9
MISE AU POINT Figure 1. Caractéristiques cliniques : perte de la lordose lombaire, déséquilibre frontal et sagittal et fermeture du flanc droit, gibbosités visibles en flexion antérieure du tronc (flèches). 20 | La Lettre du Rhumatologue • N o 410 - mars 2015 Prise en charge des scolioses de l’adulte Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose est une déformation structurée du rachis dans les 3 plans de l’espace : frontal, sagittal et transversal (figure 1). Il existe 2 grands types de scoliose de l’adulte en dehors des scolioses secondaires (1) : la scoliose idiopathique de l’adulte (SIA), qui est le prolongement à l’âge adulte de la scoliose de l’enfant et de l’adolescent. Elle peut comporter 1, 2 ou 3 courbures ; la scoliose dégénérative (SD) : soit une scoliose qui apparaît sur un rachis préalablement aligné (scoliose de novo), soit une scoliose idiopathique de l’adulte non évolutive qui s’aggrave tardivement, le plus souvent autour de 50 ans. La scoliose dégénérative est en augmentation constante avec le vieillissement de la population et devient un problème de santé publique dans les pays développés. La prévalence de la scoliose lombaire augmente significativement avec l’âge, de 3 % chez l’enfant à 38,9 % après 60 ans (dans une étude faite sur 1 299 IRM lombaires) [2]. Il existe une large prédominance féminine. Examen clinique et radiologique de la statique du rachis Examen clinique Une asymétrie des épaules, une gîte du tronc, une asy- métrie du pli de taille sont recherchées. Le type de profil et le retentissement esthétique sont définis. Les mesures cliniques sont essentielles pour une comparaison chiffrée d’un examen à l’autre : déséquilibre frontal : distance en centimètres entre la verticale formée par le fil à plomb partant de C7 et le pli fessier ; mesure des flèches sagittales à l’aide d’un fil à plomb et d’une règle en position spontanée et en position corrigée (figure 1). L’examen du secteur sous-pelvien comprend la mesure de l’extensibilité des fléchisseurs de hanche et des ischiojambiers, et l’examen des mobilités des genoux et des hanches. La mesure d’une ou des gibbosités est faite en posi- tion assise ou debout, en hyperflexion antérieure du rachis, soit avec une règle à niveau, soit avec

Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

MISE AU POINT

Figure 1. Caractéristiques cliniques : perte de la lordose lombaire, déséquilibre frontal et sagittal et fermeture du flanc droit, gibbosités visibles en flexion antérieure du tronc (flèches).

20 | La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015

Prise en charge des scolioses de l’adulteManagement of adult scoliosis

C. Marty-Poumarat*

* Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. La scoliose est une déformation structurée du

rachis dans les 3 plans de l’espace : frontal, sagittal et transversal (figure 1).

Il existe 2 grands types de scoliose de l’adulte en dehors des scolioses secondaires (1) :

➤ la scoliose idiopathique de l’adulte (SIA), qui est le prolongement à l’âge adulte de la scoliose de l’enfant et de l’adolescent. Elle peut comporter 1, 2 ou 3 courbures ;

➤ la scoliose dégénérative (SD) : soit une scoliose qui apparaît sur un rachis préalablement aligné (scoliose de novo), soit une scoliose idiopathique de l’adulte non évolutive qui s’aggrave tardivement, le plus souvent autour de 50 ans. La scoliose dégénérative est en augmentation constante avec le vieillissement de la population et devient un problème de santé publique dans les pays développés. La prévalence de la scoliose lombaire augmente significativement avec l’âge, de 3 % chez l’enfant à 38,9 % après 60 ans (dans une étude faite sur 1 299 IRM lombaires) [2].Il existe une large prédominance féminine.

Examen clinique et radiologique de la statique du rachisExamen clinique

Une asymétrie des épaules, une gîte du tronc, une asy-métrie du pli de taille sont recherchées. Le type de profil et le retentissement esthétique sont définis.Les mesures cliniques sont essentielles pour une comparaison chiffrée d’un examen à l’autre :

➤ déséquilibre frontal : distance en centimètres entre la verticale formée par le fil à plomb partant de C7 et le pli fessier ;

➤ mesure des flèches sagittales à l’aide d’un fil à plomb et d’une règle en position spontanée et en position corrigée (figure 1).L’examen du secteur sous-pelvien comprend la mesure de l’extensibilité des fléchisseurs de hanche et des ischiojambiers, et l’examen des mobilités des genoux et des hanches.La mesure d’une ou des gibbosités est faite en posi-tion assise ou debout, en hyperflexion antérieure du rachis, soit avec une règle à niveau, soit avec

Page 2: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

Points forts

Figure 2. Exemple d’évolution sur les radiographies de face d’une scoliose lombaire idiopathique de l’adulte. Dislocations T11-T12, L2-L3, L3-L4.

