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1 UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1 FACULTE DE MEDECINE LYON EST ANNEE 2012 PROCES AMERICAIN DU NEURONTIN : LES DERIVES DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE THESE Présentée à l’Université Claude Bernard - Lyon 1 et soutenue publiquement le 31 janvier 2012 pour obtenir le grade de Docteur en Médecine par Hélène GAILLARD DE SEMAINVILLE Née le 13 mai 1979 Au Creusot (Saône et Loire)

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UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1

FACULTE DE MEDECINE LYON EST

ANNEE 2012

PROCES AMERICAIN DU NEURONTIN : LES DERIVES DE L’INDUSTRIE

PHARMACEUTIQUE

THESE

Présentée à l’Université Claude Bernard - Lyon 1 et soutenue publiquement le 31 janvier 2012

pour obtenir le grade de Docteur en Médecine

par

Hélène GAILLARD DE SEMAINVILLENée le 13 mai 1979

Au Creusot (Saône et Loire)

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UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1

. Président de l'Université Alain BONMARTIN

. Président du Comité de Coordination François-Noël GILLY

des Etudes Médicales

. Secrétaire Général Alain HELLEU

SECTEUR SANTE

UFR DE MEDECINE LYON EST Doyen : Jérôme ETIENNE

UFR DE MEDECINE

LYON SUD – CHARLES MERIEUX Doyen : François-Noël GILLY

INSTITUT DES SCIENCES PHARMACEUTIQUES

ET BIOLOGIQUES (ISPB) Directrice: Christine VINCIGUERRA

UFR D'ODONTOLOGIE Directeur : Denis BOURGEOIS

INSTITUT DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE

READAPTATION Directeur : Yves MATILLON

DEPARTEMENT DE FORMATION ET CENTRE

DE RECHERCHE EN BIOLOGIE HUMAINE Directeur : Pierre FARGE

SECTEUR SCIENCES ET TECHNOLOGIES

UFR DE SCIENCES ET TECHNOLOGIES Directeur : François GIERES

UFR DE SCIENCES ET TECHNIQUES DES

ACTIVITES PHYSIQUES ET SPORTIVES (STAPS) Directeur : Claude COLLIGNON

INSTITUT DES SCIENCES ET DES TECHNIQUES

DE L'INGENIEUR DE LYON (ISTIL) Directeur : Joseph LIETO

I.U.T. A Directeur : Christian COULET

I.U.T. B Directeur : Roger LAMARTINE

INSTITUT DES SCIENCES FINANCIERES

ET ASSURANCES (ISFA) Directeur : Jean-Claude AUGROS

I.U.F.M. Directeur : Régis BERNARD

CPE Directeur : Gérard PIGNAULT

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SERMENT D’HIPPOCRATE

Je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l'exercice de la Médecine.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans discrimination.

J'interviendrai pour les protéger si elles sont vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité.

Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l'humanité.

J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences.

Je ne tromperai jamais leur confiance.

Je donnerai mes soins à l'indigent et je n'exigerai pas un salaire au dessus de mon travail.

Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés et ma conduite ne servira pas à corrompre les moeurs.

Je ferai tout pour soulager les souffrances.

Je ne prolongerai pas abusivement la vie ni ne provoquerai délibérément la mort. Je préserverai l'indépendance nécessaire et je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences.

Je perfectionnerai mes connaissances pour assurer au mieux ma mission.

Que les hommes m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses.

Que je sois couverte d'opprobre et méprisée si j'y manque.

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MEMBRES DU JURY

Monsieur le Docteur Philippe FOUCRAS

PRESIDENT : Monsieur le Professeur François GUEYFFIER MEMBRES : Monsieur le Professeur Jean-Pierre BOISSEL

Monsieur le Professeur Alain MOREAUMadame le Docteur Sylvie ERPELDINGER

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REMERCIEMENTS

Monsieur le Professeur François GUEYFFIER

Vous me faites l’honneur de présider mon jury de thèse. Je vous remercie de

la confiance que vous m’avez accordée. J’ai pu apprécier tout le discernement que

vous confèrent vos fonctions, et votre regard bienveillant a été primordial pour ce

travail en l’encourageant à l’objectivité. Vous vous êtes montré toujours accessible et

disponible malgré les responsabilités qui sont les vôtres.

Soyez assuré de ma sincère gratitude et de mon profond respect.

Monsieur le Professeur Alain MOREAU

Je vous remercie de l’honneur que vous me faites en acceptant de juger mon

travail. Que ce travail soit un reflet de ma gratitude envers l’enseignement de

médecine générale de la faculté de Lyon que vous représentez, car il a su s’orienter

vers une pratique de la médecine humaine et respectueuse des considérations

éthiques.

Soyez assuré de ma sincère reconnaissance.

Monsieur le Professeur Jean-Pierre BOISSEL

Je suis très honorée que vous ayez accepté de juger mon travail. Je n’ai pas

eu la chance de bénéficier de votre enseignement au cours de mon internat, mais je

considère avec la plus grande admiration votre parcours et votre influence sur la

recherche clinique et l’Evidence Based Medecine, ainsi que votre engagement pour

la communauté médicale au sein de la Haute Autorité de Santé.

Soyez assuré de ma respectueuse considération.

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Madame le Docteur Sylvie ERPELDINGER

Je te suis particulièrement reconnaissante d’avoir accepté de diriger cette

thèse. Tu as su te montrer rigoureuse, patiente et disponible alors que tu acceptais

de reprendre ce travail en plus des nombreuses responsabilités qui sont déjà les

tiennes. Ton exigence m’a permis de progresser.

Ton orientation professionnelle et la considération que tu as de notre métier

sont un modèle pour moi. C’est grâce à ton enseignement que j’ai pris conscience de

la nécessité d’une pratique médicale indépendante.

Sois assurée de ma sincère gratitude et de mon admiration.

Monsieur le Docteur Philippe FOUCRAS

Je suis très honorée que vous acceptiez de figurer dans ce jury. J’admire et je

respecte vos engagements courageux pour l’indépendance de notre profession ; le

FORMINDEP, dont vous assurez la présidence, est un maillon indispensable de la

protection d’une médecine juste et au service du patient. Par ailleurs je vous

remercie sincèrement de l’aide que vous m’avez apportée au cours de la réalisation

de cette thèse.

Soyez assuré de toute ma reconnaissance

Monsieur le Docteur Rémy BOUSSAGEON

Tu as largement contribué à l’élaboration de ce travail dont tu es à l’origine.

Je regrette profondément que tu n’aies pu faire partie de ce jury mais je tiens à te

remercier pour ta gentillesse et à te témoigner toute mon admiration pour la sincérité

et l’efficacité de ton engagement.

Sois assuré de ma profonde reconnaissance.

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Je dédie ce travail :

A Hector, mon petit garçon, mon trésor. Tu es arrivé dans ma vie en la chamboulant

de fond en comble, et maintenant tu lui donnes un sens en la remplissant de joie.

A Jérôme, mon amour, pour ton infaillible présence pendant ces mois de préparation.

Pour ton incroyable sauvetage du dernier instant, qui restera désormais dans les

annales sous le nom de « miracle des fichiers cachés » !

Je suis fière de partager ta vie.

A mon frère Philippe, mon alter ego, ma fierté, mon soutien. Merci pour ta présence

dans ma vie. Merci pour ton aide précieuse au cours de ce travail.

A mes parents, pour l’affection dont vous avez su m’entourer depuis trente-deux ans,

et votre soutien pendant mes études. Merci Maman pour ta tendresse et tes bons

petits plats. Papa, j’espère que tu seras aussi fier de moi que je l’ai été de toi. Merci

à tous les deux pour les corrections et les conseils avisés qui m’ont aidée dans la

réalisation de cette thèse. Et merci d’être des grands-parents aussi attentionnés.

A mes grands-parents, pour les merveilleux souvenirs qu’ils me laissent et toutes les

choses savoureuses qu’ils auront su me transmettre. Une pensée particulière à mon

« Pépé guérit tout », sûrement pas étranger bien sûr à ma vocation, et à ma « Mémé

Miel », qui m’aura probablement passé le virus de la Saône et Loire.

A toute ma famille : mes oncles et tantes, à mes formidables cousins et cousines, en

souvenir de tous les moments précieux que nous avons partagés.

A mes beaux parents Laurent et Catherine, pour la gentillesse de leur accueil et leur

affection, et pour l’incroyable courage dont ils font preuve. Merci pour l’amour dont

vous comblez notre petit Hector.

A Vincent et Audrey, mes adorables beau-frère et belle-sœur bretons.

A Mamie Jeannine, pour sa bienveillance et son grand cœur.

A mes formidables amies d’enfance, Marie-Aude et Morgane, pour l’amitié sincère

qu’elles me témoignent et qui me porte.

A tous ceux qui ont éclairé mon externat, Claire, Fanny, Iris évidemment, mes

pépites d’or pur, mais aussi toute la bande du désormais traditionnel

« noëldescopains » : Perrine (pour nos drôles de souvenirs d’internat…), Juliette et

Bobo, Marie, Aurélien et Olivier, Suze, ainsi que la « grande famille de la rue

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Berbisey » : Julie et Sophie, Marie-Céline, et Emilie, Laure et Alex mes très chers

stéphanois, Stéphane et Julien, Cécile et Mathieu et bien sûr Marjo et Yo, Monsieur

V. A Natacha, Hélène, Grog, Mamath et Virginie, Alex et Alex, Nicolas, Pierre-

Guillaume…

Aux très belles découvertes qui ont jalonné mon parcours d’interne lyonnaise :

l’extraordinaire Florie, mon cher Patrice et ma ch’tite Vanessa, mes co-internes

préférés, mais bien sûr aussi à Sylvie Faye-Pastor et à Denis Guyon pour leur

exemple, leur accueil, leur patience en tant que maîtres de stage. Vous restez des

modèles pour moi. Merci à la famille Goyard pour sa gentillesse. Merci à toute

l’équipe des urgences de Bourg en Bresse.

A mes confrères clunisois, à leur accueil chaleureux, à leur incroyable projet de

maison médicale et en tout premier lieu à mon ami Sylvestre, pour sa patience, sa

bienveillance et son soutien qui ont été sans faille depuis mon arrivée en Saône et

Loire. Infiniment merci d’avoir cru en moi.

A Christophe Nagel enfin, pour son aide plus que précieuse à l’élaboration de ce

travail en tant que « traducteur officiel ».

