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1/27 PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 29 février 2016 NOTE DE SYNTHESE – SUJET 2 durée de l’épreuve : 4 heures Ce sujet comporte 27 pages, y compris celle-ci. Veuillez vérifier que vous avez bien toutes les pages. En cas d'anomalie, avertissez le surveillant. Vous devez traiter les 2 exercices A et B. A/ A partir des documents suivants et de vos connaissances, vous rédigerez une note de synthèse sur les rapports entre alimentation et développement durable (16 points). LISTE DES DOCUMENTS Document 1 Du champ à l'assiette, Philippe Frémeaux, Alternatives Economiques, Hors séries N°61 : l’économie verte en 30 questions, mars 2013 Document 2 L’indigestion qui vient, Benoît Bréville, Manière de voir, Le Monde Diplomatique, Août/Septembre 2015 Document 3 Pourquoi et comment végétaliser notre alimentation, (extraits), Dossier publié par L214, viande.info.org Document 4 La petite agriculture, clé de la sécurité alimentaire dans le monde, Laetitia Van Eeckhout, Le Monde, 17 octobre 2014 Document 5 L’alimentation devrait être un droit de l’homme, interview de François Collart-Dutilleul par Catherine Calvet et Béatrice Vallaeys, Libération, Rebonds, 22 mars 2014 Document 6 Pour une alimentation durable, ALine, Durabilité de l’Alimentation face à de nouveaux enjeux (extraits), éditions quae, 2011 Document 7 Le véganisme, le mode de vie alternatif qui monte, Guillaume Poingt, Le Figaro Economie, 18 août 2015 Document 8 Penser une démocratie alimentaire, Programme Lascaux (extraits), sous la direction de François Collart-Dutilleul, ed Inida, 2013 Document 9 La notion de développement durable nous a endormis, interview de Laurence Tubiana, par Coralie Schaub, Libération, 31 mars 2014

PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 29 … · Vous devez traiter les 2 exercices A et B. ... ou des Etats dans les pays du Sud avec la complicité des gouvernements locaux. Ainsi,

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PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 29 février 2016

NOTE DE SYNTHESE – SUJET 2

durée de l’épreuve : 4 heures

Ce sujet comporte 27 pages, y compris celle-ci. Veuillez vérifier que vous avez bien toutes les pages. En cas d'anomalie, avertissez le surveillant.

Vous devez traiter les 2 exercices A et B.

A/ A partir des documents suivants et de vos connaissances, vous rédigerez une note de synthèse sur les rapports entre alimentation et développement durable (16 points).

LISTE DES DOCUMENTS

Document 1 Du champ à l'assiette, Philippe Frémeaux, Alternatives Economiques, Hors séries N°61 : l’économie verte en 30 questions, mars 2013 Document 2 L’indigestion qui vient, Benoît Bréville, Manière de voir, Le Monde Diplomatique, Août/Septembre 2015 Document 3 Pourquoi et comment végétaliser notre alimentation, (extraits), Dossier publié par L214, viande.info.org Document 4 La petite agriculture, clé de la sécurité alimentaire dans le monde, Laetitia Van Eeckhout, Le Monde, 17 octobre 2014 Document 5 L’alimentation devrait être un droit de l’homme, interview de François Collart-Dutilleul

par Catherine Calvet et Béatrice Vallaeys, Libération, Rebonds, 22 mars 2014 Document 6 Pour une alimentation durable, ALine, Durabilité de l’Alimentation face à de nouveaux enjeux (extraits), éditions quae, 2011 Document 7 Le véganisme, le mode de vie alternatif qui monte, Guillaume Poingt, Le Figaro Economie, 18 août 2015 Document 8 Penser une démocratie alimentaire, Programme Lascaux (extraits), sous la direction de François Collart-Dutilleul, ed Inida, 2013 Document 9 La notion de développement durable nous a endormis, interview de Laurence Tubiana, par Coralie Schaub, Libération, 31 mars 2014

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Document 10 Une fraise en hiver ne peut pas être bio, Philippe Baqué, Manière de voir (extraits), Le Monde Diplomatique, Août/Septembre 2015 Document 11 Comment le discours médiatique sur l'écologie est devenu une morale de classe, interview de Jean-Baptiste Comby, par Eric Aeschimann, L’Obs, 26 novembre 2015 Document 12 Dessin Plantu B/ Question : Comment analysez-vous ce dessin de Plantu (document 12, page 27) ? (4 points)

Document 1 Du champ à l'assiette, Philippe Frémeaux, Alternatives Economiques, Hors séries N°61 : l’économie verte en 30 questions, mars 2013 Rendre le nécessaire désirable. S'il est un domaine où cet impératif fait sens, c’est bien celui de l’alimentation. Et c'est possible ! Nous pouvons manger bien, manger sain et manger tous et de manière durable. Mais les conditions sont loin d’être aujourd’hui réunies. Manger bien ? L'industrialisation croissante des filières agro-alimentaires s’est sans doute accompagnée de progrès sur le plan de l’hygiène, mais elle a aussi fortement dégradé la qualité des produits. Elevages en batterie d'espèces dopées pour accélérer leur croissance, sélection de fruits et de légumes sans goût car conçus pour satisfaire les normes de conservation et de standardisation exigées par la distribution, transformation des recettes afin d'utiliser des ingrédients moins coûteux - tout en ajoutant de multiples conservateurs, colorants, épaississants, agents de texture et autres renforçateurs de goût : la chimie s'est emparée de nos assiettes. Parallèlement, les évolutions de nos modes de vie nous conduisent à être nourris, dès l'enfance, par une restauration collective qui demeure grande consommatrice de produits élaborés industriellement. De même, l'allongement des journées de travail, temps de transport inclus, favorise l'usage à domicile de produits transformés, prépréparés. Les rythmes sociaux provoquent enfin une tendance à la fragmentation croissante des repas et au développement du grignotage, comme en témoigne le boom du marché des produits de snacking, là encore pour le plus grand bonheur des industries agro-alimentaires. Dans cette perspective, la multiplication des émissions culinaires dans les médias, les ventes toujours croissantes de livres de recettes et le succès des sites Internet spécialisés, sont autant l'expression d’un manque que l’affirmation d'une pratique. La sophistication toujours croissante des assiettes composées par les toques étoilées ne compense pas la banalisation et la standardisation de l'offre culinaire de la brasserie du coin. Quand la malbouffe s’étend Manger sain ? Sans même parler des incertitudes sur les effets diététiques de certains ingrédients massivement utilisés par l'industrie agro-alimentaire, celle-ci nous incite, de l’amont à l'aval, à manger trop et à manger mal : produits trop gras, trop sucrés, trop salés. Une part considérable de la population des pays riches est désormais obèse, et c'est aussi le cas dans nombre de pays émergents ou en développement, où l'on souffre par ailleurs de la faim. Les maladies dites de « civilisation », liées à nos modes alimentaires, sont devenues un facteur majeur de mortalité: maladies cardio-vasculaires, diabète, etc. Et ce ne sont pas les campagnes de publicité culpabilisatrices – manger cinq fruits et légumes par jour - qui y changeront quelque chose quand le menu de la cantine, les linéaires du supermarché ou la publicité convergent pour imposer la malbouffe. Le développement même du discours diététique et de l'offre d’ « alicaments », ces aliments censés guérir les maladies de civilisation

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ou nous en préserver, renforce le mouvement qu'il prétend combattre. Tous les diététiciens sérieux le disent, l’essentiel est d’avoir une alimentation variée et de conserver un rapport sain à la nourriture, associant plaisir et convivialité : manger n’est pas seulement une nécessité biologique, c’est aussi et toujours une pratique sociale. Les paysans, premières victimes Manger tous ? La planète alimentaire ne tourne pas rond. Alors que l’obésité fait des ravages au Nord, plus de 900 millions de personnes, sur les sept milliards que compte l'humanité, demeurent sous-alimentées selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Soit plus de 15% de la population des pays en développement, un pourcentage qui n'a pas varié depuis 1995 et a même crû fortement en 2008-2009, suite à la forte montée des prix alimentaires et aux répercussions de la crise financière. Paradoxalement, cette sous-alimentation se concentre dans les zones rurales des pays pauvres, les gouvernements craignant trop les révoltes des populations urbaines pour ne pas veiller à leur approvisionnement ! L’inégalité du monde commence donc dans l'assiette et constitue un frein considérable au développement : des enfants sous-alimentés sont aussi plus fragiles, moins à même de s'investir dans le travail scolaire (pour autant qu’ils aient accès à l’éducation), donc moins formés et moins qualifiés, etc.

Spécialisation et simplification des écosystèmes De manière durable ? Là encore, la situation est plus que préoccupante. Les pratiques culturales dominantes menacent notre capacité à nous nourrir demain. L'agriculture intensive, nous explique ses défenseurs, a permis de multiplier par 3,4 la production agricole mondiale en cinquante ans, et donc de nourrir une population mondiale qui a plus que doublé entre-temps. Mais ce résultat a été acquis en mettant en œuvre des méthodes qui sont tout sauf pérennes : nous pratiquons une monoculture, permise par l’apport massif d’engrais chimiques, qui entraîne une spécialisation et une simplification des écosystèmes, qui concourt à dégrader les sols, tandis que l’usage massif de produits phytosanitaires menace la santé humaine, à commencer par celle des agriculteurs. De quoi aussi renforcer l’érosion, la disparition des terres arables et créer des situations irréversibles. Les niveaux de consommation d’eau, puisée dans les fleuves et les nappes phréatiques, ne sont pas non plus soutenables. Quant aux organismes génétiquement modifiés (OGM), au-delà des risques qu’ils font peser sur la santé humaine et notre stock de ressources biologiques, ils n’apportent aucun bénéfice significatif, sinon à ceux qui les produisent. Et ils encouragent l’apparition de parasites résistants à tout traitement ! L’emprise des semenciers tend à appauvrir drastiquement la diversité végétale, condition pourtant de notre sécurité alimentaire à long terme, et accroît la dépendance économique des paysans, obligés d’acheter chaque année leurs graines à ces semenciers. Parallèlement, le développement de l’élevage extensif, de la production d’ingrédients à bas prix (huile de palme) ou de productions agro-industrielles à des fins énergétiques, conduisent à détruire de manière irrémédiable des forêts riches en biodiversité, tout en réduisant l’espace disponible pour les productions vivrières destinées aux habitants des territoires. Un mouvement que viennent accélérer les achats de terre réalisés par des entreprises ou des Etats dans les pays du Sud avec la complicité des gouvernements locaux. Ainsi, c’est plus que l’équivalent de la surface agricole utile (1) française qui aurait été vendue ces dernières années dans différents pays du Sud, selon un rapport du Conseil d’analyse stratégique. Enfin, l’artificialisation des terres (par construction de bâtiments, extension du réseau routier, etc.) continue de progresser partout, portée par l’urbanisation croissante et le développement des réseaux de transport. La situation est donc grave, du Nord au Sud et du champ à l’assiette. Mais il y a aussi des raisons d’espérer. Parce qu’à tous les niveaux, des voix s’élèvent pour promouvoir de nouvelles pratiques culturales, pour défendre la qualité des produits et leur diversité, pour promouvoir une alimentation de qualité qui associe vertu diététique et plaisir gustatif. Reste à prendre les bonnes décisions pour parvenir à nourrir demain de manière satisfaisante les 9 milliards de personnes qui devraient peupler notre petite planète en 2050. La solution passe à la fois par des transformations des pratiques agricoles sur le terrain et par l’adoption de nouvelles politiques agricoles par les gouvernements, associées à un changement des règles du commerce mondial. Enfin, il faut également faire évoluer les chaînes de distribution comme nos pratiques alimentaires.

