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Projet de séjour à la ferme Récit d’Agnieszka, éducatrice à la maison d’enfants de Mont Saint Aignan L’importance des vacances Petit rappel historique Je me dois d’ajouter que depuis la création des Nids et ce depuis les années d’après guerre, les préoccupations fondamentales des fondatrices reposaient sur le principe : « ensemble et comme les autres » et de fait, cela se concrétisait sur le versant de l’école mais également sur le versant de l’organisation de vacances des enfants. Elles s’étaient dotées de trois lieux de villégiatures : Bourgueil, Brétignolles et le Cantal. Ainsi les deux mois d’été, vacances de toussaint… « la grande maison » des Nids de Mont-Saint-Aignan se vidait. C’est alors qu’une culture institutionnelle s’est transmise de génération en génération. Des projets de séjours vacances ont vu le jour. Certains se sont éteints, quelques uns ont été pérennisés et d’autres peuvent se créer, cependant à faible échelle au vu du contexte économique. A ce jour et ce depuis plusieurs années, nous pouvons remarquer que pour certains enfants les droits en matière d’hébergement au domicile familial sont restreints et par conséquent ces enfants ne se rendent ni en week-end ni en vacances chez leurs parents. A l’approche des vacances, tous les jeunes accueillis, qu’ils soient petits ou grands, sont impatients de partir. Ils manifestent l’envie de vivre de nouvelles aventures, de nouvelles rencontres. Par ailleurs ils échangent entre eux à propos de leur futures vacances, discussions dont je suis le témoin. Concernant le mois d’aout, tous les enfants profitent de colonies de vacances. Quant au mois de juillet, certains enfants sont en hébergement sur des petites ou grandes périodes en famille, dès lors que le magistrat en a donné son accord. Un constat clair, un certain nombre d’enfants qui nous sont confiés, passent la majorité de leur temps de vacances dans l’établissement ainsi que leurs week-end, au regard des difficultés parentales. Les droits des parents n’étant que des droits de visite à l’intérieur de l’établissement et pour beaucoup des visites médiatisées. En conséquence de cette configuration, beaucoup d’enfants vivent 365 jours par an dans la structure et notamment les plus jeunes. Ce contexte amène pour certains d’entre eux à développer de la jalousie. Les enfants dont les parents ont des droits limités sont parfois envahis d’incertitude et d’inquiétude quant à leur avenir.

Projet de séjour à la ferme - Association Les Nids · Ce sont les petites actions éducatives de tous les jours qui permettent aux enfants d’avancer. La relation aux éducateurs

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Projet de séjour à la ferme Récit d’Agnieszka, éducatrice à la maison d’enfants de Mont Saint Aignan

L’importance des vacances

Petit rappel historique

Je me dois d’ajouter que depuis la création des Nids et ce depuis les années d’après guerre, les préoccupations fondamentales des fondatrices reposaient sur le principe : « ensemble et comme les

autres » et de fait, cela se concrétisait sur le versant de l’école mais également sur le versant de l’organisation de vacances des enfants. Elles s’étaient dotées de trois lieux de villégiatures : Bourgueil, Brétignolles et le Cantal. Ainsi les deux mois d’été, vacances de toussaint… « la grande maison » des Nids de Mont-Saint-Aignan se vidait. C’est alors qu’une culture institutionnelle s’est transmise de génération en génération. Des projets de séjours vacances ont vu le jour. Certains se sont éteints, quelques uns ont été pérennisés et d’autres peuvent se créer, cependant à faible échelle au vu du contexte économique.

A ce jour et ce depuis plusieurs années, nous pouvons remarquer que pour certains enfants les droits en matière d’hébergement au domicile familial sont restreints et par conséquent ces enfants ne se rendent ni en week-end ni en vacances chez leurs parents. A l’approche des vacances, tous les jeunes accueillis, qu’ils soient petits ou grands, sont impatients de partir. Ils manifestent l’envie de vivre de nouvelles aventures, de nouvelles rencontres. Par ailleurs ils échangent entre eux à propos de leur futures vacances, discussions dont je suis le témoin. Concernant le mois d’aout, tous les enfants profitent de colonies de vacances. Quant au mois de juillet, certains enfants sont en hébergement sur des petites ou grandes périodes en famille, dès lors que le magistrat en a donné son accord. Un constat clair, un certain nombre d’enfants qui nous sont confiés, passent la majorité de leur

