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Prologue - static.fnac-static.com · Un samedi matin, je vais voir Véronique, c’est ma sœur a înée, elle a dix-huit ans de plus que moi. Elle a beaucoup plus de souvenirs du

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Prologue

Je rêve souvent, mais que veut dire ce rêve, je ne le sais pas.

Cela fait déjà plusieurs mois que je fais ce rêve. Dans mon rêve, il y a un bébé d’un peu plus d’un

an. Il a de belles boucles blondes, une fille je pense. Elle est toujours assise et elle pleure, tout le temps. Dans mon rêve, il y a aussi une femme, très grande

et forte, un jeune homme, grand, brun avec des lunettes et un petit garçon blond.

Je ne sais pas qui sont ces gens. La petite est seule dans une pièce, elle pleure. Il n’y a pas de couleur, tout est gris. Une porte s’ouvre et je me réveille en sursaut. Je me réveille toujours au même moment, quand

cette porte s’ouvre. À chaque fois que je fais ce rêve, le lendemain je

suis angoissée, nerveuse. Mais pourquoi ? Je ne sais pas. Ou du moins, pas encore.

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J’ai 30 ans, je viens d’accoucher de mon cinquième et dernier enfant.

Un samedi matin, je vais voir Véronique, c’est ma sœur aînée, elle a dix-huit ans de plus que moi.

Elle a beaucoup plus de souvenirs du passé que moi, donc, quand je veux savoir quelque chose qui concerne le passé et la famille c’est elle que je vais voir.

Ce jour-là, en allant la voir, jamais je n’aurais pensé en repartir dans le même état que ces lendemains de rêve.

Angoissée, nerveuse, mais triste aussi.

En arrivant chez elle, nous avons d’abord parlé de choses et d’autres, mes enfants, les siens, ses petits-enfants car elle était déjà mamie.

Je lui parle de ce rêve, qui me hante depuis pas mal de temps déjà.

Puis elle me raconte une histoire, qu’aujourd’hui encore je n’ai pas oubliée et que d’ailleurs je n’oublierai jamais.

Elle me raconte :

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– Quand tu étais petite, tu avais 18 mois, maman est tombée très malade, suite à une tuberculose qu’elle avait eue quand elle était enceinte de toi.

Elle avait été longtemps hospitalisée et après son hospitalisation elle devait suivre une cure d’environ six mois.

Pendant ce temps, vous les plus jeunes, avez tous été placés dans des familles d’accueil, sauf Marcel et moi. (Marcel est mon frère aîné).

Marcel avait 17 ans, il pouvait donc rester seul à la maison avec papa et moi j’avais presque 20 ans, j’ étais déjà mariée et je venais d’avoir Denis (son premier enfant).

Alex et toi aviez été placés chez Suzanne et Paul. Alex avait 10 ou 11 ans je ne sais plus exactement

et toi tu n’avais pas tout à fait 2 ans. Je lui dis avec étonnement : – Ah oui, Suzanne et Paul, je m’en souviens. – Ah bon, comment se fait-il que tu t’en souviens,

tu étais petite ? – Ben avec Alex, papa, maman et moi nous

sommes allés leur rendre visite. – Ah bon tu y es retournée ! – Ben oui maman m’a dit qu’ ils allaient voir la

famille qui s’était occupée de nous quand nous étions petits, alors je suis allée avec eux.

– Mais comment ont-il s pu retourner là-bas ! Et en plus t’emmener avec !

Je la regarde étonnée. Et elle continue son histoire : – Suzanne et Paul avaient un fils, il était déjà grand

mais je ne sais pas du tout l’âge qu’ il avait.

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Il était handicapé très lourd, il ne savait pas parler, il communiquait avec des sons et des gestes.

Tu avais très peur de ce garçon et la vieille le savait, elle te mettait assise à côté de lui pour les repas, et toi tu pleurais, mais pleurais tellement que tu en avais le souffle coupé.

C’est chez elle que tu as fait tes premiers pas. Tu savais à peine marcher qu’elle décida que c’était le moment pour toi d’être propre.