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Une agriculture écologiquement intensive Les pratiques agricoles doivent évoluer pour aller dans le sens d’une « agriculture écologiquement intensive », pour reprendre l’expression chère à Michel Griffon, chercheur au Cirad, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. L’enjeu est d’adopter des modes de culture plus respectueux des écosystèmes. L’idée n’est pas de revenir en arrière, bien au contraire – certaines pratiques ancestrales n’étaient pas toujours respectueuses des écosystèmes et pouvaient tout autant épuiser les sols -, mais de profiter du progrès des connaissances pour adopter des méthodes qui associent rendements élevés et respect des équilibres naturels. On peut en fournir quelques exemples, sachant que les pratiques doivent être adaptées aux climats et aux territoires, parce qu’il n’y a pas de recette miracle généralisable. Il faudrait par exemple réintroduire une plus grande diversité de races et de variétés, mieux adaptées à chaque territoire. Il serait souhaitable aussi de revenir sur la séparation radicale des zones d’élevage et de grandes cultures, qui a abouti à polluer les rivières de Bretagne tandis que la spécialisation céréalière du bassin parisien impose l’apport d’engrais azotés de synthèse gros consommateurs d’énergie, faute d’apport en fumier naturel. Dans le même esprit, il faut réintroduire les rotations de culture donnant une place aux légumineuses (lentilles, etc.) qui sont à la fois apporteuses de protéines végétales pour l’alimentation humaine tout en fixant l’azote de l’air, ce qui dispense d’utiliser autant d’engrais. Enfin, il faut développer l’agroforesterie – planter des arbres alimentaires et des haies dans les champs. De quoi diversifier les productions et accroître les rendements, les arbres apportant la matière organique propre à fertiliser les sols. Une technique bien adaptée à nos climats et qui serait de nature à augmenter fortement les rendements dans de nombreuses régions du Sud. En règle générale, toutes ces évolutions sont plus intenses en travail. Désherber régulièrement plutôt que d’asperger de produits chimiques prend du temps. Mais le bilan n’est pas nécessairement négatif au final en termes d’efficacité sociale mais aussi d’efficacité économique. Une agriculture écologiquement intensive est aussi bien moins consommatrice d’intrants (2) en provenance des industries d’amont. Elle peut également s’inscrire dans une dynamique qui conduit les consommateurs à redécouvrir des productions locales de qualité, réduisant d’autant les coûts de transport et les émissions de CO² liées.

Une aspiration à consommer juste Mais l’adoption de ces méthodes suppose une rupture radicale avec les modes de régulation actuels, qui privilégient le libre-échange et l’industrialisation des filières en amont comme en aval de la production agricole, l’un et l’autre étant justifiés par les baisses de prix qu’elle apportent aux consommateurs. En pratique, le prix relatif des produits agricoles a effectivement baissé grâce aux progrès de la productivité et des rendements. « Mais à quel prix ? », est-on tenté de dire. Le libre-échange a favorisé une spécialisation dont nous venons de voir les effets destructeurs. Il a appauvri la paysannerie dans nombre de pays du Sud, empêchant leur modernisation. Il a accéléré l’exode rural et accru la dépendance des pays en développement à l’égard des importations. L’enjeu n’est pas nécessairement de devenir tous totalement locavores et arrêter de manger des bananes et ou des oranges. Ni de renoncer à boire du café ou à croquer du chocolat. En revanche, on doit pouvoir renoncer à boire de l’eau d’Evian à New York... L’enjeu est tout simplement de créer les conditions permettant aux paysans, au Nord comme au Sud, de développer leurs productions tout en préservant les ressources et en en tirant un revenu correct, de quoi leur permettre de vivre et d’investir, et d’enclencher un cercle vertueux profitant à tous. Dit autrement, étendre et généraliser ce que le commerce équitable s’efforce d’établir, de manière volontaire, en s’appuyant sur l’aspiration des consommateurs à consommer juste. Si ces orientations ne sont pas mises en œuvre, la responsabilité en revient aussi aux choix faits par les gouvernements, au Nord comme au Sud, au-delà du cadre réglementaire global. En Europe, la politique agricole commune (PAC), partie d’une idée juste – assurer l’autosuffisance alimentaire du continent européen en protégeant les agricultures européennes afin de faciliter leur modernisation – a progressivement dévié en une politique de soutien au productivisme sur fond d’ouverture internationale croissante. D’un côté, l’Europe exporte

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céréales, volailles ou produits laitiers, de l’autre, elle importe l’énergie nécessaire pour produire ses engrais et faire tourner les machines agricoles, elle importe aussi une large part des protéines nécessaires à l’alimentation de son bétail ainsi que nombre d’ingrédients incorporés par son industrie agro-alimentaire (huile de palme, etc.). Certes, on parle depuis maintenant plus de deux décennies de la nécessité de réorienter la PAC vers une meilleure protection de l’environnement, mais la conjonction d’une volonté de réduire son coût et d’une préférence pour le libéralisme – dominante à Bruxelles – conduisent une majorité des agriculteurs à considérer qu’ils n’ont d’autres choix que d’intensifier encore un peu plus leurs méthodes, comme en témoigne le développement continu de la culture du maïs là où subsistaient des prairies arborées.

La souveraineté alimentaire contre le libre-échange Mais l’enjeu essentiel se situe sans doute dans les pays du Sud, là où se concentrent la misère paysanne et la sous-alimentation. Sur ce plan, au-delà des enjeux agronomiques ou de régulation économique, les paysans du Sud ont d’abord besoin de paix, les situations les plus dramatiques étant généralement liées aux guerres extérieures et civiles. Mais au-delà de ces situations paroxystiques, il faudrait que les gouvernements et les bailleurs de fonds internationaux rompent autrement qu’en paroles avec les priorités adoptées au cours des dernières décennies, qui font des paysans les grands oubliés des politiques de développement. Ainsi, la part des budgets publics affectée à l’agriculture n’atteint pas 5% en moyenne en Afrique, alors qu’une majorité de la population demeure rurale ! Or on ne va pas nourrir le monde en 2050 via le développement de la production dans les pays du Nord, qui eux devraient plutôt la plafonner, voire la réduire, pour des raisons écologiques. En outre, on a bien vu les limites du modèle fondé sur les importations ces dernières années, notamment en 2008 quand la flambée des prix agricoles et les restrictions aux exportations décidées par certains pays ont suscité de nombreuses émeutes de la faim dans d’autres pays. Au-delà des mesures qui serviraient à stabiliser les cours et notamment le financement public de stocks permettant de contrer la spéculation, les pays du Sud devraient développer leurs capacités agricoles et recouvrer leur souveraineté alimentaire en rompant avec le libre-échange. Ils devraient surtout relancer la production (et la consommation urbaine) des produits agricoles traditionnels, souvent mieux adaptés aux conditions climatiques, tel le mil en Afrique de l’Ouest. Le développement de la consommation des trois céréales mondialisées – le riz, le blé et le maïs – renforce en effet la dépendance alimentaire à l’égard de l’extérieur. Enfin, si l’économie verte est une économie qui répond aux besoins des gens tout en respectant la nature, il est temps de prendre conscience que 43% de la population mondiale est encore faite de paysans. Les politiques agricoles ne doivent pas seulement concerner ce qui est produit, mais aussi, voire d’abord, qui le produit. C’est d’abord des paysans dont il doit être question.

Apprendre à manger mieux et différemment Enfin, il va falloir tous apprendre à manger mieux et différemment. Les modèles alimentaires demeurent extrêmement différents d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre. Rien de commun entre l’alimentation d’un Américain et d’un Thaï, d’un Néerlandais et d’un Italien. Dans certains pays, une alimentation industrialisée consommée à toute heure domine tandis que dans d’autres, la cuisine de terroir, l’attachement aux produits locaux demeurent forts tout comme la pratique du repas pris en commun à heures fixes. Pour autant, si nous voulons nourrir l’humanité en 2050, certains objectifs peuvent être formulés qui vont devoir être appliqués dans de larges parties du globe. Il va déjà falloir manger moins de viandes et réduire fortement les pertes entraînées par les modes de distribution et les modes de vie actuels. Manger moins de viandes et, par voie de conséquence, moins de produits laitiers, puisque pour produire une ration de viande ayant un apport calorique équivalent à 100 g de céréales, il faut donner au bétail une quantité d’aliments équivalentes à 300 g de céréales. La nourriture du bétail vient donc concurrencer la nourriture des hommes. En outre, une diminution du nombre de têtes de bétail, gros émetteur de méthane contribuerait très fortement à la lutte contre le changement climatique, ce gaz ayant un effet de serre plus puissant que le CO². On a pu estimer qu’une réduction de 25% de

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notre consommation de viande, compte tenu de l’effet sur l’ensemble du cycle de vie du bétail (bovins, porcins et volaille) suffirait à atteindre les objectifs de réduction des émissions discutés lors des dernières conférences sur le climat (et non mis en œuvre). Là encore, il ne s’agit pas de revenir à l’âge de pierre, ni d’adopter une alimentation à deux vitesses, qui verrait les plus riches continuer à consommer une alimentation variée, tandis que les plus pauvres seraient réduits à manger des bouillies de céréales (biologiques) ! Au contraire, l’enjeu est de modifier nos modèles alimentaires, pour aller vers une alimentation moins riche en protéines animales, mais qui peut être tout autant plaisante si elle associe des produits variés, bons et frais, à la manière de ce que promeut le mouvement slow food. L’industrie agro-alimentaire a démocratisé les modes d’alimentation longtemps réservés aux plus aisés, mais souvent au prix d’une dégradation de la qualité des produits. Il faut rompre avec cette logique. Enfin, l’enjeu est d’articuler les évolutions souhaitables de nos modes alimentaires avec les transformations également souhaitables de nos modes de vie. Dit clairement, manger mieux, c’est aussi, grâce à la réduction du temps de travail contraint, disposer du temps permettant de cuisiner à nouveau plutôt que d’ouvrir une barquette sous vide. Restera enfin à réduire le gâchis, qui prévaut aujourd’hui, qui conduit à perdre de 30% à 50% de la production agricole tout au long de la chaîne alimentaire. Sans développer ce point, rappelons au passage qu’une grande partie de ces pertes sont faites à nos domiciles : produits périmés qui s’entassent dans nos frigos, assiettes trop pleines qui finissent à la poubelle. L’abondance et les faibles prix encouragent ces pratiques. Il va falloir apprendre à finir ce que nous avons dans nos assiettes. Quitte à moins les remplir. Mais avec de bonnes choses !

[Encadrés]

• Les Amap, au service d’une alimentation durable Les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) existent depuis plus d’une quinzaine d’années en France. On en dénombre aujourd’hui 1 500, qui distribuent de l’ordre de 80 000 paniers de produits chaque semaine, des produits généralement issus de l’agriculture biologique. L’objectif est de permettre à des consommateurs d’acheter à un prix « juste » des produits d’alimentation de qualité, en étant informés de leur origine et de la façon dont ils ont été produits. Et de participer activement à la sauvegarde et au développement de l’activité agricole locale dans le respect d’un développement durable. Un partenariat s’établit entre un groupe de consommateurs et un agriculteur ou un groupe d’agriculteurs de proximité, de quoi revivifier souvent l’agriculture périurbaine. Les consommateurs s’engagent par contrat en début de saison à acheter une part de la production (légumes, viandes, fromage, œufs...) qui leur est livrée ensuite chaque semaine à prix constant. Une logique proche de celle du commerce équitable.

• L’exemplarité du commerce équitable Le commerce équitable a connu un développement rapide ces dernières années. Ses ventes représentent aujourd’hui un marché, au niveau mondial, de 3.5 milliards d’euros, qui porte à 80% sur des produits agricoles. De quoi assurer une plus grande sécurité à huit millions de personnes, dans les pays en développement d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Au risque de décevoir ses promoteurs, disons-le tout net, le commerce équitable ne suffit pas à engendrer une dynamique de développement, même s’il y contribue. Quand nous achetons un téléphone mobile Samsung ou une voiture Hyundai, nous ne demandons pas si elle est issue du commerce équitable. Or la Corée du Sud, en 1945, avait un niveau de vie voisin de celui du Kenya. Si elle est devenue un pays industrialisé, c’est d’abord en élevant le niveau d’éducation de sa population, en investissant massivement dans les infrastructures, et en offrant un climat favorable à ses entrepreneurs. Mais aussi en réalisant une réforme agraire qui, en enrichissant les campagnes, a aussi offert des débouchés à son industrie naissante. Enrichir les paysans, au-delà de la dimension sociale de l’objectif, est donc aussi une condition du développement économique. En leur permettant d’investir, d’accroître les rendements et la productivité, en leur

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permettant d’envoyer leurs enfants à l’école, de mieux se soigner... Mais cela suppose que le prix des produits agricoles soit suffisamment rémunérateur. Les économistes expliquent qu’il serait malheureusement impossible de réguler les cours des matières premières : dès que les prix s’élèvent, en raison d’une mauvaise récolte par exemple, de nouveaux entrants arrivent sur le marché et provoquent rapidement une brutale chute des cours. De fait, les expériences de régulation ont généralement tourné court et la Banque mondiale en est réduite à proposer aux paysans de vendre à terme leurs productions pour stabiliser les revenus. Mais les lois de l’économie ne sont inexorables qu’aussi longtemps qu’aucune autorité politique ne les encadre au niveau national ou international. La politique agricole commune (PAC), en dépit de ses faiblesses, témoigne ainsi qu’il est tout à fait possible, sur longue période, d’assurer aux agriculteurs un niveau de revenus qui soutienne la comparaison avec celui des populations urbaines. Cela suppose d’agir soit sur les prix, en garantissant un niveau minimum, soit sur les quantités, afin d’équilibrer offre et demande et éviter toute surproduction, soit enfin d’apporter des aides directes au revenu. Et le résultat est là. Le commerce équitable, en assurant des revenus stables et prévisibles aux producteurs constitue donc en quelque sorte une sorte de « mini-Pac » mondiale, reposant sur l’engagement volontaire des consommateurs. Une manière d’affirmer, en payant à peine plus cher notre café, notre chocolat ou nos bananes, que nous ne sommes pas seulement des consommateurs soucieux de payer le moins cher possible, mais aussi des citoyens qui considèrent que lorsque nous entrons en relations avec d’autres communautés humaines, via le commerce international, nous ne pouvons nous désintéresser de leurs conditions de vie. Dit clairement, le café est meilleur quand on sait que celui qui l’a produit en tire une rémunération qui lui permet de vivre dans la sécurité et la dignité, d’envoyer ses enfants à l’école, etc. Acheter équitable, c’est refuser une mondialisation qui prend la forme de la guerre de tous contre tous.

