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Prospecteurs de Transition Prospectives et initiatives vers une ville résiliente dans la métropole nantaise Ensa Nantes 2011-2012 Mémoire de master de :Cédric Dussart Sous la direction de :Laurent Devisme Controverses spatiales

Prospecteurs de Transition

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Prospecteurs de TransitionProspectives et initiatives vers une ville résiliente

dans la métropole nantaise

Ensa Nantes 2011-2012Mémoire de master de :Cédric DussartSous la direction de :Laurent Devisme Controverses spatiales

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Sommaire

Introduction 1

Notions clés : 2

Méthodologie 3

I Prospecteurs théoriciens et guides pratiques 4

1 Yona Friedman, un précurseur 5

-Contexte :Yona Friedman 5

-Constats :La surproduction énergétique, Groupe critique 6-Objectifs :Communiquer par le dessin 7

-Actions pour les pays du Sud 7-Retour 7

-Moi dans tout cela 7

2 Rob Hopkins et la Transition 10

-Contexte : L'expérience de Kinsale, Totnes première ville en transition 10

-Constats : Pic pétrolier, Changement climatique, Les deux facettes d'un même problème, Nécessité de faire petit 12-Objectif : être résilient après la Transition, Développer une vision positive 12

-Actions : La visualisation, Inclusivité, L'initiative de Transition 13-Retours :Phénomène international, Petites villes en Transition, Transition française, Scepticisme français, Travaux universitaires sur la Transition 15

-Moi dans tout ça 15

II Prospecteurs de Transition sur la métropole nantaise 18

1 Initiative individuelle : les Ekovores des Faltazi 19

-Contexte : Alterdesigners, Monsieur Faltazi, D'Ekokook aux Ekovores, Faltazi

+ ENSA Nantes 20-Constats : Agriculture : situation alarmante, Agricultures alternatives,

Mise en pratique à l'échelle individuelle, Derrière les légumes, il y a des villes 21-Objectifs : Processus créatif dans la durée, 22

-Actions :Les Ekovores 22-Communication et retours : Le retour à Terre à Terre, Buzz, Présentations et conférences, Participation Nantes 2030, Idéelles, les premières Ekovores 24

-Moi dans tout cela 24

2 Initiative institutionnelle : Mavi(ll)e Demain 28

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-Contexte : Un grand jeu d'acteurs, Les élus et Nantes Métropole, L'AURAN,

Le cabinet RCT 28-Constats 29

-Objectifs 29-Actions : Planning de la démarche,« La mise en mouvement », Un débat cadré,

« le temps des idées », Le kit d'animation de débat, Un aspect graphique multicolore, Le collectif Et alors, Contributions fortes, Groupe Témoin Prospectif, Conseil de développement de Nantes Métropole, Place publique aux experts, Démocratie participative 29

-Retour : « Imaginer les possibles », Sentiment de cohésion sociale fort à Nantes, Envie forte de s'ouvrir d'avantage au monde, Bienveillance pour les questions de créativité, Les 3 visions pour Nantes en 2030, La métropole de l'excellence et de l'international, -La métropole de l'innovation et de la créativité, La métropole « des liens » s'appuyant sur les ressources locales et la citoyenneté, « Choisir un cap », L’exposition, bouquet final 35

-Moi dans tout cela 38

3 Initiative citoyenne : Nantes en Transition 40

-Contexte : Point technique, De Bullivers à l'ADDA, L'ADDA, Le local de l'ADDA, Le jardin de l'ADDA, Les gens de l'ADDA, « L'ADDA n'est pas fermé »,Tissu associatif nantais, Un quartier en mouvement, De l'ADDA à NET,27/02/12 Lancement de Nantes en Transition, Participation-observante 40

-Constats ayant menés à la création de NET : La déprime du sommet de « Flopenhague », Les Conférences gesticulées, L'espoir des réunions à l'ADDA, Les gens de NET 44

-Objectifs de Nantes en Transition, Regard sur le Manuel de la Transition, Pas de plan quinquennal 46

-Actions de Nantes en Transition, 11/11/11 Les Nantais de 2031, 26/11/11 Journée d'échange avec Poursuivre, 12/01/2012 Libérons l'énergie, 02/03/12 Conférence de Benoît Thévard sur « Un avenir sans pétrole », 04/03/12 Quartier en Transition,Une pause s'impose, L'ombre de l'ADDA, 12/04/12 Pour en avoir le cœur NET, La métropole n'attend pas, Transition dans une capitale verte ?, 46

-Retours et impressions sur Nantes en Transition, Retours au sein de Nantes en Transition, Échapper à la réunionite à la française, Démocratie directe et résilience sociale, Retour au niveau local, La bonne échelle et le bon moment, Retour national 50-Moi dans tout cela 52

III Analyse comparative des prospecteurs de Transition et scénarii pour la ville de demain 54

1 Convergences 56

-Des contextes variés mais une même envie 56-Complémentarité des constats 56

-Consensus technique 56-Transition énergétique 57

-« L'indépendance énergétique de la France » 57

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-Le scénario Négawatt 57

-Les différents supports de restitution de la prospection. 58-Résilience des moyens de communication 58

-Internet résilient ? 59-Retours et petites victoires 59

-A la recherche du citoyen lambda 60

2Divergences 62

-Point d'achoppement à Notre Dame des Landes 62

-Projet non transitionnel 62-Silence institutionnel 63

-Clé de voûte des grands chantiers 63-La position de NET pour des petits projets utiles 63

-ZAD Zone à Défendre partout ! 64-Notre Dame des Transitions 64

-Divergences d'opinion 65-Rapport d'échelles 65

-Experts généralistes et citoyens spécialistes 65

3 Visions sur la ville de demain 67

-La cité-état verte 67

-La taille du groupe critique des utopies 67-L'archipel des communautés 68

-Vision passéiste ou moderne ? 68-Bolo'bolo 69

Conclusion 70

Bibliographie et webographie thématique 71

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Introduction

A l'heure où s'allument de plus en plus de voyants d'alerte aussi bien sur le tableau économique que sur le tableau écologique, notre société moderne cherche de nouvelles solutions. La globalisation et l'économie de marché visant toujours plus de croissance, semblent avoir atteint certaines limites imposées par notre « Astronef Terre ». Il paraît maintenant évident que notre société moderne doit s'intéresser de près aux enjeux écologiques et environnementaux, non seulement dans leurs dimensions éthiques et morales, mais aussi tout simplement dans leur dimensions économiques et sociales. La pérennité de notre société est directement liée à notre capacité d'adaptation face aux dérèglements climatiques, écologiques et sociaux que nous avons nous-même engendrés. Cette capacité s'appelle la résilience.

Face à cela, de nouvelles propositions de développement émergent notamment au sein des villes européennes qui, à l'inverse des états et des grandes multinationales, ont un pouvoir de résilience important grâce à leur hinterland.

Il devient évident que nos villes modernes doivent retrouver une cohérence avec leurs territoires proches si elles veulent subsister. Dans les domaines tels que l'énergie, l'alimentation, les transports, l'emploi et le bien être des habitants, les modes de fonctionnement doivent se réorganiser et tendre vers une certaine sobriété pour que la ville n’asphyxie pas son territoire. L'enjeu principal des villes aujourd'hui est donc de se projeter vers l'avenir et d'inventer de nouveaux types d'organisations mettant en pratique cette résilience.

Une sorte de nouvelle ruée vers l'or s'engage ; mais l'or cette fois-ci est la forme de nos villes et de nos vies dans un futur proche. Les gens ou les institutions à la recherche de cette ville future sont donc des prospecteurs. Ils font de la prospective mais ne sont pas tous pour autant prospectivistes. En effet ce terme me paraît trop restreint et trop spécialisé pour englober toutes les démarches et idées de ces prospecteurs de Transition. En dehors du fait que ces acteurs sont tous dans une démarche de prospective, l'autre aspect commun entre les acteurs étudiés c'est qu'ils proposent tous des outils et des méthodes pour réaliser le passage d'une ville actuelle à une ville nécessairement plus sobre en énergie et plus cohérentes avec le territoire local. Le terme choisi pour définir cette phase d'entre-deux est le terme de Transition.

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Notions clés :

Résilience :

Etym : (1911) De l’anglais resilience. Lui-même issu d’un participe du verbe latin resilire (« rebondir »), fait sur re- et salire (« sauter »).

Wikitionnaire, novembre 2012

La résilience désigne de manière générale la capacité d'un organisme, un groupe ou une structure à s'adapter à un environnement changeant. Il est utilisé dans plusieurs contextes : en physique, en thermique, en écologie, en psychologie, en économie, en informatique et dans le domaine de la gouvernance, de la gestion du risque et du social, la résilience communautaire associe les approches précédentes en s'intéressant au groupe et au collectif plus qu'à l'individu isolé.

Wikipedia, septembre 2012

Dans ce mémoire, c'est le sens de résilience communautaire qui sera le plus utilisé ; la résilience du groupe étant celle de la ville.

Prospective :

Etym : Du latin pro, en avant. Du latin specto, spectare : regarder longtemps ou souvent.

Wikitionnaire, septembre 2012

La prospective est la démarche qui vise, dans une perspective holistique, à se préparer aujourd'hui à demain.

Wikipedia, octobre 2012

Dans ce mémoire, la prospective désignera aussi bien une démarche théorique et intellectuelle qu'une démarche plus concrète et dans l'action.

Transition :

Du latin transitio (« passage, transition »

Action de passer d’un état à un autre. Wikitionnaire, décembre 2012

Bien qu'ayant un sens très large, la transition dans ce mémoire, désignera, la plupart du temps, le passage d'une société moderne fortement dépendante des énergies fossiles comme le pétrole, à une société moins dépendante, plus autonome et résiliente face à des crises et des chocs futurs.

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Méthodologie

Dans l'agglomération nantaise, des initiatives de prospectives émergent depuis quelques mois. Elles sont portées par différents types d'acteurs avec des objectifs et des moyens d'actions propres. Trois initiatives de prospective ont retenus mon attention :

-L'initiative individuelle des designers nantais les Faltazi qui ont développé le projet de prospective : les Ekovores-L'initiative institutionnelle de Nantes Métropole et piloté par l'AURAN intitulée : Mavi(ll)e Demain-L'initiative citoyenne de Nantes en Transition.

A ces prospecteurs de Transition sur la ville de Nantes peuvent s'ajouter deux autres prospecteurs remarquables pour leurs travaux théoriques :

-Yona Friedman en tant que précurseur sur l'idée des villes résilientes et sobres en énergie-Rob Hopkins en tant que rédacteur du Manuel de Transition et comme acteur majeur du mouvement des Villes en Transition

L'objectif de ce mémoire est donc de décrire leurs idées et leurs démarches (communication et mise en pratique). Pour cela, une grille d'analyse est utilisée. Le premier critère d'analyse est le Contexte dans lequel les prospecteurs de Transition effectuent leur démarche, quels sont les acteurs. Deuxième critère, ce sont les Constats qu'ils font sur la situation globale (enjeux économiques, climatiques...) et locale. Le troisième critère ce sont les Objectifs qu'ils se fixent en fonction de leurs constats. Le quatrième, les Actions qu'ils mettent en œuvre pour réaliser et communiquer leur vision prospective. Le cinquième critère ce sont les Retours qu'ont eu les démarches d'initiatives, à travers la presse, auprès d'institutions... Enfin un dernier critère correspond à mon ressenti personnel (Moi dans tout ça) et quelques éléments d'analyse sur le prospecteurs et sa vision prospective. En effet, pour quasiment chaque prospecteur, j'ai pu les rencontrer et participer de manière plus ou moins intense à leur démarche. Pour la démarche de Nantes en Transition j'ai pris part directement à la démarche en tant que membre de l'association Nantes en Transition.

Une fois cette présentation des acteurs et des démarches faites, l'étape suivante est de mettre en place une analyse comparative grâce à la grille présentée en introduction. La première restitution de cette analyse se présente sous la forme d'un tableau synoptique croisant les différents prospecteurs de transition et les éléments constitutifs des démarches. L'intérêt n'est pas de savoir si une méthode est plus efficace qu'une autre ou si certains prospecteurs de transition sont plus légitimes que d'autres. L'idée est de voir là ou les idées et les actions convergent, et de voir, là où des différences apparaissent et quelles en sont les raisons.

La deuxième étape de l'analyse comparative approfondit certains aspects convergents et révèle les divergences notamment autour du point d'achoppement que représente le projet d'aéroport à Notre Dame des Landes.

La dernière étape de cette analyse est une ouverture sur des scénarii-utopies pour la métropole nantaise du future ou toute autre métropole dans une situation similaire à Nantes aujourd’hui.

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I Prospecteurs théoriciens et guides pratiques

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1 Yona Friedman, un précurseur

Yona Friedman

Yona Friedman est une personnalité atypique dans le monde de l'architecture. Né en 1923 à Budapest, il a fait une partie de ses études d'architecture au Technion d'Haïfa en Israël où il y travailla comme architecte jusqu'en 1957. Date à partir laquelle il s'installe à Paris dans un appartement-atelier dans lequel il vit toujours. Il a participé au 10e Congrès international d'architecture moderne en 1956. En 1958, il a créé le Groupe d’Étude d’Architecture Mobile notamment avec Frei Otto.

Convaincu que l’architecture du futur sera alors basée sur la mobilité de l'espace, il a imaginé comme d'autres architectes de l'époque, des villes suspendues, incluses dans des mégastructures permettant une liberté de mouvement, de flux et d’aménagement de l'espace. Enjambant les villes sans les démolir, c'est le concept de la ville spatiale. Composée en nappes urbaines denses et

flottant au dessus de la ville historique, cette ville spatiale utopique s'oppose à la ville de la Charte d'Athènes avec ses tours et ses barres verticales qui libèrent au sol des no man's lands dédiés notamment au transport automobile. Cette ville aérienne réservée au piéton permet un nombre infini de configurations pour mêler l'espace urbain et privé ainsi que la production agricole hors sol1. Les éléments d'architecture normalement fixes deviennent du mobilier repositionnable à l'envie. Germe alors l'idée que c'est à l'habitant de concevoir son logement et la ville qu'il souhaite, l'architecte n'étant là que pour fournir la structure tridimensionnelle et ouverte qui abrite la ville. Lorsqu'en 1962, son manifeste pour cette Architecture mobile est réédité, il déclenche une véritable vague d'hostilité à son encontre2. Les architectes d'alors étaient convaincus que les idées du Mouvement Moderne étaient la solution pour fournir des logements au peuple. La profession n'admet pas les idées trop ouvertes de Yona Friedman et pendant des années il lui a été interdit d'enseigner dans les écoles d'architectures.

Durant les années 1970 et bien que mis à l'écart par le monde de l'architecture, il a poursuivi ses recherches à travers l'idée de l’auto-planification en publiant l'un de ces ouvrages les plus connus : Architecture de survie3. Traditionnellement concepteur et organisateur, l'architecte doit évoluer vers le rôle de consultant auprès des futurs usagers qui deviennent alors les concepteurs majeurs du bâtiment. Il a mis cette idée en application pour la conception du lycée Henri Bergson à Angers en 1979, réalisée par les enseignants et les parents d'élèves ; lui ne s'occupant que de superviser l'évolution du projet et de tenir le budget fixé par le Rectorat.

Avec les années, ses idées sur la ville et l'urbanisme ont évoluées. La structure des villes spatiales chaque fois plus légère, finit par disparaître complètement, les matériaux simples et naturels ont alors remplacés les lourdes structures industrielles en acier. Yona Friedman est en recherche permanente et ses publications sont nombreuses et variées, abordant les thèmes de l'architecture, l’urbanisme, l'écologie, la

1 Dominique Rouillard, Superarchitecture : le futur de l'architecture 1950-1970, 2004

2 Michel Ragon, L'architecte, le prince et la démocratie, 1977, chapitre « La tarte à la crème de l'architecture »

3 Yona Friedman, Architecture de survie, 1978

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technologie, la sociologie, l'économie, les mathématiques … Développant une pensée systémique, il a mené de profondes réflexions sur la notion d'utopies et sur les moyens de les réaliser à peu de frais, au profit du plus grand nombre.

Touche à tout, il a un talent réel pour le dessin et les arts plastiques qui font de lui aussi un artiste reconnu. Ses dessins épurés, symboliques tout en étant précis et porteurs de sens, lui ont permis de réaliser divers films d'animations ainsi que des expositions dans de nombreux pays. Son goût prononcé pour la topologie, l'a aussi amené à effectuer de nombreuses recherches sur les réseaux tridimensionnels complexes devenant la structure de ses villes spatiales. Ces maquettes souvent faites à partir de déchets industriels (carton, polystyrène...) explorent aussi l'idée de l'aléatoire et de la densité de remplissage de l'espace pour créer de potentielles configurations urbaines4.

Constats

Dans l'ensemble des productions fleuve de Yona Friedman, je me concentre ici particulièrement sur Utopies réalisables publié en 1974 et Alternatives énergétiques en 1982. Cet deux ouvrages présentent des constats et des propositions sur le monde actuel, son développement et ce qu'il serait souhaitable de changé. Par le date relativement anciennes au minimum 30 ans on se rend compte que l'auteur a des capacités de prédiction des tendances futures assez fortes. Alternatives énergétiques se présentent comme un petit manuel pour aider à comprendre le monde actuel très énergivore et comment limiter cela par des actions simples.

La surproduction énergétique

Dans Alternatives énergétiques, Yona Friedman explique notre appétit vorace pour l'énergie issue de ressources fossiles alimentant notre industrie moderne et augmentant notre confort. Il constate aussi les mauvais rendements de ce système qui nécessite toujours plus d’énergie pour extraire les matières premières. Il identifie le domaine des transports et du logement comme les plus énergivores. La séparation entre le lieu de vie

4 Yona Friedman. Drawings & Models 1945-2010, avec Marianne Homiridis, 2010

et le lieu de travail et la mauvaise conception des bâtiments (mal isolés, ne correspondant pas aux usages réels des habitants) en sont les principales causes.

Groupe critique

Dans Utopies réalisables, après avoir décrit la mécanique classique de création d'une utopie. Il développe la notion de groupe critique. Il constate les difficulté de communication des informations et des idées au sein d'une société complexe et nombreuse comme la nôtre. Il constate aussi que nous sommes biologiquement limité dans le nombres d'informations que nous sommes capable de recevoir et traiter ce qu'il désigne par le terme de valence et dans nos capacités à transmettre une information nos dénaturée au fil des échanges c'est la capacité d'influence. Partant de ces constats, il analyse les échanges entre individus et constate que pour établir une relation égalitaire dans les échanges d'informations, il faut un nombre restreint d'individus, le groupe critique. Au delà d'un certain seuil, seule une organisation pyramidale du groupe peut fonctionner, les décideur ayant des moyens de communication très importants pour diffuser l'information à un public large mais en retour les gens on peu de moyens pour interpeller les dirigeants.La notion de groupe critique l'amène à l'idée que pour une meilleure qualité de communication, notre société usant de moyens de communication à grande échelle (télévision, journaux, téléphone...) pourrait tenter à l'inverse, de mettre en place une société de faible communication mais plus efficace.

Objectifs

A partir de ces constats, Yona Friedman propose différentes solutions pour réduire drastiquement nos consommation d'énergies. Il émet l'idée que des solutions organisationnelles, à petites échelles, seraient plus efficaces que la fuite en avant technologique à laquelle nous assistons à chaque fois que la civilisation moderne est confronté a un problème. En plus de petites propositions pratiques comme le covoiturage ou la création d'espaces tampon pour contrôler la température d'un bâtiment bioclimatique, Yona Friedman tente d'imaginer une nouveau type de ville autonome et sobre en énergie et en production alimentaire. A mi chemin entre la campagne et la

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ville il propose l'utopie d'un village urbain, futur habitat du paysan modernisé qui travaille de manière plus locale et diversifié pour avant tout assurer une société de subsistance et non de surconsommation..

Communiquer par le dessin

Pour expliquer tous les concepts et les idées qu'il explore depuis toujours, Yona Friedman utilise souvent la Bande Dessinée. Avec un trait simple mais juste il associe souvent une idée écrite (mot ou petite phrase) avec un dessin allant à l'essentiel pour exprimer la même idée. Ce type de communication offre l'avantage de porter un message quasi-universel. Même les personnes analphabètes ou d'une autre culture et langue que l'auteur peuvent saisir l'idée. Économique en terme de matériaux et de technique, ces bandes dessinées et croquis ne nécessitent qu'un crayon et quelques feuilles pour parler à l'ensemble de la planète ; difficile de faire plus efficace.

Actions pour les pays du Sud

Sollicité par l'ONU, dans les années 1980, il a réalisé plusieurs petits manuels d'instructions pratiques sur l'écologie et les techniques élémentaires de construction pour les pays du Sud. Il a notamment contribué à la construction du Musée des Technologies Simples à Madras en 1982, toujours sur des principes d'implication des habitants dans la conception et la construction du bâtiment.

Retour

Pendant longtemps mis à l'écart part la profession des architectes parce qu'il proposait des idées mettant en retrait l'architecte et profit du futur habitants, il a pu pendant ce temps là développer une vision fine de ce que pourrait être des villes durables prenant en compte le fait que le progrès technologique ne devait pas nous empêcher de toujours penser au maximum d'efficacité avec la dépense de moins de matériaux et d'énergie possible.

A partir des années 2000, Yona Friedman a connu un « retour en grâce » auprès d'un nouveau public d'architectes, de citoyens et de dirigeants

(notamment des Chinois cherchant de nouveaux concepts urbains pour des mégapoles tentaculaires en construction permanente5). Grâce à son mode de pensée systémique, il a développé des concepts d'urbanisme et d'architectures intégrant les aspects d'écologie, d'économie des matériaux, d'art urbain qui se révèlent plus que pertinents dans le contexte économique et environnemental mondial actuel.

Moi dans tout cela

Ayant découvert les travaux de Yona Friedman voici quelques années, ils sont aujourd'hui devenus une mes références pour penser l’architecture d'aujourd'hui et de demain bien que je ne sois pas d'accord avec toutes les idées qu'il a développé avec le temps et qui aujourd'hui en parfois du mal à s'actualiser. Vu son rôle précurseur c'est peut être normal.

5 Conférence du 8 avril 2008 au Pavillon de l'Arsenal Les ponts de Shangai par Yona Friedman. Vidéo disponible sur dailymotion.

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Images issues d'Alternatives Energétiques

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2 Rob Hopkins et la Transition

Contexte

Le mouvement des villes en Transition a débuté en 2006 au Royaume-Uni et en Irlande. Il a très rapidement essaimé un peu partout dans le monde surtout anglophone. Mouvement issu de la base et apolitique, il propose une démarche très concrète pour diminuer fortement la dépendance en énergie des villes et pouvoir être résilient face aux changements économiques et environnementaux annoncés. A l'origine du mouvement, l'enseignant en permaculture Rob Hopkins apparaît comme le théoricien de la Transition notamment avec la publication d'un manuel de la Transition en 2008 (Transition Handbook).

L'expérience de Kinsale

En 2000, Rob Hopkins crée un cours de permaculture dans le Collège d'Education Permanente de Kinsale. Kinsale est une petite ville (2300 hab) dans le comté de Cork en Irlande. En

2004, avec ses élèves, ils découvrent les enjeux liés à la forte consommation de pétrole dans les pays dit développés et la réalité du pic pétrolier imminent (notamment à travers le documentaire End of Suburbia). Très interloqués par ces constats, ils décident de réagir en informant les habitants de Kinsale et en imaginant des solutions pour limiter leur consommation d'énergie et ainsi être moins dépendant du pétrole. Pour cela, ils organisent des réunions avec les habitants et élaborent de manière collective un « plan de descente énergétique » pour la ville sur plusieurs années. De manière empirique, motivés par ces questions globales à l'impact local, et forts de la conception holistique et pragmatique de la permaculture, ils mettent en place les premières idées de la Transition.

Totnes première ville en transition

En 2006 , Rob Hopkins s'installe à Totnes et lance la première initiative de ville en Transition : Transition Town Totnes (TTT). Totnes est une petite ville rurale du Sud Ouest de l'Angleterre comptant 7700 habitants. Au fil des années Transition Town Totnes a réussi à mobiliser près de 3300 habitants engagés dans une démarche de Transition à travers différents projets comme la création d'une monnaie locale, la réduction drastique de la dépendance aux énergies fossiles issues de l'extérieur et la recherche d'une quasi-autonomie alimentaire. En parallèle, les transitionneurs de Totnes ont participé grandement à la structuration d'un réseau national et international des villes en Transition pour pouvoir échanger sur les différentes expériences et proposer des formations à la Transition. Bien que la ville ne soit pas devenue une utopie verte où tout le monde roule à vélo et mange des légumes bio, Totnes est devenue une référence en matière de ville en Transition.

Constats

Dans le Manuel de Transition, R. Hopkins explique de manière détaillée les constats qui l'ont amené à développer l'idée des villes en Transition. Ces constats sont multiples mais liés.

Pic pétrolier

La Transition se base sur l'idée clé que le

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pic pétrolier et le changement climatique sont liés et que ce sont des phénomènes majeurs pour l'évolution du monde dans les décennies à venir. Le pic pétrolier mondial correspond au moment où la production mondiale de pétrole plafonne avant d'entamer une baisse progressive suite à l'épuisement des réserves mondiales exploitables. En effet, depuis la fin des années 1960, la grande majorité des réserves de pétrole ont été découvertes sur l'ensemble du globe. Depuis cette période, la production, elle, n'a cessé d'augmenter, pour répondre aux demandes tout en sachant que cette ressource n'était pas pérenne. Le problème n'est pas de savoir quand consommera-t-on la dernière goutte de pétrole, mais plutôt quand est-ce que la production ne pourra plus augmenter et qu'en conséquence le prix du baril, lui, ne fera qu'augmenter suivant la logique de l'offre et de la demande. Cette question complexe mêlant géologie et économie, a mobilisé de nombreux scientifiques et experts depuis des années, mais aujourd'hui de plus en plus de personnes s'accordent pour dire que ce pic mondial est proche (2010-2020) voir même dépassé (un rapport de l'Agence Internationale de l'Energie paru en 2009 situe le pic pétrolier en 2006). Le fait avéré aujourd'hui, c'est que la production mondiale n'augmente plus depuis quelques années, alors que la demande se fait toujours de plus en plus forte. La fin d'une micro-période de l'énergie bon marché semble révolue l'augmentation du prix du baril lors des deux chocs pétrolier de 1973 et 1979 ainsi que les niveaux records (147 $ le baril atteint en 2008 avant la crise financière) en sont des témoins flagrants.

Le pétrole joue un rôle central dans la consommation d'énergie et l'économie des pays dits développées, les autres sources d'énergies (charbon, gaz, uranium,...) sont indexées sur le prix du baril. En 2002, Tony Blair déclarait : « Le carburant est le sang de notre économie. Le prix du pétrole peut faire la différence entre la récession et la reprise. L’Occident dépend des importations »6.