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION p

I METHODOLOGIE p

II RESULTATS : le cas Neurontin p

A Contexte p

B La stratégie Neurontin p

III DISCUSSION

CONCLUSION p

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES p

DECLARATION DE LIENS D’INTERET p

ANNEXES p

Annexe n°1 p

Annexe n°2 p

Annexe n°3 p

Annexe n°4

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INTRODUCTION

Il y a encore quelques années, l’industrie pharmaceutique faisait figure de

« premier de la classe » dans le paysage économique mondial : fortes marges (1),

fort potentiel d’emploi, image de « sauveur » et de garant du progrès scientifique et

médical soigneusement entretenue par une iconographie altruiste. Cet âge d’or

durait depuis les années d’après-guerre, qui avaient vu éclore de grandes

découvertes (anti-infectieux, vaccins…) produites par une recherche débridée.

Lorsqu’on s’aperçut que ces grands progrès se faisaient parfois au détriment de

l’éthique (scandale de la thalidomide par exemple), il devint indispensable de mettre

en place des chartes de bonne conduite visant à encadrer les essais cliniques, telle

la déclaration d’Helsinki en 1964. Avec les années et les exigences de traçabilité qui

allaient croissantes, ces cadres devinrent de plus en plus stricts, avec pour

conséquences des coûts de recherches et de développement majorés, et des

innovations de plus en plus rares. Tous les ans depuis sa création en 1980, la revue

Prescrire édite un palmarès distinguant les médicament qui apportent un progrès réel

pour les patients. Ces quatre dernières années aucune distinction n’a été attribuée

par la revue qui déplore une panne de l’innovation ; reflet de cet essoufflement de la

recherche, sur la période 2000-2010, seuls deux médicaments ont été primés, de

même qu’ils n’étaient que trois entre 90 et 2000, mais six entre 81 et 89 (2). Dans le

même temps l’industrie pharmaceutique produit une part de plus en plus importante

de molécules « me too », copies de produits déjà existants, et d’associations souvent

peu utiles. Si on ajoute à cela un nombre toujours croissant de médicaments tombant

dans le domaine public - et parmi eux les blockbusters, ces médicaments qui

rapportent chacun plus d’un milliard de dollars à la firme qui les produit - on obtient

un début d’explication au déclin de l’industrie pharmaceutique (1).

Devant ce constat, certains laboratoires pharmaceutiques, plutôt que

d’accepter de rogner leurs marges en privilégiant l’innovation, firent donc le choix

d’une stratégie marketing forte. D’après Marcia Angell, ancienne éditrice en chef du

New England Journal of Medicine, la situation est telle que l’industrie

pharmaceutique consacre actuellement plus de moyens au marketing qu’à la

recherche et au développement. Dans son ouvrage « The Truth about the Drug

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Companies », elle cite Pfizer, alors déjà premier laboratoire pharmaceutique mondial,

qui a consacré en 2004 32% de ses ventes au poste de marketing et seulement 15%

à celui de recherche et développement (3).

Cette évolution regrettable devient tout à fait problématique lorsqu’on constate

que le marketing ne se limite plus aux domaines clairement identifiables comme la

publicité directe ou la visite médicale, mais dérive illégalement et de manière

insidieuse dans la recherche et l’éducation des médecins, secteurs considérés

comme indépendants.

C’est principalement à l’occasion d’affaires judiciaires que ce type de

pratiques ont été mis au jour. Aux Etats-Unis le procès qui opposa l’Etat à Pfizer pour

le marketing illégal du Neurontin fait figure de précurseur ; cette affaire a été

largement relayée et suivie par les revues médicales comme par les médias grand

public. Elle a permis de mettre en évidence toute une série de tactiques

commerciales résultant d’une stratégie minutieusement construite, visant

délibérément à contourner les recommandations officielles des organismes de

régulation. Elle a révélé les méthodes peu scrupuleuses auxquelles le laboratoire

avait eu recours pour augmenter les ventes de son antiépileptique Neurontin, et a

mis en lumière une véritable volonté de mystification émanant des plus hauts

dirigeants de la firme.

Malgré son retentissement historique outre-atlantique, cette affaire est restée

étonnamment peu médiatisée en Europe (et donc en France) : seules des revues

comme Prescrire (4) en France, Minerva en Belgique (5) ou Arznei Telegram (6) en

Allemagne ont relayé l‘information.

Dès lors il nous a semblé important d’y consacrer ce travail, qui a pour objectif

dans un premier temps de retracer les grandes lignes de l’affaire, puis d’en extraire

une modélisation de la stratégie utilisée par la firme et de la comparer dans un

deuxième temps aux données fournies depuis par d’autres procès. Nous

dégagerons des propositions afin qu’individuellement et collectivement la

communauté médicale se préserve de telles dérives commerciales qui nuisent à la

qualité du travail et des prescriptions des médecins.

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I METHODOLOGIE

Notre travail de type journalistique est une revue de la littérature, visant à

synthétiser les documents concernant les deux procès contre Pfizer qui ont eu lieu

aux Etats-Unis pour marketing illégal du Neurontin.

Période étudiée

1994 à 2011.

Documents « grand public »

Nous avons d’abord cerné les contours de l’affaire à partir des articles et

ouvrages publiés sur le sujet dans la presse non spécialisée ; la plus abondante

documentation nous a été fournie par ceux de Melody Petersen, journaliste en

charge des enquêtes pharmaceutiques au New York Times, qui a couvert les procès

et a publié en 2008 « Our Daily Meds »(7). Il s’agit d’un exposé de la situation de

l’industrie pharmaceutique aux Etats-Unis, comprenant un chapitre intitulé

« Neurontin for everything » qui décrit le déroulement de l’affaire sur un mode

chronologique ; pour cet ouvrage M. Petersen s’appuie principalement sur les

déclarations qu’elle a obtenues du principal témoin, D. Franklin, ainsi que sur des

documents internes de Pfizer, rendus publics à la suite du premier procès.

Nous nous sommes également référés aux ouvrages de Philippe Pignarre (1)

et de Marcia Angell (3) sur les techniques marketing dans l’industrie pharmaceutique.

Philippe Pignarre, ancien directeur de la communication de Synthélabo, est

maintenant éditeur ; Marcia Angell est médecin, ancien éditeur en chef du New

England Journal of Medicine.

Documents juridiques

Notre étude a porté sur les documents internes à Pfizer, rendus publics au

cours du premier procès et consultables sur le site de l’université de Californie (8)a.

Compte tenu de la très grande quantité de matériel concernant l’affaire Neurontin

a Ce site, accessible à l’adresse http://dida.library.ucsf.edu/ (Drug Industry Document Archive), recense les inconduites de firmes pharmaceutiques et donne accès aux documents en témoignant. La plupart de ces documents ont été mis à la disposition du public suite à des procès.

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(8000 pages), nous n’avons pu en consulter l’intégralité. Nous avons analysé la

déposition du lanceur d’alerte D. Franklin, le rapport des avocats de celui-ci et les

enregistrements vocaux internes retranscrits (9–11) ; par ailleurs, quand d’autres

auteurs citaient des références parmi ces documents, nous les avons recherchées et

vérifiées.

Il s’agit de protocoles d’études, de rapports d’études non publiées, internes à

la compagnie, ou de divers types de documents (transcriptions d’enregistrements

vocaux, mails, mémorandum) rapportant des discussions internes ou des

correspondances avec d’autres sociétés, ainsi que des programmes, présentations

d’évènements sponsorisés par Pfizer. On y trouve également toutes les déclarations

des différents témoins et protagonistes de l’affaire.

Nous avons également travaillé à partir des rapports d’expertise judiciaire

rendus publics à la suite du deuxième procès en class action (12–21).

Articles issus de revues scientifiques

Dans un deuxième temps, nous avons examiné les articles disponibles sur la

base de données PubMed, en utilisant les termes Me SH « drug labelling »,

« neurontin » ou « gabapentin », et « legislation & jurisprudence ». Nous avons

complété les résultats grâce aux outils « citation » et « related articles ».

Parmi les références ainsi obtenues, nous avons retenu les articles de

Steinman et al.(22–24) et Vedula et al. (25), qui s’appuyaient sur les documents

internes à la firme et dont les auteurs n’avaient pas de conflits d’intérêts.

La base de données de la Cochrane Collaboration a été interrogée, afin de

connaître les revues de la littérature éditées sur la gabapentine.

Par la suite, nous avons complété notre travail par l’interrogation des archives

de la revue Prescrire, afin d’obtenir des références francophones

indépendantes (4,26,27).

D’autres références européennes, issues des revues indépendantes Minerva

(5) et Arznei Telegram (6), ont été trouvées sur le site grand public Pharmacritique

(28)b.

b Site qui recense les conflits d’intérêts au sein de la recherche médicale.

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Critères de sélection

La pertinence de notre travail nécessitait des références indépendantes.

Pour les articles tirés de revues scientifiques, nous avons recherché l’absence

d’influence d’une quelconque nature chez leurs auteurs, en nous rapportant aux

déclarations de conflits d’intérêt.

Pour les sources « grand public », lorsque la partialité des auteurs pouvait être

remise en cause (c’est notamment le cas du livre de Melody Petersen (7),

réquisitoire contre l’industrie pharmaceutique), nous ne nous sommes appuyés que

sur des faits documentés et sur les sources qui pouvaient être vérifiées.

Classement des résultats obtenus

Les différentes méthodes marketing rencontrées dans les diverses sources

ont été classées et organisées afin de reconstituer la stratégie globale de Pfizer ;

nous avons ensuite comparé cette modélisation à celles réalisées dans de

précédents articles, notamment celle de Steinman et al.(23), afin de proposer une

approche aussi complète que possible.

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II RESULTATS : le cas Neurontin

A Contexte

Le premier laboratoire à produire et commercialiser la gabapentine sous le nom

commercial de Neurontin est Parke-Davis. Cette firme fondée en 1860 s’attira entre

autres un grand succès en commercialisant à l’époque la cocaïne.

Parke-Davis est devenu à la suite de son rachat en 1970 la branche

pharmaceutique de Warner-Lambert, une grande compagnie plus connue pour sa

production non médicale (rasoirs, chewing-gums) (7).

En 2000, le laboratoire Pfizer a racheté Warner-Lambert pour un montant

s’élevant à 87 milliards de dollars.

Pfizer est actuellement le plus gros groupe pharmaceutique mondial, avec un

chiffre d’affaire s’élevant en 2009 à 50 milliards de dollars (29).

Tout au long de ce travail, par souci de clarté, nous ferons référence au

laboratoire sous les termes « Parke-Davis/Pfizer ».