(1) Surface agricole utile (SAU) : territoire consacré à la production agricole, composé de terres arables (grande culture, cultures maraîchères, prairies artificielles, jachères...), cultures pérennes (vignes, vergers...) prairies et alpages. Elle n’inclut pas les bois et les forêts.

(2) Intrants : engrais, pesticides, produits pour le bétail,... utilisés dans la production agricole.

Document 2 L’indigestion qui vient, Benoît Bréville, Manière de voir, Le Monde Diplomatique, Août/Septembre 2015 Une carcasse artificielle tombe sur la chaîne de production d'une usine aseptisée. Recouverte par une épaisse pâte blanche sortie d'un bras métallique, elle passe ensuite par une machine qui lui donne l'aspect d'un poulet bien en chair auquel on aurait coupé la tête et les pattes. Quelques pulvérisations de colorant plus tard, la volaille est empaquetée, prête à être vendue. Extraites de L'Aile ou la Cuisse, un film populaire dans lequel Louis de Funès interprète un critique gastronomique en guerre contre un géant de la restauration collective, ces images présentaient en 1976 un caractère saugrenu, propre à susciter l'hilarité. Quarante ans plus tard, la réalité a dépassé la fiction et le rire a viré jaune. De la nourriture fade et vite expédiée a remplacé les mets savoureux sur les tables des foyers et des restaurants. Des produits qui n'ont plus rien de naturel ont envahi les étals des supermarchés : des tomates et des fraises sans goût, produites hiver comme été dans des serres surchauffées, à coups d'engrais et de fongicides ; des plats préparés avec du « minerai de bœuf », un mélange de viande, de peau, de gras et de viscères dans lequel se nichent parfois des bouts de cheval ; des pizzas garnies au « fromage analogue », qui a toute l'apparence du vrai fromage mais ne contient pas une goutte de lait. Et même des petites croquettes de poulet baptisées « nuggets », dont la méthode de fabrication paraît tout droit sortie du film de Claude Zidi : il s'agit en fait d'une pâte de volaille recomposée, enduite de panure puis passée à la friteuse.

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Tous ces produits sont arrivés dans les assiettes sans rencontrer de résistance majeure. Non pas que les consommateurs soient particulièrement friands de denrées chimiques ; mais parce qu'ils y ont trouvé un avantage économique et qu'on leur a beaucoup répété, là aussi, qu'il n 'y avait pas d'alternative. Selon une idée largement entretenue par les multinationales de l’agroalimentaire - mais contredite par de nombreuses études (1)-, il serait en effet impossible de nourrir toute la planète avec des produits frais, sains et à des prix raisonnables. Il faudrait donc s'accommoder de l'intensification de l'élevage et de l'agriculture, de l'usage des pesticides et des farines animales, de la standardisation des denrées, et n'y voir que des inconvénients nécessaires à la démocratisation de l'alimentation. D'ailleurs, renchérissent les thuriféraires de la malbouffe, cet ingénieux mode de production n'a-t-il pas fait chuter la part de budget qu'un ménage français consacre à se nourrir de 40,8 % en 1958 à 20,4 % en 2013(2) ? L’alimentation bon marché a pourtant un coût - social, sanitaire, environnemental -, d'autant plus visible que les habitudes de consommation des pays occidentaux se diffusent à travers le monde. Pour proposer des produits à bas prix, le complexe agro-industriel écrase les salaires et précarise des dizaines de millions de travailleurs : les fruits et légumes vendus par la grande distribution (où s'effectuent 75% des dépenses alimentaires en France) sont récoltés par des saisonniers ou des immigrés clandestins sous-payés, transportés par des chauffeurs routiers qui ne comptent plus leurs heures, vendus par des caissières embauchées au tarif minimum. En outre, les denrées industrielles, riches en gras saturés, en sucre et en sel, sont particulièrement caloriques. Consommées en quantité importante - comme la publicité y invite -, elles favorisent le surpoids et l'obésité, et donc la diffusion de maladies comme le cholestérol, le diabète, l'hypertension. Deux cent mille Américains meurent chaque année d'une affection liée à leur tour de taille. A l'échelle mondiale, le nombre de personnes en surpoids (environ un milliard et demi) excède celui des malnutris (environ huit cents millions). Un second « fardeau de la nutrition » est ainsi venu se greffer au mal de la faim. Déforestation, pollution des nappes phréatiques, appauvrissement des sols et destruction de la biodiversité : le productivisme alimentaire a enfin des conséquences funestes sur l'environnement. A elle seule, l'industrie de la viande accapare 78 % des terres agricoles de la planète ; elle est responsable de 80% de la déforestation de l'Amazonie et de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre causées par l'homme. Sachant qu'il faut quinze mille litres d'eau et sept kilos de céréales pour produire un kilo de bœuf, et que, par exemple, trois mille kilos de bœuf sont consommés chaque minute en France, il suffit ensuite de faire le calcul... Pour parer au carambolage écologique, certains envisagent d'accélérer la fuite en avant scientifique. Des biologistes et des généticiens ont ainsi mis au point le « steak synthétique », entièrement fabriqué en laboratoire, et l'œuf artificiel, conçu sans poule. Mais d'autres, toujours plus nombreux, prônent le retour à une agriculture locale, respectueuse de l'environnement et affranchie des chaînes de la grande distribution. Cette solution demeure cependant circonscrite à la minorité de la population qui peut s'offrir le luxe de se nourrir correctement sans trop amputer d'autres dépenses essentielles. Les classes populaires, elles, demeurent largement captives des produits de l'agrobusiness. Ainsi, le combat pour l'alimentation est également politique et social : permettre à chacun de disposer des moyens d'accéder à une nourriture de qualité.

(1) Voir par exemple « Le droit à l’alimentation, facteur de changement », rapport final, Organisation des nations unies, New York, janvier 2014.

(2) Olivier Wieviorka (sous la direction de), La France en chiffres de 1870 à nos jours, Perrin, Paris, 2015 ; « Les comptes de la nation en 2013 », Institut national des statistiques et des études économiques, Paris, mai 2014.

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Document 3 Pourquoi et comment végétaliser notre alimentation, (extraits), Dossier publié par L214, viande.info.org

L214 Éthique & Animaux se définit comme « une association de protection animale œuvrant pour une pleine reconnaissance de la sensibilité des animaux, et révélant leurs conditions d'élevage, de transport, de pêche et d'abattage ».

Du côté de l’élevage Sous-alimentation L’élevage détourne des ressources nécessaires à l’alimentation humaine 33% des terres cultivables de la planète sont utilisées à produire l’alimentation des animaux d’élevage ; 26% de la surface des terres émergées non couvertes par les glaces est employée pour le pâturage. Au total, ce sont 70% des terres à usage agricole qui, directement ou indirectement, sont consacrées à l’élevage. 35,5% du volume des céréales produites dans le monde sert à nourrir les animaux d’élevage. La production mondiale de soja, en expansion très rapide, est principalement destinée à l’alimentation animale. Tant les céréales que le soja sont des denrées hautement nutritives, directement consommables par les humains. Les affecter à l’alimentation animale constitue un détour de production particulièrement inefficace. [...] L’élevage : un gaspillage

Le tableau ci-dessus, établi par WWF, compare les surfaces nécessaires pour produire un kilo de différents types d’aliments : Un rapport de la FAO(1) de 1992 indiquait que les animaux sont de piètres convertisseurs d’énergie en alimentation humaine : si on les nourrit avec des céréales, ils ingèrent en moyenne 7 kcal pour en restituer une sous forme de viande (3 kcal pour les poulets, 16 kcal pour les bovins).

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Le président du GIEC, Rajendra Pachauri, illustre d’une autre façon cette inefficacité : il faut 7 à 10 kg de végétaux pour faire 1 kg de viande de bœuf, 4 à 5,5 kg pour 1 kg de viande de porc. Élevage et émissions de GES En 2006, un rapport de la FAO indiquait que l’élevage était responsable de 18% des émissions annuelles des gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique dans le monde. S’il existe des divergences sur les chiffres, le rôle de l’élevage dans les émissions des GES est incontestable. [...] En avril 2010, la FAO a publié un rapport sur la contribution spécifique du secteur laitier à l’émission de GES, qu’elle a évalué à 4% des émissions d’origine anthropique. En France, 9,2% du total des émissions de GES sont attribuées à l’élevage selon l’évaluation du CITEPA. Il serait erroné d’en conclure que la contribution de l’élevage français à l’effet de serre est inférieure à la moyenne mondiale (18% selon la FAO) : en effet les deux organismes utilisent une méthodologie différente, de sorte que leurs chiffres ne sont pas comparables. [...] Élevage et déforestation L’élevage extensif et le soja exporté comme aliment du bétail sont la première cause de la déforestation selon Alain Karsenty, économiste au Centre de coopération internationale pour le développement et expert auprès de la Banque mondiale. Après une enquête de 3 ans publiée en juin 2009, Greenpeace affirme que l’élevage bovin est responsable à 80% de la destruction de la forêt amazonienne. Avec une superficie de six millions de kilomètres carrés, la forêt amazonienne est la plus grande zone de forêt primaire tropicale de la planète. Durant les quarante dernières années, 800 000 km2 de forêt amazonienne ont été détruits. Actuellement, ce chiffre est de 14 000 km2 par an et s’accélère à cause de l’augmentation de la production de viande qui oblige à gagner du terrain sur la forêt pour faire plus d’élevage. L’Union européenne, dont la superficie des forêts augmente, est le 4ème importateur de bovins derrière les USA, la Russie, et le Japon. En outre, 80% des importations de bovins de l’UE viennent d’Amérique du Sud. La France est le premier consommateur européen de viande bovine. Ainsi la consommation de viande en Europe et en France est une cause de la déforestation en Amérique du Sud. Cette déforestation, en pleine accélération, cause 20% des émissions mondiales de GES (combustion massive de matière organique), perturbe le cycle de l’eau (la végétation et l’humus stockent et diffusent l’humidité) et réduit la biodiversité par la destruction de l’habitat de millions d’espèces végétales et animales. En outre, le compactage des sols, piétinés par le bétail, empêche les infiltrations d’eau et provoque des ruissellements qui érodent les sols et privent d’eau les derniers végétaux, rendant les terres inutilisables. Gaspillage d’eau La Terre a des ressources en eau limitées. La FAO estime que nous disposons globalement de 9 000 à 14 000 km3 d’eau utilisables soit 5 640 L d’eau par jour et par personne au mieux aujourd’hui, 4 260 L d’eau par jour et par personne au mieux en 2050. Environ 5 000 L d’eau sont nécessaires pour produire 1 000 kcal d’aliments d’origine animale, 1 000 L si l’origine est végétale. En se basant sur la consommation de 2005, en moyenne par jour en France, 3603 kcal ont été consommées dont 1229 kcal d’origine animale et 2374 kcal d’origine végétale. 8519 L d’eau par personne ont donc été nécessaires pour produire cette nourriture ce qui est largement excessif par rapport à l’eau disponible. En adoptant une alimentation végétale, on peut ramener cette quantité d’eau à 3603 L.

