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Une médecine nouvelle en évolution et en transformation Professeur René BAYLET, médecin biologiste, Professeur de santé publique, biologiste des hôpitaux 5, rue du grenache - 34090 Montpellier Adresse Email : [email protected] Jean-Paul GUYONNET, Médecin inspecteur de santé publique 154, rue du Bosquet 34980 Saint Gely du Fesc Adresse Email : [email protected] UNE MEDECINE NOUVELLE EN EVOLUTION ET EN TRANSFORMATION La médecine est depuis toujours en ébullition. Notre époque est marquée de nouveautés qu’il faut définir et analyser. En ce début de troisième millénaire, une médecine nouvelle se développe rapidement. Elle envahit les différents espaces du soin, depuis la médecine hospitalière jusqu’à la médecine de ville mais aussi dans la prise en charge de populations plus vulnérables comme celle des personnes handicapées. Elle se caractérise par trois phénomènes notables : - les effets de la révolution numérique et de la révolution génomique, - une réorganisation des pratiques du soin au travers du suivi coordonné dans le parcours du malade, - une modification radicale de la relation médecin patient avec l’adoption de comportements plus empathiques face à un malade mieux informé, base d’une relation apaisée avec les acteurs du soin et qui modifie le cadre médical.

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Page 1: Professeur René BAYLET, médecin biologiste,

Une médecine nouvelle en évolution et en transformation

Professeur René BAYLET, médecin biologiste,

Professeur de santé publique, biologiste des hôpitaux

5, rue du grenache - 34090 Montpellier

Adresse Email : [email protected]

Jean-Paul GUYONNET,

Médecin inspecteur de santé publique

154, rue du Bosquet

34980 Saint Gely du Fesc

Adresse Email : [email protected]

UNE MEDECINE NOUVELLE EN EVOLUTION ET EN TRANSFORMATION

La médecine est depuis toujours en ébullition. Notre époque est marquée de nouveautés qu’il

faut définir et analyser.

En ce début de troisième millénaire, une médecine nouvelle se développe rapidement. Elle

envahit les différents espaces du soin, depuis la médecine hospitalière jusqu’à la médecine de

ville mais aussi dans la prise en charge de populations plus vulnérables comme celle des

personnes handicapées.

Elle se caractérise par trois phénomènes notables :

- les effets de la révolution numérique et de la révolution génomique,

- une réorganisation des pratiques du soin au travers du suivi coordonné dans le

parcours du malade,

- une modification radicale de la relation médecin patient avec l’adoption de

comportements plus empathiques face à un malade mieux informé, base d’une

relation apaisée avec les acteurs du soin et qui modifie le cadre médical.

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I - LES RÉVOLUTIONS NUMÉRIQUES ET GÉNOMIQUES

1.1 - les évolutions

La révolution numérique, résultat de la rencontre de l’informatique et des télécommunications

qui a donné naissance à Internet puis aux réseaux sociaux a conduit à une informatisation

généralisée de la société et à sa mise en réseau. Elle a aussi modifié le contexte médical.

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L’accès démultiplié à l’information sur le Web, à flux continu, a augmenté la quantité et

l’accessibilité des données cliniques et paracliniques avec la possibilité d’en tirer des conclusions

utiles, de donner des connaissances et au-delà certaines compétences.

Portée par la conjonction des avancées en matière de technologies et en matière d’intelligence

artificielle, la révolution génomique a aussi provoqué une vague de nouvelles avancées et

bouleversé le système de soins.

« L’interrogation complète du génome pour l’étude de multiples maladies, de traits, de risques,

remplace l’analyse par variant spécifique pour un gène particulier »1.

Publiée dans Science Translational Medicine, une étude montre que "le génome fœtal est

intégralement présent dans le sang de la mère"2. De nombreuses maladies génétiques pourraient

être recherchées de la sorte, permettant d’aller jusqu’à la vérification de la compatibilité entre

génomes.

Les scientifiques peuvent modifier, supprimer en réorganisant une séquence d’ADN chez un

organisme vivant. Par la méthode CRISPR-Cas 9, il est désormais possible de reconfigurer des

gènes pour corriger des anomalies génétiques.

De plus, le laboratoire sait aller à la rencontre du malade : le diagnostic biologique est

révolutionné par des dispositifs miniaturisés, comme les bio-puces connectées à des

smartphones, à partir d’une goutte de sang prélevée sans aiguille au doigt, indolore. Trente

paramètres biochimiques sont ainsi déjà analysés, rendant la surveillance du patient de plus en

plus rapprochée.

Deux applications sont d’ores et déjà présentes dans l’environnement du clinicien.

La première est le recueil d’ADN fœtal dans le sang maternel chez les femmes à risque qui

permet le dépistage de la trisomie et de délations et duplications chromosomiques associées à des

troubles du comportement, ce qui fait dire au docteur François Jacquemard : « on a changé

1 Techniques d’analyse Du Génome Et De Son Expression : Applications Médicales. Académie Nationale De

Médecine. Jean-Yves Le Gall. Séance Du 17 Janvier 2012

2 Science Translational Medicine, "Maternal Plasma DNA Sequencing Reveals the Genome-Wide Genetic and

Mutational Profile of the Fetus", Y. M. Dennis Lo, K. C. Allen Chan, Hao Sun, Eric Z. Chen, Peiyong Jiang, Fiona

M. F. Lun, Yama W. Zheng, Tak Y. Leung, Tze K. Lau, Charles R. Cantor and Rossa W. K. Chiu

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d’époque en évitant le recours aux amniocentèses et aux biopsies du trophoblaste, avec une

fiabilité de 99 % »3.

La seconde est le test multigénique Onco DX®

pour identifier les patientes à risque de cancer du

sein. Il permet de quantifier par anticipation le risque de rechute et aide à personnaliser le

traitement de chaque malade selon le niveau de gravité.

Dans l’avenir, d’autres voies prometteuses se dessinent. L’utopie des transhumanistes de guérir

les hémophiles se profile avec la correction de l’anomalie génétique de leurs cellules souches par

la méthode révolutionnaire CRIPS-Cas 9, cette technique permettant de repeupler de cellules

sanguines saines le système sanguin de l’hémophile.

Mais « Jusqu’où manipuler le vivant ? »4 ? Il s'agit d'un enjeu majeur pour l’humanité du 21ième

siècle.

1.2 – L’utilisation en médecine des nouvelles techniques

Différentes applications de ces révolutions vont être présentées dans les paragraphes suivants.

1.2.1 Les objets connectés

Le développement des objets connectés modifie la pratique médicale. Ils se multiplient dans

différents champs sanitaires.

Ils sont définis par leur usage et doivent répondre aux exigences de qualité et de sécurité

attendues dans le soin. Basés sur le portage d’un biocapteur qui communique avec un récepteur,

smartphone ou PC par le biais d’une liaison sans fil, ils permettent une analyse et la lecture

facilitée des constantes médicales à surveiller.

Les dispositifs suivants sont couramment utilisés dans le domaine commun : mesure du poids,

bracelets indiquant les calories dépensées, calcul du rythme cardiaque, du temps de sommeil...

Dans le domaine santé on trouve le tensiomètre ou le pilulier électronique, l’appel automatique à

une personne à contacter en cas d’urgence, la lecture de la glycémie en continue et bien d’autres

applications.

