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1 RÉPONSE A LA CONSULTATION PUBLIQUE PORTANT SUR LE PROJET DE RÉFORME DU DROIT DES CONTRATS Le 27 avril 2015, à Montpellier Par : Florent ANDREA, Chloé ATLAN, Alexandra BOIRAT, Alissa LAGARRIGUE, Lae- titia PLEYBER et Mélanie VIALLE du Master 2 Consommation et Concurrence Cédric BULL, Amandine CHAPOU, Coralie DUMAS, Elie MARTEL, Leila MEBARKI et Clémence PICARD, du Master 2 Droit Privé Economique

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RÉPONSE A LA CONSULTATION PUBLIQUE PORTANT SUR LE

PROJET DE RÉFORME DU DROIT DES CONTRATS

Le 27 avril 2015, à Montpellier

Par :

Florent ANDREA, Chloé ATLAN, Alexandra BOIRAT, Alissa LAGARRIGUE, Lae-titia PLEYBER et Mélanie VIALLE du Master 2 Consommation et Concurrence

Cédric BULL, Amandine CHAPOU, Coralie DUMAS, Elie MARTEL, Leila MEBARKI et Clémence PICARD, du Master 2 Droit Privé Economique

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Selon le Ministère de la Justice, le Code civil de 1804 n’est plus adapté à la réali-té des échanges, ni à la réalité de l’activité sociale et économique. C’est pourquoi la réforme du droit des contrats est attendue et nécessaire.

Elle est, en effet, attendue. Plusieurs projets avaient précédemment tenté de réformer le droit des contrats, la plupart portés par des universitaires. Tout d’abord, le projet CATALA en 2005, puis le projet TERRE dont les différents volets, à savoir contrat, res-ponsabilité et régime de l’obligation, ont respectivement été publiés en 2009, 2011 et 2013. Cependant, les universitaires n’étaient les seuls à vouloir cette réforme, puisque la Chancellerie a également proposé en 2009 et 2013 son propre projet.

Cette réforme est également nécessaire, car le Code civil est demeuré inchangé depuis près de 210 ans. Ainsi, certaines règles étaient mal rédigées, voire même marginales. Il était donc indispensable de procéder à quelques changements.

La majorité du projet constitue une codification à droit quasi-constant, en ce sens que les solutions qui gouvernent la matière actuelle en droit positif sont quasiment toutes consacrées et codifiées. Cela permet de démontrer, une nouvelle fois, l’importance de la jurisprudence et de la doctrine. Il ne faudrait toutefois pas passer à côté des innova-tions proposées par cette réforme, que nous tenterons de montrer tout au long de cette consultation.

Cette réforme a pour but de rendre la loi plus intelligible, conformément à l’objectif cons-titutionnel d’intelligibilité de la loi.

Les nouvelles dispositions sont alors très précises et claires. Bien que cela permette d’assurer une certaine sécurité juridique, il ne faut néanmoins pas oublier que de telles dispositions mettent en échec toute interprétation extensive de la part des juges et limi-tent donc leurs pouvoirs. De même, la suppression de certaines notions, jugées essen-tielles, comme la cause ou les bonnes mœurs, a pour effet de restreindre les possibles fondements d’une action en justice.

L’autre but de cette réforme est de renforcer l’attractivité du droit français. Effective-ment, suite au classement “Doing Business” effectué par la Banque Mondiale, Singa-pour est classé premier concernant la facilité de faire des affaires et l’exécution des contrats, alors que la France hérite respectivement des 31ème et 10ème rangs. Bien que les critères de classement puissent paraître contestables, il s’agit, grâce cette ré-forme, de promouvoir le droit français dans le domaine des affaires.

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Enfin, cette réforme passe par le biais d’une ordonnance. Bien que ce mode ait été cri-tiqué par de nombreuses personnes, il ne faut pas oublier l’atout principal de ce “décret-loi” : la rapidité. La réforme a ainsi le mérite d’exister en moins de dix-huit mois.

Bien que les effets sur le long-terme de cette réforme demeurent pour l’instant incer-tains et qu’elle puisse déjà faire l’objet de critiques, il ne faut néanmoins pas oublier qu’elle permet d’apporter des nouveautés à même de renouveler la matière contrac-tuelle, et qu’elle permettra peut être d'entraîner de nouvelles réformes sur les points encore sujets à discussion.

Amandine CHAPOU & Laetitia PLEYBER

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I - SUR LA FORME L’ancien intitulé du Titre III « Des contrats et des obligations conventionnelles en

général » est remplacé par l’intitulé suivant : « Des sources d’obligations ». C’est ainsi toute l’architecture relative aux obligations qui est affectée par cette modification.

Dans un souci de clarté et de compréhension, nous limiterons l’analyse suivante à une étude des modifications affectant les articles que nous jugerons les plus pertinentes. En effet, il serait bien trop long et peu compréhensible de faire une liste exhaustive de tous les articles modifiés. Nous procéderons à cette étude de façon chronologique, en sui-vant le plan et la numérotation du projet de réforme.

Chapitre I - Dispositions préliminaires

Nous commencerons par le nouvel article 1101 qui dispose que : “ Un contrat est un accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer des effets de droits”. Le terme convention est donc remplacé par celui d’accord de volonté. Cela ne modifie pas le sens de l’article, les deux mots étant synonymes, en revanche, l’accord de volonté peut paraître plus proche de la pratique, plus compréhensible et plus acces-sible aux usagers du Code, à savoir les parties à un contrat. Ensuite, les différentes catégories d’obligations précédemment listées (faire, donner, ne pas faire) sont résu-mées à travers le terme “effet de droits”, cela contribue également à la simplification de l’article.

Nous verrons en outre à travers ce développement qu’un des objectifs de ce projet de réforme est celui de rendre les dispositions du Code civil relatives aux droits des obliga-tions, plus accessibles aux praticiens ainsi qu’aux usagers non avertis, tels que sont les particuliers, parties aux différentes catégories de contrats. Cet objectif est-il rempli ? C’est ce que nous essayerons d’étudier à travers ce développement.

Ensuite, l’article 1102 codifie une ébauche de liberté contractuelle en disposant que “Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi”. Cette liberté de choix du cocontractant est issue d’un arrêt de principe de la Cour de cassa-tion du 7 avril 1998 (“un concédant à le droit de traiter avec le cocontractant de son choix, sans être tenu de motiver sa décision ni de communiquer les critères selon les-quels ce choix est exercé” - Bull. civ. IV, n° 126 ; RTD civ. 1999. 79, obs. Mestre).

Le second alinéa de cet article pose tout de même une limite, à savoir celle du respect des droits et libertés fondamentaux, sauf cas de protection d’intérêts légitimes. Ces dis-

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positions semblent issues de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui défini la liberté comme “faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”.

L’article 1103 mérite également un commentaire, ce dernier dispose “Les contrats doi-vent être formés et exécutés de bonne foi”. A travers cette précision, il est donné une importance toute particulière à ce principe de bonne foi qui figurait anciennement à l’alinéa 3 de l’article 1134. Nous pouvons nous demander si le législateur n’a pas voulu, à travers cette formulation au sein d’un article unique et indépendant, donner une valeur fondamentale à cette nécessité de bonne foi.