(1) Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

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Document 4 La petite agriculture, clé de la sécurité alimentaire dans le monde, Laetitia Van Eeckhout, Le Monde, 17 octobre 2014 A l’occasion de la Journée de l’alimentation, la FAO appelle à faire du soutien aux exploitations familiales une priorité.

Première forme d’agriculture dans le monde avec près de 500 millions d’exploitations, l’agriculture familiale produit aujourd’hui plus de 80 % de l’alimentation mondiale. « Les exploitations agricoles familiales sont l’une des clés de la sécurité alimentaire et du développement rural durable », affirme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui publie, jeudi 16 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, un rapport appelant à « ouvrir l’agriculture familiale à l’innovation ».

Alors qu’elle a longtemps été laissée en déshérence, le soutien à la petite agriculture s’impose de plus en plus au sein de la communauté internationale comme une priorité dans les pays du sud qui permettra de lutter contre la faim. D’autant que ces exploitations familiales sont aussi les premières touchées par l’insécurité alimentaire, rappelle la FAO. Sur les 805 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, 70% sont des petits producteurs de nourriture.

« L’appui public à l’innovation doit tenir compte de la structure particulière de l’agriculture familiale dans chaque pays et chaque contexte », insiste l’organisation onusienne dans son rapport, précisant que « la grande majorité des exploitations agricoles dans le monde sont petites voire très petites, et dans bon nombre de pays à faible revenu ne cessent de voir leur superficie diminuer ». Dans les pays les moins avancés, plus de 95 % des exploitations font moins de 5 hectares.

Petites exploitations qui ont été les grandes oubliées des trente dernières années : les investissements agricoles ont favorisé les grandes filières agro-industrielles destinées à l’exportation, au détriment de l’essor des marchés locaux et des infrastructures nécessaires au développement et à la consolidation de cette agriculture familiale.

« Faute de stockage, de moyens de conservation, de transports pour écouler leur marchandise, les petites exploitations africaines subissent jusqu’à 15 % de pertes après récolte, souligne Salifou Ouedraogo, directeur Afrique de l’Ouest de l’ONG SOS Sahel. Et ne pouvant suffisamment se développer et diversifier leur production, elles sont d’autant plus vulnérables aux aléas climatiques et aux crises alimentaires ».

Amortir les aléas climatiques

En 2003, les Etats africains ont pris l’engagement d’accroître leurs investissements dans le secteur agricole avec l’objectif de lui affecter 10 % de leur budget. « Si des pays comme le Ghana, la Côte-d’Ivoire, le Burkina Faso ont atteint voire dépassé cet objectif, dans la plupart des Etats africains, l’investissement public agricole ne dépasse toujours pas les 5 % », observe Salifou Ouedraogo.

Les priorités pour aider les petits agriculteurs à échapper à la pauvreté doivent porter sur plusieurs fronts : développer les infrastructures pour améliorer l’accès aux marchés, favoriser l’accès aux intrants afin d’accroître les rendements, sécuriser les droits fonciers des usagers des terres agricoles, mettre l’accent sur la recherche agronomique de variétés mieux adaptées aux conditions locales ou encore promouvoir des pratiques agricoles permettant d’amortir les effets des aléas climatiques. Tout en soulignant leur « insuffisance » aujourd’hui dans nombre de pays, la FAO insiste sur le caractère « particulièrement rentable » des « investissements publics de recherche-développement agricole ».

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Des affirmations que n’ont pas pleinement prises en compte les représentants des Etats membres de la FAO, réunis à Rome du 13 au 19 octobre pour la 41ème session du Comité de sécurité alimentaire (CSA), ont déploré, mercredi 15 octobre, les organisations de la société civile (ONG, organisations paysannes, mouvements sociaux) représentées, à titre consultatif, au sein de cette instance.

Mercredi, le CSA a adopté, après deux ans de négociations, les « Principes d’investissement responsable dans l’agriculture », un texte de recommandations qui n’accorde, dénoncent les ONG « aucune priorité à l’investissement public » nécessaire au renforcement de l’agriculture familiale et des pratiques agro-écologiques. « Il n’exclut a priori aucun investissement et ne définit pas ce qu’est un investissement responsable », regrette Clara Jamart en charge des questions de sécurité alimentaire à Oxfam France. « Un silence », qui pour les ONG, « perpétue les pratiques agricoles qui portent préjudice aux individus et à la planète ». Pratiques, s’alarment-elles, qui pourront désormais se prévaloir du label d’investissement responsable.

Document 5 L’alimentation devrait être un droit de l’homme, interview de François Collart-Dutilleul

par Catherine Calvet et Béatrice Vallaeys, Libération, Rebonds, 22 mars 2014 Comment lutter autrement contre la faim dans le monde ? Le juriste François Collart-Dutilleul propose de ne pas soumettre la nourriture au libre-échange et d'ajuster les ressources naturelles aux besoins sociaux. Selon l'une des conclusions du dernier rapport des Nations Unies, 1,2 milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde. Olivier De Schutter, successeur de Jean Ziegler au poste de rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation, y dresse un constat d'échec avant l'échéance de son dernier mandat, fin avril. François Collart- Dutilleul, juriste, spécialiste du droit de la sécurité alimentaire et professeur à l'université de Nantes, a lancé il y a cinq ans un projet ambitieux baptisé Lascaux : pas moins de 400 chercheurs des cinq continents contribuent à l'édification d'un arsenal juridique efficace pour lutter contre la faim et la malnutrition. Libé : Pourquoi « Lascaux » ? François Collart-Dutilleul : Pour peindre les grottes de Lascaux, il fallait disposer de temps, donc vivre dans une certaine sérénité alimentaire. Ce qui supposait une organisation sociale où nos ancêtres que l'on dit primitifs distribuaient les tâches permettant à certains de consacrer leur temps à peindre. Le choix de ce nom souligne combien nourrir les gens n'est pas seulement leur sauver la vie, c'est aussi sauver l'humanité. Libé : Comment définir le droit à l'alimentation ? François Collart-Dutilleul : Il ne figure pas dans la déclaration des droits de l'homme mais dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pidesc) qui date de 1966. Le droit à l'alimentation s'y confond un peu avec le droit à des moyens de subsistance. Mais les droits de l'Homme sont presque une notion dangereuse pour le droit à l'alimentation. Parce qu'il peut entrer en concurrence avec un autre droit de l'Homme, le droit à la propriété. Un exemple : l'Argentine avait confié la gestion de son eau potable à une société internationale, Aguas Argentinas. En 2001, après une crise économique terrible, environ 600 000 personnes de la province de Santa Fe n'avaient plus accès à l'eau potable, devenue trop chère. L'Argentine décide de rompre le contrat avec la multinationale. Laquelle se retourne contre l'Argentine, au nom de la violation du droit de propriété. Libé : Qui a gagné ? François Collart-Dutilleul : Aguas Argentinas, la société privée, car le droit de propriété est un droit plein, tangible. L'Etat argentin a perdu car le droit à l'eau ou le droit à l'alimentation sont vides. Tout le combat est de leur donner un peu de contenu. Sinon l'injustice perdurera. Libé : Sur quoi le programme Lascaux s'appuie-t-il ?

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François Collart-Dutilleul : Un texte fondamental que nous voulons ressusciter : la charte de La Havane. C'est une très belle histoire. En pleine Seconde Guerre mondiale, Franklin Roosevelt réunit trois grandes conférences internationales. L'une à Hot Springs sur l'agriculture et l'alimentation, l'autre à Philadelphie sur le travail, et la dernière à Bretton Woods sur la finance. A Hot Springs, en 1943, Roosevelt déclare que les produits de l'agriculture ne sont pas des produits comme les autres. A Philadelphie, en 1944, est inscrite l'idée que « le travail n'est pas une marchandise ». Et à Bretton Woods (la même année, ndlr), on décide que les monnaies ne doivent pas jouer entre elles et sont toutes fixées sur le prix de l'or. Voilà trois grandes ressources sanctuarisées, jusqu'à ce que Nixon casse la règle de Bretton Woods en 1974. Mais en 1948, trois mois avant de mourir, Roosevelt, décidément clairvoyant, lance une grande négociation internationale, qui aboutira à la charte de La Havane ou « Charte du commerce international et du plein-emploi » ! Que dit cette charte de fondamental ? Dans un chapitre entier, le chapitre VI, il est inscrit que les produits de la nature, l'alimentation, l'eau, la pêche, les forêts et les sous-sols (énergie et minerais) dérogent au libre-échange car ils doivent satisfaire à plusieurs objectifs dont la sécurité alimentaire, le développement économique et la préservation des ressources naturelles... Malheureusement, la charte de La Havane n'a jamais été ratifiée. Le projet Lascaux milite pour un retour au chapitre VI adapté à notre époque. L'alimentation devrait être un droit de l'homme. Libé : Concrètement, quelles sont les pistes de travail des chercheurs de Lascaux ? François Collart-Dutilleul : Nous proposons des solutions à des problèmes qui opposent des Etats, comme lors d'une conférence à Bali en décembre, dans le conflit entre les Etats-Unis et l'Inde. L'Inde doit nourrir ses pauvres, même quand les prix des denrées alimentaires flambent. Pour cela, elle doit constituer des stocks quand les prix sont bas. Elle peut ainsi pratiquer des prix réglementés, ce qui est contraire aux règles de l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons donc proposé d'instaurer une règle de l'exception alimentaire. L'Unesco a bien fait admettre une exception culturelle, pourquoi pas une exception alimentaire ? Ce qui vaut pour la vie de l'esprit doit bien valoir aussi pour la vie du corps. Autre exemple : il n'existe aucune instance internationale où l'on discute à la fois de commerce et de droits de l'homme, sans parler de l'environnement... Entre novembre et décembre 2009, trois conférences internationales ont échoué. A Copenhague sur le réchauffement climatique, à Genève sur les règles de I'OMC (Organisation mondiale du commerce) et enfin à Rome sur la sécurité alimentaire. Or, on ne peut pas négocier sur la sécurité alimentaire sans se soucier du commerce et du climat et vice-versa. Le commerce, l'environnement et le social constituant les trois piliers du développement durable, il suffit que les trois présidents de ces trois conférences se rencontrent. Nous proposons que chaque négociation intègre une partie de la problématique des deux autres. Libé : Vous combattez aussi une idée très répandue selon laquelle la qualité nutritionnelle serait le problème du Nord et la quantité le problème du Sud. François Collart-Dutilleul : En effet, il est très réducteur de prétendre qu'au Sud le problème serait quantitatif et au Nord, qualitatif. Il y a une obésité des pauvres comme il y a une obésité des riches, les déséquilibres sont simplement différents. Le Sud, il est vrai, additionne les problèmes de quantité et de qualité. Or, il ne suffit pas de considérer seulement l'approvisionnement. Le lait concentré qui empêche de mourir à court terme ne peut constituer une alimentation de qualité. Et au Nord, il ne faut pas oublier les 20 millions de personnes qui ne mangent pas à leur faim comme en Europe. Un peu moins aux Etats-Unis. Libé : Comment faire pour assurer la qualité ? François Collart-Dutilleul : Plutôt que de souveraineté alimentaire, je parlerais de démocratie alimentaire. La souveraineté consiste à redonner une marge de manœuvre aux Etats face aux règles de I'OMC. C'est bien mais insuffisant. Car cela suppose un Etat raisonnable. Il faut donc pousser la souveraineté jusqu'aux besoins réels des populations, ne pas s'arrêter aux Etats qui, on le voit, sont rarement raisonnables. Une démocratie alimentaire sous-entend une citoyenneté alimentaire mondiale. Mon assiette correspond-elle au monde tel que je le souhaite ? Quand je mange une pizza, la sauce est souvent faite à partir de tomates d'Andalousie qui sont envoyées en Chine et qui reviennent sous forme de sauce. Ces tomates ont donc parcouru 20 000 km. Ce que je mets dans mon assiette est une image du monde. Si plus personne ne mange la sauce tomate qui fait 20 000 km, on ne la produira plus.