Changement climatique

L'autre phénomène majeur qui est déterminant pour le futur, ce sont les changements climatiques en cours liés à l'activité humaine. En effet, la consommation de carburant comme le pétrole produit des gaz rejetés dans l'atmosphère.

6 R. Hopkins, Manuel de la Transition, p 22

Ces gaz à effet de serre bloquent les rayons ultraviolets émis par le soleil une fois arrivés dans l'atmosphère. Ces rayons augmentent la température globale de l'atmosphère et produisent donc un changement progressif du climat, de plus en plus chaud. Les conséquences de ce changement climatique à l'échelle globale sont de plus en plus visibles avec la fonte de la calotte glacière au niveau des pôles et avec l'élévation progressive du niveau des mers sur l'ensemble de la planète. A l'échelle de nos vies, ce changement de la température moyenne et l'élévation du niveau des mers peuvent avoir des conséquences fortes, notamment sur les productions agricoles fortement liées aux conditions climatiques. La réalité du changement climatique causé par l'activité humaine ainsi que ses conséquences apocalyptiques sont difficiles à évaluer et il a fallu du temps pour qu'un consensus au sein de la communauté scientifique sur le sujet aboutisse. Le quatrième rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) paru en 2007 est maintenant reconnu comme une analyse solide faisant état des dérèglements climatiques en cours et à ce titre, il a servi de base pour les négociations pour la conférence de Copenhague de 2009 sur le climat.

Les deux facettes d'un même problème

Un des principaux constats de Rob Hopkins c'est l'interrelation entre le pic pétrolier et le changement climatique, aussi bien en terme de causes que de réponses au problème. S'il est aujourd’hui évident que le changement climatique est en partie dû à la surconsommation d'énergies fossiles comme le pétrole, les solutions proposées par les experts et gouvernements pour régler ces deux problèmes sont souvent bien distinctes, voir antinomiques. En effet pour solutionner le pic pétrolier, la plupart des propositions qui ont été faites7, proposent de remplacer le pétrole par d'autres sources d'énergies le charbon liquéfié, le gaz liquéfié, les biocarburants et les sables bitumineux et autres sources non conventionnelles. Toutes ces énergies sont des ressources fossiles donc en quantités limitées et potentiellement victimes d'un effet de pic de production à l'instar du pétrole. De plus l'exploitation de sables

7 par exemple le rapport Hirsch d'un groupe de scientifiques américains de la Science Application International Corporation (SAIC) pour le gouvernements des États-Unis en 2005 voir Manuel de Transtion p 41

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bitumineux ou la production de biodiesel sont peu viables à long terme et même dangereux sur le plan écologique et alimentaire. En effet l'exploitation des sables bitumineux consomme énormément d'énergie pour extraire du pétrole et provoque de gros dégâts sur le milieu naturel, l'extraction n'est rentable que parce que le prix du baril de pétrole est élevé. Les biodiesel présentés comme une source d'énergie durable et propre il y a quelques années, ont vite été remis en question du fait que pour répondre aux demandes actuelles en énergies ils consommeraient énormément de terres agricoles nécessaires à l'alimentation.

Pour résoudre les problèmes liés au changement climatique et aux fortes émissions de gaz à effet de serre comme le CO2, les propositions sont là encore très technicistes8 : développer une ingénierie du climat, capturer et stocker le carbone de manière industrielle ou par le biais de la plantation massive d'arbres, créer des bourses du carbone permettant d'acheter des actions d'équivalent carbone, améliorer la logistiques des transports, utiliser l'énergie nucléaire produisant moins de CO2 mais étant potentiellement plus dangereuse. On voit bien alors que la logique de spécialisation et techniciste arrive à ses limites. Dans son livre, Rob Hopkins cite Einstein « Les problèmes ne peuvent êtres résolus avec le même mode de pensée qui les a engendrés ». En effet ces logiques de réponses aux problèmes du pic pétrolier et du changement climatique entraînent d'autres problèmes potentiellement aussi importants, voir plus.

A contrario, Rob Hopkins considère ces deux problèmes en un seul et propose des solutions visant à la fois à ne plus être dépendant des importations de pétrole tout en réduisant les émissions de CO2. Cela passe notamment par une relocalisation planifiée des infrastructures énergétiques, par l’établissement d'un plan de descente énergétique et par une production alimentaire locale9.

Nécessité de faire petit

Un autre constat est la nécessité de faire

8 rapport Stern sur l'économie du changement climatique rédigé par l'économiste Nicolas Stern pour le gouvernement britannique en 2006 voir Manuel de Transtion p 39

9 Manuel de Transtion p 38

petit, local, à sa propre échelle. En effet pour limiter la consommation de pétrole et l'émission de gaz à effet de serre, il faut prendre le problème à la base qui en général revient toujours à nous et à nos modes de consommation. En modifiant à l'échelle individuelle ou locale nos comportements, nous pouvons mettre rapidement fin à l'importation de denrées alimentaires, de vêtements et autres qui sont les principales sources de consommation d'énergies fossiles par le biais du transport. Une grande partie de l'économie des pays du Nord est basée sur l'importation et l'exportation perpétuelle de marchandises pour réaliser des profits. A partir du moment où chaque individu de ces pays s'en rend compte et comprend la nécessité de plus provoquer ces déplacements incessants (en produisant et en achetant localement) tout est alors inversé. La nécessité de faire petit et local fait que le changement se réalisé par la base de la société et non par les dirigeants qui se retrouvent dans la position d'accompagner un changement de société et non plus dans la position du décideur obligé d'imposer l'évolution. C'est une des forces de la Transition de considérer que le changement se fait d'abord par les citoyens.

Objectif : être résilient après la Transition

L'objectif final d'une démarche de Transition est d'arriver à ce que le cadre de vie ne soit plus dépendant du pétrole et de manière générale de toutes les importations extérieures. A partir de ce moment là le territoire ou la ville devient résilient face aux changements globaux et peut assurer en grande partie son autonomie (alimentaire, énergétique,...). Mais avant d'arriver à cela, il faut toute une période de Transition. Cette Transition se fait en général par étapes successives logiques mais rien n'est obligatoire et en fonction de la situation locale, la Transition peut prendre de multiples formes.

Développer une vision positive

Lorsque quelqu'un prend conscience brusquement de la possible fin du pétrole pas cher et donc du ralentissement sensible de notre économie et nos modes de vie, le choc puis le désespoir et l'anxiété s'emparent de la personne. Rob Hopkins fait le témoignage de beaucoup de ces cas de stress post pétrolier. Pour lutter contre ce syndrome, il s'appuie sur des concepts et des

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exercices de psychologie du changement, utilisés aujourd'hui dans le cas de personnes en situation de forte dépendance (notamment à l'alcool) : il faut reconsidérer sa situation personnelle et en évaluer ses capacités d'actions. Il propose aux gens de développer une vision optimiste et positive des choses, bien qu'en apparence elles soient plutôt décourageantes tant l'ampleur du changement de mode de vie est énorme.

La visualisation

Un des meilleurs outils que le mouvement de la Transition ait trouvé pour stimuler les sentiments optimistes, c'est la visualisation créative. Lors de réunions publiques, les gens sont invités à fermer les yeux et à écouter un ou une animateur/rice qui les guident par la voix. Les yeux clos, ils peuvent imaginer comment se déroulera une journée quotidienne dans 20 ans, avec qui ils prendront le petit déjeuner, qu'est-ce qu'ils mangeront, combien de temps ils travailleront ... Ce petit exercice permet à chaque personne présente dans l'assistance d'imaginer sa propre vie dans l'avenir sans avoir à se préoccuper de manière directe du changement climatique ou tout autre poids énorme et culpabilisant lorsqu'il est porté seul. La vision du futur est dès lors beaucoup moins dure. Proche de la notion de prospective, l'accent est ici mis sur l’aspect personnel de l'exercice de projection. L'individu doit s'auto-convaincre du bonheur qu'il aura dans le futur. Cette technique n'est pas l'exclusivité de la Transition et est même très courante chez les athlètes pour garder le moral lors d'une compétition. Il existe une grande variété dans les exercices de visualisation. Un autre particulièrement intéressant se fait sous la forme d'une visite de quartier. En petit groupe, les voisins passent de rue en rue, se présentent réciproquement leur vision sur la rue dans quelques années ou décennies. D'autres encore écrivent les articles des journaux dans 15 ou 20 ans, pour présenter des projets d'agriculture urbaine, de quartiers sans voitures... L'idée fondamentale de cet outil de prospection c'est qu'il implique l'individu à titre personnel et qu'il y prend du plaisir. Le futur, dès lors, ne peut qu'être qu'aussi bien que dans ces rêves éveillés. La visualisation fait partie des nombreux jeux de la Transition développés ces dernières années. Certains jeux comme la toile de résilience sont collectif et permettent

d’appréhender la force d'un groupe soudé et heureux.

Inclusivité

Autre notion clé de la Transition, l'inclusivité est l'idée que tout le monde peut prendre part à la Transition, cela a pour conséquences que l'initiative de Transition est apolitique car elle ne peut pas se priver du dialogue et du travail commun, avec une institution publique ou privée, du fait de désaccords politiques, idéologiques ou religieux. L'enjeu de la résilience et donc aussi de la survie de la ville et de ses habitants est le plus urgent.

L'initiative de Transition

L'idée principale lors du lancement d'un projet de ville en Transition, c'est de rassembler en un petit groupe, les gens du quartier, de la ville ou de la région qui se sentent concernés par les enjeux globaux et qui cherchent à agir sur place. La constitution de ce groupe peut se faire de manière très rapide si des voisins partageant la même vision échangent souvent entre eux mais parfois cela peut prendre des mois avant qu'une personne trouve quelqu'un proche de la où il vit qui se sente concerné. Une des déclinaisons de la pensée positive de la Transition, c'est que les personnes qui viennent à ces réunions de lancement sont les bonnes personnes, même si elles ne sont que deux.

Une fois le petit groupe initial constitué, le but est d'activer les réseaux, de communiquer de la manière la plus large pour savoir si des associations, des personnes, des entreprises ou des institutions publiques sont intéressées et si certaines sont déjà dans des démarches d'écologie pratique pouvant s'intégrer dans un projet de Transition à l'échelle d'une ville. Une fois ce grand inventaire réalisé, une fête appelée « grande libération » réunit les gens autour d'un moment festif et joyeux avant d'attaquer la partie plus complexe de la démarche. En effet l'une des étapes suivantes est de constituer des groupes thématiques (eau, agriculture, transports ...) relativement conséquents pour pouvoir réfléchir et proposer des projets concrets pour tendre vers plus de résilience et d'économie des ressources. Ces projets peuvent être plutôt symboliques comme replanter des carottes dans des jardinières, ou au contraire

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extrêmement concrets comme créer une monnaie locale. En dernier lieu il y a l'élaboration d'un plan de descente énergétique qui trace les grandes lignes en matière de réduction de la consommation et l'investissement dans des énergies renouvelables pour le village. Ces étapes, pour réaliser la Transition, ne sont pas à suivre de manière dogmatiques mais chacune marque un tournant dans l'action des habitants pour la résilience de la ville et renforce les liens entre les gens.

Phénomène international

En 6 ans, le mouvement des villes en Transition a pris une ampleur mondiale conséquente. Il y a aujourd’hui plus de 900 initiatives officielles et près de 1800 à travers le monde10. La plupart se situent dans des pays anglophones (Royaume-Uni, États Unis, Australie et Nouvelle Zélande) bien que des villages ruraux en Inde ou des mégapoles japonaises se soient aussi lancées dans des démarches de Transition. Un réseau international des villes en Transition11 basé à Totnes s'est constitué au fur et à mesure que les demandes d'informations et de formations sur la Transition affluaient. C'est aujourd'hui un réseau horizontal très actif, organisant régulièrement des rassemblements internationaux (dernier en date à Londres en septembre 2012) où les Transitionneurs du monde entier échangent leurs expériences et leurs idées.

Petites villes en Transition

La vision pragmatique et optimiste du changement proposé par la Transition intéressent surtout les petites villes ou villages de moins de 10 000 habitants et ce pour différentes raisons. La première vient du fait que ces villes souvent proches du milieu rural ont conservé certaines pratiques et un lien plus fort à la terre. Du coup la résilience alimentaire est plus simple à mettre en œuvre. Les revenus sont généralement plus faibles, les gens sont souvent à la retraite ou au chômage ils ont peut être moins d'argent mais plus de temps. A l'échelle de quelques milliers d'habitants il est plus simple de se retrouver et de s'organiser. Un sentiment de groupe, de communauté partageant certaines valeurs est plus simple à constituer. Les élus sont plus proches de la communauté.

10 Film In Transition 2.0,201211 Transition Network http://www.transitionnetwork.org/

Transition française

Le mouvement des villes en Transition en France représente 93 initiatives dont 51 créées en 2011, le mouvement en France est plus lent que dans les pays anglophones notamment du fait que la traduction française du manuel de Transition s'est faite en 2010. Comme dans beaucoup d'autres pays, les villes en Transition sont surtout de petites villes voir des petits villages comme Trièves en Transition dans la région Rhône Alpes.

Scepticisme français

Organisé de manière horizontale, le réseau des villes en Transition reconnaît de manière unanime et enthousiaste l'importance de l’œuvre Rob Hopkins et de l'expérience de Totnes. Ceci étonne certaines personnes en France à l'esprit très cartésien qui voient parfois le mouvement des villes en Transition comme une nouvelle secte12 dont Rob Hopkins serait le gourou, alors que celui-ci est plutôt quelqu'un de discret et timide. Ce scepticisme français vient peut être surtout du fait que le mode de pensée anglo-saxon moderne n'est pas commun à la pensée française. Le pragmatisme, l'apolitisme et l'optimisme, parfois très sentimentaliste, sont des attitudes très déroutantes pour l'esprit français. Les séjours de formation à la Transition peuvent aussi être vus comme une forme de sectarisme car lors de ces formations les gens sont amenés à faire différents exercices de psychologie du changement perçus souvent comme des moyens de mettre les gens sous influence.

De plus l'idée que de petits groupes d'individus volontaire (notion de communauté, voire de communautarisme) puissent solutionner des problèmes globaux comme le changement climatique est difficile à imaginer avec un esprit universaliste français. Cependant, cela n’empêche pas de nombreuses initiatives françaises d'exister et de changer les choses à leur petites échelles, qui à l'occasion adapte la Transition anglo-saxonne à la sauce française.

12 Emission d'Arte Global Mag du 03/02/10 « les villes en transition... avant-garde ou secte écolo ? » http://vimeo.com/20896435

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Travaux universitaires sur la Transition

Depuis le début du mouvement de la Transition, de plus en plus de chercheurs s'y intéressent. Dans l'espace francophone, on peut citer les travaux de Luc Semal et Mathilde Szuba qui ont été déterminants dans la médiatisation du mouvement en France notamment avec des dossiers dans la revue écologiste S!lence 13 et par leurs contributions à l'édition française du manuel de Transition. Plus récemment le Mémoire de Fin d’Étude du belge Simon de Muynck14, fait un retour sur l'expérience d'une trentaine de villes en Transition et met en avant certains facteurs limitant au mouvement de la Transition15. Ces facteurs de différentes natures sont le public relativement restreint concerné par la Transition (milieu écologistes et militants), la relation ambiguë avec les instances publiques nationales et les dérives possibles dues à l'utilisation simplificatrice des méthodes de psychologie du changement.

Moi dans tout ça

Intéressé depuis quelques années par différents mouvements comme les décroissants et les objecteurs de croissance mais aussi le mouvement des Colibri notamment porté par l'agroécologue Pierre Rabhi, je me suis rendu compte que le mouvement des villes en Transition me correspondait mieux. Les notions de pragmatisme face aux enjeux globaux et d'inclusivité pour éviter un maximum de clivages et de conflits ont l'avantage de se démarquer de l'écologie militante et accusatrice (Décroissance) tout en évitant d'aller trop loin dans une remise personnelle et spirituelle du monde souvent présente dans les milieux alternatifs et écologistes. De manière générale, la vision positive et le mouvement d'un changement par le bas, par les citoyens eux-mêmes me sont particulièrement proches.

13 Semal Luc & Szuba Mathilde, « Dossier - Villes, vers la sobriété », Silence n°365, p.4-18, février 2009

14 Simon De Muynck, Les villes en transition : discours, réalité, reproductibilité, 2009-2010 http://mem-envi.ulb.ac.be/memoires_auteurs.html#D

15 Simon De Muynck , Initiatives de Transition : les limites du mouvement, décembre 2011 http://www.barricade.be/spip.php?article285

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Schéma issu du Manuel de Transition (p 38) :

Les solutions qui permettent lutter contre le changement climatique et le pic pétrolier en même temps sont les plus viables. Les autres solutions ne font que générer d'autres problèmes. L'idée de considérer changment climatique et le pic pétrolier comme les résultats d'un seul et même problème est un des concept majeur des villes en Transitions. Schéma adapté de Brym Davidson : www.dynamiccities.squarespace.com

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Le jeu de la toile de résilience :

Les participants se s'attribuent des rôles d'habitants de la forêt (chêne, fourmi, hérisson,...) Puis en cercle, coudes à coudes, s'échangent une pelote de fil en fonction des interactions entre les habitants de la forêt (chêne protège écureuil, écureuil fait des réserves pour les oiseaux,...) Une toile se compose alors, issue des interactions entre les individus de la forêt. Cette toile, tendue est résistante. Si un habitant disparaît (chêne abattu) le participant lâche la toile qui du coup perd sa résistance, sa résilience. C'est un petit jeu simple pour expliquer une idée en apparence complexe. Image : http://transitionculture.org

Logo du réseau international de la Transition :Il est souvent repris par des initiatives locales.

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II Prospecteurs de Transition sur la métropole nantaise

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1 Initiative individuelle : les Ekovores des Faltazi

Contexte

A la fin de l'année 2009, l'agence de design nantaise les Faltazi débute une étude sur le monde de l'agriculture actuel et les futurs possibles pour la métropole nantaise et pour l'agriculture locale. Cet étude de prospective s'appelle les Ekovores.

Alterdesigners

L'agence Faltazi a été créée en 2000. Elle est issue de la rencontre entre Victor Massip et Laurent Lebot. Tous deux diplômés de l'ENSCI (Ecole Nationale Supérieure de Création Industriel), les designers se présentent comme les représentants d'une espèce en voie d'apparition : les « alter »designers16. Adoptant une vision pragmatique de leur métier et du monde industriel ils tentent de le faire évoluer petit à petit au regard des enjeux globaux que sont la raréfaction des

16 http://www.faltazi.com/ekokook/lab.html

ressources fossiles et la pollution de l'environnement. S'engageant pour un design plus écologique et économique ils abordent le processus de création industriel de manière systémique et cyclique : lors de l'établissement du cahier des charges avec une entreprise ils proposent des solutions visant à l'économie de matière, de transport et tout élément luttant contre l'obsolescence programmée et la surproduction de déchets. Pour exemple : le projet d'écoconception du Shock Absorber17. C'est une coque d'aspirateur en plastique léger (Polypropylène Expansé) formée à partir d'un seul moule ce qui diminue l'impact matériel et énergétique lors de la fabrication et de son recyclage.

Monsieur Faltazi

Depuis ses débuts, l'agence Faltazi maintient un équilibre entre une activité d'écodesign en prise directe avec le monde industriel et une activité plus prospectiviste, loufoque et ouverte vers des futurs mêlant haute technologie, changement des modes de vie et respect de l'environnement. Le projet « Monsieur Faltazi » est un imprimeur 3D à distance qui permet de fabriquer des objets dessinés par différents designers depuis l'autre bout du globe et éviter ainsi les problèmes liés à la production industrielle de masse et délocalisée. Ce projet permet d'explorer, d'imaginer le monde de demain de manière atypique, sympathique et décalée tout en restant sérieux et en prise avec les dernières avancées technologiques.

D'Ekokook aux Ekovores

Un des derniers projets des Faltazi est celui d'Ekook. C'est un projet de meuble de cuisine multifonctionnel répondant et mettant en exergue les nouvelles pratiques écologiques, il s'intègre dans une réflexion prospective globale de l'éco-habitat. Se démarquant du design hygiéniste et rationaliste du XXe siècle , le meuble est composé de modules visant à une meilleure utilisation de l'eau et au recyclage de tous les déchets issus de la cuisine des aliments. Il y a par exemple une micro usine pour les déchets organiques avec un lombricomposteur à roue. Des vers de fumier transforment petit à petit les épluchures de légumes

17 http://www.faltazi.com/

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et autres en engrais liquide et solide réutilisable directement dans la cuisine pour faire pousser des plantes aromatiques. En utilisant des techniques simples (low tech) comme la rotation progressive de la roue pour séparer les vers du compost mûr, la vision de la cuisine change. Le vivant vu comme une potentielle menace par le monde hygiéniste est ici intégré au fonctionnement de la cuisine pour une meilleure gestion des déchets et leur réutilisation dans les cycles de production alimentaire.

Bien que le projet d'Ekokook ait été salué et reconnu comme innovant par beaucoup (Carte blanche VIA 2010, salon du design Milan 2010), l'échelle de la cuisine n'est pas suffisant pour intégrer tous les enjeux écologiques liés à l'agriculture et à la production alimentaire actuelle. Voilà pourquoi quelques temps après les Faltazi se sont lancés dans un projet de prospective sur l'agriculture et l'alimentation à l'échelle de la métropole nantaise. C'est le projet des Ekovores. Le design par son aspect moderne et branché peut-il permettre au grand public de s'approprier les enjeux globaux de l’agriculture et de l'alimentation respectueuse des mangeurs, des producteurs et de l'environnement ?

Faltazi + ENSA Nantes

En parallèle à leur activité de designer, les Faltazi ont participé à l'enseignement d'une option de projet à l'ENSA Nantes. A la fin du premier semestre de l'année 2009-2010, un petit atelier de réflexion sur l'agriculture urbaine a été entamé avec les étudiants et les Faltazi notamment. Cette réflexion commune m'a permis de participer un peu au projet des Ekovores et d'observer le processus d'élaboration de ce projet.

Constats

Lors de l'élaboration du projet des Ekovores, un grand nombres de documents et d'informations ont été répertoriés en particulier à propos de l'état actuel de l'agriculture en France et des alternatives à l'agriculture conventionnelle. Cette phase de recherche a aussi permis des rencontres entre différents personnes (paysans, ingénieurs agronomes, étudiants, designers, architectes, élus...)

Agriculture : situation alarmante

Au niveau mondial, il est maintenant devenu clair à un grand nombre de paysans, de citoyens et d'experts que l’agriculture dite conventionnelle n'est pas si bénéfique que ce qu'on pensait dans les années 1950 au sortir de la IIe Guerre Mondiale18. Censée assurée la sécurité alimentaire pour l'ensemble de la planète, l'agriculture industrielle n'a fait qu’accroître les rendements de manière temporaire tout en détruisant la vie microbienne des sols nécessaire à la croissance des végétaux19.

La stérilisation progressive des surfaces agricoles génèrent un grand nombre d'autres problèmes qui ne cessent de prendre de l'ampleur : érosion des sols et inondations, défrichage à grande échelle de nouvelles terres encore riches en éléments nutritifs (déforestation en Afrique et en Amazonie), utilisation intensive d'intrants et de produits phytosanitaires issus de la pétrochimie ce qui consomme d'énormes quantités d'énergies fossiles et entraîne des risques sanitaires pour les paysans, les consommateurs et l'ensemble des milieux naturels. Tous ces éléments entraînent une désertification progressive à l'échelle planétaire.

Ajouté à cela, les règles internationales du commerce des matières premières génèrent de l'insécurité alimentaire dans de nombreux pays (Sud notamment) et poussent les paysans à abandonner l'agriculture vivrière au « profit » de la monoculture industrielle (par exemple accords de Blair House 1992)20. Enfin la fabrication et l'utilisation de chimères comme les OGM (Organisme Génétiquement Modifié) posent de graves questions sur le brevetage du vivant. La disparition de variétés régionales mieux adaptées aux conditions climatiques et donc nécessaires à notre survie et l'asservissement des paysans aux multinationales de l'agro-industrie fragilisent encore un peu plus la résilience alimentaire de toutes les régions du globe.

Au niveau national, l'agriculture et le monde rural ont été profondément transformés depuis les années 1950 avec l'utilisation intensive de procédés industriels, avec les politiques de

18 R. Dumont, L'utopie ou la Mort, 197319 C. et L. Bourguignon, Le sol, la terre et les champs :

Pour retrouver une agriculture saine 200820 M. Dufumier, Famine au sud malbouffe au nord, 2012

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remembrement des parcelles et la spécialisation des régions. L'agriculture subventionnée par l'Etat et l'Union Européenne induit dans de nombreux cas des comportements pervers comme la destruction du bocage ou la monoculture intensive au détriment de l'agriculture « biologique » et locale qui s'appuie sur les cycles naturels pour assurer une production de quantité et de qualité21.

Au niveau local, l'agriculture de la région nantaise est relativement bien lotie avec une diversité de cultures relativement importante (maraichage et élevage principalement) cependant cette agriculture reste majoritairement industrielle et inclus dans un système agro-industriel particulièrement fragile et déséquilibré notamment au niveau des systèmes de distribution.

Agricultures alternatives

Il existe aujourd'hui un grand nombre de pratiques agricoles alternatives qui sont efficaces en terme de rendements et nettement plus intéressantes en terme nutritionnel. Il existe de nombreuses appellations regroupant ces pratiques agricoles qui cherchent à se rapprocher au plus proche des cycles naturels : agriculture biologique, biodynamie, agroécologie22, agriculture naturelle23 ou permaculture24...Les variations entre ces différentes agricultures se font notamment en fonction des techniques utilisées : par exemple, semis direct sous couvert, paillage, assolement, associations de cultures, agro-foresterie, créations de haies et fossés.

Toutes ces pratiques présentent l'avantage d'être peu technologiques et appropriables partout dans le monde. « La nature, si on s'en sert bien elle a une gratuité qui est gênante à notre époque, il faut que tout le monde gagne de l'argent » Lydia Bourguignon dans Le temps des Grâces. Ces agricultures alternatives remettent foncièrement en cause l'organisation économique et sociale de la production et de la consommation alimentaire actuelle et donc la forme des villes et des campagnes. Il semble peu probable que le système agricole actuel soit prêt à un changement technologique et économique. Pour preuve,

21 Film : Dominique Marchais, Le temps des Grâces, 200922 Pierre Rhabi en est des représentant les plus connu.23 M. Fukuoka, La révolution d'un seul brin de paille, 197524 B. Mollison et D. Holgren, Permaculture 1 et 2, 1978

l'association Kokopelli distribue de manière très large et peu coûteuse des semences de variétés de légumes anciens pour assurer la diversité et la pérennité de espèces potentiellement utiles à une agriculture vivrière. Aujourd'hui cette association se retrouve en procès avec des semenciers industriels qui parlent de concurrences déloyales et d'illégalité en opposant leurs semences brevetées aux semences « libres » de Kokopelli25.