Concernant les différentes catégories de contrat, mis à part une modification de la nu-mérotation, le fonds ne nécessite pas d’avantage de commentaires. Ces catégories sont énumérées dans les articles 1104 à 1110.

Chapitre 2 - La formation du contrat

Section 1 - La conclusion du contrat

Ce chapitre comporte de réelles innovations. Notamment au sein de sa Section 1 intitulée “La conclusion du contrat”. Cette dernière est composée de 4 sous-section, couvrant les thèmes que sont les négociations, l’offre et l’acceptation, la promesse uni-latérale et le pacte de préférence ainsi que le contrat conclu par voie électronique.

Les articles présents dans ces sous-parties peuvent être perçus comme une codifica-tion de certains attendus de principes de la Cour de cassation, comme cela était le cas pour différents autres apports introduits dans le chapitre précédent. Tel est le cas, no-tamment, des articles de la sous-section 2 sur “l’offre et l’acceptation”. En effet, dans le précédent Code, les précisions relatives à ces notions étaient insérées sous l’article 1101, cité précédemment. Pour ne citer qu’un exemple, le délai de l’offre figurait sous ledit article, dans la partie D - Offre, point 9 - Délai de l’offre, c’est en ce point qu’une décision du TGI de Paris du 12 février 1980 précisait que “l’expiration du délai explici-tement fixé dans l’offre rend celle-ci caduque” (D. 1980. IR 261, obs. Ghestin). Dans le projet de réforme, c’est l’article 1118 qui se charge du délai de l’offre en disposant que “l’offre est caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issu d’un délai raisonnable”.

Les articles relatifs à la promesse unilatérale de vente ainsi qu’au pacte de préférence seront étudiés et expliqués ultérieurement, dans la partie relative au fond du projet de réforme.

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En outre, la promesse unilatérale et le pacte de préférence font leur entrée dans le Code civil aux nouveaux articles 1124 et 1125. Ces notions jurisprudentielles sont codi-fiées afin d’en avoir une définition claire et précise. Ces articles précisent la définition générale, les manières de révoquer la promesse et les conséquences de la violation d’une promesse unilatérale ou d’un pacte de préférence.

Un autre ajout majeur est celui de l’ajout des nouveaux articles 1126 à 1126-8 qui ré-gissent les contrats conclus par voie électronique (remplaçant les anciens articles 1369-4 et suivants). Cette modification est novatrice au vu du développement phénoménal d’internet et des nouvelles technologies. De plus en plus de contrat sont conclus en ligne notamment via les sites de ventes de vêtement, de matériel informatique de tout autre objet. Il était donc nécessaire de régir ces types de contrats et d’en définir préci-sément les dispositions contractuelles applicables.

Il était nécessaire que le consommateur soit informé et protégé. Ces dispositions sont à rapprocher des articles L 121-19 et suivants du Code de la consommation sur les con-trats conclus à distance, établis suite à l’adoption de la loi Hamon de mars 2014.

Enfin, à propos des articles 1126 à 1126-8 pour le contrat conclu par voir électronique, ils sont eux aussi issus de nombreux arrêts dont les attendus ont été insérés sous diffé-rents articles du précédent Code. Cela poursuit un objectif de modernisation du droit qui ne semble pas critiquable, à savoir celui de s’adapter aux nouvelles techniques mises à la disposition des contractants.

Suite à l’ensemble de ces remarques, nous constaterons que le projet de réforme pré-sente un Code plus dense, plus fourni et disposant de nombreuses précisions quant aux notions clés qui étaient disposées dans l’ancien texte (offre, acceptation, conclusion du contrat, etc.). Cela avait pour objectif de faciliter la compréhension du texte pour les usagers non spécialisés en la matière.

Cependant, il faudrait se demander si la multiplication de toutes ces explications et dé-finitions ne reviendrait pas à “noyer” ledit usager dans un océan de notions que ce der-nier ne pourrait pas intégrer et comprendre en totalité. En outre, cela pourrait compli-quer le travail du particulier qui chercherait une disposition précise. En effet à trop vou-loir en dire, l’objectif de simplification n’en serait-il pas affecté ?

De plus, cela ne serait-il pas susceptible d’entraver la liberté du juge que d’avoir codifié la jurisprudence de façon relativement détaillée ? En effet, en droit français, par opposi-tion au droit de la Common Law, le juge n’est pas tenu par les précédentes décisions, il est libre de rendre une décision contraire à une décision précédemment rendue. Le fait

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d’avoir codifié ces attendus de principes semblerait éviter, voir empêcher tout revire-ment de jurisprudence à propos des notions concernées, cela n’est-il pas critiquable ?

Section 2 - La validité du contrat

L’ancien article 1108 établissant les conditions de validité des conventions serait remplacé par un article 1127 disposant que “Sont nécessaire à la validité d’un contrat : 1° Le consentement des parties; 2° Leur capacité à contracter; 3° Un contenu licite et certain”. Ici, le terme « contenu » est venu englober les notions d’objet et de cause qui ont été abandonnées. L’article 1131 qui disposait que “L’obligation sans cause ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet”, disparaît par la même.

Sur ce point une remarque est nécessaire. S’il est vrai que le législateur a entendu af-fecter à la bonne foi un article à elle toute seule, ce qui permet de donner une certaine souplesse d'appréciation au juge, pour ce qui concerne l’objet du contrat mais aussi et surtout la cause, tel n’a pas été le cas. La suppression de la cause, geste qui a du et devra encore faire couler beaucoup d’encre, demeure critiquable sur ce point à savoir celui de la disparition d’une opportunité d’appréciation, jadis offerte au juge. Cette cause accordait une certaine souplesse dont pouvait disposer le juge lorsqu’il souhaitait rendre une décision quelque peu “originale”. Nous pouvons par exemple citer la recon-naissance de l’obligation de libéralité, justifiée par l’existence d’une cause, la Cour avait précisé que “la cause d’une libéralité réside dans le motif déterminant qui l’a inspirée” (Civ. 1ère, 6 oct. 1959 : D 1960. 515, note Malaurie). Nous tacherons de ne pas relan-cer le débat relatif à l’existence/absence de cause mais il était nécessaire d’évoquer notre interrogation faisant suite à sa disparition.

Un article a pu retenir notre attention, à savoir le nouvel article 1128 qui dispose que “Pour consentir valablement, il faut être sain d’esprit”. Cette notion est une reprise de l’ancien article 414-1 relatif aux mesures de protection. Sa présence à cet endroit du projet de réforme pourrait s’expliquer par la volonté du législateur d’insister sur la capa-cité du cocontractant, ce qui n’est pas critiquable, même si cela ne posait pas un réel problème dans la pratique.

Il nous faut préciser qu’un nouvel article 1129 a été introduit, prévoyant un devoir d’information, dont le manquement engage la responsabilité extracontractuelle de l’auteur.

Dans la continuité de cet article, interviennent les dispositions relatives aux vices du consentement, qui ne requièrent pas de commentaire particulier, en effet, même si la numérotation s’est vue quelque peu modifiée, le fond reste dans l’ensemble inchangé.

