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PROGRAMME ET POSITION HISTORIQUE DUN RATIONALIS ME H UMANISTE par Carlos PARIS, Saint-Jacques-de-ComposteUe AU centre de la probldmatique philosophique de notre temps se trouve la revision du concept de raison. I1 est manifeste que ~’es- prit moderne - tant chez l’homme moyen que chez le penseur - a bprouvk une singuliQredbdlusion en ce qui concerne la raison. Cette dbsillusion a 6tB 6tudiCe explicitement par certains philo- sophes espagnols, Odega et Ummunof. Son action, dans I’ordre philosophique, a entrain6 frbquemment une rbduction dm possibi- lit& scientifiques de la philosophie. La tache classique de dormer raison s du fait scientifique s’est faite trop lourde pour la pensbe philosophique, a-t-on dit I. Rien de plus facile, en consdquence, que de tourner le dos h cette mission classique et de se renfermer dans un irrationalisme, ainSi que l’ont fait bon nombre d’existen- tialistes. L’unique mbthode pour dCpasser ce moment, est de reposer radicalement 1’idCe de raison et penser un nouveau rationalisme. si nOuS ne faisons erreur, Dialectics a voulu se consacrer h cette tAche depuis sa fondation (voici dix ans). Bien que, en principe, son analyse du rationnel ait OPbrd sur un terrain restreint, et plus par- ticulikrernent dans la science positive naturelle, la nbcessite d’un glargissement du rayon de Ia rkflexion s’est rbvklde indispensable et a dCjh 6tC dbmontrke’. Or, former une idde de la raison, en notre temps, ne peut se faire que par un processus de maturation et reabsorption de l’histoire

PROGRAMME ET POSITION HISTORIQUE D'UN RATIONALISME HUMANISTE

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PROGRAMME ET POSITION HISTORIQUE D U N RATIONALIS ME H UMANISTE

par Carlos PARIS, Saint-Jacques-de-ComposteUe

AU centre de la probldmatique philosophique de notre temps se trouve la revision du concept de raison. I1 est manifeste que ~’es- prit moderne - tant chez l’homme moyen que chez le penseur - a bprouvk une singuliQre dbdlusion en ce qui concerne la raison. Cette dbsillusion a 6tB 6tudiCe explicitement par certains philo- sophes espagnols, Odega et Ummunof. Son action, dans I’ordre philosophique, a entrain6 frbquemment une rbduction dm possibi- lit& scientifiques de la philosophie. La tache classique de dormer raison s du fait scientifique s’est faite trop lourde pour la pensbe philosophique, a-t-on dit I. Rien de plus facile, en consdquence, que de tourner le dos h cette mission classique et de se renfermer dans un irrationalisme, ainSi que l’ont fait bon nombre d’existen- tialistes. L’unique mbthode pour dCpasser ce moment, est de reposer radicalement 1’idCe de raison et penser un nouveau rationalisme. si nOuS ne faisons erreur, Dialectics a voulu se consacrer h cette tAche depuis sa fondation (voici dix ans). Bien que, en principe, son analyse du rationnel ait OPbrd sur un terrain restreint, et plus par- ticulikrernent dans la science positive naturelle, la nbcessite d’un glargissement du rayon de Ia rkflexion s’est rbvklde indispensable et a dCjh 6tC dbmontrke’.

Or, former une idde de la raison, en notre temps, ne peut se faire que par un processus de maturation et reabsorption de l’histoire

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que nous portons sur nos Cpaules. L’utopie qui a fait faillite a consist&, preciskment, A vouloir mettre sur pieds un rationalisme, fils d’une certaine experience privil6giCe qui n’avait point Bt6 obtenu jusqu’A present, un rationalisme naissant, d6j A, tout arm6 de cette experience. Face A ce songe chimerique se prksente l’exi- gence d’un rationalisme influence par la marche constante e t inde- cise des sikcles passes, conscient de ses inbvitables limites e t portant tkmoignage des aspirations diverses - paraissant mbme parfois opposbes - qu’il nourrit en son sein.

11 faut donc signaler, des le dbbut, les grandes eigences qu’un rationalisme actuel doit pouvoir affronter, les diffkrents tribunaux devant lesquels il est oblige de repondre afin de pouvoir assumer ses responsabilites dans les difficult& de la conjoncture prk- sente.