Mise en pratique à l'échelle individuelle

En parallèle au travail colossal d'accumulation de données, les Faltazi ont mis en place sur le balcon et le toit de leur agence un véritable potager hors sol pour tester à leur échelle les différentes techniques d'agriculture alternative. Ils ont pour le coup utilisé des semences distribuées par Kokopelli et ont suivi les conseils d’agriculteurs bio venus leur parler de leur métier. Ce potager est donc une expérience d'agriculture urbaine moderne.

Derrière les légumes, il y a des villes

Lors de ces longues heures de recherche et de renseignement sur l'agriculture actuelle, ses enjeux et les alternatives, ce fut la première fois que j'entendis parler des villes en transition. L'agriculture urbaine et la réappropriation de la production agricole par les habitants est en effet un des concepts essentiels pour la résilience des villes en transition.

En plus de l'agriculture intra-muros, le concept de production agricole en ceinture verte est assez vite apparu. L'idée étant que les cycles entre le champ et l'assiette soient les plus courts pour éviter de participer au système agro-industriel mondialisé d'aujourd'hui. Cette ceinture verte peut en outre être génératrice de nouvelles activités et métiers.

Objectifs

Au cours de la collecte de ces informations, différents objectifs sont apparus :

25 http://kokopelli- semences.fr/juridique/proces_perdu_2012

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-1 Informer de manière précise et synthétique un maximum de gens sur la situation actuelle de l'agriculture et ses enjeux à venir ainsi que les alternatives. Provoquer ainsi une prise de conscience large de la nécessité de changer de modèle agricole.-2 Proposer un schéma théorique d'organisation du nouveau modèle agricole en ceinture verte fondé sur un ensemble de cycles assurant l'équilibre et la pérennité de l'agriculture à l'échelle de la métropole.-3 Proposer une vision attrayante pour la métropole nantaise qui intégrerait ce nouveau modèle agricole assurant la résilience alimentaire de la métropole dans un futur proche.-4 Communiquer le plus largement possible

Processus créatif dans la durée

L'élaboration du projet des Ekovores s'est faite sous forme d'étapes, de rendus en présence de différentes personnes telles que des architectes, des agriculteurs et des responsables d'AMAP. Ces regards extérieurs ont permis d'analyser les éléments forts et ceux à améliorer aussi bien sur le fond que la forme. Dans les premiers temps, le projet s'est centré sur une analyse de la ville de Nantes et de la campagne environnante en fonction d'axes majeurs (axe fluvial avec l'Erdre, axe routier avec la route de Rennes, axe ferré avec la ligne 1 du tramway), l'idée étant d'imaginer quels aménagements et mobiliers urbains pourraient être faits pour rendre la ville plus efficiente sur le plan alimentaire et ou énergétique. Par exemple : un marché flottant pour acheminer la production maraîchère par bateau, des poulaillers urbains...

Par la suite c'est une approche plus systémique, plus théorique et aussi plus sociale qui a pris le pas. Des cycles vertueux de production et de consommation ont été imaginés. Ces cycles devaient d'être courts et locaux (production maraîchère locale et biologique, conserverie de quartier, compost retournant au maraîcher). De ces cycles ont émergés de potentiels nouveaux métiers et organisations. La création d'un univers virtuel fictif (site et réseau social) lié à cette ville verte a été aussi un bon moyen de projection, l'attrait pour les nouvelles technologies rend ludique l'exercice de prospective.

La dernière phase de l'élaboration du projet fut sa mise en forme avec : le choix d'un nom public(les Ekovores), la réalisation de vidéos « pédagogiques », la réalisation d'images photoréalistes pour présenter les équipements et les métiers de la future métropole en ceinture verte, la création d'un site internet, d'un dossier de presse...

Certains projets développés durant les phases de recherche n'ont pas été présentés au final par exemple : un jeu de cartes collaboratif mettant en scène les Ekovores.

Les Ekovores

Destiné principalement à être communiqué par internet et lors de présentations vidéo-projetées, le projet des Ekovores se compose donc d'un grand nombre de vidéos et d'images qui répondent aux objectifs fixés.

Les Faltazi ont réalisé la vidéo « légume ou pétrolégume ». Elle sert d'introduction au projet des Ekovores26. Très synthétique (10min), elle s'inspire de la vidéo de l'Ile aux Fleurs27 basée sur la répétition d'images et de concepts scientifiques simples pour que le spectateur comprenne rapidement les longues chaînes de causalité qui relie un producteur de tomates japonais à une décharge publique brésilienne dans le cas de l’Île aux Fleurs. Dans Légume ou Pétrolégume, on suit la logique d'un producteur de haricots au Mexique dont l'activité est incluse dans le système agro-industriel mondial (semences et intrants provenant des États-Unis). Demandant énormément d'énergies fossiles (pétrole) les haricots produits au Mexique sont appelés des Pétrolégumes. A l'opposé, est présenté un producteur de haricots de la région nantaise qui cherche à minimiser au maximum sa dépendance au pétrole pour faire pousser les haricots. Au lieu de parler de légumes bio on parle simplement de légumes car ce type production ne doit pas être vu comme une exception mais comme une évidence.

Une seconde vidéo produite par les Faltazi, présente les cycles courts et efficaces qui permettraient à la métropole nantaise de produire, de consommer et de recycler. Sous la forme

26 http://www.lesekovores.com/ 27 Film : Jorge Furtado, Ile aux Fleurs, 1989,

http://www.dailymotion.com/video/x13fp_ile-aux-fleurs_creation

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d'icônes animées, les cycles sont détaillés en fonction des filières (maraîchage, céréales, animaux,...), des acteurs (producteurs, consommateurs). L'ensemble de ces cycles très complexes sont résumés et montrent un ensemble cohérent qui nécessite beaucoup moins d'énergie fossile qu'aujourd'hui.

Les Faltazi en tant que designers ont aussi proposé un ensemble d'équipements urbains et ruraux qui rend plus tangible cette ville d'Ekovores. Toilettes publiques sèches générant du compost, poulailler urbain accueillant les poules d'habitants en vacances, pistes cyclables couvertes servant de serres, marché et parcelles potagères flottants,... Tous ces équipements questionnent le fonctionnement, les ambiances de la métropole future. Le photomontage permet de contextualiser l'utilisation de ces équipements et surprend le spectateur. La forme, le design de bon nombre de ces équipements présentent l'aspect futuriste tout en courbes (toilettes publiques aux allures de vaisseaux spatiaux). Certains équipements sont plus allégoriques, plus manifestes (poulailler sur un rond-point en forme de cocotte de papier).

Une série de portraits d'Ekovores vient compléter la vision de cette ville en ceinture verte. Les Ekovores ont des métiers atypiques voire loufoques (dealer de bananes importé en contre bande,...) L'invention de nouveaux métiers présente l'avantage de pouvoir se projeter rapidement dans ce futur, de voir si personnellement on se sent prêt à ce type de ville (serai-je un gardien de poule, un maître composteur...?).

Communication et retours :

Après des mois de recherches, de conception et de mise en forme du projet des Ekovores, il a fallu passer à la communication du projet à un public large. Cela c'est fait à la fin de l'année 2011 avec l'ouverture du site internet et par la parution de plusieurs articles dans la presse locale28. Par la suite, d'autres articles paraissent dans des revues culturelles (Télérama n° 3225, Musiques et Cultures Digitales n°65,...) et sur de nombreux sites et blogs dédiés à l'écologie au sens large. A noter aussi une parution dans la revue municipale Nantes Passion en janvier 2012.

28 http://www.lesekovores.com/ revue de presse

Le retour à Terre à Terre

Lors de la phase de recherche, les Faltazi ont dévoré les archives de l'émission Terre à terre sur France Culture29. Cette émission hebdomadaire va à la rencontre de chercheurs et porteurs projets alternatifs principalement dans le domaine de la préservation de l'environnement et de l'agriculture respectueuse de la terre. L'émission du 12 novembre 2011 a été consacrée au projet des Ekovores30. La boucle est bouclée. Les Faltazi présentent dans cette émission le projet et parlent de la philosophie avec laquelle ils travaillent en tant que « alterdesigner ». Ils argumentent le fait que le design n'est pas réservé qu'à l'industrie et qu'il peut s’intéresser à d’autres systèmes complexes comme l'agriculture.

Buzz

Sur la toile, les Ekovores ont très vite rencontré le succès. La page facebook31 comptabilise près de 900 mentions « j'aime ». Cette page interactive est devenue un point de relais d'informations sur l'écologie, les enjeux de l'agriculture actuelle et les alternatives en marche.

Présentations et conférences

En plus du site internet et des articles, les Faltazi ont participé à un grand nombre de conférences de présentations pour parler des Ekovores. Un des moment le plus important de ces présentations est le retour direct du public. J'ai pu assister à quelques unes d'entre-elles (notamment présentation des Ekovores aux adhérents EELV en octobre 2011) Les gens qui découvrent les Ekovores pour la première fois sont souvent partagés beaucoup sont enthousiastes d'autres plus réticents. Une question revient souvent sur le « décalage » entre les équipements très designés et leurs fonctions « rustiques ». A cela les Faltazi répondent que le but est principalement de réveiller l'intérêt du grand public sur la question agricole et alimentaire.

29 http://www.franceculture.fr/emission-terre-a-terre 30 http://terreaterre.ww7.be/produire-et-consommer-

local.html 31 https://www.facebook.com/lesekovores

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Participation Nantes 2030

La médiatisation du projet des Ekovores s'est faite dans la même période que la phase ce consultation de la démarche prospective de Nantes Métropole : Maville Demain. Ayant participé à plusieurs débats citoyens, les Faltazi se sont par la suite joints à un Groupe Témoin Prospectif en liaison avec l'AURAN et le cabinet RCT pour enrichir de manière plus précise la collecte de témoignages et élaborer une vision commune de la métropole pour 2030. Avec le recul, les Faltazi ne semblent pas totalement satisfaits de leur contribution, ils ont peur d'avoir été victimes d'un effet de récupération. Le fait que Maville Demain tente de rassembler un grand nombre de visions et de propositions différentes ne permet sans doute pas l'expression de toutes les idées à la fois.

Idéelles, les premières Ekovores

Au mois de mai 2012, l'association Idéelles du quartier de Malakoff à Nantes a pris contact avec les Faltazi pour voir dans quelle mesure ces femmes du quartier pouvaient devenir des pionnières Ekovores. Après concertation avec l'office HLM, elles ont mis en place un petit jardin (12m²) pour y faire pousser fleurs (tournesols) et légumes (tomates)32. En parallèle, Idéelles et les Faltazi ont rencontré des maître-composteurs de l'association Compostri pour mettre en place un compostage dans le quartier de Malakoff33. Le petit jardin semble avoir porté ses fruits à la fin de l'été et des bancs et tables publics sont prévus. Le lien social et le dialogue sont à l’instar de l'écologie des valeurs fortes pour les Idéelles. A voir dans l'avenir si les autres propositions des Ekovores deviendront réalité.

Moi dans tout cela

L'échange avec les Faltazi et la découverte progressive de l'état de l'agriculture d'aujourd'hui et ses alternatives s'est fait dans la durée et m'a permis de constituer une série de connaissances qui me servent aujourd’hui au quotidien pour réaliser ma transition personnelle (notamment dans le choix de mon alimentation) et en discuter avec mon entourage.

32 Ouest France du jeudi 15 mai 201233 Ouest France du jeudi 24 mai 2012

Cependant des questions restent en suspend. Les Ekovores révèlent parfois une vision paradoxale : on veut une ville résiliente en terme alimentaire mais d'autres aspects sont loin de la résilience. Lorsque l'on s'interroge sur les différents équipements on peut se demander comment une industrie locale peut produire des objets aussi « aguicheurs », plutôt liés à une société de consommation de masse.

Peut on réellement proposer des alternatives à l'agro-industrie tout en gardant des modèles de réflexion issus d'une société industrielle et capitaliste ? La tentation est grande de vouloir rendre « sexy » une ville alimentée par l'agriculture locale et respectueuse de l'environnement mais cela peut contribuer de manière inconsciente à un renforcement du Green Washing ambiant que tentent de mettre en place les lobbys de l'agro-industrie. Les Faltazi ne sont-ils pas à leur insu les promoteurs d'un merchandising de l'agriculture biologique en ceinture verte ? Eux qui tentent depuis des années de faire évoluer les processus de fabrication et de mise sur le marché des produits issus de l'industrie.

Les Ekovores révèlent une stratégie prospective d'experts. Pour le coup, des designers qui après s'être forgé de solides connaissances proposent leur vision du futur. Doit-elle être exclusive ou permet elle de s'y greffer et de construire à plusieurs, avec toute une métropole une vision prospective ? Cette démarche généreuse et personnelle des Faltazi pose la question de la spécialisation de nos vies. Il faut être expert dans tel domaine pour avoir voix au chapitre.

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Schéma des flux alimentaires dans la ville en ceinture verte des Ekovores

Maître conserve dans une conserverie de quartier

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Poulailler urbain

Toilettes sèches publiquesImages : http://www.faltazi.com/wordpress/tag/ekovore/

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2 Initiative institutionnelle : Mavi(ll)e Demain

Contexte

Au sein des institutions municipales, la prospective est de plus en plus utilisée pour pouvoir tracer les grandes lignes de développement des métropoles. Partant du constat que les changements économiques, sociaux et environnementaux s’accélèrent de plus en plus, il devient nécessaire de se projeter à moyen terme pour anticiper les évolutions des villes et des métropoles. Des projets comme la consultation internationale pour le Grand Paris (2007) ou Millénaire 3 à Lyon (depuis 1998) montrent bien l’intérêt des grandes métropoles pour la prospective. Nantes Métropole suit aussi cette tendance. En 1996, le District de l'Agglomération Nantaise (futur Nantes Métropole) lance le Projet 2005 qui se concentre sur la reconquête du fleuve et l'ouverture à l'international et au Grand Ouest par le biais des réseaux de transport. En 2010, Nantes Métropole lance un nouveau projet de

prospective se voulant ouvert au débat public et à la co-élaboration des visions pour la métropole à l'horizon 2030. Ce projet a pour nom « Mavi(ll)e Demain, inventons la métropole nantaise de 2030 ».

Un grand jeu d'acteurs

Ce projet de prospective institutionnelle est issu de la collaboration d'un large éventail d'acteurs regroupant les élus et leurs municipalités, les services publics, des chercheurs et groupes d'experts en urbanisme et prospective. Voulant susciter une implication citoyenne large, ce projet a aussi mobilisé des citoyens engagés, des écoles, lycées…

Les élus et Nantes Métropole

Lors de la réunion du conseil de la communauté urbaine, le 25 juin 2010, présidée par J.M. Ayrault, les élus des 24 communes de Nantes Métropole ont décidé le lancement de ce projet de territoire à l'horizon 2030 et se sont désignés comme instance de référence du projet jusqu’à sa finalisation. Conscients des enjeux urbains pour l’agglomération et souhaitant recueillir l'opinion d'un maximum d'habitants, les élus ont confié à l'AURAN la conduite et la coordination générale de la démarche (par le mandat de la conférence des maires du 04 septembre 2010). En outre les élus se sont chargés de relayer et d'organiser le débat public au sein de leurs communes respectives. L'échelle municipale trouve alors tout son sens car elle permet de répartir l'organisation de la démarche et d'économiser les énergies (humaines et matérielles). Nantes particulièrement active a aussi lancé Nantes 2030, pour recueillir les visions des nantais.

L'AURAN

L’Agence d'Urbanisme de la Région Nantaise est une association loi 1901 crée en 1978. Mandatée par Nantes Métropole, elle a pour missions d'observer et d'évaluer les évolutions de la métropole dans différents domaines (transports, économie, habitat). Ces études permettent la création de documents stratégiques pour le débat et la prise de décisions au sein de la métropole. Enfin l'AURAN est aussi un outil de prospective,

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d'innovation en matière de gouvernance et de communication34. Pour Mavi(ll)e Demain, l'AURAN a réparti la gestion du projet entre une vingtaine de ses salariés encadrés par Nathalie Hopp chargé de mission et par Thierry Violland directeur général de l'AURAN. L'AURAN n'a pas reçu de budget supplémentaire pour le projet. L'AURAN a travaillé avec un cabinet RCT spécialisé dans l'analyse des territoires et la communication.

Le cabinet RCT

Ce cabinet d'urbanisme privé a acquis une expérience aux fils des ans et des missions pour proposer aux institutions des diagnostics de territoires à partir d'une grande diversité de données (cartographies, statistiques, sondages,...) il est spécialisé notamment sur l'aspect développement durable des territoires. Travaillant à différentes échelles (de la commune au pays), il propose aussi des analyses de benchmarking pour permettre aux villes et aux régions de trouver des solutions innovantes déjà existantes ou en cours d'élaboration. Conscients des enjeux actuels autour de la communication des projets urbains, certains membres du cabinet ont aussi de l'expérience en terme d'animation, de communication et de démarches participatives afin de conseiller les institutions dans leur choix de communication avec le grand public. Pour le projet nantais, le consultant en aménagement et planification Jacques Degermann était très présent, il travaille en outre de manière similaire dans d'autres régions (Nord-Pas de Calais) sur les visions à l'horizon 2030.

Constats

La mise en marche du projet a été motivée par différents éléments identifiés par les institutions et les élus ces dernières années.

En premier lieu, c'est la croissance démographique et économique qui pose question. Avec 600 000 habitants en 2011, la métropole nantaise est la 5e agglomération de France par sa croissance démographique. Gagnant en moyenne 3 238 hab/an depuis 1999 (+5 503 hab/an entre 1990 et 1999). Cette croissance est dûe notamment à l'attractivité économique de la région (3e métropole

34 http://www.auran.org/

de France pour sa dynamique de création d'emplois). Les prévisions pour 2030 parlent de 100 000 habitants en plus dans la métropole. Cela pose donc clairement des enjeux urbains forts. Au niveau de l'occupation des sols, sur les 52 320 hectares que compte la métropole, déjà 32 % sont urbanisés et 7 % en plus pourraient l'être dans une urbanisation future, notamment si l'on conserve les processus d'urbanisation actuels. L'autre conséquence de la croissance démographique et de l'étalement urbain qui l'accompagne, c'est l'explosion des transports avec 2 millions de déplacements par jour.

Autre élément important, c'est l'impression d'une bonne qualité de vie dans la métropole avec un sentiment de cohésion sociale et territoriale fort. Les gens sont attachés à leur quartier, à leur ville et à leur territoire. Comment maintenir et développer cette qualité de vie dans une métropole attractive et dans un contexte économique (crise de 2008) et environnementale (changement climatique) peu rassurant.

Objectifs

Face à ces enjeux, la démarche de Mavi(ll)e demain s'est fixée des objectifs de différentes natures.

L'objectif principal est de définir des tendances, des visions pour l'avenir et ensuite une ligne d'actions pour les 20 ans à venir dans la métropole. Au regard des enjeux économiques et démographiques, il faut choisir les politiques à adopter au niveau local, régional et international et faire d'éventuels investissements dans des infrastructures, réseaux de transports, logements sociaux...

L'autre objectif, c'est celui de la participation citoyenne à la définition des visions pour la métropole. « Le débat ne doit pas être celui d'une institution. Il doit être celui de toute une métropole, chacun doit y être impliqué et doit pouvoir y participer »35. Ceci induit donc une collaboration massive et multi-niveaux entre élus, salariés de la fonction publique, associations et citoyens engagés pour susciter et porter le débat

35 Conseil de Nantes Métropole-communauté urbaine, réunion du 25 juin 2010, Démarche de projet de territoire à l'horizon 2030.

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dans de nombreux lieux de la métropole. La volonté de faire jouer la démocratie participative est donc très forte.

Planning de la démarche

Pour réaliser ces objectifs, l'AURAN au cœur du projet a mis en place une feuille de route pour mener à bien la consultation citoyenne ainsi que son analyse, et fournir une base de réflexion solide lors de la définition d'un cap par les élus de la communauté urbaine. La durée du projet est de 24 mois, de la fin 2010 à fin 2012. Cette période a été choisie notamment pour pour cause d'éloignement temporel avec les élections municipales (2008 et 2014) permettant une certaine neutralité politique pendant les temps du débat. Le projet s'est déroulé en 4 phases, rythmées par des rapports d'étape permettant de conforter certaines idées et de réorienter le plan initial en cas de besoin.

« La mise en mouvement »

La première phase s'est organisée autour d'une large série de consultations à la nature et aux objectifs différents. Le but étant de définir un cadre de réflexion pour le débat dans les phases suivantes.

Une première prise de température s'est faite auprès des citoyens par le biais d'un sondage « classique » de 5000 personnes par l'intermédiaire d'un questionnaire intitulé « Quelles questions pour l'avenir ? ». Composé de questions ouvertes et fermées, il ressort du sondage que les habitants souhaiteraient un développement économique de l'agglomération qui ne remette pas en cause la cohésion sociale et la qualité de vie actuelle.

Pour enclencher le débat, des outils édités par l'AURAN ont été mis en place notamment un site internet36 et la publication de divers documents d'information sur le projet de Mavi(ll)e Demain. Document guide, un livret informatif donne des chiffres clé sur l'agglomération nantaise et ses communes et un abécédaire sélectif donnant les définitions et des pistes de réflexions sur de multiples sujets liés à la métropole. Cet « Abcd'ère » va de « Accessiblité » à « Vote » en

36 http://www.mavilledemain.fr/

passant par « Aéroport, Déchets, Forme urbaine, Musique, Revenu, Tramway,... » Chaque sujet est défini de manière générale puis mis en regard avec des données (souvent statistiques) de la métropole et accompagné d'une série de questions ouvertes de la forme « et si...? ». Ce livret édité par l'AURAN s'appuie sur différentes sources internes mais aussi communales et nationales.

En parallèle le site internet dédié à Mavi(ll)e Demain reprend « l'Abcd'ère » et invitait chaque internaute à laisser des commentaires sur le mot de son choix. Bien entendu la publication de ces commentaires sur le site a subi une modération de la part d'un comité éditorial constitué d'experts de l'AURAN, notamment dans le cas de contributions intempestives issues d'un individu ou d'un groupe en particulier. En effet certaines personnes rivées sur leurs claviers ont fait des dizaines de contributions, parfois hors sujet vu que les mêmes arguments revenaient tout le temps. Cela pose donc la question des règles de débat démocratique sur les nouveaux moyens de communication (forum de discussions, mails,...)

Un débat cadré

En effet, en amont du lancement du projet, s'est constitué une charte sur les conditions de participation au débat valable pour toute la durée du projet et pour tous les types d'expression (orale, écrite, internet). Le débat concerne l'ensemble des habitants et des acteurs de la métropole, aucun thème ne doit monopoliser le débat, toutes les contributions doivent s'inscrire dans le respect des principes républicains donc interdisent tout propos racistes ou extrémistes, diffamatoires, attaques personnelles sur les croyances, les origines... En outre « la démarche vise à poser des questions sur les évolutions de notre territoire. Elle n'a pas vocation à se substituer aux procédures de concertation ou aux débats sur des projets précis, en cours de discussion ou de réalisation sur l’agglomération »37. Cette dernière condition très astucieuse permet d'éviter toute dérive du débat citoyen sur des projets d'infrastructure déjà engagés comme le projet d'aéroport à Notre Dame des Landes, le déplacement du MIN et la construction d'un nouveau CHU qui sont déjà actés, bien que leurs réalisations aient un impact

37 http://www.mavilledemain.fr/articles/18-conditions-de- participation.html ou rapport d'étape sept 2012

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fort sur la métropole nantaise pour les 20 années à venir.

Voici une série de contributions sur le thème de l'agriculture qui résume bien ces enjeux de débat démocratique sur internet, outil qui change profondément les équilibres dans l'expression d'idées :

« L'aéroport avec ses dessertes, vont détruire 2500ha de terres agricoles bocagères. »

Charles, Nantes, le 21/12/2010 15:06

« Charles, apparemment l’aéroport est un sujet qui vous passionne ! C’est bien normal, mais comme nous vous l'avons aussi rappelé pour les fiches "Emploi", "Etalement urbain", "Mondialisation", "Pays de la Loire", "Plan climat" et "Pollution", nous nous permettons de vous demander de ne pas détourner le site Internet de son but initial, qui est de faire émerger un projet global collectif pour la métropole nantaise à l’horizon 2030. »

Equipe Ma ViLLe Demain, Auran, le 17/01/2011 10:16

« Je comprends le souci de Charles. Ceci dit, dans une économie contrainte par l'énergie (ce que l'Auran a dû rapporter au personnel politique, non ?), l'agriculture urbaine et péri-urbaine va devoir jouer un rôle important pour nourrir les 500 000 habitants de l'agglomération. Imaginez : 1 500 000 000 (1 milliard 500 millions) de kcalories à apporter chaque jour dans les villes, avec un baril à 100$ en 2011, puis 150 en 2015, puis.. puis.. Gaspiller disons 2000 ha de terre agricole est un geste... bizarre. »

Xavier, Nantes, le 18/02/2011 15:05

« A l'heure de la mondialisation, des aliments (céréales, légumes, fruits, viande, lait...) arrivent sur les étals des commerces de l'agglomération et proviennent de chaque coin du globe. Je rejoins Xavier et suggère que nous développions un projet agricole qui permette à l'agglomération d'être "alimentairement" indépendante. Il

faut valoriser les exploitations maraîchères de l'agglomération qui produisent des légumes de saison, dans le respect de l'environnement, de la fertilité que le sol peut apporter, des insectes adjuvants et pour préserver des terres agricoles que l'urbanisation détruit peu à peu. Je souhaite être maraîchère à mon tour dans plusieurs années et l'état actuel de la politique de développement de l'agglomération ne m'offre pas de bonnes perspectives d'avenir. »

Nadège, Sainte-Luce-sur-Loire, le 27/02/2011 14:56

Issues de débats et de réunions organisés dans toutes les communes de l'agglomération, des dizaines de contributions « spontanées » ont aussi été réalisées par différents acteurs : écoles, lycées, chefs d'entreprises, agents du service publics, conseil de développement de Nantes Métropole,... qui présentaient chacun leurs attentes, leurs intérêts et leurs visions parfois utopiques pour l'avenir.

