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PROSPER MÉRIMÉE Pierre Pélissier

Prosper Mérimée

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PROSPER MÉRIMÉE

Pierre Pélissier

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Prosper Mérimée

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DU MÊME AUTEUR

Un certain Raymond Barrre, Hachette, 1977.La Vie quotidienne à l'Élysée de V. Giscard d'Estaing, Hachette, 1978.Les Grognards de Cabrera, Hachette, 1978 (en collaboration avecJérôme Phelipeau).

Philippe Pétain, Hachette, 1980.Émile de Girardin, prince de la presse, Denoël, 1985 (Prix Napoléon-III 1986).

Une couronne pour deux, J.-C. Lattès, 1986 (en collaboration avecN. Kern et D. Séguin).

Charles Pasqua, J.-C. Lattès, 1986.Brasillach le Maudit, Denoël, 1989 (Prix des Amis de Robert Brasillach1990).

Tous nuls, Denoël, 1989.Saint-Cyr, génération Indochine-Algérie, Perrin, 1992 (Prix des « Écri-vains combattants » 1993, Prix de la Légion d'honneur 1994).

La Bataille d'Alger, Perrin, 1995 ; Tempus, 2002.Jacques Faizant, dessinateur de légendes, J.-C. Lattès, 1996.Au secours nos élus nous ruinent, Denoël, 1997.La Légende de Jacques Anquetil, Rageot, 1997.De Lattre, Perrin, 1998.6 Février 1934, Perrin, 2000.Massu, Perrin, 2003 (Prix Robert-Joseph 2003, des « Écrivains com-battants »).

Dien Bien Phu, Perrin, 2004 (prix J. Sainteny, de l'Académie dessciences morales et politiques).

Nous les Français combattants 39-45, Tallandier, 2005, en coll. avecPierre Messmer et Michel Tauriac (prix Dulac, de l'Académie dessciences morales et politiques).

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PIERRE PELLISSIER

PROSPER MÉRIMÉE

TALLANDIER

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© Éditions Tallandier, 20092, rue Rotrou – 75006 Paris

www.tallandier.com

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SOMMAIRE

Lever de rideau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Chapitre premier : Premières entrées en scène, sa famille,ses études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Chapitre 2 : Les premiers pas de l’écrivain et Le Théâtre de ClaraGazul, le goût de la mystification, La Guzla . . . . . . . . . . . . . . . 29

Chapitre 3 : De l’amour à la création, premières nouvelles,la bataille d’Hernani . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

Chapitre 4 : L’Espagne et la famille Montijo, les Trois Glorieuses,garde national, entrée dans les cabinets ministériels . . . . . . . . 63

Chapitre 5 : Le « vaurien », le roman de Jenny Dacquin,le « fiasco » avec George Sand, apparition de ValentineDelessert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

Chapitre 6 : Inspecteur général des Monuments historiques . . . . 97Chapitre 7 : Mérimée veille sur ses monuments, Charroux,Saint-Savin, Cunault . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

Chapitre 8 : Quelques publications, la famille Montijo à Paris,d’autres monuments à préserver, entre Valentine et Manuela… 129

Chapitre 9 : Voyage en Corse, Colomba . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143Chapitre 10 : Deuxième tentative de Louis Napoléon, un autrevoyage vers l’Ouest, une expédition en Turquie, Jublains,Boussac, Cluny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

Chapitre 11 : La mort de Stendhal, H. B. : un curieuxhommage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

Chapitre 12 : L’histoire romaine et l’Institut, à l’Académiefrançaise, le scandale Arsène Guillot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

Chapitre 13 : Toulouse, Avignon, Carmen, L’Abbé Aubain,Clermont-Ferrand, Don Pèdre Ier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199

Chapitre 14 : La révolution de 1848, le sauveur du Louvre,toujours à la Garde nationale, un prince-président . . . . . . . . . 211

Chapitre 15 : L’affaire Libri . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229

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Chapitre 16 : Un voyage manqué en Algérie, les dames Montijoà Paris, Le Carrosse du Saint Sacrement, la fresque des« arts libéraux » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239