temps de vacances dans l’établissement ainsi que leurs week-end, au regard des difficultés parentales. Les droits des parents n’étant que des droits de visite à l’intérieur de l’établissement et pour beaucoup des visites médiatisées. En conséquence de cette configuration, beaucoup d’enfants vivent 365 jours par an dans la structure et notamment les plus jeunes. Ce contexte amène pour certains d’entre eux à développer de la jalousie. Les enfants dont les parents ont des droits limités sont parfois envahis d’incertitude et d’inquiétude quant à leur avenir.

Par ailleurs, une de mes missions d’éducatrice est de promouvoir l’enrichissement des enfants, de repérer leur potentialité et d’observer leurs besoins. Aussi, pour déjouer le quotidien routinier de la Maison d’Enfants, ou tout est quasi rythmé par des actes ritualisés inhérents à toute vie collective, j’ai eu l’idée de bâtir un projet « séjour ferme » pour extraire quelques enfants de l’établissement dans un endroit apaisant pour eux. En effet, toute l’année les enfants vivent en collectivité (4 groupes composés de 12 enfants) et leur proposer de partir en petit groupe (5 à 6 jeunes) est une occasion de diminuer aussi leur excitation générée par le grand nombre d’enfants dans la structure.

La possibilité de participer à un séjour en dehors de l’établissement avec un

rythme différent, quitter le monde urbain, la ville avec ses bruits et ses

nuisances, pour bénéficier d’un bol d’air frais et profiter de la nature et de

son silence ne peuvent qu’apporter bénéfice et apaisement aux enfants. Lors de mes observations j’ai également constaté que les fratries de l’établissement ne sont pas accueillies dans le même groupe de vie mais répartis dans les différentes unités selon leur âge et les places disponibles. Ils se rencontrent régulièrement lors des trajets à l’école ou aux activités de loisir, mais ne vivent pas dans le même groupe. Certains enfants parmi les plus jeunes vivent mal cette relative séparation et réclament souvent de pouvoir se retrouver. J’ai pensé donc que les réunir durant un séjour serait une bonne idée pour les rapprocher et leur permettre d’être ensemble. Pouvoir les unir durant quelques jours m’a paru important et envisageable. Pour se construire ou se reconstruire, un enfant a besoin, entre autre chose, d’attention particulière, d’affection, de considération et d’être confronté à des limites. Il a également besoin de se reconnaître et d’appartenir à sa famille, de trouver sa place parmi les siens. Il a besoin de moments de calme et de détente, de lieux où pouvoir se ressourcer. Je pouvais apporter tout cela aux enfants en organisant un séjour, de préférence à la campagne et dans une famille rurale accompagnée d’un petit groupe de jeunes, dans un contexte différent. Je n’oublie pas que pour chaque enfant, conformément à la loi du 2 janvier 2002, est établi un projet personnalisé en collaboration avec l’équipe éducative. Dans ce projet sont déclinés divers objectifs et ce séjour à la ferme peut être un moyen d’atteindre l’un d’eux. C’est dans le travail au quotidien que des progrès peuvent se faire. Ce sont les petites actions éducatives de tous les jours qui permettent aux enfants d’avancer. La relation aux éducateurs quand elle est de bonne qualité, est un support au progrès. Ce quotidien partagé dans un autre contexte, 24h sur 24 entre les jeunes et les éducateurs peut contribuer à une relation de qualité ou le professionnel est centré uniquement sur la prise en charge de l’enfant, sans être « pollué » par des tâches administratives, qu’impose le travail en institution.