Composition

Le Neurontin est un antiépileptique utilisant comme principe actif la gabapentine,

acide aminé de structure moléculaire proche de l’acide gamma-amino butyrique ou

GABA, principal neuromodulateur du système nerveux central. Cette analogie de

structure n’est pourtant pas à l’origine de son mécanisme d’action antiépileptique, qui

reste à préciser (30).

Mise sur le marché autorisée en 1993 par la

Food and Drug Administration (FDA)

Le premier brevet date de 1977. Parke-Davis/Pfizer a reçu l’autorisation de mise

sur la marché (AMM) aux Etats-Unis par la FDA en 1993, année à partir de laquelle

le Neurontin a été commercialisé. Le libellé de L’AMM était alors : chez l’adulte,

bithérapie de l’épilepsie, avec ou sans généralisation.

En 2000 cette autorisation a été étendue aux enfants de plus de trois ans, puis en

2002, au traitement des douleurs post zosteriennes chez l’adulte.

Les dosages recommandés par la FDA sont de 300 à 1800 mg par jour (31).

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En 1997 et 2000, la FDA a rejeté la demande d’AMM demandée par Parke-

Davis/Pfizer pour la monothérapie de l’épilepsie (18,31).

Des ventes d’abord décevantes suivies d’une explosion des prescriptions hors

AMM

Dans les premières années de sa commercialisation, le Neurontin n’a pas été

un succès commercial et ses ventes sont restées modérées. Les prescriptions

étaient alors très majoritairement conformes aux indications de la FDA : en février

1996, 83% des prescriptions concernaient l’épilepsie et 17% des indications hors

AMM (dont 14% les douleurs neuropathiques). Deux années plus tard, les indications

hors AMM étaient de 60 % du total des prescriptions, chiffre qui passait à 93,5 % en

2001 ( les prescriptions pour épilepsie n’étant plus que de 6,5% du total) (8,12).

Cette évolution exponentielle est illustrée par la figure 1, extraite d’une présentation

commerciale de Parke-Davis/Pfizer et reproduite dans un des rapports d’expertise

(8,12).

En parallèle, entre 1996 et 2001, les prescriptions de Neurontin ont été

multipliées par 14 aux Etats-Unis : passant de 430 000 patients sous Neurontin en

1996 à 5 977 000 en 2001. Cette augmentation spectaculaire concernait surtout les

indications hors AMM (8,12).

Les ventes du Neurontin ont atteint 3 milliards de dollars en 2004 (24), ce qui

en a fait un blockbuster. (cf. introduction)

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Figure 1. Evolution de la consommation de Neurontin aux Etats-Unis de 1994 à

2000, en fonction des différents groupes d’indications, document interne de Parke-

Davis/Pfizer tiré du «Global Operating Plan for Neurontin - 2001» (d’après

Abramson, 2008).

On constate sur ce document la croissance exponentielle de la consommation de

Neurontin sur la période représentée, augmentation qui concerne surtout les

indications hors AMM, tandis que les usages pour épilepsie diminuent, tant en chiffre

absolu qu’en proportion de l’usage total.

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« Neurontin for everything »

Cette évolution était le fruit d’une stratégie élaborée par Parke-Davis/Pfizer

dès les premières années de la commercialisation du Neurontin : dès 1994, devant

des ventes qu’ils considéraient comme décevantes, les dirigeants commerciaux de

Parke-Davis/Pfizer se réunirent afin d’élaborer une stratégie visant à gonfler celles-ci.

Partant du constat que l’AMM obtenue était insuffisante pour générer les bénéfices

souhaités, ils décidèrent de favoriser des « usages émergents » de la gabapentine

en développant toute une stratégie dont le seul but était d’encourager les praticiens à

étendre leurs prescriptions, en faveur d’indications telles que la migraine, les troubles

bipolaires, les douleurs neuropathiques… (cf. tableau 1). A cette époque, John Ford,

cadre exécutif, exhorte ses commerciaux à promouvoir « Neurontin pour tout »

(“That’s where we need to be, holding their hand and whispering in their ear,

Neurontin for pain, Neurontin for monotherapy, Neurontin for bipolar, Neurontin for

everything”, “C’est à leur côté que nous devons être, tenant leur main et leur

murmurant à l’oreille, Neurontin pour la douleur, Neurontin pour la monothérapie,

Neurontin pour les bipolaires, Neurontin pour tout ») (9,24).

Tableau 1. Indications hors AMM

Le tableau 1 présente les indications hors AMM ayant fait l’objet de promotion,

recensées au cours de notre étude

Troubles neurologiquesEpilepsie dans le cadre d’une monothérapieDouleur neuropathique dont neuropathie diabétiqueSyndrome douloureux régional complexeProphylaxie de la migraineNévralgie du trijumeauSyndrome des jambes sans reposSclérose latérale amyotrophiqueMyoclonie nocturneTroubles psychiatriquesTroubles bipolairesHyperactivitéSyndrome de sevrage à l’alcool et aux drogues

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Contournement délibéré de la FDA orchestré par les dirigeants de la firme

Devant la crainte qu’une procédure de demande d’AMM à la FDA ne puisse

aboutir suffisamment tôt pour que l’investissement nécessaire soit rentabilisé avant

l’expiration du brevet protégeant le Neurontin, les dirigeants décidèrent

de contourner la FDA (11,12).

Ces décisions, consignées par écrit, émanaient d’un comité, le « New Product

Comittee », regroupant des hauts dirigeants comme Lodewijik J.R. de Vink, président

de Warner-Lambert, et Anthony H. Wild, président de Parke-Davis (7,11)

Pour illustrer ces décisions nous avons pris l’exemple de la promotion du

Neurontin dans la prophylaxie de la migraine. Dans un mémorandum interne dont

nous reproduisons un extrait en annexe, John T. Boris, manager au « Product

Planning Department », décrit la stratégie définie par le « New Product Comittee »

pour la promotion du Neurontin dans cette indication : au lieu de lancer une ou

plusieurs études pivots susceptibles d’obtenir l’approbation de la FDA, le Comité

décida de s’en tenir à deux plus petites études de moindre coût et de les publier,

sous réserve que leurs résultats soient positifs («The results, if positive, will therefore

be publicized in medical congresses and published in peer-reviewed journals ») (11).

Le but n’était pas d’obtenir l’AMM mais plutôt d’essaimer les résultats le plus

largement possible dans la littérature mondiale afin de stimuler les prescriptions hors

AMM (11,23)

Poursuite de ces pratiques après le rachat de Parke-Davis par Pfizer

La stratégie débutée par Parke-Davis consistant à promouvoir les indications

hors AMM a été reprise à son compte par Pfizer, comme en témoignent les notes

internes de la compagnie postérieures au rachat. En octobre 2000 par exemple,

dans le Neurontin Global Operating Plan for 2001, le management de Pfizer formule

le vœu d’un « partenariat » avec l’American Pain Society, dans le cadre de

l’utilisation du Neurontin pour les douleurs neuropathiques ; or, à l’époque où

intervint cette recommandation, les dirigeants de Pfizer connaissaient déjà les

résultats de l’étude 945-224 (« Reckless »), la plus importante que le groupe ait

commandée sur la douleur neuropathique, et qui avait conclu en juillet 2000 à

l’absence de supériorité du Neurontin par rapport au placebo (8,12). Cette étude n’a

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du reste jamais été publiée dans son intégralité et sa publication a été reportée le

plus longtemps possible (cf. infra).

Un premier procès opposa de 1996 à 2004 l’Etat à Pfizer Inc.

A l’origine de l’action se trouvait David Franklin, docteur en microbiologie

engagé par Parke-Davis/Pfizer en 1996, en tant que « medical liaison » (agent de

liaison médicale)c.

Les agents de liaison médicale étaient à l’origine embauchés par le laboratoire

pour répondre aux requêtes des praticiens concernant les indications hors AMM, en

leur fournissant une information scientifique loyale, conforme aux données de la

littérature ; ils ne devaient en aucun cas promouvoir ces indications.

D. Franklin bénéficia pourtant d’une formation majoritairement axée sur les

techniques commerciales, puis fut chargé d’aller démarcher les praticiens afin de

répandre les usages hors AMM du Neurontin (9)

Au cours des mois qui suivirent, constatant que la fraude était orchestrée par

les dirigeants de la compagnie, il commença à collecter des informations en

témoignant ; il démissionna en juillet 1996 et porta plainte contre Warner-Lambert et

sa filiale Parke-Davis en août 1996, profitant d’une loi intitulée « False Claim Act »,

ce qui lui permit d’être suivi dans cette action par l’Etat. d

Dans le cas du Neurontin, la fraude dénoncée par les avocats de Franklin

résidait dans la promotion d’indications non approuvées par la FDAe, et qui avait

conduit les praticiens à prescrire Neurontin pour plusieurs centaines de millions de

dollars que Medicaid, le programme de santé de l’Etat, avait dû rembourser.

Le procès a permis de mettre en évidence les techniques marketing utilisées à

des fins peu scrupuleuses par Parke-Davis/Pfizer ; les documents du procès qui en

témoignaient - rapports d’expertises, rapports confidentiels internes, dépositions du

plaignant, des accusés et des témoins - furent à l’origine scellés « pour protéger

c Il s’agit d’un poste commercial s’adressant à des scientifiques de formation de haut niveau, pour la plupart titulaires d’un

doctorat en biologie ou en médecine, dont le rôle est de servir de liens entre les firmes et une communauté scientifique ciblée, en l’occurrence la communauté médicale.

d Le False Claim Act est une loi fédérale américaine datant de la Guerre de Sécession et ayant pour but de protéger l’Etat

contre les fraudes ; il existe une disposition selon laquelle une personne physique peut engager une action contre une firme au nom de l’Etat. Si celui-ci gagne le procès, il reverse entre 10 et 30 % de l’amende au lanceur d’alerte ou whistleblower.

e Comme en France, un médecin a le droit d’effectuer des prescriptions hors AMM s’il estime que cela bénéficiera au patient, mais une firme n’a pas le droit de promouvoir ces indications aux médecins.

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l’industrie mise en cause »f. En 2002, à la suite d’un mouvement de contestation

populaire relayé par les médias, ils ont été dévoilés (3) et sont toujours disponibles à

la consultation sur le site de l’Université de Californie (8).

Le laboratoire plaida coupable des charges de promotion illégale du Neurontin

qui lui étaient reprochées et fut condamné à 430 millions de dollars d’amende (dont

152 millions de dollars à titre de remboursement des pertes subies par les

programmes de santé fédéraux) (32).

Cette somme certes record restait minime en regard de ce qu’avait rapporté la

fraude depuis 1996 en termes financiers - pour la seule année 2003 les ventes

mondiales de Neurontin ont rapporté 2,7 milliards de dollars à Parke-Davis/Pfizer (3)

- et en terme de renommée acquise par le Neurontin dans la communauté médicale.