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Libé : On dénonce souvent les prix élevés des produits de qualité... François Collart-Dutilleul : En 1945, l'alimentation représentait 50% du budget des familles et le logement 16 ou 17% seulement. Aujourd'hui, c'est l'inverse. La vraie question n'est donc pas de savoir si l'alimentation de qualité est trop chère, mais si ce n'est pas le logement qui l'est devenu. Quand on donne 50% pour le logement, où va l'argent ? Aux propriétaires, aux banques qui prêtent, aux promoteurs et aux spéculateurs. Quand on paie de la nourriture, une grande part de l'argent va tout de même aux producteurs, aux agriculteurs. Ce ne sont ni la démographie ni l'immigration qui posent problème, mais l'inadéquation entre population et ressources. Libé : Comment mesurer nos besoins et nos ressources ? François Collart-Dutilleul : Les entreprises embauchent et débauchent pour ajuster leurs ressources à leurs besoins. Les collectivités devraient raisonner de même avec les ressources naturelles. Mais, curieusement, on ne sait pas évaluer un capital de ressources naturelles. Par exemple, Notre-Dame-des-Landes. Les 1 700 hectares sont-ils plus utiles pour nourrir la ville de Nantes ou pour construire un aéroport ? Jusqu'à présent, ses opposants n'invoquent que la protection de l'environnement. C'est comme si on nous commandait de vivre sans jamais nous dire combien cela coûte. On ne sait jamais de quelles ressources on dispose mais on dépense. Même le droit international ne permet pas à un Etat d'ajuster ses ressources à ses besoins. Libé : C'est-à-dire... François Collart-Dutilleul : Les règles de I'OMC interdisent à un Etat de contingenter ses exportations et ses importations. Il ne peut pas décider d'affecter une production à une population en circuit court en échappant à l'importation et donc à la spéculation. Donc je propose de penser une loi d'ajustement des ressources naturelles et des besoins sociaux, ne serait-ce qu'en complément de la loi d'ajustement de l'offre et de la demande. Libé : Ce que vous nommez aussi loi de la vie ? François Collart-Dutilleul : Oui, c'est à la base de tout système biologique. Le coquelicot ne fait qu'ajuster ses ressources à ses besoins. Il ne capitalise pas, ne prend jamais plus que ce qui est utile à sa survie. Et là où il pousse, il reste de quoi nourrir la génération suivante. Si le coquelicot sait le faire... Cette loi est essentielle et personne n’en discute. On ne nous parle de que la loi du marché dont on a rien à faire. Document 6 Pour une alimentation durable, ALine, Durabilité de l’Alimentation face à de nouveaux enjeux (extraits), éditions quae, 2011 Les circuits courts et la volonté d’instaurer une démocratie alimentaire Depuis quelques années se développe un faisceau d’initiatives revendiquant l’établissement de relations plus directes entre production agricole et consommation alimentaire, ou entre producteurs agricoles et consommation alimentaire, ou entre producteurs agricoles et consommateurs, cherchant ainsi à réhabiliter des formes anciennes de système alimentaire plus localisées. Il s’agit désormais, pour des organisations locales de consommateurs, pour des collectifs de producteurs et de consommateurs ou pour des collectivités territoriales, d'organiser concrètement des systèmes d'approvisionnement alimentaire dont le contrôle n'est plus délégué à des tiers, mais exercé par les participants qui s'y engagent. Un examen de la littérature de sciences sociales en langue anglaise consacrée à l’analyse de ces systèmes alternatifs fait apparaître que si peu d’entre eux se réclament explicitement du développement durable, leur positionnement par rapport au système « dominant » se fait sur la base de critiques renvoyant aux impasses environnementales supposées de ce dernier, à son manque d’équité (réservant les produits de qualité aux consommateurs les plus fortunés) et à la sélection des producteurs conduisant à l'exclusion de nombre d'entre eux parmi les moins dotés en capital ou technicité, ou les plus exposés à la concurrence des pays à bas coût du travail. Selon les pays, les priorités revendiquées par les promoteurs de ces systèmes varient : accès à une nourriture saine pour les populations défavorisées, réponse aux crises sanitaires attribuées au système

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dominant, défense ou promotion de modes de production « paysans » ou « biologiques » et de modes de consommation plus équilibrés et respectant les cycles saisonniers... Cette variété se retrouve dans celle des formes d'organisation concrètes que prennent ces systèmes, depuis les plus médiatisés comme les collectifs consommateurs-producteurs (teikei japonais, community supported agriculture anglo-saxons, Amap (associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) françaises) ou le renouveau des marchés paysans dans des pays où ils avaient disparu, jusqu’à des formes d'organisation développées à d'autres échelles, comme les Food Policy Councils où l'action vise à maîtriser l’approvisionnement alimentaire au niveau de collectivités territoriales, au travers par exemple de la restauration collective ou de l’aide alimentaire aux plus démunis.

Si la grande majorité, sinon la totalité de ces systèmes se base sur des relations plus directes et de proximité entre production agricole et consommation alimentaire, leur réduction à la notion de circuits courts, comme c'est le cas actuellement en France au niveau du réseau rural français, masque en grande partie la dimension politique stratégique qu'ils représentent pour leurs promoteurs sinon pour l'ensemble de ceux qui y sont engagés. Des termes comme ceux de citoyen alimentaire (food citizen) ou plus communément de démocratie alimentaire (food democracy) illustrent cette volonté de politiser la question alimentaire en associant conjointement groupes de producteurs et de consommateurs finaux au niveau de petits collectifs comme à celui de collectivités élues. Il s’agit pour les consommateurs et/ou pour les producteurs de reconquérir un pouvoir collectif de décision au sein des systèmes agroalimentaires et de ne plus déléguer celui-ci aux opérateurs du marché ou aux structures administratives de régulation et de contrôle.

Les promoteurs des circuits courts cherchent donc à construire des systèmes alimentaires plus durables en agissant principalement sur ce que l’on a présenté comme le quatrième pilier du développement durable, à savoir la gouvernance de ces systèmes. Ils semblent opérer ensuite une hiérarchisation implicite entre les autres piliers, faisant primer la dimension sociale sur les dimensions économique et environnementale.

L’impact des circuits courts sur ces différents piliers reste cependant débattu. Certaines analyses critiques mettent l’accent par exemple sur :

• La faible évidence d’avantages de la proximité en matière de consommation énergétique ou d’émission de gaz à effet de serre ;

• La sélection sociale qu’ils opèrent malgré leur aspiration à répondre aux problèmes nutritionnels des populations défavorisées ;

• Les risques des nouvelles formes de soumission des producteurs agricoles à des groupes urbains ; • Les inégalités régionales que ne manquent pas de provoquer la relocalisation de l’approvisionnement

alimentaire, voire le développement de formes de protectionnisme ou de « racisme alimentaire ».

Au niveau économique, la capacité de ce mode de distribution à répondre quantitativement aux besoins alimentaires fait également débat.

[...]

Le développement de l’agriculture biologique et son impact économique, social et environnemental

L'agriculture biologique est assez naturellement classée dans l'agriculture durable. Elle l’est par le gouvernement français (cf. conclusions du Grenelle de l'Environnement), par l’Union européenne, qui l’intègre dans sa stratégie en faveur du développement durable, par la FAO. qui y voit un élément de renforcement de !a sécurité alimentaire... L’impact de l'agriculture biologique sur les trois piliers du développement durable est cependant interrogé dans la littérature scientifique.

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Au niveau environnemental, de nombreuses études mettent en avant un impact positif provenant à la fois de la non-utilisation de produits chimiques de synthèse et de la mise en place d'un plan de rotation des usages des terres. Cependant, la question de l'émission des gaz à effet de serre reste controversée, peu d'études intégrant l'évaluation du transport.

Il existe par ailleurs une réelle diversité de modèles de développement de l’agriculture biologique. Les études comparant un modèle unique avec une agriculture conventionnelle, elle aussi considérée sur la base d’un seul modèle, ont-elles une réelle valeur ? Plus généralement, certains auteurs soulignent l’incomplétude des études d'impact, qui se sont focalisées sur certains secteurs ou qui ont négligé certains aspects (services écologiques et biodiversité). Enfin, on a assisté ces dernières années à une multiplication des méthodes d’évaluation : [...] ces différentes méthodes peuvent, en se situant à différentes échelles ou en considérant différents types d'impact, parvenir à des conclusions différentes. [...]

Les études sur l'impact social de l'agriculture biologique restent peu développées. S’il est souvent affirmé que l'agriculture biologique inclut « une dimension éthique qui se traduit selon l’Ifoam (International Federation of Organic Agriculture Movements), par des objectifs [...] sociaux et humanistes (solidarité internationale, rapprochement entre producteur et consommateur, coopération et non-compétition, équité entre tous les acteurs, maintien des producteurs à la terre, sauvegarde de l'emploi rural...) », peu d'études viennent le démontrer. Des analyses critiques apparaissent dans la littérature sur ce point, relevant des impacts négatifs. Ainsi, Getz et Shreck notent, pour le cas des producteurs de tomates bio au Mexique, que la certification biologique a « exacerbé les inégalités socio-économiques et perturbé les normes sociales locales » en mettant trop fortement l'accent sur la nécessité d'un contrôle et d’une surveillance mutuelle. Cela renvoie aux limites de la certification par tierce partie, auxquelles l’Ifoam répond en développant les systèmes de garantie participatifs. Pour d'autres cependant, la mise en place d'une certification biologique est susceptible d'entretenir un capital social au sein des producteurs.

La rentabilité économique de l'agriculture biologique dépend naturellement des rendements qu'elle peut atteindre. La comparaison des rendements en agriculture biologique et conventionnelle reste une question controversée et rendue difficile par la multiplicité des modèles comme évoqué plus haut.

Elle renvoie également à la demande des consommateurs. Il existe une propension à payer plus cher des produits bio de la part des consommateurs, mais sous certaines réserves : qu’ils y trouvent également d'autres motivations (argument santé) et que la certification biologique, attribut de croyance, soit combinée avec d'autres attributs plus vérifiables, reposant sur la connaissance ou l'expérience. Dans cette optique, les exigences de ces consommateurs pourraient pousser vers une évolution de la réglementation, en imposant une obligation de résultat aux productions biologiques, celles-ci n'étant jusqu'à présent soumises qu'à une obligation de moyens.

Cette propension de certains consommateurs à payer plus cher les produits biologiques ne garantit cependant la rentabilité économique que dans l'hypothèse d’une certaine efficacité des filières et d'une bonne répartition de la valeur ajoutée. Cette hypothèse peut être questionnée : Neilson anticipe pour le cas des petits producteurs de café indonésiens une baisse des prix « bord champs » (prix payé au producteur), suite à la hausse des coûts de transaction à l’intérieur de la filière que pourraient engendrer les mécanismes de certification. Là encore, la certification par tierce partie est davantage en cause que l'agriculture biologique en elle-même.

Enfin, du point de vue des consommateurs, ce surcoût des produits biologiques peut poser des problèmes d'accès à certaines catégories de population. Les promoteurs de l'agriculture biologique répondent cependant à cet argument que sous réserve d’une évolution de la nature des régimes alimentaires (plus de fruits et légumes et moins de viande), un approvisionnement à base de produits biologiques n'est pas plus coûteux...

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La durabilité de l’agriculture biologique, dans ses trois piliers, reste donc un thème de recherche à part entière. Cette question est complexifiée depuis quelques années par la forte croissance que connaissent la production biologique et ses marchés. Il s'agit avant tout d’une hausse de la demande dans les pays du Nord, suscitée par une évolution des attentes des consommateurs auxquelles se rajoute une forte composante de commandes publiques durables (approvisionnement des collectivités et cantines scolaires), suite au Grenelle de l'Environnement pour le cas de la France.

Cette hausse de la demande a été inégalement accompagnée par une augmentation de la production dans les différents pays du Nord. Elle s'est ainsi traduite en partie par une hausse des importations, les transports pesant alors sur le bilan carbone des produits bio. La production bio dans les pays des Suds reste insuffisamment documentée pour analyser l’impact de ce développement.

Ce développement mondial de l’agriculture biologique amène certains auteurs à s'interroger sur sa capacité à nourrir la planète. Les partisans de l'agriculture biologique répondent par l'affirmative, estimant que les rendements en bio peuvent égaler ceux de l'agriculture conventionnelle ou même leur être supérieurs. L'argumentation ne porte pas sur les rendements unitaires de telle ou telle culture, mais sur la productivité globale du système en biomasse et en énergie, incluant les effets des rotations et des associations préconisées en agriculture biologique. Cependant, ils reconnaissent que cela ne peut se produire que plusieurs années après la conversion, temps nécessaire pour que le sol retrouve ses capacités naturelles et que l’agriculteur acquière la technicité suffisante. Mais la question de l’alimentation du monde ne relève évidemment pas que des dynamiques des innovations techniques, les dimensions politiques et économiques restent primordiales. Certaines études craignent une disparition de l'esprit de départ du bio.