Un rapport d'étape38, sous la forme d'un livret identique au premier est paru en automne 2011. Il fait un retour sur toutes les participations effectuées entre la fin 2010 et l'été 2011. Après analyse et synthèse de ces « remontées du territoire », il en est ressorti que les habitants souhaitaient un développement équilibré. L’enjeu étant donc de définir différents modèles de ville répondant à ce développement et dans quels domaines intervenir pour s'orienter vers tel ou tel type de modèle. Une série de 9 questions thématiques a donc été élaborée pour réfléchir aux différentes options possibles pour le territoire dans 20 ans au vu des défis et des réalités actuelles. Voici la liste de ces questions :

-1.L’économie à la nantaise dans la mondialisation : quelle stratégie ?-2.Enjeux climatiques et énergétique: jusqu’où produire et consommer localement ?-3.Se former, travailler : s’épanouir demain ?-4.Ville nature, dense ou intense ?-5.Ville active et ville à vivre ?-6.Une ville vraiment pour tous : où en seront les solidarités ?-7.Vivre sa ville : en collectif ou en solo ?-8.Du quartier au Grand Ouest : à quelles

38 http://www.mavilledemain.fr/articles/172-les- publications.html

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bonnes échelles agir ?-9.Quelle place pour les nouvelles initiatives, nouvelles idées, nouvelles pratiques ?

« le temps des idées »

Les questions construites lors de la première phase ont permis de lancer le débat à grande échelle. Pour cela l'AURAN a activé le réseau le plus large possible. Des rencontres, des débats, des conférences, des ateliers et la venue d'expert ont été proposés à l'initiative des communes, des instances participatives, des institutions, des associations, des écoles et de nombreux habitants. En quelques mois environ, 12 000 personnes ont participé à la démarche à travers plus d'une centaine d'événements. Ces événements étaient soit organisés directement par l'AURAN à travers les « Café-débat 2030 », soit organisés par des instances participatives (conseils de quartier, conseil de développement,...) ou soit par directement par les habitants, associations, entreprises, partis politiques... L'idée d'impliquer une majorité de citoyens en multipliant les opportunités d'expression s'est concrétisée grâce à une occupation forte du terrain médiatique et spatial. Des événements ont eu lieu dans chaque commune. Il n'y avait quasiment pas une soirée sans événement lié à Mavi(ll)e Demain. De même pendant plusieurs semaines, une permanence a été installée sur la Place du Commerce à Nantes où une animatrice (CDI) informait et guidait les passants intéressés pour savoir comment ils pouvaient contribuer à la démarche.

Le kit d'animation de débat

Pour faciliter le débat durant cette deuxième phase, l'AURAN a édité une série de petites fiches thématiques rappelant des chiffres clé et des éléments de débat ainsi qu'un jeu de cartes. Ce jeu nommé Imaginons Nantes en 203039, est composé de 3 séries de cartes. La première, ce sont les 9 questions thématiques pour lancer le débat, la deuxième ce sont 5 questions clés pour approfondir le débat sur un sujet (comme : « Ce à quoi nous sommes attachés » ou « Ce que nous ne voulons plus en 2030 »), la dernière série de cartes ce sont des mini guides pour restituer les débats sous la

39 http://www.mavilledemain.fr/articles/144-les-outils-de- la-participation.html

forme de collage photo commun, de chanson ou slam, de discussion entre amis ou de visite de lieux en ville (idée déjà présente dans les outils de visualisation des villes en Transition). En plus des fiches type pour les compte rendu de débat ont été créées afin de faciliter les restitutions auprès de l'AURAN.

Pour l'avoir testé à plusieurs reprises, ce kit d'animation ne m'a pas forcément paru pertinent. Bien qu'il ait pu servir pour lancer certains débats, il m'a souvent paru artificiel. Les gens passaient souvent plus de temps à relire et essayer de comprendre les questions que de discuter réellement. Cet outil spécialisé a pu aller à l'encontre de la spontanéité du débat attendu. Tout devenait alors surjoué, on lisait les questions en se demandant ce qu'un élève modèle aurait répondu. De plus l'impression en masse de ces jeux de cartes pas forcément utilisés de manière optimale peut poser la question des coûts d'édition dans le cadre de cette démarche. De manière plus large l'ensemble des impressions dédiées à la démarche Mavi(ll)e Demain (questionnaires, jeux de cartes, rapports d'étape) pourraient être questionnées en termes d'utilisation d'argent public et d'impact environnemental (bien que certains documents édités l'aient été sur du papier recyclé).

Un aspect graphique multicolore

L'aspect graphique des documents papiers et du site internet est très intéressant. La charte graphique se sert des 3 couleurs primaires de manière récurrente, la typographie variée créée un sentiment de foisonnement d'idées et des petits pictogrammes dessinés au crayon ajoutent à cet aspect « home made », spontané, voir enfantin à l'image d'une production commune d'un atelier d'école. Comme si tout était en travaux, à construire à plusieurs. Cet aspect graphique est resté identique tout au long de la démarche bien que les derniers documents à l'image du rapport d'étape de septembre 2012 semblent déjà plus formalisés, plus clairs.

Le collectif Et alors

La démarche Mavi(ll)e Demain a aussi été communiqué à travers une série d'images réalisées par le collectif nantais d'architectes et prospectivistes : Et alors. Familiers des travaux de

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recherche urbaine et de prospective, ils ont notamment réalisé plusieurs études sur l'aspect et les ambiances possibles de villes ayant subies les effets du changement climatique (Rennes +6°C, Dunkerque +6°C, Paris +2°C). Contacté par l'AURAN, ils ont eu pour tâche d'imaginer différents scénarii pour Nantes en 2030. Par le biais de photomontages d'intentions ils ont proposer les ambiances de 5 métropoles différentes : Métropole Fertile, Intense, Aquatique, 2.0, Monde. Ces images reprises dans de nombreux documents et articles présentent des rues souvent très animées, cosmopolites, vertes et bardées d'éoliennes. En étroite collaboration avec l'AURAN et le cabinet RCT, ces images d'ambiances possibles ont évoluées au fil de la démarche pour se préciser petit à petit. En outre le collectif a aussi réalisé certains schémas explicatifs des différents scénarii.

Contributions fortes

Certaines contributions issues de divers horizons se démarquent avec le temps par la masse de travail fournie et par leur assez grande pertinence.

Groupe Témoin Prospectif40

Le Groupe Témoin Prospectif, initié par l'AURAN, se compose de 20 citoyens intéressés de près par la démarche et représentatifs de la métropole (cadre, ouvrier, agriculteur, designer, architecte, acteur de l'économie sociale et solidaire,...) Le groupe propose 3 lignes de force pour la métropole du futur.

Une métropole des quartiers intenses et solidaires où la densité du logement est acceptée par le biais d'espaces publics vivants et respectueux de tous et par une présence forte de la nature notamment avec la Loire.

Une métropole réseau robuste et harmonieux avec un fonctionnement autonome et optimisé (agriculture, transport et gouvernance) qui réunirait ses habitants.

Enfin une métropole des possibles et de l'ouverture mettant la créativité en avant,

40 Annexes au rapport d'étape Imaginer les possibleshttp://www.mavilledemain.fr/articles/148-principe-d-

imaginer-les-possibles.html

permettant une ouverture au monde et une transformation de la vie en entreprise. Cette contribution issue d'un collectif restreint est du coup plus complète et concrète sur certains aspects (notamment l'urbanisme et les réseaux de transports). La réflexion en petit comité a permis d'avancer plus vite et d'imaginer les choses de manière plus pragmatique.

Conseil de développement de Nantes Métropole

Un autre contributeur important a été le Conseil de développement de Nantes Métropole. Institué par l’article 26 de la loi du 25 juin 1999 sur l’aménagement et le développement durable du territoire, le Conseil de Développement a l'habitude de produire des publications pour Nantes Métropole ou pour d'autres institutions (SCOT, Région,..) il a, dès la première phase, participé au projet de Mavi(ll)e Demain. Avec 3 contributions majeures en 2012 pour le projet, le Conseil de développement a pu faire part de l'opinion de nombreux de ces adhérents (professionnels, associations, citoyens,...).

La contribution principale est un document d'une cinquantaine de pages appelé « Ambitions Mutations Nantes 2030, le scénario des possibles »41. Insistant sur trois grandes directions possibles pour la métropole, il met en avant la nécessité d'une meilleure coopération entre les instances publiques, les entreprises, les associations et les habitants pour garantir un équilibre social et pouvoir avoir une place dans les réseaux internationaux. Autre direction à poursuivre « la Métropole de la création collective », il faut mettre en avant l'emploi, les innovations numériques à l’œuvre, soutenir les projets citoyens. Enfin la métropole des anticipations s'attache aux questions de l'éducation, du sport et de la transition écologique comme facteurs de modernité. Cette contribution très large est comme un inventaire de sujets et d'initiatives déjà en marche sur la métropole qui seront prépondérant dans les années à venir. Une note particulière sur le chapitre réservé à la transition écologique. Bien que l'association Nantes en Transition n'est pas encore pris contact avec le Conseil de développement, les constats sont très

41 http://www.nantes-citoyennete.com/Publications.html Ambitions Mutations Nantes 2030, le scénario des possibles. Septembre 2012

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similaires dans l'impératif d'agir vite pour sortir de notre forte dépendance aux énergies fossiles, associée « à une politique d'accompagnement des changements de comportements à grande échelle pour un territoire 2030 capable d'absorber les chocs ». « Le constat que la société de 2030 ne doit pas avoir l'écologie triste » rejoint la vision positive de la transition face au changements nécessaires. Bien que le vocabulaire soit extrêmement similaire à des approches de ville en transition, on peut se poser la question du sens mis derrière ces mots sachant que le conseil de développement regroupe une multiplicité d'opinions et d’intérêts qui sont parfois loin de certaines valeurs défendues par le mouvement des villes en Transition. Pour exemple l'une des solutions proposées par le conseil de développement pour réaliser la transition écologique c'est la promotion de l'énergie de l'hydrogène stockée dans des piles à combustible, or cette technologie n'est actuellement pas rentable énergétiquement parlant, vu qu'elle nécessite l'utilisation importante d'énergie fossile pour la création des piles et leur chargement. Tout est à relativiser en fonction des informations connues et la synthèse faite par le conseil de développement pour sa contribution à Mavi(ll)e Demain pose le problème de l'immensité des informations aujourd’hui existantes et de leur tri pour ne conserver que celles qui sont les plus cohérentes dans tous les domaines.

Une autre des contributions, intitulée « pour une économie à la nantaise dans la mondialisation »42 rappelle les atouts économiques que sont les secteurs de pointes dans la région comme les recherches sur les énergies de la mer (centrales houlomotrices) mais aussi les capacités d'innovation dans le domaines des nouvelles technologies numériques et l'ESS (Economie Social et Solidaire), le tout baignant dans la solidarité et la collaboration entre les secteurs de la recherche, de l'industrie et de la formation. Cette contribution, à la différence de la première, impose clairement la nécessité du progrès technologique et économique comme condition nécessaire à la survie de la métropole.

42 http://www.nantes-citoyennete.com/Publications.html pour une économie à la nantaise dans la mondialisation Novembre 2012

La dernière contribution axée sur la Résilience43 de la métropole s'interroge sur les risques de catastrophes naturelles (séismes, changement climatique) et les accidents industriels potentiels (raffinerie de Donges, tunnel ferroviaire). Cette contribution assez atypique a le mérite de rappeler que de nombreux événements futurs sont imprévisibles et que l'avenir n'est pas tracé à l'avance.

Place publique aux experts

De nombreux experts se sont aussi penchés sur la démarche prospective nantaise. Une série de conférences organisées par le conseil de développement, l'AURAN et la revue Place Publique s'est déroulée entre la fin 2011 et le début de 2012. Les experts étaient invités à présenter leurs visions suivant leurs domaines d'études (géographie, urbanisme, sociologie,...). Le 26e numéro de Place Publique44 ainsi qu'un supplément dédié à Nantes en 2030 a été édité pour l'occasion et regroupe quasiment toutes les visions et analyses de ces experts.

Démocratie participative

Avec près de 22 000 participants et 1 500 contributions venues de toutes parts, la démarche Mavi(ll)e Demain a atteint son objectif de faire vivre le débat citoyen et proposer une solution pour incarner la démocratie participative, de manière innovante notamment par le biais de la participation par internet et l'ouverture dans la forme des contributions possibles. Comparé, à d'autres initiatives de ce genre réalisées par le passé ou dans d'autres villes c'est clairement une réussite d'avoir su susciter autant de participions citoyennes et libres. L'équipe de l'AURAN et les élus de Nantes Métropole en ont tiré une satisfaction certaine, admettant qu'il est toujours difficile de mobiliser énormément de personnes sur ce type de projet pourtant ouvert et participatif.

Cependant lorsque l'on met en perspective ces 22000 participations avec les 600 000 habitants actuels de l'agglomération on se rend compte que ces participations représentent un peu plus de 3 %

43 http://www.nantes-citoyennete.com/Publications.html Pour une métropole résiliente Connaître nos vulnérabilités. Octobre 201244 Place Publique n°26 mars avril 2011

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donc très loin d'une consultation majeure de l'ensemble des habitants. Il se peut donc que les 22 000 participants ne représentent que la petite partie de citoyens traditionnellement engagée et active de manière quasi permanente sur la vie de la cité et ces enjeux. Dans un souci de représentativité, je pense qu'il est légitime de se poser la question de l'échelle réellement efficace de ce type de consultation et par là même l'échelle efficace d'une gouvernance plus démocratique de la ville.

« Imaginer les possibles »45

Suite à ce foisonnement d'idées qui s'est étalé sur plusieurs mois, il a fallu trier, analyser et synthétiser l'ensemble des contributions recueillies soit près de 1500 ! Cela a été fait par l'AURAN en partenariat avec le cabinet RCT ainsi que des membres du Conseil de développement. Ces visions d'avenir ont aussi été croisées avec les visions du Groupe Prospectif Témoin et les schémas de développement construits par des experts.

L'ensemble de ce travail a abouti à la proposition de 3 visions pour la métropole croisant au mieux les souhaits exprimés et les possibles. En préambule à ces 3 visions, l'AURAN a aussi observé la récurrence de 4 grandes idées dans le discours des citoyens ayant participé au projet, ces idées viennent majoritairement des réponses aux 9 questions clés élaborées lors de la première phase :

Sentiment de cohésion sociale fort à Nantes

Les valeurs collectives et humanistes d'entraide, d'échange et de respect sont défendues par les citoyens comme un patrimoine local commun. L'idée du « faire ensemble » résume bien la volonté de gouvernance de l'agglomération, les acteurs de la vie sociale et les institutions travaillant de concert pour trouver des compromis. L'expression de « jeu à la nantaise », tirée du football symbolise clairement cette idée. Depuis quelques années elle envahie petit à petit les discours et devient un symbole récurrent de l'identité nantaise.

45 Rapport d'étape Imaginer les possibles sept 2012http://www.mavilledemain.fr/articles/148-principe-d-

imaginer-les-possibles.html

Sentiment de proximité, d'attachement au territoire et au cadre de vie

L'attachement des habitants à leur quartier, à leur ville et au territoire est aussi un élément fort, faisant partie de la qualité de vie « fondée sur l'équilibre entre cadre de vie, épanouissement individuel et vivre ensemble ». La vie de quartier est à préserver dans l'avenir. Il faut éviter de perdre la taille humaine qui fait son charme sans pour autant un repli sur soi. Un élément symbolique et marquant, c'est « la présence de l'eau et de la nature qui est un des facteurs principals de la douceur de vivre à la nantaise ». Les débats sont d'ailleurs toujours vifs et teintés de rêverie quand à la remise en eaux de l'ancienne Venise de l'Ouest (notamment de l'Erdre et de la Loire au niveau de l’île Feydeau)

Envie forte de s'ouvrir d'avantage au monde

Bien qu'attachés à leur territoire, les habitants ont une vision ouverte et positive sur le reste du monde. L'envie d'ouverture et d'accueil de l'autre favorisent la diversité et la tolérance. Ce sentiment est sûrement lié au passé maritime de Nantes et à la bonne santé économique et sociale de la métropole qui fait que l'arrivant récent n'est pas forcément vu comme un concurrent potentiel.

Bienveillance pour les questions de créativité

La capacité d'adaptation, de mutation, de créativité est vu aussi comme un élément important de l'identité du territoire. « Le mot dynamisme ressort fréquemment ». Il serait intéressant de chercher dans quelle mesure ce sentiment est ancien ou nouveau chez les habitants de l'agglomération. La politique d'encouragement à la créativité engagée depuis quelques décennies à Nantes et cristallisée dans le béton du Quartier de la Création sur l’île de Nantes ne doit pas être innocente dans l'expression de ce sentiment collectif.

Les 3 visions pour Nantes en 2030

Ces grandes idées chères aux habitants ont été intégrées dans les 3 visions pour Nantes en 2030.La cohésion sociale et la solidarité se sont imposéés comme une condition essentielle à la

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Page 42: Prospecteurs de Transition

réalisation de tous les projets de la métropole dans le futur. Cette valeur est donc transversale aux 3 visions. Pour les 3 autres idées fortes, chaque vision en met une en avant plus particulièrement. Première vision : La métropole de l'excellence et de l'international met en avant l'envie forte d'ouverture au monde. Deuxième vision : la métropole de l'innovation et de la créativité répond à la bienveillance des habitants pour les questions de créativité. Troisième vision : la métropole des liens s'appuie sur l'attachement au quartier, au territoire et à son cadre de vie exprimé par les citoyens.

La métropole de l'excellence et de l'international

Cette vision retient l'hypothèse d'un maintien de la croissance économique au niveau local et mondial qui permettrait à la métropole d'émerger au niveau international et de devenir le leader du Grand Ouest donnant l'impulsion. Pour cela la métropole peut s'appuyer sur des secteurs industriels de pointe déjà présents même de manière embryonnaire en 2012 notamment grâce aux technologies de captation des énergies marines, grâce au développement des matériaux composites et ultralégers destinés à l'aéronautique, grâce aux biotechnologies.. Ces pôles d'excellence seraient fortement soutenus par la puissance publique (subventions et pilotage de projets) et permettraient la création de filières. Cependant cela générerait des contraintes spatiales fortes centralisant les emplois dans un cœur d'agglomération très dense et dans les pôles technologiques. Pour compenser cela, les institutions se devraient de mener une politique sociale forte pour éviter une métropole à deux vitesses. Pour cela un réseau de transports collectif dense, efficace et ouvert au monde paraît nécessaire (aéroport, tram-train...). La nature est présente sous forme de parcs urbains et de végétalisation des bâtiments. Le citoyen est dans un rôle consultatif, simple usager des « richesses » générées par la métropole internationale.

Le rôle des puissances publiques serait donc primordial pour, à la fois porter la métropole à l'échelle internationale et éviter un délitement de la cohésion sociale, généré par les disparités économiques et sociales sur l'ensemble du territoire centralisé. Misant sur une croissance économique aujourd’hui inexistante, cette vision reste dans la

ligne d'état providence des 30 glorieuses tentant de faire face aux changements globaux en misant sur des progrès technologiques souvent mal connus par les décideurs et n'impliquant les citoyens qu'à titre consultatif. Bien que se présentant comme moderne en terme technologique, cette vision est plutôt passéiste en terme de démocratie et de respect de l'environnement.

La métropole de l'innovation et de la créativité

La deuxième vision est motivée par la possibilité d’innovations tout azimut et de la créativité dans le domaine artistique, des nouvelles technologies et des services. S'appuyant sur sa crédibilité et son expérience, l'agglomération posséderait un potentiel d'attractivité fort pour les créatifs de tout horizon, en leur proposant un cadre agréable combinant travail, formation et vie quotidienne. Les instances publiques joueraient le rôle d’arbitre dans l'attribution de subventions et dans la création de partenariats public-privé pour soutenir un foisonnement de projets portés par des citoyens entrepreneurs, créant et développant dans des réseaux locaux : « la métropole est une pépinière géante ». Spatialement on verrait donc l'émergence d'une agglomération multipolaire et un centre pour les grands services et équipements. L'espace public se mêlerait aussi à des espaces semi-privés calmes, donnant sur des formes nouvelles de logements (habitat partagé, logement intermédiaire...) La nature se verrait préservée dans les jardins privés des habitants. La recherche et l'enseignement, priorités majeures, serraient soutenus par des subventions. Basée sur une culture du risque et de l'innovation perpétuelle, le modèle peut à la longue s’essouffler surtout si les innovants ne sont que de passage et ne réinjectent pas dans le territoire la valeur ajoutée créée.

Cette vision, proche de la situation actuelle du Quartier de la Création à Nantes, n'est pas forcément multipliable à l'infini et demande beaucoup d'investissements initiaux sans gage de retour à long terme. De nombreuses métropoles semblent aujourd’hui s'être tourné vers ce modèle (Barcelone, Bilbao, St Etienne, Montpellier,...). Mais dans ce réseau des métropoles innovantes, il y a t-il y a assez de place pour chacun ? Cette vision semble chercher à maintenir la métropole dans l'air du temps, attentive ou attentiste face aux innovations. Elle investit sur tout ce qui est

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Page 43: Prospecteurs de Transition

nouveau pour capter les personnes et les entreprises créatives et créatrices de richesses.

La métropole « des liens » s'appuyant sur les ressources locales et la citoyenneté

La dernière vision s'appuie sur le constat global de la limitation des ressources à l'échelle planétaire et propose une métropole encourageant et soutenant toutes formes de productions locales destinées au bien être des habitants (agriculture, artisanat, industries...). L'implication citoyenne forte dans la vie sociale et professionnelle permettrait d'atteindre une métropole sobre aux liens sociaux forts et de proximité. La collectivité se devrait donc d'animer l'implication citoyenne, de l'organiser en délégant un grand nombre de services publics aux associations et aux initiatives personnelles. L'échelle du quartier comme pouvoir de décision deviendrait plus important. Les quartiers seraient plus autonomes et l'autoconstruction incitée. La forme spatiale de l'agglomération muterait vers un archipel dense limitant l'étalement urbain actuel. L'agriculture en ceinture verte et au sein même des villes permettrait le développement des circuit-courts et limiterait les déchets et la consommation d'énergies fossiles. L'emploi lié aux besoins locaux impliquerait un système de formation locale favorisant la polyvalence. L'économie sociale et solidaire et un tissu associatif dense renforceraient les liens entre tous les habitants. Coopérant avec d'autres villes de l'Ouest sur la recherche d'autonomie et de complémentarité, l'agglomération pourrait s’inscrire fortement dans les réseaux européens et mondiaux comme les slowcities, les villes en Transition... et devenir un exemple international dans le respect de l'environnement. La politique locale viserait à soutenir les initiatives visant à produire localement (agriculture, énergies renouvelables...), à inciter les citoyens à être acteurs de la métropole, à adopter des modes de vie sobres diminuant les déplacements (télétravail, e-administration...). Cette vision consciente de la raréfaction des ressources tenterait de rendre le plus autonome possible le territoire, les quartiers et leurs habitants, eux-mêmes conscients de la nécessité à s'impliquer dans la vie sociale et associative et à éviter tout phénomène de repli. Cette vision met en avant le citoyen et l'écologie pour palier aux problèmes économiques et environnementaux actuels.

Cette vision peut donc être vue comme une sorte de décentralisation à l'échelle de l'agglomération, de la commune qui ne pourrait pas faire face dans sa configuration actuelle à la raréfaction des ressources (naturelles et/ou financières...). Cette vision moins optimiste que les deux premières sur la situation mondiale actuelle, peut aussi être vu comme une vision plus réaliste et concrète des enjeux futurs, qui demandent un changement fort et rapide de la métropole et des habitants pour éviter toute panique et répercussion dramatique de la crise mondiale. Cette vision donne aussi l'opportunité au citoyen de s'impliquer d'avantage dans la vie sociale de son quartier et de sa ville. Cette vision présente de grandes similitudes avec les scénarii issus d'idées écologistes, décroissantes et altermondialistes. Cette vision rentre tout à fait dans un processus d'une ville en Transition et peut laisser penser que les contributions personnelles de plusieurs membres de Nantes en Transition et de beaucoup d'autres citoyens sensibles à ces questions ont été prises en compte.

« Choisir un cap »

Ces trois visions ne sont pas des scénarii exclusifs et figés, les agents de l'AURAN les ont présentées plutôt comme des tendances parfois contradictoires mais aussi potentiellement complémentaires. Le dosage entre ces trois visions et la décision d'un cap reviendra à la conférence des maires de Nantes Métropole lors de la quatrième et dernière phase du projet Mavi(ll)e Demain.

La décision finale du cap sera donc celle d'un petit nombre de représentants de l'ensemble des citoyens de la métropole, ce sont eux qui auront à décider des choix concrets pour la métropole de demain bien que certaines décisions pour les 20 années à venir aient déjà été prises en amont de la démarche prospective. La logique de la démocratie représentative reprend donc le pas sur la démocratie plus participative mais ceci est nécessaire, vu la taille irréelle d'une assemblée qui serait constituée des 600 000 habitants de la métropole. L'articulation entre la participation et la représentativité est donc complexe. Cette démarche innovante, prospective et démocratique est encourageante pour l'avenir et semble faire figure d'expérience pionnière notamment pour J.

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Degermann, qui à la fin du projet a reconnu l'efficience du jeu à la Nantaise et pour qui « Nantes a fait un travail qui mériterait de servir d’exemple à bien d’autres collectivités »46 .

L’exposition, bouquet final

Une exposition a été mise en place d'octobre à décembre 2012 pour restituer au grand public la synthèse de toutes les contributions et présenter les 3 visions pour 2030. Installée dans l'espace réhabilité de la Cale 2 des anciens chantiers navals, cette exposition marque la volonté d'inscrire la démarche Mavi(ll)e Demain dans la politique globale de la ville de Nantes et de faire vivre les anciennes friches industrielles réhabilitées en vitrine dynamique et créative de la métropole. Cette exposition met aussi en scène certaines contributions d'écoles (d'architecture, de design) qui invitent les visiteurs dans différents imaginaires. L'exposition présente aussi un aspect ludique et pédagogique, chacun peut s'essayer au métier d'urbaniste en dosant avec des billes, qui symbolisent les différents éléments des 3 visions, pour équilibrer la forme de la ville du futur. La scénographie dynamique est composée d'obliques d’aplats jaunes et noirs ponctuées d'icônes hexagonales et d'écrans plats aux vidéos informatives. La charte graphique a donc changée, le temps n'est plus au brouillon, au foisonnement d'idées et de couleurs, mais au sérieux et à l'initiative. Le site internet, clone virtuel de l'exposition, a aussi suivi ces changement formels.

Moi dans tout cela

Menant une étude sur cette démarche institutionnelle de prospective participative, j'ai participer aux débats publics lors de la deuxième phase. J'y ai aussi contribué dans le cadre d'un enseignement de projet à l'école d'architecture qui se présentait sous la forme d'un petit film d'animation en 3D immergeant le spectateur dans Nantes en 2030 et dans la Tour de Bretagne reconvertie en ferme urbaine intensive et verte. Ces contributions de fait, m'ont posé la question de

46 « Le jeu social à la nantaise est passionnant » J. Degermann 21 sept 2012 http://www.nantesmetropole.fr/la-communaute-urbaine/dialogue-citoyen/le-jeu-social-a-la-nantaise-est-passionnant--52812.kjsp?RH=1310549308680

l'effet « Big Brother » de cette démarche participative, la puissance publique cherchant par divers moyens à connaître, à s'approprier ou non les idées des citoyens et à anticiper leur aspirations.