Chapitre 17 : Les suites de l’affaire Libri, détenu à la Conciergerie 253Chapitre 18 : La mort de Mme Mérimée, un dernierdéménagement, bibliophile, gastronome, des malaisesinquiétants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265

Chapitre 19 : Un prince-président entreprenant, un empereur…une impératrice… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279

Chapitre 20 : Le sénateur, toujours l’affaire Libri, les « serinettes »et les droits des créateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291

Chapitre 21 : Chagrins d’amour, le sauvetage de Chinon et autreslieux, la mission héliographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307

Chapitre 22 : La guerre de Crimée, Napoléon III veut partir encampagne, l’Exposition universelle de 1854 . . . . . . . . . . . . . . 323

Chapitre 23 : La vie à la Cour, un curieux courtisan, naissancedu prince-héritier, les résidences impériales . . . . . . . . . . . . . . . 335

Chapitre 24 : Valentine l’infidèle, une dictée usurpée,Pierrefonds l’illusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353

Chapitre 25 : La réforme de la Bibliothèque impériale,le César de Napoléon III, Mérimée, agent secret deSa Majesté, un regard sur la politique impériale . . . . . . . . . . . 365

Chapitre 26 : Des amours compliquées, la jalousie d’Eugénie,Mérimée médiateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383

Chapitre 27 : Retraité des Monuments historiques, des missionsmultiples et variées, un ministère refusé, retour à la littérature 395

Chapitre 28 : Les orages menaçants, Italie et Mexique, Parisgrandit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 407

Chapitre 29 : La vie cannoise de Mérimée, ses animaux,les amours oubliées, les mariages supposés . . . . . . . . . . . . . . . 423

Chapitre 30 : Vers l’empire libéral, l’Exposition universellede 1867, mort de l’empereur Maximilien, la montée des périls 441

Chapitre 31 : Les dernières œuvres, le déclin physique, une morttrès prématurée… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 461

Chapitre 32 : L’empire sur le déclin, l’effondrement de 1870 . . . 481Chapitre 33 : À l’aide d’Eugénie, l’appel à Thiers, l’impératricevers l’exil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 491

Chapitre 34 : La mort de Prosper Mérimée, L’inhumationà Cannes, de tardifs hommages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 501

Épilogue : Le rideau tombe. Le temps des légendes . . . . . . . . . . 507

Annexe 1 : Repères chronologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517Annexe 2 : Les œuvres de Prosper Mérimée . . . . . . . . . . . . . . . . 523

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Annexe 3 : L’entourage de Prosper Mérimée . . . . . . . . . . . . . . . 529Annexe 4 : Les voyages de Mérimée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 551Annexe 5 : Les adresses de Mérimée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 561

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 569

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 571

SOMMAIRE

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Pour Patrick Morancy

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Lever de rideau

Au mois de février 1875, le compositeur Georges Bizet met en répé-tition l’opéra-comique, qu’il vient de composer sur un livret d’HenriMeilhac et Ludovic Halévy. Les librettistes ont adapté une nouvelle deProsper Mérimée, cette Carmen qui n’a pourtant pas été un immensesuccès de librairie. Du texte, ils n’ont retenu que la deuxième partie del’ouvrage, l’aventure amoureuse de la jeune bohémienne et de sonamant don José.Un tel choix aurait certainement amusé Prosper Mérimée. Le livret,

sans forcer le trait, reprend ce que l’écrivain prônait lors de sesdébuts : de la couleur locale, presque de l’exotisme, l’oubli des règlesqui avaient écrasé le théâtre classique dans un carcan immuable. Puisil y a, dans cet opéra-comique, des traits et des caractères que Méri-mée a recherchés tout au long de sa carrière. Carmen, naturellementjeune, belle, spontanée, sans doute un peu écervelée, est la féminitéaboutie ; la femme qui peut faire d’un homme un pantin. Don José,naïf de la plus belle espèce, à la fougue incontrôlée, est une victimedésignée. La violence, qui transparaît largement au fil des œuvres deMérimée, éclate à chaque scène ; violence parfois insensée qu’il savaitdécrire en choisissant des mots éteints, des termes distants, desphrases presque glacées…Mais Mérimée n’est plus là pour s’amuser. Il y a cinq ans qu’il est

