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u a r t o Revue de psychanalyse - École de la Cause Freudienne - ACF en Belgique 8 0/81 M B Le marché des symptômes Paraît trois fois l'an - Janvier 2004 - Bureau de dépôt : Bruxelles X

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Poésie et psychanalyse

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u a r t oRevue de psychanalyse - École de la Cause Freudienne - ACF en Belgique

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M B

Le marché des symptômes

Paraît trois fois l'an - Janvier 2004 - Bureau de dépôt : Bruxelles X

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La poétique du cas lacanien, conférence à Buenos Aires

Eric Laurent

Le moyen de transmission le plus souvent utilisé dans notre champ pour vérifier les effets de forma­tion ou indiquer les voies de la recherche est la pré­sentation d'un cas clinique*. La présentation de cas, que l'on effectue habituellement avec un fragment de cure d'un cas souvent unique, est une méthode très critiquée dans les sciences en général. Le pres­tige de la série statistique, dans les sciences dures, ruine la place démonstrative du cas unique. Néanmoins, la spécificité des sciences humaines assure une dialectique entre ce dont on peut tirer profit dans les statistiques et le cas unique.Prenons l'exemple de l’Histoire. On a connu, par exemple, pendant les années cinquante, dans cette discipline, un moment de fascination pour les séries statistiques. En France, l'enthousiasme était v if pour une méthode qui aurait été « vraiment » scienti­fique. Il é ta it alors urgent de constituer de nom­breuses séries chronologiques, de tou t ce qu'il était possible de mettre en série. L'arrivée des ordinateurs a lla it bientôt donner très démocratiquement à tou t chercheur les moyens de mettre au point sa propre série et de se livrer à de savants calculs en allant toujours plus vite. Le progrès de la discipline n'a pas répondu à toutes les attentes que la méthode auto­risait.Actuellement l'engouement pour la quantification s'est tempéré. Un nouvel équilibre est retrouvé dans lequel la présentation d’un objet historique s'effec­tue en montrant comment la contingence s'inscrit dans les facteurs quantita tifs qui la déterminent, sans en épuiser la cause. On retrouve le goût de l'événement, on réinvente la biographie.

Variétés du récit de casDans la psychanalyse, le récit du cas connaît un malaise particulier. Il n'existe plus de modèle cano­nique qui stipulerait la façon de rédiger. La diversi­té, la variété des modes narratifs est te lle qu'on pourra it dire que c'est la dispersion même des façons de faire qui témoigne le mieux du malaise.

Cette dispersion tra ite de manière confuse a fausses oppositions entre série quantitative et s -- gularité qualitative, entre monstration d'un f r o ­ment et celle d'un cas déployé ; entre la m o nog '- phie exhaustive et la grande série ; entre l'isoleme' de variables dans un même cas au fil du temps e: - déploiement synchronique des tra its du singe r case experiment, l'expérimentation sur un seul œ dont il faudrait vérifier toutes les variables. L** réaction à cette dispersion consisterait, comme h souhaitait Donald Meltzer, à formaliser le sett *§ de façon rigide pour réduire et contrô ler a variables possibles de l'expérim entation, et a rs aboutir à un récit standard.Ce malaise ne parvient pas à s 'a rticu ler corn- " crise. Il ne s'affronte pas au vrai problème : le sa\: " dans la psychanalyse ne se dépose pas comme da^ la science, la psychanalyse n'est pas une scierrî exacte. Toute copie de la science hors de son pro:** champ ne produit qu'une parodie. Pourtant, ne. ne sommes pas voués à la seule prise en compte cas particulier.Pour Lacan, la singularité du cas n'empêche pas l'exi^ience de la clinique analytique en tan t e x classes de symptômes. En fait, dans sa contingence chaque cas s'inscrit parmi les classes qui l'atte*- dent. Il ne s'agit pas d'une résorption dans c e r­classe. Qu'il y a it des symptômes dans le sens e plus individuel, le plus particulier, et qu'ils puisse * être inscrits dans une classification, nous révèle p -- tô t que la classification elle-même est un mode x nomination, d'individuation.Dans la psychanalyse, un cas en est un lorsqu'i témoigne de l'incidence logique d'un dire dans e dispositif de la cure, en même temps que de s :T orientation vers le tra item ent d'un problème re? libidinal, de jouissance. Ce n'est qu'en observant s gravitation de la logique signifiante dans le c h a r: de la jouissance que l'on peut parler de cas dans e sens étymologique du casus latin : quelque chcst qui choit, contingence en général. Ce mot la :T

* Ceci est la traduction d'un exposé prononcé par Eric Laurent le 9 décembre 2001 à Buenos Aires dans le cadre des Journées de l'EOI intitu lées « Incidencias mémorables ». Nous avons fa it le choix d'en préserver le style oral afin de transmettre si possible au le c t r . r la vivacité des échanges avec les collègues de l'EOL.

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•ait quelque chose qui tombe, par surprise ou "eur. C'est la même zone sémantique que

:e Einfall, mot freudien qui désigne ce qui ae cas.

1 ^ 3 * actuel de diversité, d'extension, de dispari- : - modèle canonique, résulte de l'évolution de

-J e « récit de cas » dans la psychanalyse qui ï - ais cessé d'évoluer.

- : ;éle freudien a lu i-m êm e évolué jusqu'à en crise. Au début de son œuvre, Freud a pris e modèle, pour sa forme d'expression du cas,: gœthéen. Les souffrances de Dora ont beau- 3 voir avec les « souffrances du jeune

■er », qui ont traversé le romantisme allemand.: plan scientifique, le « cas Dora » fixe un e de traitement, à savoir la prise en compte du

j e: ses associations, comme point d'ancrage v rodu ire et rendre compte de la transformation

."O tôm e dans la cure analytique.: a réussi à donner une forme narrative à une en acte de la structure de l’inconscient. Il a a intégrer à la séance analytique, dans une

•e "arration, le dialogue dissymétrique de l'ana- et de l'analysant, qui comprend aussi le dia-

<■bl.it au sujet avec son inconscient à travers le rêve. IL; "oae de narration a été transmis à Abraham et :« * 'c z i..es n o ix esthétiques de Freud ont suivi les déve- ■ i r-t-en ts du roman de langue allemande et le pfticngem ent du style romantique. Il s'est intéres- r a façon dont les romanciers réussissaient à • r t r e r le rêve dans la fic tion romanesque. Freud jn u 'iâ it passer de la Gradiva de W. Jensen à l'écri- h t î : j récit de cas du petit Hans, puis à celui de

- : rm e aux rats, dans un même continuum nar- ~î~- :e la même façon qu'il s'intéressait à la pro- rnc: on d'œuvres historiques comme celle de ■e- e <ovski pour écrire Un souvenir de jeunesse de

~ard de Vinci.I s lu attendre la Première Guerre mondiale et la —s? culturelle qui en a découlé pour que Freud pro- m x une forme narrative nouvelle. Avec l'Homme

ioups, la forme classique du récit de cas se t Freud abandonne le mode littéraire qu'il avait

- v f 'té , il n'écrira plus de récit de cas. Après- : -m e aux loups, on peut discuter si « Sur la psy- -::enèse d’un cas d'homosexualité fém inine » i : i^ e n t ou non à la même série. En tout cas, il est