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Sur la capacité, le nouvel article 1144 dispose que “Toute personne physique peut con-tracter, si elle n’en est pas déclarée incapable par la loi”. Il faudra remarquer ici la préci-sion de la qualité de la personne. Faut-il interpréter cela comme une exclusion des per-sonnes morales ? Dans la jurisprudence antérieure, une personne morale pouvait être partie à un contrat de droit privé, en effet, dans un arrêt Société d’HML pour Paris du 14 décembre 2009, le Tribunal des conflits précise que “le contrat conclu entre deux per-sonnes morales de droit privé est présumé être un contrat de droit privé” (requête n°C37716), contrat qui sera donc soumis aux dispositions du Code civil. Même si ce cas d’espèce concerne sur le fond un sujet de droit public, il n’en demeure pas moins que les juges ont reconnu la capacité de contracter (au sens du droit civil) à des per-sonnes morales de droit privé. Cet ajout dans le projet de réforme parait donc boulever-ser la notion de capacité, dans un sens qui ne semblerait pas favorable à l’économie des conventions.

Chapitre 4 - Les effets du contrat

Section 4 – L’inexécution du contrat

Sous-titre 3 – Les autres sources d’obligations

Chapitre 3 – L’enrichissement injustifié

C’est une grande nouveauté qui figure au nouvel article 1303 qui dispose que “en dehors des cas de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injus-tifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement ».

Cette notion d’enrichissement sans cause ne figurait pas dans le Code civil. Elle était seulement fondée sur des décisions jurisprudentielles. Ainsi, suite à cet ajout, l’action de in rem verso permettant à une personne d’engager une action contre quelqu’un qui s’est enrichi injustement trouvera désormais sa place dans le Code civil.

La codification à droit constant remarquée lors des précédents développements conti-nue donc d’être appliquée pour ces notions. Tel sera le cas tout au long de ce projet, avec les conséquences à la fois positives mais aussi négatives que cela entraine, comme nous l’avons déjà évoqué.

Chloé ATLAN, Leila MEBARKI et Clémence PICARD

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II - SUR LE FOND

I – Obligation d’information

Sans tomber dans l’éloge du code napoléonien, il convient toutefois de ne pas succomber à la tentation inverse. Et c’est peut-être cet effort de synthèse, de compro-mis, qui a dicté la rédaction de ce projet en matière d’obligation d’information.

L’article 1129 prévoit ainsi que :

« Celui des contractants qui connaît ou devrait connaître une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, ce dernier ignore cette information ou fait confiance à son cocon-tractant.

Le manquement à ce devoir d’information engage la responsabilité extra-contractuelle de celui qui en était tenu. Lorsque ce manquement provoque un vice du consentement, le contrat peut être annulé ».

Au delà de la simple visibilité et de l’octroi d’un article spécialement attribué à la ques-tion de l’obligation d’information, c’est bien une jurisprudence établie que le projet con-sacre.

A cette occasion, les rédacteurs du projet ont clairement défini une obligation d’information, charge pour celui qui sait d’en avertir son cocontractant. Ainsi l’informé se voit attribuer un rôle particulièrement actif lorsque son co-contractant profite d’une position nettement plus passive.

Ce décalage entre les deux situations révèle une intention de promouvoir une forme de solidarité au sein du contrat en minimisant les responsabilités d’une partie supposée plus faible. L’obligation de se renseigner trouvait sa source dans une forme de respon-sabilité des deux contractants. Dans le même ordre, « un homme qui traite avec un autre homme, doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informa-tions convenables, et ne pas négliger ce qui est utile. L’office de la loi est de nous pro-téger contre la fraude d’autrui, mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison. S’il en était autrement, la vie des hommes, sous la surveillance des lois, ne serait qu’une longue et honteuse minorité » (Portalis, Discours préliminaire sur le projet de code civil, Joubert, 1844, p. 53-54).

S’éloignant encore de l’adage emptor debet esse curiosus (l’acheteur doit être curieux), et confirmant une certaine « consumérisation » du droit civil, les rédacteurs du projet

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semblent vouloir accentuer le rôle actif de celui qui sait en minimisant le rôle passif de celui laissé dans l’ignorance.

Cette évolution peut être contestée, en autorisant une forme d’atonie de l’un des con-tractants. Pourtant la lecture a contrario du texte contredit cette première impression. Si effectivement on comprend que le texte insiste sur l’obligation d’information et non sur celle d’informer, rien n’indique que cette dernière ait été oubliée.

En effet, pour que l’obligation d’informer pèse sur un contractant encore faut-il que l’information ait pu légitimement être ignorée du co-contractant.

Or, c’est bien là un réel changement qui doit être pris en compte. Car si en 1804 la sa-gesse et l’attention devaient gouverner les décisions des parties contractantes, cela était certainement dû au fait que l’accès à l’information était longtemps resté difficile. Peut-on en dire autant aujourd’hui ? A l’instar du consommateur, le contractant lambda a accès à une quantité encyclopédique d’informations directement sur son smartphone ou sa tablette.

Ne reste alors que les informations qu’il ne pouvait « légitimement ignorer ». Quelles sont-elles ces informations ? On pense immédiatement aux informations que seul le vendeur ou le technicien, sont en mesure de maitriser. Mais ce pan d’information semble bien étroit en comparaison. Et lorsque le législateur consacre tantôt l’obligation de conseil, tantôt le devoir de mise en garde (Ch. mixte. 29 juin 2007, JCP 2007. II. 10146), il ne porte pas automatiquement préjudice à l’obligation de se renseigner.

Rappelons alors que toute personne qui ne peut connaitre une information, eu égard à sa technicité ou sa complexité ou encore du lien de confiance qui l’uni à son cocontrac-tant, demeure créancière d’une obligation de renseignement. Obligation qui reste sanc-tionnée en cas de non respect, par l’intermédiaire du dol ou de se réticence ou par la responsabilité délictuelle

C’est donc fort de ce constat que le législateur s’est livré à une rédaction très pragma-tique de la répartition des charges pesant sur les contractants en matière d’obligation d’information.

Cédric BULL

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II - Pacte de préférence & promesse unilatérale de contrat

Il s’agit, dans cette rubrique, d’appréhender les modifications qu’a apporté le lé-gislateur en ce qui concerne deux contrats préparatoires que sont la promesse unilaté-rale de contrat et le pacte de préférence.

Pour la première, le législateur souhaitait rompre avec une jurisprudence de 1993 (Cass. 3eciv., 15déc1993, n°91-10.199, Cts Cruz : JurisData n° 1993-002405 ; JCP N 1995, p. 31, note D. Mazeaud. - Cass. 3e civ., 11 mai 2011, n° 10-12.875, Millet Bous-sard : JurisData n° 2011-008034 ; D. 2011. p. 1457, note D. Mazeaud ; p. 1460, note D. Mainguy ; p. 2683, obs. I. Goanvic ; JCP E 2011, 1670, note Y. Paclot ; JCP N 2011, 1163, rapp. G. Rouzet ; Contrats, conc. consom. 2011, comm. 186, obs. L. Leveneur ; RTD civ. 2011, p. 532, obs. B. Fages ; Defrénois 2011, p. 1023, obs. L. Aynès ; RDC 2011, p. 1133, obs. Y.-M. Laithier ; p. 1259, obs. Ph. Brun. - Adde : Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-19.526 : JurisData n° 2011-018742 (reproduisant la solution de la 3e ch. Civ.) tandis que le régime du second, dégagé de façon prétorienne, devait être con-sacré dans le Code civil.

