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On les verrait bien chanter « C’est Jean- François de Nantes », chant de marins, chant à hisser, ici au beau milieu du centre-ville en cette épique époque où l’Erdre traversait Nantes. Qui sont ces hommes ? On ne connaît pas leur nom, on comprend leur profession de mariniers. Sur leur péniche, ils posent devant le photographe tout sourire. On devine aussi qu’ils ont des bras musclés, tels des dockers, au vu de l’ampleur de ce sac de sable sur lequel deux d’entre eux posent leurs bras. L’image a été réalisée entre le pont de l’Hôtel de Ville et le pont Morand, un quartier animé et pittoresque où officiaient aussi des blanchisseuses. Est-ce une photographie de Georges Hailaust (1870-1953) à qui les archives départementales ont rendu hommage par une exposition « Dans l’œil du photographe » en 2013 ? C’est possible car ce photographe amateur, membre de la Société nantaise de photographie, sut saisir des instants sur le vif avec un côté « ethnographe », écriront de lui les commissaires d’une exposition à Nantes en 1891. Et surtout, ce riche négociant de bois scandinave possédait un yacht à vapeur, le Saint-Georges, amarré près du pont de l’Hôtel de Ville. Un bateau que l’on retrouve d’ailleurs sur des cartes postales jusque dans les années 1920. Quatre mariniers de Nantes NANTES HISTOIRES D'EAU

Quatre mariniers de Nantesexcerpts.numilog.com/books/9782842382032.pdfnantes histoires d’eau Ci-contre : le pont de Pirmil écroulé en mai 1924. En haut : quatre mariniers en plein

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On les verrait bien chanter « C’est Jean-François de Nantes », chant de marins, chant à hisser, ici au beau milieu du centre-ville en cette épique époque où l’Erdre traversait Nantes. Qui sont ces hommes ? On ne connaît pas leur nom, on comprend leur profession de mariniers. Sur leur péniche, ils posent devant le photographe tout sourire. On devine aussi qu’ils ont des bras musclés, tels des dockers, au vu de l’ampleur de ce sac de sable sur lequel deux d’entre eux posent leurs bras. L’image a été réalisée entre le pont de l’Hôtel de Ville et le pont Morand, un quartier animé et pittoresque où officiaient aussi des blanchisseuses. Est-ce une photographie de Georges Hailaust (1870-1953) à qui les archives départementales ont rendu hommage par une exposition « Dans l’œil

du photographe » en 2013 ? C’est possible car ce photographe amateur, membre de la Société nantaise de photographie, sut saisir des instants sur le vif avec un côté « ethnographe », écriront de lui les commissaires d’une exposition à Nantes en 1891. Et surtout, ce riche négociant de bois scandinave possédait un yacht à vapeur, le Saint-Georges, amarré près du pont de l’Hôtel de Ville. Un bateau que l’on retrouve d’ailleurs sur des cartes postales jusque dans les années 1920.

Quatre mariniers de Nantes

nantes histoires d'eau

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Ci-contre : le pont de Pirmil écroulé en mai 1924. En haut : quatre mariniers en plein centre-ville.19

Le pont de Pirmil écroulé vu du ciel

Sur cet inédit et saisissant cliché, le photographe a capturé la Loire dans toute sa largeur à hauteur du vieux pont en pierres de Pirmil. Le 26 mai 1924, le fleuve a emporté une partie de l’édifice qui constituait alors le seul moyen pour les habitants du sud de la Loire de rejoindre la ville de Nantes. Pirmil fait partie de la première ligne de ponts menant à la ville archipel, la « Venise de l’Ouest ». Cette cité fluviale comptera jusqu’à 28 ponts à son apogée et sera le sujet d’un livre du dessinateur et anarcho-syndicaliste Jules

Grandjouan. Alors, quand le pont de Pirmil s’écroule, pas question d’attendre des mois. Un premier pont provisoire est mis en place par l’armée afin que les habitants puissent rejoindre la rive. Les véhicules peuvent aussi le traverser mais, attention, on ne se croise pas ! Les travaux sont en cours sur les deux arches fracassées du pont de Pirmil. Cet écroulement rappelle celui du pont Maudit reliant l’île Feydeau à l’île Gloriette, le 13 juillet 1913. Au bon endroit au bon moment, le photographe Victor Girard immortalisera cet événement.