Document 7 Le véganisme, le mode de vie alternatif qui monte, Guillaume Poingt, Le Figaro Economie, 18 août 2015 Le refus de consommer tout produit issu des animaux ou de leur exploitation revêt une dimension militante. Les véganes s’imposent, notamment, un strict régime végétalien, c’est à dire sans le moindre produit d’origine animale, y compris le miel. Consommation Le phénomène est encore mineur en France mais il prend de l'ampleur. Le véganisme, ce mode de vie consistant à ne consommer aucun produit issu des animaux ou de leur exploitation, s'applique à tous les domaines du quotidien, de l'alimentation à l'habillement en passant par les cosmétiques et les produits ménagers. Ses adeptes adoptent ainsi un régime alimentaire végétalien très strict. Exit donc viande, poisson, crustacés, gélatine, oeufs, lait animal, miel et beurre. À Paris, une boutique 100 % végane, Un Monde Vegan, propose un « faux gras » (40 000 unités écoulées en deux ans), des fromages végétaux sans lait, de la mayonnaise sans oeuf ou des bonbons sans gélatine. Les touristes, principalement anglais et américains, représentent 10 % du chiffre d'affaires du magasin. Il y aurait aussi une vingtaine de restaurants 100 % véganes en France, dont la moitié à Paris. Outre l'alimentation, le véganisme concerne aussi les cosmétiques, les vêtements ou les produits ménagers. Créée en 2010, la marque Lamazuna propose des produits 100 % naturels (shampoings, dentifrices ou

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déodorants), fabriqués en France et dont aucun n'est testé sur les animaux. Les dentifrices n'utilisent pas de graisse de baleine. « Notre objectif est d'arriver à zéro déchet et de respecter la nature » , explique Laëtitia Van de Walle, sa fondatrice. Depuis décembre 2014, le chiffre d'affaires de la marque a été multiplié par 10 pour atteindre 50 000 euros par mois. Outre ses marchés principaux, en France et en Belgique, Lamazuna est aujourd'hui présente dans une dizaine d'autres pays. 525 millions d'adeptes Certains labels, comme Cruelty Free & Vegan, garantissent qu'une marque cosmétique ne fait pas de tests sur les animaux et que ses produits ne contiennent aucun ingrédient d'origine animale. Quant au projet Good Guys, lancé en 2010, il propose des chaussures fabriquées sans cuir. Les modèles sont dessinés à Paris par Marion Hanania, une styliste végétarienne, et réalisés au Portugal en utilisant des matériaux eco-friendly . Les produits sont distribués dans une cinquantaine de points de vente partout dans le monde, en France, en Allemagne, en Amérique du Nord ou encore au Japon. Concernant l'entretien de la maison, la cire végétale est privilégiée à la cire d'abeille. Étudiants, actifs, cadres supérieurs, retraités, la communauté végane est hétérogène mais tous ont en commun une dimension militante. « Être végane est avant tout un choix éthique. Cela englobe l'impact de l'élevage sur l'environnement et la capacité de l'homme à être proche des animaux » , explique Pascal Sage, président du salon Alternatives véganes qui se tiendra le 12 décembre prochain à Paris avec près de 80 exposants. « Je ne mange plus de viande suite à une prise de conscience de la souffrance animale, que ce soit au niveau de l'élevage industriel ou des conditions d'abattage » , témoigne une jeune végétarienne. D'autres mettent davantage en avant l'impact écologique de leur consommation de viande ou leur propre santé. Pour Laëtitia Van de Walle, les véganes sont simplement « des gens qui consomment moins mais mieux » . Selon vegan-france.fr, il y aurait plus de 525 millions de personnes ne mangeant ni chair animale ni oeuf sur terre : 40 % de végétariens et végétaliens en Inde sur la totalité de la population, de 2 à 4 % aux États-Unis, en France ou en Chine, de 6 à 10 % au Brésil ou en Allemagne. Quant à l'avenir de la consommation végane dans l'Hexagone, les avis divergent. « Il y a aujourd'hui une démocratisation, notamment liée au nombre croissant de scandales alimentaires » , explique Pascal Sage. « Cette consommation va s'accentuer. Ce n'est plus un truc de hippies, il y a une vraie prise de conscience » , confirme Laëtitia Van de Walle. « Il y a beaucoup plus de demandes depuis 2014-2015 et de nombreux projets se lancent, le végane devient de plus en plus glamour » , abonde Jean-Luc Zieger, de la boutique Un Monde Vegan. « Ce n'est pas significatif et reste très marginal », douche toutefois Nathalie Damery, la présidente de l'Observatoire société et consommation (ObSoCo). La consommation végane pourrait notamment profiter d'un effet de mode. Les stars s'y mettent en effet de plus en plus. En juin 2015, la chanteuse américaine Beyoncé a par exemple annoncé qu'elle était végane...

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Document 8 Penser une démocratie alimentaire, Programme Lascaux (extraits), sous la direction de François Collart-Dutilleul, ed Inida, 2013 Coralie Bonnin-De Toffoli, enseignante à SKEMA Business School, chercheur associé au CREDECO Nathalie Lazaric, directrice de recherche au CNRS, Université de Nice Sophia Antipolis, CNRS GREDEG Le comportement écologique du consommateur, un facteur déterminant de la sécurité alimentaire Les prémices de la consommation durable sont apparues dès les années soixante-dix. En effet, les graves catastrophes environnementales, la crise du pétrole et le rejet de la société de consommation ont contribué à la reconnaissance du lien étroit entre l’humain et l'environnement. La genèse d'une réflexion sur la consommation durable émerge alors avec la formulation du concept de développement durable par le Rapport BRUNDTLAND. Cependant il faudra attendre l'adoption de la Déclaration de Rio en 1992 pour consacrer la consommation durable comme une priorité environnementale et de développement social. Avec le concept du développement durable, il est donc important d'intégrer les impératifs environnementaux et les besoins sociaux lors de la prise de décision en matière de développement économique afin d'assurer la pérennité des écosystèmes. La sécurité alimentaire et la consommation durable sont étroitement liées au concept de développement durable. Déjà, le Rapport BRUNDTLAND reconnaissait la sécurité alimentaire et l’adoption de modes de consommation plus respectueux de l'environnement comme des priorités pour assurer le développement durable. Lors de « Rio+20 », la Conférence des Nations Unies sur le développement durable qui s'est tenue à Rio de Janeiro, au Brésil, du 20 au 22 juin 2012, la FAO a rappelé que l'objectif du développement durable ne pourrait être atteint qu'en éradiquant définitivement la faim et la malnutrition. Il est alors essentiel de promouvoir une production et une consommation durables pour permettre aux consommateurs et aux producteurs de faire des choix durables et de satisfaire in fine les besoins essentiels des populations. Pour nourrir les neuf milliards de personnes estimées à l'horizon de 2050, il convient « de produire plus avec moins, d’accroître la production agricole tout en préservant l'environnement (1)». L'évolution des modes de vie vers une consommation dite « durable » fait partie des priorités en matière de politique européenne de l'environnement. Ainsi, la Commission européenne a adopté le Plan d'action pour une consommation, une production et une industrie durables visant à améliorer la performance énergétique et environnementale des produits utilisés par les consommateurs (2). Toutefois, bien qu'il y ait un consensus sur la nécessité de promouvoir et de développer la consommation durable, le concept reste flou et ses contours mal définis. Par ailleurs, le consommateur, acteur majeur de la consommation durable, reste un être paradoxal, dont il est parfois difficile d’appréhender les actes écologiques qu’il est prêt à adopter. Une question fondamentale se pose alors, les choix opérés par les consommateurs résultent-ils de choix personnels ou de comportements influencés par des pratiques habituelles et par l’entourage ? Le consommateur est défini comme « celui qui détruit un bien ou en détruit la substance, l'utilité » ou encore « le quatrième pôle d'un cycle économique global, au déroulement duquel la consommation, fonction économique, plutôt qu'acte technique, se trouve directement liée » (3). Toutefois, le concept de consommation durable permet de concilier les intérêts économiques des consommateurs, et les préférences environnementales souhaitées par les « consommateurs-responsables » ou également appelés les « consommateurs-citoyens ». La terminologie « consommateur-citoyen » est fréquemment utilisée pour désigner le consommateur qui rend cohérent ses aspirations citoyennes et ses désirs matériels. La consommation devient alors aussi « un espace de contestation sociale » (4). En effet, chaque consommateur peut user de son pouvoir économique pour soutenir ou bien refuser certains biens et services en fonction de ses propres préférences environnementales et sociales. L'acte de consommation est alors considéré comme un moment de prise de conscience sociétale. Au-delà de la terminologie, le consommateur avec ses propres limites sociales et sa motivation individuelle, doit réaliser divers compromis. En effet, il doit orienter ses choix selon ses intentions personnelles, sa capacité d'action, ses habitudes et l'environnement institutionnel dans lequel il se situe.

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Si les pouvoirs publics peuvent favoriser l'adoption de normes et de régulations environnementales, les consommateurs ne doivent pas sous-estimer leur propre capacité à agir individuellement. L'enquête menée par le GRECOD sur le territoire français permet de caractériser les différents profils des consommateurs écologiques en termes de critères d’achat, de préférence et de déceler aussi les compromis réalisés au niveau individuel et collectif. Dans le cadre du programme « Déchets et Sociétés » financé par l’ADEME (5), un groupe de chercheurs français, le GRECOD (Groupe de Recherche sur la Consommation Durable), a procédé à une étude sur les comportements de consommation dits « verts » ou écologiques (6). Auprès d'un panel de consommateurs représentatif de la France entière (représentativité au sens de l'INSEE), le GRECOD a caractérisé différents profils en termes de critères d'achat, de préférences et valeurs. L'échantillon porte sur plus de 3 024 ménages en France. L'objectif de l'enquête menée auprès des ménages français était de caractériser différentes pratiques, notamment les pratiques alimentaires, afin d'appréhender la consommation dans sa globalité. Plusieurs variables comportementales ont été prises en compte pour caractériser les pratiques des consommateurs, par exemple, l'imitation sociale et l'influence du voisinage lors de certaines pratiques ; les valeurs des ménages (capacité à identifier des priorités sur des dons éventuels à une association environnementale, de santé ou autre) ; et les critères déterminants pour définir la consommation durable et la protection de l'environnement. Les précédentes enquêtes menées en France et à l'étranger montrent qu'au niveau des obstacles vers le « verdissement » des comportements, les ménages à titre individuel déclarent que Ia variable prix reste le principal frein. Au niveau des achats alimentaires, l'achat de produits biologiques ou « respectueux de l'environnement » doit d'abord entrer dans le quotidien avant l'achat. Une certaine familiarité (à travers l'achat de proximité) permet de prendre l'habitude d'acheter ces produits « verts » et de les repérer dans les différents centres de distribution. Ainsi, le manque de réflexe et le fait que ces produits ne soient pas directement accessibles dans leur contexte habituel constituent des freins aux comportements écologiques des consommateurs. Enfin, des recherches réalisées en Allemagne insistent sur un des éléments préalables pour initier la consommation durable, à savoir l'imitation des autres dans certains groupes sociaux. Les chercheurs allemands montrent ainsi comment certains « groupes de référence » diffusent de nouvelles pratiques habituelles aux autres membres du groupe, appelés les « influents ». Par ailleurs, l'entourage social a une influence sur les individus et peut faire infléchir leur motivation intrinsèque (motivation autonome et individuelle), voire les valeurs de certains consommateurs sur une longue période. Le fait d'être inséré dans un groupe ou dans un réseau aurait donc bel et bien une influence et un effet démonstration sur les pratiques individuelles. L'enquête menée par le GRECOD souligne l'importance de l’enchâssement social dans la caractérisation des profils de consommation écologique. La consommation durable est en effet fortement dépendante des pratiques habituelles de l'entourage. II est donc essentiel que les politiques environnementales prennent davantage en compte la dimension collective de la consommation durable. Cet effet de l’entourage est évalué notamment à travers la question portant sur la présence dans le voisinage de personnes qui sont sensibles à l'environnement (Avez-vous dans votre entourage (famille/amis) des personnes qui prennent en compte les effets sur l'environnement des produits qu'elles achètent ?). La dimension collective de la consommation durable existe dans différentes pratiques, par exemple, le tri des déchets, les pratiques alimentaires, l'utilisation du lave-linge, les pratiques énergétiques et les transports.

(1) FAO, Vers l’avenir que nous voulons : En finir avec la faim et engager la transition vers des systèmes agro-alimentaires durables, Rapport, Rome, 2012, p.12.