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Schéma-planning de la démarche Mavi(ll)e Demainissu du rapport d'étape de septembre 2012

La métropole Intense pour Nantes 2030 par le Collectif Et alorsImage issue : http://www.etalors.eu/

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Page 46: Prospecteurs de Transition

3 Initiative citoyenne : Nantes en Transition

Point technique

L'étude de Nantes en Transition en tant que « prospecteur de transition » dans le cadre de ce mémoire, est particulière et ce à plusieurs titres. Premièrement, il y a un aspect personnel fort, vu que j'ai choisi l’attitude de participant-observant au sein de Nantes en Transition voilà plus d'un an. Cette posture m'a permis d'être plus proche de ce qui constitue une partie et aussi le fil rouge de ce mémoire. Cependant, cela nécessite quelques précautions vis à vis des personnes participant ou ayant participé de près ou de loin à l'aventure de Nantes en Transition. En conséquence j'ai fait le choix de ne citer que les prénoms des gens et d'utiliser la première personne du singulier pour relater des faits que j'ai vécus en direct. Autre aspect particulier c'est la démarche plutôt sociologique de cette partie, m'attachant aussi bien aux gens qu'aux idées et aux actions qu'ils proposent pour mettre en route la Transition sur Nantes.

La présentation de Nantes en Transition et son analyse ne suit pas totalement la grille d'analyse utilisée précédemment et est peut être plus chronologique bien que ces deux types de présentation se recoupent. Par exemple : ma découverte de Nantes en Transition s’apparente à la mise en contexte.

De Bullivers à l'ADDA

Avant mes études d'architecture, j'ai fait une première année de licence à l'université de sciences à Nantes, en biologie et géologie. Cette année 2008 fut marquée par un mouvement de protestation des étudiants et des lycéens contre la LRU (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités). A l'issu de ce mouvement, un groupe d'étudiants de l'université de sciences a décidé de créer une association permettant aux étudiants de mettre en place des projets écologiques (sensibilisation et actions) à l'échelle de la fac. Cette association nommée Bullivers a donc organisé plusieurs projections-débats de documentaires dénonçant les méfaits de l'agriculture industrielle et ses alternatives (par exemple le Monde selon Monsento). Bullivers s'est aussi fait connaître en mettant en place un potager didactique sur le site de l'université de sciences, et en organisant un circuit de distribution de paniers de légumes et de fruits issus de l'agriculture biologique, dont les tarifs, les modalités de commandes et les quantités sont adaptées aux étudiants. Ayant perdu de vue cette association et les gens qui en faisaient parti après mon entrée à l'école d'architecture, j'ai retrouvé la trace de Bullivers par hasard dans le local associatif de l'ADDA qui prête ses locaux pour la distribution des paniers par Bullivers. Le monde est petit.

L'ADDA

L'ADDA est une association nantaise créée en 2008. A sa création, l'acronyme signifiait Association pour le Développement Durable par l’Alimentation. Avec le temps, les adhérents de l'ADDA ont constaté que l'idée de développement durable était victime d'un suremploi par divers institutions et personnes qui ne concevaient pas tous le développement durable de la même manière qu'à l'ADDA. C'est pourquoi, suite à une assemblée générale extraordinaire en « mars 2011, l'ADDA a laissé de côté ses oripeaux de chez Dédé

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Page 47: Prospecteurs de Transition

(Développement Durable) »47. Ne se revendiquant ni de la croissance verte, ni du green washing mais pas non plus de la décroissance ou de l'environnementalisme, la seule étiquette nécessaire aux gens de l'ADDA est "AujourD'hui, restaurons DemAin". Leur « seul étendard est l'humain, à sa juste place sur Terre ».

Le local de l'ADDA

Situé dans le quartier St Félix Hauts Pavés à Nantes, le local de l'ADDA est un lieu fort. Au rez de chaussée d'une petite maison de ville, l'association a réussi à mettre en place un lieu de distribution bihebdomadaire de paniers de légumes et de fruits biologiques (environ 80 paniers par semaine), une cuisine collective pour cuisiner et mettre en conserve des surplus alimentaires et une épicerie associative distribuant les produits de plusieurs dizaines de producteurs locaux. En outre, on y trouve une petite bibliothèque sur l'écologie et les alternatives concrètes au sens large, un mur de petites annonces : « Je cherche-J'offre » et aussi un espace de troc anonyme : on peut y déposer des objets du quotidien qui ne nous servent plus et repartir avec des trouvailles fortes utiles. Dans la pièce arrière, donnant sur petite terrasse plantée et sur une cour commune, il y a aussi un espace de jeu pour les enfants, chacun y trouve son bonheur.

Le local est un lieu aux ambiances multiples suivant le moment de la journée et les personnes qui s'y trouvent. Véritable fourmilière lors des distributions de paniers de légumes, les gens se croisent, s'entraident pour confectionner les paniers, échangent sur la vie du quartier, le dernier film vu au cinéma... Lorsque quelqu'un en fauteuil roulant arrive, on s'empresse d'aller chercher la planche en bois pour pouvoir passer le seuil de la porte. Lorsque quelqu'un transporte une chose lourde, une cagette de patates par exemple, une main supplémentaire vient toujours à la rescousse.

A d'autres moments, le local devient un lieu de ressource, de refuge et de calme. L'épicerie redevient le petit salon de maison où l'on discute, où l'on prend un café et où l'on mange en petit comité. La parole est libre et les rires jamais très loin. Certains y passent en coup de vent pendant une pause ou après le travail, d'autres moins

47 https://sites.google.com/a/adda.asso.fr/adda/Home/Un-peu-dhistoire

pressés ou à la retraite y restent des heures pour surveiller la cuisson des futures confitures et autres conserves. La cuisine n'est pas qu'un lieu fonctionnel, c'est aussi un lieu de rencontres et d'échanges.Toutes ces utilisations concentrées dans un si petit espace sont donc le résultat d'une aventure humaine singulière et en perpétuelle évolution.

Le jardin de l'ADDA

Un jardin (le Jardin de la Carterie) à quelques mètres de l'ADDA est entretenu par certains adhérents, qui font pousser en bac, des légumes et autres, le sol étant pollué par du plomb. Ce jardin est un lieu de vie fort, servant à la fois pour s'y rencontrer au calme et pour s'y ressourcer au contact de la nature.

Les gens de l'ADDA

Avec le temps, le nom de l'ADDA désigne aussi bien le local que l'association, ses adhérents et plus largement toute la vie qui y foisonne. En effet, l'ADDA c'est aussi et surtout un lieu de sociabilité pour plusieurs centaines d'habitants (du quartier et de Nantes). Il y a près de 300 adhérents à l'ADDA. Qu'ils soient ouvriers, étudiants, cadres, retraités, ou sans emploi, des dizaines de femmes, hommes et d'enfants se croisent et se retrouvent quasiment tout les jours de la semaine. A l'ADDA on n'y vient pas que pour avoir dans son panier des légumes sains et produits localement, mais aussi pour avoir une vie sociale riche et locale.

Évidement, il y a toujours certaines personnes qui, de manière organique, sont au cœur de ce genre d'aventure, à l'instar de Claire et de Xavier qui est le président de l'ADDA. Ce couple fait partie des membres fondateurs de l'association. Claire s'occupe du local quasiment tous les jours. Elle y accueille les gens, gère l'épicerie et les stocks, anime le site internet de l'ADDA, propose des sorties et des rencontres insolites avec les gens du quartier... Jamais seule, elle est toujours en compagnie d'autres adhérents de l'ADDA pour aller chercher des invendus au MIN (Marché d’Intérêt National), faire des conserves et cuisiner... Il y a toujours quelque chose à faire, quelqu'un avec qui discuter, avec qui fumer une cigarette sur le pas de la porte ou avec qui prendre un café (issu du commerce équitable faute de producteurs locaux).

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Page 48: Prospecteurs de Transition

Xavier, lui est statisticien et consacre beaucoup de son temps libre dans différentes associations comme l'ADDA, Nantes en Transition ou bien encore Ecopole. Présent quasiment tous les jours de « non fermeture du local », il participe aux distributions de paniers de légumes, renseigne les gens sur les commandes, fait du lien. En bon statisticien qui aime éplucher l'information, il se tient informé en permanence sur différents sujets globaux (changement climatique, commerce international…) et des sujets locaux (vie associative nantaise, projets urbains...). Des vies riches et diverses en terme d'activités, de rencontres et d'idées.

Bien sûr l'ADDA ne se résume pas à deux personnes, loin de là. Il y a plus d'une trentaine de personnes très actives au sein de l'ADDA qui suivant leurs envies et leurs talents s'occupent de la cuisine, de l'épicerie, du jardin... chacun prend sa place de manière naturelle et joyeuse et participe sans arrière pensée à la vie de l'association. Un conseil d'administration se réunit de manière régulière pour décider des orientations futures de l'association : mettre en place de nouveaux projets, gérer la trésorerie, entretenir les relations de confiance avec les producteurs locaux et les associations partenaires. La gestion de l'association se veut la plus fluide et la plus démocratique possible.

« L'ADDA n'est pas fermé »

L'association n'est pas un club fermé d'habitants du quartier et/ou « d'intégristes » écologistes. L'association est ouverte sur la vie du quartier, sur la ville de Nantes et au delà en étant membre de l'Atelier des Initiatives, des Ecossolies, de Compostri, des Echo-habitants, des Amis de la Terre et d'Ecopole.

Dès sa création, l'ADDA a noué des contacts avec des institutions et des associations motivées par les mêmes visions sur l'écologie et le développement durable au sens large. Voici la liste des associations en partenariat avec l'ADDA48 :

_IEM (Institut d'Éducation Motrice ) de La Marrière de Nantes_ATAO, atelier de de dynamisation

48 https://sites.google.com/a/adda.asso.fr/adda/Home/partenariats

_Cathy et Eric Marché de la boulangerie "pain, beurre et chocolat" _L'association Bullivers d'étudiants de l'université de Nantes qui distribue ses paniers bio au local le mardi soir pour une cinquantaine d'étudiants_L'association Humus 44 qui fait la promotion des gestes écologiques au quotidien_Nantes en Transition NET qui œuvre pour la résilience sociale et énergétique (association hébergée au Local)_Les ateliers de Mélanie sur l'expression théâtrale (association hébergée au Local)_L'association de quartier Carterie-Chateaulin_Café des enfants : A l'abordâge_Le théâtre potager proposé par l'association_Cultures au carré qui participe au jardin_Le théâtre Le Cabanier_La CLISSAA Voir et Agir de Nantes_Le CCAS de Nantes pour les paniers solidaires

Le local est un lieu partagé avec un grand nombre d'associations qui utilisent le local de manière hebdomadaire à l'instar de Bullivers, ou de manière ponctuelle pour venir y présenter des idées, des projets ou y proposer des ateliers comme Vélocampus, Alisée...

Tissu associatif nantais

A travers toutes ses activités, l'ADDA est très fortement intégrée dans le tissu associatif nantais. Parmi les centaines d'associations nantaises concernées par l'écologie et la culture, l'ADDA connaît et s'est fait connaître auprès de plusieurs dizaines. Un des points centraux de ce réseau associatif nantais est l'association Ecopole qui est le Centre Permanent d'Initiatives pour l'environnement du Pays de Nantes. Regroupant environ 250 membres (associations, entreprises, institutions et individuels) Ecopole existe depuis 2000 et est devenu au fil des ans un acteur majeur de sensibilisation, d'information, d'action, et d'accompagnement en matière l'écologie et de développement durable. Ce tissu d'associations est très actif et présente un large panel de projets que je qualifierai d'écologie pratique ou concrète. En effet de nombreuses et nombreux nantais sont conscients des enjeux de la préservation l'environnement et de lutte contre le changement climatique et c'est pour cela qu'un nombre de plus en plus important de gens s'investissent dans des projets associatifs visant changer nos pratiques non viables, par de petites actions dans le domaine de l'alimentation, de l'habitat ou des transports. A

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travers le filtre des villes en Transition on peut considérer que beaucoup d'associations et de citoyens nantais font de la Transition au quotidien, sans le savoir comme M. Jourdain.

Un quartier en mouvement

Le quartier St Félix-Hauts Pavés au Nord Est de l'hyper centre ville nantais est particulièrement dynamique en terme de vie associative et politique. Le local de l'ADDA se situe à côté de la permanence de François de Rugy, député d'Europe Écologie les Verts. Le siège d'Écopole, CPIE nantais (Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement) se situe à quelques pas de la rue de la Carterie, rue du local de l'ADDA. A côté d'Écopole, on trouve l'espace Simone de Beauvoir, espace de défense et de promotion des droits des femmes. De l'autre côté de la rue Paul Bellamy, on trouve le local associatif et autogéré de B17, utilisé par des dizaines d'associations et syndicats politiques. Ces quelques lieux sont les témoins d'une vie associative et politique forte, la relative centralité de ce quartier dans l'agglomération en est sûrement l'un des nombreux facteurs.

De l'ADDA à NET

Venant de manière hebdomadaire au local de l'ADDA pour la distribution de paniers avec Bullivers, j'ai, avec le temps, découvert le fonctionnement de l'ADDA et croisé des gens très sympathiques et ouverts. Sans me douter que parmi eux se trouvaient des « transitionneurs » en puissance.

27/02/12 Lancement de Nantes en Transition

En février 2011, une chaîne de mails, propose un lien vers le site d'ATTAC49, qui invitait à la première réunion de lancement de Nantes en Transition le dimanche 27 février 2011. Le lieu de cette réunion était la salle municipale Marion Cahour à Nantes, non loin de l'ADDA. J'ai alors réalisé que les organisateurs de cette journée étaient pour partie les gens de l'ADDA, reconnaissables notamment à leur convivialité, aux plats, gâteaux faits maison et à la joie de vivre

49 http://www.france.attac.org/archives/spip.php?article12253

identiques à l'ambiance du local de l'ADDA. Cette journée a rassemblée plus d'une centaine de personnes curieuses et attentives, pour beaucoup déjà engagées dans de associations nantaises concernées par l'écologie. La journée s'est déroulée autour de deux temps forts : une conférence gesticulée d'un certain Mathieu sur le changement climatique, intitulée « Climat d'urgence » et la projection du Film anglo-saxon In Transition 1.0, suivi d'un forum ouvert sur la vie sans pétrole à Nantes. Ce moment de débat en petits groupes a été l'occasion de rencontrer des gens de tous les âges et de toutes les professions. On a discuté, on s'est projeté ensemble dans un futur sans pétrole. De la prospective en direct, pas formalisée, pas chiffrée par une institution d'urbanisme. Bref on a refait le monde en un quart d'heure à 10 personnes et ça faisait du bien.

Cette journée a été pour moi un moment crucial. Je ne pense pas avoir vécu le syndrome du stress post pétrolier décrit dans le manuel de la transition, ou alors de manière très progressive lorsque petit à petit depuis l'enfance j'ai récolté des informations sur la raréfaction des ressources et des dérèglements, causés par la civilisation moderne à l'échelle mondiale. Cependant la découverte d'une initiative de Transition dans ma propre ville m'a donné un grand bol d'optimisme, l'avenir n'étant plus vu de manière négative mais positive. Par manque de temps, je n'ai pas pu participer dès les premiers mois à Nantes en Transition. En effet les projets à l'école d'architecture sont très chronophages surtout durant ce 2e semestre de 2011, où le site de projet était à St Nazaire. Cependant ce projet à St Nazaire m'a aussi fait rencontré des personnes très actives et engagées sur l'écologie pratique, la décroissance et la Transition à St Nazaire, notamment à travers l'association Lien Alimenterre qui met en réseau des jardiniers sans jardins avec des propriétaires de jardins voulant partager leur potager.

Participation-observante

A la rentrée 2011-2012, je choisi d'étudier la Transition à Nantes dans le cadre du mémoire de master. Pour cela j'ai décidé de m'impliquer dans la vie de Nantes en Transition. La première étape a donc été de participer à la réunion mensuelle d'octobre 2011. Je me suis présenté, dit que je

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faisais mon mémoire sur la Transition. Puis je me suis tu, ai écouté les autres membres parler. Au fil des réunions et des événements organisés, j'ai petit à petit mis de côté mon rôle d'observant pour souvent être plus dans le faire avec les autres. Les traces écrites et graphiques ne sont pourtant pas inexistantes, elle sont même plutôt abondantes : elles sont soit issues de petites prises de notes personnelles soit issues du travail collectif de Nantes en Transition stockées dans des classeurs ou dans des dossiers virtuels partagés en ligne. J'ai donc ré-ouvert aujourd’hui ses souvenirs pour voir ce qui en reste au bout de quelques mois.

Constats ayant menés à la création de NET

La création de Nantes en Transition s'est faite entre la fin de l'année 2010 et le début de l'année 2011. Elle est le résultat de rencontres et d'initiatives de nantais déjà familiers des questions économiques, sociales et environnementales à l'échelle mondiale.

N'étant pas encore au courant de la transition lorsque Nantes en Transition a été créé, je m'appuie pour partie sur le travail de mémoire de Pierre-Yves Lacombe daté de juin 2011 intitulée « Le Mouvement de la Transition ». En effet Pierre-Yves Lacombe, ancien élève de l'ENSA Nantes a suivi de près la création de Nantes en Transition dans le cadre de ses études à l'IUP (Institut d'Urbanisme de Paris). Sans s'être concertés et l'ayant rencontré de manière fugace lors de la journée de lancement de Nantes en Transition, on pourrait y voir une sorte de continuité dans de l'étude de la vie de Nantes en Transition.

Nantes en Transition est née de la rencontre entre deux personnalités complémentaire : Xavier de l'ADDA et Mathieu. Mathieu est un jeune chercheur en biologie marine à l'Ifremer de Nantes. Spécialisé dans l'étude de « l'organisation spatiale des bancs de poissons dans les écosystèmes pélagiques », il préfère se présenter comme un « compteur de poissons » notamment lors de conférences gesticulées. Au contact direct avec un des indicateurs du dérèglement global de la vie dans les océans, il se questionne depuis longtemps sur les moyens dont on dispose pour changer nos comportements et limiter notre impact sur l'environnement. Il est, ou a été, membre de

diverses associations écologistes et militantes (Virage Energie Climat, ATTAC, Bizi...).

La déprime du sommet de « Flopenhague »

En tant que militant écologiste et altermondialiste, Mathieu a monté le Collectif Copenhague composé de nombreuses associations militantes dans le domaine de l’écologie et de l’économie sociale et solidaire, afin d’organiser des actions de sensibilisation à Nantes avant la conférence internationale de l’ONU sur le climat, en 2009. Cependant, cette conférence internationale a déçu beaucoup d'espoirs quant à une réelle coordination et action possibles de la part des pays membres car se sont principalement de grandes puissances mondiales dont les intérêts économiques et militaires ne se sont jamais accordés avec les enjeux environnementaux.

Après à cet échec intergouvernemental, il est apparu chez certains militants écologistes et altermondialistes, un sentiment d'impuissance dans leurs moyens d'action. Le lobbying des ONG comme les Amis de la Terre ou Greenpeace se confronte souvent à la lenteur de réponse et d'action, voir même à l’indifférence, des institutions privées et publiques. En outre, les actions spectaculaires, très médiatiques, perdent petit à petit de leur force car elles deviennent récurrentes et de plus en plus difficiles à réaliser. Pour exemple : un ancien militant de Greenpeace s'est vu condamné à une peine de 3 mois avec sursis pour avoir tenté à plusieurs reprises d’empêcher le décollage d'avions sur le tarmac de Roissy50. Face à tous ces constats, des gens comme Mathieu ont cherché d'autres manières de s'activer et d'activer les autres autour d'eux. Deux réponses se sont alors dessinées : Les conférences gesticulées et le mouvement des villes en Transition.

Les Conférences gesticulées

C'est une forme de communication récente, développée par la SCOP Le Pavé, qui se situe à mi chemin entre la conférence classique et le théâtre comique. Le but est de présenter de manière ludique et didactique des événements politiques ou

50 « Roissy : condamnation confirmée en appel contre le militant anti-avions ». Le Parisien 30/11/2012

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des dossiers scientifiques relativement complexes (par exemple le réchauffement climatique, le Grenelle de l'environnement, l'Education Nationale...) par le biais d'une mise en situation personnelle. Le conférencier-acteur analyse sa propre expérience du sujet de manière souvent ironique. Le but est que le spectateur puisse comprendre facilement le sujet complexe (savoir froid) tout en s'identifiant et en partageant les sentiments et les expériences véridiques (savoirs chauds) du conférencier gesticulant. Cette nouvelle forme de communication à l'avantage de pouvoir toucher un large public sans pour autant tomber dans un discours simpliste et artificiel. Mathieu fait partie des premiers gesticulants formés par Le Pavé. Sa conférence s'intitule : Climat d'urgence. Elle présente de manière simple son métier de chercheur, les phénomènes qui entraînent le changement climatique, notre addiction collective aux énergies fossiles, il analyse la conférence de Copenhague en 2009 et ses désillusions, et clôture par une vision positive en parlant des alternatives énergétiques et sociales. Rappelant qu'il est nécessaire d'agir dès maintenant. Il a modifié quelque peu sa conclusion ces derniers mois pour parler aussi de Nantes en Transition.

L'espoir des réunions à l'ADDA

De son côté, Xavier anime à l'ADDA régulièrement des soirées « ce que j'ai compris sur » qui abordent des sujets variés comme la crise financière de 2008, le changement climatique, les matières premières non renouvelables, le beurre de karité ou les jardins partagés. En novembre 2009, Xavier et Mathieu décident d'organiser une soirée sur la Transition, que Mathieu a découvert par le réseau d'ATTAC, et Xavier sur internet. La première soirée réunie une trentaine de participants. Une deuxième soirée plutôt ouverte aux personnes s'étant documentées sur la Transition et voulant former un groupe initiateur se révèle comme une surprise pour Mathieu et Xavier. En effet, les niveaux d'information sur le pic pétrolier étaient très différents suivant les personnes et certaines étaient septiques quant à l'inéluctabilité du changement à l'origine du concept de la Transition. Celui-ci s'appuie pourtant sur les faits scientifiques du dépassement du pic de pétrole et le changement climatique. Ces deux premières réunions donnèrent un bon aperçu de ce qui attendait le groupe initiateur. Sans être

découragées, les personnes motivées et convaincues par l'idée de la Transition décidèrent de se réunir régulièrement, de créer l'association Nantes en Transition et d'organiser une grande journée de lancement le 27 février 2011 à l'occasion de la journée nationale de la Transition proposée par la revue S!lence. Suite à cette grande journée de lancement, Nantes en Transition a organisé durant l'été 2011 deux pique-niques avec pour défi que chaque participant ramène des denrées produites à moins de 50km. Le groupe Nantes en Transition comprenait alors une quinzaine de personnes se retrouvant mensuellement pour éviter tout risque d’essoufflement de ces membres déjà très occupés.

Les gens de NET

Parmi la quinzaine de personnes présentes régulièrement dans les réunions de NET, il y a une diversité d'âges et de professions relativement importante. La parité est en général respectée. Cependant une sorte de profil commun se dégage. L'ensemble des personnes sont relativement bien informées sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux à l'échelle mondial mais aussi locale et présentent des intérêts forts pour les alternatives dans un grand nombre de domaines (alimentation, habitat, transport, énergie...). La majorité des personnes sont déjà impliquées dans d'autres associations concernées par l'écologie pratique ; ainsi Sarah fait partie d'Humus 44, Nicolas fait parti d'Ingalan (groupement d'achat solidaire et promotion du commerce équitable), Sylvain est membre d'HEN (Habitat et Energies Naturelles) un certain nombre font partie de l'ADDA comme Xavier, Claire, Alice, Catherine... Ces divers engagements dans d'autres associations qui font de la Transition sans le savoir, rendent certaines réunions parfois complexes et cocasses. Chaque personne a plusieurs « casquettes » en même temps. Mais c'est aussi un avantage indéniable pour recouper des informations, nouer des contacts entre associations ce qui en soit est déjà un aspect de la Transition. Durant l'été 2011, deux personnes de NET (Johanna et Chrystelle) ont participé à une formation de deux jours aux outils et des jeux de la Transition.

Bien que Nantes en Transition soit avant tout une réunion de personnes se sentant

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concernées par les changements globaux en cours et les actions à mener en conséquence, il a fallu créer aussi une association loi 1901 notamment pour avoir un statut juridique et pouvoir monter des projets transitionnels qui nécessiteraient une trésorerie ou un reconnaissance institutionnelle. L'association est vue avant tout comme un outil, pas une fin en soi.

Objectifs de Nantes en Transition

Voici l'objet de l'association qui me semble bien résumer les objectifs de Nantes en Transition :

favoriser une dynamique locale en vue de se préparer à la raréfaction des ressources et à ses conséquences, dans l’esprit du mouvement des villes et territoires en transition (voir préambule, qui tend à la décroissance énergétique et au renforcement de la résilience locale ; la zone géographique considérée est celle de l’agglomération nantaise, incluant les communes nécessaires à la transition et à la résilience.

Le préambule rappelle les constats globaux faits par le mouvement des villes en Transition et les principes d'actions concrètes à mener pour pouvoir mener à bien la Transition et arriver à un état de forte résilience pour l'agglomération nantaise.

Regard sur le Manuel de la Transition

Présenté par certains comme la bible de la Transition, le manuel publié en 2008 et traduit en français en 2010, est intéressant dans le sens où il propose à la fois un guide de création d'une initiative de transition dans sa propre ville étape par étape mais il propose surtout de faire comme on le sent en fonction de nos envies. En plus de cette vision relativement ouverte, le manuel présente des outils pour animer des réunions, faire prendre conscience à un public large des enjeux du pic de pétrole et du changement climatique,... L'ensemble des membres de NET est d'accord avec cette vision ouverte de la Transition et le seul facteur qui paraît impératif c'est de faire les choses avec plaisir.

Pas de plan quinquennal

Lors des réunions mensuelles, très rapidement, des idées de conférences, de débat et

de sollicitations de personnes extérieures sont arrivées. En effet, des personnes ont contactées assez rapidement Nantes en Transition pour venir présenter les idées de la Transition lors d'une projection-débat ou autre. L'impératif d'alors a été de savoir comment répondre à cela, qui se sentait capable de parler du pic pétrolier, qui pouvait réserver une salle, ... Il n'y a jamais eu de plan directeur de l'action que NET devrait mener dans les prochains mois ou dans les prochaines années. L'envie la plus forte était avant tout de faire de choses ensemble et avec plaisir.

Actions de Nantes en Transition

Au cours de l'année 2011-2012, Nantes en Transition a participé à différents événements toujours de manière collective avec d'autres associations nantaises.