Ce verdict est par ailleurs intervenu la même année que l’expiration du brevet

de Pfizer pour le Neurontin : l’objectif de Pfizer en terme de rentabilité était donc

atteint.

Quant à D. Franklin, en tant que « whistleblower » (dénonciateur), il reçut 27

millions de dollars (3).

Pfizer accepta par ailleurs de contracter avec l’Etat une charte de bonne

conduite (« Corporate Integrity Agreement ») qui comprenait une clause selon

laquelle le laboratoire ferait de 2004 à 2009 l’objet d’une surveillance accrue de la

part de l’Inspection Générale des Services de la Santé (33).

Deuxième procès en class action (recours collectif)

En 2008 une deuxième action judiciaire a été intentée contre Parke-

Davis/Pfizer devant une cour fédérale des Etats-Unis par des associations d’usagers

et des tierces parties incluant des assurances privées pour fausses allégations

concernant l’efficacité du Neurontin. Parke-Davis/Pfizer perdit une nouvelle fois et fut

condamné en janvier 2011 à verser 142 millions de dollars aux plaignants g.

C’est au cours de ce procès qu’ont été rendus publics dix nouveaux rapports

d’experts (12–21) très critiques, qui analysaient les documents internes déjà étudiés

lors du premier procès ainsi que d’autres données découvertes depuis.

f Ainsi que le prévoit la loi américaine dans le cas d’une procédure de « false claim act ».

g La firme a annoncé sa volonté de faire appel de ce verdict.

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A La stratégie Neurontin

Un plan d’action défini

Chaque année, Parke-Davis/Pfizer, assisté de compagnies publicitaires,

établissait un plan marketing pour le Neurontin (le « Global Operating Plan for

Neurontin »), qui fixait des objectifs généraux et les stratégies à mettre en place pour

les atteindre. Ce plan général était approuvé par la direction du management de

Parke-Davis/Pfizer (incluant le président de Parke-Davis). Des tactiques marketing

étaient ensuite élaborées, puis des programmes promotionnels précis budgétisés. A

l’issue le plan était à nouveau soumis à l’approbation de la direction du management

de Parke-Davis (10,23).

Pour l’année 1998 par exemple, le budget réservé à la promotion de la

gabapentine était de 40 millions de dollars, répartis entre quatre catégories

tactiques :

- « développer l’utilisation du neurontin dans la monothérapie de

l’épilepsie » (21,5 millions de dollars),

- « favoriser l’émergence de nouvelles indications » (11 millions),

- « s’allier les services des leaders d’opinion » (4,7 millions),

- « cibler les médecins à fort potentiel de prescription au moyen de la

formation médicale continue » (2,5 millions) (8,23).

La réalisation de ces objectifs promotionnels passait par deux étapes

successives : dans un premier temps une « stratégie de publication » (10), afin

d’obtenir, par différents moyens plus ou moins légaux, un pool d’articles favorables

au Neurontin, et dans un deuxième temps la diffusion de ces données au sein de la

communauté médicale, par le biais de techniques marketing elles aussi peu

scrupuleuses.

Nous allons développer ces deux étapes dans les chapitres suivants.

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La « stratégie de publication » : une manipulation de la recherche

Ainsi que nous l’avons évoqué, Parke-Davis/Pfizer cherchait à faire prescrire

le Neurontin pour ce que la firme appelait « les usages émergents » du médicament,

mais avait fait le constat que lancer des études pivots pour obtenir l’AMM était un

investissement risqué.

Pour certaines indications comme la monothérapie de l’épilepsie, Parke-

Davis/Pfizer cherchait à obtenir une AMM, ce que les cadres de la firme qualifient de

« développement complet » ; en revanche, pour la plupart des « usages

émergents », la stratégie de publication corrélée à des objectifs d’accroissement des

ventes remportait les suffrages (11,15).

Cette stratégie visait à « disséminer l’information le plus largement possible

dans la littérature mondiale », afin de créer une émulation autour d’indications même

non approuvées par les agences d’évaluation des produits (11,23).

On trouve des preuves d’une stratégie élaborée pour au moins quatre de ces

indications :

Migraine

Des documents internes issus des études marketing témoignent de la volonté de

favoriser la stratégie de publication (« the decision is to conduct only publication

study(ies) », « il a été décidé de ne lancer que des études destinées à être

publiées ») ainsi que de celle de manipuler les données scientifiques dans le but de

favoriser les prescriptions de gabapentine pour la prophylaxie de la migraine (« the

results, if positive, will therefore be publicized in medical congresses and

published in peer-reviewed journals. », « les résultats, s’ils sont positifs, feront l’objet

de publicité dans des congrès et seront publiés dans la littérature médicale »)

(7,11,15).

Troubles bipolaires

D’une manière générale on retrouve des preuves d’une stratégie de

publication pour de multiples désordres psychiatriques, mais ce sont les troubles

bipolaires qui sont le plus spécifiquement visés.

Comme pour la prophylaxie de la migraine il est spécifié que seules les études

positives étaient destinées à être publiées et utilisées lors de congrès (8,15).

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Douleur neuropathique

Il s’agissait d’une des indications hors AMM les plus soutenues par Parke-

Davis/Pfizer, qui en prévoyait une grande rentabilité (34).

Les études marketing témoignent de la même stratégie de publication pour cette

indication, associée à l’intention de ne témoigner que de résultats favorables au

Neurontin : « The results of the recommended exploratory trials in neuropathic pain,

if positive, will be publicized in medical congresses and published, but there is no

intention to fully develop this indication at this point », « Les résultats des essais

préparatoires recommandés concernant la douleur neuropathique, s’ils sont positifs,

feront l’objet de publicité dans des congrès et seront publiés, mais il n’est pas

question à ce terme de développer complètement cette indication » (le terme

« développement complet » faisant référence à l’approbation de la FDA) (23,34).

Doses supérieures à 1800 mg par jour

Parke-Davis/Pfizer déployait des efforts particuliers (9,13) pour faire passer le

message « dose augmentée, efficacité augmentée », malgré un refus de la FDA de

procéder à une révision à la hausse de la dose maximale approuvée (les études sur

lesquelles s’appuyaient cette demande étaient soit d’un design insuffisant, soit elles

avaient échoué à mettre en évidence une plus grande efficacité de dose supérieures

à 1800mg). Cette stratégie passait par la mise en avant dans des publications et des

congrès des résultats issus de ces études peu significatives, en omettant les

résultats négatifs des études bien conduites (13).

L’étude STEPS, l’une des principales vectrices du message « haute dose »,

mérite d’être plus précisément décrite, car elle montre combien les frontières entre la

recherche et la promotion pouvaient être virtuelles : pour cette étude de phase IV,

ouverte, non contrôlée et non randomisée, plus de 700 médecins furent enrôlés,

avec en moyenne trois patients chacun (payés 300 dollars par patient), avec pour

objectif officiel d’évaluer l’efficacité de la gabapentine à des doses allant jusqu’à

3600 mg (soit deux fois la recommandation maximale de la FDA). Les résultats de

cette étude servirent par la suite de support à une vaste campagne commerciale

vantant l’efficacité et la bonne tolérance de hautes doses de gabapentine. Mais le

plus instructif à propos de l’étude STEPS, c’est que des documents internes à la

compagnie la décrivent comme étant en réalité une étude « d’essaimage » destinée

à habituer les médecins qui y participaient à prescrire à haute dose, d’une manière

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générale et pour tous leurs patients. Parmi les indicateurs de succès pour cette

étude, on retrouvait l’augmentation des parts de marché et l’utilisation de plus hautes

doses de Neurontin. (8,13,23)

Recours au « ghostwriting »

Nous avons retrouvé de multiples preuves de l’utilisation de cette technique

frauduleuse qui consiste à faire signer par des médecins influents des articles

présentant des résultats favorables au produit commercialisé (8,9,13,15,23,35,36).

Parke-Davis/Pfizer a sollicité dans ce but plusieurs sociétés spécialisées dans

la communication médicale qui se chargeaient de rédiger les articles et de trouver les

auteurs. Ces sociétés proposaient des sujets d’articles potentiels, avec des revues

cibles potentielles et des auteurs potentiels, parmi lesquels Parke-Davis/Pfizer faisait

son choix (23,35,36).

Ainsi, la société Medical Education System envoya-t-elle à Parke-Davis/Pfizer,

au sujet d’une étude qu’elle devait leur fournir, un mémorandum comportant ces

mots : « DRAFT COMPLETE[D]. WE JUST NEED AN AUTHOR. », ce que l’on peut

traduire par : « Premier jet fini. Nous avons juste besoin d’un auteur. »(7). Cette

même firme nota, dans un rapport à propos d’une autre étude commandée : « Draft 1

being reviewed internally (some rewriting being done). Will send to author and P-D

by 1/28/98 », que nous traduisons ainsi : « le premier jet a été revu (quelques

corrections effectuées). Nous l’enverrons à l’auteur et à Parke-Davis le

28/1/98 »(36). Chacun de ces articles était facturé 13 375$ à Parke-Davis/Pfizer.

Les auteurs qui signaient les articles avaient souvent collaboré avec Parke-

Davis/Pfizer (communications lors de meetings, téléconférences…).

D’après Steinman et al., les articles produits par ces sociétés de

communication étaient majoritairement favorables (quatre sur sept, les trois autres

étant neutres) et ne déclaraient pas de conflit d’intérêt dans six cas sur sept (23).

.

Biais multiples dans les études scientifiques et leurs publications

Comme nous l’avons précédemment expliqué, il fallait à Parke-Davis/Pfizer un

matériau scientifique suffisamment favorable au Neurontin pour pouvoir supporter la

vaste promotion que le laboratoire prévoyait. La firme a donc manipulé un certain

nombre de données issues d’essais cliniques dans le but de donner l’illusion d’une

vérité scientifique.

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Cette réalité transparaissait dans des documents issus du premier procès (9),

mais c’est au cours du deuxième procès qu’elle fut révélée dans le détail, notamment

grâce aux différents travaux d’expertise.

Le rapport Dickersin, qui traite exclusivement des biais rencontrés dans les

études sur la migraine, les troubles psychiatriques et les douleurs nociceptives et

neuropathiques, fait état de nombreux biais au sein de toutes ces études, intervenant

dès la conception de l’étude jusqu’à sa publication (15) :

Biais de design de l’étude

L’étude Backonja (37) en est un exemple : elle montre une amélioration

significative de la neuropathie diabétique par le neurontin, mais en l’administrant à

une si forte dose (3600 mg) que la fréquence et l’intensité des effets secondaires

centraux eurent probablement pour conséquence de démasquer le double-aveugle

(ce dont étaient conscients les auteurs de l’article, qui le regrettent dans leur

discussion, et Parke-Davis/Pfizer, comme cela apparaît dans des mails internes)

(15,17).