16 ans43°

37 ans50°

41 ans72°

46 ans92°

La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015 | 21

» La qualité des radiographies et la formation du radiologue sont essentielles. » La statique sagittale rachidienne a une place primordiale dans la pathologie du rachis. Le but du trai-

tement, quel qu’il soit, est de restituer un équilibre économique de face et de profil. » Le traitement médical est essentiel pour la scoliose du sujet âgé, car les risques de la chirurgie de

scoliose augmentent de façon considérable avec l’âge. » La formation des médecins en appareillage est également très importante.

un scoliomètre. Elle permet d’affirmer le caractère structuré, de préciser le type topographique, l’impor-tance de la scoliose, et donc d’établir un pronostic et de suivre l’évolution.La mesure de la taille globale est comparée à la taille à 20 ans. La perte de taille debout peut être le signe d’une scoliose évolutive et constitue un élément de surveillance.L’examen général et l’examen neurologique sont essentiels pour éliminer une possible scoliose secon-daire.

Examen radiologique (figure 2)

Il comprend au minimum 2 radiographies du rachis dans son ensemble, du crâne aux têtes fémorales comprises, de face et de profil, debout avec les bras posés en avant à l’horizontale. L’incidence de face couchée peut être utile pour apprécier la réductibilité d’une courbure et affirmer le caractère structuré de la scoliose. La qualité des radiographies doit permettre une bonne définition des structures osseuses pour la prise de mesures fiables. Les clichés sont fournis de préférence

Mots-clés Scoliose de l’adulte

Scoliose dégénérative

Équilibre sagittal du rachis

Highlights » X-ray quality and the training

of the radiologist are crucial. » The static spinal sagittal plane

plays a primordial role in spine pathology. The aim of any treat-ment option is to restore proper spinal alignment, when viewed from the front or in profile. » Medical treatment of scoliosis

in elderly subjects is essential because the risk of surgery for scoliosis increases considerably with age. » The physician’s training in

operating the equipment is also extremely important.

KeywordsAdult scoliosis

Degenerative scoliosis

Sagittal spinal balance

sur film, avec un agrandissement correct, ou sur un CD. Le système EOS permet, avec une très faible irradiation, d’avoir des radiographies de face et de profil de l’ensemble rachis et membres inférieurs.Différentes mesures sont essentielles pour l’ana-lyse de la scoliose, pour le suivi et pour la décision thérapeutique.

◆ Mesures dans le plan frontalLes courbures dans le plan frontal sont définies par leur côté et leur amplitude, mesurées par la méthode de Cobb : angle formé par les tangentes aux pla-teaux les plus obliques sur l’horizontal (figure 2 et figure 3A, p. 23) [3]. Différentes méthodes per-mettent la mesure de la rotation vertébrale maxi-male à la vertèbre sommet de la courbure. L’équilibre du rachis et du bassin est évalué, mais cette évalua-tion est toujours à confronter à l’examen clinique.

◆ Mesures dans le plan sagittalLes travaux sur la statique sagittale du rachis ont révolutionné la prise en charge de la pathologie rachidienne ces 30 dernières années et permis la personnalisation du profil de chaque individu (4-8).

Page 3: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

Prise en charge des scolioses de l’adulteMISE AU POINT

22 | La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015

Paramètres rachidiens positionnels (5-7) [figure 3A]

➤ Lordose lombaire maximale (LLM), cyphose tho-racique maximale (CTM). Le nombre de vertèbres dans la lordose est noté.

➤ Autres paramètres : la gîte de T9 et SVA utilisée par les Anglo-Saxons (distance entre la verticale menée du centre de C7 et le coin antéro supérieur du sacrum).

Paramètres pelviens positionnels (pente sacrée, version pelvienne et porte-à-faux) et anatomique (incidence pelvienne) [5, 6] (figure 3B)L’incidence pelvienne, décrite par G. Duval-Beaupère et al., correspond à l’angle formé par la perpendi-culaire au plateau sacré en son milieu et la droite qui joint le milieu du plateau sacré au centre des têtes fémorales (6-8). Ce paramètre anatomique constitue la carte d’identité du bassin d’un individu, constant quelle que soit la position du bassin dans l’espace. J. During et al. ainsi que E. Itoi ont utilisé le sacropelvic angle, qui est en fait l’angle complé-mentaire de l’incidence pelvienne (4, 8).