3 François Jacquemard : « Avec l’accès à l’ADN fœtal, on change d’époque » LE MONDE SCIENCE ET TECHNO

02.11.2015

4 Jusqu’où manipuler le vivant ? CNRS Le journal, 09.04.2014

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L’arrivée des objets connectés qui mesurent en continu les paramètres de santé génère une masse

de données monumentale. Un tri doit être fait entre l’utile et le superflu pour être profitable au

professionnel de santé, au chercheur. De son côté, le patient a le pouvoir de partager les

informations médicales le concernant, de savoir et de se fabriquer son propre suivi personnalisé

de santé.

1.2.2 Les pratiques de diagnostic et de traitement

La médecine qui soigne bénéficie d’aides précieuses par le biais de dispositifs sans cesse plus

pointus de diagnostic et de traitement.

Ainsi, en dermatologie le diagnostic standard a été amélioré par une technologie non invasive

d’imagerie : la microscopie confocale par réflectance in vivo. Cette technique d’imagerie non

invasive permet d’obtenir in vivo et en temps réel des images de différents tissus de la peau avec

une résolution proche de l’histologie, avec toutefois une profondeur limitée au derme superficiel.

Elle se développe pour les dermatoses inflammatoires, les infections cutanées, les angiomes, la

cosmétologie mais aussi lors d’excision pour préciser les limites d’une lésion ou la zone d’intérêt

à biopsier.

En neurologie, le traitement par stimulation cérébrale profonde consiste à implanter des

électrodes au cœur du cerveau et permet de délivrer un courant électrique qui modifie le

fonctionnement de groupes précis de neurones. Cette technique permet de traiter certains patients

atteints de la maladie de Parkinson ou encore de dystonies et de troubles obsessionnels

compulsifs ; elle est en cours d’évaluation notamment pour l’épilepsie, les dépressions sévères et

l’anorexie mentale.

1.2.3 La médecine réparatrice

La médecine réparatrice permet de redonner vie à des mains paralysées en contournant une

moelle épinière lésée, en plaçant dans le cortex moteur cérébral un implant avec sa centaine

d’électrodes reliées à la partie distale de la moelle.

Dans la main artificielle de Bertolt-Meyer, une contraction rapide des muscles du bras permet

d’ouvrir tous les doigts de la main. Par contre, deux contractions permettent d’accéder à d’autres

fonctions comme plier le pouce ou pointer l’index.

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Le bras bionique d’Evan Reynolds est capable de répondre directement aux ordres qu’on lui

donne par la pensée. Il suffit de penser à saisir une balle de sa main bionique, pour que le bras

s’active et que la main saisisse la balle, tout comme chacun de nous le fait avec son propre bras.

Dans un autre registre, le développement des nano produits permet de traiter plus efficacement

et exclusivement une zone affectée par une inflammation ou d’autres lésions. Si les médicaments

« classiques » et notamment les chimiothérapies se répandent aujourd’hui dans l’organisme de

manière peu ciblée, les nanotechnologies permettent de « vectoriser » la substance active de

médicament, afin qu’elle atteigne spécifiquement les cellules à détruire et n’attaque pas les

cellules saines.

1.2.4 De la médecine réparatrice à la médecine régénérative

La médecine qui fabrique et remplace est une ingénierie des tissus et des organes. Si la

médecine réparatrice se contente de restaurer une fonction, un tissu ou un organe lésé, la

médecine régénérative va bien plus loin en remplaçant les parties endommagées par un nouveau

tissu cellulaire. Elle repose sur la thérapie cellulaire consistant à cultiver des cellules avant de les

transplanter à partir de l’utilisation des cellules souches.

Les progrès de l’impression 3D permettent aujourd’hui de fabriquer à la demande des objets

simples ou complexes sur mesure, tels une prothèse osseuse personnalisée.

Pour demain, on imagine une imprimante fixée au lit du malade et qui « imprimerait » aux

endroits nécessaires, couche par couche, un jet de cellules vivantes permettant de reconstruire in

situ une portion anatomique disparue.

En imprimant des tissus, des cartilages, il devient possible de fabriquer du corps humain pour

remplacer certains de ses organes !

1.2.5 Vers des organes de substitution

Le cœur synthétique, prothèse intracorporelle extraordinaire, a été créé à partir des propres

cellules du malade, des cellules souches générées à partir de cellules cutanées cultivées sur une

tapisserie de tissus bovins élastiques, avec une partie électronique de pointe composée de

batteries, de capteurs de mesure des besoins, de microprocesseurs qui régulent les pressions et les

débits, ...

Le pancréas artificiel destiné aux malades diabétiques se perfectionne progressivement. Il permet

une substitution ergonomique et autonome de la fonction pancréatique en intégrant un lecteur de

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glycémie en continue connecté à un smartphone doseur d’insuline qui transmet les données de

mesure à la pompe à insuline portée sur le bras. Il permet un suivi à distance par le médecin.

Faut-il espérer un œil bionique en remplacement de l’organe défaillant, ayant reçu un « gène

porté par un virus bovin, les structures tissulaires ayant été remplacées par des cellules souches et

des implants » ? C’est probable.

1.2.6 Des robots

La robotique représente une étape majeure de l’automatisation au temps du numérique.

Dans le domaine industriel, le robot est identifié comme un outil de travail se substituant aux

activités humaines, un « appareil » effectuant grâce à un système de commande automatique à

base de micro-processeurs une tâche précise pour laquelle elle a été programmée.

Dans le monde médical, son objectif est d’être un outil de l’automatisation de tâches, c’est une

machine mobile, elle sait exécuter une action précise, de façon sûre et utile dans un

environnement déterminé, elle communique avec son pilote face à la complexité de l’action

engagée.

Dans une médecine de plus en plus technique, le robot modifie le diagnostic et la thérapeutique.

Il est l’automate qui aide l’anesthésiste, pilotant l’endormissement du malade opéré.

L’« appareil Da Vinci » est le bras armé du chirurgien qui va participer directement à l’ablation

de la prostate, le néo-praticien au contact direct de la zone opératoire intervient guidé par le

guide fixé devant son écran en dehors de la salle opératoire.

Une assistance identique est en cours de développement pour la prothèse de la hanche ou du

genou.

La revue Science Translational Medicine de mai 20165 rapporte qu’un robot chirurgien

autonome a réussi à suturer, sous la supervision d’un chirurgien, deux parties de l’intestin d’un

porc, une grande avancée dans la chirurgie délicate des tissus mous de l’organisme où le risque

de complications est élevé.

Les micro-robots de très petites tailles sont en mesure de se diriger dans le réseau sanguin pour

apporter un médicament.

5 Supervised autonomous robotic soft tissue surgery. Azad Shademan1, Ryan S. Decker1, Justin D. Opfermann1,

Simon Leonard2, Axel Krieger1 and Peter C. W. Kim1. Science Translational Medicine 04 May 2016:Vol. 8,

Issue 337, pp. 337

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Dans le champ de la neuropsychiatrie, des robots humanoïdes peuvent pratiquer une stimulation

visant à établir une relation personnelle permettant de vivre une expérience sensorielle subjective

et constructive adaptée aux réactions d’une personne. Ce type de robot est expérimenté dans les

soins consacrés à l’enfant autiste où il propose un mode d’apprentissage par l’imitation pour

déclencher la communication.