1) La promesse unilatérale de contrat

Le Code civil, avant cette réforme, ne définissait pas la promesse unilatérale de contrat et ne précisait pas son régime juridique.

La jurisprudence devait faire face à deux hypothèses : la révocation de la promesse et la conclusion du contrat promis avec un tiers. Elle considérait que la rétractation par le promettant, intervenue avant que le bénéficiaire ait levé l’option, faisait obstacle à la formation du contrat promis. Ainsi, si le bénéficiaire lève l‘option après la rétractation, il ne pourra pas obtenir l’exécution forcée en nature du contrat ; le bénéficiaire devra se contenter de dommages et intérêts.

L’article 1124, issu de la réforme, remédie au silence du Code civil, en définissant la promesse unilatérale comme étant «le contrat par lequel une partie, le promettant, con-sent à l'autre, le bénéficiaire, le droit, pendant un certain temps, d'opter pour la conclu-sion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation du-quel ne manque que le consentement du bénéficiaire ».

Les rédacteurs du contrat pourront donc, pour échapper au nouveau régime de l’article 1124, user d’habileté contractuelle pour que le contrat (éventuellement présenté au juge) ne soit pas une convention où seul le consentement du bénéficiaire suffirait à for-mer le contrat principal.

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L’alinéa 2 et 3 de ce même article poursuit en s’opposant clairement à la jurisprudence dite Cruz de 1993 (et ravira ses opposants) en précisant que « la révocation de la pro-messe pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis » et que « le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ».

On peut observer que la révocation est inefficace, elle n’empêche pas la formation du contrat promis.

En revanche, autre hypothèse, la nullité du contrat passé avec un tiers suppose qu’il connaisse l’existence de la promesse unilatérale de contrat. Le tiers doit donc être de mauvaise foi pour que la nullité du contrat passé avec le promettant soit invoquée. Cette exigence laisse présager les problèmes probatoires que rencontreront les bénéfi-ciaires de promesses.

Les exceptions du nouvel article 1121 constitueront les autres obstacles que rencontre-ra le bénéficiaire de la promesse : pour que celui-ci puisse invoquer l’exécution en na-ture du promettant, cette exécution ne devra être ni « impossible » ni « avoir un coût manifestement déraisonnable ».

2) Le pacte de préférence

Là encore, le Code civil, avant cette réforme, ne définissait pas ce qu’était un pacte de préférence. Aucun régime légal ne lui était applicable.

La chambre mixte de la cour de Cassation, dans l’hypothèse d’une violation du pacte de préférence, avait néanmoins considéré que le bénéficiaire d’un pacte de préférence ne pouvait exiger l’annulation du contrat passé et obtenir sa substitution à l’acquéreur qu’à deux conditions cumulatives :

- le tiers devait avoir eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence ;

- ce même tiers devait connaître l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir (Cass. Ch. Mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, Bull. civ. n°4 ; R., p.330).

Ces conditions, très restrictives pour le bénéficiaire du pacte, ne favorisaient donc pas sa substitution à l’acquéreur.

L’article 1125, issu de la réforme, donne une définition du pacte de préférence et re-prend pour (grande) partie la solution de la chambre mixte de 2006. L’article 1125 pré-cise que le « pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s’engage à propo-ser prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle se déciderait

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de contracter ». Cette définition, proche de celle retenue antérieurement par l’avant-projet Catala1 et par le projet Terré2, a vocation à maintenir les solutions jurispruden-tielles relatives à l’absence de nécessité de fixer initialement un prix ou une durée (Civ. 1ère, 6 juin 2011, Bull. civ. I, n° 166 ; Civ. 3e, 15 janv. 2003, n° 01-03.700). On peut re-gretter l’emploi du terme « traiter » plutôt que celui de « conclure ».

L’alinéa 2 de ce même article poursuit : « Lorsque, en violation d'un pacte de préfé-rence, un contrat a été conclu avec un tiers qui en connaissait l'existence, le bénéfi-ciaire peut agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu. Le bénéficiaire peut également obtenir la réparation du préjudice subi ».

Le projet d’ordonnance rappelle donc que le bénéficiaire du pacte peut obtenir la répa-ration du préjudice qu’il subit en application des règles de responsabilité contractuelle. Surtout, il offre au bénéficiaire une action en nullité ou en substitution, dès lors que le tiers avait connaissance de l’existence du pacte. Ces trois hypothèses étaient consa-crées par la jurisprudence antérieure.

Le législateur, dans les alinéas 3 et 4 de ce même article, prévoit une forme d’action interrogatoire que le tiers peut mettre en œuvre en cas de présomption d’existence d’un pacte de préférence : celui-ci peut demander « confirmation par écrit au bénéficiaire dans un délai raisonnable ».

Cet écrit, devant mentionner « en termes apparents qu’à défaut de réponse, le bénéfi-ciaire du pacte de préférence ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers, ni la nullité du contrat, à moins que le pacte ne contienne une clause de confidentialité ». Cet alinéa vise à concilier les exigences de sécurité des transactions avec le respect des droits du bénéficiaire du pacte. Le bénéficiaire perd donc toute ac-tion contre le tiers en cas d’absence de réponse, sauf si une clause de confidentialité se trouve dans le contrat.

Outre le fait que les hypothèses dans lesquelles le tiers présumera l’existence d’un tel pacte et connaîtra l’éventuel bénéficiaire semblent rares, il aurait été plus logique de faire peser sur le promettant une obligation d’information systématique de renseigner ce même tiers de l’existence d’un pacte de préférence.

1 Avant-projet Catala , Art. 1106-1, al. 1er : « Le pacte de préférence pour un contrat futur est la conven-tion par laquelle celui qui reste libre de le conclure, s’engage, pour le cas où il s’y déciderait, à offrir par priorité au bénéficiaire du pacte de traiter avec lui » 2 Projet Terré, Art 30 : « le contrat par lequel une partie s’engage auprès d’une autre, bénéficiaire, à lui proposer en priorité un contrat le jour où, libre de conclure, elle s’y déciderait »

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Cette possibilité offerte au tiers fait peser sur le bénéficiaire, de par son silence, les conséquences de la violation du pacte par le promettant. Sans doute, le législateur a considéré que le silence du bénéficiaire équivalait à une absence d’intérêt de celui-ci pour le pacte de préférence.

Outre la lettre même de ces deux textes, il convient de rappeler que la pertinence et l’efficacité de ceux-ci dépendront (in fine) de ce que les juges voudront bien leur faire dire …

Florent ANDREA

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III - Imprévision

S’agissant de la question de la révision pour imprévision, la jurisprudence judi-ciaire française est constante depuis le célèbre arrêt du Canal de Craponne de 18763 : le principe est de ne pas accepter l’imprévision et de s’en tenir à la première intention des contractants. La chambre civile de la Cour de cassation a estimé que le principe de la force obligatoire des contrats est général et absolu et qu’il n’appartient pas aux tribu-naux de tenir compte du temps et des circonstances pour modifier les conventions des parties.

Effectivement, les juridictions civiles n’admettent pas la théorie de l’imprévision : le juge ne peut pas réviser le contrat sous couvert d’équité ; il ne peut modifier certaines dispo-sitions du contrat que si des clauses particulières sont identifiées telles que les clauses pénales ou encore l’existence de clauses abusives.

