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48 *Source : "DEFICIENCES MOTRICES ET SITUATIONS DE HANDICAPS" - ed. APF - 2002

Introduire en un seul titre les notions d’identité, de représentations ou encore dehandicap, conduit tout naturellement à parler de ce qui unit ces trois objets, leurconfère un sens : la culture de laquelle ils émergent. En effet, l’expérience d’unhandicap a une signification sociale qui s’insère dans un contexte socio-histo-rique et des pratiques sociales.

PSYCHOLOGIE POPULAIRE ET REPRÉSENTATION DES PERSONNES HANDICAPÉES

Chaque culture génère un ensemble de représentations, croyances, conven-tions qui permettent à ses membres d’interpréter les événements qu’ils observentet de communiquer avec leurs semblables. Ce système de « significations »constitue une psychologie que certains qualifient de « populaire » ou de « naïve »ou encore de « sens commun ». Ainsi, tel comportement d’un congénère pourraêtre « expliqué » par sa « personnalité », par ses conditions d’existence ou encorepar l’emprise de forces démoniaques, selon le type de psychologie à l’œuvre.

La psychologie populaire nous fournit donc un ensemble de « connaissances »sur ce qu’est une personne, la façon dont s’agencent les traits de personnalité, surles différentes manières d’agir – bonnes et mauvaises – en différentes circons-tances…, connaissances que nous utilisons aussi bien pour nous situer nous-mêmes que pour définir d’autres personnes. En effet, c’est encore dans le cadrede la psychologie populaire que nous interprétons nos propres expériences indi-viduelles et sociales et c’est donc à partir des mêmes représentations culturellesque nous donnons un sens à ce que nous sommes, que nous construisons notreidentité.

De nombreuses recherches en psychologie sociale ont montré que, dans lescultures occidentales, les individus surestiment le poids des caractéristiques per-sonnelles et négligent les facteurs externes liés à la situation dans l’explicationdes comportements humains. C’est la raison pour laquelle les approches duhandicap se sont majoritairement centrées sur l’individuplutôt que sur l’en-vironnement. Si elle est biaisée, une telle conception est toutefois cohérente avecune représentation de l’individu libre, autonome et responsable de ses actes àl’œuvre dans notre psychologie populaire, représentation qui semble bien remplirune fonction sociale de maintien de l’ordre établi. En effet, considérer l’individucomme cause de son comportement permet de ne pas questionner les pratiquessociales.

La pratique du sport offre une autre représentation des personneshandicapées.

Isabelle VillePsychosociologue, INSERM

Identité, représentations sociales et handicap*

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L’expérience d’un handicap n’échappe pas à la psychologie populairequil’interprète, en envisage les conséquences sur l’individu, sa vie, sa personnalité,ainsi que les différentes façons d’y réagir. Au début des années quatre-vingt, Pai-cheler et ses collaborateurs ont étudié la façon dont le grand public se représenteles personnes handicapées. Leurs résultats montrent deux représentations diver-gentes des personnes se déplaçant en fauteuil roulant. L’une, majoritairement ex-primée, leur attribue anxiété et introversion ; l’autre, au contraire, associe à la dé-ficience un type de « personnalité » calme, contrôlée, rationnelle… Analysant cesreprésentations en regard de représentations plus générales véhiculées dans lapsychologie populaire, les auteurs constatent que la représentation majoritairecoïncide avec celle de la « personne inadaptée », tandis que l’autre représentationcorrespond à la personne-type qui aurait « réussi sa vie sociale et professionnelle ».Une autre représentation, celle de la personne « bien dans sa peau », spontanée,confiante et insouciante, utilisée pour décrire des valides, n’est quasiment jamaisattribuée aux personnes en fauteuil roulant.

Une autre étude, réalisée à la même époque auprès de professionnels de la ré-adaptation (médecins, kinésithérapeutes, ergothérapeutes), fait émerger des re-présentations très proches des précédentes pour décrire cette fois les personneshandicapées qui ont « surmonté leur handicap » et celles qui n’ont « pas surmontéleur handicap ». Ainsi, pour les professionnels comme pour les profanes, iln’existe qu’un mode d’adaptation, qu’une façon de « surmonter son handicap »,se traduisant par le fait de posséder un moi fort, caractérisé par le contrôle de soi,la stabilité et la persévérance.