L’objectif de ce séjour Depuis 7 ans, nous partons à la ferme, avec ma collègue Lysiane, avec un groupe d’enfants

différent chaque année. Ces moments privilégiés sont appréciés autant par les enfants que par

nous. Cela leur permet de découvrir un environnement inconnu pour eux. Vivre dans une ferme écologique, traire les vaches, donner à manger aux volailles, ramasser les œufs (toutes les activités liées à la vie d’une ferme) feront partie du quotidien des enfants et du notre. Ce milieu donne l’occasion aux enfants de se confronter à d’autres valeurs, à une culture différente et de trouver d’autres repères. En effet, nous partageons pour quelques jours la vie quotidienne d’une

famille de campagne en Mayenne, avec ses activités et tout ce qui s’y rattache, ce qui permet aux

enfants de vivre pleinement la vie sociale et le travail de la famille accueillante. Ce cadre surprend souvent les enfants au début et suscite beaucoup de questions liées aux activités de la ferme, au mode de vie. Dans cet environnement les enfants pratiquent les activités spontanément, les tensions entre eux se trouvent diluées. Je souhaite également grâce à ce séjour, favoriser la vie en petit groupe et la socialisation des enfants dans un cadre de vie différent et naturel, ainsi que d’appréhender la vie à la campagne et le travail à la ferme. Voici les objectifs de ce séjour (transfert) : > Extraire un petit groupe d’enfants de la structure d’accueil collectif, pour les faire vivre dans un

environnement paisible, en l’occurrence « la ferme » > Permettre à des enfants de se familiariser avec d’autres modes de vie > Développer des connaissances de types rurales auprès d’enfants qui sont en règle général à des

urbains > Donner une occasion à des enfants de partager la vie quotidienne avec des fermiers – vie rythmée

par ce qui s’impose dans la gestion d’une ferme (traite des vaches, ramassage des œufs, alimentation journalière donnée aux divers animaux, travaux dans le potager)

> Sensibiliser les enfants au fait que nous sommes invités (pas de frais d’hébergement) et que les codes de bonnes conduite (remerciements aux accueillants par la remise de cadeaux) s’appliquent

> La qualité de l’hospitalité de ce couple vient alimenter l’interactivité avec les enfants et permet ainsi à ces derniers de s’enrichir aux détours de multiples activités et ce en fonction des saisons (plantation de pomme de terre, confection de confiture, ramassage de pomme…)

> Ce séjour a comme but également de mener une vie simple sur quelques jours, loin de la consommation (pas de tentation d’acheter des choses superflues ou pratiquer des loisirs payants)

> Offrir à des enfants cette rencontre avec des adultes qui travaillent – qui ne sont pas des éducateurs et qui font preuve d’une grande générosité à leur égard – qui leur ouvrent leur porte dans tous les sens du terme (partage de vie)

> Se pencher sur la question des enfants sans hébergement, en priorité sortir ces enfants hors de la vie institutionnelle

> Proposer à ces enfants un mode de vie – un fonctionnement familial s’apparentant à du « normalisé » de fait les sensibiliser à de nouvelles références

> Valoriser leur estime d’eux-mêmes par le fait qu’ils soient sujet de l’attention des accueillants > Permettre aux enfants de s’ouvrir à d’autres horizons avec la rencontre de cette famille

Récit d’un séjour Le trajet

Nous fixons l’horaire de départ de la maison d’enfants de Mont Saint Aignan à 09H30, étant attendus à la ferme pour le repas du midi. Durant le trajet de 3 heures, nous discutons avec les enfants de ce qu’ils vont découvrir, afin de les aider à supporter le voyage. Les questions fusent de leur part du fait de leur impatience à voir la maison, les animaux. Nous échangeons également sur le planning du séjour. L’imagination et la curiosité des enfants amènent énormément de questions auxquelles nous répondons en essayant de les rassurer et de leur donner un avant goût de ce qu’ils vont vivre. Nous les informons de la présence d’un chien. Romane et Chloé manifestent leur inquiétude et leur peur. Je les rassure, celui-ci n’est pas méchant. Je leur propose que dès l’arrivée elles viennent avec moi et qu’ensemble nous approchions l’animal afin de faire sa connaissance. Romane et Chloé me font confiance. Durant cette 1ère journée, je m’approcherais du chien progressivement et par petites séquence, pour les habituer et les familiariser avec l’animal de façon à dissiper leur inquiétude. L’arrivée