11/11/11 Les Nantais de 2031

Lors du festival de science fiction des Utopiales, des nantais et des nantaises ont débarqué de 2031 pour prévenir les nantais de 2011 que l'ère du pétrole pas cher était finie et que l'on ne s'en portait pas plus mal. Le plastique a prit une valeur énorme et au lieu de le jeter à tout va, on s'en pare sous la forme de collier de bouchons en plastique, robe en sac de courses... et on fait la fête.

Installés en face de l'entrée du palais des congrès, où se déroule les Utopiales, ces nantais du futur ont installé une base de « Gratuidée ». Tout y est gratuit et les gens peuvent se servir dans des cageots entiers de bananes, de courges, de livres, de vêtements, de soupe chaude, mais il faut rendre le verre en plastique très précieux. Une coiffeuse du futur rase gratis ! Un groupe de nantais de 2031, ovationne, applaudit et congratule les gens sur commande. Un « bœuf » guitare, accordéon et clarinette s’improvise. Les nantais de 2031 n'ont plus de pétrole et cherchent des idées. Les nantais de 2011, soit font la queue de manière disciplinée pour rentrer dans la cité des congrès tout en regardant surpris les gens du futur sans pétrole, soit ils sortent des Utopiales des utopies plein la tête et viennent voir et discuter. Et par dizaines, ils laissent de petits messages pour le futur sur des panneaux de carton étalés au sol. Ils proposent d'utiliser des vélos au lieu de la voiture, de manger ce qui pousse à côté de chez soi, de mieux isoler

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les bâtiments… Les nantais de 2011 sont pleins de bons conseils mais peu les mettent en pratique.

C'était la première expérience de prospective en action de NET. L'ADDA y a beaucoup contribué humainement et matériellement. Le bilan était plutôt positif et tout le monde a pris du plaisir à être un nantais d'un futur sans pétrole. Le porteur de parole, collection de petits messages, de bonnes résolutions pour l'avenir est devenu une base pour les prochains événements. Cette action insolite sur l'espace public en face des Utopiales en a surpris plus d'un.

Le 11 11 11 n'est bien sûr pas une date au hasard. L'année passée le 10 10 10, l'ADDA et d'autres associations avait déjà installés un espace de Gratuidée similaire et il en sera sûrement de même pour le 12 12 12.

26/11/11 Journée d'échange avec Poursuivre

Cette fois-ci, c'est une invitation. Poursuivre est une association de personnes à la retraite qui se réunissent régulièrement autour de différentes activités et débats pour lutter contre l'isolement et l'inactivité des personnes âgées. Curieuses de tout, ces personnes ont contacté NET pour qu'on vienne parler de la Transition. Le programme prévu sur une journée se constitue d'une présentation de la Transition à travers une conférence gesticulée et l'après-midi un débat en petits groupes. Il y a plus de 80 personnes qui ont entre 60 et 90ans (voir plus !)

La conférence gesticulée est faite par Etienne, un transitionneur de Paris que connaît Mathieu. Sa conférence s'intitule « Après la Transition ». Bretelles grises, petit bedon postiche et perruque grise, il prend le rôle d'un vieux monsieur de 2061 qui explique comment on a pu sortir des « années folles du pétrole » et se débarrasser des « crates » (technocrates, bureaucrates, ploutocrates, écolocrates,..) et de la « consomm'addiction »pour enfin vivre dans un monde résilient. Les gens rient, réfléchissent, certains restent interdits.

Le repas de midi est un bon moment d'échange entre transitionneurs et personnes âgées. On parle de la provenance de ce qu'on mange. Il y a une soupe collective faite avec des légumes du

coin et chacun à ramener un petit complément. Vin, tomates, bananes, fraises du jardin. Certains sont fiers de manger ce qui vient du jardin, d'autres semblent moins concernés. Pourtant quasiment tous ont connu le potager et l'épicier du coin pendant leur enfance. L'après-midi, la discussion en petits groupes s'engage. Face à la raréfaction du pétrole et de l'énergie pas chère, les réactions sont très diverses. Certains n'arrivent pas à croire que cela puisse arriver, ils n''imaginent pas que la société moderne qu'ils ont vus se développer puisse s'arrêter. Certains deviennent tout à coup très inquiets comme si la fin du monde était dans 1h. Il faut rassurer sans froisser, dire que le changement sera progressif, que ce sont les enfants et les petits enfants qui vivront le changement. A l'inverse certains ne sont pas impressionnés, voir même heureux que les choses ralentissent. Ils parlent alors de leur enfance, lorsque le plastique était rare voire inexistant. On parle de noël, d'un noël sans pétrole, ils trouvent ça plutôt bien car ils ne comprennent plus leurs petits enfants avec leurs tas de jouets en plastique et le téléphone portable en activité permanente. Certains sont très actifs en matière d'écologie pratique, ils vont au marché, à l'AMAP, réutilisent et recyclent tout, font leur potager... (bons vieux réflexes). Cette journée avec les anciens qui ont connu le monde avant les « années folles du pétrole » est une bonne expérience pour NET, chacun a animé parfois pour la première fois un débat avec une dizaine de personnes et recueilli les impressions positives mais aussi inquiètes des gens.

12/01/2012 Libérons l'énergie

Place du Commerce à Nantes un samedi, un petit village associatif s'est installé réuni pour la campagne nationale Libérons l'énergie lancée par GreenPeace. Il y a des associations connues comme Humus 44, HEN,... on parle, on chante, on boit de la soupe chaude. L'espace de gratuidée et le porteur de parole attirent du monde, chacun rajoute un petit mot sur ce qui serait bien de faire lorsque le pétrole viendra à manquer. Les gens intéressés sont en général des personnes d'autres associations qui cherchent à connaître un peu plus Nantes en Transition. Tryo, le groupe de chanteurs engagés a fait un petit concert improvisé Place Royale, qui s'est couverte de monde en quelques minutes, chacun avec une petite éolienne en papier. La veille NET avec Virage Énergie Climat avait aussi

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organisée une soirée de présentation de la transition énergétique et de la Transition au sens large et festif. En effet un groupe de musique de la Transition nantaise s'est constitué lors de cette soirée, ce sont « les Bœufs en Transition » jouant et chantant sans complexe les tubes décalés d'Elmer Food Beat ou les chansons sympathiques et engagées de Tryo ou de HK & les saltimbanks. Les invités étaient majoritairement les adhérents d'associations écologistes allant des antinucléaires, jusqu'au réseau AMAP. Cet événement a permis à un nombre important de militants d'associations écologistes de découvrir le concept de ville en Transition et Nantes en Transition.

02/03/12 Conférence de Benoît Thévard sur « Un avenir sans pétrole »

A la suite de plusieurs réunions besogneuses, Nantes en Transition, a organisé un événement sur deux jours. Le premier était une conférence de Benoît Thévard sur « Un avenir sans pétrole ». B. Thévard est un ingénieur de l'école des Mines, en Génie énergétique. Après plusieurs années dans l'industrie aéronautique, il décider de changer radicalement sa carrière. Ayant passé plusieurs mois dans un village au Québec qui se prépare à l'après-pétrole depuis 20 ans, il est revenu en France, anime le blog www.avenir-sans-petrol.org, mène des activités de recherche sur la résilience des territoires et parcourt la France pour informer citoyens, élus et entreprises de la nécessaire et urgente transition de la société. Il est membre de l'institut Monumentum et de l'association prospective Next World. La conférence, communiquée de la manière la plus large possible, a rassemblé plus de 200 personnes. Elle dura 2h et était relativement ardue à certains moments. Les arguments se sont enchaînés pour démontrer la fin inéluctable de notre consommation d'énergies fossiles comme le pétrole, les fausses bonnes idées que peuvent être une production massive de biodiesel, d'électricité par la fission nucléaire ou même l'usage de l'hydrogène dans des piles à combustible. La solution la plus efficace proposée était surtout de réduire nos consommations dans le domaine des transports et de l'habitat. L'auditoire était très intéressé et la phase de questions réponses fut très riche. On sentait une véritable attente.

04/03/12 Quartier en Transition

Dans la continuité de la conférence du vendredi soir, NET a organisé un village de la Transition sur la journée de dimanche, répartie dans le quartier St Félix Hauts-Pavés, sur trois lieux, l'ADDA, le jardin de la Carterie et la salle Marion Cahour, reliés par des triporteurs à pédale. Différentes associations connues ou nouvelles se sont retrouvées pour partager leurs idées et leurs projets d'écologie concrète (de l'installation d'champ d'éoliennes subventionnées directement par les habitants, éolien citoyen51, jusqu'à la fabrication de toilettes sèches52). Des petits débats se sont organisés entre différents acteurs d'associations par exemple sur les monnaies locales (ECOS, Ingalan, SEL). A l'ADDA, des ateliers pratiques se sont déroulés pour apprendre à faire son propre savon, ses produits ménagers, de la cuisine... Au cours de la journée plus d'une centaine de personnes du quartier ou de Nantes sont passés dans chaque lieu. Ces deux événements relativement conséquent pour Nantes en Transition ont été plutôt une réussite. Une bonne vingtaine d'associations nantaises agissant dans le domaine de l'écologie pratique et/ou militante connaissent maintenant un peu plus la Transition et NET. De plus les membres de NET sont maintenant sûrs d'avoir la capacité d'agir, de réunir et de communiquer sur des événements mobilisant plusieurs centaines de personnes, tout en gardant à l'esprit que c'est une autre chose de réaliser ce type d'événements à l'échelle d'une l'agglomération de plusieurs centaines de milliers d'habitants.

Une pause s'impose

La série d'événements organisés par NET en l'espace de quelques mois a certes renforcé les liens entre les membres et prouvé qu'il y avait un réel potentiel de Transition à Nantes mais cela a aussi révélé certaines problématiques dans l'organisation du groupe et des moyens d'actions. En effet les dernières réunions mensuelles étaient exclusivement dédiées à l'organisation des événements savoir qui contactait la presse, fixe horaires d'ouverture de telle salle, comment imprimer des affiches. Tous les membres ne disposant pas du même temps bénévole pour s'investir dans l'organisation des événements,

51 Eoliennes en Pays d'Ancenis http://eoliennes.ancenis.free.fr/

52 Humus 44 http://www.humus44.org/

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certains se sont retrouvés en retrait, ne sachant pas comment ils pouvaient aider et d'autres se sont retrouvés avec des charges conséquentes. L'usage intensif de mails pour communiquer, n'était pas une méthode de travail connue et apprécié de tous, cette technologie s'est donc révélée de manière paradoxal être un frein à la communication Des tensions se sont développées entre les membres du groupe bien que nous partagions beaucoup d'idées et de valeurs communes. La notion de plaisir dans l'action s'est peu à peu dissoute dans les contraintes matérielles et organisationnelles.

En conclusion, il est donc apparu nécessaire de faire une pause pendant quelques mois : ne pas organiser d'événements publics et plutôt se concentrer sur la façon de fonctionner à l'échelle du groupe de Nantes en Transition. Pour cela un week-end « sans ordre du jour » a été organisé au bord de la mer. Ce week-end de détente, de repas et de fête, a permis aux gens de mieux se connaître, d'échanger sur des domaines autres que la transition notamment à travers des jeux de sociétés modernes ou récents mettant en lumière les caractères de chacun. Le fait de vivre les uns avec les autres pendant quelques jours a été très formateur. Les choses sérieuses et concrètes comme les données scientifiques sur le pic de pétrole ou le changement climatique ont été mises en retrait. Les constats rationnels et scientifiques qui réunissent les gens de Nantes en Transition, ne sont donc qu'une partie de la Transition. Préparer la résilience relationnelle d'un groupe à une échelle réduite, renseigne sur les défis à relever à l'échelle d'une ville ou d'un quartier.

L'ombre de l'ADDA

Avec le recul de quelques semaines, il est apparu à un grand nombre de personnes de Nantes en Transition que l'expérience, les moyens et les membres de l'ADDA avaient un poids énorme dans la vie de Nantes en Transition. Les réunions mensuelles sont à chaque fois à l'ADDA. Certaines personnes qui ne sont pas impliquées dans l'ADDA, voyaient donc cet état de fait comme un frein au bon fonctionnement de l'initiative de Transition bien que la démarche de l'ADDA entre clairement dans ce que peut être la Transition.

12/04/12 Pour en avoir le cœur NET

Cette question de fond est venue s’ajouter à d'autres comme le fonctionnement démocratique en réunion ou par mails interposés au sein du groupe et à déboucher sur la nécessité de lancer un temps de recherche et de réflexion sur la vie interne de Nantes en Transition. Pour cela Mathieu a proposé une soirée intitulée « Pour en avoir le cœur NET ». En petits groupes de réflexion ou tous ensemble (une vingtaine de personnes) nous avons tenté de cerner qui nous étions, quels étaient nos talents personnels et collectifs, quelles étaient les valeurs et les idées qui nous rapprochaient. Ce moment a aussi permis d'exprimer les craintes, les inquiétudes à propos du fonctionnement interne du groupe NET et son rôle à l'échelle de agglomération nantaise.

Une deuxième partie de la soirée a été consacrée à la définition d'objectifs pour améliorer Nantes en Transition. Des objectifs à long terme et à court terme se sont dégagés. A long terme, il y a l'idée de créer des groupes thématiques sur l'agriculture, l'habitat, les transport pour proposer et avancer sur des actions plus concrètes. De nombreux projets sont en germination dans les esprits de NET allant de la cartographie de la résilience de l'agglomération jusqu'à la création de jeux collaboratifs grandeur nature pour permettre aux gens de se projeter de manière ludique dans un futur sans pétrole. A court terme est apparue la nécessité d'être mieux organisé en interne pour organiser les réunions et communiquer, d'être mieux formé pour pouvoir parler de la Transition et d'avoir des moyens de communication plus efficaces (refonte du site internet, espace collaboratif...).

La métropole n'attend pas

Au cours des réunions mensuelles de 2012, les débats ont été nombreux. En plus du travail interne avec Pour en avoir le cœur NET, il y a eu beaucoup d'événements, de sollicitations dans l'agglomération. Par exemple : Le premier forum ouvert de l'association des Colibris a eu lieu à Nantes le 17 juin 2012 dans le cadre de la campagne « Tous Candidats ! ». Des membres de Nantes en Transition y ont participé. Il y a eu le lancement de la Chaire Développement Humain Durable & Territoires par l'école des Mines où NET est invité à représenter l'aspect citoyen de la

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réflexion. Il y a eu le forum international des grands projets inutiles et imposés à Notre Dame des Landes en juillet 2012. Il y a eu aussi l'appel à projet lancé par la Métropole dans le cadre de Nantes Capitale Verte. Dans la plupart des cas les discussions autour de ces sujets ont été longues et complexe. La participation à telle ou telle initiative impliquait de savoir si cela répondait aux principes de la Transition notamment en matière d'inclusivité et de neutralité. Les élections présidentielles du printemps 2012 ont en effet rendues tous ces sujets potentiellement politiques alors que la Transition, selon l'esprit anglo-saxon, se veut pragmatique et non partisan. Situation cornélienne pour une initiative de Transition française en pleine élection présidentielle.

Est facteur limitant le temps que chaque membre de NET peut consacrer à toutes ces actions. Entre les projets de l'ADDA, de Nantes Métropole et autres sollicitations, il n'y a quasiment pas une semaine sans qu'il y ait 3 ou 4 réunions ou conférences potentiellement intéressantes pour Nantes en Transition et ses membres. Signe de la forte montée en puissance dans le débat public des questions de la transition énergétique et écologique, cela peut générer cependant de la frustration au sein de Nantes en Transition.

Transition dans une capitale verte ?

A l'aube de 2013, l'année de Nantes en tant que Capitale verte européenne, Nantes en Transition continue sa route à son échelle, suivant attentivement la grande fête que pourrait être cette année verte, participant de manière plus ou moins importante aux débats lorsque le besoin s'en fera sentir.

Retours et impressions sur Nantes en Transition

Après bientôt 2 ans d'existence de NET, certains constats peuvent être faits aussi bien au niveau interne du groupe, qu'au niveau local et de la place de NET dans l'agglomération nantaise. Des constats peuvent aussi être faits au niveau national, à travers différentes rencontres au cours de l'année 2012 avec d'autres transitionneurs français.

Retours au sein de Nantes en Transition

En quelques mois, un groupe d'une quinzaine de personnes sur l'agglomération nantaise s'est donc constitué en tant qu'initiative de Ville en Transition. Bien que tous très impliqués dans d'autres projets liés de près ou de loin à l'écologie pratique (professionnel ou associatif), bien que certains membres ne soient restés que quelques temps dans le cœur de l'association, il y a bien un groupe de personnes qui partagent les idées et les valeurs de la Transition. L'échelle du groupe d'une quinzaine de personnes présente l'avantage d'être ni trop petit ni trop grand. Lorsqu'un groupe ne dépasse pas 6 ou 8 personnes, il est en général plus difficile de garder une certaine motivation et d'assurer une répartition équilibrée des tâches nécessaires à la vie de l'association (secrétariat, site internet,...). Au delà de 20-25 personnes il est parfois difficile de maintenir une cohésion de groupe et d'organiser des réunions. Cependant, la vie de ce groupe doit aussi s’accommoder avec les contingences de la vie « moderne » que sont le manque cruel de temps au niveau personnel et la tendance à la réunionite, caractéristique relativement française.

Échapper à la réunionite à la française

Au fil des réunions mensuelles, il est apparu que les retards, les absences des membres (moi le premier) et parfois leur venue à l'improviste pouvaient potentiellement gêner le bon déroulement d'une réunion. Particularisme français voire régional avec le quart d'heure nantais ? On peut se poser la question. D'autant plus que dans les pays anglophones, l'attitude durant des réunions professionnelles ou associatives semblent très différentes. Plus pragmatiques, la ponctualité et l'étude préalable des ordres du jour semble nécessaires et respectées par l'ensemble des membres. C'est peut être un des secrets du succès des initiatives de Transition dans les pays anglophones. Des techniques issues plutôt du monde anglo-saxon peuvent donc apporter des réponses à cela, par exemple avec l'ouverture de la réunion par un tour de table où chacun se présente et exprime ses sentiments du moment, de sa journée. Cela peut permettre de désamorcer des tensions et d'ouvrir la réunion de manière plus sereine. Cette technique est utilisée à NET mais ne plaît pas pour autant à tout le monde.

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Démocratie directe et résilience sociale

L'autre symptôme de la réunionite à la française, est sûrement l'apparition potentielle de clivages, d'oppositions pendant des débats passionnés. Pour éviter cela ou au moins faire avec, l'application de la démocratie directe au consensus se révèle utile. Les tours de paroles, les gestes de la main pour exprimer un accord ou un désaccord, la formulation de propositions collectives précédant le vote permettent de fluidifier le débat et d'éviter les monopolisations de parole souvent à l'origine des clivages. La prise de décision en consensus est aussi très intéressante surtout dans une démarche de Transition qui nécessite l'approbation de tous pour que les décisions soient positives. et joyeuses. Cependant parfois ce consensus n’aboutit pas ou mal, et les décisions restent lettres mortes. Une grande partie des membres de Nantes en Transition présente un intérêt vif pour ces sujets démocratie directe mais aussi pour la communication non violente et la sociocratie qui se révéleront sûrement des outils essentiels dans la conduite de la Transition avec tout le monde (habitants, élus, associations et professionnels).

On pourrait se dire que ces questions techniques de démocratie directe et de gestion de débat au sein d'un petit groupe de citoyens sont relativement éloignées de l'architecture et l'urbanisme d'une ville qui chercherait à entamer une transition énergétique, mais je pense qu'au contraire elles sont essentielles, avant tout chantier d'envergure par exemple l'installation d'éoliennes . En comparaison, lorsqu'un projet d'écohameau (habitat groupé autonome et souvent autogéré à la campagne) se construit, en général les gens se réunissent en un groupe d'une dizaine voire plusieurs dizaines de personnes pour pouvoir être au maximum autonomes, et résilients face à la raréfaction des ressources naturelles. La résilience devient alors aussi relationnelle et sociale. Chacun doit (ré)apprendre à vivre avec les autres souvent dans le respect de la démocratie directe. Dans un projet de ville en Transition, c'est le même objectif sauf que l'on tente de le réaliser au niveau d'une ville de plusieurs milliers d'habitants. Commencer petit mais efficacement est donc une étape indispensable.

Retour au niveau local

Au niveau de l'agglomération nantaise, Nantes en Transition est maintenant connue des personnes proches des idées de la Transition, que ce soit des citoyens, des associations ou des institutions publiques. Le lien avec des entreprises ne saurait tarder. Cette inclusion dans le réseau associatif nantais est pour une bonne part du à la relation de proximité, de filiation entre l'ADDA et NET. A la différence, d'Ecopole, Nantes en Transition n'a pas forcément pour but de devenir une tête de réseau pour l'ensemble des acteurs et associations concernées par le développement durable et l'écologie. Au contraire Nantes en Transition se dirigerait plutôt vers une mise en réseau horizontal des personnes sensibilisées à la raréfaction des ressources en énergie fossile concerne.

Il reste beaucoup de gens avec qui il faudrait rentrer en contact pour être réellement inclusif et pouvoir imaginer des changements à plus grande échelle sur la métropole (entreprises, habitants...). C'est pourquoi à plusieurs reprises NET est sorti du réseau écologiste et militant pour aller rencontrer les « vrais gens » : ceux qui vont aux Utopiales, ceux que l'on croise sur la Place du Commerce le samedi … Pourquoi ne pas imaginer aller discuter avec les gens sur le parking d'un supermarché, là où notre dépendance au pétrole est évidente ?

La bonne échelle et le bon moment

Avec le recul, d'autres constats sont apparus. Est-ce que Nantes et l'agglomération sont les bonnes échelles pour parler de Transition ? La question n'est pas tranchée. Il se peut qu'en tant qu'habitant de l'agglomération nantaise, nous soyons convaincu d'appartenir à une seule et même grande métropole comme l'a présenté le bilan de Mavi(ll)e Demain, alors que dans les faits l'agglomération ne serait qu'un archipel de quartiers et de bourgs qui devront se replier sur eux-mêmes pour pouvoir être résilients dans le monde de demain. En même temps, le développement actuel des infrastructures de transports et d'énergie font que la vie des 600 000 habitants estt liée et que l'on devra aussi trouver des alternatives à cette échelle, et la gouvernance qui va avec.

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La situation économique de l'agglomération et son pouvoir attractif actuels font qu'il paraît extrêmement difficile de sentir de manière concrète les changements qu'occasionne la crise financière de 2008, la raréfaction des ressources en énergies fossiles et le changement climatique. A l'inverse dans d'autres villes de France et d'Europe, la situation beaucoup moins favorable (chômage important et déflation immobilière) fait qu'il est peut être plus simple de parler de Transition et de la mettre en marche. A l'heure où Nantes se présente comme une métropole moderne, attractive tout en restant verte, le discours de la Transition plus pessimiste sur le présent mais optimiste pour l'avenir a sûrement du mal à passer. Face à cela, lorsque souvent on me demande ce que l'on fait à Nantes en Transition, je réponds que l'on prépare le terrain. Issue d'une réunion de NET, cette idée plaît à pas mal de membres de NET car elle exprime bien l'idée que la Transition est en marche, mais qu'elle ne s'affiche pas pour autant sur tous les murs comme une vision d'un avenir impératif et urgent.

Retour national

Participer à divers événements, notamment au Festival des Utopies Concrètes à Paris, fin septembre 2012, a été l’occasion de rencontrer d'autres transitionneurs issus pour la plupart de Paris et de la banlieue parisienne (Montreuil, département des Yvelines, Evreux) mais aussi plus de villes provinciales (Mayenne, Rennes,...) Au fil de discussions et des ateliers, on s'est rendu compte que Nantes en Transition était plutôt avancée dans la Transition en France, avec un groupe déjà constitué et quelques actions au compteur. Mais ce n'est pas une compétition au contraire. Là où les initiatives ont le plus de mal à émerger, c'est paradoxalement dans les très grandes villes comme Paris. Certains arrondissements de la capitale ont du mal à faire émerger un groupe de Transition et pour l'instant la Transition reste plutôt cantonnée dans un réseau de parisiens sensibles aux enjeux écologiques. A l'inverse dans de petites villes voir villages ou vallées (par exemple :Trièves en Transition) les choses vont beaucoup plus vite. Les gens voient sûrement de manière plus concrète comment mettre en place la Transition, comment informer leurs voisins et les élus souvent plus proches. La singularité de NET est peut être liée au fait que Nantes soit une ville de province et une

métropole.

Moi dans tout cela

La démarche de participation-observante est très intéressante car elle m'a permis de prendre du recul à certains moment au sein du groupe de Nantes en Transition et en parallèle d'avoir une vision plus riche de la vie de NET. Je me sens plus à l'aise avec cette démarche qu'avec une série d'entretiens des membres de NET. Parler de Transition à travers des entretiens plus ou moins cadrés, rigides voire technocratiques me paraît un peu antinomique avec les idées de la Transition beaucoup plus souples et ouvertes au changement des idées mais aussi des formes de communication.

La participation-observante présente cependant quelques inconvénients. Extrêmement chronophage car passionnante, la vie associative m'a amené à renoncer à certains projets qui m'intéressaient pourtant. Parfois aussi j'ai du m'excuser auprès de certaines personnes ne pouvant faire dans les temps les choses promises. Je pense qu'être confronté à ce type de situations m'a permis d'évoluer, de faire des choix et d'éviter de me dispersé trop souvent. La participation à NET m'a aussi permis de développer des savoir faire et être que je cherche d'habitude plutôt à esquiver. Parler en assemblée, synthétiser les idées d'un groupe de personnes et aller à la rencontre de personnes nouvelles, ne sont pas forcément des aptitudes innées chez moi. Grâce à Nantes en Transition, je pense avoir progressé sur cela. En outre grâce aux échanges permanents d'informations et à la motivation au sein de NET, j'ai changé petit à petit mes modes de vie et de consommation pour réduire mon impact personnel sur l'environnement (usage de la voiture moins fréquent,réduction d'achat en supermarché...). En règle générale je pense que d'avoir pris part à la vie de Nantes en Transition m'a permis aussi d'avancer dans une transition personnelle.

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Page 59: Prospecteurs de Transition

11/11/11 Les Nantais de 2031 débarquent aux Utopiales !

Le porteur de parole pose des questions aux Nantais de 2011, puis déposent les réponse au sol devant la question.

