecture de L'Action nationale, volume viii, numéro 2, Printemps 2014

FASCINANT, VOUS DITES ?Michel Rioux

Journaliste

RÉAL BÉLANGERHENRI BOURASSA : LE FASCINANT DESTIN D’UN HOMME LIBRE

Québec, PUL, 2013, 552 pages

Dans la quatrième de couverture, l’éditeur, Presses de l’Université Laval (PUL), n’arrive pas à contenir

son enthousiasme. Faisant écho au titre de l’ouvrage de Réal Bélanger, Henri Bourassa : le fascinant destin d’un homme libre, les PUL y vont d’un « fascinant destin » suivi d’un « destin fascinant », en passant par « un esprit critique aiguisé », un « personnage plus grand que nature », un « auteur solide », un « journaliste brillant », un « conféren-cier incomparable », un « homme politique téméraire et courageux », un « défenseur vigoureux du nationalisme canadien », un « orateur exceptionnel », un « homme libre ».

Tant d’éloges en si peu d’espace pour un seul homme, cela pourrait conduire à appréhender cette biographie avec une cer-taine circonspection. Du moins si on accorde quelque valeur à ce que Talleyrand a déjà dit là-dessus, à savoir que « tout ce qui est exa-géré devient insignifiant ».

Eh bien non !De cette brique de quelque 550 pages à la

typographie serrée se dégage le portrait d’un homme qui, à travers, et peut-être même à cause de sa démesure, a marqué son époque comme peu d’hommes publics ont pu le faire, en son temps et depuis. En matière de démesure, le fils Bourassa s’était rapidement distingué de son père Napoléon, architecte, peintre et sculpteur, qui professait ne pas aimer « les couleurs vives, ni en peinture, ni en politique » (p. 4). En effet, tant dans ses paroles, dans ses écrits que dans son action politique, le fils fut ce qu’on appelle un homme coloré, c’est le moins que l’on puisse dire !

L’auteur, en conclusion, prend une mesure honnête de l’homme :

Tributaires de son ultramontanisme et de son époque, les opinions de Bourassa dans les domaines social et économique ne sont guère progressistes […]. Il en découle une vision parfois anachronique et plutôt étriquée des choses, et des hommes, des femmes surtout, dont il contribue à retar-der l’émancipation (p. 536).

Mais de cette vie fourmillante, dont plu-sieurs aspects mériteraient qu’on s’y attarde davantage, par exemple cette détestable misogynie qu’il afficha sa vie durant et cette soumission à Rome qu’on ne peut guère s’imaginer aujourd’hui, il faut ici retenir quelques lignes de force.

Canadien, son nationalisme

Son nationalisme canadien d’abord, proche parent d’un politicien davantage contemporain. En 1904, Bourassa en donnait cette définition.

Notre nationalisme à nous est le nationa-lisme canadien, fondé sur la dualité des races et sur les traditions particulières que cette dualité comporte. Nous travaillons au développement du patriotisme canadien, qui est à nos yeux la meilleure garantie de deux races et du rapport mutuel qu’elles se doivent.

Il ajoutait :

La nation que nous voulons voir se dévelop-per, c’est la nation canadienne, composée des Canadiens-français et des Canadiens-anglais, c’est-à-dire de deux éléments séparés par la langue et la religion, et par les dispositions légales nécessaires à la conser-vation de leurs traditions respectives, mais unies dans un sentiment de confraternité, dans un profond attachement à la patrie commune (p. 117).

Cette profession de foi devait connaître son chemin de Damas l’année suivante. Car dans cette carrière politique aux multiples rebon-dissements, une date charnière se détache. Celle du 21 février 1905, alors que Wilfrid Laurier, à l’occasion d’un discours dans lequel il avait exprimé sa vision d’un Canada fondé sur le principe des deux nations, avait sus-cité l’enthousiasme. « Il n’y a pas de doute. Henri Bourassa, comme les autres nationa-listes du Québec, comme Armand La Vergne, savoure l’excitante victoire de ce moment his-torique. » (p. 144). Il s’agissait de la fameuse clause scolaire touchant la minorité cana-dienne-française dans l’Ouest, que Laurier avait jusque-là eu peur d’aborder de front. Mais Bourassa et les nationalistes québécois avaient si bien joué la mouche du coche que le premier ministre avait fini par se redresser. Mais, comme le souligne l’auteur :

Ce qui s’abat sur lui au lendemain du 21 février, c’est la quasi-émeute, la bataille rangée, la lamentation de la majorité cana-dienne-anglaise qui se serre les coudes. En une dizaine de jours, le premier ministre recule jusqu’à la capitulation et redevient le politicien de 1896 et de 1897 (p. 145).

Bourassa s’éloignera de Laurier, qui fut longtemps son idole, écrivant quelques années plus tard que « cet homme éminent que la Providence a si bien doué, que les circonstances ont si bien servi, n’a eu, au fond et toute sa vie, qu’un principe : se laisser vivre ; qu’un culte : sa gloire et son avantage » (p. 307). Il condamnera sans merci les députés libéraux québécois qui l’ont suivi. Et à compter de ce moment, sou-ligne le biographe, Bourassa s’inquiétera.

Le caractère biculturel et bilingue du Canada […] se révèle définitivement en péril. Bourassa luttera désormais sans relâche pour repousser cet impitoyable dénouement qui attaque de front des prin-cipes fondamentaux de son mouvement nationaliste (p. 159).

Langue et foi

Huit mois exactement après avoir fondé le quotidien Le Devoir, Henri Bourassa devait s’illustrer dans la défense d’une cause qu’il aura à cœur toute sa vie : la langue doit être la gardienne de la foi !

Il s’agit du fameux discours du 10 sep-tembre 1910 à l’église Notre-Dame, où se déroulait le congrès eucharistique. L’archevêque de Westminster, le cardinal Bourne, venait de soutenir un point de vue auquel Henri Bourassa ne pouvait adhérer. Comme le décrit l’historien Bélanger :

Mgr Bourne avance que la langue et la culture anglaises doivent devenir le moyen privilégié de conversion et de propagan-de au Canada, particulièrement dans l’Ouest canadien où la population s’accroît rapidement.

La vie tout entière de Bourassa avait été jusque-là, et le demeurera jusqu’à la fin, réso-lument engagée dans la conviction que la langue française était, au Canada, la meilleure gardienne de la foi catholique, son rempart en quelque sorte.

On comprendra qu’il ait été sensible aux arguments de Mgr Langevin, de Winnipeg, qui s’était dit personnellement blessé après les événements de 1905 sur la question des écoles catholiques dans l’Ouest. Ce dernier, s’étant approché de Bourassa, lui glissa à l’oreille : « Laissez pas ça là, il faut répondre,

De cette brique de quelque 550 pages à la typographie serrée se dégage le portrait d’un homme qui, à travers, et peut-être même à cause de sa démesure, a marqué son époque

comme peu d’hommes publics ont pu le faire, en son temps et depuis.

VOIR BOURASSA…à la page 6