Dans la maladie d’Alzheimer, le « robot émotionnel » aide à déceler les émotions et leurs causes.

Il dispose d’un programme interactif, d’un dialogue, il encourage, il peut développer les sens de

façon ludique. Au chevet du patient, il va aider dans la rééducation et la réhabilitation du malade

en présentant des exercices, en entretenant sa mémoire par des jeux.

Les robots d’assistance destinés aux personnes âgées et à leur famille sont des robots

compagnons, domotiques, mais aussi connectés ou munis de dispositifs d’appels d’urgence, ils

libèrent le personnel de certaines tâches répétitives.

1.3 - Les limites de l’automatisation

En voulant donner des qualités et des atouts qui dépassent « l'homme naturel » le processus

d’automatisation peut vouloir améliorer l’homme de manière « illégale » comme par exemple

dans la pratique du dopage chez les sportifs ou satisfaire l’utopie transhumaniste quand elle veut

modifier les caractéristiques physiques et mentales pour une transgression de l’homme.

Une question se pose : le rêve scientifique point de départ de son accomplissement dans une

sorte d’homme artificiel va-t-il se réaliser ? Les robots vont-ils remplacer les hommes,

l’intelligence artificielle va-t-elle se substituer à l’intelligence humaine ?

Ces nouveaux artisans utilisant l’ingéniosité des machines seront-ils capables de création

humaine ? interroge Lawrence Katz6. Le Parlement européen étudie un statut juridique qui

reconnaîtrait les robots comme des personnes électroniques avec des droits et des devoirs ! Mais

demain des robots seront-ils capables comme les gens autonomes de méditations authentiques et

6 A quoi rêvent les robots ? LE MONDE 18 janv. 2016

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non de contrefaçons habilement copiées-collées7 ? Seront-ils doués de tous les liens entre idées,

techniques d’organisation, analyse des concepts8.

Alors, le rêve du transhumanisme fasciné par les machines ferait négliger la nature du vivant, la

culture, le sentiment. Les acteurs de santé vivent dans le domaine du relationnel avec une forte

capacité d’adaptation psychologique et de résolution de problèmes.

Pour répondre à la question posée, Bertrand Kiefer9 affirme que la machinisation des décisions

court-cuiterait la culture médicale. J.M. Besnier10

pense qu’un robot n’a pas suffisamment de

cœur, d’âme, de pensée complexe. Les progrès scientifiques, la technologisation de la médecine

ne sauraient nous dispenser de l’ambition de rester humain. Pour Bruno Bonnel11

« dans le

monde des robots, l’uniquement humain reste irremplaçable ».

Aucune analyse informatisée ne peut s’affranchir de l’homme et de ses qualités exclusives : le

non routinier, la flexibilité relevant du relationnel, de la résolution des problèmes.

L’intelligence artificielle médicalisée ouvre le monde de la complexité des raisonnements

humains ne doit pas neutraliser l’idéal de l’humanité.

1.4 - Des précautions dans l’utilisation des techniques nouvelles

L’algorithmisation de la vie humaine ne suffit pas pour connaître la vision complète d’un

malade, « être libre doté d’une complexité épaisse et obscure » (B. Kiefer), il ne connaît pas tout

de l’humain, des comportements. « Le calcul ignore : la souffrance, le bonheur, le malheur, la

joie, ce qui fait notre humanité »12

(Edgard Morin). Les informations produites à partir du Big

data sont des moyennes réductives obtenues dans diverses populations, tout au plus des normes.

En médecine nous situons les traits de l’individu par rapport à la norme.

7 Méditations d’un robot philosophe Roger-Pol Droit, LE MONDE DES LIVRES du 14.01.2016

8 Tous formatés par les machines. F. Joignot, LE MONDE du 18.02.2018

9 Kiefer B., 2014, « La déshumanisation au cœur de la médecine », Revue Médicale Suisse, 10 :1528

10 Jean-Michel BESNIER « Demain les post humains, le futur a-t-il besoin de nous » (Hachette Littératures, 2009)

11 Bruno Bonnell chef d’entreprise Spécialisé dans le domaine des technologies numériques.

12 Edgar Morin : "Humanisons le transhumanisme !", Le Monde du 8 novembre 2016

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Pour traiter le cas d’un individu à soigner, il conviendra de ne pas utiliser telle ou telle technique

de façon systématique mais de le faire de manière raisonnée.

« Les objets avec qui penser » sont devenus les compagnons quotidiens doués d’une forme de

psychologie (smartphone, réseaux sociaux, applications de réalité augmentée), ils modifient

notre identité en accaparant notre attention à tout moment. Le moi social est capturé par le

numérique Internet, le flux informatif nous contrôle alors que la conversation face à face fonde la

personnalité, cultive l’empathie « encourage l’autoréflexion, la pensée indépendante »13

.

La cyber sécurité, c’est-à-dire la sécurité informatique, doit s’organiser pour éviter la diffusion

des données médicales individuelles, pour éviter la prise de contrôle extérieure malveillante des

dispositifs médicaux robotisés (stimulateurs cardiaque, pompes à insuline).

La révolution numérique a et aura plus encore des conséquences sociales, tout d’abord par la

perte d’emplois, et surtout humainement par le risque de déshumanisation, d’une révolution de

vie, de modification dans les rapports.

L’importance des relations humaines dans la médecine fait que ce n’est pas demain que la

machine remplacera le médecin. L’empathie et la compassion envers les patients restent, encore

pour un temps, l’apanage des femmes et des hommes.

1.5 - Les évolutions, de quoi demain sera-t-il fait ?

Il faut s’attendre à une évolution rapide. Les technologies-outils de l’homme seront développées

par le numérique et l’informatique.

Actuellement, des traitements cibles se développent adaptés à chaque malade en fonction des

spécifications génétiques et biologiques de la tumeur dont il est porteur. La technologie renforce

les approches diagnostiques et thérapeutiques.

Demain, un virus de synthèse inoffensif sera capable d’apporter le médicament jusqu’au cœur

des cellules malignes, une chirurgie robotisée et miniaturisée plus performante réparera les tissus

lésés en réduisant considérablement les conséquences délétères de l’intervention.

Après demain, ce sera la correction des gènes défectueux ou le remplacement des organes

déficients en utilisant les cellules souches du malade.

13 Sherry Turkle, Seuls ensemble. De plus en plus de technologies de moins en moins de relations humaines,

Paris, L'Échappée, 2015, 525 p., ISBN : 978-2915830

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Dans dix ans, avec le développement des biotechnologies, on pourra obtenir à distance du

malade le résultat de l’analyse de séquences d’ADN appartenant à des agents infectieux (VIH,

paludisme,...) et caractériser ainsi au plus près le germe pour mieux le combattre. Au lit du

malade un test génomique permettra de dépister telle prédisposition à développer des effets

indésirables de certains médicaments, une toxicité médicamenteuse, de surveiller en continu la

présence de marqueurs de rejet d’une greffe, ou alerter du risque de survenue d’un infarctus du

myocarde.

Les Trophées de la Santé Mobile qui récompensent annuellement les meilleures applications

mobiles de santé et décernent le prix de l’objet de santé connecté de l’année nous montrent la

progression d’applications innovantes dans des champs très diversifiés : surveillance de la

consommation de cigarettes, surveillance du diabète, choisir le bon pansement selon le type de

plaies, signaler aux autorités les effets indésirables d’un médicament, la livraison de

médicaments par drones.