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Page 60: Prospecteurs de Transition

III Analyse comparative des prospecteurs de Transition et scénarii pour la ville de demain

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Page 61: Prospecteurs de Transition

Tableau synoptique de l'analyse comparative des prospecteurs de Transition

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Page 62: Prospecteurs de Transition

1 Convergences

Des contextes variés mais une même envie

Les prospecteurs de transition présentés précédement sont tous différents. Certains se sont lancés dans une démarche prospective de manière plutôt individuelle c'est le cas de Yona Friedman, Rob. Hopkins et des Faltazi. Motivés par des interrogations fortes sur des enjeux qui concernent l'ensemble de la planète, ils ont chacun, au fil du temps, des rencontres et des informations collectées, constitué un analyse personnelle de la situation qui a servi de base à leurs propositions, à leurs visions du futur et aux actions à mettre en œuvre. Les démarches de Nantes en Transition et Mavi(ll)e Demain sont plutôt des démarches de prospective collectives : le futur de la ville de Nantes doit se faire de manière collective car chaque habitant est concerné. Pour Mavi(ll)e Demain, les institutions s'appuient sur le « jeu à la nantaise » et l'envie de faire vivre une démocratie consultative, participative. Nantes en Transition mise plutôt sur la mise en réseau d'un maximum d'acteurs (en majorité des associations) et l'envie de rencontrer les habitants de la métropole de manière directe, dans la rue. Dans tous les cas, la démarche de prospective est motivée par le besoin de se

projeter dans un avenir proche, réalisable et pas utopique. En période de doute et d'interrogations fortes, la prospective permet de rassurer, de donner de l'espoir, tout en testant de manière virtuelle s'il est souhaitable ou non de vivre dans ce futur.

Complémentarité des constats

Bien que les démarches de prospective présentées dans cette étude soient issus d' acteurs et de contextes très différents, on remarque une certaine complémentarité dans leurs constats. En effet, ils s'accordent quasiment tous sur le fait que notre société et nos villes sont arrivées à une certaine limite de leur développement actuel, et que de nouvelles solutions doivent être trouvées. Chaque acteur, à travers différents domaines d'approche (agriculture, économie, urbanisme, technologie,...) est entré de manière directe ou indirecte avec des experts. En accumulant toutes les informations et les idées formulées par ces experts, chaque prospecteur en a fait une synthèse, et arrive au constat qu'une certaine relocalisation est nécessaire pour faire face aux enjeux globaux que sont la raréfaction des ressources, le changement climatique et la crise économique actuelle. On note cependant la relative neutralité des constats à l’origine de la démarche institutionnelle. Mavi(ll)e Demain part de constats très factuels et localisés, qui sont la nécessité d’accueillir de nouveaux habitants dans les 20 prochaines années et le sentiment d'un cadre de vie agréable pour les habitants de l'agglomération.

Consensus technique

L'ensemble des solutions techniques alternatives semble aussi faire consensus dans les différentes visions prospectives. Dans le domaine de la production des énergies, il est maintenant admis que les énergies renouvelables du type éolien, hydrolien, solaire, photovoltaïque... sont une alternative concrète aux énergies fossiles conventionnelles. Les images regorgent d'éoliennes de toutes formes et de toutes tailles, les textes appuient sur la nécessité de développer des filières économiques viables. Au niveau des bâtiments, le respect des réglementations thermiques pour les bâtiments neufs n'est remise en cause par personne, le bio-climatisme suscite aussi beaucoup d'intérêt. L'écoconstruction, notamment la filière bois, est

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Page 63: Prospecteurs de Transition

aussi souhaitée. Enfin la volonté d'avoir une agriculture moins polluante et moins dangereuse est souhaitée par tous. L'ensemble de ces techniques, visant à réduire notre impact sur l'environnement, ont été popularisées depuis des années par l'idée du développement durable. L'enjeu n'est pas technologique, on connaît la plupart des technologies alternatives depuis les années 70 (Yona Friedman avec Alternatives énergétiques). L'enjeu, face à la raréfaction des ressources naturelles et le changement climatique est d'ordre social, organisationnel. La mise en place rapide de toutes ces technologies alternatives, ne permettra pas pour autant de faire table rase du passé car elle ne génèrera pas l'énergie suffisante pour le faire, il faudra donc faire avec l'existant et voir là où il est simple d'économiser de l'énergie en s'organisant autrement.

Transition énergétique

Depuis maintenant quelques mois, notamment depuis les élections présidentielles de mai 2012, le mot de transition énergétique est sur toutes les lèvres et dans tous les journaux. Ce concept proche de la Transition, du mouvement des villes en Transition sur certains aspects est cependant bien différent. Le « concept de transition énergétique » est apparu pour la première fois en Allemagne dans les années 1980, à travers une publication de l'Öko-Institut. Cette association, proche du mouvement antinucléaire allemand de l'époque, a réalisé un livre blanc collectant un ensemble de prévisions et de propositions scientifiques pour sortir le pays de la dépendance au pétrole et à l'énergie nucléaire, notamment grâce à une décentralisation de la production d'énergie et grâce à une politique d'économie d'énergie. Engagée depuis 2000 dans une sortie progessive du nucléaire, le gouvernement allemand dirigé par la chancelière Merkel décide en juin 2011 la fermeture de 8 centrales et la sortie progressive d'ici 2022. En parallèle, une politique forte de promotion des énergies renouvelables (photovoltaïque et éolien) a été mise en place. De l'autre côté du Rhin, en novembre 2012, le gouvernement français a lancé un débat national sur la transition énergétique à horizon 2025.

« L'indépendance énergétique de la France »

Suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1979,

la France a notamment décidé de se doter d'un parc de plusieurs dizaines de centrales nucléaires (58 réacteurs) pour limiter sa dépendance au pétrole importé et développer une relative indépendance et autonomie énergétique. L'électricité produite avec les centrales nucléaires n'a pourtant pas réduit notre dépendance au pétrole surtout liée au transport routier. Dans l'état actuel de la technologie, l'énergie nucléaire n'est pas une énergie renouvelable vu qu'elle nécessite une ressource fossile qu'est l'uranium et cette ressource est donc potentiellement soumise à un pic de production à l'instar du pétrole. Ce pic est prévu dans environs 50 ou 60 ans suivant les sources et sans considérer la construction de futures centrales dans les pays émergents. A cela s'ajoutent d'autres facteurs comme les potentiels dangers écologiques et sanitaires, la centralisation de la production et les coûts d'investissement et d'entretien.53 La situation de dépassement du pic pétrolier présente ou va présenter de fortes similitudes avec la situation lors des chocs pétroliers des années 1970, il y a donc un besoin urgent de décision. La centralisation de la production comme dans le cas de l'énergie nucléaire pose donc des questions

Le scénario Négawatt54

Depuis 2000, l'association Négawatt, composée d'experts et praticiens indépendants dans les énergies renouvelables ou les réductions de consommation, propose de manière régulière (tous les 4 ans) un scénario de descente énergétique pour la France. Le dernier en date est le scénario Negawatt 2011. Partant de l'idée que la meilleure énergie est celle qu'on a pas besoin de consommer, il est proposé diverses mesures, dans le domaine des transports, de l'industrie et du logement principalement, et qui visent à réduire les consommations d'énergie par le recyclage et par l'optimisation de l'existant (notamment avec la rénovation des bâtiments). Pour la production d'énergie, le scénario incite à un abandon progressif de l'énergie nucléaire (entre 30 et 40 ans) ainsi qu'un abandon rapide des importations de pétrole et de gaz devenus de plus en plus chers. A l’inverse, est souhaité un investissement massif dans des énergies renouvelables plutôt en retrait aujourd'hui comme la biomasse et le biogaz, motivé la nécessité d'un lien fort entre les

53 http://www.sortirdunucleaire.org/ 54 http://www.negawatt.org/

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Page 64: Prospecteurs de Transition

productions agricoles et la gestion des énergies. Le scénario Négawatt propose une transition énergétique douce car basée sur la sobriété et l'efficacité énergétique. Une déclinaison du scénario Négawatt 2011 est développée par l'association Virage Energie Climat Pays de la Loire (VEC44)55 qui adapte les prévisions et les propositions, faites à l'échelle nationale, au niveau régional en fonction des activités économiques et agricoles, du parc bâti existant dans la région et des transports. VEC44 est proche de Nantes en Transition pour sa vision à la fois globale et locale des enjeux et des manières dont peut s'effectuer la Transition.

Les différents supports de restitution de la prospection.

Les prospecteurs de transition font, ou ont fait, tous à leur manière des exercices de prospective. Pour les restituer, ils ont utilisé des outils qui renseignent sur leur conception d'une démarche de prospective. Dans le cas de Yona Friedman et des Faltazi, l'image est très présente. Elle permet de frapper directement les imaginaires. Cependant Yona Friedman qui utilise le dessin à la main et un style très imagé laisse ainsi plus de place à l'interprétation. Ses bandes dessinées didactiques, mettant en scène des personnages minimalistes, primitifs et universels acquièrent une force de communication énorme pouvant s'adresser directement à des gens analphabètes ou de cultures très diverses. Pour les Faltazi, l'image est plus sophistiquée et cherche le photo-réalisme pour plonger le spectateur dans un univers futuriste et quasi réel, car ancré dans le paysage nantais et ses lieux caractéristiques (château des Ducs, place Graslin...). Cet hyperréalisme présente une vision de l'avenir « clé en main » comme un vrai projet de design, en phase avec les attentes du consommateur moderne. Cela pose cependant la question de savoir si une évolution des modes de pensée est nécessaire ou non, pour atteindre une ville résiliente, et où la consommation des images parfaites et lisses d'aujourd'hui ne sera peut être plus nécessaire. La contribution du collectif Et alors pour Mavi(ll)e Demain utilise aussi l'image comme moyen de prospective, mais de manière beaucoup plus symbolique et théorique en faisant des collages d'images rapides. Ces images moins travaillées m'apparaissent plutôt comme un support

55 http://virageenergieclimatpdl.org/

de la réflexion développée à l'écrit que comme une vision prospective autonome.

Le texte comme moyen de présentation d'une vision prospective est omniprésent dans toutes les prospectives. Par le biais du discours théorique, il permet au lecteur de saisir les concepts et les mots clé de la proposition, souvent partagés par plusieurs prospecteurs (Transition, Résilience, local, durable, circuits court...).

Le reportage du futur est une forme assez originale de restitution qui est utilisée par plusieurs des prospecteurs, qu'il se présente sous la forme d'un article (Villes en Transition56) de journal ou d'une vidéo (Les Ekovores et Mavi(ll)e Demain57). On donne alors vie à la vision prospective en faisant comme si elle était déjà réalisée. Cet outil de projection offre l'avantage de pouvoir présenter des idées relativement décalées et loufoques, car le caractère très formel et concret du reportage compense cette excentricité. Une autre forme proche du reportage du futur est la mise en scène directe de la vision prospective, comme l'a expérimenté NET à plusieurs reprises lorsque les Nantais et les Nantaises de 2031 ont débarqué aux Upotiales, ou lorsque les conférences gesticulées de Mathieu et Etienne présentaient en direct leur visions pour le futur.

Résilience des moyens de communication

On peut s'arrêter quelques instants sur la résilience des outils et des supports de communication employés par les prospecteurs pour présenter leur vision. Sans faire de chasse au Gaspi, on peut se demander s'il n'est pas paradoxal de présenter une ville sobre et économe en énergie, en utilisant des outils très énergivores comme des ordinateurs pour construire des images de la ville future, pour écrire et communiquer les visions sur internet ou encore en imprimant de grandes quantités de livres et d'affiches. Lors d'une conférence avec plusieurs dizaines de personnes, peut-on discuter d'économie d'énergie avec un micro à la main, directement relié à une centrale électrique ? De petites solutions existent pour être

56 « Mardi 12 avril 2022 Temple commercial productif » et « La Gazette d'Oxford Elle récolte de l'or liquide ! » Manuel de la Transition, p 109 et 117

57 Vidéos sur chacune des 3 visions http://www.mavilledemain.fr/visions/

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Page 65: Prospecteurs de Transition

le plus cohérent possible. Ces solutions sont souvent aussi le moyen d'interpeller afin de faire changer nos modes de pensée fortement conditionnés.

L'exemple du power point révélé par Mathieu est assez marquant. Le « power point » ou « point puissant » en français permet de faire une présentation avec un nombre quasi infini d'images s’enchaînant à la vitesse de l'éclair afin de convaincre une assistance en quelques minutes. Cette présentation est extrêmement dépendante de la technologie (ordinateur, projecteur, …) et de l'énergie pour l'alimenter. Pour remédier à cela tout en continuant d'informer et de débattre avec les gens sur notre futur commun, Mathieu a trouvé un outil plus résilient que le power point pour faire sa conférence gesticulée, c'est le « flanélo-carton puissant ». Composé d'un grand drap en laine pour écran et de grandes vignettes en carton muni de scratch, il peut à loisir accrocher ou décrocher de l'écran des images en carton représentant maisons, transports, nuages de gaz à effet de serre …Tout cela sans avoir besoin d'électricité et/ou de pétrole (Mathieu a une voix qui porte il n'a pas forcément besoin de micro). Si nous voulons parler d'un futur relativement différent du présent que nous vivons, il nous faut aussi changer nos manières de communiquer. La façon de construire et de présenter une vision prospective renseigne aussi sur cette dernière.

Internet résilient ?58

On pourrait donc aussi remettre en cause internet qui est loin d'être un moyen de communication économique en terme de consommation d'énergie et de matériaux polluants. Cependant, cet outil singulier présente des caractéristiques en lien étroit avec les concepts de la Transition. Internet est un ensemble de réseaux interconnectées entre eux. Chaque réseau est autonome avec 30 à 40 autres réseaux pour voisins. Internet n'a pas de centre, il est invertébré. On peut débrancher la moitié des réseaux et il fonctionne encore. C'est un exemple flagrant de ce que peut être la résilience d'un système face à un choc. Autre aspect proche des idées de la Transition, c'est

58 Benjamin Bayart : « Il est désormais possible de relocaliser le monde » http://www.article11.info/spip/Benjamin-Bayart-Il-est-desormais

l'horizontalité du réseau. Une fois connecté, il est difficile de bâillonner quelqu'un et de l'empêcher de dire, ce qu'il a dire et inversement on pourra difficilement cacher la vérité à quelqu'un qui la cherche. De plus Internet n'est ni un réseau de diffusion comme la télévision, ni un réseau de communication comme le téléphone, il est les deux à la fois, voir plus. Il change la façon dont les êtres humains communiquent. L'information n'est plus centralisée dans une bibliothèque ou dans une banque fermée au monde. L'information est partout. De plus, « Internet est l’un des outils majeurs de la gestion de la fin du pétrole, parce qu’il réduit très largement les déplacements. ». « Il est désormais possible de relocaliser le monde » sans crainte de repli des communautés sur elles-mêmes car elles sont toutes potentiellement interconnectées.

De manière concrète, ces idées se mettent petit à petit en action à l'échelle de Nantes où une association FAIMaison59, propose d'être un fournisseur d'accès à internet local et libre. En effet la plupart des fournisseurs d'accès à Internet en France sont de grandes entreprises centralisant la connexion de leur abonnés : lorsqu'une panne arrive tous les abonnées (plusieurs millions) sont touchés, preuve de la non résilience à l'instar du centrale électrique fournissant l'électricité à des milliers de foyers. Petit à petit les idées évoluent et des personnes mettent en place des systèmes moins fragiles que ceux d'aujourd'hui.

Retours et petites victoires

Après quelques mois, les démarches des prospecteurs de transitions pour la métropole nantaise sont reconnues et portent leurs premiers fruits. Les Ekovores ont été publiés de manière large et un petit jardin potager a fleuri au pied des tours. Mavi(ll)e Demain a impliqué près de 22 000 personnes et a abouti à trois visions riches et diverses. Nantes en Transition a pris sa place dans le tissu associatif nantais et est allé à la rencontre de Nantais ne se sentant pas forcément concernés par les enjeux imminents de la fin du pétrole pas cher et du changement climatique. Toutes ces victoires restent d'un point de vue global, de petites victoires. En effet il y a encore beaucoup de personnes à rencontrer avec qui discuter sérieusement et joyeusement des défis

59 http://faimaison.net/

59

Page 66: Prospecteurs de Transition

économiques, sociaux, spatiaux et environnementaux qui attendent la métropole dans les décennies à venir. La question de la prise de conscience et de la mobilisation de plusieures centaines de milliers de personnes reste entière.

A la recherche du citoyen lambda

A un moment ou un autre de leur démarche, les prospecteurs de transition se sont confrontés au problème de rencontrer d'autres personnes que celles associés au processus de prospection (experts, militants associatifs, élus...). Il faut à un moment donné aller à la recherche du citoyen lambda, de la personne non concernée, non sensibilisée.

Cependant en y réfléchissant un peu, l'idée de citoyen lambda est potentiellement péjorative et fausse. Il existerait un citoyen moyen, peu concerné et indifférent à la vie démocratique de la cité. Je ne pense pas que cela soit le cas. Yona Friedman60 utilise la notion de « valence » pour définir le nombre maximum de centres d’intérêts sur lesquel peut se concentrer un individu au sein d'un groupe. Cette limite biologique (capacité de concentration) empêche donc un individu d'être intéressé au même instant à tout ce qui l'entoure. Si le groupe d'individus est très élevé il y potentiellement beaucoup de centres d'intérêts possibles. L'individu doit donc faire des choix en allant au plus essentiel à sa survie (travail, logement, nourriture...). Dans une société comme la nôtre où les individus vivent massés dans les villes et métropoles, il y a une infinité de centres d'intérêts possibles et lorsqu'il fait le choix de se concentrer sur son travail, sa voiture... pour assurer sa survie il ne peut donc pas se consacrer au pic pétrolier, même si son travail et sa voiture en dépendent.

Le pic pétrolier et le changement climatique sont des notions très éloignées de notre quotidien actuel, car notre société par souci de confort et de facilité, s'est arrangée pour repousser les problèmes techniques toujours plus loin de nous (utiliser du pétrole extrait à l'autre bout du monde plutôt qu'un cheval dans le champ d'à côté). En conséquence il est peu probable que le changement climatique et le pic pétrolier nous intéresse fortement dans notre quotidien (sauf si l'on est prospecteur chez Total ou

60 Yona Friedman, Utopies réalisables, p.56 groupe critique

militant salarié chez GreenPeace). Ajoutée à cela, il y a une autre limitation biologique, la « capacité de canal » qui est notre capacité à diffuser une information sans en perdre le sens (téléphone arabe) Avec une valence et une capacité de canal qui se multiplie en fonction du nombre d'individus, la diffusion d'une information très éloignée du quotidien des gens devient alors très difficile, voir nulle au sein d'un groupe très important d'individus, comme une ville. Pour pouvoir communiquer à grande échelle, des outils comme la radio, la télé ou les livres augmentent le nombre d'individus potentiellement intéressés sans pour autant changer l'ordre de priorité des intérêts que les individus se sont fixés. Cependant, même ainsi, il n'est pas possible de toucher tout le monde, les personnes qui ne peuvent pas être atteintes sont donc considérées comme des « citoyens lambda ». Lors de la réunion de restitution des 3 visions pour Mavi(ll)e Demain une des personnes de l'assemblée, pourtant nantaise, n'a découvert qu'à ce moment là que la démarche participative existait ! A partir d'un certain seuil d'individus, susciter l'intérêt du grand nombre devient quasiment impossible sauf avec des moyens énormes et extrêmement efficaces comme la publicité et encore pour des messages simples.

Il serait donc impossible de communiquer et d'alerter le citoyen lambda sur le pic pétrolier d'une grande ville ? Bien sûr que non. Mais pour pouvoir discuter de sujets complexes mais essentiels pour notre survie à long terme, il faut diminuer la taille du groupe d'individus dans lequel va circuler l’information. D'où l'idée de la Transition d'aller sonner chez son voisin pour discuter avec lui de notre futur commun. Dans ce cas, le groupe se limite à quelques personnes qui ensuite pourront diffuser l'information complexe dans d'autres petits groupes qu'elles connaissent. Sur des tels sujets, la discussion en direct est souvent plus efficace que la télé ou un livre qui laisseront plus facilement des éléments de l'information en chemin. Une société ou une ville qui pratique ce type de communication en petit groupe en évitant les médias de masse est appelé par Yona Friedman une société de faible communication, économe en moyens et donc en énergie sans pour autant empêcher la circulation de l'information.

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Page 67: Prospecteurs de Transition

Carte d'Internet en 2011

Représentation graphique des connexions entre près de 20 000 systèmes autonomes (réseau plus ou moins grand détenu en général par un opérateur). Internet compte plus de 40 000 systèmes autonomes en activité, chacun connecté à 30 ou 40 autres systèmes. Le maillage des connexions est extrêmement dense, ce qui assure la résilience du réseau en cas de problème à un endroit de la toile.Sources : http://www.peer1.com/map-of-the-internet

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Page 68: Prospecteurs de Transition

2Divergences

Point d'achoppement à Notre Dame des Landes

Bien qu'aucun des prospecteurs de Transition présentés ne s'est ou ait été directement confronté au sujet du projet d'aéroport à Notre Dame des Landes, chacun n'en pense pas moins. Il me semble essentiel de l'ajouter dans ce mémoire car il est un point de cristallisation régional, national et même international sur la question du développement urbain d'aujourd'hui et de demain.

Projet non transitionnel

Au regard des idées de la Transition, ce projet d'aéroport n'a pas de sens. En effet la construction d'un aéroport va à l'encontre des constats présentés par Rob. Hopkins. En premier lieu le projet d'aéroport a été conçu dans une optique de croissance du transport aérien fort consommateur de pétrole alors que le pic pétrolier est dépassé, ou va bientôt l'être. Favoriser le transport aérien c'est donc encourager l'augmentation du prix du pétrole, vu qu'il y aura plus d'avions à voler et donc plus de kérosène à fournir et qu'il sera rare. Cela implique donc une augmentation du prix des places en avion et réduit le nombre de passagers potentiellement « avionables » ce qui n'est du même coup pas très

démocratique, la construction de l'aéroport ne concernant qu'une frange de la population assez aisée pour voyager en avion61. On pourrait argumenter en soutenant de manière doctrinale que les progrès technologiques feront que les avions consommeront moins de pétrole pour voler. Si cela est vrai, ces progrès technologiques ne se feront pas immédiatement et les avions qui seront en vol en 2017 seront sûrement ceux qui volent déjà aujourd'hui. Ces avions là consomment énormément de pétrole.

L'autre point est celui du changement climatique, la construction d'un nouvel aéroport est faite dans le but d'augmenter le trafic aérien et donc cela entraîne l'augmentation des gaz à effet de serre (principalement le CO2) rejeté dans l'atmosphère. En conséquence cela aggrave le changement climatique. Sans compter les rejets de CO2 occasionnés par les voitures des passagers venant se garer à côté de l'aéroport. Même le discours du développement durable ne peut rien y changer.

Toujours au regard des idées de la Transition la construction d'un aéroport sur des terres agricoles diminue fortement le potentiel de résilience alimentaire de la région et notamment de la ville de Nantes lorsqu'il sera devenu plus que nécessaire de relocaliser au maximum les productions alimentaires. Le projet des Ekovores va dans le même sens. En effet l'une des facettes de l'agriculture en ceinture verte qui est proposée c'est de permettre à de jeunes agriculteurs de s'installer rapidement en proximité de la métropole pour l'alimenter en production maraîchère dans l'idée d'avoir une agriculture de l'urgence. Le projet d'aéroport qui confisque près de 2000 hectares de terre agricole va à l'encontre de cette idée d'agriculture de l'urgence pour nourrir la ville. Victor Massip, l'un des designers du projet des Ekovores a envoyé une lettre à l'actuel ministre de l'Égalité des Territoires et du Logement pour lui expliquer ce point de vue sur l'incohérence que comporte le projet de l'aéroport avec la préservation des terres agricoles et la sécurité alimentaire.

Sans même aborder les questions économiques, financières et politiques que soulève

61 Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, 2007

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Page 69: Prospecteurs de Transition

ce projet, les constats à la base de la Transition peuvent difficilement être en accord avec la construction d'un tel aéroport. Alors même que la Transition s'appuie sur l'idée de l'inclusivité et du travail commun de tous les acteurs pour mettre en marche une initiative de ville en Transition et rendre la ville plus résiliente.

Silence institutionnel

Tout au long de la démarche Mavi(ll)e Demain portée par l'AURAN et Nantes Métropole et bien que la charte pour cadrer le débat ait été mise en place, quelques contributeurs ont tenté à divers moments d'engager le débat sur le projet d'aéroport. Soit de manière indirecte lors de contributions par internet sur des sujets liés au projet (agriculture, emploi, étalement urbain...) avec une certaine vivacité (même si la modération du site a évité d'ouvrir le débat) de nombreux posts ont fait resurgir le sujet du projet d'aéroport et ses conséquences sur la forme de la métropole de demain. De manière parfois plus directe lors de débats, le sujet a été abordé par les participants puis vite éludé. Lors de la présentation du rapport d'étape en septembre 2012, les élus de Nantes Métropole ont même précédé la question pour éviter tout dérapage. En guise de réponse, les agents de l'AURAN et de Nantes Métropole ont soutenu que ce projet n'entrait pas dans le cadre de la démarche de prospective car déjà en cours de réalisation. Cependant un projet comme un aéroport aura un impact non négociable sur la forme de la métropole nantaise de 2030, que ce soit au niveau des transports, de l'agriculture ou de l'étalement urbain. Lors d'entretiens ou de discussions plus informelles avec des agents publics, j'ai pu constater les impératifs liés au devoir de réserve. Prononcer le mot d'aéroport dans les locaux de Nantes Métropole ou de l'Hôtel de Région peut radicalement changer l'ambiance et l'attitude de ces agents publics en quelques secondes.

Clé de voûte des grands chantiers

Le projet d'aéroport a une dimension régionale et urbaine plus importante que ce simple projet isolé dans la campagne de Notre Dame des Landes. Il peut s'apparenter à la clé de voûte de tout un ensemble de grands chantiers d'aménagement de la métropole nantaise pour les

décennies qui arrivent. Outre les nécessaires travaux d'accès au site du projet d'aéroport (barreau routier entre la voie rapide Nantes-Rennes et la voie rapide vers Vannes et St Nazaire62), la réalisation ou non du projet aura des conséquences sur d'autres projets en cours ou à venir, comme la liaison Nantes Notre Dame des Landes par une ligne de Tram Train. Là où cela devient plus complexe, c'est au niveau de la ville de Nantes même. En effet, le déménagement du transport de passagers à Notre Dame des Landes, permettra de libérer de l'espace (potentiellement 610 ha) au Sud de la Loire pour la construction de nouveaux logements urbains ainsi que le transfert du MIN (Marché d’Intérêt National) à proximité de l'actuel aéroport et de la rocade du sud de Nantes63. L'actuel MIN déménagé, il libérera une douzaine d'hectares pour la réalisation d'un nouveau grand centre hospitalier64 réunissant l'actuel CHU du centre ville et le CHU Laënnec au Nord de l'agglomération. Enfin les espaces libérés par ces centres hospitaliers permettront la construction de nouveaux logements notamment sur le site de l'Hôtel Dieu qui est un foncier très intéressant car en plein centre ville. Cet ensemble de déplacements, d'optimisations de grands équipements publics est donc fortement tributaire de la réalisation du projet d'aéroport. Sans se pencher sur chacun de ces projets présentant des controverses techniques, financières et sociales propres, on peut se demander dans quelle mesure cet aménagement global de l'agglomération est respectueux du débat démocratique ou non. La plupart de ces projets sont déjà bien avancés avec des calendriers établis qui emmènent rapidement à l'horizon 2030. Ces projets réfléchis et décidés en amont de la démarche Mavi(ll)e Demain donnent à la démarche de prospective participative beaucoup moins de force voir même interroge la volonté de démocratie participative.