: i ' qu’il n'est pas comparable au récit des quatre n i écrits avant la Première Guerre.- - ""ornent où Freud a renoncé au récit de cas, la (-■rature intégrait à son propre champ les procédés i l -ecit de cas freudien, notamment celui du rêve et k son in terpré ta tion . L’œuvre de Schnitzler, ~ -:J rnnovelle, de 1926, à partir duquel Kubrick a

se le film Eyes W ideShuten témoigne. Le roman :e Schnitzler s'appuie directement sur Freud pour

forcer la litté ra tu re à en dire davantage sur les contenus sexuels de l'action du sujet. Il essaye d 'in­clure parmi les formes classiques de la littérature un monologue sur le sexuel, différencié selon les sexes, qui en était absent. Il est possible de décrire de la même façon le travail d'Alban Berg, en 1925, sur Woyzeck, œuvre de génie de la fin du XVIIIe siècle, de Büchner. Berg a transform é cette œuvre en opéra. Il s'agit du journal clinique d'un crime schi- zophrénique. L'invention de Büchner réside dans cette inclusion de la structure du journal clinique dans l'œuvre d'art, celle d'Alban Berg est de rem­placer le livret classique par cette forme qui donne une place nouvelle à la pathologie mentale, et aux manifestations de l'inconscient.À la même époque, le surréalisme a créé l'écriture automatique, inspiré du surgissement de l'incons­cient dans la conscience, pour transformer en res­sources de l'art les dispositifs que la psychanalyse avait inventés. On assiste à un point de rebrousse­ment. D'abord, l'idéal de la structure narrative exis­tante itjfk ience la narration psychanalytique. Ensuite, inversement, la psychanalyse se glisse dans les structures narratives, les modifie l'une après l'autre, produisant ainsi des résultats dont le point culm inant est l'introduction d'un mode d'écriture de l’ inconscient, chez Joyce.Cette crise narrative du récit de cas a émergé après 1918. Elle est contemporaine de ce qui a été appe­lé « la crise de l’ interprétation » dans la pratique psychanalytique des années vingt. Les analystes dont l’orientation pratique était donnée par le binô­me rêve-interprétation se heurtaient à l'inertie du symptôme, résistant à l'interprétation du rêve. La découverte de l'inertie symptomatique in troduit un malaise dans la communauté analytique. Les ana­lystes ont alors cherché à le dépasser en élargissant le champ de la forme narrative qu'ils utilisaient. Un nouveau mode de présentation du cas permettait de témoigner du nouveau statut du symptôme et de l'extension de la psychanalyse vers des champs où le modèle du rêve et de son contenu refoulé ne vaut plus, comme par exemple dans la psychose, là où l'inconscient est à ciel ouvert.La séance devint alors une unité référentielle, ce qu'elle n 'é ta it pas dans le modèle freudien clas­sique de la narration de cas. Le récit de cas s'est ainsi conçu progressivement comme un journa l scien tifique d'une expérience de laboratoire. L'unicité n'est plus dans le destin d'un sujet, mais réside dans l'extraction d’un fa it, au cours d'une séance. À partir de ce moment, la forme courte pré­vaut dans le récit de cas.Mélanie Klein invente une nouvelle forme narrative qui lui est propre et qui s'inscrit entre la transcrip­tion Verbatim et le journal d'expérimentation scien­tifique. Dans le même mouvement, elle élargit le modèle rêve-interprétation. Elle propose une solu-

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tion pour sortir de la crise des années vingt : inclu­re dans la séance un modèle matériel-traduction. Elle tradu it immédiatement les jeux de l'enfant ou les ébauches de production délirante en dialogue, comme le rêve le fa isa it auparavant, ce qui a impressionné toute une génération analytique. Le symptôme sous une forme particulièrement résis­tante au rêve entrait ainsi dans un espace de tra ­duction. Une dynamique jamais vue en résultait.Le matériel et sa traduction avaient plus ou moins la même durée lors d’une séance, ce qui était assez nouveau si on les compare aux cas de Freud. Ce modèle a été transmis à une communauté assez large, au-delà des élèves stricts de Mélanie Klein. L'intérêt s'est centré sur ce que l'on pourrait appeler l'épiphanie de chaque séance, sur la manifestation de l'inconscient dans sa m atéria lité à travers le fonctionnement du fantasme. Klein est parvenue, au-delà des formes brèves que ses articles présen­ta ient de façon posthume, à reformuler le genre analytique de la monographie. À sa mort, en 1960, est publié le cas Richard, dernière grande monogra­phie de l'histoire de la psychanalyse. Mais ce qui a prévalu dans l'e ffo rt kleinien, c'est le fragment c li­nique sous une forme courte adaptée à l'évolution générale des formes narratives.

Ecriture logiqueLacan intervient dans ce contexte. Il applique dans sa thèse de psychiatrie une méthode jaspersienne, phénoménologique, organisée autour du concept de personnalité. D'inspiration allemande, cette métho­de a été saluée par les courants novateurs dans la philosophie et la psychologie. Elle visait à l'établis­sement d'une psychologie concrète, comme disait Politzer, rendant compte de toutes les approches et niveaux de conscience d'une même « personnalité ». La personnalité ne vise pas l’unité d'un personnage, elle est l'unité d'un multiple, d'un faisceau de mani­festations diversifiées. À cette époque, Lacan sou­haite la publication de monographies exhaustives de cas pour témoigner de l'e ffectivité de toute la vérité d'un sujet dans l'histoire. Lorsqu'il s'engage dans la psychanalyse, il abandonne ces faux espoirs d'exhaustivité. Il substitue la cohérence formelle à l'exhaustion historique. On trouve un écho de la méthode exhaustive dans sa première théorisation de la psychanalyse comme récupération totale de l'histoire du sujet. Dans « Le discours de Rome », on peut lire : « L'inconscient est ce chapitre perdu de mon histoire que je peux récupérer ». Je peux récu­pérer ce qui est perdu sous une forme narrative, et tendre ainsi vers le récit exhaustif de mon propre cas. Nous notons déjà qu'il s'agit de faire basculer la narration du côté de l'analysant.À mesure que Lacan logifie son approche de l'in ­conscient, le récit du cas prend la fonction de mettre en lumière l'enveloppe formelle du symptô-

La poétique ducas lacanien

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me comme une sorte de matrice logique du dé.t- loppement propre au cas. Rappelons que dans « . t complexes fam iliaux », Lacan défin it déjà l'im cp: comme une image qui possède une dynamique : t développement et qui résume dans sa statique t développements possibles. L'imago des années tren­te décrit une forme imaginaire de fixa tion de i jouissance qui condense les développements pos­sibles. Lorsque Lacan prend appui sur le structura­lisme, il s'éloigne des références à la dynamique : t l'image et la théorie de la forme pour accentuer \ i matrice logique de la fonction. Il a la même amb - tion qu'avec l'imago, celle de conserver, sous ur" forme logique, l'exigence de tenir compte du déve­loppement et de l'histoire. Dans cette perspective, porte les cas de Freud au rang de paradigmes « Paradigme » veut dire « l'exemple qui montre ». E' l'occurrence, Lacan montre les propriétés formelle; au sens le plus large, des manifestations de l'in­conscient freudien. Le paradigme nous fa it voir la structure et nous indique la place du sym ptôrrt dans une classe, mais aussi les signifiants de la v 't d'un sujet, qui se répètent, permutent, se décliner: Ainsi, la structure logique et topologique des ca: freudiens apparaît avec une précision inoubliable.La structure logique des parcours phobiques du pe: : Hans est dessinée, par Lacan, à partir du schéma L De même, il montre les déterminants de la psycho­se de Schreber à partir des signifiants isolés pa- Freud, mais placés dans le schéma R. Les q u a t'i termes du quatuor des personnages de Dora se révè­lent comme des homologies du même quatuor que ceux du groupe de la jeune homosexuelle. Che: l'Homme aux rats, Lacan souligne la « com binatort générale » des formes du labyrinthe obsessionne Cet effort de lecture logique des cas de Freud nous a évité les faux dilemmes dans lesquels le mouve­ment analytique américain s'est embrouillé.La psychanalyse américaine propose toute une li:- térature autour de la nécessité de ne pas lire Freuc Pour certains, la lecture de Freud est une perte et temps, c'est un souci d'antiquaire. Si la psychanaly­se est une vraie science, elle doit aller au-delà des apports du fondateur. L'un des seniors de la psycha­nalyse américaine de la côte ouest, Jacob Arlov. tien t à démontrer que la présence de Freud dans le: cursus de formation est trop grande. Lors d'un sym­posium à Los Angeles, en 1999, sur « La form atior de l'analyste », il a manifesté une position catégo­rique à cet égard.Au nom de la position scientifique, une certaine cri­tique américaine tend à considérer que Freud nous a trompés avec sa littérature, qu’il a faussé ses résul­tats, qu'il a présenté des béances inexplicables entre les notes des séances de l’Homme aux rats et la publication du cas. De la même façon, ils dénoncer: la direction de la cure autoritaire de Freud. Il aura : été trop d irectif dans la vie de ses patients. Pour

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br^« qui respectent la dimension scientifique de l*v .r re freudienne, la critique nord-américaine suit 9 :ca ement le jugement ironique du grand critique ■ " t aire, Harold Bloom : Freud, parmi les écrivains- : :m e s , est l'un de plus convaincants.- r au-delà de Freud, repenser la psychanalyse, ~ t - te r de nouveaux concepts pour penser son

■ b e t mplique, pour l'orientation lacanienne, d'en- t t 3ans une autre dialectique selon laquelle une m r t s de Freud vaut plus que la vérité partielle d'unan—yla c s i ne s'est pas contenté de mettre en relief la

Ljre^ence logique des cas freudiens, et par là Ten­i r : : oe formelle du symptôme. La logique à l'œuvre è î 's la partie qui se joue avec l'Autre laisse voir la «cm dont le sujet y est pris en chair et en os, lib i- r ement. À partir de ce moment, nous pourrons l in es déterm inations qui on t marqué le sujet, w es où son être a été mis en jeu. Le lieu de cette -"■action du sujet, la part inter-dite, n'est pas une

p i " "a u d ite comme le pensait Bataille. La part ws-ü te est renvoyée par Lacan à son lieu propre

réaction dans l'in te r-d it, qui est dans une pre-- e~e élaboration le lieu du désir, puis devient le

■e. :e la jouissance.in s tru c tio n de l'enveloppe formelle du symptô­

me ' a son intérêt que lorsqu'elle tourne autour ■ i r impossible à écrire. C'est pourquoi chaque cas i . " e autour des mathèmes de (p et du signifiant ü? -^Jtre barré, S (A). C'est le lieu crucial pour une a r : e: pour la communauté analytique.