mort, presque solitaire, à Cannes où il venait passer ses hivers depuisdes années. Ces cinq années auraient pu l’engloutir ; puisque tout, oupresque tout, ce qu’il représentait, ce qu’il était, ce qu’il avait, adisparu avec lui. Un autre monde est né avec la chute du SecondEmpire, une autre société se dessine. Puis il ne faut pas oublier laCommune qui, dans sa chute, a voulu détruire les symboles du pou-voir par le feu. L’incendie a ravagé les Tuileries, l’Hôtel de Ville, leministère des Finances. Depuis la Caisse des dépôts les flammes sesont propagées aux immeubles voisins. La maison de la rue de Lille,où habitait Prosper Mérimée, est devenue un brasier où ont disparuses collections, sa bibliothèque, ses écrits, ses souvenirs.

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Et voici qu’un opéra-comique pourrait offrir à Mérimée une nou-velle vie.

Musicien aussi doué que précoce, entré au Conservatoire à l’âge de10 ans, raflant tous les prix possibles durant ses études musicales,Georges Bizet n’est pas un compositeur habitué aux triomphes. Mal-gré un talent affirmé, il connaît encore de retentissants échecs, notam-ment avec ses Pêcheurs de perles, une commande de l’Opéra-Comiquequi tourne au four absolu. Il est trop moderne, trop en avance sur sontemps et sur ses rivaux, mais il est aussi incapable de se décourager.C’est peu après ce revers qu’il aborde Carmen, négligeant un momentla composition de la musique de scène de L’Arlésienne d’AlphonseDaudet qui, elle, sera enfin considérée comme un chef-d’œuvre !La partition de son opéra-comique achevée, Georges Bizet choisit,

pour tenir le rôle de Carmen, une cantatrice de 35 ans, CélestineGalli-Marié, internationalement connue et reconnue. Bizet sait qui estla chanteuse ; il peut s’attendre au meilleur comme au pire et il araison. Elle multiplie les caprices tout au long des répétitions, critiquele modernisme de la partition, oblige Bizet à remanier treize fois sonair d’entrée :

«Quand je vous aimerai, ma foi, je ne sais pas.Peut-être jamais, peut-être demain ;Mais pas aujourd’hui, c’est certain. »

Pour faire bonne mesure, pour lui démontrer que l’amour n’est passeulement enfant de bohème, Célestine attire Bizet dans son lit. Deve-nue sa maîtresse, elle le rejette quelques jours avant la représentationgénérale.La pièce est créée le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique. Au tomber

du rideau, l’ambiance est lourde, le public reste froid, compassé,presque hostile. La critique et les spectateurs vont s’accorder pourtrouver le sujet immoral. Le modernisme de Bizet détonne toutautant. Il se murmure que les hardiesses de la bohémienne ont effa-rouché les grandes dames bourgeoises, accoutumées à des intrigueshonnêtes et modérées. Curieusement, au lendemain de la première,les critiques entonnent la même chansonnette : Bizet est un grandmusicien ; ses librettistes ont eu tort de lui apporter des personnagessans intérêt ; Mérimée n’est pas un homme de théâtre.Le premier article à paraître, celui du Figaro, le lendemain matin,

est étrange. L’auteur qui se cache sous le pseudonyme du «Monsieurde l’orchestre », l’a rédigé rapidement. Pendant un bon siècle encore,les comptes rendus des premières paraîtront dès le lendemain dans ce

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journal. Mais le récit est curieux : nous connaissons tout des invités, laprésence d’Hortense Schneider, d’Offenbach ou d’Alexandre Dumas ;tout de l’auteur des décors ou des créateurs de costumes ; tout oupresque tout de Bizet, Meilhac et Halévy. Mais rien, absolument rienà propos de Mérimée : son nom n’apparaît pas une seule fois dans cecompte rendu !Bizet est encensé par L’entr’acte du 5 mars, où Étienne Desgranges