Vers12h30/13h00, nous arrivons enfin à destination. Odile et Denis nous accueillent chaleureusement avec des mots de bienvenue. Certains enfants qui ont déjà profité de ce séjour dans cette ferme, se jettent dans leurs bras. Les retrouvailles sont chargées d’affection des uns envers les autres. Pour les enfants qui découvrent les lieux, les présentations commencent. Afin d’aborder ce nouveau contexte sereinement je prends Jean, enfant timide âgé de 3 ans, dans mes bras. Au début, il reste proche de mois. Je lui parle doucement et lui présente Odile et Denis, le couple qui nous reçoit et qui comprent sa peur et sa timidité. Durant le repas je le garde près de moi, le besoin s’en faisant ressentir. Peu à peu cette attitude de respect de l’enfant le conduit vers un détachement et il s’intègre avec nous dans cette famille. Nous sommes ensuite invités à prendre place autour d’une table dressée dans le jardin dans un coin ombragé et fleuri. Des jus de pommes faits maison nous attendent ainsi que des gâteaux et tomates cerises du jardin. C’est un moment de partage et de grandes conversations. Les enfants agréablement surpris de cet accueil se sentent très vite à l’aise, en confiance, et posent beaucoup de questions : combien de vaches vous avez ? Est-ce que l’on pourra ramasser les œufs ?… Les questions/réponses animent notre premier repas. Les interrogations des enfants m’amènent à tisser l’organisation de la journée avec ma collègue. Les enfants souhaitent traire les vaches, activité nouvelle pour eux qui met en éveil leur curiosité. Comme ils ne peuvent se rendre tous ensemble à la salle de traite, j’établis un planning pour que chaque enfant puisse profiter pleinement de ce moment. En parallèle je leur explique qu’ils s’y rendront deux par deux (les vaches sont des animaux qui ne donnent pas leur lait s’il y a du bruit). Ce planning est également établi pour respecter la sécurité. Ainsi j’explique aux enfants que moi-même je me conforme aux consignes données par les fermiers. Au cours du séjour, les enfants vont s’apercevoir que nous les professionnels respectons les choses imposées par Odile et Denis. De ce fait, les enfants acceptent ce roulement sans discuter. Nous pouvons remarquer que dans la Maison d’Enfants de Mont-Saint-Aignan les enfants réagissent, contestent leur place. Ici, ils acceptent le roulement imposé sans être dans la rivalité. La famille pose également des questions aux enfants : combien as-tu de sœurs et frères ? Qu’est-ce que tu aimes faire ? As-tu un loisir ?… Durant ce premier repas, en présence d’Odile et Denis, nous donnons aux enfants les règles de bonnes conduites, c'est-à-dire que tout le monde participe à mettre et débarrasser la table (environ 12 personnes à chaque repas), retirer ses chaussures dans la maison et s’aider mutuellement pour

effectuer les différentes tâches, respecter les personnes, les espaces verts…code que j’avais énoncé avant notre arrivée. Une fois le repas terminé et la table débarrassée, nous avons procédé à l’installation. Je me suis proposée de m’installer au « gite » (un ancien corps de ferme transformé en gite et pouvant accueillir une famille) avec 4 garçons et ma collègue a investi la maison familiale avec les 2 filles. Découverte de la ferme