La ::~onstration en psychanalyse; -~ e n t la démonstration se constitue-t-e lle en rr-l'a n a lyse ? Comment les analystes reconnais- r r - s l’évidence qui leur est transmise ? Est-ce z i ' t moyen d’une langue commune, celui d’une a r * :ion commune de ce que serait le cas, ou celui : 'ésultat prévisible dans l’analyse ? La psycha-ïivse ne fonctionne pas avec des idéaux et des

3 r c - s de la forme du cas. Dans la diversité, ce qui ■ rs c r it n’est pas seulement la façon particulière Èmr. analyste transmet la structure logique du cas. C er. aussi là que s'inscrit la présence de l'analyste r :i *açon de se faire entendre.' ----- ent reconnaître ce qu'il y a d'analytique dans

m cas ? Lacan soutient que la démonstration, en | : ^analyse, est homogène à la forme du Witz. Il

i r r c - ' t un effet de sens à partir du hors sens p lutôt mue de fou rn ir davantage de sens. Jacques-

- Miller a montré que le mécanisme du Witz a :i-e t a fine conception qu'a W ittgenstein de la ■feston du sens. Il s'agit, dans le Witz, de la fonction i l :c nt de capiton dans la structure du discours, - ■ " j 'o n est dans ce que Lacan a appelé le dis-

: . i e signifiant et la signification sont accordés, - s : :er un discours est une façon d'accorder le

signifiant et la signification, de faire tenir ensemble ce qui n’a pas de rapport, le sens et le réel. Le dis­cours est une fonction d’une communauté. Le vrai sens de l'aphorisme de W ittgenste in meaning is use - la signification est l'usage des mots - , trou­ve son fondement dans la pratique commune d'une langue dans un discours donné. C'est ce que le phi­losophe appelle « partager une forme de vie ». Dans la psychanalyse, on ne partage des formes de vie qu'en passant par les discours. La démonstration en psychanalyse, dans cette forme de vie qu'est le dis­cours analytique, est partagée lorsqu'il y a circula­tion de l'e ffe t de sens d'une présentation clinique. On ne sait pas toujours ce qui se passe entre col­lègues, lorsqu'on d it que « quelque chose de très intéressant » a été présenté, car il y en a beaucoup de versions, peut-être autant que d'interlocuteurs. Cependant, ce qui fa it communauté est qu'il est vrai qu'il y avait « quelque chose d'intéressant ». Si l'on cherche à réduire le Witz à une signification uni­voque, il disparaît. Les bons Witz éveillent de mul­tiples significations et des résonances très d iffé ­rentes, to u t comme un cas clinique réussi. Pour atteindre ce point, il faut radicaliser rénonciation de chacun, ce qui prend à rebrousse-poil le discours universitaire, qui vo it la solution dans la soustrac­tion de rénonciation et cherche l'issue dans une langue commune où toutes les traces de jouissance des énonciations seraient effacées.Cette recherche d'une langue clinique unique vise une clinique basique, qui serait « commune » à tous, fondement partagé sous les théories et la diversité des cas présentés. Ce fondement clinique unique nous donnant accès à une vraie langue clinique est une perspective typique du discours universitaire. Il élimine le fondement de l'émergence de la vérité dans le status nascendi du cas particulier. Cette langue universitaire clinique commune est une uto­pie qui pense venir à bout de la nature de la langue d'être, comme le d isait Locke, l'égout commun. Locke pense que la grandeur de la langue est celle d'être le grand égout, the great conduit, qui peut tout accueillir. Le rêve universitaire d’épuration de la langue, où toutes les scories sont retirées, nous don­nerait une eau pure, écologiquement garantie, qui pourrait nous transmettre l’essence unique du cas. Nous ne sommes plus à l ’époque d’un sign ifian t maître qui pourrait définir, de façon univoque, le bon usage des signifiants, mais à celle d’un idéal humanitaire de la langue qui veut en faire un bon usage universel.Nous ne nous contentons donc pas de la seule consistance formelle d’un cas. Lors des Journées de l’ECF de l’automne 2001, nous avons essayé, tou t comme lors des Journées de l’EOL, d’obtenir que les cas témoignent, en même temps, de l’enveloppe for­melle, du traitement d’un problème de jouissance et de la particularité de rénonciation de l’analyste qui

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en rend compte. La fonction d'une École est de chercher à obtenir non pas une forme canonique de récit, mais la mise en évidence d'une perspective commune. Il ne s'agit pas de défin ir des normes, mais des principes. En ce sens, transformer l'École, transformer chacune des écoles de l'AMP, fa it partie de notre effort. L'EOL sera de plus en plus l'EOL, elle s'améliore, enrichit ses procédures, elle est davan­tage à la hauteur de ce qui est attendu d’une École. Je crois que ces Journées témoignent, sans aucun doute, d’un pas en avant dans cette direction. Ce n'est pas dû à une opération magique, mais produit par une résolution, prise après ju il le t 2000. Les Commissions scientifiques, celle des Journées de l’ECF comme celle des Journées de l'EOL, ont beau­coup travaillé pour améliorer le dispositif et pour donner plus de résonance aux présentations de cas.Jacques-Alain M iller a souligné cette année dans l'enseignement de Lacan que lors des années soixante-dix, le « mensonge » prend la place de la « structure » : il est ce qu'il y a de symbolique dans le réel. La structure se présente alors comme la véri­té telle qu'elle opère dans la psychanalyse, c'est-à- dire sous la forme du mensonge, de l'impossible représentation du réel. Ce n'est pas une représenta­tion, mais une action du réel qui permet un tra ite ­ment symbolique du réel.Si on prend au sérieux cette perspective, on peut dire que le récit de cas n'est qu'une élucubration de savoir. Le récit lacanien de cas, souligne J.-A. Miller, s'approche davantage de la vérité de sa structure à partir du témoignage des AE. Il ne s'agit pas seule­ment de saisir dans le récit de l'AE la construction de son propre cas, mais aussi de le saisir comme la forme de récit de cas la moins mensongère car elle couvre du symbolique le mensonge ultime.

: qui reste du cas et son mensongeDans le cas comme élucubration de savoir, l'essen­tiel, c'est le reste, ce qui reste oublié derrière ce qui se d it dans ce qui s’entend. Il s'agit de réussir à montrer le point d’où vient le dire et d’obtenir la radicalisation du dire d’où viennent les dits. En ce sens, les AE font entendre leur élucubration - c’est eux qui parlent - , en même temps que ce qu'ils ne peuvent pas dire dans leurs dits. Ils nous permettent ainsi de ne pas oublier le point d'où cela a été éla­boré : le reste, la lim ite, le point de réel, le menson­ge fondamental. Le cas, tel qu 'il fau t l'entendre, dans la théorie de Lacan, est le cas qui témoigne de ce reste de l'expérience. Ce serait la vraie solution à la crise dans le récit de cas.Le mensonge, en ta n t que noyau du symbolique dans le réel, est le point où la vérité, I’orthedoxa parle. J.-A. M iller a signalé que lorsque Lacan, dans le Séminaire II, parle de l'acte de Thémistocle qui fa it sortir la flo tte de la baie de Salamine, c'est une action et c'est une interprétation qui témoigne de