écrit : « Ces quatre actes de musique révèlent une fécondité de res-sources qui nous autorise à considérer M. Bizet comme un compositeurayant droit à ses grandes entrées partout où l’on tient en honneur lagrande musique. » Pour La Comédie du 14 mars, Charles de Sennevillea pris le temps de la réflexion. Il s’en prend au livret : « La donnée estquelque peu brutale, elle manque d’élévation et de grandeur ; onn’éprouve aucune sympathie pour tous les personnages qui, la plupart,sont dégradés ou avilis… »Et l’auteur, Prosper Mérimée ? Déjà oublié ici, déjà égratigné là, il

est carrément assassiné le 15 mars par Arthur Pougin, le critique deLa Revue des théâtres lyriques : «Par malheur, et pour cette tentativequi paraissait devoir décider de son avenir, M. Bizet a été servi defaçon bien fâcheuse par ses collaborateurs. M.M. Meilhac et Halévy,qui sont gens d’esprit et gens habiles, ont eu la malencontreuse idéede puiser leur sujet dans un récit de Prosper Mérimée, qui, bien loind’offrir les éléments d’une œuvre scénique, est au contraire hostile àtoute adaptation de ce genre. » Mérimée pourrait ricaner, au fond desa tombe : vivant il avait choqué plus d’une fois ses lecteurs et surtoutses lectrices en choisissant ses sujets ; disparu, les mêmes sujets perpé-tuent les mêmes effets.Naît alors une légende qui, elle aussi, perdurera. Il se raconte qu’au

soir de la trente-troisième des quarante-huit représentations, CélesteGalli-Marié arrive au théâtre dans un étrange état d’excitation. Ellepleure en coulisses… Au cours du troisième acte, elle a un malaise…Les acteurs, qui se pressent autour de la cantatrice à demi évanouie,affirment qu’elle vient de murmurer : « Bizet est mort. » Le composi-teur, au même instant, a une sérieuse attaque cérébrale dans sa maisonde Bougival, sur les bords de Seine. Il meurt le 3 juin, à l’âge de 37 ans !Il n’est pas sûr que Prosper Mérimée, qui a tout osé ou presque dans sacarrière d’auteur, aurait eu l’audace d’imaginer semblables péripéties.La carrière de Célestine Galli-Marié se confond, dès lors, avec le

succès de Carmen, qui ne se démentira plus. Certes, il faut attendre1883 pour que la pièce soit reprise à Paris ; mais l’œuvre a triomphéà Bruxelles, à Londres, à Saint-Pétersbourg. Célestine Galli-Mariécommet une seule erreur : chanter trop longtemps sur scène. En 1890,se partageant entre les théâtres parisiens et sa retraite de Vence, elleaccepte d’interpréter une fois encore Carmen. Une fois de trop. Elle n’a

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LEVER DE RIDEAU

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plus de voix. Elle fait pitié au public. Elle s’enfuit pour toujours versVence, où elle meurt le 22 septembre 1905 après avoir formulé undernier vœu, qui n’est point entendu : être inhumée à Cannes, près deMérimée. Aujourd’hui encore, nul ne sait où elle repose.

C’est ainsi que deux librettistes, un compositeur et une cantatriceont ouvert le chemin de la gloire devant Prosper Mérimée ; même s’iln’est pas certain que le premier nom qui vienne à l’esprit lorsqu’il estquestion de Carmen soit celui de Mérimée… Depuis l’opéra-comiquea été joué des milliers de fois à travers le monde. Il existe des cen-taines d’adaptations ; souvent fidèles, parfois de pâles trahisons ; ilexiste des versions cinématographiques, des ballets, des pantomimes.Mais la Carmen, mise en musique par Bizet, tient toujours l’affiche.Elle a, dans son ombre, une seule rivale, souvent adaptée elle aussipour le cinéma ou la télévision, Colomba ; une autre enfant naturellede Mérimée que la violence habite, que la vengeance inspire, quientend mener les hommes comme il lui convient. Sainte-Beuve, dansun rapide rapprochement, a même fait d’Électre la sœur aînée deColomba.Prosper Mérimée n’est pas seulement l’auteur de Carmen ou de