La recherche de l’humain est Ia premiere grande condition de ce rationalisme. Rationalisme que, pour autant, nous pourrions qua- lifier, quant A ses bases, d’c humaniste o, # anthropologique u, OU, si ]’on veut d’c homorationalisme #. RCcupCration de l’humain signifie se rendre compte que toute connaissance, depuis les savoirs quo- tidiens, mais trks particulikrement ceux de la science et la mbtaphy- sique, sent u notre n connaissance ; non pas une connaissance absolue, mais une connaissance marquke par la condition sp6cifi- quement humaine du sujet crhteur.

Le rationalisme carthien a succomb6 A la tentation que Rlari- tain dksignait dans une expression qui fait image, 1” angklisation 8

de la raison. DbjA A l’aurore de la pensbe occidentale, l’intelligence grecque se laissa entrainer au reve $unit& et d’immutabilitb abso- lues de l’etre, niant le sensible. Rien de plus facile que cet emporte- ment de notre connaissance verS la p h i t u d e intellectuelle, la patrie de l’esprit pur, subsistant, et prdexistant A notre condition humaine actuelle dans la mythologie platonicienne. La difficult6 constante qu’a eue la pende humaine pour admettre une stricte philosophie de la nature, tant en &&e que, lors de la dissolution opCrCe par le mbcanisme moderne, et la trajectoire de notre philosophie depuis Descartes jusqu’h I’idCalisme, en sont des tbmoignages Cloquents. Mais la rdcupbration de l’humain, vocation si spbciale de la pensee actuelle dans l’ordre metaphysique, devra se conclure dans l’ordre

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dynamique, dans laquelle il convient de distinguer, comme clef conceptuelle, la position empirique de ses concepts e t son ultime contenu essentiel, qui ne s’6claire que progressivement, par le d6voi- lement de relations toujours plus intimes. De ce fait, il n’existe pas d’opposition rigoureuse entre I’analytique et le synthbtique, mais bien plutbt un jeu fluide entre le versant conceptuel u quoad nos D et le sein le plus intime (( quoad se D, jeu, grPce auquel des juge- ments apparemment synthktiques, A mesure que nous les apprk- hendons en soi, finissent par etre perqus comme analytiques. Che- minant ainsi, en derniire instance, j Usqu’A l’idbal simplificateur et unificateur de la connaissance, comme nous le permettent l a grandes idees de l’alghbre abstraite actuelle, avanqant, donc, sub vant un processus d’c intellectualisation 8 du rationnel ; intellectua- lisation ne fonctionnant cependant pas comme une realit6 d6ja POss6dCe, mais comme une limite impossible A atteindre complhte- ment.

11 est plus clair encore de voir comment la compr6hension de la science de la nature, en tant qu’effort soutenu vers l’apprkhension d’une realit6 transcendante, t e m e et origine de notre connaissance, trouve, dans ce dynamisme rationnel, ses possibilitks les plus fbcondes d’explication.

Mais le fait mktaphysique, lui aussi, doit &re consider6 dam les perspectives de ce nouveau rationalisme. L’existence de la m6ta- PlVsique, A un degrO minimum, comme u disposition D dans le senS kantien, comme a faim D dans le SenS d’unamuno, ne peut &re nike Par pemonne. MCme le nCopositivisme ne peut fuir la prbsence de ce fait, que ses efforts d’expliquer comme une erreur linguistique, affrontent d’une maniere par trap simpliste. Le rationalism humaniste que nous avons ici rapidement esquisse, dbbouche dam le mbtaphysique. L’existence de la transcendance mCme, que pour- suit la connaissance et dent il Se nourrit pour vivre, pousse la con- naiSSance ?I poser l’idbe du gente du connaftre, l’oblige & s’affronter avec la possibilite de I’absolu. Du point de vue nobtique, la situation de ce mode du rationnel, B l’intbrieur d’un panorama de la vie intellectuelle dam lequel I’humain n’est, en vhritk, qu’un moment, se prksente inCvi- tablement, sous un aspect problhmatique.

C&te vision contingente, h i e ,

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L’idCe de raison, a partir de son humanisation intbrieure, prend place face aux grands faits nobtiques, la science positive avec ses caracteristiques particulicres, la mktaphysique comme aspiration inkvitable de par notre position dans un cadre conceptuel absolu. E l k apparaft, cornme un rationalisme, h la fois scientifique et meta- physique. Puis, e lk inCOrPOre Cette situation gr polymorphe # parti- culikre de la raison, cette souplesse crdatrice de produits hCtCro- genes, de tendances noCtiques, voire opposkes, comme le sont en certains aspects, la science et la metaphysique. Ce polymorphisme a c tb exprim6 fortement par Bachelard qualifiant la philosophie scientifique de philosophie @ distribuCe B, 6 disperske D, de 6 plura- lisme philosophique l *. A notre point de vue, ces possibilitks lui sent offertes par ce caractere ouvert, fini, dynamique de la raison et trouvent leur fondement dernier dans la situation mdtaphysique complexe de I’homme, esprit incarnk.