Analyses per protocole

Une grande partie des études étaient réalisées non en intention de traiter mais

per protocole (populations analysées sélectionnées a posteriori, avec pour résultante

une rupture de la randomisation). Cet état de fait était par ailleurs dissimulé par les

auteurs grâce à des artifices de terminologie : la formule « intention de traiter » était

utilisée abusivement, ou des formules approchantes étaient employées, comme

« modified intention to treat », qui permettaient de justifier les exclusions (15).

Publications sélectives

Il existe au sein des mémorandums de l’entreprise des preuves de la non

publication de résultats négatifs (résultant d’une stratégie de ne publier que les

résultats positifs). Parmi les vingt et une études examinées dans le rapport Dickersin,

seize étaient négatives, si l’on s’en tenait au critère primaire défini par le protocole ;

quatre études sur les cinq positives ont été publiées, alors que ça n’a été le cas que

de six études sur les seize négatives.

Les études positives étaient, en outre, publiées dans des journaux à plus haut

impact scientifique ; leurs résultats pouvaient également être publiés à de multiples

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reprises(15). Ce fut le cas pour la promotion de la gabapentine dans la neuropathie

diabétique : les résultats de l’étude Backonja, essai phare de Parke-Davis/Pfizer pour

cette indication (37), furent publiés sous deux formes différentes (dont l’une dans le

JAMA) ; ceux de l’étude POPP, négatifs, ne furent pas publiés (12,37).

On peut également citer l’exemple de l’étude Reckless, qui n’est pas parvenue

à déterminer d’efficacité statistique au Neurontin dans la neuropathie diabétique.

Quand l’auteur se plaignit que cette étude n’était pas publiée, un des cadres de

Parke-Davis/Pfizer déclara dans un mail interne qu’il ne fallait pas « prendre le risque

de publier quoi que ce soit qui puisse être dommageable au succès commercial du

Neurontin » (8,15).

Les publications de certains résultats ont été décalées dans le temps, afin

qu’ils n’influencent pas les efforts promotionnels en cours (8,12,15,24).

Manipulation des critères d’évaluation

Ce type de biais a été démontré dans le rapport Dickersin (15), puis a fait

l’objet d’une étude de Vedula et al. (25), relayée en France par la revue Prescrire

(26). Le critère de jugement principal présenté dans la publication différait de celui

initialement prévu dans le protocole huit fois sur douze, et cinq fois sur huit si le

résultat était favorable.

Dans quatre essais seulement, le critère d’évaluation principal publié était

identique à celui défini dans le protocole. Pour les autres essais, l’accent était mis a

posteriori sur celui des critères qui permettait de dégager une différence significative,

ce qui est un biais d’analyse sélective.

« Recadrage » des résultats et biais de langages

Dickersin souligne des divergences entre les résultats tels qu’ils

apparaissaient dans l’article complet et tels qu’ils étaient ensuite résumés, ainsi que

de fausses affirmations (15) : il est ainsi affirmé dans l’étude Backonja que celle-ci

est la première à évaluer l’efficacité de la gabapentine [dans la neuropathie

diabétique] (« because this was the first trial to evaluate gabapentin’s efficacy in this

patient population »)(37). Or, la première étude à évaluer la gabapentine dans une

telle indication était l’étude Gorson (38), négative, dont le manuscrit avait été envoyé

à Elizabeth Garofalo, employée de Parke-Davis/Pfizer et l’une des co-auteurs de

l’article de Backonja (8,15).

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Biais de citation

Dans certains cas seules les études positives, voire les résultats positifs au

sein d’études globalement défavorables, étaient cités (15) : ainsi, la revue de la

littérature sur la douleur neuropathique publiée par Backonja et Glanzmann (un

employé de Pfizer) n’inclut-elle pas les études Gorson et POPP (12).

Dissimulation de résultats

Une analyse de mails internes à la compagnie montre que Parke-Davis/Pfizer a

volontairement caché des résultats qui lui étaient demandés par la Collaboration

Cochrane, à propos de revues concernant la migraine, les troubles bipolaires, ainsi

que la douleur neuropathique (15).

« Répandre la bonne parole » sur le

terrain grâce à la formation médicale

continue et à la visite médicale

Recrutement ou ciblage de médecins à tous les niveaux

Les services marketing de Parke-Davis/Pfizer classaient les praticiens selon

différents critères, afin de déterminer pour chaque groupe cible des actions

spécifiques.

Grâce aux données que lui vendait IMS Health, une société qui établissait des

profils de prescriptions des praticiens (cf. infra, discussion), les services marketing de

Parke-Davis/Pfizer pouvaient classer les médecins susceptibles de prescrire des

antiépileptiques en fonction de leur « potentiel de prescription en dollars » (9,26,39)

et donc de ce qu’ils pouvaient rapporter à la firme. Ces considérations concernaient

surtout les indications hors AMM : en 2002, seulement 20 % des échantillons

promotionnels furent attribués à des neurologues (qui étaient pourtant les plus

susceptibles de prescrire le Neurontin selon son AMM) contre 55 % à des

psychiatres (8,12).

Un autre groupe était constitué de leaders d’opinion (auxquels Parke-

Davis/Pfizer faisait référence sous les termes « thought leaders », « key

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influencers »), qui étaient distingués et visés en raison de leur fort potentiel

d’influence au sein de la communauté médicale, en tant que membres

d’organisations sanitaires reconnues ou d’universités réputées. Une fois recrutés, ils

pouvaient intervenir comme speakers dans des évènements promotionnels, ou

effectuer des travaux de recherche pour la firme. Dans l’un de ses documents

internes, Parke-Davis/Pfizer identifia comme cibles potentielles 40 de ces leaders

d’opinion, dont 26 occupaient des chaires : 35 sur 40 participèrent finalement à au

moins une activité financée par le laboratoire (pour des rémunérations comprises

entre 10 250 et 158 250 $, en honoraires, bourses d’études ou bourses de

recherches) (8,23).

Une catégorie de médecins était particulièrement visée par la firme : il

s’agissait de former des « champions » locaux du Neurontin (4), plus

particulièrement parmi les médecins hospitaliers faisant partie de centres

universitaires. Outre le fait que Parke-Davis/Pfizer pouvait les recruter comme

intervenants lors de ses programmes de promotions, ces praticiens pouvaient

également effectuer une diffusion des informations dans leurs services (transmission

d’informations en « peer to peer », que Parke-Davis/Pfizer privilégie). C’est

également parmi ces praticiens que les représentants commerciaux cherchaient à

former des « speakers bureaus », ainsi que le laboratoire nommait les cellules

locales regroupant des défenseurs du Neurontin (9,23).

D’une manière générale, Parke-Davis/Pfizer déclarait payer un grand nombre

de médecins en tant que « consultants », prétendant que ces médecins apportaient

des conseils aux commerciaux et permettaient ainsi à la firme d’améliorer le service

rendu aux patients ainsi qu’à la communauté médicale. En réalité, ces médecins

étaient payés pour assister à des exposés réalisés à des fins promotionnelles dont ils

étaient les cibles (9). Les appeler « consultants » permettait de contourner la loi

« anti-kickback »h , ainsi que d’aborder les indications hors AMM, dans un cadre

officiellement non promotionnel (3).

Les étudiants représentaient la dernière catégorie ciblée par la stratégie de

promotion du Neurontin. Il s’agissait pour Parke-Davis/Pfizer d’asseoir son influence h Loi américaine de 1986, interdisant la promesse ou le versement de pots-de-vin, directs ou indirects, dans le but d'obtenir un marché.

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dans leurs futures carrières (ainsi que cela est spécifié dans un document interne :

« to influence physicians from the bottom up » et « to solidify Parke-Davis’ role in the

resident’s mind as he/she evolves into a practicing physician ») (8,23).

Ainsi ciblés, les médecins pouvaient être visés par des actions

promotionnelles revêtant parfois toutes les apparences de l’indépendance.

La formation médicale continue (FMC), un des piliers de la

stratégie

Parke-Davis/Pfizer y investit la moitié de son budget promotionnel pour

l’année 1998, soit 20 millions de dollars. En 2000 cet investissement était de 38

millions de dollars (8,12,23).

Utilisée pour promouvoir les indications hors AMM du Neurontin

Le laboratoire a utilisé la FMC comme outil de promotion essentiellement pour

les indications hors AMM qu’il souhaitait développer : ainsi, en 2000, Parke-

Davis/Pfizer a proposé un total de 764 programmes de formation médicale, auxquels

participèrent 37 600 médecins. 85% de ces FMC portaient sur la douleur, indication

non approuvée par la FDA (12). (Cf. figure 2)

Les praticiens y étaient également encouragés à prescrire à des doses

supérieures à 1800 mg/j (13).

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Figure 2. d’après Abramson: Plan de Formation Médicale 2001.

Il s’agit d’un document interne de Pfizer détaillant les sujets abordés, le type

d’audience visée, ainsi que le nombre de praticiens potentiellement présents ; une

grande part des thèmes concernent des indications non approuvées par la FDA

(douleur, troubles psychiatriques…)

Steinman et al. ont classé ces actions de formation professionnelle selon que

leur aspect commercial était ou non assumé : en effet, si la firme sponsorisait plus ou

moins clairement un certain nombre de congrès, dîners de formation, lectures de cas

cliniques, dont le caractère promotionnel pouvait être perçu par les participants, elle

parvint cependant à infiltrer des séances de formation médicale continue

indépendante, notamment en s’allouant les services de sociétés écrans (8,23).

Parke-Davis/Pfizer se servait de sociétés de formation médicale comme écran

Ces sociétés spécialisées dans la formation médicale étaient souvent des

filiales des firmes publicitaires, au même titre que celles que Parke-Davis/Pfizer

employait pour la rédaction et la diffusion d’articles favorables au Neurontin (cf.

supra, stratégie de publication) (8,23). Elles organisaient des événements,

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recrutaient les intervenants parmi les praticiens susceptibles d’accepter de

promouvoir les usages hors AMM du Neurontin et leur fournissaient même dans ce

cadre des présentations préparées par leurs employés. Parfois, ces firmes allaient

jusqu’à disséminer des collaborateurs dans l’audience lors des séances de

questions/réponses, dans le but de poser des questions préparées à l’avance et

formulées de manière à ce que l’intervenant n’ait d’autre choix que d’aller dans le

sens des usages hors AMM.