l'opinion droite, comme vérité en acte. La décisior de faire sortir la flo tte est un acte vrai parce qu'el­le résout le problème vital qui était posé au stratè­ge athénien. La vérité, lorsqu'elle apparaît en sor noyau originel, se manifeste dans une autre dim er- sion que celle de la science, du savoir déjà là valable pour tous les cas. La décision, la prise de parti sup­pose un choix, quelque chose qui n'est pas déduc­tible automatiquement. L'opinion vraie est un poir* d'exception. À la fin de son enseignement, Laça' articule \'orthedoxa, manifestation incipiens, nais­sance de la vérité avec le mensonge du savo • comme manifestation de la structure.La bascule opérée par Lacan dans le récit de ca: permet de soutenir que le savoir d'un cas se dépose du côté de l’analysant et non du côté de l'analyste Dans le récit de son propre cas, l'exposition de l'élu- cubration du savoir ne doit pas nous faire oublie- l'essentiel de la poétique que nous vou lo r: atteindre.J'ai d it au début de ces conférences que le titre ce nos journées, Incidencias mémorables, alla it proba­blement nous conduire à une poétique différente de celle de Borges. En tant qu'artiste, celui-ci ava ■ l’ idée qu'une oeuvre, dans sa forme, était la réfuta­tion du temps. Il a d'ailleurs réussi à obtenir cette victoire sur le temps, il est immortel. C'est une poé­tique particulière. Lorsque Lacan dit, à la fin de so' enseignement, que l'analyste do it être poète, o. mieux encore poème, il nous in troduit à une autre poétique du temps. Il ne s'agit plus d'un poète qui se sentirait maître de la forme, qui pourrait avoir accè: au réel dans le symbolique, qui pourrait de cet:e place construire une œuvre. L'analyste-poète es- p lutôt celui qui peut donner lieu à cette démons­tration que le symptôme est poème, dans son imbr - cation de jouissance avec son enveloppe formelle donne accès à des effets de création. Le poète- poème ne vise pas l'im m orta lité , il vise p lu tô t ; répondre à ce qui s'articule du vivant dans la lettre à conjoindre le mortel et l'immortel.Il y a une poétique du symptôme, il y a un faire 0. symptôme qui traite quelque chose de la jouissance car il y a quelque chose du réel dans le symbolique La seule raison pour laquelle nous pouvons faire de: choses avec les mots, n'est pas un modèle de repré­sentation efficace de notre conduite, comme e croient les cognitivistes. Dans le cadre du discoun philosophique, on reconnaît aux « actes de parole » (speech acts) une certaine poiesis, la fabrication de quelque chose, une création. Dans la philosophie l'acte de parole renvoie à un signifiant maître, à u ' ordre de la langue, aux a priori philosophiques d. système.Austin, l’inventeur des « actes de parole » suppose un modèle de représentation, même s'il est au-de : des données de sens, des sense-data, alors que la psychanalyse soutient une pragmatique de l'acte ce

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® r: e au-delà du signifiant maître, qui garantira it ■ '«éd ifica tion du sujet. La traversée du plan des

wer~ -‘ cations, le fa it qu'au terme de la cure le sujet « a * : enne une distance à l'égard de ses identifica-

•’iajeures implique que notre pragmatique, ~ oo/es/s, notre poétique, est celle du mensonge r35, dont seul témoigne celui qui a été le cas.

apercevons là ce qui serait vraiment le mode •ansmission à soutenir dans le cadre de nos

k m é e s . Cela ne signifie pas une sorte de tém oi- m fagc des AE généralisé. Il s'agit de penser plus pro- Btacém ent la relation entre le récit du cas, en tan t | | b t jcubra tion de savoir sur une clinique, et le | l r - : gnage des AE. Nous ferons alors un pas de

xî :ans l'élaboration de la crise du récit du cas et " 5c solution.

jssion■le- a-dro Daumas : Lors de cette conférence sur la perse du récit de cas et sa solution, vous avez énon- « r : .e dans la psychanalyse on ne partage pas une i — e de vie. Or, dans ces journées sur « Les inci- é e r :ts mémorables dans la cure analytique », il y a é r ; esonances de ce qu'est l'expérience d'École. Je

m l5 :ose une question sur la différence entre forme «r rr. e, parce que l'École fa it fonction de noyau

.n style de vie.fc- : _aurent : Je crois avoir d it « on partage une ■®r— e de vie », mais j'a i peut-être d it « on ne parta- §? :as une forme de vie hors du discours ». Le ■ ~ e » de vie est un mot employé pour désigner : ~odes co llectifs de jouissance, comme dans

f * . cession alternative life style. Il est d'habitude i pour désigner des modes de jou ir organisés en « r activités sous un tra it identificatoire. D'ailleurs,

me - o t « style » fa it référence à quelque chose* :n re esthétique, à une esthétisation de ce mode : - - j n de jouissance. Ce qui fa it tra it d 'identifi­

e r co llectif est donc cet écran du beau, l'esthé- « : - t derrière lequel se trouve le mode de jouir. Les éc~* termes de style et de forme désignent un mode é? r s tement symbolique de la jouissance. Le terme é r < forme de vie » est retenu par W ittgenstein, irrcc 'té p lutôt de la zoologie aristotélicienne. La• • ; ' - e » platonicienne ne tenait au vivant qu'à tra - ■rrs e beau. C'est un vieux problème de la tradition

| | r --sophique que de joindre ces mots : la forme et «* .ant. La « forme de vie » a donc une résonance ia -s a tradition, alors qu'avec « style de vie », il s iç : p lutôt de faire de la beauté, de l'esthétique, ir e fonction. Lacan passe au-delà de cette pers- j t " .e en écrivant o la part de vivant qui arrive à ï -5C-ire de façon extime dans l'Autre.I l e oartageons-nous ? Nous partageons un dis-

qui est une forme de vie. Comment en tém oi- f r e * ? La position de l'analyste dans la culture est ire Dosition éthique, être lacanien est une éthique a ~ ière. Etre lacanien, c'est pratiquer la psycha­

nalyse dans une certaine orientation. C'est, dans la pratique, être a tte n tif à l'enveloppe form elle du symptôme et à son orientation vers le réel. C'est aussi avoir cette même position à l'égard des symp­tômes dans la civilisation. Il s'agit d'être a tte n tif aux symptômes dans leurs enveloppes formelles, et donc de pouvoir situer la dimension du symptôme dans les objets culturels en général. Il nous faut donc être a tten tif à la contemporanéité, aux formes actuelles du symptôme. C'est savoir que quelque chose est ainsi visé du réel dans le malaise ou les impasses dans la civilisation. C'est aussi maintenir une position interprétative, de la même façon que dans la cure, pour intervenir sur les impasses de la civilisation. Etre lacanien comme éthique, c'est être conséquent sur tous les plans. C'est aussi partager avec ceux qui ne sont pas lacaniens, bien qu'il ne s'agisse pas de convaincre to u t le monde d'être lacanien.German Garcia : Lorsque E. Laurent faisait référen­ce au W erther de Goethe, il nous rappelait que Freud, déjà jeune, avait pris une distance assez iro­nique par rapport au récit romantique. Je crois que dire qu'il n'y a pas chez Freud de théorie de l'ado­lescence, c'est considérer la psychanalyse comme une dialectique entre sa veine romantique et ses idéaux scientifiques. Même lorsque Jones lui propo­se un comité secret, il lui d it : « Vous avez péché là quelque chose de mes idéaux d'adolescence ». Je pense que plus tard, dans cette dialectique entre la psychanalyse et la littérature, il y a un deuxième tour à partir de Joyce qui fa it que Lacan ramasse un gant qui était dans l'air de l'avant-garde des années soixante. L’idée que la psychanalyse explique très facilement les romans oedipiens après Joyce et une série d'autres expériences ne tien t plus. Une litté ra ­ture au-delà de l'Œdipe ne pourra plus être analysée depuis la perspective du héros romantique dont l'instance est le roman fam ilial du névrosé.Anibal Leserre : Mon commentaire concerne le pro­blème du récit du cas. Si on prend le premier modè­le freudien, on trouve la célèbre phrase « le rêve est la voie royale de l'inconscient », il s'agit de ce que dans le récit apparaisse cette voie à partir des rêves. Si on prend Klein, l'interprétation dans sa to ta lité apparaît comme la voie royale. Je pensais, à partir de l'articulation de M iller concernant le mensonge, à la formule du symptôme comme voie royale de la jouissance. Le problème est toujours celui de trans­mettre cette expérience dans le récit même. Il y a aussi la question de l'articulation entre les tém oi­gnages des AE et d'autres formes de transmission. Le problème de la transformation de la vérité en savoir situe le problème du « se » de la fin, comme vous posiez le problème des identifications. Le témoigna­ge im plique non seulement la façon dont on se débrouille avec ce problème, mais la façon d'exposer le mensonge - comme reste, comme vide - et non