Colomba, bien que l’une et l’autre puissent suffire à sa gloire. S’ilcompte parmi les meilleurs prosateurs de son siècle, si, avantMaupassant, il a offert ses lettres de noblesse à la nouvelle, Mériméeest aussi l’homme d’autres rôles, bien éloignés de la littérature. N’est-il pas l’homme qui a donné vie et dimension à une institution essen-tielle pour la survie du patrimoine national : les Monuments histo-riques ? Romancier par goût, archéologue par conviction, historienpar passion, académicien par ambition, traducteur par amitié, séna-teur par la grâce impériale, courtisan par fidélité, et traquant toujoursdes jupons frivoles ou se consumant en des amours éternelles ouimpossibles… Tant de rôles, de fonctions, de talents, de réussites ontcertainement brouillé son image et nuis à sa réputation…Qu’importe à Mérimée ; il a toujours agi comme il l’entendait, atten-

tif aux seules réactions de ses amis ; se comportant comme s’il s’inspiraitde ses animaux préférés et vivait sept vies, comme les chats de légendes.Nous voici face aux sept vies de Mérimée.

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Chapitre premier

Premières entrées en scène, sa famille, ses études

Le siècle a trois ans. Napoléon se prépare bien à percer sousBonaparte. Lancé dans une furieuse fuite en avant, il s’est, depuis unan, autoproclamé président de la République italienne, il a annexé lePiémont, s’est déclaré «médiateur » de la Suisse, veut une réorganisa-tion territoriale de l’Allemagne et prépare une guerre contre l’Angle-terre. Un autre monde s’annonce, incertain, même si les plaies de laRévolution se cicatrisent, si les Français oublient, ou essayent d’oublierles années sanglantes. Les goûts, les modes changent, ce qui aide àeffacer le passé. Il n’y a pas de querelles entre les Anciens et lesModernes chez les artistes, mais la relève s’entrevoit ; peintres, écri-vains, dramatuges approchent de rivages vierges, qu’ils vont explorer.Tout cela pourrait bien laisser indifférents les Parisiens qui, pour-

tant, célèbrent désormais la Saint-Napoléon le 15 août, et voient appa-raître les premières pièces de monnaie à l’effigie de Bonaparte. Aurevers de l’habit de personnages importants fleurissent, depuis le prin-temps dernier, des rubans rouges, promis à un bel avenir, et pas mal deconvoitises. Paris n’est encore qu’un ensemble de villages, de maisonsbasses, de rues étroites avec, ici et là, des bâtiments plus importants,incarnant l’État, hier la monarchie, aujourd’hui le Consulat, demainnul ne sait trop quoi. Le Louvre est encore encombré de bâtisses quiont poussé dans les cours intérieures ou se sont accoudées aux mursdu palais ; vit là une population étrange, disparate, souvent misérable.Le Palais des Tuileries voisin est désert. L’Institut et sa coupole toisentla Seine ; plus haut le Luxembourg accueille les dignitaires du nouveaurégime.Tout près de là, à l’ombre du Panthéon, habite un couple vivant

paisiblement, à l’écart des mouvements du temps, comme si l’hommetenait à éviter l’agitation, lui qui n’a rien connu des foucades et descrimes de la Révolution puisqu’il était, à l’époque, en Italie. LéonorMérimée n’est pourtant pas un médiocre personnage. Il est né àBroglie, dans l’Eure, le 16 septembre 1757, où son père, avocat auParlement de Rouen, exerçait les fonctions d’intendant auprès du

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maréchal de Broglie. Ses études, qui ont peut-être étonné ses ascen-dants, l’ont conduit à l’École des beaux-arts, qu’il quitte avec undeuxième prix de peinture.Léonor Mérimée n’est déjà plus un jeune homme lorsqu’il décide

de convoler. Il a 43 ans quand il épouse, le 3 messidor an X, quicorrespond au 22 juin 1802, une jeune fille de dix-huit ans sa cadette,Anne-Louise Moreau, qui est donc née en 1775, à Avallon. La céré-monie civile est célébrée à la mairie du 8e arrondissement de Paris quideviendra, dans un demi-siècle, l’actuel 11e arrondissement. Le nou-veau couple ne passe pas par l’église. Si l’âge n’est pas de nature à lesrapprocher, l’art est présent pour les unir. La jeune Anne-Louise estportraitiste et enseigne le dessin ; Léonor professe aussi le dessin àl’École polytechnique et, accessoirement, dans l’établissement scolaireque dirige Mme Moreau, la mère de la jeune Anne-Louise… Léonorne peint plus guère, comme s’il doutait de ses talents, mais il profitedu laboratoire de chimie de l’École polytechnique pour approfondirses expériences sur les couleurs et la peinture à l’huile. Un détail,insignifiant à première vue, complète la vie des jeunes mariés : septsemaines après leur union, Léonor est nommé membre du jury pourl’exposition des produits de l’industrie nationale ; ce qui laisse suppo-ser de solides relations dans les milieux artistiques et surtout poli-tiques.Le 5 vendémiaire an XII, qui est aussi le 28 septembre 1803, vers