L’utilisation des techniques nouvelles entraîne des avancées dans les stratégies thérapeutiques,

dans l’organisation des soins. Disposant de plusieurs techniques ayant des effets différents chez

un même malade il est possible de les associer simultanément ou successivement pour obtenir de

meilleurs résultats. On peut par exemple coupler l’acte chirurgical robotisé à d’autres techniques

comme les ultra-sons de haute densité, la photothérapie dynamique, les traitements

médicamenteux in situ.

Le traitement du cancer associe depuis plusieurs années le diagnostic par imagerie (scanner,

RMN) et l’intervention chirurgicale, classique, endoscopique ou robotisée.

Ces rapports étroits entre technologies médicales et chirurgicales dans le parcours de soins

coordonnés du patient seront soulignés dans le chapitre suivant.

II - LA MEDECINE EN PERPETUELLE EVOLUTION DANS LA COMPLEXITE

CONSERVE CEPENDANT LE MEME DEFI : « SOULAGER LA SOUFFRANCE ET

MAINTENIR LA SANTE »

Nous sommes confrontés à de multiples défis, le développement de la technologie évoqué dans

le précédent chapitre, la pénurie de médecins initiée en médecine générale dans les zones rurales,

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a gagné aujourd’hui de nombreux secteurs de soins, elle est aujourd’hui particulièrement

marquée dans le secteur médico-social où les établissements pour enfants et adultes handicapées

peinent à recruter des médecins vacataires pour assurer le suivi des résidents et dans les EHPAD

confrontés à des difficultés majeures de recrutement de médecins coordonnateurs14

. Le

vieillissement de la population, la prévalence des maladies chroniques et mentales créent de

nouveaux enjeux d’organisation des structures de santé.

L’utilisation du mot patient s’est trop centrée sur la personne, sur un organe ou sur une

pathologie décomposée en spécialités. Il faut intégrer les facteurs externes de l’environnement

physique et du milieu social. Le malade doit être identifié dans sa globalité tout au long d’un

parcours de vie unique.

Nous avons besoin de retrouver « les conseils » de la prévention primaire sur le mode de vie,

l’activité, les consommations. Cette prévention permet d’appréhender les facteurs de risque tout

en respectant l’autonomie du patient. Chainon manquant dans l’organisation des soins, la

prévention est partie intégrante de la politique socio-sanitaire et de la santé.

La réorganisation du système de santé pêche toujours de son manque de coordination du

parcours de soins. La mise en place du Dossier Médical Partagé parviendra t-il à effacer l’échec

du carnet de suivi médical instauré en 1996 avec le double but d'améliorer le suivi des soins

médicaux et de limiter les gaspillages ?

Un malade de plus en plus fractionné

Si le système de santé français est considéré comme l’un des meilleurs au monde, la

fragmentation de son organisation affecte son efficacité et sa qualité. Depuis des années, les

différents acteurs invoquent la nécessité de mieux coordonner les soins et les services,

particulièrement dans le cadre des maladies chroniques.

De même, chez les personnes âgées ou handicapées les difficultés de santé vont prendre une

dimension toute particulière du fait de leur fragilité. Chez elles, il est indispensable de rechercher

14

Difficultés de recrutements en établissements et services pour personnes âgées et personnes en situation de

handicap. Résultats de l’enquête Flash du réseau Uniopss-Uriopss. Septembre 2019

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des prises en charge qui préservent au mieux la qualité de vie et les suivis qui conjuguent les

impératifs du soin et les exigences de l’autonomie.

La recherche d’une approche globale, la prise en compte des problématiques d’ordre médical,

social et psycho-social appellent la mise en place de formes nouvelles de coopération entre

professionnels du soin et professionnels de l’accompagnement, mais aussi entre institutions de

culture aussi différentes que le sont l’hôpital d’une part, les soins de ville ou les établissements

ou services médico-sociaux de l’autre.

À partir du recensement des besoins des malades et de l’analyse des pratiques, le désir d’innover

et de générer des solutions originales adaptées à chaque contexte doit conduire à une remise à

plat totale de tout le dispositif du soin et du « prendre soin » du patient.

Il existe de profondes ruptures dans la continuité des soins, depuis le diagnostic du praticien de

ville jusqu’à l’hospitalisation en service spécialisé, puis de la transition en retour vers le médecin

traitant au domicile, vers la structure de rééducation ou un hébergement dans le médico-social,

de la prise en charge au domicile par les différents accompagnants. Il s’agit d’un long parcours

chaotique.

Malgré la nécessité prônée depuis des décennies par le ministère de la santé d’articuler les

systèmes de prise en charge du patient, de mobiliser les différents acteurs pour des parcours de

santé sans rupture afin de mieux coordonner l’ensemble des prestations sanitaires, médico-

sociales et sociales, afin de mieux répondre aux besoins de prévention et de soins des personnes,

en priorité pour celles souffrant de pathologies chroniques, de polypathologies ou de perte

d’autonomie, force est de constater qu’il continue aujourd'hui de s’afficher deux parcours bien

dissociés :

- un parcours technique hospitalier qui délivre des soins de plus en plus complexes à un

patient sur un plateau technique de plus en plus spécialisé,

- un parcours d’accompagnement médical et social soit au domicile, soit en

établissement spécialisé d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou

personnes handicapées.

Les deux systèmes restent par trop étanches.

La mise en place du Dossier Médical Partagé qui reste un outil d’échange d’informations ne

pourra pas se substituer à une véritable politique de coordination des soins.

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Ces ruptures sont renforcées par les crises que traversent actuellement ces différentes

institutions. De nombreuses craintes et critiques ont été émises ces derniers mois sur la

dégradation du système de santé. L’austérité et les réformes libérales ont conduit à une

dégradation sans précédent des conditions de travail des personnels de soin, dans les

établissements hospitaliers privés et publics comme dans les établissements d'hébergement pour

personnes âgées dépendantes ou personnes handicapées.

« Cette crise est violente et multiforme : une crise d'efficacité, de financement, de gouvernance et

de confiance. Certainement pas une crise de ressources, notre système n'en a jamais eu autant et

c'est le paradoxe de la situation »15

.

2.1 - Un système de soins hospitalier public exsangue

L’austérité et les réformes libérales ont conduit à une dégradation sans précédent des conditions

de travail des personnels de soin, dans les établissements hospitaliers comme dans les

établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

À l’hôpital, les baisses de tarif hospitaliers alors que le nombre de séjours hospitaliers progresse

chaque année conduisent les établissements à l’asphyxie budgétaire. Le déficit de l’assistance

publique des hôpitaux de Paris génère une baisse des effectifs. Face à la dégradation de leurs

conditions de travail, les soignants dénoncent « une mue douloureuse de l’hôpital, un sentiment

de lassitude et de souffrance »16

. Les médecins s’insurgent contre la « gouvernance toxique ».

Épuisement, dépressions, suicide, moyens réduits pour raison de rentabilité, « ce beau métier

devient une galère » disent les professionnels de santé.