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Même s’il fait partie de la première ligne des ponts, autrement dit du seul franchissement de la Loire à Nantes du ixe au xixe siècle, ce n’est pas le pont le plus connu de Nantes. Il n’a pas acquis de notoriété en fonction de faits historiques ou d’écroulement causé par la Loire. D’où l’importance de ces documents de 1923 qui nous permettent de le mettre en lumière avant qu’il ne soit détruit et reconstruit en arc. D’ailleurs, cet édifice qui traverse le bras de la Madeleine, en prolongement de la chaussée de la Madeleine, changera de nom au cours de

son histoire. De pont de la Madeleine il deviendra pont Général-Audibert.La légende de cette illustration indique la démolition dudit pont vue depuis les rives du quai Moncousu, quai qui eut son heure de gloire puisqu’il accueillit, durant une partie du début du xxe siècle, le foin des champs avant d’être embarqué sur des navires. Au premier plan, le linge des blanchisseuses sèche au vent. Au second, deux des immeubles sont toujours en place de nos jours, quai Hoche.

Le vieux pontde la « Magdeleine » ou Madeleine

En haut : le vieux pont de la Madeleine.Ci-contre en haut : la Loire à marée haute. Ci-contre en bas : vue sur le pont d’Orléans.

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La Loire n’a jamais été un long fleuve tranquille, ses remous n’invitent ici guère à la baignade. La marée est haute et les pêcheurs absents de leurs embarcations. Les filets étaient suspendus sur ces perches en bois qui demandaient un savoir-faire de professionnels, qu’il vente ou qu’il pleuve. Ce joli patrimoine a quitté les lieux pour d’autres bateaux, d’autres techniques de pêche. Cette image ressuscite un métier qui a su évoluer au fil des décennies. Au fond, on aperçoit les immeubles du quai Hoche, juste après la rue de la Grande-Biesse. Ce nom vient de l’île de la Grande-Biesse que reliait le pont de la Madeleine avec l’île Gloriette. Au nord-est du pont actuel, un ancien ouvrage appartenait au Prieuré de la Madeleine. Il fut emporté par les eaux en 1179 et 1579.

Bateaux de pêcheset arches du pont de la Madeleine

C’est une facette remarquable du vieux Nantes, sous un angle photographique inédit, qui resurgit ici grâce à l’œil d’un anonyme installé depuis l’un des immeubles qui surplombe les derniers mètres de la rivière l’Erdre avant sa jonction dans la Loire. Géométrique, de part le pont, les deux rives et la cale, cette image fige un instant la vie quotidienne des Nantais et précisément la circulation en 1900.Un bateau-lavoir et, juste à côté, son linge qui sèche démontrent l’activité permanente du petit peuple de l’eau. La Venise de l’Ouest au temps du Far West, avec ses fiacres, ses charrettes et ses diligences ou assimilées est bien présente. On remarque aussi les rails du vieux tramway qui suivait l’Erdre dans le centre-ville. Il lui résistera plus longtemps, la rivière sera en effet comblée au début des années 1930 et le tramway, première mouture, arrêté en 1958, avant sa réapparition en 1985.

Sous le pontd’Orléans coule l’Erdre

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Le temps des deux ponts de la Madeleine

Nous voilà à présent sur le nouveau pont de la Madeleine, peu de temps après sa construction. On en mesure la largeur grâce au cadrage de cette photographie, prise vers le sud. De l’autre côté, la chaussée de la Madeleine attend le promeneur pour rejoindre l’île Feydeau, en empruntant, avant les comblements de la Loire, le pont de la Belle Croix. Ce qui frappe sur ce cliché, ce sont aussi ces deux piliers ouvragés, massifs, aux ailes de béton, qui donnent à l’ensemble un air russe des années cinquante. Qui les a sculptés ? Il s’agit là d’un mystère de plus à éclaircir au sein du pays nantais. Ils disparaîtront en tout cas du paysage après le sabotage du pont par les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale.

Sur le tout nouveau pont de la Madeleine

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En 1923, ces deux ponts de la Madeleine se côtoieront le temps de la mise en service du nouvel ouvrage, celui de droite. Le vieux pont sera alors démoli. Cette photographie inédite montre que le vieux pont est toujours en activité. On devine des marcheurs et des silhouettes de chevaux. En face, il s’agit de la chaussée de la Madeleine.Vingt-deux ans plus tard, en août 1944, la plupart des ponts de la Loire seront dynamités par les Allemands lors de leur fuite à l’arrivée des Américains. Le pont de la Madeleine sera

le premier à être reconstruit. La circulation reprendra le 12 avril 1945, neuf mois après son sabotage. Le 15 décembre 1958, le conseil municipal lui donne le nom de Louis-Alexandre Audibert (1874-1955), responsable de la Résistance et commandant de la région ouest de l’Armée Secrète. Il deviendra député de Loire-Inférieure après la Seconde guerre.Un second pont en poutres, accolé au pont Audibert, reçoit aujourd’hui le nouveau tramway.

À gauche : le nouveau pont de la Madeleine.Ci-contre : les deux ponts de la Madeleine, à gauche l’ancien et à droite le nouveau.

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