Ces résultats viennent étayer les « théories de l’étiquetage» (labelling) quimettent en évidence les effets préjudiciables du processus de stigmatisation.Pour les tenants de ces théories, étiqueter une personne comme handicapée cen’est pas seulement décrire un type de déficience, c’est lui attribuer un ensemblede caractéristiques qui sont culturellement associées à cette déficience. C’est lapersonne entière, sa « personnalité », qui sera interprétée à la lumière du handi-cap. En se conformant aux attentes inhérentes au stigmate, la personne entre alorsdans une « carrière » de déviant et, à la déficience initiale, s’ajoute un handicappsychologique. Le fait que ce dernier soit considéré comme directement associéà la déficience vient entériner le processus. Dans cette perspective, la stigmatisa-tion souvent reliée à l’institutionnalisation contribue à renforcer les stéréotypes etgénère l’incompétence et la dépendance des personnes handicapées.

PRATIQUES ET TRAITEMENT SOCIAL DES DÉFICIENCES

Les représentations véhiculées par la psychologie populaire prennent leurs ra-cines dans un contexte historique et socio-économique qui détermine des pra-tiques. Ainsi, Stiker (1982) montre comment la culpabilité et l’obligation moraleà l’égard des victimes de la première guerre mondiale fait émerger une nouvelleconception de l’infirmité :l’assistance cède le pas à la réadaptation. Il s’agitdésormais de remplacer ce qui manque, de faire « comme si » il n’y avait pas dedifférence. L’infirme qui indiquait l’exceptionnel, l’altérité, doit retourner à la vieordinaire, être replacé dans le système du travail et de la consommation. Progres-sivement, le sort des mutilés de guerre va s’étendre à tous les types d’infirmité,

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provoquant une indistinction conceptuelle marquée par l’apparition d’un nou-veau terme : le « handicap ». La réadaptation bat son plein dans les années cin-quante, période de croissance économique au cours de laquelle aucune protectionsociale n’est offerte aux personnes handicapées, la seule alternative à l’assistanceétant l’insertion professionnelle que la réadaptation va donc s’efforcer de pro-mouvoir.

Les nouvelles législations qui apparaissent dans les années soixante-dix s’ac-compagnent d’une évolution dans le processus de réadaptation et le traitementsocial réservé aux personnes handicapées. Aux États-Unis, le handicap qui ap-partenait exclusivement au domaine médical, pénètre les sphères sociales et poli-tiques avec, en particulier, le statut de « groupe minoritaire » accordé aux per-sonnes handicapées. L’intérêt se déplace des incapacités et de la volonté denormaliser vers des préoccupations en terme de bien-être et de « qualité devie ». Une évolution similaire est décrite en France par Ebersold (1991), où lagestion de la déficience qui, auparavant, privilégiait la dimension professionnelleet scolaire de l’insertion fait progressivement place à une démarche intégration-niste, prenant en considération l’ensemble des facteurs liés à l’environnement età la place de l’individu dans la société. De nouvelles thématiques reposant surl’exclusion sociale viennent ainsi remplacer les préoccupations relatives à la forma-tion professionnelle et à l’emploi. Cette évolution du champ de la réadaptation estelle-même liée à des modifications du contexte socio-économique : fin de la crois-sance, augmentation du chômage et apparition des mesures de protection sociale.

IDENTITÉ ET HANDICAP

L’identité n’est pas seulement le fruit d’individus isolés et d’expériences person-nelles, mais reflète également les représentations et les pratiques à l’œuvre dansla culture. En effet, nous interprétons nos propres expériences et interactions so-ciales à la lumière de la psychologie populaire. Ainsi, identité, représentationset pratiques forment un tout indissociable, comme l’illustrent les résultatsd’une étude visant à comparer les descriptions que des personnes valides, para-plégiques ou présentant des séquelles de poliomyélite font d’elles.