Quel est l’équilibre sagittal normal ?C’est un équilibre debout, économique en termes de sollicitations musculosquelettiques. G. Duval- Beaupère, J. During, Y.K. Liu et N. Gangnet, en utili-sant différentes méthodes, ont montré que la ligne de gravité du tronc dans l’équilibre sagittal normal passe en arrière des têtes fémorales (4, 5, 9, 10).Il existe une cascade de corrélations très significa-tives entre l’incidence pelvienne et les paramètres rachidiens positionnels (6, 7). La dispersion des valeurs de l’incidence pelvienne conditionne la dispersion correspondante des profils rachidiens normaux, allant des rachis très incurvés pour les grandes incidences aux rachis plats pour les petites incidences. Il y a une interaction permanente entre le rachis, le bassin “vertèbre pelvienne” et les membres inférieurs. Toute modification de l’un de ces éléments retentit sur les 2 autres. Cette interaction est donc particuliè-rement importante à analyser avec le vieillissement. Le vieillissement physiologique entraîne une dimi-nution de la lordose lombaire et du nombre de vertèbres dans la lordose, de la pente sacrée, et une augmentation plus modérée de la cyphose thoracique (11). Cela s’aggrave avec la scoliose en raison de la perte de la lordose lombaire, entraî-nant la projection de la ligne de gravité en avant des têtes fémorales (figure 1). Le sujet se rééqui-libre alors en rétroversant le bassin et en étendant

au maximum les hanches, et, lorsque la capacité d’extension maximale des hanches est atteinte, il fléchit les genoux pour repositionner la ligne de gravité en arrière des têtes fémorales. Ainsi, une scoliose dégénérative avec un important trouble de la statique peut aboutir à un tableau clinique de camptocormie (12).

◆ Clichés complémentaires du rachisDes radiographies localisées peuvent être néces-saires pour mieux analyser un segment rachidien : recherche d’une malformation, d’un tassement ver-tébral, de séquelles de maladie de Scheuermann, d’un spondylolisthésis.

◆ Les dislocations (figures 2, 4, et figure 5, p. 24)Une dislocation est un glissement entre 2 ver-tèbres adjacentes visible sur la radiographie de face. Les dislocations sont un signe d’évolutivité ; elles sont responsables de douleurs et engendrent ou aggravent un trouble de la statique. Le siège le plus fréquent est L3-L4, puis L4-L5, mais elles peuvent exister sur tout le rachis lombaire, et parfois en dorsal bas. La dislocation augmente souvent entre les positions couchée et debout, ce qui est signe d’instabilité.

Modes évolutifs

Scoliose idiopathique de l’adulte [figure 2]

Il s’agit d’une scoliose de l’enfant et de l’adolescent qui reste stable ou qui continue d’évoluer après la maturité osseuse (13, 14). L’importance de la rota-tion et de l’angle de Cobb ainsi que le déséquilibre sagittal et frontal en fin d’adolescence en sont très probablement des facteurs de risque, mais il n’y a pas de critères précis. D’où l’importance de la surveil-lance clinique et radiologique systématique de toute scoliose de l’adolescent après atteinte de la maturité osseuse, mais avec une périodicité variable, selon le risque estimé, de 1 à 5 ans.

Scoliose dite “dégénérative” et de novo [figure 4 et figure 5, p. 24]

Il s’agit d’une scoliose existant à l’adolescence mais s’aggravant tardivement ou d’une scoliose apparais-sant tardivement sur un rachis préalablement aligné (de novo) [1, 15-18].

Page 4: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

MISE AU POINT

Figure 4. Exemple d’évolution sur les radiographies de face d’une scoliose dégénérative de type de novo.A. 44 ans : pas de scoliose.B. 54 ans : ébauche de dislo-cations L3-L4 et L4-L5, angle de Cobb de 17°.C. 68 ans : progression de la scoliose dégénérative, angle de Cobb de 37° et dislocations.

A B C

Figure 3. A. Radiographie du rachis entier de face : mesure de la courbure par la technique de l’angle de Cobb (α). Rachis en entier de profil : mesure des paramètres posi-tionnels rachidiens CTM, LLM.