(2) Commission européenne, Plan d’action pour une consommation, une production et une industrie durables, 16 juillet 2008. (3) T. Bourgoignie, Eléments pour une théorie du droit de la consommation : au regard des développements du droit belge et du

droit de la Communauté économique européenne, Bruxelles, éd. Story-Scientia, 1988, p. 34 et s. (4) S. Dubuisson-Quellier, La consommation engagée, Paris, Les Presses De Sciences Po, 2009, p. 11. (5) Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie. (6) Groupe de REcherche sur la COnsommation Durable : Une étude des profils de consommation écologiques, rapport final

Décembre 2012.

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Document 9 La notion de développement durable nous a endormis, interview de Laurence Tubiana, par Coralie Schaub, Libération, 31 mars 2014 Pour Laurence Tubiana, professeure à Sciences Po et fondatrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), la rencontre entre innovations sociales et technologiques peut créer les conditions d'un développement – vraiment - durable. Libé : L'expression « développement durable » est de plus en plus critiquée, notamment par ceux qui y voient un paradoxe. Qu'en pensez-vous ? Laurence Tubiana : Une fois qu'on a dit ça, qu'est-ce qu'on fait ? Cette critique n'incite pas à l'action. Mais il est vrai que nous avons dépassé des seuils dangereux. La croissance économique détruit les écosystèmes et ne répond même plus aux problèmes de développement : elle ne nourrit pas les gens... Imaginer qu'il suffit d'équilibrer les piliers sociaux, environnementaux et économiques pour qu'on soit tranquilles mène aussi à une forme d'immobilisme. En ce sens, effectivement, la notion de développement durable nous a endormis. On ne voit pas d'inflexion générale des modèles de développement qui pourrait répondre à cette équation : à la fois augmenter en nombre, accroître la consommation matérielle et le bien-être et ne pas accélérer les destructions. Mais la bonne nouvelle, c'est qu'il n'existe plus de pays où il n'y a pas de questionnement sur le bien-être. Libé : C'est-à-dire ? Laurence Tubiana : De la Chine au Brésil en passant par la Russie ou l'Ethiopie, on trouve des acteurs, y compris des entreprises, qui n'aspirent plus forcément à ressembler à l'Occident. On sort de quarante ans où l'idée était de rattraper ce modèle, sans le contester. C'est la première fois qu'il y a un réveil, partout. En Inde, par exemple, le nombre d'ONG, d'activistes, d'intellectuels qui remettent en question le modèle occidental est impressionnant. Il y a quinze ans, les travaux d'Amory Lovins (le père du concept de négawatt, ndlr), au Rocky Mountain Institute, paraissaient utopiques. Aujourd'hui, des régions, des villes, dessinent les contours d'un futur différent, où la consommation d'énergie serait drastiquement diminuée, où l'alimentation serait moins carnée... Libé : Ce mouvement vient donc davantage de la base que des politiques ? Laurence Tubiana : Les élites politiques ne peuvent pas conduire le changement sans vision, sans direction, en accumulant des mesures. Parce qu'à chaque fois, il y aura des résistances, à cause de telle ou telle rente de situation. Pourquoi des camionneurs ont-ils détruit des portails écotaxe ? Parce que la mesure n'a pas été remise en perspective, en prenant tous les acteurs à témoin. La vision est indispensable, sinon on ne peut avoir que des « non ». Et dans une démocratie, les non sont très efficacement exprimés. En fait, je ne crois pas à un sens de l'histoire produit d'abord par les élites politiques. On le voit aujourd'hui, celui-ci est activement fabriqué par les citoyens. Avec une grande particularité : les mouvements contestataires ne sont plus idéologiques, mais plutôt focalisés sur les changements de pratiques. Libé : Pouvez-vous citer des exemples ? Laurence Tubiana : Les indignés espagnols organisent les recours légaux contre les expulsions des personnes qui ne peuvent plus payer leurs traites. Ils constituent des sortes d'universités populaires, essaient de monter des circuits courts de vente des productions agricoles, des monnaies locales, des services sociaux quand il n'y en a plus... Il y a une dimension « on fait nous-mêmes », en dehors du système politique. Il existe évidemment beaucoup d'innovations de ce genre en France. Elles étaient présentes avant la crise : les échanges de services se pratiquent depuis au moins une dizaine d'années. Mais les nouvelles technologies leur donnent une autre dimension. Et ces pratiques innovantes sont rejointes par des entreprises insérées dans le système actuel mais qui perçoivent ses limites et veulent désormais s'approprier ce qui est testé par la société. L'autopartage, par exemple, est significatif d'une pratique qui s'est organisée à la base grâce à Internet et devient un modèle

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économique. Notre monde est en mouvement, les innovations sociales sont nombreuses, même si elles ne font pas encore système. Libé : On assiste donc à une fusion des innovations technologiques et sociales, qui jadis s'ignoraient ? Laurence Tubiana : Oui, et qui se méfiaient l'une de l'autre. Aujourd'hui, cette mayonnaise prend, ce tourbillon s'organise. Mais tout reste incertain. Les limites entre physique, chimie, biologie et technologies de l'information sont en train de craquer. On peut aller vers le pire, des scénarios à la Orwell. Ou le meilleur. Libé : On est à un tournant, sur une crête ? Laurence Tubiana : Pour l'instant, nous restons dans un statu quo qui se dégrade : on pense encore qu'on va s'en sortir en réformant le marché du travail, en accroissant la productivité, en courant après la même machine. Mais même les économistes de l'école dominante perçoivent le changement. Donc oui, on est à un tournant. Libé : A quelles conditions les innovations émergentes peuvent-elles se déployer ? Laurence Tubiana : Il faut leur donner beaucoup d'espace pour qu'elles créent un effet de masse. La décentralisation des décisions politiques me paraît pour cela essentielle. L'Etat-nation est devenu inadapté. Les systèmes hiérarchiques sont frappés d'inertie. Prenez l'agriculture : le système tel qu'il est, pense que respecter davantage l'environnement aggravera la crise. Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, essaie de le faire évoluer, mais les corps intermédiaires bloquent, ils sont sur la défensive. Face à cela, des réseaux d'agriculteurs se constituent. Des botanistes travaillent avec des paysans, des paysans se transforment en botanistes, certains commencent à prouver qu'on peut améliorer les rendements en respectant l'environnement. La société de réseaux se développe, par le bas. Document 10 Une fraise en hiver ne peut pas être bio, Philippe Baqué, Manière de voir (extraits), Le Monde Diplomatique, Août/Septembre 2015 « Les écolos et les soixante-huitards ont laissé la place aux professionnels ! » Ainsi s'exprimait en juin 2009 un technicien de la coopérative Terres du Sud qui, dans le Lot-et-Garonne, organisait une journée « découverte » dans des élevages intensifs de...poulets biologiques. Les performances des installations livrées clés en main par la coopérative, les crédits et les aides publiques proposés étaient censés convertir les agriculteurs invités. En effet, pour approvisionner la grande distribution et la restauration collective, les puissantes coopératives agricoles, liées aux grandes firmes de l'industrie agroalimentaire, se livrent désormais une concurrence farouche dans l'élevage de ces poulets au-dessus de tout soupçon. Elles profitent de la nouvelle réglementation européenne qui permet à un éleveur de produire jusqu'à soixante-quinze mille poulets de chair bio à l'année et ne limite pas la taille des élevages de poules pondeuses bio. Ces coopératives ont compris qu'elles pouvaient gagner beaucoup d'argent avec un type d'agriculture qu'elles ont longtemps dénigré. En y appliquant leurs méthodes. « Les producteurs sont sous contrats serrés et perdent toute leur autonomie, raconte M. Daniel Florentin, membre de la Confédération paysanne, ancien éleveur de volailles bio qui a travaillé avec la coopérative landaise Maïsadour. Ils sont lourdement endettés pour au moins vingt ans et doivent livrer la totalité de leur production à la coopérative qui s'engage à la prendre, sans prix déterminé à l'avance. C'est un pur système d'intégration, courant dans les élevages intensifs conventionnels ». Depuis 1999, problèmes de santé et d'environnement obligent, la consommation de produits alimentaires biologiques en France croît d'environ 10% par an. En 2013, malgré la crise, le chiffre d'affaires des produits bio a encore augmenté de 9%, pour atteindre 4,5 milliards d'euros (1). Ce marché, longtemps marginal, est devenu

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porteur et a été investi par la grande distribution, qui réalisait en 2013 plus de 45% des ventes. Toutefois, en 2014, malgré la progression des conversions, seuls 4,14% de la surface agricole utilisée étaient en bio. Pour satisfaire la demande des consommateurs, les acteurs dominant le marché ont donc choisi deux solutions : un appel massif aux importations et le développement d'une agriculture bio industrielle et intensive. La notion d'agriculture biologique est née et s'est répandue en Europe en réaction à l'agriculture chimique et productiviste qui s'est généralisée après la seconde guerre mondiale. Au début des années 1960, un réseau de petits paysans producteurs de bio et de consommateurs crée Nature et Progrès. L’association attire une grande partie des populations urbaines qui décident, par conviction, de retourner à la terre et tisse des liens avec les différents mouvements écologiques et politiques, comme la mouvance antinucléaire et le syndicat des Paysans travailleurs dans les années 1970, puis la Confédération paysanne et les anti-OGM (organismes génétiquement modifiés) à partir des années 1990. Ce faisant, Nature et Progrès a intégré dans sa charte un certain nombre de principes : refus des produits de synthèse, traitements naturels, diversification et rotation des cultures, autonomie des exploitations, énergies renouvelables, défense de la petite paysannerie, biodiversité, semences paysannes, souveraineté alimentaire... Pour redonner du sens à la consommation et recréer des liens sociaux, la vente des produits biologiques est assurée par des marchés locaux, foires et groupements d'achat qui donneront naissance au réseau des Biocoop (2). La charte de Nature et Progrès a inspiré celle de la Fédération internationale des mouvements d'agriculture biologique (Ifoam), adoptée en 1972, qui associait aux critères agronomiques des objectifs écologiques, sociaux et humanistes. Mais le mouvement paysan et social lié à ce type de culture peine à trouver sa cohérence. Dans les années 1980, le cahier des charges de Nature et Progrès officiellement reconnu cohabite avec une quinzaine d'autres créés par différents mouvements. En 1991, prenant prétexte de cette confusion, Bruxelles en impose un pour l'ensemble de l'Union européenne, dont l'application par l'Etat français donne naissance au label national AB. Les organismes certificateurs, privés et commerciaux, vont à l'encontre du contrôle participatif réalisé jusqu'alors par des commissions de producteurs, de consommateurs et de transformateurs. Nature et Progrès connaît alors une grave crise. Certains membres décident de boycotter le label. D'autres, tentés par un marché bio certifié en pleine expansion, quittent l'association. « La certification a favorisé les filières au détriment des réseaux solidaires, explique M. Jordy Van den Akker, ancien président de l'association. L'écologie et le social, qui sont pour nous des valeurs importantes de la bio, ne sont plus associés à l'économique. Le label et la réglementation européenne ont permis de développer un marché international facilitant la libre circulation des produits, le commerce et la concurrence. Nous ne nous reconnaissons pas là-dedans ». Entrée en vigueur le 1er janvier 2009, une nouvelle réglementation européenne permet, entre autres, 0,9% d'OGM dans les produits bio et des dérogations pour les traitements chimiques (3). « La bio est totalement incompatible avec les OGM, réagit M. Guy Kastler, éleveur dans l'Hérault et militant de Nature et Progrès. Nous, nous continuons à exiger 0% d'OGM ! La nouvelle réglementation définit des standard et ne se soucie plus des pratiques agricoles. On est passé d'une obligation de moyens -quelle méthode de culture utilisée ?- à une obligation de résultat -quel résidu est décelable dans le produit fini ? C'est la porte ouverte à la généralisation d'une agriculture bio industrielle ». Dans ce processus, les coopératives agricoles sont en pointe. Grâce, en particulier, à l'alimentation des volailles qu'elles produisent et fournissent aux agriculteurs, leurs marges bénéficiaires sont considérables. L’ancienne réglementation française imposait à un éleveur bio de produire 40% de l'alimentation animale sur ses terres. Ce lien au sol n'existe plus dans la nouvelle réglementation européenne. L’éleveur achète aux coopératives la totalité des aliments, dont l'un des composants majeurs est le soja, très souvent importé de l'étranger (en particulier d'Amérique latine). Si l'agriculture biologique représente une part minime des activités des grandes coopératives, celles-ci entendent néanmoins y imposer leur suprématie. Terrena a acheté l'entreprise Bodin, leader du poulet bio français, en 1997 ; l'année suivante, la coopérative Le Gouessant rachète l'Union française d'agriculture biologique ; Euralis a des parts importantes dans Agribio Union... Nombre d'associations interprofessionnelles régionales de promotion du bio et la quasi-totalité des chambres d'agriculture -de plus en plus impliquées dans la gestion de ce type de culture- sont sous l'influence des coopératives.