Les médecins urgentistes dénoncent les pénuries de personnel, les services supprimés qui privent

les malades de lits hospitaliers et les obligent à occuper des brancards pendant de longues demi-

journées. La presse rapporte qu’à Lyon, en raison des personnels exaspérés en grève, les

personnes âgées sont reçues dans les couloirs et reçoivent un plat unique au repas. Un nouveau

site, créé par des médecins en colère, permet de compter chaque jour les patients obligés de

passer la nuit dans les couloirs, dénommés « les couloirs de la honte des services d’urgences ».

15 Politiques de santé Réussir le changement. Frédéric BIZARD septembre 2015. Éditions DUNOD

16 Martin HIRSCH. LE MONDE | 17.03.2018 à 10h08

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René BAYLET / UNE MÉDECINE NOUVELLE /Page 15

La psychiatrie traverse une crise sans précédent marquée une offre de soins déficitaire,

hétérogène et incohérente. Des manquements graves ont également été relevés par le contrôleur

général des lieux de privation de liberté en début d'année 2018 dans les unités de psychiatrie du

CHU de Saint Étienne. Certains patients faisaient l'objet de pratiques jugées abusives de

placement en chambre d’isolement ou de contention ne respectant pas les bonnes pratiques en la

matière. Tout ceci est sous tendu par un déficit en personnel.

La souffrance avec ses conséquences sur l’épuisement et la dégradation de la santé des soignants

devient une réelle inquiétude.

2.2 - La sous médicalisation des EHPAD

La fin de l’année 2017 a vu émerger une crise profonde dans le fonctionnement des

établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Une étude de l’INSEE publiée le 5 juillet 2017 révélait un turn-over important des personnels

soignants dans les Ehpad privés en France : « le taux de départ moyen des infirmiers est de 61 %

et celui des aides-soignants s’élève à 68% »17

. Les causes sont identifiées : la dépendance

croissante des résidents alourdit les charges de travail avec pour corollaire des aides-soignants

usés par les cadences, des infirmiers qui dénoncent le manque de dignité des soins.

Les raisons de cette insécurité grandissante, d’une situation tendue pour mener un

accompagnement efficace sont liées à un taux d’encadrement insuffisant par manque de budget.

Alors que les besoins augmentent, ces établissements qui doivent assurer les fonctions

essentielles d’autonomisation du malade et d’anticipation de la perte d’autonomie remplissent

avec difficultés leurs missions face à la limitation des budgets, ceux arrêtés par l’Assurance

Maladie qui concernent les soins et ceux des Départements via l’allocation personnalisée

d’autonomie (APA) qui financent la dépendance.

Enfin, ici aussi le manque de ressources en médecin conduit à des déficits de présence médicale.

S’agissant de la difficulté de recrutement de médecin coordonnateur, la commission des affaires

17 Turnover élevé du personnel soignant dans les Ehpad privés en France : impact de l’environnement local et du

salaire. Cécile Martin et Mélina Ramos-Gorand. INSEE. ECONOMIE ET STATISTIQUE / ECONOMICS AND

STATISTICS. N° 493-05/07/2017

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René BAYLET / UNE MÉDECINE NOUVELLE /Page 16

sociales sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes indiquait le

mercredi 13 septembre 2017 qu’un établissement sur trois n'en avait pas.

Conjugué à une disponibilité insuffisante du médecin généraliste traitant, ce déficit en temps

médical conduit à un suivi insuffisant qui conduit à un transfert hospitalier en cas de problème

de santé insuffisamment traité d'où l'encombrement des services d’accueil des urgences en cas

d'épidémie hivernale de grippe18

.

2.3 - Les difficultés de la coordination

Le bon soin doit respecter l’unicité du patient, il doit transformer l’exercice médical ponctuel,

trop souvent individuel, en pratiques de soins collaboratives inter et pluridisciplinaires, il doit se

déporter en intégrant le personnel non médical, les partenaires des sciences humaines et les

ingénieurs (médicaux).

Plusieurs raisons justifient la structuration pluridisciplinaire totale du réseau de soins. Arnaud

François et Frédéric Worms19

ont écrit : « La maladie est moment du vivant qui n’est plus comme

un problème délimité, local, cantonné à la biologie ou à l’histoire des sciences, il traverse une

vaste série de problématiques ».

La maladie est un moment multiforme qui demande d’associer les professionnels médicaux,

socio-sanitaires et le patient dans les divers lieux de soins. Aucun acteur du dispositif médical ne

peut répondre à lui tout seul aux attentes du patient et à ses proches. Prendre en compte la

complexité de la situation de chaque patient nécessite de prévoir une réaction adaptée donnant

accès à de multiples disciplines, coordonnées, dans un parcours qui va du diagnostic initial à la

réhabilitation.

La coordination des soins est un concept à la mode dont les contours sont souvent flous. Chaque

professionnel, chaque institution, pense que ses actions sont coordonnées avec les autres

prestataires de soins.

Pourtant trop souvent le constat sur le terrain est tout autre : « Cette situation est

particulièrement inquiétante au moment où la maladie chronique, qui requiert la continuité des

soins grâce à l'intervention coordonnée de tous les prestataires impliqués dans la prise en

18 EHPAD : Comment réduire les transferts évitables à l’hôpital ?Journal of the American Geriatrics Society 13

February 2018

19 Arnaud François et Frédéric Worms (dir.), Le Moment du vivant, PUF, coll. Philosophie française contemporaine

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René BAYLET / UNE MÉDECINE NOUVELLE /Page 17

charge du patient, occupe une place de plus en plus importante dans le tableau

épidémiologique20

».

Les difficultés à coordonner les actions et les contributions de chaque prestataire de soin résulte

des fragmentations que connaît notre système de santé.

La construction segmentée des dispositifs de soins est renforcée par le financement par catégorie

des prestations.

Bien que dénoncée depuis des années par les politiques, une révision en profondeur des

méthodes, des mécanismes et de l’organisation de notre modèle sanitaire avance à petit pas,

chaque changement envisagé soulevant la résistance de chaque professionnel de santé qui s'arc-

boute sur ses périmètres de compétence.

2.4 - En route vers une réforme globale du système de santé ?

« L'hôpital n'est plus à la verticale de son temps » écrivait récemment Laurent Vercoustre, « Ce

n'est pas à l'hôpital que se joue notre santé. La technologie médicale nous fascine, nous lui

prêtons des pouvoirs quasi magiques, mais quand il faudrait apprendre aux patients à mieux se

nourrir, nous leur proposons le by-pass ».

En février 2018, le premier ministre et la ministre de la santé ont annoncés lors d’une conférence

commune une « réforme globale du système de santé »21

. Cette annonce intervient après

plusieurs prises de positions très critiques de Mme Buzyn sur le fonctionnement actuel de l’offre

de soins puisqu’elle considérait en décembre 2017 que « Sur l’hôpital, nous sommes arrivés au

bout d’un système ».

Le chantier du lien entre médecine de ville, hôpital, médico-social et accompagnement psycho-

social est à nouveau remis sur le tapis.

Le gouvernement veut lancer des expérimentations sur plusieurs territoires qui pourront

« proposer des modèles d’organisation totalement nouveaux, qui prendront en charge la santé

de toute une population, transcendant les clivages actuels ville/hôpital ».

Ces transformations requièrent une évolution des cultures professionnelles.