Le rassemblement de toUtes ces exigences reprbente, comme nOuS I’avons dit, un programme 4 remplir par une idee de raison qui voudrait assumer la capacitd de repondre aux diffkrentes demandes intellectueks de notre temps. Ddjja la nodtique de Kant s’btait formu16 explicitement en maniere de programme, face ja sa propre situation historique. Elle voulait donner raison du fait scientifique, physique e t mathbmatique, de la logique aristot6li- cienne, de la m6taphysique, A la fois comme disposition naturelle et faillite historique. Elk essayait, donc, de se constituer en un

rationalisme scientifique * (suivant Ies termes que nous avons et en un gr rationalisme mktaphysique *, expliquant la

tendance e t en niant les rdSUltatS. La critique de notre siecle a pu facilement constater de que1Ie fawn cette pens6.e se trouvait limitee par la situation concrkte de la science euclidienne et galileo-new- tonienne de 1’6poque. Mais, Sous cette critique se cache une accu- sation plus grave ; celk dU fait W e toute la pensbe kantienne flotte dans une atmosphere d’absolutisme et se trouve imprbgnke par Ie rationalisme moderne, auquel, malgre le choc empiriste de Hume, elle ne parvient pas A Cchapper.

Tr& concrktetement, cette impression gdnCrale est tangible en

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deux points: la persistance du d6sir rCformiste de la philosophie, et 1’idCe de la science comme realit6 parfaite, definitive et conclue, Ctrangere tout dynamisme en son aspect conceptuel, malgre l’amrmation de la chose en soi, dont le maintien systkmatique a l’int6rieur du kantisme est si difficile.

Le d6sir rbformiste dont nous parlons signifie la continuation cartbsienne et le rbve d’une philosophie parvenant A 6chapper A la discussion, une philosophie, actuelle, coniye u comme science exacte n. C’est une aspiration & un stade de la philosophie dam lequel se trouverait atteint un niveau comparable A celui de la science positive avec ses grands traits d’unit6 et de progressivit6, ConquCte qu’aurait permise une reforme conceptuelle. Mais cette vision represente une utopie ignorant les particularitks de la penske philosophique, avec ce qu’elle a de radical et de profond d’un cat& de limit6 e t de discutable de l’autre. Et, ainsi nait la nCgation kantienne de la metaphysique, en tant que connaissance transcen- dante, negation par laquelle on esperait pouvoir eviter la situation d’une philosophie embarrass& dans les probkmatismes. L’uto- pisme rationaliste, en effet, n’accepte de reconnaztre aucun savoir ClUi soit entour6 d’ombres et de limitations. Ou la perfection absolue, dent ParaiSsait t6moigner la science de cette kpoque, ou l’expulsion du champ de la connaissance. On rejoint ici la chimere qui se retrouve Sans cesse tout au long de l’histoire de la philoso- @lie modem, et qui a tellement influence la motivation du p s i - tivisme.

Perfection absolue, avons-nous Ccrit en parlant de la conception de la science positive, forgCe par l’kpoque. Et, ici Cgalement, nous SUrprenonS, dans le sein du kantisme la meme blessure rationaliste. Non Seuhlent il Climine la mbtaphysique, parce qu’elk ne Cons- t i t w pas un savoir parfait, mais encore il reste persuadb que la science positive, pour sa part, reprdsente la perfection, d’oi la canonisation de I’apparei] apri0rist.e de la g6omCtrie euclidienne et de la physique classique. 11 rbsulte, en dernikre analyse, que la vision kantienne de la science se trouve fermhe A la compr6hension du dynamisme de celle-ci. Et A cette exclusion correspond 1’opPO- sition rigide des jugements analytiques et synthbtiques. La science SC prbscnte cornme un Cdifice definitivement construit, non COmme

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rationnel, la science actuelle parait rencontrer une voie de sortie dans la ligne que nous venons de signaler, en forgeant un rationa- lisme humaniste au cceur duquel se trouve l’idde de la raison, comme devenir, vers un regne de ndcessitds que, en son Ctat e t condition actuels d’ceuvre humaine, elle annonce seulement en tant qu’as- piration, comme direction organisante naturelle. La vision dyna- mique du fait scientifique, fruit mQr du processus ultime des sciences, recueille cette situation.