Selon Denis Mazeaud, si la Cour de cassation française s’oppose à la révision judiciaire c’est parce que « les contractants, réputés raisonnables et rationnels, sont considérés comme les meilleurs juges de leurs propres intérêts et qu’ils sont donc présumés parfai-tement aptes à gérer le risque d’imprévision en stipulant des clauses appropriées »4. Par conséquent, la liberté contractuelle est suffisante au risque d’imprévision.

Cependant, une partie de la doctrine est favorable à la révision pour imprévision5.

Certains arrêts ont parfois atténué ce principe ou, tout au moins, autorisé la révision contractuelle. La jurisprudence a développé une éventuelle intervention du juge dans le contrat par le biais du principe de la bonne foi.

Par exemple, dans les célèbres affaires Huard6 et Chevassus-Marche7, les juges ont eu recours à l’obligation de bonne foi, respectivement, dans l’exécution d’un contrat de dis-tribution exclusive et celle d’un contrat de représentation exclusive. Il a été considéré que dans l’exécution de ces contrats assortis de clauses d’exclusivité, le fournisseur et le mandant avaient une obligation de bonne foi, ou de loyauté, leur imposant de rené-gocier le contrat ou de prendre de mesures concrètes, afin de permettre aux parties de bénéficier d’une mise en œuvre utile de ce contrat.

3 Cass. Civ, 6 mars 1876, D. 76. 1. 193, note GIBOULOT 4 Droit des contrats : réforme à l'horizon ! – D. MAZEAUD– D. 2014. 291 5 D. MAZEAUD, La révision du contrat, Rapport français 6 Cass. Com, 3 nov. 1992, n°90-18.547 7 Cass. Com, 24 nov. 1998, Bull. 277

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Aussi, dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nancy le 26 septembre 20078, les juges ont imposé la renégociation du contrat en raison d’un déséquilibre contractuel apparu au cours de son exécution. Il s’agissait d’une imprévision inédite : un changement cli-matique et l’instauration des quotas d’émission de gaz à effet de serre ont impliqué des coûts supplémentaires pour l’un des cocontractants, sans contrepartie.

En outre, à l’étranger, la révision pour imprévision est admise par de nombreux sys-tèmes juridiques comme la Grèce, l’Italie, l’Allemagne, le Portugal, les Pays-Bas et cer-tains pays anglo-saxons.

De plus, dans son rapport de 2007 sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations, la Cour de cassation a indiqué qu’elle était favorable à l’introduction de ladite théorie. Le principe de cette théorie est de permettre au juge de réviser judiciairement le contrat en cas de survenance d’un événement imprévisible, indépendant de la volonté des parties.

En son article 1196, la réforme du droit des contrats semble consacrer cette théorie de la révision judiciaire pour imprévision :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assu-mer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Le projet, qui d’apparence introduit la révision pour imprévision, semble manquer d’audace et n’apporte pas de réelle nouveauté.

D’abord, le juge n’est pas en mesure de modifier le contrat sans l’accord des parties. Il ne modifie pas le déséquilibre mais se contente d’en prendre acte et d’indemniser la victime. Or, en lui accordant un pouvoir de révision autonome, le juge pourrait trancher les débats entre les parties « en considération des attentes légitimes des parties », comme le prévoyait le projet Terré9.

Il est important de préciser que face à un prix fixé abusivement, le projet de réforme du droit des obligations en son article 1163 alinéa 2, offre le pouvoir au juge de réviser le

8 CA Nancy, 26 sept. 2007, n° 06-02.221, D. 2008, p.1120 9 Article 92 du projet Terré

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contrat. Pourquoi le juge ne pourrait-il pas faire de même si les circonstances ont désé-quilibré le contrat ?

Le projet actuel est seulement incitatif, les parties étant encouragées à renégocier le contrat elles-mêmes.

Ensuite, le texte précise qu’en cas d’échec ou de refus de renégociation, les parties peuvent demander « d’un commun accord » au juge de procéder à l’adaptation du con-trat. Or, en droit positif, les parties peuvent déjà demander au juge de modifier leur con-trat, d’un commun accord. En effet, l’article 12 alinéa 4 du Code de procédure civile dis-pose que les parties peuvent « conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d'appel si elles n'y ont pas spécialement renoncé ».

Aussi, d’un point de vue pratique, si le contrat n’a pas été révisé c’est parce que les par-ties n’ont pas réussi à se mettre d’accord, ou parce que le bénéficiaire des circons-tances n’a pas voulu renégocier. Dans ce cas, on peut légitimement se demander pour-quoi le bénéficiaire des circonstances accepterait de se soumettre à la révision judi-ciaire ? Quel serait son intérêt, étant donné qu’il va perdre ses avantages ?

Par ailleurs, le texte dispose que le changement doit rendre « l’exécution excessive-ment onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». Cela laisse entendre que le débiteur a pu accepter le risque du changement en question. Par conséquent, une telle acceptation suggère que l’événement n’est plus imprévisible. Il n’entre donc plus dans le champ de l’article 1196. Il est alors légitime de penser, qu’en pratique, une clause exclura l’imprévision en stipulant que le débiteur accepte d’assumer le risque d’un changement de circonstances rendant l’exécution excessive-ment onéreuse pour lui.

Enfin, ce texte est un trompe l’œil car il ne s’agit pas de la révision judiciaire pour im-prévision :

- Soit, il s’agit de conclure un avenant à un contrat lorsque le texte dispose qu’une partie « peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ».

- Soit, il s’agit pour les parties de se mettre d’accord pour demander au juge d’équilibrer le contrat et en cas d’échec, l’une d’elles peut demander l’anéantissement du contrat. Si le juge accède à la demande, le contrat n’est alors pas révisé mais anéanti.

Coralie DUMAS

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IV - Violence économique

Le droit français réprouve la violence exercée à l’encontre d’un contractant. La réforme du droit des contrats a consacré la notion de violence économique à quatre articles :

« Art. 1139. – Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une con-trainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable.

« Art. 1140. – La menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va au-trement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif.

« Art. 1141. – La violence est une cause de nullité relative, qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers.

« Art. 1142. – Il y a également violence lorsqu’une partie abuse de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie pour obtenir un engagement que celle-ci n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de fai-blesse. »

Le projet de réforme semble vouloir consacrer l’élargissement de la notion de violence. C’est le nouvel article 1139 qui nous donne la définition de la violence :

« Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui ins-pire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

La jurisprudence avait élargie cette notion à la violence économique, mais la question de la violence pouvant émaner du contexte dans lequel évoluait un contractant, demeu-rait nébuleuse.

La violence pouvait s’exercer à l’encontre du contractant lui même ou ses proches pour lesquels la loi présumait chez le contractant une grande affection10. On peut constater que la réforme consacre explicitement l’élargissement de la violence aux proches du contractant. Le projet de Chancellerie, tout comme le projet CATALA et TERRE avait d’ailleurs anticipé cela en définissant la violence comme étant une « contrainte », terme englobant un maximum de circonstances. Cette clarification était nécessaire.

10 Article 1113 du Code civil

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Ce qui apparaît cependant superflu est le terme de « il y a également violence » pré-sent à l’article 1142 du projet de réforme. Ce terme complique la précision de la défini-tion donnée à l’article 1139. Un état de nécessité, tout comme une situation de dépen-dance entraîne nécessairement une contrainte et donc une violence. La séparation de ces deux articles avec l’introduction du terme « également » apparaît, a priori, inoppor-tune. Cela laisse à penser que la notion abordée dans l’article 1139 et dans l’article 1142 est différente alors que dans les deux cas nous sommes dans une situation de vice de consentement subordonné à des circonstances différentes.