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Ces coopératives, qui ne renient en rien l'usage des produits chimiques dans l'agriculture dite « conventionnelle », renforcent leurs liens avec les multinationales impliquées dans la recherche et la commercialisation des OGM. En 2011, 40% des parts de Maïsadour Semences, une filiale de Maïsadour (qui commercialise plusieurs variétés de semences OGM), appartiennent à la société suisse Syngenta, héritière des activités agrochimiques de Novartis. Maïsadour Semences possède des usines de production sur une bonne partie de la planète (4). Cette influence grandissante des coopératives qui ont des intérêts financiers dans le secteur des OGM n'est sans doute pas étrangère à la décision de la Commission européenne de fixer à 0,9% le taux d'OGM toléré dans les produits bio, alors que le Parlement européen s'y était opposé. D'après l'Agence Bio, la France importe environ 35% des fruits et légumes biologiques qu'elle consomme (5). ProNatura est le leader français de leur commercialisation dans les boutiques spécialisées et les supermarchés. Entre 2000 et 2010, cette entreprise du sud-est de la France a multiplié son chiffre d'affaires par dix et absorbé quatre autres sociétés. Un quart de ses produits proviennent de France, mais le reste est importé d'Espagne (18%), du Maroc (13%), d'Italie (10%) et d'une quarantaine d'autres pays. ProNatura est la première société à avoir commercialisé des fruits et légumes bio hors saison. Depuis quinze ans, ProNatura importe des fraises bio espagnoles produites par la société Bionest. Ses patrons, MM. Juan et Antonio Soltero, possèdent dans la région de Huelva plusieurs centaines d'hectares de serres qui, à première vue, ne se différencient en rien des milliers de serres conventionnelles couvrant la plaine, sinistrée par une monoculture de fraises particulièrement polluante et exploiteuse de main-d'œuvre. Comme d'autres entreprises, Bionest se situe au sein du parc naturel de Donana, inscrit au Patrimoine mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) (6). Selon WWF-Espagne, les serres se multiplient de façon plus ou moins illégale sur le parc et pèsent lourdement sur l'environnement, en menaçant notamment les réserves d'eau (7). Bionest ne respecte pas la biodiversité (le peu de variétés de fraisiers utilisées sont les mêmes que dans les serres conventionnelles), pratique la monoculture, injecte des fertilisants aux plantes par un système d'irrigation en goutte-à-goutte... Ses méthodes de culture ne sont pas radicalement différentes de celles des serres conventionnelles de Huelva. Seuls les intrants certifiés lui assurent le label bio. Pour la récolte, Bionest embauche des centaines de Roumaines, de Polonaises et de Philippines... particulièrement précarisées. (1) La plupart des chiffres cités proviennent du dossier de presse de l’Agence Bio « Le marché des produits bio devrait atteindre les 4.5

milliards d’euros en 2013 », et de son rapport « La bio en France, de la production à la consommation », édition 2014, Agencebio.org (2) Pascal Pavie et Moutsie, Manger bio. Pourquoi ? Comment ? Le guide du consommateur éco-responsable, Edisud, Aix-en-Provence,

2008. (3) « Bio/OGM : le vote des députés européens à la loupe », Terraeco.net, 21 mai 2009. (4) Dans l’Etat brésilien du Parana, en octobre 2007, une milice armée missionnée par Syngenta a assassiné un militant du Mouvement

des sans-terre (MST) qui occupait en compagnie d’une centaine d’autres agriculteurs des champs de recherche OGM de la société suisse.

(5) Chiffres de 2013. (6) Cf. « Importer des femmes pour exporter du bio ? », Silence, n°384, Lyon, novembre 2010. (7) Communiqué de WWF : « Fraises espagnoles : exigeons la traçabilité », 23 mars 2007.

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Document 11 Comment le discours médiatique sur l'écologie est devenu une morale de classe, interview de Jean-Baptiste Comby, par Eric Aeschimann, L’Obs, 26 novembre 2015 Jean-Baptiste Comby est sociologue, maître de conférences à l'Institut Français de Presse de l'Université Paris-2. A quelques jours de la COP21, il vient de publier « la Question climatique. Genèse et dépolitisation d'un problème public » aux éditions Raisons d'agir. L’Obs : Votre ouvrage analyse la montée en puissance de la question climatique dans les médias généralistes depuis la grande conférence de Kyoto, en 1997. Comment avez-vous travaillé et qu'avez-vous découvert ? Jean-Baptiste Comby : J'ai regardé et analysé les sujets consacrés aux enjeux climatiques des journaux télévisés du soir de TF1 et France 2 entre 1997 et 2006, soit 663 sujets. J'ai également examiné les campagnes de communication des agences publiques, notamment I'ADEME, et de façon moins systématique les articles consacrés à la question par la presse quotidienne nationale, notamment lors de la ratification du protocole de Kyoto en 2005, ou encore les nombreux documentaires, débats ou docu-fictions diffusés entre 2005 et 2008. J'ai également réalisé des entretiens avec une quarantaine de journalistes chargés de la rubrique « environnement » ainsi qu'avec une trentaine de leurs « sources » (scientifiques, militants, fonctionnaires, etc.). Il se dégage de ce corpus que, si la question du climat occupe une place de plus en plus importante dans le débat médiatique au cours des années 2000, la présentation qui en est faite connaît une torsion significative : l'accent est mis sur les conséquences de l'augmentation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, beaucoup moins sur ses causes. Plus les journalistes traitent la question climatique, plus ils contribuent à la dépolitiser. L’Obs : Pouvez-vous donner des exemples ? Jean-Baptiste Comby : Les sujets télévisés que j'ai analysés se servent d'effets esthétiques assez répétitifs : le soleil qui brille, la tempête, le symbole du thermomètre, le contraste bleu/rouge qui représente le froid et le chaud. Du reste, on parle de « réchauffement climatique », comme si le seul enjeu était la température, alors qu'on devrait parler de « changements climatiques », puisque seront également altérés les régimes pluviométriques, la dynamique des courants marins ou des vents, etc. Une autre expression consacrée attribue la responsabilité du dérèglement aux « activités humaines », comme si toutes les activités polluaient de façon équivalente. Enfin, très majoritairement, ces reportages incitent plus ou moins explicitement les citoyens à changer leurs comportements, relayant à leur manière la politique de l'Etat (crédits d'impôt, prêts à taux zéro, etc.). On tient un discours de morale individuelle. Toute cette grammaire évacue la question de savoir quelles décisions politiques et mécanismes économiques sont à l'origine d'activités polluantes. L’Obs : En quoi cela dépolitise-t-il la question climatique ? Jean-Baptiste Comby : Dépolitiser, c'est passer sous silence les causes collectives et structurelles de la pollution : l'aménagement des villes et des transports, l'organisation du travail, le fonctionnement de l'agriculture, le commerce international, l'extension infinie du marché. La politique, c'est l'organisation de la vie collective, le choix de nos valeurs, le mode de répartition de la richesse, etc. Or, le discours actuel revient à placer la question de l'environnement en dehors de ce champ de discussion. Certes, les discours officiels préparatoires à la COP21 en appellent à une transformation des sociétés pour les « dé-carboner ». Mais si l'énoncé est politique, aucun de ces mots d'ordre ne jugent nécessaire d'interroger l'emprise croissante des logiques marchandes qui sont désormais au principe de la vie sociale. En somme, on nous propose de changer de société...sans modifier les structures sociales ! Au fond, politiser, ce serait montrer le lien entre le changement climatique et le capitalisme. Comment faire face au changement climatique sans changer de modèle économique ? Pour « digérer » la crise écologique et faire croire qu'un « capitalisme vert » est possible, plusieurs logiques sont mobilisées : l'innovation technique, le

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recours au marché (par la création des droits à polluer) ou encore la militarisation de l'accès aux ressources naturelles. Dans mon livre, je m'intéresse plus particulièrement à une quatrième tendance, qui consiste à dépeindre la question environnementale comme un problème de morale individuelle. Il reviendrait à chacun de nous de sauver la planète en changeant son comportement. Or c'est plutôt en imaginant et en luttant pour d'autres organisations sociales que nous rendrons possible l'adoption durable de styles de vie à la fois moins inégaux et plus respectueux des écosystèmes naturels. L’Obs : Pourtant, n'est-il pas exact que nous sommes tous un peu responsables de notre environnement ? Jean-Baptiste Comby : On retrouve à propos de l'environnement le schéma du discours néolibéral : il n'existerait que des individus agissant rationnellement et vivant comme en apesanteur du social. Séparer ainsi l'individu du collectif n'a aucun sens et finit par déformer la réalité. Par exemple, au milieu des années 2000, le ministère de l'Environnement a mis en avant une affirmation clairement discutable : « Les ménages sont responsables de 50% des émissions de gaz à effet de serre ». Ce chiffre a été fabriqué à partir d'une statistique qui calcule la part des grands secteurs producteurs de C02 : énergie, industrie manufacturière, agriculture, résidentiel-tertiaire, transport routier, autres transports, etc. L'astuce consiste à attribuer aux ménages toutes les émissions de C02 qui ne viennent pas de l'énergie, de l'industrie et de l'agriculture. Ce qui revient à oublier que les avions et les trains transportent d'abord des hommes d'affaires ; que les camions sont en général affrétés par les entreprises ; que les déchets sont fabriqués par l'industrie... Surtout, en parlant des « ménages » en général, cette statistique laisse entendre que tous les individus ont la même part de responsabilité. Or, un riche pollue généralement plus qu'un pauvre. Il n'est pas juste de mettre sur un pied d'égalité un cadre de direction qui possède deux voitures et prend l'avion trois fois par mois et une personne touchant le RSA qui circule principalement en bus. Un tel discours occulte les inégalités sociales. L’Obs : Que sait-on sur les inégalités sociales d'émissions de C02 ? Jean-Baptiste Comby : Les statisticiens commencent tout juste à construire des outils pour les mesurer rigoureusement. Une étude réalisée en 2010 par François Lenglart montre qu'un ouvrier produit 5 tonnes de C02 par an et un cadre 8,1. Début octobre, les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty ont publié une étude qui montre que les 10% d'individus les plus polluants au niveau mondial (c'est-à-dire les classes moyennes et supérieurs des pays industrialisés et les classes supérieures des pays émergents), émettent 50% des gaz à effet de serre, tandis que les 50% les moins polluants n'en produisent que 10%. Mais il y a encore beaucoup de travail pour évaluer et expliquer de façon scientifique la contribution des groupes sociaux à la dégradation de l'environnement. L’Obs : Pour autant, n'allons-nous pas devoir en effet changer nos comportements, y compris sur un plan individuel ? Ces messages permettent peut-être d'amorcer une prise de conscience ? Jean-Baptiste Comby : Dans mon travail, j’ai aussi mené des entretiens collectifs et analysé des données statistiques pour étudier comment les personnes, en fonction de leurs milieux sociaux, pensent, discutent et se comportent vis-à-vis de ces enjeux. Cela permet de comprendre le paradoxe suivant : si les classes supérieures sont les plus disposées à faire valoir leur attitude « eco friendly », ce sont aussi elles qui tendent à polluer le plus. Partageant les valeurs véhiculées par les campagnes de « sensibilisation », elles seront plus facilement portées à mettre en œuvre une bonne conscience écologique en triant leurs déchets ou en fermant le robinet. Mais ces quelques gestes et ce verdissement partiel de leur quotidien, dont elles peuvent tirer une certaine reconnaissance sociale, ne remettront pas en cause leur mode de vie et elles continueront à polluer plus qu’un ouvrier. Et l’on remarquera que la morale écocitoyenne, si prompte à nous dire qu’il faut éteindre la lumière, s’abstient de dévaloriser par exemple le fait de rouler en 4x4 en ville, un comportement pourtant très énergivore. Tout cela explique, du reste, l’agacement de plus en plus vif suscité par ces injonctions écocitoyennes : on nous vend comme une morale universelle ce qui n’est qu’une morale de classe. Dans mes entretiens, je constate que des nombreuses personnes, plutôt au sein des milieux populaires, démasquent intuitivement cette hypocrisie.

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Document 12 Dessin Plantu