20 Continuité, coordination, intégration des soins : entre théorie et pratique. Rev Med Suisse 2008 ; 4 : 2034-9

21 Le gouvernement promet une « réforme globale » pour le système de santé. LE MONDE du 13.02.2018

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René BAYLET / UNE MÉDECINE NOUVELLE /Page 18

De fait, un certain nombre de germes de changement, préludes à une véritable mutation des

organisations sont déjà identifiables :

- Les maisons de santé regroupant plusieurs professionnels de santé dans des locaux

communs se développent dans les territoires. On assiste, depuis 2008, au

développement des pôles de santé et des maisons de santé pluriprofessionnelles. Ces

nouvelles structures ont été conçues pour répondre aux attentes des jeunes

professionnels de santé libéraux qui sont censés y trouver un environnement adapté

répondant mieux à leurs aspirations en matière de pratique. Elles permettent d’attirer

et de maintenir des médecins en zones sous-dotées.

- L’infirmier en pratique avancée défini par la loi de 2016 de modernisation de notre

système de santé pourraient « combler un déficit dans l'offre de soins, assurer des

prises en charge complexes en particulier sur la coordination en médecine de

proximité et/ou entre la ville et l'hôpital évitant ainsi des ré hospitalisations

dramatiques et coûteuses » explique l'Ordre National des Infirmiers.

Dans le cadre de regroupements, de maisons de santé, de pôles mais également

d'équipes de soins primaires sans regroupement physique mais dans une logique

pluriprofessionnelle, l'infirmier en pratique avancée de premier recours pourra assurer

une coordination soignante et sociale, une consultation infirmière de première ligne,

une consultation longue de suivi des pathologies chroniques, la prescription infirmière

et un champ élargi de la vaccination sans prescription, l'éducation thérapeutique du

patient et enfin, un accès plus rapide au médecin spécialiste.

- La participation des patients et des associations de patients aux évolutions de notre

système de santé par le biais du développement des patients-experts, de la démocratie

sanitaire, des comités territoriaux de santé, dès lors que ces instances ne se

cantonneront pas à un rôle de chambre d’enregistrement de politiques sanitaires

descendantes mais sauront faire réellement valoir leurs ambitions en matière

d’organisation sanitaire nationale et locale.

- Les pharmaciens, acteur de santé de proximité, au contact des patients, diversifient

leurs missions et élargissent leur champ d’intervention. Le grand chamboulement en

cours et à venir, c’est « l’accompagnement plus personnalisé des malades pour les

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pharmaciens en officine »22

. Il quitte ses fonctions « d’exécutant d’une ordonnance ».

On exige une prise en charge plus globale, on lui demande de faire de la prévention,

de suivre de plus près le parcours du patient, de collaborer davantage avec les autres

professionnels de santé ». Deux régions expérimentent depuis octobre 2017, la

vaccination des patients contre la grippe par les pharmaciens d'officine.

« Face à l’évolution radicale de notre monde, conséquence d’une triple transition

(démographique, épidémiologique et technologique), notre système de santé n’a pas d’autre

choix que de structurellement s’adapter »23

.

Cette mutation devra se faire à marche forcée pour rester en phase avec les besoins et les attentes

des patients.

III – LE NOUVEAU DEAL DE LA RELATION MEDECIN-MALADE

La relation médecin-patient se compose d’une dimension verbale d’échange suivi d’un acte de

soin qui va définir une marche à suivre pour maintenir la santé, prévenir la maladie,

accompagner le patient dans un parcours de soins.

3.1 - Le médecin face à une demande de plus grande humanité de la part du malade

« « L’humanité, enjeu majeur de la relation médecin/patient »24

. Dans cet ouvrage, les auteurs

indiquent que si le patient apprécie le plus souvent la qualité et la technicité des soins prodigués,

il souhaiterait bénéficier de plus d’explications, d’attention, de considération. Le soin requiert

une attention portée au non-sens et aux souffrances multiples que la maladie implique pour la

personne qui en est affectée. La spécialisation des disciplines, la fragmentation des suivis,

l’organisation complexe et actuellement en pleine évolution du système de santé renforcent le

risque de cette occultation de l’expérience subjective du malade.

22 Les études de pharmacie se mettent à la page. Le Monde, mercredi 31 janvier 2018.

23 Politique de santé : réussir le changement. Frédéric Bizard. 2015 - Collection : Santé Social, Éditeur : Dunod

24 La philosophie du soin. Marie Gaille et Nicolas Fourneur. 2010 - Presses Universitaires de France

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Depuis les années 1970 le paternalisme propre à chaque médecin a disparu qui lui donnait les

pleins pouvoirs sans partage du diagnostic, du choix du traitement, sans informations.

Dans cette relation de dépendance, le médecin seul était dépositaire du savoir, le patient

infantilisé était sans connaissance médicale, incapable de prendre une décision, il devait juste

consentir et s’abandonner aux mains du médecin. En contrepartie, le médecin s’engageait dans

une relation naturelle de bienveillance. « Les médecins sont dans une relation thérapeutique qui

établit un cadre de compétence médicale socialement reconnue et qui confère aux personnels

soignants une autorité qui leur permet de prescrire et d’imposer au patient un ensemble de

traitements qui impliquent des comportements à suivre »25

. Le médecin apparaît comme un

acteur pragmatique, adossé à une rationalité scientifique et personnellement engagé.

Actuellement la relation médecin-malade répond au « modèle informatif » : le médecin est de

plus en plus un technicien expert informant un malade-client, demandeur autonome de soins et

qui va décider in fine s’il accepte ou refuse le soin ou telle technique chirurgicale proposée. Ce

contrat de soins s’inscrit dans un climat de confiance raisonnée.

Ainsi se dessine un modèle de « partenariat », sans patient, sans client mais entre deux

partenaires. A la raison médicale se substitue une décision partagée et une action médicale

conduite en commun, ce qui fait dire à Catherine Vincent : « Les soignants sont confrontés à une

pratique très normative, à des situations complexes – malades chroniques, long séjour, fin de

vie, à logique gestionnaire de plus en plus présente »26

.

Dominique Lecourt écrit : « Le soin ne désigne pas qu’un domaine particulier de l’activité

médicale mais un socle anthropologique sur lequel toute médecine fonde son humanité et son

efficacité »27

.

Le rôle spécifique du médecin glisse progressivement vers une aide technique et morale au

patient, il s’agit de le conseiller pour aboutir à une décision partagée avec lui : « il doit produire

et intégrer des données pour assister son patient dans les choix thérapeutiques proposés, le

25 L'observance thérapeutique : déterminants et modèles théoriques. Cyril Tarquinio M.-P. Tarquinio. Pratiques

psychologiques 13 (2007) 1–19

26 A l’hôtel dieu, je panse donc je suis. Catherine Vincent. Le monde Idées 15.09.2016

27 LECOURT D. Avant-propos. In : La philosophie du soin, Ethique, médecine et société. Presses universitaires de

France, 2010 ; 1-2

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rassurer, le guider dans l’interprétation des données vécues. Loin de mécaniser sa relation

pratique une médecine humanisme face à une « technologie sans état d’âme » nous dit Jean-

François Thebault28

.