On peut donc constater par la suite que le projet de réforme traite de manière séparée la violence économique rattachée au vice du consentement (article 1142) et l’abus de faiblesse (article 1139). Cette notion d’abus de faiblesse était déjà traitée auparavant en terme de vices du consentement et donc de « violence économique ». Pour certains d’ailleurs, le vice du consentement est pleinement assimilé à la notion d’abus de fai-blesse. Ici la distinction entre les deux textes permet de séparer ces deux notions pour-tant conniventes.

La violence économique est désormais caractérisée lorsque trois critères sont remplis :

- un état de nécessité ou de dépendance - un abus dans cet état de nécessité ou de dépendance - le vice de consentement qui en résulte.

La violence se prouve par tous moyens et, notamment, par témoignage et présomption. C'est évidemment à la victime, demanderesse, qu'il incombe de prouver tant les faits de violence que le caractère déterminant et illicite de ces faits. L’imposition de ces trois critères cumulatifs va manifestement compliquer les choses lorsque la preuve devra être rapportée. La caractérisation d’une violence à l’encontre d’une personne peut être factuellement difficile, le niveau de violence peut varier en fonction de la personne visée (personne âgée, enfant, personne de diligence moyenne, en difficulté financière, etc.). Il est déjà ardu de jauger la contrainte qu’a subi une personne, si on lui demande, en plus, de la prouver, cela complique immédiatement les choses… Un simple « déséqui-libre contractuel anormal »11 pourrait en effet suffire à caractériser la violence écono-mique résidant donc dans l’avantage excessif, anormal et non pas dans une hypothé-tique menace ou contrainte.

On peut noter également que l’article 1142 fait état d’un abus nécessaire, ayant entrai-né la souscription à un engagement de la part de la partie en état de faiblesse, qu’elle n’aurait pas souscrit s’il elle n’avait pas été dans cette situation de faiblesse. On re- 11Violence économique ou abus de faiblesse ?, J.P.CHAZAL, Revue Droit et patrimoine n°240, Oct. 2014, p.47

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trouve dans cette formulation l’influence du droit des clauses abusives avec l’altération du comportement économique en droit de la consommation. Les clauses abusives ont désormais rejoint le domaine général du droit des obligations. Mais ce qui demeure dis-cutable est le cas où la partie aurait tout de même contracté cet engagement mais peut être à d’autres conditions. Cette hypothèse n’a pas l’air d’être prévue par l’article 1142 mais par l’article général relatif aux vices du consentement12 qui vise « les conditions substantiellement différentes ». La jurisprudence devra par conséquent éclairer ce point en précisant sur quel fondement il sera possible d’obtenir la nullité.

Enfin l’article 1140, dans son exception, dispose que « il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou exercée pour obtenir un avantage manifeste-ment excessif ». On y trouve la notion d’ « avantage manifestement excessif », similaire aux expressions de l’article L 442-6 relatif au déséquilibre significatif. Ce terme semble s’aligner sur le droit européen et international afin de permettre une meilleure harmoni-sation dans les différentes codifications. Cette disposition ne suggère, a priori, aucune clarification ou modification. Elle s’inscrit pleinement dans une vision européenne glo-bale et dans la volonté d’accorder plus de place aux notions issues du droit des clauses abusives (essentiellement fondé sur un déséquilibre entre deux parties, l’une étant net-tement plus faible que l’autre).

Alissa LAGARRIGUE

12 Article 1130 du projet de réforme du droit des contrats.

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V - Résolution unilatérale

Les actions relatives à la section présente ressortent d'une éviction du juge, car sera préférée à son office l'affirmation de la volonté d'une des parties. Il est à noter tout de même que le juge garde un contrôle sur ces actions, et qu'il conserve le dernier mot en cas de litige. Ce recul de l'office du juge est mis en place dans le but de répondre à l'impératif d'efficacité économique. Il s'observe notamment dans l'extinction du contrat, par le biais de la résiliation unilatérale offerte au créancier.

En des termes généraux, l'article 1224 issu du projet de réforme disposerait que « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire, soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice ». Cet article consacre les modes de résolution déjà largement admis par le droit français tels que la clause résolutoire et la résolution judiciaire, mais la nouveauté se trouve dans la consécration textuelle de la résolution unilatérale du contrat par le débi-teur.

L'article 1226 issu du projet de réforme disposerait alors que « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raison-nable. La mise en demeure mentionne de manière apparente qu’à défaut pour le débi-teur de satisfaire à son engagement, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent ». En résumé, l'article encadre cette résolution unilatérale de plusieurs étapes successives. En premier lieu, il doit y avoir une défaillance du débiteur. Cette défaillance sera suivie d'une mise en demeure par le créancier du débiteur défail-lant qui doit clairement expliciter que son non-respect entraînera la résolution unilaté-rale du contrat. Enfin, si l'inexécution persiste, le créancier peut décider de la résolution par une simple notification motivée.

Cette idée de résolution unilatérale n'est pas nouvelle et découle de l'arrêt Tocqueville de 1998 (Cass. Civ. 1°, 13 octobre 1998, n°96-21.485) qui la consacra en ces termes : « la gravité d'un comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls ».

Ces articles sont donc à remettre en perspective et à critiquer. Dans un premier temps, l'on s'attardera sur la forme de la rédaction de ces articles ainsi que sur la forme de l'ac-tion unilatérale. Dans un second temps, il sera question du fonctionnement plus profond de cette action unilatérale.

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1) Sur la forme

La première critique qu'il est possible de formuler contre cette consécration est qu'elle relègue le pouvoir du juge à un rôle secondaire. En effet, l'article 1224 ne men-tionne la résolution judiciaire qu'en dernier ressort, in fine. Le parti-pris qu'évoque cette rédaction est celui de considérer que les parties au contrat sont les mieux placées pour décider de la vie de celui-ci, mais aussi de consacrer le droit qu'ont les parties à se faire justice elles-mêmes. De plus, on pourrait fondamentalement considérer que la résolu-tion unilatérale est inutile lorsqu'il est laissé aux parties la liberté de prévoir une clause résolutoire, qui sera incluse du fait du consentement des parties et donnerait donc plus de légitimité à la résolution que celle, unilatérale, sanctuarisée par le texte.

En deuxième lieu, et de loin la plus intéressante des deux, on peut ajouter comme cri-tique qu' il est opportun de noter ici une légère différence entre la conception issue de l'arrêt de Tocqueville et la voie suivie par la réforme. Si la cour de cassation retenait la résiliation unilatérale pour les cas où le cocontractant se rendait coupable d'un « com-portement », la réforme vise pour sa part clairement une « inexécution suffisamment grave ». Cette différence a son importance puisque le comportement est une notion plus large que l'inexécution, et la portée de l'article s'en trouve alors modifiée. Devrait-on prévoir que la résiliation unilatérale serait impossible à mettre en œuvre lorsque le cocontractant se serait limité à un comportement de déloyauté ou de mauvaise foi ca-ractérisée ? Une telle restriction serait pour le moins dommage. Il est intéressant de rappeler que la cour de cassation elle-même est partagée sur ce point (dans le sens de la sanction d'un comportement : Com. 24 mai 2011, 10-17.844, inédit ; Com. 31 mars 2009, n° 07-20.991. Dans le sens de la sanction d'une inexécu-tion : Civ. 1re, 13 mars 2007, 06-10.229, 28 févr. 2008, 07-11.824) et il apparaît donc étrange de trancher en ce sens, plutôt que de permettre au créancier de bonne foi d'uti-liser une arme efficace contre un mauvais cocontractant.

