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QUE CHOISIT DONC LE SUJET QUI NE VEUT RIEN SAVOIR ? Martine Menès Martin Média | Le Journal des psychologues 2006/7 - n° 240 pages 39 à 43 ISSN 0752-501X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2006-7-page-39.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Menès Martine, « Que choisit donc le sujet qui ne veut rien savoir ? », Le Journal des psychologues, 2006/7 n° 240, p. 39-43. DOI : 10.3917/jdp.240.0039 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Martin Média. © Martin Média. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.176.37.40 - 30/07/2013 16h19. © Martin Média Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.176.37.40 - 30/07/2013 16h19. © Martin Média

Que Choisit Donc Le Sujet Qui Ne Veut Rien Savoir

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QUE CHOISIT DONC LE SUJET QUI NE VEUT RIEN SAVOIR ? Martine Menès Martin Média | Le Journal des psychologues 2006/7 - n° 240pages 39 à 43

ISSN 0752-501X

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2006-7-page-39.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Menès Martine, « Que choisit donc le sujet qui ne veut rien savoir ? »,

Le Journal des psychologues, 2006/7 n° 240, p. 39-43. DOI : 10.3917/jdp.240.0039

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Ce que l’on nomme communémentles « troubles de l’apprentissage »intéresse tout un chacun, et particu-

lièrement quiconque a charge de l’en-fance, que ce soit en tant que parent,enseignant, clinicien, psychologue sco-laire ou encore citoyen. Les savoirs, au sens des connaissances,sont au centre de l’éducation donnée auxenfants. L’efficace de leur transmissiondépend pour partie de la position desadultes qui en sont chargés – je ne fais iciqu’évoquer cette variable pourtant nonnégligeable. En effet, ce qui se transmetconcerne les conditions du désir de savoiret dépasse notablement les intentions,fussent-elles bonnes.Si l’activité cognitive d’un sujet a à voiravec la logique, c’est avant tout avec lalogique de son inconscient. L’intelligencene se présente pas comme un lieu psy-chique qui se constituerait par strates suc-cessives, mais comme une fonction,disons une fonction d’« entendement »,de discernement ; il s’agit d’abord d’en-tendre pour pouvoir comprendre, prendreavec soi. L’erreur, l’échec, l’incompréhen-sion, la bêtise, la faute, dans toute l’équi-voque du sens, portent la vérité du sujet,vérité dont lui-même ne sait rien.

Des réponses propresà la psychoseLe rapport au symbolique dans la psy-chose est si déformé que toutes les distor-sions face au savoir se retrouvent, de l’in-terprétation singulière à la répétitionmécanique et incomprise ou à la convic-tion délirante. Illustrons chacune de cesoccurrences par des vignettes cliniques.● Julien, dix ans, interprète toutes lesdemandes de sa maîtresse comme desattaques le visant, ce qui entraîne un refusscolaire à la mesure de l’agression qu’ilestime subir. Il a fallu inventer une formed’interaction (proposer, laisser à disposi-tion) permettant sa mise au travail sansqu’il ait affaire à la demande de l’autre, enparticulier d’une femme dont il pensequ’elle pourrait l’anéantir, en tout casanéantir son désir. Julien est sous l’emprisede cette interprétation singulière « sensi-tive » pour ne pas dire « paranoïaque ». ● Laura, huit ans, est capable d’exécuterparfaitement n’importe quelle chansonentendue, ne serait-ce qu’une fois, avec leton, voire l’accent du chanteur ; à un débutde séance, je l’entendis même reproduirela voix nasale et les grésillements d’untrente-trois tours !

Psychanalyste,membre de l’Écolede psychanalyse desforums du champlacanienPsychothérapeuteau CMPP

de Compiègne

Que choisit donc le sujetqui ne veut rien savoir ?

Inhibition, symptôme et angoisse, le célèbre ouvrage de S. Freud, peut servirde fil conducteur à une compréhension des troubles de l’apprentissage.Sont développées dans cet article un certain nombre de conditions nécessairespour que le désir de savoir ne se limite pas à l’intention de savoir.