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La poétique ducas lacanien

de le couvrir. Chaque témoignage énonce le rapport entre l'identification et le savoir sur le « se faire » pulsionnel.Luis Erneta : Premier point : nous sommes flattés parce que ces journées de l'EOL ont été beaucoup plus intéressantes que celles de l'année dernière. Ce « beaucoup plus intéressant », qu'est-ce que c'est ? Je l'accepte, je fais confiance, mais ma question est si ce « beaucoup plus intéressant » a une certaine homologie ou une certaine résonance avec ce qui est appelé « la performance » en psychanalyse, cette exigence de performance qui tourne m aintenant autour des conditions de la garantie.Deuxième point : ici en Argentine, il y a, en plus de Jorge Luis Borges, d'autres écrivains. Il y en a un, appelé Conrado Nalé Roxlo, c'est un pseudonyme, qui écrivait des œuvres assez amusantes où il faisait une parodie de styles. Par exemple, il écrivait dans le style d'un nommé Juan Domingo Perôn, etc. Il par­venait à reproduire le style de certains personnages ; p lutôt que de les reproduire, il les produisait, parce que le sujet qu'il parodiait ne savait pas qu'il avait un style et qu'en plus, c'était celui là. Nous avons entendu hier quatre témoignages d'AE. Si quelque chose a été clair pour moi, c'est que les AE ne font pas série, dans ce sens que chacun est d ifférent de l’autre, sauf cette incertaine communauté entre les analystes qui étaient deux hommes et deux femmes, seul chose qu'il y avait de commun. Les témoignages et les styles peuvent être appelés quatre styles selon le modèj de transmission de chacun d'entre eux. Ce qui esMransmis, est-ce quelque chose de commun, ce qui est transmis des modes, des styles différents (ce qui toucherait la rhétorique dans le sens com­mun, figuré), ou les différences de style — comme le signale Lacan au début des Écrits—, cela concerne- t- i l la transmission qui met en jeu l'objet o, et qui en serait la condition ? S’il est vrai que ce qui est trans­mis est le même, mais avec des styles différents - j'en doute, mais cela se pourrait —, nous en serions alors à ce que Lacan a appelé « communauté d'ex­périence ». Cela aurait alors à faire avec une vé rifi­cation que ce qui est transmis avec des styles d iffé ­rents, c'est quelque chose de commun. Car dire la «jouissance », l'« objet a », y donne de l'universalité. Il me semble que ce n'est pas le même qui se passe pour les textes, les travaux, les récits, etc., que l'on jouisse tous, tous ensemble de la même façon que chacun d'entre eux.Adrian Scheinkestel : Je remercie Laurent pour son exposé. Il renouvelle notre enthousiasme dans le travail du récit de cas. Les témoignages des AE sont une référence. Par rapport à ce que vous avez d it sur la forme qui permettrait de ne pas oublier le men­songe fondamental dont il s'agit par rapport à la jouissance, ou au reste de jouissance, je ne sais pas si j'a i bien malentendu l'intervention de Jacques- Alain M iller sur la promotion discrète du mensonge

sur l'analysant lors du Séminaire hispanophone et quatre-vingt quatorze. Quelle est la relation entre ; noyau de symbolique dans le réel à partir de la loca* lisation du mensonge et ce que vous avez signa t hier sur la position de l'analyste par rapport à l'ur­gence où l'interprétation est faite ? Peut-on pensr le récit du cas comme noyau d'angoisse dans le rée. où l'interprétation est effectuée ? Dans ce cas, ri l'analyste, ni l'analysant ne sont hors du récit.Carlos Vilaseca : Je voulais voir s'il est possible d 'a - ticu le r un certain rapport entre le changemer_ d'orientation pour le récit du cas, en ce qui conce'- ne la formation des analystes, les exigences de ; form ation de l'analyste avec la spécific ité de demande d'analyse, et la demande de traitem er ' dans le cadre de ce que l'on appelle l'Autre qui n'existe pas, lié aux phénomènes de violence et et terreur que nous rencontrons dans notre quotidienÉric Laurent : Cela peut être mis en relation avec ; fonction de l'angoisse évoquée par Adriàn. Lorsqt: l'Autre n'existe pas, ce qui fa it lien, c'est l'angoisse la panique, la terreur. À mesure que l'inconsistanc: de l'Autre se vérifie, les affects fon t lien social jus­qu'à celui qui ne trompe pas, l'angoisse. L'époque c. l'Autre n'existe pas est une époque de formes de v ; juxtaposées, de communautés. Lorsque qu e lqu ï* demande une analyse, peu importe la communaux à laquelle il s'identifie, le fa it même de demande- une analyse déconstruit l'identification. Un membrt de la communauté gay qui s'identifie à cette com­munauté, qui revendique son appartenance, en fa * son porte-drapeau, son Sv dépose son drapeau d a r ; la salle d'attente, lorsqu'il vient en analyse. Il entre en tant que sujet barré avec une interrogation sur e Sr Cela constitue l'espace public de l'analyse. psychanalyse est, en ce sens, l'une des réponses a. malaise contemporain, aux impasses de ces juxta­positions de communautés. Ce qu'il y a de commu' de public, pour la psychanalyse, n'est pas une iden­tification. Il s'agit de soutenir une conversation s^- l'angoisse commune et les formes de jouissance avec lesquelles chacun d'entre nous est embrouille.Adriàn a souligné que l'Autre du mensonge est l'an­goisse. Il n'y a pas, chez l'analysant, une promoticr du mensonge. Vous en avez bien témoigné, car il es* vrai que l'on malentend toujours bien. Le malen­tendu est fondamental parce que c'est la seu e façon de parler que nous ayons. Nous n'avons pas l'espoir d'entrer dans le bien entendu. Le bien dire et la psychanalyse n'est pas un espoir idéal d'arriver a. bien entendu, mais de savoir cheminer dans le ma - entendu. Il s'agit alors de s'approcher de ce qui ne trompe pas, l'angoisse. Nous retrouvons les deu = modes topologiques d'inscription, celui du symbo­lique et celui du réel. L'inscription du symbolique dans le réel est le mensonge ; l'inscription du ré.e dans le symbolique est l'angoisse. Ces deux modes d'inscription permettent notre cheminement dars

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b : t 'e n c e du bien-malentendre. Appelons ce- ---a len tendu l'axiome d'Adrian. Une des choses

"ables de ces journées, c'est que nous chemi- _ :d u s dans le malentendu pour bien entendre.- 3 question de L. Erneta, j'a i beaucoup aimé

jc s :ion « communauté d'expérience » et « com-- ; -té de travail ». La communauté de travail, de s leurs décidés, a représenté une des formes

_acan a conçu la communauté, un discours de sâ ku rs décidés. Dans le discours, c'est le maître

Su *3 : travailler. La formule du maître est « au tra - e i : plus personne ne s'angoisse, plus personne

« ';o le , tou t le monde au travail. Pour le tra - •uai décidé, l'adjectivation du travail im pliquait ; i : . _acan que ce n’est pas un maître, mais un dis-

' qui fa it travailler. C’était une façon de dési­re pari de constituer une communauté dans un

j.-s. Une autre façon est la « communauté d'ex- jÉ r f r,ce », qui est l'expérience te lle qu'on en w - : dans le récit du cas, et dans le récit de sonk o c r? cas. Elle renvoie à ce qu'il y a de symbolique ifc r : e réel. Un mode particulier de communauté se r *n : je du Witz. La communauté de ceux qui rient f jj~ /■ îzest celle de ceux qui peuvent apprécier ce

■ pfi . a de symbolique dans le réel.*. Isumas se demande si nous partageons un style, m sngulier, ou des styles, au pluriel. Partageons- m i.; -ne tolérance de styles au pluriel ? La toléran- x îs t une vertu essentiellement étatique. L'État tar~z moderne est tolérant à l'égard des croyances é : tjses et nous pourrions, en tant qu’analystes,

être tolérants à l'égard des styles de jouissance d if­férents, à partir d'une identification au fonction­naire universel. Le tout, dans un silence analytique convenu.Lorsque Lacan énonce que ce qui se transmet le plus profondément est un style, il n'en parle pas au plu­riel, il ne parle pas des identifications au style de Lacan. Il voulait transmettre un style rationnel, cul­tivé. Ces traits constituaient pour lui la communau­té qu'il voulait générer, non pas une communauté identifiée au célèbre silence analytique, mais plutôt qui parvienne à un témoignage raisonnablement articulé, à une docte ignorance, qui informe sur les savoirs de l’époque.Les styles, au pluriel, renvoient p lutôt à ce qui ne peut pas rester oublié dans ce qu’on dit, derrière ce qui s'entend. Le pluriel renvoie aux énonciations de chacun, ce qui est probablement différent du style. Il faudrait distinguer les énonciations « au pluriel » de rénonciation en tant que particulière à chacun, qui renvoie en définitive à son mensonge particulier, à la structure d'une fantaisie ou au reste de cette fantaisie qu'est le style singulier. C'est une façon de répondre à Anibal sur le réfléchi. Le « se » de la fin est de savoir que le seul « réfléchi » est de se faire à une jouissance. D'une jouissance, il est impossible d'avoir une représentation, il est impossible de la tenir en main. Le « se » que la conscience paraît fonder se révèle, dans l'expérience analytique, impossible à tenir. Il y a le S et les identifications maîtres, qui donnent l'illusion de l'être.