La critique majeure concernant ce choix n'est pas théorique mais concerne la prévisibili-té juridique de cette action unilatérale : le créancier a donc à sa disposition une arme efficace (tant juridiquement qu'économiquement) mais n'a pas le mode d'emploi. Il manque à cet article une définition et un encadrement clair du type de comportement qu'il est possible de sanctionner ainsi qu'une délimitation des seuils de gravité pour les-quels l'action sera validée. Car il ne faut pas l'oublier, le créancier agirait bel et bien à ses risques et périls, en ne sachant pas exactement si son action unilatérale sera justi-fiée ou non.

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2) Sur le fond

Cette partie aura pour objectif d'apporter une critique au dispositif technique mis en place. Ainsi, dans un premier temps il sera question de la valeur de la résiliation uni-latérale et de la possibilité de l'écarter, tandis qu'un second temps s'articulera sur la place et la valeur de la motivation que le créancier doit donner lorsqu'il utilise cette ac-tion.

A - Sur la valeur normative du dispositif

a) Sur l'impérativité du dispositif

Concernant l'impérativité du dispositif, le texte n'est pas clair. L'article 1226 ne précise pas que cette faculté soit d'ordre public, pas plus qu'elle ne précise qu'il peut y être dérogé. L'argument en faveur de cette impérativité est à ranger du côté de la crainte des abus dans les relations déséquilibrées. L'enjeu serait ici d'éviter qu'un con-tractant plus faible ne se voie forcé de se priver lui-même d'une action rapide et effi-cace. En l'absence de clause résolutoire ou si celles-ci sont mal rédigées, il ne restera alors au contractant que l'action en justice, longue et coûteuse. Toutefois, on peut craindre avec une impérativité que le contrat devienne précaire. Il serait ici alors ques-tion de sécurité juridique et toute la crainte serait de voir émerger des relations qui se briseraient dés les premiers remous.

La cour de cassation semble se ranger du côté de la sécurité juridique en admettant que la convention puisse écarter la résolution unilatérale (Cass. Com 15 décembre 2009 n°08-10-148). Enfin, une partie de la doctrine considère que cette action en réso-lution unilatérale ne devrait pas être supplétive en cas d'urgence, ce qui justifierait une libération immédiate.

b) Sur l'articulation de la résiliation unilatérale avec une clause résolutoire

Il est aussi opportun de noter ici un léger conflit au sein de la cour de cassation : La troisième chambre civile a décidé par un arrêt du 9 octobre 2013 (Cass. civ. 3e, 9 octobre 2013, pourvoi n° 12-23.379) qu’en présence d’une clause résolutoire, la voie de la rupture unilatérale était fermée. Cette solution est en opposition directe avec celle retenue par la chambre commerciale (Cass. com., 1er octobre 2013, pourvoi n° 12-20.830) qui statue que « la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justi-fier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu impor-tant les modalités formelles de résiliation contractuelle ». Nous sommes donc dans une situation où le créancier qui utilise cette action n'est pas en mesure de savoir si la pré-sence ou non d'une clause résolutoire sera de nature à éteindre son action unilatérale.

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La rédaction de l'article 1224, qui place les actions sur un pied d'égalité à première vue, ne nous dit d'ailleurs pas si ces actions sont exclusives ou non.

Dans une telle situation, la réforme à venir semble être l'opportunité idéale pour réorga-niser cela et offrir aux praticiens et aux citoyens une arme dont ils pourront pleinement prévoir les conditions et les effets.

B - Sur la valeur de la motivation

La place de la motivation de la résolution unilatérale est intéressante. Il est ici question de savoir si cette motivation doit être considérée comme intangible ou libre-ment modifiable en cas de contestation judiciaire par le débiteur. Tout l'enjeu est de sa-voir dans quelle mesure le juge sera tenu par le contenu de cette motivation.

En faveur de l'intangibilité de la motivation, il y a plusieurs arguments à exposer. Pre-mièrement, il peut être tentant de suivre la pratique existante en droit du licenciement qui va limiter le contrôle du juge aux motifs donnés dans la notification. Cette position s'explique également par le fait que dans le cadre d'une inexécution suffisamment grave, le motif de la résolution est évident et ne devrait pas nécessiter de transforma-tion ultérieure.

Toutefois, il serait bon que le contenu de la motivation ne fige pas les modalités du con-trôle du juge, au risque de dévoyer la mission allouée à cette disposition. L'idée est en effet de proposer une solution rapide pouvant permettre la résolution d'un contrat lors-qu'une inexécution grave est constatée, il est donc mal à-propos d'exiger du créancier qu'il construise son dossier avec la même rigueur que s'il entendait agir devant le juge. De plus, ces résolutions se faisant souvent dans l'urgence, qui est aussi l'intérêt de cette résolution unilatérale, il est difficile d'imaginer le créancier prendre tout le temps nécessaire à la réalisation d'un dossier entier.

Malgré tout, on peut s'autoriser à craindre le comportement d'un créancier qui profiterait de cette latitude dans la modification de la motivation pour envoyer au débiteur une no-tification mal motivée afin de l'inciter à conduire une action en contestation de la résolu-tion. Mais il est ici question d'une hypothèse assez marginale, sinon vicieuse, qu'il n'est probablement pas nécessaire de prendre en compte dans l'établissement de règles gé-nérales au contrat.

Elie MARTEL

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VI - Obligation essentielle et clauses abusives

Ces articles apparaissent dans la sous section 3 : Le contenu du contrat, de la section 2 sur la validité des contrats.

La volonté du législateur est d’introduire les clauses abusives dans le droit civil pour que cette lutte contre les clauses abusives soit favorable à tous.

1) La modification

L'article 1168 de l'actuel code civil dispose que :

" L'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un évènement futur et incer-tain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'évènement arrive, soit en la résiliant, selon que l'évènement arrivera ou n'arrivera pas "

En lieu et place de la notion d'obligation conditionnelle, le projet de réforme des contrats propose d'y consacrer une disposition traitant des clauses portant atteinte à l'obligation essentielle ou à l'équilibre d'un contrat. L'article 1168, issu de ladite réforme, dispose en ce sens :

" Tout clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du contrat est réputée non écrite "

Cet apport va permettre de combler l'absence future de cause. En effet, par le biais du célèbre arrêt Chronopost, les clauses contredisant la portée de l'obligation essentielle du contrat étaient sanctionnées (Com. 29 juin 2010 n°09-11.841). Cependant, une telle sanction reposait uniquement sur le fondement de la cause. Or, la suppression de cette dernière entraine la remise en question de telles solutions et on ne pouvait pas anéantir toute une jurisprudence protectrice pour un changement de conception intellectuelle voire philosophique en matière de théorie du droit.