Dès que nous avons été installés, nous avons pris du temps pour faire le tour de la ferme dans laquelle nous allons passer quelques jours. Les enfants ont pu repérer la cuisine, l’endroit où on va préparer les repas, les salles de bain, la maison, les chambres d’Isa et de Marc et celles de leurs enfants. Nous avons visité la basse-cour, l’endroit où mangent les poules et les canards, la salle de traite, le stockage du grain et de la paille et les bâtiments qui hébergent les machines agricoles (à la plus grande joie des garçons). La visite s’est terminée par les champs et le potager jouxtant la maison. Il était important lors de cette visite de montrer aux enfants les endroits interdits et dangereux pour eux et de leur en expliquer les risques, comme la fosse à lisier, les ruches, le ruisseau passant à proximité et bien sur la route près de la ferme. Toutes les deux avions bien insisté sur ce point en leur expliquant les dangers et les conséquences en cas de non-respect des consignes. Nous avons également expliqué que les accès au poulailler et à la salle de traite ne pouvaient se faire qu’en présence d’un adulte. Les jeux situés dans la cour étaient accessibles pour eux sans restriction. Les endroits régis par les règles jouxtant les endroits libres d’accès, cet oscillement participe à l’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité. Après avoir tracé un périmètre d’accès, nous avons laissé les enfants aller librement, à condition d’en avoir informé l’éducateur. Cette journée fut pleine de découvertes et d’émotions. La météo a été clémente. Les enfants ont été enchantés mais également fatigués compte tenu de toutes ces nouvelles découvertes et de ce à quoi ils ont été confrontés. Après le diner, pris en plein air, vint le tour des douches et tout le monde s’est endormi rapidement. L’heure du coucher s’est annoncé et tous ferment les yeux rapidement, même ceux qui connaissent habituellement des problèmes d’endormissement. Le lendemain, après le petit déjeuner, je propose aux enfants (en accord avec ma collègue) de monter une petite tente dans le jardin du gite. Ainsi, dans cet environnement paisible, je voulais les initier et leur permettre d’expérimenter une nuit sous tente, sur un matelas et dans un duvet. J’ai demandé aux enfants si l’idée leur plaisait et, suite à leur accord, nous avons organisé les roulements et les binômes pour que chacun puisse dormir sous cette tente. Cette idée permettait, il me semblait, de répondre aux besoins de faire de nouvelles expériences et d’en tirer les bienfaits. Ensemble nous avons choisi l’emplacement et installé la tente. Cela a été un grand moment de bonheur pour les enfants. Ils ont tous été actifs et impatients de passer leur première nuit sous une tente. Beaucoup de questions sont posées : « si j’ai peur, est ce que je peux rentrer au gite ? », « si j’ai froid est ce que je peux rentrer ? »… Les 3 nuits suivantes, les enfants se sont succédé pour expérimenter leur première nuit sous la tente. Aucun d’entre eux n’a pu faire la nuit complète. En effet, les 2 filles ont eu froid et on rejoint le gite vers 2h du matin, et les 2 frères ont eu peur des moustiques et ont également rejoint leur chambre vers minuit. Le 3ème binôme a quant à lui rejoint sa chambre à 23h00, les enfants ayant eu peur seuls sous la tente. Malgré le manque de réussite de cette expérience, celle-ci a donné aux enfants une idée du camping et tout c’est déroulé dans de bonnes conditions. Ils ont parlé de cette nuit durant de longs moments.

Evaluation Nous avions planifié nos journées dès le début du séjour. Nous avons prévu de faire différentes visites : le village Sainte Suzanne, la ville de Mayenne, les festivités du 14 juillet organisées dans le village voisin, participer aux fêtes organisées par les centres aérés des environs, aller se baigner ou bien faire une randonnée à vélo. En effet nous avions prévu un certain nombre d’activités, tout en gardant une souplesse et un planning non figé. Malgré toute cette organisation, nous n’avons pu faire que la moitié des choses prévues. En effet, nous avons remarqué que les enfants avaient besoin de tranquillité. Tous ont trouvé l’apaisement au contact d’Odile et Denis, et se sont ressourcés auprès d’eux. A leur coté ils ont trouvé une famille accueillante et bienveillante. A ce moment j’ai pris conscience, que nous éducateurs, étions dans l’organisation, la programmation et la formalisation. Cette expérience ou les enfants se contentent de choses simples et spontanées, me questionne sur la prise en charge du quotidien ou tout se doit d’être planifié, organisé à l’avance. Ce fonctionnement institutionnel met parfois en péril l’imagination des enfants ou on lui laisse peu de temps libre. L’organisation des sorties est apparue secondaire. Les jeux en plein air, la participation aux petites

tâches de la ferme, la cueillette des fruits, les travaux dans le potager ont été suffisants pour les

enfants et il n’a pas été nécessaire d’en faire plus. Si nous sommes allés passer quelques jours à la ferme, dans laquelle les enfants sont associés à toutes les activités, c’est parce que derrière cette volonté reposait un objectif pédagogique : > Pour obtenir le lait il fallait traire une vache ; que pour avoir du bon lait il fallait des herbages

différents. > Pour avoir de la confiture au petit déjeuner, il faut cueillir les fruits et les faire cuire > Pour récolter des pommes de terre au printemps, il fallait en mettre une en terre pour en avoir 10

ou 15 en été Ces trois exemples illustrent pour les enfants la question que pour récolter il faut travailler en amont, que la vie n’est pas magique. « Les frites n’arrivent pas toutes carrées dans les assiettes, le lait ne vient pas tout seul dans les

bouteilles. »