B. Mesure des principaux paramètres pelviens sagittaux : pente sacrée α, incidence pelvienne β, version pelvienne γ. La version pelvienne est de 12° en moyenne ; elle aug-mente en rétroversion quand les têtes fémorales avancent.

A

Cyphose thoracique maximale

Lordose lombaire maximale

B

α

βγ

V’ V

α

Vertèbre limite supérieure

Vertèbre limite inférieure

Vertèbre sommet

La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015 | 23

Caractéristiques de la scoliose idiopathique de l’adulte et de la scoliose dégénérative

L’évolution de l’angle de Cobb par rapport à l’âge est linéaire, ce qui permet, devant une scoliose évolutive

adulte, de faire un pronostic individuel (1). La scoliose idiopathique de l’adulte et la scoliose dégénérative sont 2 entités distinctes (1). La scoliose dégénérative commence tardivement, autour de 50 ans, à petit angle, mais elle est d’évo-lution plus rapide que la scoliose idiopathique de

Page 5: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

Prise en charge des scolioses de l’adulteMISE AU POINT

Figure 5. Exemple d’une scoliose idiopathique de l’adulte, stable jusqu’à la ménopause, puis évoluant tardivement, de type dégénératif.

Ménopause 198330°

199830°

200529°

200745°

200949°

201160°

24 | La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015

l’adulte : 1,64° par an en moyenne, contre 0,82° (1). P. Korovessis et al. ont trouvé une vitesse plus impor-tante, de 2,4° par an (17). La ménopause constitue une période critique pour ce type de scoliose (1, 16-18). Sa topographie est lombaire ou thoracolombaire. La scoliose dégénérative et la scoliose idiopathique de l’adulte se différencient aussi par leurs disloca-tions (1). Ces dernières surviennent, dans la scoliose idiopathique de l’adulte, au cours de l’évolution et à grand angle. Dans la scoliose dégénérative, en revanche, la dislocation est le facteur initial (1, 17, 18).La physiopathologie de la scoliose dégénérative est probablement multifactorielle (atteinte dégénérative discale, articulaire postérieure, musculoligamentaire entraînant une dislocation). Un tassement vertébral peut aggraver une scoliose préexistante, mais les études sur la responsabilité de l’ostéoporose sont

discordantes (19, 20). De plus, la mesure de la densité osseuse au rachis est difficilement interprétable en raison de la courbure rachidienne et, souvent, de la présence d’impor tantes lésions arthrosiques de la concavité de la courbure et de la contrecourbure. Les autres facteurs favorisants sont neurologiques (un syndrome extrapyramidal, par exemple), métabo-liques (telle une hyperparathyroïdie), sous- pelviens (comme une coxarthrose), ou peuvent également consister en un amaigrissement rapide et important chez un sujet âgé. La chirurgie du rachis telle qu’une laminectomie ou une arthrodèse segmentaire sur un rachis scoliotique et disloqué ou une arthrodèse faite sans respecter les règles de l’équilibre sagittal, risque de déstabiliser le rachis, en particulier au-dessus et au-dessous de l’arthrodèse et d’aggraver une sco-liose ou une dislocation préexistante. Cela est parti-

Page 6: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

MISE AU POINT

La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015 | 25

culièrement délétère chez les patients souffrant d’un syndrome extrapyramidal (21).Une étude récente de notre groupe montre que le traitement hormonal substitutif retarde l’effet de l’âge sur l’apparition des dislocations et donc de la scoliose dégénérative (22). Notre expérience clinique nous a permis de suivre des scolioses évolutives cer-taines de l’adulte qui s’enraidis sent spontanément, mais tardivement, les lésions arthrosiques disco- articulaires formant de véritable coulées osseuses dans la concavité des courbures, avec parfois des ponts osseux au niveau des dislocations.