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● Yannick, cinq ans, récite toutes les pla-nètes du système solaire, embraye sur dessoustractions qu’il écrit sans faute sur untableau, chantonne sans la moindre erreurune poésie. Il reproduit ce jour-là enséance les devoirs qu’il a entendu sonfrère (d’un niveau CE2) faire à voix haute…Dans ces cas d’autisme « savant », il s’agitde freiner la ritournelle, répétition sanssens, et de tenter d’orienter les compé-tences de ces jeunes sujets vers unouvrage d’apparence moins spectaculairemais plus subjectivé, susceptible de leurfaciliter le lien social.● Passons à des exemples de délire, quin’est pas toujours facile à repérer quand ils’agit de jeunes enfants : Marina, six ans,se déshabille entièrement en cours dedessin pour reproduire sa main et com-mence à recouvrir son corps de peinture.Sa crainte, apparemment, est de perdre samain si elle seule est colorée, car elle sedétache du reste du corps dans l’image, etdonc, pour Marina, risque de se détacherégalement dans le réel. Ces exemples sont extrêmes, mais ils ontl’intérêt d’étaler à ciel ouvert le champ devariabilité des troubles de la pensée. Cependant, les difficultés à l’origine desdemandes que les éducateurs, au senslarge, adressent au psychanalyste au nomde l’enfant dont le devenir scolaire et pro-fessionnel inquiète (d’autant plus dans unmonde particulièrement ségrégatif) sontle plus souvent de l’ordre du troublenévrotique : de l’inhibition, des symp-tômes ou de l’angoisse 1.J’emprunte cette énumération au titred’un ouvrage freudien pour résumer lesobstacles qu’un enfant peut rencontrerface aux apprentissages : inhibition, unedéfense du moi ; symptôme, une forma-tion de l’inconscient ; angoisse, un affect.

L’inhibitionL’absence de goût pour le travail, voire lerefus de travailler (à la question plus oumoins exaspérée de l’adulte « Pourquoi tu nefais rien ? », la seule réponse de l’enfant est« J’ai pas envie »), est le plus souvent del’ordre de l’inhibition. Du reste, Freud esti-mait qu’un travail analytique avec un enfantétait réussi non pas quand les parentsétaient contents, mais quand l’enfant avaitre- (je souligne, car le fait qu’il s’agisse deretrouvailles fait partie de l’hypothèse), re-trouvé donc « le plaisir du travail ». L’inhibition peut toucher toutes lesfonctions :

● la motricité qui s’exprime dans la len-teur, la maladresse ;

● l’expression verbale qui entraîne unsemi-mutisme, des formes atypiques debégaiement ;

● les activités cognitives : blocage de lapensée, pauvreté intellectuelle, déclara-tion systématique d’ignorance…

Il y a chez Freud deux occurrences essen-tielles dans la définition de l’inhibition :● Elle est d’abord un processus de régula-tion, ce qui permet au sujet infans de nepas confondre l’hallucination (un petitsouriant aux anges tandis que ses lèvresfont un mouvement de succion) et l’acteréel de téter. La satisfaction attachée à larêverie doit être inhibée, car que serait lacourbe de poids d’un bébé qui se conten-terait de visions ? Pour survivre, il estnécessaire que l’appareil psychique sedégage de l’emprise exclusive du principede plaisir et passe sous le registre du prin-cipe de réalité. L’inhibition se présentealors comme un mécanisme favorisantl’émergence du moi, instance qui consti-tue la réalité. C’est donc un mal nécessairepour que l’enfant sorte de l’illusion morti-fère de sa toute-puissance. Lacan le redira en parlant du rôle de l’inhi-bition dans l’arrêt du mouvement spon-tané vers la jouissance.