Cette méthode fut notamment utilisée par la société Proworx - qui travaillait

régulièrement pour Parke-Davis/Pfizer à l’organisation d’évènements promotionnels

-lorsqu’un intervenant refusa de lire la présentation préparée par la société

publicitaire au profit d’une présentation qu’il avait lui-même préparée et dont cette

société craignait qu’elle ne nuise à la promotion du Neurontin (12,40). L’incident fut

consigné (annexe n°2).

Infiltration de programmes de FMC « indépendants »

Parke-Davis/Pfizer pouvait également rétribuer ces firmes pour l’organisation

de programmes de FMC sous la forme d’ « unrestricted grantsi » (traduisible par

« don inconditionnel »). Ce faisant, le laboratoire renonçait officiellement à intervenir

au cours des évènements de FMC concernés. Ce statut de formation

« indépendante » permettait d’une part de pouvoir aborder lors de ces programmes

les usages hors-AMM de la gabapentine, et d’autre part de pouvoir prétendre à des

crédits de formation de l’ACCME (Accreditation Council of Continuing Medical

Education) (4,8,23).

Steinman et al. émettent l’hypothèse que ces sociétés d’éducation médicale,

étant également régulièrement employées par Parke-Davis/Pfizer pour organiser

d’autres évènements plus ouvertement promotionnels, avaient donc intérêt à ce que

l’information donnée convienne au laboratoire. Cela explique comment, en pratique,

des représentants de Parke-Davis/Pfizer ont pu infiltrer des évènements

« indépendants » de FMC afin d’en adapter le contenu à leurs intérêts (ils

participaient aux réunions d’élaboration des programmes de ces FMC, recrutaient les

praticiens…) (23).

i Il s’agit d’un fond délivré afin de soutenir le travail d’une organisation ; il n’est pas question de rétribution d’un travail ou d’un service particulier.

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Parke-Davis/Pfizer organisait donc, indirectement ou plus officiellement,

différents types d’évènements, en mettant l’accent sur la communication en « peer to

peer », c’est-à-dire en favorisant la communication des messages entre pairs (de

médecins à médecins). Cette stratégie était qualifiée « d’un des moyens les plus

efficaces pour faire passer notre message » (« one of the most effective ways to

communicate our message ») (8,23).

Téléconférences

Il pouvait s’agir de téléconférences, au cours desquelles des médecins

intervenants payés délivraient des messages à de petits groupes ciblés. Ces

téléconférences étaient décrites dans des notes internes comme un moyen

d’accroître les ventes (on trouve à ce propos dans un mémorandum : « the key goal

of the teleconferences was to increase neurontin new prescriptions by convincing

non-prescribers to begin prescribing and current prescribers to increase their new

prescription behavior », que l’on peut traduire par « l’objectif principal des

téléconférences était d’accroître les nouvelles prescriptions en convainquant les

non-prescripteurs de commencer à prescrire et les prescripteurs courants

d’augmenter leurs actes de prescription » ) (39).

Steinman et al. citent le cas d’une série de téléconférences de psychiatrie

auxquelles des employés de Parke-Davis/Pfizer étaient invités à participer, à ces

conditions : « expliquez à l’opérateur que vous devez être en mode « ECOUTE » et

que votre nom NE DOIT PAS être annoncé lors de l’introduction » (en majuscules

dans le texte) (8,23).

Organisation de dîners, congrès, meetings

Des rassemblements étaient organisés dans des restaurants et des hôtels

luxueux, où l’intégralité des frais des praticiens était prise en charge par Parke-

Davis/Pfizer (9,23).

Ainsi un meeting eut-il lieu au Château Elan, un hôtel luxueux proche

d’Atlanta, qui se tint en même temps que les Jeux Olympiques ; les praticiens invités

cinq jours purent, entre autres loisirs payés intégralement par la firme, assister aux

JO. Leurs frais de transport par avion étaient également pris en charge et Parke-

Davis/Pfizer paya même chaque praticien 750 dollars pour y participer (7,8).

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De tels congrès pouvaient réunir les « speakers bureaus », afin de leur faire

bénéficier non seulement d’une formation clinique qui traitait des usages non

approuvés du Neurontin, mais aussi de leur enseigner des techniques commerciales

pour leur permettre de disséminer dans la communauté médicale les messages

promotionnels qu’ils recevaient (9,23).

Ceux que Parke-Davis/Pfizer appelait ses « consultants » étaient également

réunis dans ce genre de cadre luxueux, pour des meetings qui portaient le nom de

comités consultatifs, et pour lesquels leur participation était rémunérée. Ces comités

consultatifs regroupaient souvent des médecins que l’entreprise avait identifiés

comme hauts pourvoyeurs potentiels de prescriptions. Il s’agissait officiellement de

recueillir les impressions des médecins sur la stratégie marketing et les programmes

éducatifs. Ils étaient en réalité les cibles d’actions promotionnelles (3,9,23).

Parke-Davis/Pfizer s’assurait ensuite que le message avait été délivré aux

médecins en étudiant l’évolution de leurs prescriptions dans les trois mois qui

suivaient les meetings et en comparant celles-ci à celles des trois mois précédents

(9). L’augmentation pouvait atteindre 70% après les dîners sponsorisés (3).

Autres « mécénats »

Les activités de Parke-Davis/Pfizer dans le domaine de l’éducation ne se

limitaient pas aux communications : le laboratoire sponsorisait également des

symposiums, toujours sous la forme de « dons inconditionnels », en s’assurant qu’un

message favorable au neurontin y serait délivré.

C’est aussi sous cette forme que la firme soutenait l’édition et la distribution

de livres dont le contenu rejoignait ses objectifs de promotion (8,23).

Parke-Davis/Pfizer utilisait également les « dons inconditionnels » pour se

rapprocher des sociétés savantes et obtenir d’elles qu’elles diffusent des

recommandations profitables aux ventes de Neurontin (12).

La visite médicale, utilisée bien sûr mais de manière atypique

La visite médicale est certes l’un des moyens les plus classiques dont

disposent les firmes pharmaceutiques pour promouvoir leurs produits. C’est

également une pratique à visée ouvertement promotionnelle, à la différence de la

formation médicale continue que nous venons d’évoquer. Le procès de la

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gabapentine a pourtant révélé dans ce domaine des pratiques trompeuses et parfois

illégales.

Les agents de liaison médicale, des visiteurs médicaux « de luxe »

Les visites aux praticiens étaient effectuées par des représentants

commerciaux ou mieux, par les agents de liaison médicale accompagnant ceux-ci,

comme D. Franklin (7,9). A l’origine leur rôle devait se limiter à des entrevues ou

conversations téléphoniques sollicitées par les praticiens eux-mêmes lorsqu’ils

voulaient être renseignés sur les indications hors AMM, informations qui devaient

rester impartiales et conformes aux données de la science. D. Franklin relate dans

sa déposition qu’on demandait aux agents de liaison médicale de fonctionner en

équipe avec les représentants commerciaux ; il regrettait le fait que les agents de

liaison médicale n’aient jamais été mis en relation avec la division « recherche » de

Parke-Davis/Pfizer, alors qu’on les incitait à mettre en avant leurs qualifications lors

des entretiens avec les médecins, afin d’introduire plus de poids dans leur discours

(9).

Méthodes marketing agressives et pressions sur les employés

Les représentants et les agents de liaison médicale étaient régulièrement

soumis à des pressions dans le but de faire augmenter les ventes.

Nous traduisons à ce propos un extrait d’un discours tenu aux agents de

liaison médicale par l’un des dirigeants commerciaux, Phil Magistro, et enregistré par

David Franklin (la version originale est reproduite en annexe) :

« Ce que nous devons faire, c’est nous focaliser sur Neurontin. Quand nous

sortons d’ici, c’est pour botter des culs, nous voulons vendre Neurontin pour la

douleur. OK ? Et sur la monothérapie, et sur tout ce que nous pouvons évoquer,

c’est ce que nous voulons faire. Parce que je suis embarrassé, et je ne sais pas si

vous les gars êtes aussi embarrassés, mais je suis embarrassé que nous en soyons

encore là avec Neurontin. Il faut que nous reprenions ça en main et que nous

bottions des culs, OK ? Et c’est ce que nous allons faire. » (9).

Afin d’augmenter leur motivation, les visiteurs médicaux avaient un

intéressement conséquent aux résultats, lesquels étaient suivis grâce aux rapports

individuels de données de prescriptions des praticiens. Il existait également une

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41

compétition entre les différentes équipes commerciales, que la compagnie

entretenait afin d’accroître les ventes (7,9).

Promotion d’usages hors AMM

La visite médicale était bien sûr un des éléments clef du dispositif de

développement des indications hors AMM, qu’elle avait pour objectif de populariser

auprès des médecins.

D. Franklin expliqua qu’on lui demandait de promouvoir lors de ses

démarchages un certain nombre d’indications pour lesquelles il n’existait pas

d’approbation par la FDA : troubles bipolaires, neuropathie diabétique, monothérapie

de l‘épilepsie, syndrome douloureux régional complexe, hyperactivité... (cf tableau 1)

Il devait également inciter à prescrire le Neurontin à des doses supérieures à 1800

mg/jour (9).

La compagnie s’assurait du succès de ses efforts promotionnels en faisant

réaliser des études de marché par des sociétés d’information relatives aux

prestations de santé. Une étude intitulée « Characteristics and impact of Drug

Detailing for gabapentin », par Steinman et al. (22), a analysé 116 visites médicales

effectuées pour la promotion du Neurontin entre 1995 et 1999, grâce à des

documents réalisés à la demande de Parke-Davis/Pfizer par Verispan, une de ces

sociétés ; Verispan interrogeait les praticiens après les visites des représentants de

Parke-Davis/Pfizer afin d’en évaluer la portée : ces documents renseignaient entre

autres sur le ou les messages transmis, la qualité de l’intervention, et précisaient si

les praticiens prescrivaient déjà la gabapentine ou comptaient la prescrire. Pour la

période étudiée, 38% des visites diffusaient des informations sur un usage hors

AMM. Par ailleurs, 46% des médecins déclaraient vouloir augmenter leurs

prescriptions de gabapentine suite à la visite d’un représentant Parke-Davis/Pfizer

(22).

Les représentants étaient également incités à présenter le principe de

« titration », qui consistait à augmenter rapidement les posologies pour atteindre des

dosages jusqu’à deux ou trois fois supérieurs à ceux recommandés par la FDA (9).