Douleurs et retentissement fonctionnelRachialgies et radiculalgies

R.P. Jackson et al. (23) et J.P. Kostuik et al. (24) constatent que les douleurs des scoliotiques sont plus sévères, persistantes et évolutives que celles d’une population du même âge non scoliotique. Ces douleurs sont en général des douleurs mécaniques, améliorées par la position allongée. Elles siègent le plus souvent dans les concavités lombaires et lombosacrées et au niveau des zones jonctionnelles. Elles sont expliquées par le fait que les lésions arthrosiques sont maxi-males dans les concavités, là où s’exercent les forces compressives, ainsi que par l’instabilité aux extré-mités de la courbure, où existent des forces de cisail-lement et de torsion responsables des dislocations. Le déplacement antérieur de la ligne de gravité, la perte de lordose lombaire (23-25), une petite incidence pelvienne (8), l’avancée de la verticale de C7-angle antéro supérieur du sacrum (23) sont autant de fac-teurs favorisants des lombalgies. Les dislocations sont, pour de nombreux auteurs, la cause de douleurs et d’une diminution de la qualité de vie (25, 26).La douleur de conflit costo-iliaque par télescopage des côtes avec la crête iliaque du côté concave dans les scolioses sévères et dans les effondrements importants est spécifique et peut entraîner plusieurs alitements dans la journée. Les patients peuvent se plaindre seulement d’une “fatigue du dos” ou d’une sensation de “tassement du tronc” augmentant au fur et à mesure de la journée.Des douleurs à distance, en particulier des cervical-gies, existent également.La fréquence des radiculalgies (sciatique ou cruralgie) est très variable selon les études. Elles sont souvent de type mécanique, augmentées par les efforts et disparaissent en position couchée. Les causes en sont

l’arthrose interapophysaire postérieure, la subluxation des articulaires postérieures, ainsi que la protrusion et le collapsus discal qui, associés, entraînent souvent une compression foraminale, en particulier au niveau des dislocations ou dans les contre- courbures. La hernie discale vraie est très rare. On peut voir aussi des radiculalgies par conflit au niveau d’une ostéo-phytose exubérante latérale au corps vertébral. Il peut exister aussi une douleur radiculaire de type T12 ou L1, dont l’origine est la zone jonction-nelle haute, siège fréquent de dislocations.Une sténose centrale de type dynamique peut éga-lement se produire. Elle siège surtout au niveau des dislocations basses, entre les articulaires hyper-trophiées et les saillies disco-ostéophytiques. Elle se voit essentiellement dans les scolioses dégénéra-tives. L’atteinte médullaire est exceptionnelle dans ce type de scoliose. Il est souvent nécessaire de recourir à l’imagerie en coupes pour analyser la cause des douleurs et/ ou radiculalgies et pour décider de la stratégie chirur-gicale (27-29).

➤ L’IRM doit comporter des plans d’étude coronal, sagittal et transversal, et des séquences T1, STIR ou écho de spin rapide, ainsi que des séquences T2 avec saturation de graisse. Une myélo-IRM est systémati-quement couplée, permettant une étude du sac dural et des racines, en particulier dans la déformation ou la (les) zone(s) de dislocation. L’IRM offre le gros avantage de montrer directement les lésions inflam-matoires associées aux manifestations dégénératives. Cela est très utile dans les rachis déformés polyarthro-siques pour déterminer le(s) siège(s) des processus inflammatoires ou des conflits en vue d’une prise en charge thérapeutique ciblée (30). L’IRM permet aussi d’apprécier l’état des derniers disques lombaires, ce qui permet de décider de la stratégie chirurgicale.

➤ Le scanner sera plutôt réservé à des études segmentaires limitées pour préciser une altération osseuse ou articulaire et pour analyser l’état des derniers étages lombaires avant arthrodèse.

➤ Le scanner dual-energy permet d’analyser le rachis arthrodésé en éliminant les artefacts liés au matériel, ce qui est particulièrement indiqué dans la recherche d’une pseudarthrose.

➤ La saccoradiculographie est devenue exception-nelle.

Retentissement fonctionnel

Le retentissement fonctionnel et esthétique a récem-ment fait l’objet d’études utilisant l’échelle de qualité

Page 7: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

Prise en charge des scolioses de l’adulteMISE AU POINT

26 | La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015

de vie élaborée par la Scoliosis Research Society (SRS), évaluant la douleur, l’aspect esthétique ainsi que le retentissement fonctionnel et psychologique (SRS-22 et 30). Mais cette échelle ne prend pas en compte la proprioception ni les déséquilibres et n’est pas adaptée au suivi de l’évolution ni au suivi du corset, en particulier chez le sujet “mûr”. Il y a peu d’études spécifiques de la scoliose dégénérative dans la littérature.

Retentissement respiratoire

Les scolioses thoraciques sévères non prises en charge à l’adolescence peuvent engendrer une insuffisance respiratoire de type restrictif pouvant s’aggraver à l’âge adulte, même en l’absence d’évo-lution de la courbure scoliotique. Cela nécessite une prise en charge spécialisée. Le retentissement respiratoire en cas de scoliose dégénérative est rare, sauf en cas de camptocormie.