● Elle est ensuite une anticipation de lasublimation, ce qui traduit sa dépendanceau surmoi. Freud, dans le cadre de ladeuxième topique, démontre que l’inhibi-tion non seulement limite l’énergie pul-sionnelle, mais aussi modifie le but de lapulsion. Il utilise le concept d’inhibitionquant au but pour rendre compte de l’ori-gine des sentiments sociaux. Le moiinhibe les composantes actives des pul-sions sexuelles. Cette inhibition, en per-mettant l’abandon d’un plaisir dans l’an-crage pulsionnel à l’Autre, à l’occasion lespersonnages parentaux, plaisir qu’il neconvient pas de maintenir, aide à orienterl’intérêt vers l’extérieur. La tendresse àl’égard des parents prend le relais d’unamour érotisé, originellement lié à la satis-faction sexuelle contenue dans lescontacts de la première enfance. Cette fonction d’inhibition du développe-ment pulsionnel a un caractère iatrogènepouvant entraver le fonctionnement men-tal, car, face à l’indomptable de la pulsion,il peut y avoir fixation inhibant le passageau stade ultérieur. L’inhibition, en ce sens,manifeste l’impossible refoulement quand

Savoir, ne pas savoir : psychisme et apprentissages

1. Freud S., 1926, Inhibition,symptôme, angoisse, Paris, PUF, 1981.

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il y a un reste trop réel de perceptions irre-présentables dont Freud fait très tôt l’hy-pothèse qu’elles sont d’origine sexuelle 2.L’inhibition contient le désir même qu’elleempêche, tendant à annihiler le sujet dési-rant. Elle provoque une rétention de l’ac-tion, car elle introduit « dans une fonctionun autre désir que celui que la fonction satis-fait habituellement 3 ».De ce fait, une question clinique se pose :est-ce que toute levée d’inhibition risquede favoriser le passage à l’acte du désirréfréné ? La tonalité agressive patentedans l’appel muet de l’inhibé laisse à soninsu apparaître cet envers logique de l’in-hibition. Le sujet s’y tient du côté du « jene pense pas » corrélé à un pur « je suis »,c’est dire que c’est son existence mêmequ’il protège. À cette place, qui consiste àsoutenir l’être au détriment de la pensée,Lacan situe l’ignorance comme détermi-nation de ne rien savoir d’un manque ima-giné comme mortifère (et non commepermettant le désir quand la fonction de lacastration qui consiste à permettre lenouage du désir à la loi est assumée).

Passons aux symptômesLa rumination, l’hésitation infinie sur laréponse, le doute permanent, sont descomportements relevant du registresymptomatique. Mais tout aussi bien l’agi-tation (la moderne hyperactivité), l’agres-sivité et, pourquoi pas, les difficultés spé-cifiques de lecture, d’orthographe, lesconfusions de sens des lettres, toujours surle même axe de symétrie, la dyscalculie,etc. L’inhibition anticipe le symptôme dontelle précède la formation. Mais l’inhibitionn’est pas un symptôme. Elle est renon-cement, mécanisme d’évitement (parexemple : l’enfant sait lire, mais la lectureà voix haute lui est impossible), alors quele symptôme est une formation de com-promis qui n’empêche pas la réalisationd’une fonction mais la modifie (l’enfantapprend à lire mais inverse les lettres, lesconfond, etc.). L’inhibition concerne lespotentialités d’action d’un sujet, le symp-tôme traverse l’acte du sujet qui restecapable d’agir. L’inhibition est une forma-tion défensive du moi alors que le symp-tôme est une formation de l’inconscient,une construction d’ordre métaphoriquequi s’articule au fantasme (la grille de lec-ture à travers laquelle tout sujet interprèteson monde) et suppose un savoir incons-cient, donc déchiffrable. Le symptôme est

une énigme à déchiffrer par le sujet lui-même qui, seul, a le sens inconscient quesa difficulté traduit en acte. Le symptôme est et a une signification. Ilest donc plus utile de l’aborder comme unmessage que de tenter de le combattre defront par quelque rééducation.