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Q u a r t oRevue de psychanalyse - École de la Cause freudienne - ACF en Belgique

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La psychanalyse et la mégère modernité

Paraît trois fois l'an - Janvier 2005 - Bureau de dépôt : Bruxelles X

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L'analyste poète*| Alexandre Stevens

La psychanalyse est fille de la science. Freud en effet cherche inlassablement à l'insérer dans le champ scientifique. De nombreux passages de ses textes en témoignent, certes pas sans un certain scientis­me, mais avec une exigence épistémique, telle sa référence à Darwin.La relecture de Freud avec le structuralisme linguis­tique qu’opère Lacan semble donner plus de rigueur à cette référence scientifique. Dans un second temps, Lacan va considérer que si la psychanalyse est fille de la science, c'est en tan t que, dans l'avè­nement de celle-ci, réside la condition de son inven­tion : c'est parce que la science a forclos le sujet que la psychanalyse a pu naître en redonnant valeur à la singularité du cas, toujours unique. L'évolution de la science vers le mathématisable, et aujourd’hui vers les statistiques - pas toujours avec beaucoup de rigueur d'ailleurs - renforce cette opposition. Là où la science s'oriente vers l'universel, la psychanalyse s'intéresse au particulier, au plus intime, à ce qui ne dépend d'aucune condition générale mais seulement de l'insondable décision de l'être.Certes toute une face de fa psychanalyse garde un pied dans la science : il s 'ag it de transm ettre, construire, logifier. C'est le versant du mathème tel qu'élaboré dans l'enseignement de Lacan. Mais il y a aussi cette part d'insondable qui y échappe et qui fa it que le lien à la poésie n'est pas seulement métaphorique, encore moins d'une application de la psychanalyse à la poésie, au sens d'une interpré­tation du texte. Le lien de la psychanalyse à la poé­sie est plus intime. C'est ce qui fa it dire à Lacan que le psychanalyste doit être poète, ou encore que les psychanalystes ne sont pas poètes assez. Il y a pour les psychanalystes un « e ffo rt de poésie » requis pour l'in terpréta tion1.Dans son Séminaire V, Lacan montre comment il existe deux modes d’invention : celui de la science, de la déduction logique, qui vaut hors des conditions subjectives singulières de celui qui produit cette invention, et celui du mot d'esprit (Witz) qui a ses conditions bien particulières. Ainsi, si nous repre­nons un tra it d'esprit longuement étudié par Freud et par Lacan, celui qu'Henri Heine met dans la bouche de Hirsch Hyacinthe parlant de ses rapports

avec Rothschild : « Il me tra ita it d'une façon tout ; fa it fam illionnaire »2, ce mot « fam illionnaire » fai: tra it d'esprit. Il est construit comme une condensa­tion entre « fam ilier » et « millionnaire ». Lacan c • aussi que le mot d'esprit est « une création poé­tique pleine de signification », une création de se": dans le non-sens. Le mot « famillionnaire » n'est pa: dans le code, il est hors-sens et ce sont les procéce: de la métaphore et de la métonymie qui provoque'- ici le pas-de-sens, le pas nouveau fa it dans le se ': C'est en cela que Lacan peut dire que la poétiq-t devrait inclure la technique du mot d'esprit.De ce point de vue, il y a une sim ilitude parfa :: entre la création du mot d'esprit, du poème, d e s t ­inations de l'inconscient et du symptôme. Les for- mations de l'inconscient, c'est-à-dire le lapsus, l'ou­bli de mot, l'acte manqué sont toutes produites a \t : le même procédé, ainsi que Freud le démontre condensations et déplacements, métonymie r métaphore se conjuguent pour partic iper à ur t invention de mot, acte de parole, qui toujours pr:- du it un scintillement du sens. Qu'on pense seu e- ment à l'oubli de Signorelli3 par Freud où il fa i’ résonner Botticelli et Boltraffio, Herr et Signor, mort et la crainte de la castration.Le symptôme lui-même est pour Freud coexters- aux formations de l'inconscient. Du moins dans so' e ffe t de création de sens. Qu'on pense au pe: : symptôme que présente un jou r une patiente Freud, de douleur au Sacrum (Kreutz en allemand r qui se lève par l'équivoque qu'y fa it porter Fre-: « vous portez votre croix » (Kreutz aussi en a t- mand). Ce qui montre comment une invent :* signifiante vient exprimer en douleur du symptôme les difficultés de sa vie conjugale. Invention ave-: un surcroît de sens donc.Mais le symptôme n'est pas qu'une invention ot sens nouveau, il est aussi jouissance (jou is-se ': comme l'écrit Lacan). Il satisfait l'inconscient ma c'est une satisfaction paradoxale puisqu'elle s'a:- compagne de la douleur du symptôme.La poésie aussi vise une jouissance, au moins t ' t jouissance du scintillement du sens ; elle est se': jou i comme d it Lacan. Mais cette jouissance, pa':* qu'elle est élaborée dans la m ultip lic ité des sens

* Synopsis de la conférence d'Alexandre Stevens à Moscou

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x-eme, en même temps capitonne, lim ite l'emprise :es pulsions et l'empire des passions. Avec parfois m effet réel sur les discours tenus dans le monde, ■^si de l'invention de l'amour courtois qui culmine i'*ec La Divine Comédie de Dante. Comme le sou­

p e Antonio Di Ciaccia, « il est impensable de :-an ter l'amour, en Occident, en dehors de cette

édition »4. Il y a là l'invention non seulement d'un :e 's nouveau mais d'un mode de suppléance au ; :o o r t sexuel (qui n'existe pas, d it Lacan) pour

-te une civilisation.— symptôme aussi fa it suppléance pour le sujet à ce- : i rapport. Et parfois il utilise pour ce faire la poé- se, quand il en est capable, comme c'est le cas de \erval dont la vie et le délire s'emmêlent et s'expri­ment à la fois dans ses poèmes - pensons surtout à i - rélia.Mais même quand il n’est pas poésie, le symptôme es: à la même place que cette suppléance. A la fois :c-s, jouissance et suppléance qui lim itent et orga-* sent cette jouissance, le symptôme est poème. Et* analyste-poète est p lu tôt celui qui peut donner

îu à cette démonstration que le symptôme est: :eme, que dans son imbrication de jouissance avec

son enveloppe formelle il donne accès à des effets de création. »5 Le symptôme articule du vivant dans la lettre, il conjoint le mortel et l'immortel. N'en est-il pas exactement de même pour le poème ?Il est un dernier point sur lequel poésie et psycha­nalyse se rejoignent, c'est qu'ils tra iten t du langage en tant qu'il ne sert essentiellement pas à la com­m unication, mais à la jouissance, comme le démontre très bien le « reusement » de Michel Leiris et ce qu'il y d it de perte de jouissance en passant au « Heureusement » de la communication6.Dans cet espace entre signifiant et signification, où le sens est joui, s'ouvrent toutes les possibilités de l'interprétation. Celle de l'analyste-poète est faite d'équivoques : « l'intégrale des équivoques »7. Et il en décline les modes dans « L'étourdit » : par l'ho- mophonie, par la grammaire, mais aussi par la logique sans laquelle l'interprétation serait imbéci­le. L'interprétation analytique doit faire lim ite à ce symptôme-poème en le démontrant tel par sa fo r­malisation « au contraire du sens ». La visée finale de l’analyse n’est plus dès lors de trouver le sens ultime plus vrai que tou t autre, mais d’y trouver et accep­ter le non sens, producteur du sens.