Traitements

La kinésithérapie

Elle doit être individuelle et comprendre un travail postural avec autograndissements pour essayer de rétablir l’équilibre coronal et sagittal, travail musculaire actif, en particulier des extenseurs du rachis, ouverture du flanc fermé, assouplissement du secteur sous-pelvien, en particulier de l’exten-sion des hanches, parfois rééducation respiratoire et rééducation du rachis cervical. Elle a souvent un effet remarquable sur les douleurs. En cas de scoliose importante, elle peut être faite en hospi-talisation de jour ou complète, en centre spécialisé, avec tractions sur table de Cotrel. On associe cela à une activité physique (par exemple la natation, la marche nordique).

Les corsets (figure 6)

Il y en a de différents types : corset de coutil baleiné, corset en polyéthylène ou polypropylène, en cuir, haut ou bas, monovalve ou bivalve. L’indication dépend du type de la scoliose et de son évolutivité. Le corset est élaboré grâce à une collaboration étroite entre le médecin spécialisé et l’appareilleur à toutes les étapes (un ou plusieurs essayages, livraison et “service après-vente” et suivi). Un moulage plâtré

avec soutien sous la gibbosité est réalisé au préa-lable ; le meilleur équilibre sagittal et frontal pos-sible et supportable est rétabli. Cela nécessite de redonner, lorsque cela est possible, une lordose lombaire et une antéversion du bassin. Il faut 2 contre-appuis osseux antérieurs :

➤ appui haut : xiphoïdien ou manubrial, selon l’im-portance de l’effondrement ;

➤ appui bas : pubien et non viscéral. Le pince-taille est essentiel : bien marqué à l’avant, moulé en dedans des crêtes iliaques, en commençant par la convexité pour une bonne accroche pelvienne du corset. Il faut un soutien de la masse abdominale du bas vers le haut. Il faut aussi un corset en plas-tique fin compatible avec l’habillage. Sauf en cas de maigreur, il est inutile d’ajouter de la mousse. L’utilisation d’un corset peut se révéler très difficile, voire impossible, en cas de déséquilibres extrêmes, de complications orthopédiques irréductibles, de flessum de hanche important, d’obésité. On peut également faire une capture informatique en posi-tionnant bien le patient, mais cela est compliqué en cas d’effondrement important. Les effets indésirables sont rares et le plus souvent gérables. En fait, la cause la plus fréquente de non-compliance est la gêne psychologique. Le but du corset est de diminuer les douleurs et le reten-tissement fonctionnel, et de freiner l’évolution. Les études dans la littérature sont très rares. Nous avons mené une étude chez 30 patients porteurs d’une scoliose lombaire ou thoracolombaire évolutive de l’adulte. Cette étude démontre que le corset de type Vésinet freine ou stoppe l’évolution de la scoliose (31).Les scolioses non évolutives de l’adulte ne font pas l’objet d’un traitement spécifique.

Les infiltrations

Les infiltrations radioguidées sont faites en milieu de radiologie interventionnelle spécialisée, après une rigoureuse analyse clinique et radiologique pour préciser le niveau vertébral et la cause (discale, arti-culaire postérieure, foraminale, sténose centrale, néo-articulations [ostéophytes, anomalie transi-tionnelle]). En 18 ans d’expérience clinico-radiochirur-gicale à l’hôpital Raymond-Poincaré chez les patients scoliotiques, aucune complication n’a été observée pour ces gestes décidés collégialement, sur la base d’une imagerie précise de qualité. Ils sont effectués à l’aide d’un équipement adapté, par des radiologues expérimentés dans les déviations rachidiennes (28).

Page 8: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

MISE AU POINT

Figure 6. Différents types de corsets pour scoliose.

Corset tissu baleiné sur mesure

Corset type Vésinet (court)

Corset haut

La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015 | 27

Page 9: Prise en charge des scolioses de l’adulte · Management of adult scoliosis C. Marty-Poumarat* * Unité rachis enfant et adulte, hôpital Raymond-Poincaré, Garches. L a scoliose

Prise en charge des scolioses de l’adulteMISE AU POINT

28 | La Lettre du Rhumatologue • No 410 - mars 2015

L’arthrodèse vertébrale

L’indication repose sur une évolutivité anatomique prouvée, une aggravation fonctionnelle. C’est une décision multidisciplinaire. Le but est de restaurer l’équilibre frontal et sagittal. La stratégie chirurgicale dépend de la topographie, du déséquilibre frontal et sagittal, de la réductibilité des déformations et de l’état du secteur lombosacré. La scoliose dégé-nérative pose un problème particulier en raison de l’âge des patients, des facteurs de comorbidité et de l’atteinte arthrosique du secteur lombaire et lombosacré, ce qui fait qu’on opère rarement après 70 ans.