Quant à l’angoisse…Dans Inhibition, symptôme, angoisse, Freud(1926) articule l’inhibition avec le symp-tôme et l’angoisse. Prenons comme illus-tration ce que l’on appelle communémentles « phobies scolaires ». L’enfant focaliseson angoisse (peur du regard des autres,ou de ne pas y arriver, peur de la pageblanche, crainte immotivée de l’ensei-gnant, des contrôles, etc.) sur l’école qu’ilse met à refuser, voire où il ne peut plusaller. Le symptôme est alors la phobie ;l’inhibition, qui va jusqu’à l’empêchementd’aller en classe, en est la conséquence,tandis que l’angoisse est l’affect initial quidéclenche le tout. La phobie est la localisation sur un objetd’une angoisse faite pour en éviter uneencore plus virulente que Freud a nom-mée l’« angoisse de castration », plus

La rumination, l’hésitation, le doute permanent,sont des comportements relevant du registre symptomatique.

angoissante, pourrait-on dire, car sansobjet réel. Ce sentiment est proche de ceque les philosophes nomment « angoisseexistentielle », qui est au cœur de chacundès lors qu’il est confronté à sa finitude, àson manque. Dans sa conférence intitu-lée « L’angoisse et la vie instinctuelle »,Freud détaille les modalités d’apparitionde l’angoisse, selon les étapes de l’évolu-tion de l’enfant : « Le danger de l’abandonpsychique coïncide avec le tout premier éveildu Moi, le danger de perdre l’objet (oul’amour), avec le manque d’indépendancequi caractérise la première enfance, le dangerde la castration avec la phase phallique etenfin la peur du Surmoi […] avec la périodede latence 4. » Cette citation résume parfai-tement l’évolution psychodynamique del’enfant.

2. Freud S., 1979, La Naissance dela psychanalyse. Lettre du 20 mai1896, Paris, PUF.3. Lacan J., 2004, Le Séminaire, livreX. L’angoisse, Paris, Le Seuil, p. 366.4. Freud S., 1932, Nouvellesconférences sur la psychanalyse,Saint-Amand, Idées Gallimard, 1981,p. 117.

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Nous faisons l’hypothèse que l’angoisseau cœur des mécanismes de limitation dumoi pour l’inhibition, de refoulementimparfait pour le symptôme, est celle dela phase phallique, soit l’angoisse de cas-tration, car la question du savoir y estcentrale.

Les théories sexuellesinfantiles Selon Freud, le désir de savoir se noue aucours de la névrose infantile, soit ce qu’ilnommait le « complexe d’Œdipe », dans lacontinuité entre curiosité intellectuelle etcuriosité sexuelle. Les Trois Essais sur lathéorie de la sexualité (1905-1915) décriventl’enfant d’avant la période de latence quirencontre en même temps le désir desavoir et celui de voir. Les premières mani-festations de ce que Freud nomme la « pul-sion épistémophilique » sont des construc-tions théoriques : les théories sexuellesinfantiles, dont le roman familial signe lachute. Mais ce qui en fait le moteur – lesquestions d’amour éveillées en premierlieu par le lien aux parents – en fait aussi lalimite. Le désir de savoir est marqué d’em-blée de son origine incestueuse.Chacun a pu, à l’occasion, entendre de lapart de jeunes enfants quelques élucubra-tions originales destinées à s’expliquerl’inexplicable de la vie dans ses dimen-sions les plus réelles : sens de l’existence,interrogation sur la mort, approche pru-dente de la sexualité. L’enfant témoigneainsi d’une capacité imaginative de bonaugure. Le fondement du désir de savoirest dans cette curiosité et « l’enfant s’at-tache aux problèmes sexuels avec une inten-sité imprévue et on peut même dire que ce sontlà les problèmes éveillant son intelligence.Lorsqu’il y renonce, ce n’est pas sans faire untort durable à sa pulsion de savoir 5 ».Les premières investigations 6 portent surl’origine des bébés, événement quicondense toutes les questions existen-tielles. C’est ce qui mène l’enfant, silen-cieusement, au pied du lit de ses parents,en pleine observation attentiste. Il se ren-seigne sur ce que font ses parents, sur lerôle du père et de la mère dans la procréa-tion. J’entends l’objection : « Et ceux dontla mère n’a pas de partenaire masculin ? »Eh bien ceux-là sautent la case de la con-frontation réelle, ce qui n’est pas forcé-ment sans conséquence, mais l’imaginairefait aussi bien l’affaire. Tous les enfants,souvent dès l’âge de deux ans, s’observent