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MILLER J.-A., L'Orientation lacanienne III, « Un e ffo rt de poésie » (2002-2003), cours inédit.1 -ACAN J., Le Séminaire, Livre V, Les formations de l'inconscient ( 1957-1958), Paris, p. 51.: FREUD S., Psychopathologie de la vie quotidienne, Payot, 1967, pp. 7-14.A DI CIACCIA A., « Psychanalyse et poésie », Quarto, 80/81, Janvier 2004, p. 97.5 LAURENT E., « La poétique du cas lacanien, conférence à Buenos Aires », Quarto, 80/81, Janvier 2004, p. 86.6 MILLER J.-A., « L'écrit dans la parole », Les Feuillets du Courtil, 12, Juin 1996, pp. 15-16.

-ACAN J., « L'étourdit » (1973), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 490.

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sychanalyse et poésier commentaire du Neveu

interlocuteur de soi-mêmeanalyste et ses styles

=rançois Regnault

- t dialogue avec soi est-il une guise de la division éh su je t ? On va le supposer, à cond ition de : îoercevoir que cette division prend m ille formes : “ érentes : saint Augustin, Diderot, Rousseau,

js -e t-m o i.Zans son introduction aux Dialogues de Rousseau, I f chel Foucault f in it par dialoguer avec soi-même, «but récemment, Le Neveu de Lacan, de Jacques-

3În Miller, dont le titre est inspiré du célèbre dia- ogue de Diderot, y recourt aussi. Le livre contient un : alogue qui est de LUI avec MOI, comme chez I :erot, mais chez Diderot (Moi supposé), le dia­logue a lieu avec le supposé neveu de Rameau, tan- : 5 que M iller fa it dialoguer son Moi avec un Lui qui* est qu'à lui (à Moi ?) et ce Moi s'étonne constam­ment des facéties et des élucubrations de ce Lui. Et rourtant, on f in it par se demander si le neveu de : ameau n’a pas toutes les propriétés de Diderot lu i- -ême, comme le Lui millérien, celles de M iller lu i- rém e, tandis que leurs deux Moi, du fa it qu'ils ; e:onnent de leur surprenant interlocuteur, se met- T 't aussi dans la position de Nous, qui lisons, et qui

sommes à la fois inquiétés et séduits par le person­n e de ces Lui (le Neveu de Rameau, le Neveu de _i:an) que leur Moi, le représentant de notre repré- t 'ta tio n , nous présente.

I en va différemment des Dialogues de Rousseau -:usseau juge de Jean-Jacques), où un nommé

: : jsseau dialogue avec « Le François » (le Français le service) à propos d'un auteur abominable, haï de* : -s, un monstre, que nous reconnaissons comme rran t Jean-Jacques lui-même, persécuté. On est ians un autre registre. Ce sont, d it Foucault « des * r : -Confessions », contrepoint de ces Confessions : - r l’auteur venait de terminer, nous donnant aussi es moyens de relire autrem ent les Confessions *r:iques, celles de saint Augustin, qui ne dialoguent

qu’avec Dieu, et qu’avaient précédées ses Soliloques, un dialogue avec soi, en vérité entre son âme et sa

raison.On se rappelle le mot de Pascal « Le moi est haïs­sable »1, qui compte moins que la suite, qui me ravit toujours : « vous, Miton, le couvrez, vous ne l’ôtez_ pas pour cela ; vous êtes donc toujours haïssable. » Règle magistrale de discernement des esprits, qui nous fait, avant Freud, ouïr d’une oreille analytique, ou simplement ironique, l’ innombrable cortège des auteurs modernes qui nous déclarent : « Non, déci­dément, je ne m'intéresse pas à moi-même. Je suis pluriel, multiple, innombrable ! Pour un peu, j'a i dépassé le stade du narcissisme. » A quoi Lacan oppose à plusieurs reprises : « Je est un autre » comme une vérité du sujet, non comme la dénéga­tion déguisée d'un « je suis un autre », que Rimbaud a précisément choisi de ne pas écrire.Donc, lorsque Diderot et M iller avancent leur Moi et leur Lui, ils ne couvrent ni n 'ôtent leur moi, mais l'exposent à le voir démonter, dans tous les sens du mot, par l'intempestif Lui, qui s'affuble aussitôt d'un narcissisme de second degré, mais précaire, ouvert à la possibilité d'une œuvre littéraire, laquelle exclut en retour la psychologie haïssable. J'entends psy­chologie au sens où Foucault, dans ce dialogue de lui-même innommé avec lui-même psychologue, la récuse à la fin de son introduction à Rousseau juge de Jean-Jacques :« - Il faut distinguer : le langage de l'œuvre, c'est, au-delà d'elle-même, ce vers quoi elle se dirige, ce qu'elle d it ; mais c'est aussi, en-deçà d'elle-même, ce à partir de quoi elle parle. A ce langage-ci on ne peut appliquer les catégories du normal et du pathologique, de la folie et du délire ; car il est fran­chissement premier, pure transgression.

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- C'est Rousseau qui était délirant, et tou t son lan­gage par voie d'effet.

- Nous parlions de l'œuvre.- Mais Rousseau au moment précis, où la plume à

la main, il traçait les lignes de sa plainte, de sa sincérité et de sa souffrance ?

- Ceci est une question de psychologue. Non la mienne, par conséquent. »2

Certes, c'est aussi la psychanalyse (mal) appliquée qui est visée ici, et Foucault définissait alors la folie comme absence d'œuvre, contre un certain surréa­lisme qui, me disait-il, l'agaçait de s'intéresser à des (non-) « œuvres » de « fous ». Sa position ne va -t- elle pas cependant dans le sens où Lacan s'orientait, de considérer la le ttre dans la littérature, p lutôt que le signifiant, et le supplément à la psychose, p lutôt que la psychose même ?Non qu'il im portât peu à Lacan qu'on repère ou non une paranoïa chez Rousseau - cela avait été son diagnostic de psychiatre - mais son dialogue avec Foucault (essentiellement in term ittent) — notam­ment sur la question « Qu'est-ce qu'un auteur ? », nous le montre adopter p lu tô t une position plus litté ra ire que psychographique. Je relève même ceci, dans le Séminaire sur Hamlet : « Je soutiens sans ambiguïté - et, ce faisant, je pense être dans la ligne de Freud - que les créations poétiques engendrent, plus qu'elles ne reflètent, les créations psychologiques. »3Hegel, dans le point de vue que sa Phénoménologie de l'Esprit tire de ce moment de la « culture », et que le Neveu de Rameau lui inspire puisqu'il va jusqu'à le citer, analyse ainsi cette duplicité subjective : « La réflexion, dans laquelle le Soi se reçoit lui-même comme une entité objective, est la contradiction immédiate posée au cœur du Moi. Toutefois, comme Soi, cette conscience s'élève immédiatement au- dessus de cette contradiction, elle est l'absolue élas­ticité qui supprime de nouveau cet être-supprimé du Soi, qui répudie cette répudiation, c'est-à-dire son être-pour-so i lui devenant chose étrangère, et révoltée contre cette façon de se recevoir soi-même, dans cette réception de soi-même elle est e lle- même pour soi.3 »4Faites l'exercice d'appliquer ce texte difficile à nos deux Neveux. Vous aboutirez à ceci : « Le comporte­ment d'une telle conscience se trouvant jo in t à ce déchirement absolu, dans son esprit disparaît donc

a. Cette dialectique du déchirement, qui fa it déjà penser à du Dostoïevski, s'inspire du texte de Diderot, le Neveu de Rameau, que Hegel va interpréter à partir de maintenant. On pourra y voir la description d'un état d'esprit prérévolu­tionnaire. Toutes les valeurs fixées de la société, en particu­lier celles de la conscience noble opposée à la conscience vile, s'écroulent. D'une façon plus générale, on pourra y voir la description de la pure culture. [Note du trad.]