Un autre exemple marquant est, lors d’une partie de pêche, lorsqu’un enfant, Aymeric, à découvert un poisson au bout de l’hameçon d’un pécheur. Il était stupéfait de découvrir un poisson en vrai, lui qui pensait qu’ils étaient carrés et panés. Je lui explique que les poissons vivent dans l’eau, dans la mer et dans les ruisseaux. Tout ceci contribue à l’élargissement de leur culture générale et par la même occasion, ces enfants puisent dans les professionnels qu’ils ont en face d’eux, les ressources qui nous animent. En tant qu’éducateur j’ai une ferme volonté de pouvoir leur transmettre du savoir. Durant ce séjour nous avons pris des photos des enfants à différents moments de la vie à la ferme. Celles-ci ont servies de support afin qu’ils puissent raconter plus facilement leurs vacances et sont restées un souvenir qu’ils gardent précieusement dans les albums qui leur rappelle leur vie à la Maison d’Enfants. A la fin du séjour, avec ma collègue, nous avons pris le temps d’échanger sur l’attitude des enfants à la ferme. Nous avons également rempli la grille d’évaluation de chaque enfant destinée à être remis dans les dossiers du jeune et ainsi vérifier l’évolution du comportement de chacun en corrélation avec les objectifs visés. Nous avons élaboré une grille d’observation de 1 à 5, nominative avec différents items : > Intégration dans le milieu > Participation à la vie courante et familiale > Attitude face à un nouvel environnement > L’enfant est-il réceptif à la sérénité proposée

Cette grille devait aussi nous permettre d’établir un compte-rendu oral et écrit que l’on doit faire à la fin de séjour à la hiérarchie, à l’équipe. Les échanges avec les parents, à propos du séjour, se sont déroulés de manière informelle au moment où les familles venaient chercher les enfants, ou sur le temps de visite et parfois, mais rarement, par téléphone. Le constat que l’on peut faire est que globalement les parents sont peu demandeurs d’informations concernant le vécu de leurs enfants durant ce séjour. Souvent ma collègue et moi avons du solliciter les parents afin de leur faire part des progrès ou des difficultés rencontrés par leurs enfants durant ces vacances. Pour que le parent se sente concerné, le professionnel doit annoncer le sujet. J’ai pu constater au cours de ce transfert une véritable interaction, une relation différente avec chaque jeune et un apaisement. Ainsi j’ai pu vivre des moments privilégiés plus fréquents que ceux passés au sein d’un groupe de 12 enfants. Passer 7 jours du matin au soir crée plus de liens. Ces liens seront bénéfiques pour la suite de leur prise en charge. Durant ces quelques jours, les enfants ont fait la connaissance d’un mode de vie rural. Cela leur a permis de développer des connaissances botaniques, zoologiques, géographiques… Au contact avec le couple de fermier, les temps de vie quotidiens (réveil, repas, soins corporels, endormissements) prenaient un autre aspect que celui que les enfants peuvent connaitre à la Maison d’Enfants. Ce transfert était également l’occasion d’individualiser au maximum les relations avec les enfants et d’adapter au mieux le déroulement d’une journée à leur rythme. Ainsi, comme je le disais précédemment, nous n’avons pas effectué les sorties prévues, car nous avons remarqué que les enfants avaient plus besoin de se reposer et de se ressourcer à la ferme et ainsi profiter du calme. Un autre aspect qui me semble important d’évoquer ici est la réelle prise d’initiative des jeunes que ce type de séjour peut induire : préparer le repas, faire la vaisselle et ce que nous remarquons c’est que les tâches de la vie quotidienne ne sont plus sources de corvée. Cela a forcément des conséquences sur le degré d’autonomie dont ils peuvent faire preuve tant pendant le séjour qu’au retour. Les enfants gardent inévitablement des acquis positifs de telles expériences. Généralement les éducateurs qui n’ont pas participé au séjour nous en font la remarque. Parfois nous pouvions aussi leur renvoyer que l’attitude qu’ils nous avaient décrite de tel ou tel enfant ne s’est pas révélé identique pendant le séjour. Nous avons également pu faire découvrir aux enfants les noms des fleurs, des arbustes et des arbres. Ils ont aussi appris les noms d’oiseaux, découvert la basse-cour, les différents animaux de la ferme de près et en vrai. Ils pouvaient les observer et poser des questions sur les aspects les plus méconnus pour eux. Lors de la traite ils ont ainsi demandé : pourquoi la vache donne du lait ? ou encore : est-ce qu’un arbre fruitier donne des fruits après que l’on ait récolté ? Avec des termes adaptés, j’explique à Jonathan le pourquoi du lait, la reproduction des vaches, la fonction des mâles et des femelles. Jonathan va retenir certains éléments. Je me souviens des émotions très fortes des enfants et de leurs questionnements après avoir assisté à la naissance d’un petit veau. Le moment a été tellement fort qu’ils en ont parlé durant tout le séjour. Les questions fusent de partout : Est-ce que petit a eu mal ? Est-ce que c’est comme ça avec tous les animaux ? Est-ce que nous aussi on est nés comme cela,… Ce vêlage les questionnait sur leur propre naissance. Les enfants étaient stupéfaits de l’attitude maternante de la vache à l’égard du petit veau. Ils m’ont questionné sur leur propre naissance et ont eu semble-t-il, besoin d’une réassurance sur l’attitude de leur mère face à eux : « est-ce que ma mère s’est occupée de moi ?». Ma réponse a été : « oui votre maman quand vous êtes nés a pris soin de

