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PRESENTATION PUISSANCE DU LANGAGE ET HISTOIRE S'interroger sur la part de science que comporte aujourd'hui Ie travail des historiens peut conduire a considerer le recit historique comme une mise a I'epreuve de I'ordre ancien du monde, comme une experimentation par Ie langage de phenomenes dont Ie temps aura gouverne la possibilite de notre connaissance. Suivons Catherine Darbo-Peschanski quand elle questionne les rapports entre humanite et justice, qui se trouvent etablis dans Ie corpus historio- graphique grec en etudiant les oeuvresd'Herodote, de Thucydide, de Xeno- phon, de Polybe, de Diodore de Sicile ou de Denys d'Halicarnasse. Au- dela de la systematique propre a la reflexion ethique d' Aristote, Ie corpus montre une histoire mettant les hommes a l'epreuve, et une historiographie qui comporte implicitement une theorie de I'action mais s'interdit une reflexion sur la justice. Les historiens grecs, en effet, ne peuvent 8tre comptables, chacun aleur maniere, des actions des hommes qu'a la condi- tion de mesurer ces actions a I'aune de la justice qui fonde l'ordre du monde. Deux corollaires en decoulent. C. Darbo-Peschanski livre un ele- ment pour une histoire des formes historiographiques de l'action. Le second s'adresse aux theoriciens d'aujourd'hui, trap prompts a voir dans les conflits de justice des invariants de I'ordre social. Pour que Ie rapport du langage al'ordre du monde puisse 8tre.envisage comme un objet de reflexion critique, it faut considerer sous un meme angle d'analyse I'origine du langage et l'evolution historique. C'est l'oeuvre d'un autre temps. Dominique Ottavi explore la theorie de I'origine du langage chez H. Taine et indique un tel moment. Concevoir maintenant I'ecriture de I'histoire non plus comme inherente a I'ordre du monde, non plus comme une exploration de la genese commune au sujet et ason objet, mais comme Ie lieu d'un travail d'objectivation conduit cette fois a s'inter- roger sur I'efficace des figures rhetoriques. L'heuristique du langage n' est pas propre a la pratique de I'historien. Judith Schlanger nous en convainc en scrutant ala naissance des idees Ie potentiel de la metaphore, Impropre a Revue de synthese : 4"S. N" 4, oct-dec, 1995, p. 525-526.

Puissance du langage et histoire

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PRESENTATION

PUISSANCE DU LANGAGEET HISTOIRE

S'interroger sur la part de science que comporte aujourd'hui Ie travaildes historiens peut conduire a considerer le recit historique comme unemise aI'epreuve de I'ordre ancien du monde, comme une experimentationpar Ie langage de phenomenes dont Ie temps aura gouverne la possibilite denotre connaissance.

Suivons Catherine Darbo-Peschanski quand elle questionne les rapportsentre humanite et justice, qui se trouvent etablis dans Ie corpus historio­graphique grec en etudiant les oeuvres d'Herodote, de Thucydide, de Xeno­phon, de Polybe, de Diodore de Sicile ou de Denys d'Halicarnasse. Au­dela de la systematique propre ala reflexion ethique d'Aristote, Ie corpusmontre une histoire mettant les hommes al'epreuve, et une historiographiequi comporte implicitement une theorie de I'action mais s'interdit unereflexion sur la justice. Les historiens grecs, en effet, ne peuvent 8trecomptables, chacun aleur maniere, des actions des hommes qu'a la condi­tion de mesurer ces actions a I'aune de la justice qui fonde l'ordre dumonde. Deux corollaires en decoulent. C. Darbo-Peschanski livre un ele­ment pour une histoire des formes historiographiques de l'action. Lesecond s'adresse aux theoriciens d'aujourd'hui, trap prompts avoir dansles conflits de justice des invariants de I' ordre social.

Pour que Ie rapport du langage al'ordre du monde puisse 8tre.envisagecomme un objet de reflexion critique, it faut considerer sous un memeangle d'analyse I'origine du langage et l'evolution historique. C'estl'oeuvre d'un autre temps. Dominique Ottavi explore la theorie de I'originedu langage chez H. Taine et indique un tel moment. Concevoir maintenantI'ecriture de I'histoire non plus comme inherente a I'ordre du monde, nonplus comme une exploration de la genese commune au sujet et ason objet,mais comme Ie lieu d'un travail d'objectivation conduit cette fois as'inter­roger sur I'efficace des figures rhetoriques. L 'heuristique du langage n' estpas propre a la pratique de I'historien. Judith Schlanger nous en convaincen scrutant ala naissance des idees Ie potentiel de la metaphore, Impropre aRevue de synthese : 4"S. N" 4, oct-dec, 1995, p. 525-526.

526 REVUE DE SYNTHEsE: 4' S. N°4. OCTOBRE-DEcEMBRE 1995

tenir lieu de concept, perilleuse pour Ie cheminement de la reflexion tantelle peut etre deplacee ou seductrice, la metaphore est precisement fecondedu fait de son inadequation et pour autant qu'on la soumette It une inter­rogation critique. Voici qui peut conduire I'historien It considerer que Ielangage lui offre un vaste terrain d'experimentation, et qu'en l'explorant itfait ceuvre de science. Lu de cette rnaniere, I'ensemble de ce numero livretrois analyses touchant chacune l'une des modalites de la puissance du Ian­gage en histoire.

Eric BRIAN.