L’information délivrée était ciblée grâce aux rapports individuels de

prescription qui permettaient aux services marketing de renseigner les visiteurs

médicaux sur les habitudes de prescription des praticiens : le message pouvait ainsi

être « personnalisé » en fonction de leurs activités prédominantes, mettant en avant

une indication hors AMM plutôt que d’autres (7,20).

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42

Des visiteurs médicaux omniprésents : le « shadowing »

L’une des tactiques commerciales les plus originales et les plus frappantes sur

laquelle ce procès nous a renseigné est ce que Parke-Davis/Pfizer appelait le

« preceptorship program » ou « shadowing » : officiellement, le praticien acceptait de

devenir « précepteur » pour un jour (il était pour cela rémunéré 350 dollars par jour)

en laissant un visiteur médical l’accompagner afin que celui-ci étudie son mode de

travail. Parke-Davis/Pfizer prétendait améliorer ainsi sa compréhension des besoins

des médecins et des malades afin de mieux y répondre. Il s’agissait en réalité d’un

programme d’encadrement des praticiens par les visiteurs médicaux, dans le but

d’augmenter les prescriptions de gabapentine. L’un des commerciaux de Parke-

Davis expliqua comment il avait assisté aux consultations, examiné les dossiers

médicaux de chaque patient avec le médecin, puis débattu avec lui des options

thérapeutiques en l’influençant dans le sens d’une plus large prescription de

Neurontin (et ce, pour des indications non approuvées) (7,9,10).

Parke-Davis/Pfizer était conscient de l’illégalité de ses méthodes

D. Franklin en donne plusieurs exemples dans sa déposition ; il explique que

cette volonté a transparu dès l’entretien ayant conduit à son embauche, entretien

pendant lequel le vice-président de la section commerciale pour le Nord-Est des

Etats-Unis lui demanda s’il accepterait de travailler en « zone d’ombre ». Selon cette

même déposition, le programme de formation des agents de liaison médicale insistait

très largement sur les moyens de contourner les devoirs édictés par la FDA. L’un

d’eux consistait notamment à «éviter de consigner les informations par écrit ». Les

documents compromettants étaient détruits et remplacés par des faux (9).

Parke-Davis/ Pfizer reçut par ailleurs à plusieurs reprises des avertissements

de la FDA : en 1996, celle-ci lui a demandé de cesser de promouvoir des indications

qu’elle n’avait pas approuvées, entre autres la douleur neuropathique et les troubles

bipolaires. En 2001, c’est à propos d’une manipulation de l’information dans l’une de

ses plaquettes publicitaires que la compagnie a été sermonnée (18,31).

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43

La malhonnêteté de la démarche du laboratoire est soulignée dans la plupart

des conclusions des rapports d’experts indépendants interrogés pour le second

procès (12–15,18,20,21). Nous traduisons ici un extrait de celles du Dr Kay

Dickersin, professeur d’épidémiologie et directrice du centre de recherche clinique de

l’université Johns Hopkins : « Les documents que j’ai passés en revue concernant

les études cliniques du Neurontin pour la prophylaxie de la migraine, ainsi que le

traitement des troubles bipolaires, et la douleur neuropathique et nociceptive,

indiquent une stratégie claire et délibérée visant à introduire des biais dans la

communication des résultats (…). Ces biais rendent les informations sur l’efficacité

du Neurontin, telles qu’on peut les trouver dans la littérature (sous la forme de

rapports d’étude individuels ou inclus dans des revues systématiques), non fiables et

invalides. » (15).

Steinman et al. ont conclu dans un article du NEJM publié en 2009 à « un

usage systématique de la tromperie et de la désinformation » (24).

En France, la revue Prescrire dénonce en 2011 « des pratiques inacceptables

et potentiellement très dommageables pour les patients » (26)

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44

III DISCUSSION

Les limites de notre travail résident principalement dans le fait que nous

nous sommes fondés pour sa réalisation sur de nombreux documents (articles et

rapports) émanant d’un même groupe d’experts (22–24) ayant été appelés à

témoigner par le cabinet d’avocat du lanceur d’alerte. Leur travail dans ce cadre n’a

néanmoins pas été rémunéré, ce qui plaide en faveur de leur impartialité.

Nous n’avons par ailleurs pas procédé par nous-même, principalement en

raison de leur quantité considérable, à l’analyse de l’intégralité des documents

internes, dépositions et rapports fournis par les procès, mais avons focalisé notre

travail sur les 10 rapports d’expertise, la déposition du lanceur d’alerte, en vérifiant

toutefois au sein des documents internes à Parke-Davis/Pfizer chaque référence

citée dans les analyses des autres auteurs. Il serait bien sûr intéressant de traduire

l’intégralité de ces documents pour avoir une vision propre de l’affaire.

Néanmoins, toutes les analyses de ces documents que nous avons étudiées,

que ce soit celles émanant du groupe Steinman, celles provenant des rapports du

deuxième procès, ou celles des autres sources que nous avons consultées,

convergent vers la même analyse.

Par ailleurs, si ce procès fut le premier aux Etats-Unis à condamner un

laboratoire marketing hors AMM, par la suite 41 autres plaintes semblables ont été

déposées, visant 16 laboratoires de toutes tailles (41) pour la promotion illégale de

médicaments issus de toutes sortes de classes. (cf. tableau 2)

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Tableau 2. d’après Kesselheim et al.

Laboratoires ayant fait l’objet d’une plainte pour marketing illégal

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Dans 85 % de ces procès la fraude visait à étendre les usages du

médicament sans passer par l’AMM ; dans 34 % on constatait que le laboratoire

promouvait des doses non conformes à la régulation (dans la très grande majorité

des cas il s’agissait de doses supérieures à celle approuvée). Pfizer lui-même fut à

nouveau condamné en 2009 à verser une amende de 2,3 milliards de dollars pour la

promotion illégale de quatre médicaments dont le Lyrica (prégabaline),

« successeur » du Neurontinj (42). Ces affaires ont toutes révélé des tactiques

semblables, issues d’une stratégie globale, insidieuse, impliquant la firme jusque

dans les plus hauts grades de sa hiérarchie, avec une intention délibérée

d’enfreindre la réglementation (instructions internes ayant pour but la destruction de

preuves, présentation aux employés des réglementations dans un premier temps et

des moyens de les contourner dans un deuxième, en général de manière

dissimulée).

Dans la plupart des cas les employés commerciaux subissaient le même

conditionnement que nous avons pu constater dans le cas du Neurontin : pressions

agressives pour obtenir des résultats, incitations financières fréquentes. Dans la

moitié des cas les compagnies employaient également des scientifiques, dont des

médecins, à des fins commerciales. (41)

On retrouve dans la littérature les mêmes moyens de diffusion de l’information que

ceux qui furent à l’époque révélés par le procès du Neurontin : selon Kesselheim et

al. un support scientifique déformé est utilisé dans 75 % des cas, via publications

dans la littérature scientifique dans 49 % des cas ; le recours au « ghostwriting » y

est fréquent, ce qui est confirmé par de nombreuses sources (1,6,7,43–45).

Gøtzsche et al. ont rapporté en 2007 un taux de 75% de ghostwriting parmi 44

études sponsorisées par l’industrie (44).

De nombreux exemples de manipulations des données viennent

corroborer les révélations du procès Neurontin : design d’étude volontairement biaisé

(choix des doses comparées, groupe de contrôle avec comparaison des traitements

étudiés au placebo et non au traitement de référence, analyses per protocoles le plus

souvent et non en intention de traiter, inclusions de patients jeunes et en bonne

j La récidive fut un des facteurs aggravants expliquant cette amende record (qui ne représentait pourtant que trois semaines de ventes pour ces médicaments).

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santé afin de minimiser le risque de survenue d’effets indésirables…), distorsion des

résultats (modifications de critères de jugements servant à obtenir une différence

significative (46)) ou publication biaisée des résultats (publications sélectives des

études favorables au produit, incomplètes, décalées dans le temps, ou publications

répétées des résultats favorables en y apportant de minimes modifications (6,43)).

D’une manière générale, une étude sponsorisée par l’industrie a quatre fois plus de

chances d’être favorable au produit (6,47).

L’affaire du rofécoxib (Vioxx), qui a vu la condamnation du laboratoire Merck

en 2008, est un autre exemple de manipulation de publications scientifiques à divers

niveaux, dans un but mercantile, et ayant cette fois entraîné la mort de plusieurs

dizaines de milliers de personnes (28000 selon l’évaluation de la FDA). Ce scandale

a servi de matière à deux articles : l’un s’est attaché à décrire des pratiques de

ghostwriting entachant la publication de nombreuses études pour ce médicament.

Celles-ci étaient commandées par des commerciaux de Merck à des sociétés de

communication médicale, puis signées par des médecins dont l’impact académique

était important. La moitié de ces auteurs ne déclaraient pas de conflit d’intérêt (45).

Le second article décrit des manipulations statistiques parvenues à minimiser la

surmortalité entraînée par le Vioxx dans des études évaluant son efficacité dans la

maladie d’Alzheimer et les troubles cognitifs de la personne âgée, trois ans avant le

retrait par la firme du médicament (48).

Selon l’article de Kesselheim et al., c’est au cours de séances de FMC que

l’information ainsi déformée est ensuite délivrée aux médecins dans la moitié

des cas. Marcia Angell confirme la pérennisation du recours aux sociétés écrans de

communication et d’éducation médicale, qui bénéficient, pour une centaine d’entre

elles pourtant sponsorisées par des firmes pharmaceutiques, de l’accréditation de

l’ACCME (3).

Quant au recours à des sociétés d’informations comme IMS Health afin

d’obtenir des bases de données de prescription permettant de cibler les médecins,

comme cela a été observé dans le cas du Neurontin, c’est à présent un état de fait

qui a été dénoncé en 2006 par un article du NEJM (49) : ces firmes combinent des

informations tirées des registres de prescription des pharmacies avec des données

sur les praticiens qu’elles rachètent à l’American Medical Association (AMA). Elles

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les compilent en rapports de prescriptions individuels pour chaque praticien, qu’elles

revendent ensuite aux compagnies pharmaceutiques.

En 2005, cette activité a rapporté 1,75 milliards de dollars à IMS Health ;

l’AMA, elle, a tiré 44,5 millions de dollars de la revente de sa base de données à IMS

Health (49).

Les praticiens ainsi ciblés sont, selon Kesselheim et al., très fréquemment

(85% des cas) incités à la prescription du produit par des « récompenses »,

sous la forme d’avantages en nature (séjours luxueux, invitations à des

spectacles…) ou même de sommes d’argent (7,41). La revue Prescrire a publié très

récemment un article rappelant qu’accepter un cadeau, même minime, change les

rapports avec l’interlocuteur, induisant gratitude et réciprocité, et que cela expose les

médecins à subir l’influence inconsciente des laboratoires (50).