22 heures, un enfant naît chez les Mérimée au carré Sainte-Genevièveno 7, division du Panthéon ; sensiblement là où se situe aujourd’hui le7 de la place du Panthéon. L’enfant reçoit le prénom de Prosper, sansêtre baptisé semble-t-il, encore que le non-événement ait, depuis cettedate, fait l’objet d’éternels débats.Il convient de ne pas oublier, parmi les ascendants de l’enfant,

qui vient de se glisser dans le cercle de famille, une arrière-grand-mère étonnante, la grand-mère de sa mère. Fille d’un chirurgien,M. Leprince, Marie-Pauline naît à Rouen le 26 août 1711 ; elles'éloigne de sa famille à 24 ans, se marie à 32 ans, avec un M. deBeaumont. L’époux se révèle un homme guère respectable ; elle lequitte deux ans plus tard, en prenant soin de faire annuler leurmariage. Elle fait carrière dans l’enseignement et écrit pour lesenfants, avec un style net et concis. Parmi la soixantaine de recueilsqu’elle publie, l’un est intitulé Le Magasin des enfants ; il contient unenouvelle plus célèbre que son auteur : La Belle et la Bête !Des parents peintres et dessinateurs, une ancêtre écrivain morte en

1780, une grand-mère Moreau qui a vécu et s’est mariée à Londres,un père siégeant au jury d’expositions industrielles, quelques relentsd’anticléricalisme, une certaine indifférence envers les systèmes poli-

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tiques, cela peut suffire pour esquisser une toile de fond avant le leverdu rideau.

X

Le petit Prosper grandit avec l’Empire mais pas nécessairementdans le culte napoléonien, même si Léonor a accroché à son domicileun portrait de l’Empereur. Il arrive parfois, au hasard de l’histoire,que les Français placent sur un meuble ou au mur un portrait de leurchef d’État, parfois par fidélité, parfois pour rassurer les voisins.Le jeune Mérimée est un enfant sage et de ceux qui ne laissent guère

de traces de leur croissance. Les anecdotes qui ont traversé les décen-nies sont minces, rares et toujours sujettes à caution. Nous saurons trèsvite, parce qu’il l’a souvent répété lui-même, que Mérimée avait la plusprofonde aversion pour son prénom : Prosper lui déplaît, lui déplairatoujours. Il aborde la cinquantaine lorsqu’il reproche à un de ses fami-liers, Francisque-Michel, d’avoir donné ce même prénom à son fils :«On dira cent mille fois à votre fils : Monsieur Prosper, vous prospére-rez ; ce qui pourrait le rendre hargneux. » Puis il ajoute qu’il a faillis’appeler Zéphyrin, ce qui ne l’aurait pas réjoui autrement, avant deconclure par une de ses pirouettes auxquelles il faudra nous habituer :« Au reste la difficulté de choisir un nom pour un enfant est si grandequ’elle a contribué en partie à me faire garder le célibat, et j’ajouteraiqu’après avoir élevé environ cent cinquante chats, je n’en ai jamaisnommé un seul. J’ai eu le grand chat noir, la chatte, le petit noir, etc.,mais de nom propre point. » Naturellement farceur, Mérimée oubliede préciser que le chat qui lui a offert le plus de tendresse, le préférédonc, avait un bien nom : Matifas !Nous savons aussi qu’il s’est forgé très tôt une maxime, ou que sa