toute différence, toute détermination d'une conscV- ce noble en face d'une conscience vile ; et les de.= types de conscience sont la même conscience. »C'est le risque, autrement dit, qu'encourt tout o logue où l'on se parle à soi à distance de so i-m é-* à des fins, non de confession ou d'introspection, rra : justement de critique sociale, et, dans ces d ia log .t- façon XVIIIe siècle, pour tra iter en vérité de l'espact et du train de la Société — sauf que le second A/e. f . y ajoute la dimension de l'inconscient.Si nous revenons à Miller, qui n’est pas plus psych tique que Diderot, nous serons donc sensibles à : t qu'un psychanalyste recoure à la matérialité d 'o '" écriture littéraire — à savoir ses styles — et à la for­malité d'un genre - la satire — (la cause matérie t côté psychanalyse, et la cause formelle, côté scie- - ce5), autrement d it reprenne et retourne une inve '- tion de Diderot, matérialiste, non de la lettre, m : des atomes, et psychologue, mais du monstre (ic * Neveu, ailleurs, le Comédien), pour se faire lui a i: : le tératologue des mœurs de la société française r de ses envers monstrueux : le « brouillage des ide" - tités sociales », cette hybridation, l'H om m e-c:- gauche au tombeau, ce fossile, et le peuple intrc vable, ce chaînon manquant.D'un analyste, on n'attend pas qu'il soit en gène-: artiste ailleurs que dans l'art d'analyser, qu'il est a - - vé à Lacan de revendiquer comme un art, jusq- : dire : « Nous, artistes de la parole analytique »6. Er revanche, on escompte toujours un peu qu'un écr- vain, surtout philosophe au sens de Diderot, Voltaire ou de Rousseau, se fasse l'analyste de ̂: symptômes et de notre malaise, de nos fantasmes es de nos impasses. Ce qu'ils firent, jusqu'à nous fa ~ tomber par terre, et dans le ruisseau ! Conforméme" à la doctrine de Lacan selon laquelle l'artiste précè­de... la catastrophe en somme IMais si par bonheur, il devient artiste, cet analyse non plus dans le déchiffrage, mais parce qu'il a .* brin de plume, on lui en saura gré. Freud, capable x très belles phrases de la langue allemande, fe ig r; * de se refuser à cette position, mais Lacan est parve­nu, comme en se jouant, à une réussite quasi-proi.5- tienne dans autant de pastiches inassignables : s prosopopée de la vérité dans « La Chose freud ie '- ne »7, et jusqu'aux alexandrins qui term inent : t article, l'art d'un Saint-Simon lorsqu'il décrit la Cc.r des analystes et leurs simagrées dans « Situation x la psychanalyse et formation du psychanalyste 1956 »8, tant de gongorismes éblouissants de ses Ecrits, pour f in ir par se faire Joyce redivivus. Et c; d 'autant plus que sa fin n 'était pas de recueillir es lauriers du poète (on connaît par ailleurs quelqLt: poèmes de lui).Jacques-Alain M iller a plus qu'un brin de plume, r plus d'un brin, et inspiré par l'ironie de Voltaire, : virtuosité de Diderot, le ta lent des écrivains libe-

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stes ou pamphlétaires politiques de la Révolution et za XIXe siècle et le génie de Balzac (rappelons-nous < 'habile Charentais »9, à propos de Mitterrand !), :est à ces brins, cordes bien plutôt à son arc, qu'il accroche les flèches que son expérience analytique invite à décocher sur la société française et ses

envers, ou ce qu'il appelle plus loin « les profondeurs : j goût », ou l’air du temps. Ce qu’en d'autres termes 4egel, plus romantique, désigne comme « cette iosolue et universelle perversion6 et extranéation de effectivité de la pensée : la pure culture »10 !

l'est donc bien l’analyse qui l'autorise à réécrire le :ébut du Neveu, avant de bifurquer vers son chemin ; lui, qui revient à identifier son Lui à l’analysant.l iderot : « J’abandonne mon esprit à tou t son liber- : nage. Je le laisse maître de suivre la première idée :age ou folle qui se présente, comme on vo it dans allée de Foy nos jeunes dissolus marcher sur les pas

:'une courtisane à l’air éventé, au visage riant, à œil vif, au nez retroussé, qu itter celle-ci pour une

autre, les attaquant toutes et ne s'attachant à aucu­ne. Mes pensées, ce sont mes catins. »11Miller (en italiques, les modifications) : « Je provoque on inconscient à tout son libertinage logique. Je le sisse maître de suivre la première idée sage ou folle :ui se présente, comme on voit sur un divan celui ou :e//e qui s'allonge parler sans souci de sens ni de décen- :e, quitter un souvenir pour une facétie, revenir d'un eu, plus sérieux qu 'il ne croit, au sérieux, plus futile

z. « Verkehrung ». La conscience de la pure cu ltu re est la conscience de l'extériorité de tous les moments et de leur perversion l'un dans l'autre. Ce qui é ta it d'abord pour nous est m aintenant pour la conscience elle-m ême. Chaque moment, bien, mal, pouvoir de l'Etat, richesse, etc., n'est que par son contraire. Tout est artific ie l, to u t est comédie pour le Soi, qui est l'âme de tous les moments, est en dehors de soi.

qu'il ne sait, et ne se sentir enfin lié par rien. Ses pen­sées, ce sont ses catins. Les miennes, ses chiens. »12Parbleu ! S’il n’y a pas de rapports sexuels, à la place des putains : nos Gedanken !Il s’ensuit donc cette satire dont la devise de roseau pensant serait : « Je blâme et ne hais point », s'il faut tenir avec Spinoza que ce sont deux sentiments d if­férents. Le blâme est « la Tristesse que nous éprou­vons quand nous avons l'action d'autrui en aver­sion. »13, mais la littérature permet qu'on éprouve de la joie à voir blâmer, sans haine de leurs auteurs, des actions qui nous répugnent, c 'est-à -d ire à les moquer, puisque la moquerie (ici, une satire) est « une Joie née de ce que nous imaginons qu’il se trouve quelque chose à mépriser dans une chose que nous haïssons. »14, et puisque Jacques-Alain M ille r met son point d ’honneur (sa gloire, d ira it Spinoza ?) à ne haïr personne. Par quoi un analyste, ainsi que quelques autres dans notre Champ, s'ins­crit donc dans la littérature — et nous donne son miel sans fiel.Qu'il laisse s'ouvrir en outre, dans ses cours, à l'im ­passe qu'il diagnostique de ce temps, une passe par la poésie, « unique source »15 selon Mallarmé, qui ne l'en louerait, sauf qu'un vain peuple a oublié depuis longtemps en quoi ça consiste, la poésie ! Ce m'est donc un plaisir de l'en louer.J'ai évoqué les bonheurs de son style, car il s'agit bien d 'heur. L'heur aussi de profiter de ce que je confie ce texte à une revue belge pour y déposer un dire livré à moi un jo u r par notre chère Rachel Fajersztajn disparue, qui consacra d'ailleurs à l'art de la peinture le peu de temps qu'elle savait que sa maladie lui laisserait. C 'é ta it une dé fin ition , impromptue, de Jacques-Alain Miller. « Il est, me dit-elle, Une chance pour la psychanalyse. »

PASCAL B., Pensées de Pascal sur la vérité de la religion chrétienne, éditées par Jacques Chevalier, Paris, Boivin, 1949, 455 .207.2. FOUCAULT M „ « Introduction à Rousseau juge de Jean-Jacques », Dits e t écrits I, 1954- 1975, Paris, Gallimard, 2001, p. 216.3. LACAN J., « Hamlet », Ornicar?, 24, Automne 1981, p. 17.- HEGEL F., La Phénoménologie de l'Esprit, trad. Jean Hyppolite, Aubier, tome 2, p. 76.: LACAN J., « La science et la vérité », Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 875.6. LACAN J., Le Séminaire, Livre VII, L'éthique de la psychanalyse (1959- 1250), Paris, Seuil, 1986, p. 122.

LACAN J., « La chose freudienne », Ecrits, op. cit., pp. 408-409.: LACAN J., « Situation de la psychanalyse et form ation du psychanalyste en 1956 », Ecrits, op. cit., pp. 476-4869. MILLER J.-A., « Point de vue d’un psychanalyste », Journal Le Monde du 4 décembre 2002.

*0. HEGEL F., op. cit., p. 78.

■ DIDEROT D., Le Neveu de Rameau et autres dialogues philosophiques, Edition de Jean Varloot, fo lio classique 761 Paris Gallimard 1972, p. 31.

T2. MILLER J.-A., Le Neveu de Lacan, Lagrasse, Verdier, 2003, p. 63.13. SPINOZA B., Ethique III, Scolie de la Proposition XXIX.

SPINOZA B., Ethique III, Définition des Affects N° XI.

-5. MALLARME S., « Un coup de Dés jamais n'abolira le Hasard », Préface, La Nouvelle Revue Française, Paris, 1914.