La position de NET pour des petits projets utiles

Lors de plusieurs réunions, les membres de

62 http://aeroport-grandouest.fr/ 63 « Déménager le MIN coûterait 300 millions d'euros » Ouest France Jeudi 24 septembre 2009

http://www.nantes.maville.com/actu/actudet_--Demenager le-MIN-couterait-300-millions-d-euros-_loc- 1079511_actu.Htm

64 un nouvel hôpital sur l'île de Nantes à l'horizon 2020-2025 http://www.chu-nantes.fr/un-nouvel-hopital-sur-l-ile-de-nantes-a-l-horizon-2020-19393.kjsp

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Nantes en Transition ont débattu longuement sur le projet d'aéroport et toutes ses conséquences connues. L'idée d'opposition, de lutte contre l'aéroport défendu par plusieurs associations65 n'est pas une voie recherchée par une démarche de Transition qui préfère avancer grâce à l'inclusivité et la coopération avec l'ensemble des acteurs du territoire. En outre Nantes en Transition souhaite prendre part à l'appel à projet de Nantes Capitale Verte. Un consensus a été trouvé pour le forum européen des grands projets inutiles et imposés (GPII)66 qui s'est déroulé en juillet 2012 à Notre Dame des Landes. Nantes en Transition n'est pas contre les grands projets inutiles mais pour des petits projets utiles. Cette idée a permis de réaliser un porteur de parole sur ce thème lors du forum ainsi que la conférence gesticulée de Mathieu. Comme beaucoup d'autres associations nantaises NET est partagée sur ce projet d'aéroport car les institutions locales porteuses du projet, sont des partenaires privilégiés pour le monde associatif.

ZAD Zone à Défendre partout !

Depuis plusieurs années des dizaines de personnes sont venues de tous les horizons s'installer sur le futur site du projet d'aéroport : la ZAD Zone d'Aménagement Différée qu'ils ont rebaptisé en Zone A Défendre. Par leur présence ils s'opposent à la construction de l'aéroport. Considérés comme des squatteurs, l'Etat a engagé une série d’expulsions à partir de la mi-octobre 2012. Grâce à l'intervention musclée de plusieurs milliers d'agents des forces de l'ordre et d'un appui matériel conséquent, ils ont détruit plusieurs lieux occupés par les « Zadistes » pensant que les gens expulsés finiraient par partir. Cependant ces interventions violentes ont soulevé l'émotion chez un grand nombre de citoyens français. Face à cette situation, une vague de solidarité matérielle et intellectuelle s'est constituée. En quelques semaines des comités de soutien se sont montés un peu partout en France et des experts, personnalités politiques, ont soutenu les occupants.

Le 17 novembre lors de la manifestation de réoccupation, plusieurs dizaines de milliers de personnes venues de tout l'hexagone, ont exprimé leur opposition face à la manière dont se construisait ce projet d'aéroport et aussi de manière

65 http://acipa.free.fr/ et https://zad.nadir.org/66 http://forum-gpii-2012-ndl.blogspot.fr/

plus générale face à tous les grands projets d'aménagement publics ou privés en cours. Le projet d'aéroport est devenu un symbole national de lutte contre le développement et l'étalement urbain par des projets de grands équipements coûteux. En outre, bien que les opinions soient aussi nombreuses que les opposants au projet, il se développe une certaine conscience commune sur la nécessité de reconsidérer l'espace agricole et rural français, de non plus le voir comme un espace en marge de la ville mais comme un espace essentiel à notre survie notamment alimentaire et qui à ce titre doit être préservé. Une autre prise de conscience globale s'est faite suite à l'annonce de Nantes comme Capitale Verte Européenne pour l'année 2013. Pour une large part de l'opinion publique et notamment à travers les réseaux sociaux d'internet67, il est devenu évident que ces deux faits (projet d'aéroport et ville verte) ne peuvent être revendiqués en même temps, un cas concret de Green Washing apparaît.

Notre Dame des Transitions

Lors de la manifestation du 17 novembre, un autre événement s'est produit. Les zadistes expulsés, les habitants des environs et les manifestants se sont rassemblés pour construire collectivement des futurs lieux de vie en remplacement de ceux détruits. Pendant plusieurs semaines et de manière ininterrompue, les gens construisent, reconstruisent avec le sourire aux lèvres et l'impression peut-être illusoire de faire quelque chose d'utile. Les gens qui vivent là sont autonomes, réfléchis et résilients. Ils savent faire beaucoup avec peu. Avant la vague d’expulsions, les maisons avaient quasiment toutes un potager pour être autonome et nourrir des dizaines de personnes. Sur la ZAD il y a un boulanger, un atelier vélo, des poulaillers, des scènes de plein air pour y chanter et danser...68

Aujourd’hui la situation a un peu changée mais l'espoir est toujours là. Bien que chaque zadiste soit unique dans ses convictions, beaucoup

67 Presse Océan 30/11/2012 « Nantes capitale verte de l'Europe: le futur aéroport s'invite à la fête http://www.presseocean.fr/actualite/nantes-le-titre-de-capitale-verte-sur-la-piste-du-futur-aeroport-30-11-2012-52780

68 Émission Terre à terre du 27/10/2012 Le projet d'aéroport à Notre Dame des Landes http://terreaterre.ww7.be/projet-d-aeroport-a-notre-dame-des-landes.html

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aspirent à une vie simple proche de la nature mais reliée au monde extérieur : le fait d'être engagé dans cette lutte ouvre des perspectives, permet des rencontres, de construire les réflexions, les maisons et les communautés. A titre d'exemple, le site internet de la ZAD diffuse de manière quasi permanente les réflexions, l'état d'esprit des habitants. L'action intense ne les empêche pas de réfléchir, au contraire69. Les zadistes et toutes les personnes qui restent quelques heures sur le site font de la prospective en direct, l'autonomie, la démocratie directe se vivent intensément peut être de manière pérenne ou temporaire70. L'urgence de la situation fait qu'il n'y a pas besoin de convaincre : les alternatives à notre société du tout pétrole doivent être mise en marche dès maintenant et le site de la ZAD par son aspect symbolique est le meilleur lieu de son expression. A tous ces égards, le site de Notre Dame des Landes m'apparaît comme étant clairement dans une démarche de Transition vers un monde plus résilient.

Divergences d'opinion

Avec le projet de l'aéroport de Notre Dame des Landes, la prospective devient obsolète car le choix sur la réalisation ou non du projet est une décision qui engage dans l'immédiat. Les prospecteurs de Transition, dont la démarche prospective n'est normalement pas en prise direct avec le présent, sont dans le cas du projet d'aéroport, amené à se positionner de manière plus ou moins forte. Les élus de Nantes Métropole et les membres de l'AURAN sont par conviction personnelle ou par nécessité, obligés de défendre le projet d'aéroport et la logique qui va avec. Cette logique est plutôt celle d'une centralisation des décisions et des moyens d'action, permettant de gouverner un grand nombre d'individus spécialisés et très interdépendants les uns des autres. A l'inverse, les Faltazi et Nantes en Transition, sans pour autant les soutenir totalement, se sentent plutôt proches des opposants, qui luttent et expérimentent un mode de vie plus sobre, plus local et plus résilient à l'échelle individuelle et de petits groupes.

Deux opinions larges sur l'avenir se

69 « Opposants aux vieilleries du futur » https://zad.nadir.org/spip.php?article780

70 Hakim Bey, TAZ, Temporary Autonomous Zone, 1991

dégagent donc. Je n’emploierai pas forcément les termes de croissance et de décroissance71 pour décrire ces deux opinions divergentes car cela ne rentre pas forcément dans le cadre de ce mémoire et la situation me paraît plus complexe que ce débat radical et politique entre « croissancistes » et « décroissants ».

Rapport d'échelles

Les prospecteurs de transition ne sont pas sur les mêmes échelles de raisonnement. Dans le cadre de la Démarche Mavi(ll)e Demain, les institutions de Nantes Métropole ont tenté de recueillir un maximum de contributions à l'échelle de l'agglomération pour pouvoir ensuite prendre des décisions impactant la vie de plusieurs centaines de milliers de personnes. De plus l'originalité de cette démarche prospective participative permet d'avoir une médiatisation à l'échelle nationale voir internationale, mais au sein du réseau restreint des professionnels et experts en urbanisme. En comparaison, les autres prospecteurs nantais ont eu une échelle d'impact sûrement bien moindre. Les Faltazi avec les Ekovores ont eux aussi atteint la reconnaissance nationale mais uniquement dans les réseaux du design et de l'écologie. Les articles parus dans la presse locale et leur actions avec les jardinières d'Idélles à Malakoff leur ont permis d'être un peu plus connus localement mais pas de manière massive. Nantes en Transition a fait connaître sa démarche auprès du milieu associatif concerné et de quelques centaines de personnes rencontrées au cours des événements. La différence d'échelle entre la démarche institutionnelle et les démarches plus individuelles est importante mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose car les objectifs et les stratégies d'actions sont différentes (communication de masse ou mise en contact progressif d'une multitude d'acteurs de la Transition).

Experts généralistes et citoyens spécialistes

Les prospecteurs de transition n'ont pas eu les mêmes démarches au niveau des personnes que cela a mobilisé. Dans le cas de Mavi(ll)e Demain,

71 Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, 2004

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les élus ont confié le déroulement du projet aux experts en urbanisme que sont l'AURAN et le cabinet RCT, puis les citoyens ont été consultés, puis leurs réponses ont été analysées par les experts pour enfin revenir aux élus en charge de décider. Cette méthode peut être qualifiée de technocratique car elle met en avant des experts qui montent un projet qui inclut certes une participation citoyenne mais qui n'émane pas d'elle. L'initiative vient du haut et est dirigée par des experts spécialisés sur des questions urbaines. On peut aussi se demander ce qui motive la consultation citoyenne. En effet de plus en plus d'institutions publiques se rendent compte que l'avis techniciste et scientifique en matière de prospective ne suffit pas pour imaginer des espaces urbains agréables. Les consultations citoyennes ne seraient donc pas seulement engagées pour récolter les avis des citoyens, mais aussi pour recueillir leurs idées et leurs initiatives d’appropriation agréables et spontanés des espaces urbains. Les prospecteurs tels que Yona Friedman, Rob Hopkins ou les Faltazi restent eux aussi des experts proposant leurs points de vue au monde entier bien qu'ils soient eux-même plutôt des experts assez généralistes mêlant différents domaines de connaissance. Nantes en Transition mais comme beaucoup d'autres initiatives voit plutôt les choses dans le sens inverse, en proposant aux citoyens de s'informer et de se former sur les questions de la Transition, devenant à petite échelle des citoyens spécialisés sur les questions du pic pétrolier et/ou du changement climatique, ils pourront être résilient, aussi en terme de savoir, car moins dépendants et critiques faces aux informations issues des médias de masses.

De manière plus large, on assiste donc à une nécessité d'ouverture de la part des experts, « des gens d'en haut » : ils se trouvent face à des problématiques de plus en plus complexes, ne relevant plus seulement des besoins économiques et matériels rationalisés, ils doivent répondre aux d'aspirations fortes des habitants à un cadre de vie agréable et à un « droit à la ville »72 en participant à sa création et à sa gestion. Du côté des habitants, on assiste à l'autoformation d'un nombre de plus en plus important de citoyens experts d'un domaine ou d'un dossier particulier (projet d'aéroport, de ligne ferroviaire...). Ces citoyens possèdent aussi en général une vision implicite des enjeux urbains, nationaux et internationaux (changement

72 Henri Lefevre, Droit à la ville, 1968

climatique, agriculture …) ; ils ont donc une vision globale de la ville à l'instar des élus et des experts. Petit à petit, les habitants cessent d'être des utilisateurs finaux de la ville et deviennent les initiateurs des changements nécessaires pour rendre la ville résiliente aux chocs économiques et écologiques de demain. Un mouvement de convergence est donc à l’œuvre entre d'une part, les institutions gouvernantes et experts, et de l'autre une part croissante d'habitants conscients et réactifs sur les enjeux globaux. Il reste à savoir si l'ensemble des habitants peut et veut être ce nouveau type de citoyen actif et informé, prenant part de manière importante à la transition des villes vers plus de résilience.

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3 Visions sur la ville de demain

Au regard des différentes visions produites par les prospecteurs de transition et selon la façon dont il les ont construites, on peut voir apparaître deux types de ville et d'urbanisme possible afin de faire face aux enjeux économiques et environnementaux. La possibilité d'un effondrement du système et de la ville et les scénarii post-apocalyptiques qui en découlent sont écartés car ce n'est pas forcément une vision positive de l'avenir.

La cité-état verte

La première vision très proche de ce qu'ont pu proposer les démarches Mavi(ll)e Demain et les Ekovores, serait plutôt celle d'une cité-état très peuplée et gérant un grand hinterland en conséquence (incarnée par les instances de la métropole nantaise) pour atteindre un équilibre et une résilience alimentaire et énergétique à l'échelle de l'agglomération. Les instituitons publiques fortes maintiennent la cohésion sociale tout en assurant un équilibre économique. « Les villes seront en première ligne face à la crise économique en Europe », déclaration du Maire de Nantes le 27/09/2012. Cette vision ne propose donc pas forcément de changement de paradigme. La gestion de l'espace reste donc très centralisée et la

ville est dense pour contenir la population, éviter l'étalement urbain et permettre l'agriculture en ceinture verte dans la périphérie de la métropole. Cette société se base sur l'idée de développement durable qui continue d'entretenir la flamme du progrès et de la surabondance matérielle pour le plus grand nombre. Le système hiérarchique reste celui de la démocratie représentative permettant aux habitants de se sentir libres et égaux sans pour autant être nécessairement impliqués de manière forte dans la vie politique et la prise de décision au sein de la cité. La relation avec l'environnement de cette ville est complexe. Le développement durable amène une prise de conscience des enjeux réels du changement climatique et de l'épuisement des ressources mais les démarches pour réduire l'impact de la ville sur l'environnement restent des actions a minima73, motivés par la nécessité du maintien du système sans pour autant changer le rapport à l'environnement et à la nature. Cependant la communication de ces actions s’opère de manière intensive auprès des habitants qui doivent se sentir fiers de ce qu'ils font pour la planète, le Green Washing devient omniprésent. La dérive vers une dictature verte et/ou une oligarchie éco-technologique est potentiellement réalisable.

La taille du groupe critique des utopies

Beaucoup d'utopies du 19e et 20e ont tenté de chiffrer la taille de la ville idéale et souvent sont arrivés au chiffre de 1500-2000 habitants par « unité d'habitation »(phalanstère de Fourier, cité radieuse du Corbusier...). Ces spéculations devenues concrètes dans certains cas, n'ont pas forcément beaucoup de sens et m'apparaissent plutôt comme relever de la lubie rationaliste du comptable ou de l'éleveur avicole d'une société industrielle. La notion de groupe critique développée par Yona Friedman laisse plus de liberté. En effet la taille maximale de la communauté dépend du territoire, des moyens de communication et d'échanges disponibles ainsi que du système hiérarchique qui en découle. La taille de la communauté est donc fonction de l'environnement dans lequel elle vit et n'est pas le résultat d'une planification artificielle et rationaliste qui nie les conditions et les ressources matérielles présentes sur le lieu de vie de la communauté.

73 A l'instar de la gouvernance mondiale lors de sommet pour le climat comme Copenhague en 2009 ou Rio+20 en 2012

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L'archipel des communautés

Une autre vision proposée plutôt par Yona Friedman (avec l'idée d'un village urbain) et dans une certaine mesure par les villes en Transition, se base sur un profond changement de paradigme. L'idée est que de petites communautés seraient capables d'assurer une résilience et une autonomie plus forte qu'une grande métropole face aux enjeux économiques et environnementaux. La ville n'est bien sûr pas rasée pour y faire des champs et des petits bourgs, mais l'espace urbain est requalifié en fonction des nécessités de chaque quartier. Les communautés peuvent soit être urbaines soit être rurales ; leur possible but est d'être les plus autonomes et résilientes à leur échelle, et ne nécessitent donc pas de coordination à l'échelle « supra-communale ». La taille de ces communautés n'est pas fixe mais une taille maximum est atteinte lorsque la pratique d'une démocratie directe et horizontale ne peut plus se faire sans clivage fort entre groupes au sein de la communauté. La démocratie directe permet à chaque individu de prendre part à l'autonomie matérielle de la communauté, il est donc beaucoup moins dépendant, plus résilient au sein du groupe. Spatialement, les espaces et les moyens de production alimentaire et industrielle sont à une petite échelle et proche de l’habitat, la dépendance à des productions venues de l'extérieur de la région est faible. On assiste de manière progressive à un exode urbain et un étalement rural.

La plupart des habitants vivent et travaillent au même endroit. Ils ne perdent plus leurs temps dans les transports pour aller travailler dans un bureau ou dans une usine vu que la demande en services et en biens de consommation à fortement diminué. Les habitants travaillent d'abord pour leur propre subsistance, la plupart entretiennent un potager à proximité de leur logement. N'ayant plus besoin d'un gros salaire pour survivre et les entreprises internationales étant en perte de vitesse, on travaille de manière ponctuelle chacun suivant ses talents (ébénisterie, poterie, recyclage électronique...) Le troc est un acte d'échange banal. Le temps libre étant important, les habitants en profitent pour s'essayer et découvrir leurs talents dans différents types d'arts. Des fêtes à l'échelle de la communauté sont organisées régulièrement et c'est l'occasion pour échanger et resserrer les liens entre les membres de la communauté.

Cependant les communautés qui se constituent ne sont pas repliées sur elles-mêmes. Les échanges avec l'extérieur de la communauté sont même riches en terme de qualité. Le transport à longue distance ne concerne en effet que ce qui n'est pas facilement reproductible sur place (art, culture, résultats d'expériences scientifiques, information au sens large). Le réseau de communication que représente internet devient donc un outil majeur. La plupart des communautés s’en servent ce qui permet l'échange de savoirs et d'idées sans qu'aucune entité puisse capitaliser cette richesse et donc rendre les autres dépendant. Le réseau entre les communautés est donc horizontal à l'échelle de la région (l'ancienne métropole) mais aussi à l'échelle de l'ensemble de la planète connectée au réseau. Yona Friedman décrit la civilisation du « paysan modernisé » comme « ni urbain classique ni rural », on pourrait ajouter qu'elle ne serait ni globale ni locale grâce au réseau Internet.

Vision passéiste ou moderne ?

Cette vision d'archipels de communautés peut sembler sous certains abords très passéiste, prônant le retour à la terre et à la sobriété des société rurales et/ou primitives. En effet il me semble important de regarder du côté de ces sociétés dites primitives. Les travaux d'anthropologues comme Claude Lévi-Strauss74 ou Marshall Salhins75 nous renseigne sur les modes de vie et les techniques sociales et économiques qu'ont mis en place divers peuples primitifs pour pouvoir vivre de manière sobre et non destructrice de l'environnement, et ainsi assurer leur résilience à long terme. Il apparaît alors qu'au lieu de développer toute une armada de technologies extrêmement consommatrices d'énergie et de matière comme dans notre société, ces peuples ont fait le choix (réfléchi ou non) de la simplicité matérielle liée à une myriade de codes sociaux plus ou moins contraignants suivant les peuples et les territoires pour assurer leur survie.

La simplicité matérielle dans laquelle ils vivent et la possibilité de disette si l'environnement subit une pression écologique trop forte, n’empêche pas ces peuples d'avoir une vie spirituelle et sociale très riche. En effet, la

74 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, 195575 Marshall Salhins, Âge de pierre, âge d'abondance, 1972

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profusion alimentaire de la nature non dégradée leurs permet de ne consacrer que 3 à 5 heures par jour pour l'alimentation76, ils ont donc potentiellement beaucoup de temps libre à dédier à la culture (musique, danse, peinture...) et à toute la vie sociale et spirituelle qui l'accompagne. Bien que nous ne puissions pas calquer notre société actuelle sur ce mode de vie, nous pouvons nous inspirer de leurs réussites et de leur inventions77.

En matière d'échanges des biens et des savoirs, la valeur d'usage et la valeur d'échange attribuées lors des transactions sont radicalement différentes des nôtres et plus complexes, ce qui fait que des phénomènes comme la délocalisation des productions, la spéculation... leur sont quasiment inconnus. Pour cela ils ne seront jamais confronté aux responsabilités lourdes qui nous incombent: changement climatique ou du pillage des ressources naturelles notamment.

Ces idées portées notamment par l'anarcho-primitivisme78 et le mouvement de la deep ecology79 peuvent paraître extrêmes et pas forcément en phase avec les souhait de la majeure partie des habitants de nos villes actuelles mais il me paraît pas complètement fou de les analyser et d'imaginer ce qui serait utile pour notre survie et celle de nos villes dans un monde de demain potentiellement très différent de celui d'aujourd'hui.

Bolo'bolo

Une tentative d'hybridation entre notre société actuelle et une société plus « tribale » et résiliente a été écrite par un auteur anonyme, PM en 1993 et s'intitule Bolo'bolo. Sous la forme d'un guide à l'instar du manuel de Transition, il propose quelques solutions pour échapper aux horreurs de la « Machine Travail » et mettre en place « un nouvel arrangement sur notre vaisseau spatial » (la planète terre). Bolo'bolo propose tout un nouveau langage et de nouvelles pratiques sociales et spatiales pour permettre aux habitants de vivre et de s'épanouir au sein des Bolo : quartier ou communauté autonome matériellement et culturellement. Suivant les interprétations,

76 Marshall Salhins, Âge de pierre, âge d'abondance, chapitre « la première société d'abondance alimentation »

77 Marcel Mauss, Essai sur le don, 195078 John Zerzan, Futur primitif, 199479 Roger Ribotto, L'écologie profonde ,2007

l'ouvrage se présente soit comme un manuel très sérieux pour mettre en place une phase de transition vers une société résiliente (Bolo'bolo) soit comme un conte imagé et subversif des mouvements alternatifs depuis les années 1970. En effet l'ouvrage est riche d'un grand nombre de références sur des propositions d'alternatives comme celles de Yona Friedman. Cet ouvrage assez surprenant permet d'affirmer encore une fois que les prospecteurs d'alternatives et de transition ont été et sont nombreux. Et que rien ne pourra jamais empêcher l'Humanité de réfléchir en permanence au futur qui l'attend et qu'elle construit.

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Conclusion

Face aux doutes et aux craintes suscités par l'étal global du monde : changement climatique et raréfaction des ressources d'énergie fossile, des acteurs au sein des villes, des villages aux grandes métropoles, engagent des démarches prospectives pour se convaincre de l'habitabilité d'un futur plus sobre en terme de consommation d'énergie et de biens.

Les technologies pour mettre en place ce futur existent et sont connues depuis au minimum les années 1970. Cela passe par une meilleure gestion des consommations et l'utilisation de matériaux et d'énergies renouvelables et naturels. Une production alimentaire locale et biologique est capable de nourrir une population nombreuse. Le facteur limitant pour arriver à des villes plus résilientes face aux changements du monde extérieur n'est donc pas une question technique ou technologique. Le consensus, entre les divers prospecteurs de transition présentés, sur les questions technologiques, le confirme.

La phase de Transition nécessaire pour mettre en place ce futur sans pétrole est donc une question plus d'ordre social et organisationnel. Pour engager cette Transition, il faut donc changer aussi les modes d'organisations et de prise de décision. Face à l'inertie décisionnelle qu'impose l'échelle d'un état ou d'une assemblée d'états (comme l'ONU) des citoyens se prennent en charge et s’attellent à trouver des solutions à leur échelle.

Pour mettre en marche cette Transition, l'outil de la prospective est un des plus puissants car il est généralement porté par une vision positive et optimiste du futur. A l'échelle de la métropole nantaise, plusieurs acteurs se sont engagés dans des démarches prospectives, qu'elles soient théoriques, imagées ou dans l'action, et elles contribuent toutes à la réalisation progressive du futur.

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Bibliographie et webographie thématique

Yona Friedman :-Yona Friedman, Utopies réalisables, 1974 (nouvelle édition 2000)-Yona Friedman, Architecture de survie, 1978 (nouvelle édition 2003)-Yona Friedman, Alternatives énergétiques , 1982 (nouvelles édition 2011)-Dominique Rouillard, Superarchitecture : le futur de l'architecture 1950-1970, 2004-http://www.yonafriedman.nl/

Rob Hopkins Manuel de la Transition :-Rob Hopkins, Manuel de Transition, 2008 (traduction française 2010)-Simon De Muynck, Les villes en transition : discours, réalité, reproductibilité, 2009-2010 -Mémoire de fin d'études-http://www.transitionnetwork.org/

Les Ekovores :-http://www.faltazi.com/wordpress/tag/ekovore/-Bill Mollison et David Holgren, Permaculture 1 et 2, 1978-Masanobu Fukuoka, La révolution d'un seul brin de paille, 1975-Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs : Pour retrouver une agriculture

saine, 2008

Maville Demain :-http://www.mavilledemain.fr/-Place Publique n°26 mars avril 2011 + Supplément « Penser pour Nantes 2030 »

Nantes en Transition :-http://www.nantesentransition.net/spip/-Pierre-Yves Lacombe, Le Mouvement de la Transition, juin 2011 Mémoire de master-https://sites.google.com/a/adda.asso.fr/adda/

Sociologie et Urbanisme :-Henri Lefevre, Droit à la ville, 1968-Michel Ragon, L'architecte, le prince et la démocratie, 1977-Annales de la recherche urbaine : n° 103 La transition énergétique, 2007

Notre Dame des Landes :-Collectif SUDAV, C’est quoi c’tarmac ? Projet d’aéroport au nord de Nantes. Profits, mensonges et résistances, 2011-Z n°4 Nantes Autonne 2010-https://zad.nadir.org/ -http://acipa.free.fr/

Décroissance et alternatives :-Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, 2004-Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, 2007-Stéphane Hessel, Indignez-vous, 2010-Pierre Rabbhi, Vers la sobriété heureuse, 2010

Utopies et peuples premiers :-Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, 1955-Marshall Salhins, Âge de pierre, âge d'abondance, 1972-Hakim Bey, AZ, Temporary Autonomous Zone, 1991-P.M., Bolo Bolo, 1993-John Zerzan, Futur primitif, 1994

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