Pour terminer, les dysfonctionnements révélés par cette affaire soulèvent à

notre sens un certain nombre de questionnements :

Nous avons retrouvé très peu de sources mentionnant, et surtout

commentant, le « shadowing ». Les documents juridiques y font référence à

plusieurs reprises (9), mais cette pratique n’est exposée que dans le livre Our Daily

Meds de Melody Petersen, pour qui elle ne pose problème qu’en terme de pressions

sur les praticiens. Si ce « préceptorat » soulève évidemment le problème de la

promotion hors AMM et des pressions sur les médecins, il s’agit surtout d’une

violation patente du secret médical (qui s’applique aussi aux Etats-Unis à ce genre

de cas), puisque les commerciaux relatent avoir assisté aux consultations, avoir eu

accès aux données médicales du patient, et même avoir influencé le choix de

prescription du praticien. Kesselheim et al. retrouvent de telles pratiques dans 20 %

des affaires de fraude, précisant que dans certains cas l’accès aux données

personnelles des patients avait servi aux firmes à cibler directement de nouvelles

prescriptions hors AMM (ces « consommateurs potentiels » recevaient ensuite de la

publicité et pouvaient à leur tour faire pression sur leur médecin afin de se voir

prescrire le médicament) (41).

Les raisons de la carrière fulgurante du Neurontin interrogent également :

l’intérêt de ce médicament semble en effet assez limité si l’on s’en tient aux

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indications approuvées. Le succès de la molécule est-il uniquement dû aux

manipulations des données scientifiques que nous avons évoquées ? Quelle

efficacité peut-on finalement reconnaître à la gabapentine pour le traitement de la

douleur neuropathique (indication hors AMM pour laquelle la gabapentine est la plus

prescrite aux Etats-Unis, et autorisée en France) ?

La Cochrane Collaboration a publié en 2005 un premier travail de revue visant

à évaluer l’efficacité du Neurontin dans le traitement de la douleur neuropathique :

avec un NNT de 4,3, la revue conclut à l’efficacité de la molécule. Elle est ensuite

corrigée à la lumière des révélations du procès Neurontin et une nouvelle évaluation

est publiée en mars 2011, qui inclut les résultats d’études non publiées : le NNT est

cette fois de 5,8 à 6,8, amélioration substantielle chez un tiers des patients, avec des

effets secondaires qui sont fréquents - touchant 2/3 des patients - mais jugés

tolérables. Les auteurs déplorent que seules 3 des 29 études comparent la

gabapentine à un autre traitement actif (51).

On retrouve un NNT comparable (6-8) dans le travail de dépouillement de la

littérature effectué par la revue Therapeutics Initiative en 2009, tenant lui aussi

compte des données non publiées sur la gabapentine ( mais analysant un plus petit

nombre d’études). Cette fois les auteurs concluent à un rôle mineur dans le

traitement de la douleur, rappelant que la plupart des études ont été réalisées parmi

une population bien-portante afin de minimiser les effets indésirables, dont ils

soulignent également la fréquence (52).

Par ailleurs, la fréquence et la nature des effets indésirables peuvent

démasquer le double aveugle et ainsi être responsables de la différence d’efficacité

assez minime constatée entre la gabapentine et le placebo (17,21).

En France, où la gabapentine a obtenu en 2007 l’AMM pour le traitement des

douleurs neuropathiques, la revue Prescrire conclut dans plusieurs articles à son

efficacité modérée pour cette indication et préconise son utilisation en recours après

la molécule de référence, l’amitriptyline, notamment en cas de mauvaise tolérance

de celle-ci (27,53,54).

En conclusion, l’ensemble de ces données suggère une efficacité modérée de

la gabapentine dans le traitement de la douleur neuropathique, avec des effets

secondaires fréquents et une tolérance mal évaluée. Son utilisation est à proscrire en

première intention et chez les patients à risque.

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50

En dernier lieu, nous nous interrogées sur les raisons du peu d’écho

qu’a rencontré en France une affaire pourtant extrêmement médiatisée aux

Etats-Unis.

On ne trouve aucune trace du procès dans les archives des principaux médias

grand public ; parmi la littérature médicale, seule Prescrire a exploité ce sujet dans

deux articles courts qui rapportaient principalement les résultats des études de

Steinman et al. et de Vedula et al. (4,26).

Si l’on regarde en arrière, on s’aperçoit que le géant mondial du médicament a

tenté à deux reprises d’exercer des pressions sur les autorités sanitaires françaises :

en 2002 (1), et tout récemment, en 2011, lorsque le PDG de Pfizer a menacé la

France de ne plus y commercialiser ses nouveautés si celle-ci refusait de leur

appliquer les prix élevés que le laboratoire demandait (55). L’industrie

pharmaceutique a par ailleurs constitué un puissant lobby très influent à l’échelle

des institutions européennes (56).

De telles pressions sont-elles à l’origine du silence médiatique qui a entouré le

procès Neurontin en France ?

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51

CONCLUSION

Le premier procès intenté aux Etats-Unis à un laboratoire pour marketing

illégal d’un médicament concernait le Neurontin et le laboratoire Parke-Davis/Pfizer.

A travers les documents que nous avons examinés, de multiples preuves révèlent

que ce laboratoire, en menant une vaste campagne visant à promouvoir des

indications non approuvées de la gabapentine, cherchait délibérément à enfreindre la

loi et à tromper la communauté médicale, les patients et les autorités de régulation,

dans le seul but d’accroître son profit.

Par la suite plusieurs procès suivirent, et tous révélèrent de semblables

pratiques ayant pour objectif de promouvoir des usages de médicaments à des fins

mercantiles : manipulation de données scientifiques, intrusion insidieuse dans la

formation initiale et continue des médecins, corruption de l’enseignement et de la

pratique médicale, utilisation commerciale des médecins et des patients comme

outils de propagande.

Une telle situation n’est pas seulement contraire à l’éthique : elle n’est

profitable ni aux médecins, ni aux patients, ni à la collectivité :

- La surmédicalisation des malades sur la base de données fausses ou

incomplètes entraîne un risque accru en terme de morbi mortalité.

- Les praticiens, pour décider de mettre en route un traitement en accord

avec le patient, doivent s’appuyer sur des données fiables issues d’une recherche

dénuée de conflits d’intérêt, grâce à laquelle sont établies les recommandations de

bonne pratique.

- Les autorisations d’AMM sont délivrées sur la base de ces données, et un

système biaisé permet « l’inondation » du marché par un grand nombre de

médicaments inutiles voire dangereux.

- D’un point de vue global, c’est notre système de santé que cette dérive

menace, en faisant débourser des sommes inutiles aux organismes de

remboursement, aggravant ainsi les déficits.

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Des changements sont indispensables tant à l’échelle de la collectivité que

d’un point de vue individuel, pour chaque médecin :

L’enregistrement des protocoles de recherche devrait devenir un préalable

obligatoire à toute recherche clinique. L’ICMJE, Comité International des Editeurs de

Revues Médicales, regroupant onze revues de renom, a édicté en 2005 une

recommandation semblable afin de garantir la qualité de ses publications. Cette

décision a réussi à faire de cette nécessité une habitude suivie par la plupart des

auteurs. Certains toutefois n’enregistrent toujours pas leurs protocoles ou le font de

manière inadéquate ; de plus, certaines publications se révèlent malgré tout biaisées

par rapport au protocole (46).

En Europe, un registre des essais cliniques a été mis en ligne en mars 2011

par l’Agence Européenne du Médicament à partir des données de la base Eudra CT,

qui délivre les autorisations d’essais cliniques.

Ces mesures sont un pas de plus vers la transparence, mais il faut également

qu’un contrôle du respect du protocole ait lieu lors de la publication.

D’une manière générale, de nombreux acteurs indépendants de la scène

médicale française, comme la revue Prescrire, plaident pour le développement d’une

recherche publique forte, afin d’éviter que les firmes ne soient responsables de

l’évaluation clinique de leurs propres médicaments. D’autres de ces acteurs, en

particulier au sein de la Collaboration Cochrane, demandent que les données des

essais cliniques à leur niveau le plus détaillé, de chaque individu inclus dans

l’expérience, soient systématiquement mises à la disposition de la communauté

scientifique et à travers elle, des utilisateurs finaux, i.e. les patients.

Les déclarations de conflits d’intérêt sont obligatoires en France mais cette

prescription nécessite des contrôles exigeant une transparence totale par des

organismes indépendants.

Les conflits d’intérêt dans l’enseignement doivent également faire l’objet de

règles et de contrôles stricts, tant en ce qui concerne la formation continue que le

cursus universitaire. Il est important d’éveiller le sens critique des étudiants le plus

précocement possible, en valorisant les formations sur les conflits d’intérêts et les

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moyens de les éviter (l’épreuve d’analyse critique d’article à l’Examen Classant

National prend ainsi tout son sens).

L’adaptation des sanctions judicaires aux infractions est indispensable

puisque certaines firmes déjà condamnées n’hésitent pas à récidiver (Pfizer en est

un exemple) : les amendes paraissent en effet indigentes en regard des profits

dégagés lors des fraudes ; en complément de celles-ci, les bénéfices réalisés au

cours d’opérations illégales devraient être confisqués. Par ailleurs il serait également

souhaitable que les dirigeants de ces sociétés répondent individuellement de leurs

actes.

Enfin il incombe à chaque médecin de se donner les moyens d’exercer en

toute indépendance, d’une part en sélectionnant ses sources d’information, et d’autre

part en vérifiant l’impartialité des formations auxquelles il assiste.

De plus, une refonte de notre mode d’exercice centrée sur l’écoute et

l’éducation thérapeutique permettrait un recours moindre aux prescriptions

médicamenteuses.

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DECLARATION DE LIENS D’INTERET

Je soussignée, Hélène Gaillard de Sémainville, déclare n’avoir aucun lien

direct ou indirect avec des entreprises fabriquant ou commercialisant des produits de

santé et notamment avec le laboratoire Pfizer dont il est ici question. Je n’ai reçu

aucune somme d’argent de la part de quelque organisme que ce soit pour la

réalisation de ce travail de thèse ni pour sa soutenance.

Le 14/01/2012

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ANNEXE n°1 : stratégie de publication

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ANNEXE n°2 : l’incident « Proworx »

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ANNEXE n°3 : harangue de Phil Magistro

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ANNEXE 4 : « Shadowing »

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