La présence d’incapacités motrices, quelle qu’en soit l’origine, conduit lespersonnes à se percevoir comme étant audacieuses et volontaires. Par ailleurs, lespersonnes « post-polio » se distinguent des autres personnes interrogées en met-tant en avant des qualités de maîtrise de soi, de sens du devoir et de rationalité.Ces caractéristiques particulières se retrouvent quelles que soient les apparte-nances sociales, d’âge et de sexe, les personnes post-polio exprimant une identitéhomogène alors que les personnes valides et paraplégiques donnent des portraitsd’elles-mêmes très diversifiés en fonction de ces mêmes appartenances.

Le contexte socio-historique servant de fond à l’apparition des déficiencespermet de comprendre les différences observées. C’est en 1950, en moyenne, queles personnes post-polio qui ont participé à l’étude ont acquis leur handicap.Cette moyenne est de 1973 pour les personnes paraplégiques. L’identité « spéci-fique » exprimée par les personnes post-polio semble pouvoir s’expliquer commeune réponse au processus de normalisation dans lequel elles se sont davantageengagées, compte tenu d’une part, de l’antériorité de leur handicap, et d’autre

Le travail n’est plus aujourd’hui leseul mode de reconnaissance.

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part des longues périodes d’institutionnalisation imposées par le suivi de cette pa-thologie à cette époque. Mais la marche vers la normalisation a été coûteuse enénergie, fatigue… pour ceux qui s’y sont engagés – comme le laisse suggérer ledébat actuel autour du syndrome post-polio. La « réadaptation réussie », aboutis-sement de ces durs efforts pour répondre à la demande sociale, illustre, érige enmodèle la grande volonté et la grande maîtrise qu’ont d’elles-mêmes les per-sonnes concernées ainsi que leur capacité à « faire face ».

L’individualisme de notre psychologie populaire produit le renversementsuivant : de termes génériques résumant un certain type de comportements, lescaractéristiques de personnalité deviennent explicatives de ces mêmes comporte-ments : « c’est grâce à ma volonté, mes capacités de contrôle que je suis parvenuà travailler et à mener une vie normale.» Erreur fondamentale qui favorise les causes internes et néglige l’influence despressions sociales ? Elle n’en a pas moins pour fonction la légitimation d’un cer-tain type de traitement social des déficiences, celui de la normalisation à l’œuvredans les pratiques de la réadaptation, à cette époque.

Le nouveau contexte qui commence à s’imposer au début des années quatre-vingt laisse entrevoir une alternative à « faire comme les autres ». Une nouvelleforme de reconnaissance sociale, par d’autres voies que celle de la normalisation,apparaît. L’insertion professionnelle n’est plus l’objectif prioritaire et le droit aunon-travail, à une époque où le chômage augmente et où d’autres ressources sontpossibles, est revendiqué par certaines personnes handicapées. L’amorce d’unchangement a, semble-t-il, ouvert une brèche pour la négociation, la productionde nouvelles images, comme celle du handicap contribuant à la diversité physio-logique d’une culture plus riche, qui commence à émerger, offrant ainsi de nou-veaux modèles d’identification aux personnes handicapées et enrichissant la psy-chologie populaire.

Ces quelques exemples illustrent le caractère éminemment socio-historiquede l’approche du handicap et la nécessité d’aborder cet objet d’étude en relationavec le contexte, les pratiques et les représentations. Les travailleurs sociaux et lepersonnel paramédical sont au cœur même de ces processus de par leur engage-ment dans l’interaction avec des personnes handicapées, leur savoir et leur statut.Par leurs pratiques, en définissant les modalités de traitement, les objectifs à at-teindre, la durée d’institutionnalisation, etc., ils peuvent contribuer inconsciem-ment à renforcer des images existantes ou, au contraire, participer à l’émergencede nouvelles représentations en laissant la porte ouverte à la négociation avec lespersonnes concernées.

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