La reconnaissance de l’hdtkrogCndit6 et de I’autonomie concep- t u e h partielle des diffdrents domaines scientifiques, face A l’unita- risme, mbcaniciste, contient un sens trhs net. C’est ce qu’illustrent l’anthropologisme des sciences humaines, mCdicales, psychologiques et historiques, ou la crdation d’une biologie posddant son propre systhme de concepts, et fuyant toute poldmique entre le vitalisme ascientifique et le mCcanisme abiologique. La mathdmatique, libCree

physicisme antdrieur, a opere la m&me autoddcouverte de son propre caracthre. Tous ces faits bien connus, signalent un enrichis- sement de l’esprit scientifique, rendant possible un nouveau dCpad, danS une conception u ouverte 9 de la raison, c’est-A-dire qui recon- naisse une riche transcendance sur laquelle operent ces coupes conceptuelles.

En ce sens, quand on consid&re le logos mdtaphysique classique, la plus grande limitation de 1’aristotClisme a rCsidC probablement - encore que cela puisse apparaitre paradoxal - dans son insuf- fiSante accentuation de la transcendance de la connaissance, 0%

Plus exactement, de la grande distance qui nous separe de la patrie ultime de la raison. Le platonisme, en efiet., avait situe la recherche de l’Un et de I’immuable, centre de ]’idbe prdsocratique de raison, dam le monde lointain, mais attractif des idees, substantialisation, dans le transcendant, des concepts socratiques. Cette conception

animde d’un g e m e fdcond de dynamisme, encore qu’imprb- gnke par une prdoccupation plus axiologique que scientifique, et limit& par la dbvalorisation du sensible. La conception impliquait une vision transcendante du rationnel, senti comme but d’un Pro- cessus d’ascension, d’asc&e nobtique. La demarche bien connue de I’aristot6lisme, reincorporant I’idCe A la chose, bien qu’elle sauve leS valeurs rdelles de ]’exp&ience, entraine une absolutisation du

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sensible, en faisant reposer dans la rkalitC immbdiate, le monde ideal, autrefois transcendant. Et cette absolutisation du quotidien a eu des consequences fatales pour la naissance d’une science aristo- tklicienne. C’est 18 l’explication de l’insufisance scientifique de I’empirisme aristotklicien, face a l’empirisme-rationalisme de Gali- 1ke. Ainsi, une conception qui voudrait conserver les valeurs les plus durables du rkalisme classique en face de la situation actuelle, doit savoir s’ouvrir 8 la vision dynamique de la connaissance, vision €&con&, par ailleurs, du point de vue des catkgories mbtaphysiques centrales de contingent et d’absolu.

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in Verbindung mit der mathematischen und naturwissenschaftlichen Tat- sache vorzustellen. Auch die Metaphysik sol1 als natiirliche Vollendung des rationalen Strebens erkannt werden. Der Kantismus wird in seiner pro- grammatischen und geschichtlichen Lage betrachtet, um seine miichtige rationalistische Pragung, in eine griindliche Blindheit vor der dynamischen Gestalt der Wissenschaft leitend, zu bemerken. Endlich werden die episte- mologischen Miingel des aristotelischen Realismus festgestellt, die ein heu- tiger Realismus durch eine dynamische und humanistische Erkenntnislehre iiberwinden kann.

Abstract

The critical attitude actually taken towards the idea of reason supplies the starting point ; i t is considered possible to overcome the resulting crisis by positing this idea anew, in order to establish a new rationalism which might be termed humanist Y. That rationalism should first of all duly record the fact that our knowledge is strictly human and differs as such from an absolutely intellectual knowledge, in a sense which contrasts with the Present rationalist outlook. Following that line, the writer stresses the * compositive * and a divisive D aspects as well as the dynamic character of our rational activity, in the process of presenting the explicative possibi- lities Of this dynamic understanding with reference to mathematics and natural science. The metaphysical fact into which the rational is bound to flow must be accounted for. I<antism is examined in its historical and programmatical position, stressing how deep the rationalist imprint is there, making it a blind alley as far as scientific dynamics are concerned ; it is held that they could be overcome by present day realism, thanks to a dynamic and humanist noetic doctrine.