Une nouvelle fonction médicale a émergé qui conduit le médecin à respecter les besoins de son

malade et à l’accompagner dans la recherche de ce qui lui convient au mieux, mais aussi à

acquérir des compétences relationnelles de communication verbale et non verbale, à s’ouvrir à

l’écoute ce qui suppose une mise en retrait, une ouverture à l’autre. L’écoute est une science à

laquelle il faut être formé. Le médecin doit dialoguer pour connaître le vécu de son patient,

intégrer dans sa réflexion la question de la qualité de vie et des priorités de vie, il doit s’appliquer

à informer et à expliquer en évitant de heurter les sensibilités. Il apporte un appui sans critique.

« À côté du gouffre existentiel que représentent les avancées technologiques, l’empathie et le

sens aigu du contact et du dialogue porteront les changements »27

.

Pour réinventer « l’écoute de proximité » des patients dans une médecine centrée sur l’humain, le

personnel soignant devra plus que jamais intégrer dans son logiciel métier les sciences sociales,

en formation initiale et en formation continue.

Actuellement dans leur formation, les étudiants sont écartelés entre les obligations d’acquérir des

connaissances objectives toujours plus larges et l’intimation d’une maîtrise des enjeux de la

communication.

Pour le jeune médecin, l’enjeu relationnel d’une consultation reste empreint de la figure de

domination d’un « patron ». Il devra aujourd’hui être en mesure de réconcilier des postures en

partie contradictoires, d’une part la formalisation et la standardisation des pratiques et d’autre

part la capacité de prendre en compte les aspects non biomédicaux : « l’acquisition du savoir

relationnel, la maîtrise de l’art de la communication »29

.

Par ailleurs, le numérique transforme l’enseignement et offre de nouvelles possibilités aux

pédagogues. Il permet des cours en ligne, à destination d’étudiants disséminés à partir d’un

arsenal technologique central loin du traditionnel face à face entre enseignants et élèves dans un

amphithéâtre.

28 « Éthique et data de santé » Jean-François Thébaut, Cardiologue, membre du collège de la HAS

29 Dimensions existentielles et identitaires d’une carrière médicale » Régis Marion–Veyron. La formation des

médecins, entre scientificité et Bildungsroman. Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 300-2

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Il apporte un progrès considérable dans l’entraînement à la gestuelle chirurgicale au travers de

simulateurs qui permettent de répéter à volonté un geste, sans risque pour le patient. Cet

entraînement virtuel régulier qui va jusqu’à proposer différentes procédures ne doit pas occulter

toute l’importance du compagnonnage par le binôme et le tuteur.

Comment mieux placer l’étudiant au cœur du dispositif d’apprentissage ? Par une pédagogie

active, mettant l’accent sur le travail en groupe et la créativité, essentielle pour les apprentissages

aux compétences comportementales : empathie, écoute, aptitude à la discussion qui sont des

fondamentaux indispensables dans le modèle du partenariat de la relations médecin-malade.

L’apprentissage doit rester personnalisé permettant à chacun d’apprendre à son rythme et de

forger son expérience.

La formation continue des seniors s’appuie sur la lecture de revues médicales, leur participation

à des sessions de Formation Médicale Continue, encore faudra-t-il se méfier de la mauvaise

qualité de certains articles de synthèse sur des médicaments ou des maladies et des empreintes de

motifs d’intérêt.

Dans ce créneau émergent également le développement de nouveaux programmes de formation

en ligne, parfois complexes et contraignants, ce e-learning complémentaire permet d’effectuer

son choix à tout moment, sans surcharge à l’activité clinique.

Ainsi, au décours de sa formation initiale ou continue, le médecin doit être apte à informer le

malade ainsi que la bonne manière de le faire. Il devra « supporter les affects devant la

souffrance du patient qui leur demande de leur faire du bien »30

.

3.2 - Les nouveaux patients, s’informer et prendre la parole

Au cours d’une consultation le malade amène avec lui ses représentations, ses connaissances du

corps et de sa maladie, constituées à partir de ses expériences et des informations reçues. Il réagit

de manière émotionnelle selon un registre affectif qui va moduler l’adhérence au traitement, ses

plaintes, sa demande d’aide.

30 Dimensions psychologiques de la douleur chronique chez les personnes âgées: pour une autre écoute de la

plainte». CHRISTOPHE LUTHY, MÉDECIN. Département de Réhabilitation et Gériatrie, Hôpitaux Universitaires

de Genève, Genève

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Historiquement, le patient avait une relation de soumission et de confiance en son médecin. Le

numérique fait évoluer son comportement avec une prise partielle d’autonomie par le biais

d’informations acquises en direct sur le net.

La maladie chronique exige du patient qu’il s’adapte à ses nouvelles conditions, voire qu’il

trouve un nouveau sens à sa vie. On lui demande de participer activement à sa santé et à ses

soins, de gérer sa nouvelle vie de malade soumis à un traitement.

Avant de se rendre à une consultation médicale, 64 % des patients sont allé sur le Net pour y

rechercher des informations, soit pour mieux comprendre ce que le médecin va dire, pour

discuter du traitement, pour poser de meilleures questions.

Après la consultation 34 % y retournent pour s’informer sur leur maladie, le traitement.

Durant la consultation, le malade sait et la relation médecin-malade va se déporter vers un patient

qui a besoin d’un expert pour discuter avec lui des différentes hypothèses diagnostiques et

thérapeutiques.

La prise en charge médicale devient partagée, elle va s’orienter en fonction de la capacité du

malade d’entendre une certaine vérité, d’entrer dans une démarche de choix du traitement, de

bien en comprendre les enjeux, d’en évaluer les conséquences. Au lit du malade, c’est ensemble

qu’est proposée la meilleure stratégie de prise en charge thérapeutique.

Le mot « mon Patient » a disparu, connoté du sentiment de propriété. Le succès du traitement

repose sur un dialogue suscité le plus tôt possible et sur une réflexion partagée.

Fondement de la pratique médicale le raisonnement clinique est « l’ensemble des processus

cognitif et non cognitif permettant d’interagir avec un patient et son environnement afin de

collecter et d’interpréter des données, peser les risques et les bénéfices des actions et

comprendre les préférences du patient ; ceci afin de déterminer une démarche diagnostic et

traitement »31

.

Dans les années 80 puis 90, l’épidémie du Sida, ce virus face auquel malades et soignants étaient

aussi démunis les uns que les autres, puis ensuite les scandales sanitaires, ont conduits non

seulement à une nouvelle forme de relation dans le soin mais encore à une montée en puissance

des associations de patients qui ont pris part aux débats sur la qualité des soins et la sécurité des

patients et plus largement l’organisation du système de santé.

31 Coralie Galland-Decker, David Gachoud, Matteo Monti . Rev Med Suisse 2016; volume 12. 2004-2006

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Les représentants des usagers sont entrés en 1996 dans les conseils d’administration des

hôpitaux. Leur présence au sein d’autres instances s’est peu à peu élargie. Plus tard a été

introduite la notion de démocratie sanitaire pour évoquer l’exercice de ces nouveaux droits que

l’on appelle aussi « droits collectifs ».

Par l’intermédiaire d’associations, les patients ont la possibilité de rapporter les effets

secondaires des médicaments, de témoigner sur le vécu de leurs maladies, de décrire son impact

sur la qualité de vie et l’entourage, de signaler les difficultés rencontrées. La parole est ainsi

donnée aux patients et par là l’initiative « d’ouvrir un lieu de décision à la société civile ».