entre eux, font des comparaisons, tirentdes hypothèses et quelques conclusionsprovisoires. Freud appelle cette période« l’organisation génitale infantile », parcequ’elle se distingue radicalement de cellede l’adulte (remarque qui a toute sonimportance en cette époque de suspiciongénéralisée quant à l’approche des activi-tés sexuelles où des enfants sont partieprenante). Le point essentiel à retenir ici de cettesexualité perverse polymorphe, àentendre comme non génitalisée, est sonapogée : la phase phallique. Un seulorgane y est reconnu, le mâle. L’enfantadmet volontiers qu’il y a des petits gar-çons et des petites filles, mais il penseque ces dernières sont privées de cet élé-ment, qu’il va pousser ou, horreur, qu’il adisparu. Cette théorie sexuelle infantile n’est passans conséquence durable et structurante.Le drame qui en fait le cœur est de serendre progressivement compte de l’in-complétude maternelle, qui fait qu’elledésire – en tout c’est souhaitable – au-delàde l’enfant qui ne la comble pas toute.Prenons le témoignage de ce jeune gar-çon, âgé d’environ quatre ans au momentoù je surprends cette conversation :– L’enfant : « Une telle, une telle [copinesd’école particulièrement appréciées], ellesont un zizi. »– La mère : « Mais non, voyons, tu sais bienqu’aucune fille n’a de zizi. » – L’enfant : « Même Madame X ? » [Son ins-titutrice, personnage éminent.]– La mère : « Madame X non plus, aucunedame. »– L’enfant : « Mais les mamans, si », d’unton cette fois très affirmatif et sûr de lui.La mère, surprise que l’éducation éclairéequ’elle dispense à ses enfants ait si peud’effet et vaguement inquiète, réplique :« Mais les mamans non plus, tu ne te rap-pelles pas qu’on a lu ensemble le livre sur lesbébés et que tout ça est expliqué ? »L’enfant, dans une dernière tentative derefus de la castration, insiste : « Oui…, maistoi, maman, quand tu mets ton jean, t’en asun. »C’est entre deux mouvements contradic-toires, vouloir savoir et désirer maintenirl’illusion d’une mère toute-puissante qu’ilcomblerait, qu’oscillent les Œdipe enherbe.Cette période d’investigation sexuelle etde construction intellectuelle qui l’accom-pagne se termine par « une violente pous-sée de refoulement ». Le refoulement

Savoir, ne pas savoir : psychisme et apprentissages

5. Freud S., 1987, Trois Essais surla théorie sexuelle, Paris, Gallimard,pp. 90-91 et p. 123, et note ajoutéeen 1910 : Lacan J., Écrits, p. 802 :» Le désir de savoir pêche par sonorigine pulsionnelle. «6. Freud S., 1910, Souvenir d’enfancede Léonard de Vinci, Paris, IdéesGallimard, 1977, p. 33.

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porte sur le savoir sur la sexualité (l’in-conscient a dès l’origine un contenusexuel). Freud regrettera jusqu’à la fin les effetsd’un refoulement excessif. Dans L’Avenird’une illusion, il déclare : « Pensez au con-traste attristant qui existe entre l’intelligencerayonnante d’un enfant bien portant et la fai-blesse mentale d’un adulte moyen 7. »Il localisera très vite l’origine des troublesde la pensée comme des avatars œdipiens. Car quel est le destin postœdipien du désirde savoir qui porte d’abord sur le désir de lamère ? Cette question est liée à ce queLacan appellera le « trou-matisme » de larencontre avec le manque, d’abord mater-nel, trauma qu’est pour tous l’entrée dans lasexualité. La crainte induite par la castrationse retourne sur soi, rend sensible sonpropre manque. Il est clair dès lors que l’an-goisse au cœur des empêchements quantau savoir est l’angoisse de castration.Détaillons les trois destins possibles dudésir de savoir décrits par Freud :● Il partage le sort du savoir sexuel et estrefoulé en même temps. L’inhibitiondevient défense pathologique face à l’an-goisse : il est interdit de « ça voir », au point,dit Freud, de créer une débilité acquise dela pensée. ● La sexualité est refoulée, mais la curio-sité sexuelle est préservée. La pensée vachercher dans l’inconscient des contenusdégagés des affects, mais elle ne ren-contre que le retour du refoulé sexuel. Ledésir de « ça voir » s’exprime de façonsubstitutive, l’activité intellectuelle estsexualisée, mais tourne à vide sur despensées obsédantes et ressassées, rumi-nation improductive, entièrement occu-pée à tenir éloignée l’origine sexuelle. Lesujet s’épuise non pas à penser, mais àpenser à rien, pour ne pas dire à penserrien qu’à ça, illustration que l’inhibitioncontient le désir même qu’elle empêche. ● Il y a refoulement sexuel, mais la libidopour partie préservée et inhibée quant aubut est sublimée. Penser prend le relais dedésirer. Le désir de savoir se soustrait pourune part au refoulement et l’énergie pul-sionnelle ainsi préservée se trouve utili-sable en curiosité intellectuelle. Le germede la sublimation trouve ainsi son ressortdans une prohibition sexuelle. Dans lechapeau, il y a déjà le lapin, et Lacan nousdit que « ce lapin n’est pas un nouvel objet,c’est le changement d’objet en lui-même 8 »,façon de dire que l’activité de pensercontient l’activité pulsionnelle.