La journée elle t’enlevait les couches, donc s’ il t’arrivait de faire dans ta culotte elle t’enfermait dans une buanderie, qui se trouvait juste à côté de la cuisine. Elle te mettait assise dans une bassine grise en fer, il arrivait aussi parfois qu’elle te couche dans sa machine à laver le linge, tu étais tellement petite que tu y rentrais facilement, et elle te laissait là-dedans pendant des heures, il t’arrivait même de t’y endormir.

Je pense que cela explique ton rêve. Je lui demande : – Mais comment sais-tu tout cela !? – Ben Alex était scolarisé là-bas et c’est lui qui en

a parlé à sa maîtresse, c’est elle qui a fait le reste, les recherches pour retrouver maman, elle m’a retrouvée moi aussi.

– Mais pourquoi ne sommes-nous pas restés avec papa ?

– Papa travaillait et en plus il buvait trop, il n’aurait jamais été capable de s’occuper de vous.

– Et toi, et Marcel ? – Marcel avait 17 ans, il était un peu jeune pour

s’occuper de vous et moi à cette époque j’étais en froid avec les parents car ils étaient contre mon mariage avec Jean.

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Je n’étais même pas au courant de l’état de santé de maman, je savais qu’elle était à l’hôpital, mais je ne savais rien de la cure.

Tu sais de mon temps la majorité était à 21 ans je ne pouvais pas me marier sans l’accord des parents, papa est donc venu à la mairie pour donner son accord et signer, puis il est reparti, aucun de vous était présent à mon mariage.

Je vous ai tous revus après toute cette histoire chez Suzanne.

Je suis repartie de chez Véronique, tremblante, triste.

En sachant ce que voulait dire mon rêve, en sachant qui étaient ces gens, ce garçon grand, brun avec des lunettes, leur fils.

Ce petit garçon blond, Alex mon frère. Ce gris, la bassine et la machine à laver. Et cette petite fille, moi.

Durant les jours qui suivaient je repensais à toute cette histoire, je me demandais aussi comment maman, papa et Alex ont pu retourner voir ces gens.

Je repensais aussi à tous les autres souvenirs d’enfance que j’ai, car il y en a, des bons et des mauvais.

Je me souviens aussi du jour où maman m’annonça le décès de Suzanne.

Elle me dit : – Suzanne est décédée, Alex va aux obsèques,

veux-tu y aller avec lui ? Je la regardai et lui dis : – Qu’elle aille au diable. Elle n’ insista pas.

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Chapitre 1

Je suis née un matin de mars 1967. Je suis la cadette d’une famille de sept enfants,

cinq filles et deux garçons, qui dans l’ordre sont Véronique, Marcel, Aline, Mireille, Alex, Esther et moi, moi je m’appelle Nathalie.

J’ai des souvenirs avec tous les membres de ma famille, bons et mauvais.

Aujourd’hui j’ai décidé de les écrire… Enfant, à partir de 6 ans, âge ou l’on commence à

comprendre certaines choses, je compris que papa ne m’aimait pas, mais je ne savais pas pourquoi.

Quand il me regardait, c’était toujours avec un regard noir, plein de reproches.

Papa étant un ancien légionnaire, il avait fait la guerre d’ Indochine, était ancien combattant, grand blessé de guerre.

Il termina sa carrière aux bureaux de l’armée de terre, comme recruteur.

Maman, elle, ne travaillait pas. Elle avait bien assez à faire à la maison.

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Véronique, Aline et Mireille étaient mariées, il ne restait donc plus que Marcel, Alex, Esther et moi.

À la maison tout ne se passait pas toujours très bien.

Quand papa rentrait du travail il se disputait souvent avec Marcel et avec maman.

Maman disait souvent : – Tais-toi, tu as bu, tu es un alcoolique ! Je l’entendais souvent crier, le soir quand j’étais

couchée. Papa et Marcel se battaient souvent aussi. Papa reprochait toujours à Marcel de ne pas

travailler, de trop boire, d’être un voyou. C’est vrai, Marcel buvait aussi, il avait aussi des

copains pas très fréquentables, mais bon. Il lui arrivait de voler, il s’était même une fois fait ramener à la maison par les gendarmes. Je vous explique même pas la colère de papa ce soir-là, le lendemain Marcel avait le visage tuméfié des coups qu’ il avait pris.