En donnant un rôle de contre-pouvoir face aux professionnels de santé et aux représentants de

l’État et de l’assurance maladie, les pouvoirs publics ont imaginé que l’usager pouvait servir à

rendre les débats plus transparents et plus concrets face à des logiques plus instrumentales

qu’elles soient professionnelles ou technico-administratives. Malgré cette volonté politique, il

faut se demander quelle a été la réalité de cette participation et ce qu’elle a pu apporter

réellement et concrètement dans la définition et la mise en œuvre des politiques de santé32

. A-t-il

un réel pouvoir d’influer sur la marche du système de santé ou n’assure-t-il qu’une prestation

cosmétique dans un dispositif de gouvernance totalement verrouillée par le haut ?

Au-delà « d’être acteur de sa santé », il est demandé au patient de s’approprier des gestes, des

décisions, un investissement face à sa maladie et à son traitement. Il est appelé à reprendre un

pouvoir sur sa propre vie (Empowerment).

L’observance désigne le comportement du patient qui suit le traitement qui lui a été prescrit et

tient compte des recommandations médicales. Elle se réfère à la capacité du patient de s’inscrire

dans les cadres médicaux qui devraient pouvoir optimiser sa santé, capacité se référant aux

ressources mentales, sociales, physiques et psychologiques pour faire face à la maladie et aux

exigences de soins. L’observance intègre une dimension affective de la relation médecin /

malade, elle est un indicateur de la qualité de cette relation.

Dès 2003, l’OMS s’inquiétait de la non-observance des traitements prescrits dans les maladies

chroniques, les pourcentages atteignant 50 % dans l’hypertension artérielle, 80 % dans l’asthme

32 USAGERS ET POLITIQUES DE SANTÉ : BILANS ET PERSPECTIVES. Pierre-Henri Bréchat, Alain Bérard, Christophe

Segouin, D. Bertrand. S.F.S.P. | « Santé Publique ». 2006/2 Vol. 18 | pages 245 à 262

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René BAYLET / UNE MÉDECINE NOUVELLE /Page 25

ou le diabète, 73% des hospitalisations en psychiatrie sont des ré-hospitalisations avec abandon

de la prise de médicaments33

.

Ces causes sont diverses, elles peuvent être physiologiques en lien avec les effets indésirables

des médicaments, psychologiques avec un système de croyance ou une attitude de suspicion, une

lassitude face aux contraintes imposées par la maladie, un besoin de souffler ou « d’affirmer sa

propre autorité »34

.

Pour réduire la non-observance, le patient qui se trouve en face d’un étranger auquel il doit se

confier a besoin d’être rassuré.

Le médecin a un rôle déterminant. Il doit avoir une attitude positive, favoriser un sentiment de

confiance et de responsabilité, une participation, donner une dimension affective à sa

consultation, prenant en compte sa souffrance psychologique tout en s’efforçant d’analyser le

risque couru dans le parcours de soin du malade. Le médecin devra comprendre la perception

qu’a le malade de sa maladie et du traitement.

Il devra éviter toute attitude autoritaire, tout jardon technique, des instructions imprécises ou

confuses dans les prescriptions et les posologies.

Le succès thérapeutique sera évalué comme d’habitude sur la sécurité et l’efficacité mais il doit

aussi incorporer les résultats subjectifs du patient.

3.3 - Les aidants, troisième acteur du soin en ambulatoire ou en institution

« La relation privilégiée médecin-malade s’inscrit dans un réseau social de proximité autour du

patient à mobiliser pour créer sa santé regroupant soignants, aidants, soigné, famille »27

.

A l’heure où le système de soins investit de façon croissante le domicile, les proches aidants

jouent un rôle déterminant.

33 L’observance des traitements prescrits pour les maladies chroniques pose problème dans le monde entier.

OMS GENEVE, 1 JUILLET 2003.

34 D’Ivernois Jean-François, Gagnayre Rémi. Apprendre à éduquer le patient- Paris-Edition Vigot. 1995

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En France, les aidants familiaux seraient environ 3,5 millions et représenteraient aujourd'hui 7 %

de la population active. On estime que l'entourage assure plus de 70 % des tâches

d'accompagnement de la personne dépendante35

.

Auprès d’un proche atteint dans son autonomie, ils consacrent une partie de leur temps à

« soigner » et à accompagner. Il s’agit d’une prise en charge qui va veiller au confort en

favorisant la communication, la stimulation cognitive. Les activités généreuses de ces « non

professionnels » dévoués et efficaces méritent d’être reconnues et considérées. Ne serait-il pas

souhaitable d’en préciser plus officiellement la place, le rôle, de garantir leur insertion et même

de leur accorder si nécessaire une aide ?

De programmes se développent afin de permettre aux aidants d’acquérir un savoir-faire précis

face à certaines maladies déstabilisantes.

La formation des aidants constitue aujourd’hui un axe majeur dans l’action des associations de

patients. Au Canada un programme a été développé de psycho-éducation destiné aux proches des

personnes souffrant de schizophrénie36

.

En médecine de premier recours, un exemple de l’importance de l’entourage est rapporté par

Cédric Devillé et Françoise Narring dans la prise en charge des adolescents présentant des

difficultés comportementales, des relations conflictuelles avec leur entourage ou des signes de

souffrance psychiques37

. L’intégration de l’entourage dans la démarche de soin peut agir comme

un levier thérapeutique puissant et rapide.

IV - CONCLUSION

A l’issue de ces réflexions, il faut tenter de recherche quelle marque identitaire peut être donnée

à la médecine dans ce premier quart du XXIème

siècle ?

35 Question orale n° 0989S de Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) publiée dans le JO Sénat du 05/08/2010

- page 2001

36 Cité par le docteur Yann Hodé, psychiatre au centre hospitalier de Rouffach (Haut-Rhin) et chercheur, à

l’initiative du développement du programme Profamille en France.

37 Pas sans ma famille ! L’importance de l’entourage en médecine de premier recours avec des jeunes. Cédric

Devillé, Françoise Narring. Rev Med Suisse 2016; volume 12. 1141-1143

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Il s’agit d’une médecine technicisée, sans cesse enrichie de nouvelles technologies, d’une

médecine en partie numérisée et totalement informatisée. C’est une médecine de précision de

plus en plus personnalisée.

Au travers du parcours de soin coordonné difficile à rendre pleinement effectif, c’est une

médecine multidisciplinaire qui ne peut plus agir sans la mobilisation active des différents

professionnels de santé qui œuvrent ensemble dans la prise en charge du patient. Elle a besoin de

recruter les aidants pour aboutir au-delà du résultat médical à un résultat psychosocial

satisfaisant et durable dans le temps.

C’est une médecine collaborative fruit d’une alliance entre le médecin et son patient, fondée sur

le dialogue permanent entre eux deux.

Sera-t-elle enfin toujours une médecine sociale ? Face à ses progrès spectaculaires, saura-t-elle

conserver son fondement d’une meilleure santé répartie au mieux sur l’ensemble de la population

ou ira-t-elle en se focalisant sur un petit nombre d’individus recevant des soins de plus en plus

technicisés comme le craint Bertrand Kiefer38

?

Il s’agit là du dernier et du plus important des défis à tenir.

38 Médecine, deviens ce que tu es. Bertrand Kiefer. Rev Med Suisse 2016; volume 12. 1784-1784