mère lui a insufflée : « Souviens-toi de te méfier. » Il reste à savoirpourquoi il va faire de la méfiance l’une de ses règles de vie ; et là, siles sources ne manquent point, elles divergent notablement. La pre-mière version est l’œuvre du critique littéraire Sainte-Beuve qui sera,des décennies durant, l’ami fidèle de Mérimée, et qui a bien connuMme Mérimée mère : « Il avait cinq ans, il avait fait quelque faute. Samère, qui était occupée à peindre, le mit hors de l’atelier en pénitenceet ferma la porte sur lui. À travers cette porte, l’enfant se mit à deman-der pardon, à promettre de ne plus recommencer, et il employait lestons les plus sérieux et les plus vrais. Elle ne lui répondit pas. Il fit tantqu’il ouvrit la porte et, à genoux, il se traîna vers elle, suppliant tou-jours et d’un accent si sérieux et dans une attitude si pathétique qu’aumoment où il arriva en sa présence elle ne put s’empêcher de rire.À l’instant il se releva et changea de ton. “Eh bien, s’écria-t-il, puis-qu’on se moque de moi, je ne demanderai plus jamais pardon.” »

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CHAPITRE PREMIER

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La deuxième version nous vient de Taine, qui a glissé ces lignesdans une étude sur Mérimée, parue après la mort de celui-ci. À plu-sieurs égards, l’anecdote diffère de celle racontée par Sainte-Beuve ;elle est moins certaine, d’une part parce que Sainte-Beuve a toujoursdit tenir son récit de Mme Mérimée mère ; d’autre part parce qu’il alui-même raconté l’épisode à Taine… lequel paraît avoir brodé : «Àdix ou douze ans, je crois, ayant commis quelque faute, il est grondétrès sévèrement et renvoyé du salon ; pleurant, bouleversé, il venait defermer la porte lorsqu’il entendit rire ; quelqu’un disait : “Le pauvreenfant nous croit bien en colère !” L’idée d’être dupe le révolta ; il sejura de réprimer une sensibilité si humiliante et tint parole. »La troisième version est le fait des frères Goncourt, et elle est ins-

crite dans leur Journal à la date du 13 janvier 1864, très tardivementdonc : « Il paraît que tout Mérimée, cœur et tête, est fait de la craintedu ridicule et qu’il vient de ceci. Enfant, on le gronda ; sorti de lachambre, il entendit ses parents rire de la figure pleureuse qu’il avaitfaite à la semonce. Il se jura qu’on ne rirait plus de lui. Et il s’est tenuparole : il s’est séché à fond. » Version sans autre intérêt que l’extrapo-lation, rendue possible par le temps. Mérimée se façonnera effective-ment l’image d’un homme froid, se gardant de toute émotion, uneattitude totalement fabriquée que les frères Goncourt attribuent à lamésaventure d’un enfant dont on ne sait d’ailleurs plus s’il avait cinq,sept ou dix ans…Au-delà de ces variantes, l’historiette est sûrement vraie… Mais qui

peut sérieusement croire qu’un enfant de 5 ans puisse prendre une tellerésolution – « je ne demanderai plus jamais pardon » – et s’y tenir sa viedurant ?

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Une autre anecdote nous présente un jeune garçon aux passionsamoureuses précoces, mais il faut nous habituer à nuancer certainesaffirmations que le temps a confortées et amplifiées. La scène sesituerait en 1810, Prosper n’a donc que 7 ans bien qu’il passe pourtrès amoureux d’une protégée, ou d’une pensionnaire, de ses parents.Mlle Dubost a d’autres idées en tête que le très jeune garçon ; elle estfiancée, elle va se marier avec le Dr Régnier. Que n’a-t-il été dit etécrit sur ces amours enfantines, sur les crises de désespoir ou dejalousie du gamin… Il ne reste de cette passion supposée que deuxcertitudes : plus tard, Prosper Mérimée sera un familier des Régnierqui l’accueilleront volontiers chez eux, à Coulommiers, ensuite àSaint-Chéron ; puis le jeune homme, l’adulte, l’homme mûr ne cesserajamais de tomber amoureux et de souffrir. Dans quelques années, en1820, arriveront de Londres deux jeunes Anglaises qui deviendront

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Dépôt légal : avril 2009ISBN : 978-2-84734-334-2Numéro d'édition : 3292