À 18 ans il partit faire son service militaire mais au bout de six mois il a été exempté car il était pupille de la nation.

À son retour il recommença à faire ses bêtises, et les disputes avec papa reprirent de plus belle.

Il avait eu le temps de faire son permis de conduire à l’armée.

Dans sa jeunesse, il avait été enfant de chœur, avait une très bonne entente avec le curé, donc quand il rencontra sa première copine, pour la sortir il empruntait la 2 CV du curé.

Bien des années plus tard, Marcel me raconta que la toute première fois qu’il avait pris la 2 CV, le curé

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avait été porter plainte pour vol. Marcel lui ramena la voiture le lendemain. Quand le curé a su que c’était Marcel, il est allé retirer sa plainte et qu’ensuite il laissait carrément les clés sur le contact, pour que Marcel puisse l’utiliser à chaque qu’ il en avait besoin. (C’est ce même curé qui célébra la messe à ma communion quand j’eus 14 ans, et c’est aussi lui qui baptisa mes deux premiers enfants bien des années plus tard, il prit sa retraite après cela.)

Il arrivait quelques fois à maman et papa de se disputer à mon sujet, mais à 6 ans, que comprend-on ? Pas grand-chose. Mais Marcel, lui, a toujours pris ma défense, trop parfois, car cela finissait souvent par des bagarres entre eux.

J’avais toujours très peur, peur de papa. Alex et Esther, eux, je ne sais plus trop ce qu’ ils

faisaient dans ces cas. Ce dont je me souviens par contre, c’est de la

différence que papa faisait entre Esther et moi.

Esther et moi, nous avions le droit de sortir le mercredi après-midi, mais pas sans conditions. Nous devions rester devant l’ immeuble de façon à ce que maman puisse nous voir de la fenêtre et surtout me faire rentrer avant que papa rentre du travail.

Moi je devais rentrer avant qu’ il arrive, Esther, elle pouvait rester dehors, mais devait rentrer avec lui quand il arrivait.

Elle, il l’embrassait en rentrant, moi jamais. Après le repas du soir, il jouait avec elle, la prenait sur ses genoux, moi jamais.

Moi, j’avais Marcel qui faisait tout cela avec moi, même quand il rentrait saoul.

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Je me souviens de deux Noël dans cet appartement. Le premier, j’avais 7 ans. Alex avait reçu un circuit électrique avec deux

voitures à faire rouler dessus, une rouge et une jaune. Esther avait reçu un couple de poupons avec une

mallette d’habits pour les changer. Moi j ’ai reçu un petit sachet avec, à l’ intérieur,

deux clémentines, un pain d’épices et un père Noël en chocolat.

Alex me laissait jouer avec lui au circuit, j’adorais ça et Esther me prêtait quelques fois un de ces poupons, mais tout ça, jamais quand papa était là, il ne fallait surtout pas qu’il sache.

Le deuxième Noël, j’ai 8 ans. Je ne me souviens pas de ce qu’Alex a eu, Esther a

reçu une poupée avec sa poussette. Moi j’ai reçu une poupée qui marche avec des piles. Ma toute première poupée et la seule d’ailleurs.

Je me souviens d’un mercredi où Esther n’était pas là, Maman m’a laissé sortir seule.

Tous les enfants de l’ immeuble étaient dehors. Nous avions devant l’ immeuble un grand terrain

en gazon où nous nous retrouvions pour jouer. Nous jouions à la marelle, à l’élastique, au ballon. Et ce mercredi-là, où nous étions tous dehors, nous

faisions du foot, par mégarde le ballon était parti dans la descente de cave et deux garçons, en allant le rechercher, avaient entendu un bébé pleurer.

En cherchant d’où venaient les pleurs, ils avaient trouvé, dans une poubelle, un bébé enveloppé dans la robe de chambre de la maman de l’un deux.