Conclusion

Beaucoup d’inconnues persistent dans l’histoire naturelle des scolioses. On ne connaît pas leur phy-siopathologie, qu’il s’agisse d’une scoliose idiopa-thique ou d’une scoliose dégénérative. On ne sait pas prédire précisément, en fin de maturation osseuse, quelle scoliose idiopathique continuera d’évoluer

à l’âge adulte. Il existe un faisceau de facteurs de risque, mais seule la surveillance clinique et radio-logique de toute scoliose de l’adolescent permet de répondre actuellement. On ne peut qu’insister sur l’importance de la détec-tion précoce d’une scoliose de l’enfant et d’un trai-tement également précoce et bien mené, avec un temps de port de corset suffisant (32). De même, il faut faire un diagnostic précoce de la scoliose dégénérative avec une radiographie sys-tématique du rachis lombaire de face et de profil, debout, chez une femme de 50 ans lombalgique. En cas de détection d’une dislocation, une surveil-lance clinique et radiologique tous les 1 à 2 ans est nécessaire pour en évaluer l’évolutivité. La scoliose dégénérative est un problème de santé publique, car sa fréquence augmente avec le vieillissement de la population, et cette pathologie peut devenir très invalidante. Il faut être très prudent dans les indi-cations de chirurgie segmentaire du rachis sur une scoliose et de laminectomies étendues sur plusieurs étages lombaires chez le sujet “mûr”, car il y a un risque secondaire de déstabilisation, particulière-ment chez le patient parkinsonien. ■

1. Marty-Poumarat C, Scattin L, Marpeau M, Garreau de Loubresse C, Aegerter P. Natural history of adult progressive scoliosis. Spine 2007;32(11):1227-34.

2. Anwar Z, Zan E, Gujar SK. Adult lumbar scoliosis: under-reported on lumbar MR Scans. AJNR Am J Neuroradiol 2010; 31:832-7.

3. Cobb JR. The problem of the primary curve. J Bone Joint Surg Am 1960;42-A:1413-25.

4. During J, Goudfrooij H, Keessen W, Beeker TW, Crowe A. Toward standards for posture. Postural characteristics of the lower back system in normal and pathologic conditions. Spine 1985;10:83-7.

5. Duval-Beaupère G, Schmidt C, Cosson PH. A barycentre-metric study of the sagittal shape of spine and pelvis. Ann Biomed Eng 1992;20:451-62.

6. Legaye J, Duval-Beaupère G, Hecquet J, Marty C. Pelvic incidence: a fundamental pelvic parameter for three tri-dimensional regulation of the spinal sagittal curves. Eur Spine J 1998;7:99-103.

7. Vialle R, Levassor N, Rillardon L, Templier A, Skalli W, Guigui P. Radiographic analysis of the sagittal alignment and balance of the spine in asymptomatic subjects. J Bone Joint Surg Am 2005;87:260-7.

8. Itoi E. Roentgenographic analysis of posture in spinal osteoporotics. Spine (Phila Pa 1976) 1991;16:750-6.

9. Liu YK, Laborde JM, Van Buskirk WC. Inertial properties of a segmented cadaver trunk: their implications in acceleration injuries. Aerosp Med 1971;42:650-7.

10. Gangnet N. Variabilité de la posture chez des sujets asymptomatiques. Étude tridimensionnelle par stéréo-graphie et plate-forme de force. DEA, ENSAM, 17/09/2001.

11. Takemitsu Y, Harada Y, Iwahara T, Miyamoto M, Miyatake Y. Lumbar degenerative kyphosis. Clinical, radiological and epide-miological studies. Spine (Phila Pa 1976) 1988;13(11):1317-26.