vous ». Dans ces moments précis ils avaient besoin d’être rassurés sur l’amour de leur mère, d’où la valorisation de leur être. Les enfants gardent des souvenirs précis de ce séjour à la ferme. Ceux qui y ont participé une fois souhaitent y retourner l’année suivante. Il est certain que ce type de séjour permet également aux enfants de se ressourcer dans un environnement agréable. Mais ce sont également des moments importants en termes d’observation des enfants qui permettent bien souvent d’avoir un autre regard sur leurs capacités et difficultés. Ces observations me permettent ensuite d’adapter plus finement ma pratique d’éducatrice au niveau de l’accompagnement des enfants. En ce qui concerne les jeunes des autres groupes, cela permet grâce à un compte rendu oral et écrit le plus précis possible, à l’éducateur référent de pouvoir eux aussi se saisir des constats qui ont pu être faits et d’affiner les projets individualisés. J’ai pu observer durant ce séjour, que le comportement des enfants avait été très différent que celui qu’ils peuvent avoir à la Maison d’Enfants. En effet, j’ai été très surprise de découvrir des enfants bien élevés, polis, volontaires, comme si le simple fait d’être éloignés du Centre les faisaient se transformer de chenille à un beau papillon. Souvent au sein de l’établissement, les enfants peuvent êtres vulgaires et agressifs. Durant ce séjour, je n’ai pas remarqué ces types de comportements. Odile et Denis m’ont confirmé que les enfants avaient été exemplaires et qu’aucun souci n’avait été relevé. Force est de constater qu’après le séjour les enfants sont apaisés. Hélas peu à peu les conflits entre eux réapparaissent. Leurs comportements d’opposition resurgissent. Mais dans leur construction ils ont besoin de cela pour rejouer et comprendre de quoi est faite leur histoire. La vie d’un enfant ne peut être faite que de la vie à la ferme ou de la vie en institution.

Conclusion Ce transfert a du succès auprès des enfants et leur apporte beaucoup de plaisir, ce qui m’a conduit

à le reconduire pendant sept années consécutives. Ce séjour laisse aux enfants des souvenirs indélébiles, même pour ceux qui sont partis de la maison d’enfants depuis plusieurs années. Ils se souviennent de ce qu’ils ont vécus durant ces séjours, toujours animés par le même professionnel. Ce séjour est quasi institutionnalisé au risque de disparaitre avec la prise de retraite du couple de fermiers. Les enfants relatent ce qu’ils y ont appris, ce qu’ils y ont vécu et toujours avec une certaine émotion. Chaque année, à l’approche des vacances, les plus jeunes enfants de la structure se rapprochent de moi. Ils me sollicitent activement afin de faire partie du transfert « ferme ». Après 7 années d’expériences de cet endroit et de cette famille, la ferme reste un lieu

incontournable pour chaque enfant de la structure, qu’ils convoitent à l’approche de chaque

vacance.