Pour conclurePour que le désir de savoir opère libre-ment, il faut que le fantasme fasse cadreau désir du sujet, car « en son sein gît le désirde savoir 9 ». Le fantasme est une construction particu-lière à un sujet (son mythe individuelcomme le nomme Lacan) à partir d’élé-ments du réel qui permet le lien entre la viepulsionnelle et les exigences surmoïques. Ilassure un rapport à la castration là où lesymptôme ferait plutôt obstacle. De ce fait,il soutient le désir propre du sujet, car ilménage l’objet pulsionnel qui le cause.Le ratage du relais entre savoir sur le désiret désir de savoir fait-il signe d’un embar-ras dans la construction du fantasme ? Lemanque entr’aperçu ferait retour sur lesujet, l’enfant fait le mort pour ne pas dis-paraître. L’on retrouve là la disjonction dusujet cartésien : je ne pense pas pour (pou-voir) être. Les « je sais pas », formule der-rière laquelle se réfugient bien des enfantsqui consultent, venus précisément parcequ’ils ne savent pas savoir, évoquent lapassion de l’ignorance. C’est l’expressiond’un acte d’inhibition de la pensée, arrêtdécidé trahissant le désir comme impos-sible. L’enfant pense à rien, objet paradoxalde la pulsion, creux, vidé de toute signifi-cation phallique. L’horreur de savoir préside au refoule-ment. Le moment œdipien pour l’enfant

est le renoncement à la toute-puissance,l’acceptation d’être marqué de l’incom-plétude, ce que désigne le complexe decastration. Dans le meilleur des cas, lejeune sujet sortira de la période œdi-pienne avec un fantasme fondamentalcomme grille d’interprétation du monde ;dans le pire des cas, il se fermera à touteouverture sur le monde. Entre ces deuxpositions extrêmes s’étendent tous lestroubles d’apprentissage qui foisonnent àl’âge dit de « latence », soit toute l’époquede l’école primaire après les turbulencesœdipiennes et avant celles de la puberté. Le déchiffrement du savoir inconscient,c’est-à-dire une possibilité de distance parrapport à son symptôme, va permettreune pacification qui libère l’intérêt quipeut alors s’ouvrir au monde symboliqueuniversel, à commencer par la lecture,l’écriture (accepter le code), le comptage(pour savoir compter, il faut savoir où seplacer, l’origine). Les troubles de l’appren-tissage dans cette perspective sont donctoujours troubles du désir. ■

7. Freud S., 1927, L’Avenir d’uneillusion, Paris, PUF, 1971, p. 67.8. Lacan J., 1986, Le Séminaire, livreVII, L’Éthique de la psychanalyse,Paris, Le Seuil, 1986, p. 339.9. Lacan J., 1960, » Subversion dusujet et dialectique du désir «, in Écrits,Paris, Le Seuil, pp. 802-803.

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A. Comte-Sponville, JD. Nasio, X. Emmanuelli, R. Teboul…

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