12. Marty-Poumarat C, Tougeron A, Durand MC, Maisonobe T. Camptocormie et rachis, GES (Groupe étude scoliose) 2008, JFN (Journées françaises de neurologie 2007), Ispo 2009.13. Weinstein SL, Dolan LA, Spratt KF, Peterson KK, Spoo-namore MJ, Ponseti IV. Health and function of patients with untreated idiopathic scoliosis: a 50-year natural history study. JAMA 2003;289:559-66.14. Danielson AJ, Nachemson AL. Back pain and function 22 years after brace treatment for adolescent idiopathic scoliosis: a case control study. Part I. Spine (Phila Pa 1976) 2003;28(18):2078-85.15. Chopin D, Mahon J. Aspects évolutifs des scolioses à l’âge adulte [SOFCOT, 50e réunion annuelle]. Rev Chir Orthop 1981;67(Suppl.):6-11.16. Pritchett JW, Bortel DT. Degenerative symptomatic lumbar scoliosis. Spine (Phila Pa 1976) 1993;18:700-3.17. Korovessis P, Piperos G, Sidiropoulos P, Dimas A. Adult idiopathic lumbar scoliosis. A formula for prediction of pro-gression and review of the literature. Spine (Phila Pa 1976) 1994;190(17):1926-32.18. Murata Y, Takahashi K, Hanaoka E, Utsumi T, Yamagata M, Moriya H. Changes in scoliotic curvature and lordotic angle during the early phase of degenerative lumbar sco-liosis. Spine (Phila Pa 1976) 2002;27(20):2268-73.19. Routh RH, Lee KM, Burshell AL, Nauman EA. The effects of anti-resorptive therapies and estrogen withdrawal in adult scoliosis measured by sub-segmental vertebral BMD analysis. Bone 2009;45:193-9.20. Pappou IP, Girardi FP, Sandhu HS et al. Discordantly high spinal bone mineral density values in patients with adult lumbar scoliosis. Spine (Phila Pa 1976) 2006;31(14):1614-20.21. Babat LB, McLain RF, Bingaman W, Kalfas I, Young P, Rufo-Smith C. Spinal surgery in patients with Parkinson’s disease: construct failure and progressive deformity. Spine (Phila Pa 1976) 2004;29:2006-12.

22. Marty-Poumarat C, Ostertag A, Baudoin C, Marpeau M, Vernejoul (de) MC, Cohen-Solal M. Does hormone replace-ment therapy prevent lateral rotatory spondylolisthesis in postmenopausal women? Eur Spine J 2012;21(6):1127-34.23. Jackson RP, Simmons EH, Stripinis D. Coronal and sagittal plane spinal deformities correlating with back pain and pulmonary function in adult idiopathic scoliosis. Spine (Phila Pa 1976) 1989;14(12):1391-7.24. Kostuik JP, Bentivoglio P. The incidence of low back pain in adult scoliosis. Acta Orthop Belg 1981;47:548-59.25. El Fegoun AB, Schwab F, Gamez L, Champain N, Skalli W, Farcy JP. Center of gravity and radiographic posture analysis: a preliminary review of adult volunteers and adult patients affected by scoliosis. Spine (Phila Pa 1976) 2005;30:1535-40.26. Velis KP, Thorne RP. Lateral spondylolisthesis in idio-pathic scoliosis. Orthop Trans 1979;3:282.27. Carlier R, Feydy A et al. Place de l’imagerie diagnostique et thérapeutique dans la prise en charge des scolioses de l’adulte. Rev Rhum 2004;4:309-19.28. Carlier R, Garreau de Loubresse C, Marty C et al. (sous la direction de). La scoliose idiopathique : une approche multidisciplinaire. 1re journée du rachis de Garches, 3 octobre 2009. Montpellier : Sauramps médical, 2009:83-100. 29. Marty C, Carlier RY. Scoliose et handicap. J Radiol 2010; 91(12-C2) :1360-70.30. Ezra J, Roffi F, Eichwald F et al. Apport de la séquence myélo-graphique (myélo 2D) dans l’exploration IRM du rachis lom-baire. 58e Journée française de radiologie. Paris, 22-26 octobre 2010 (communication scientifique). J Radiol 2010;91:1492.31. Palazzo C, Barbot F, Montigny JP et al. Efficacité du corset plastique court sur l’évolution de la scoliose de l’adulte : étude rétrospective sur 30 cas. Congrès de la Société fran-çaise de rhumatologie, décembre 2013. Flash conférence.32. Weinstein SL, Dolan LA, Wright JG, Dobbs MB. Effects of bracing in adolescents with idiopathic scoliosis. N Engl J Med 2013;369(16):1512-21.

Références bibliographiques

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.