Ainsi, " La cause est morte. Vive la cause ! ". Bien que le projet de réforme tende à s'en émanciper, cette notion de cause existe de manière latente dans le cadre de l'article 1168. Le fait de priver de sa substance une obligation essentielle revient à dire que le contrat est privé de cause et ne peut être valable. Par conséquent, il s'agit là d'une jolie ruse du législateur qui permet d'assurer la transition vers un droit des contrat privé de cause tout en gardant intact ses acquis jurisprudentiels.

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Concernant l'article 1169, le code civil dispose que :

" La condition casuelle est celle qui dépend du hasard et qui n'est nullement au pouvoir du créancier ni du débiteur ".

Le projet de réforme de droit des contrats semble supprimer définitivement la notion de condition casuelle pour y consacrer en son article 1169 les clauses abusives :

" Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des par-ties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détri-ment duquel elle est stipulée.

L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur la définition de l'objet du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation "

Par le biais de cet article, le législateur va permettre, dès lors, de généraliser l'applica-tion de l'interdiction d'abus à l'ensemble des contrats de droit privé. Cet outil sera la nouvelle pierre angulaire du droit commun.

Toutefois, ce n'est pas le seul avantage. En effet, les effets de l'introduction d'un tel ar-ticle sont multiples.

2) L’opportunité

A - Importation des clauses abusives du droit de la consommation vers le droit civil

Initialement, le droit de la consommation et le droit de la concurrence étaient les seuls à posséder un moyen de contester des dispositions affectant l'équilibre d'un con-trat. En effet, la notion de clause abusive était insérée d'une part dans le Code de la consommation en son article L.132-1 et, d'autre part, dans le Code de commerce L.442-6 I 2°.

De ce fait, cette protection n'était appréhendée que par une minorité des contractants, soit les parties dites faibles. Les autres étaient laissés pour compte. Or, des déséqui-libres contractuels existent en droit privé et pourtant, rien ne permettait de s’en protéger de manière efficace.

Ainsi, le fait d'inclure la notion de clauses abusives dans le Code civil permet d'étendre le champ d'application de cette protection à tout contrat de droit privé et par consé-quent, d'étendre cette dernière à tout type de contractant.

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Ce mécanisme va enfin permettre d'éviter tout déséquilibre contractuel et ce, quelque soit la qualité du contractant.

B - L’emploi du terme « supprimée »

Le terme « supprimée » de l’article 1169 est un terme étranger pour un Code ci-vil. Il n’est pas un terme juridique.

Le dictionnaire Larousse définit le terme supprimer comme le fait de « faire cesser une institution, une loi, mettre fin à leurs effets ».

Cette nouvelle terminologie est-elle opportune ? Il apparaît bien plus souvent le terme « réputée non écrite » ou bien « nullité de la clause », ces termes aboutissent de la même façon à la suppression de la clause litigieuse au sein du contrat.

La sanction d’un déséquilibre significatif par le terme « supprimer » la clause, est une sanction qui paraît inédite en ce sens.

Pourquoi le législateur utilise-t-il un terme non juridique ? Il en ressort la volonté du légi-slateur d’utiliser des termes facilement compréhensibles par tous les cocontractants. S’il existe un déséquilibre significatif issu d’une clause du contrat, il est nécessaire que chaque partie puisse soulever la clause et en demander la « suppression ».

Cependant, il n’est fait aucune précision sur le sort de la clause. Est-elle supprimée pour l’avenir ? La suppression de la clause litigieuse serait valable pour le passé éga-lement ?13 Les questions se posent. Le nouvel article 1169 du projet de réforme de droit des contrats n’est peut être pas tout à fait complet.

Si on « supprime » une clause, il ressort que cette clause a déjà existé pour pouvoir être supprimée. Ainsi, la suppression ne serait valable que pour l’avenir.

A la différence des clauses qui sont réputées non écrites : si elles sont réputées non écrites, c’est qu’elles ne font l’objet d’aucune question quant à leur validité. Il ne revient donc pas nécessaire d’envisager la question « sont elles rétroactivement réputées non écrites ? », puisqu’elles le sont déjà14.

13 Les clauses abusives : pour une extension du domaine de la lutte, N. DISSAUX, Revue Droit et Patri-moine n°240, Oct. 2014, p. 53 14 op. cit

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C - L’emploi du terme « peut être supprimée »

La sanction de la suppression de la clause qualifiée d’abusive est précédée de « peut être supprimée par le juge ». Il ressort ainsi, de la faculté pour le juge de supprimer ou non cette clause15.

Dès lors qu’une clause est « réputée non écrite », il n’y a pas lieu à interprétation. Une fois que la clause est qualifiée d’abusive, celle dernière est alors réputée non écrite.

La rédaction du législateur quant à la suppression de la clause, laisse entrevoir une possibilité pour le juge de ne pas supprimer la clause. L’emploi du terme « devoir », sous la forme « la clause doit être supprimée par le juge à la demande du contractant » aurait admis la suppression de la clause sans interprétation du juge.

La suppression de la clause est donc du ressort du juge.

L’article L. 132-1 du Code de la consommation prévoit que les clauses abusives entre professionnels sont « réputées non écrites ». Il ressort la volonté de faire en sorte que ces clauses n’aient jamais existé dans le contrat entre un consommateur et un profes-sionnel ou un non professionnel et un consommateur.

L’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ne laisse pas le choix de la sanction quant à la clause exagérée dans un contrat entre deux professionnels.

La sanction apparaît alors automatique, alors que cette rédaction de l’article 1169 du projet de réforme de droit des contrats laisse place à une sanction facultative pour le juge.

Il est néanmoins possible de reconnaître, que le juge qui est saisi pour la suppression d’une clause abusive, supprimera la clause à la lumière de l’esprit du législateur.

3) Un manquement du projet : rajout d’un alinéa de l’article 1169

L’article 1169 contient deux alinéas : « Une clause qui crée un déséquilibre signi-ficatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée.

L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur la définition de l’objet du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».

15 op. cit.

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Cependant, il serait peut être opportun de rajouter un troisième alinéa à cet article pour le limiter à la sphère du droit national. L’objectif de ce troisième alinéa serait de laisser à l’écart les contrats internationaux.

Bien que cet article laisse entrevoir un idéal de respect de l’équilibre entre les droits et les obligations de chacun, ce texte peut faire peur aux contractants internationaux puisque à tout moment, si le juge français estime que la clause est déséquilibrée et donc abusive, supprimerait cette clause et le contrat passé n’aurait pas la même puis-sance.

Les cocontractants étrangers ne seront pas favorables à ce qu’une clause du contrat conclu puisse être supprimée à la simple demande de la partie française, à un juge français.

L’adoption du droit français au contrat conclu semble alors difficile à obtenir. Les opéra-teurs étrangers auront tendance à écarter le droit français pour ne pas se voir suppri-mer l’une des clauses pour lesquelles ils ont réellement contracté16.

Il serait donc légitime pour maintenir les relations internationales, de rajouter un alinéa permettant aux contrats internationaux de ne pas être soumis à la suppression de cer-taines clauses du contrat conclu.

Alexandre BOIRAT & Mélanie VIALLE

16 Les clauses abusives : on attendait Grouchy, P. STOFFEL-MUNCK, Revue Droit et Patrimoine n°240, Oct. 2014, p. 56