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LE CERCLE PSY HORS SERIE Date : NOV/DEC 15 Pays : France Périodicité : Parution Irrégulière Page de l'article : p.104,105,...,121 Journaliste : Audrey Minart / Andrea Ostojic / Marc Olano / Sarah Chiche Page 1/17 JACOB2 1756885400501 Tous droits réservés à l'éditeur Quefaire de sa nouvelle vie ? L'ALTRUISME POUR MIEUX GUERIR Se dévouer aux autres semble un excellent moyen de se reconstruire après une maladie ou tout autre traumatisme. Cette démarche est-elle vraiment désintéressée? ANDREAOSTOJIC N ombreuses sont les personnes qui, apres avoir traverse des evenements douloureux s'engagent pour aider les autres Dans son IivreLaBortfe/ïumameOO Ie psychologue Jacques Lecomte s interesse a cette forme particulière de resilience que des chercheurs ameri cams ont baptisée « altruisme ne de la souffrance » Ervm Staub et JohannaVollhardt, de l'université du Massachusetts (2), ont recense plusieurs etudes qui mettent en évidence des comportements particulière- ment altruistes chez des personnes qui ont vécu des evenements traumatiques, que ce soit des guerres, des génocides, des attentats terroristes des catastrophes naturelles, ou encore des maladies graves Plusieurs ele ments favorisent l'émergence de ces comportements altruistes plus une personne a reçu de l'aide au moment ou elle était en difficulté plus elle aura tendance a aider par la suite Le fait d avoir ete aidée I amené en effet à s'appuyer sur des personnes altruistes comme modeles et a s identifier a celles-ci Le drame vécu entraîne une prise de conscience et par conséquent un sentiment de responsabilite par rapport a la souffrance d'autrui La motivation a aider est alimentée par une empathie accrue pour les personnes en souffrance et par une plus grande capacite a comprendre ce quelles vivent Est ce I altruisme qui aide a se reconstruire ou bien le com- portement altruiste qui résulte de la reconstruction 7 Jacques Lecomte parle de «spirale vertueuse» «se sentir bien mate a vouloir aider les autres, et aider les autres conduit a se sentir bien»

Que faire de sa nouvelle vie - psychologie-positive.net · altruiste, de redonner un sens a sa vie, car apres un tel drame plus rien n'a de sens ' La plupart des traumatismes sont

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LE CERCLE PSY HORS SERIEDate : NOV/DEC 15Pays : France

Périodicité : Parution Irrégulière Page de l'article : p.104,105,...,121Journaliste : Audrey Minart /Andrea Ostojic / Marc Olano /Sarah Chiche

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Que faire de sa nouvelle vie ?

L'ALTRUISME POURMIEUX GUERIRSe dévouer aux autres semble un excellent moyen de se reconstruire aprèsune maladie ou tout autre traumatisme. Cette démarche est-elle vraimentdésintéressée? ANDREAOSTOJIC

Nombreuses sont les personnes qui, apresavoir traverse des evenements douloureuxs'engagent pour aider les autres Dans sonIivreLaBortfe/ ïumameOO Ie psychologueJacques Lecomte s interesse a cette forme

particulière de resilience que des chercheurs americams ont baptisée « altruisme ne de la souffrance »Ervm Staub et JohannaVollhardt , de l'université duMassachusetts (2), ont recense plusieurs etudes quimettent en évidence des comportements particulière-ment altruistes chez des personnes qui ont vécu desevenements traumatiques, que ce soit des guerres, desgénocides, des attentats terroristes des catastrophesnaturelles, ou encore des maladies graves Plusieurs elements favorisent l'émergence de ces comportements

altruistes plus une personne a reçu de l'aide au momentou elle était en difficulté plus elle aura tendance a aiderpar la suite Le fait d avoir ete aidée I amené en effet às'appuyer sur des personnes altruistes comme modeleset a s identifier a celles-ci Le drame vécu entraîne uneprise de conscience et par conséquent un sentimentde responsabilite par rapport a la souffrance d'autruiLa motivation a aider est alimentée par une empathieaccrue pour les personnes en souffrance et par une plusgrande capacite a comprendre ce quelles vivent Est ceI altruisme qui aide a se reconstruire ou bien le com-portement altruiste qui résulte de la reconstruction 7

Jacques Lecomte parle de «spirale vertueuse» «se sentirbien mate a vouloir aider les autres, et aider les autresconduit a se sentir bien»

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L'altruisme rend-il heureux ~Si l'altruisme aide des personnes blessées a se reconstruire, il peut aussi être bénéfique, de maniere plusgenerale, pour des personnes qui n'ont pas connu detraumatisme particulier Plusieurs etudes mettent enévidence les bienfaits des actes altruistes pour les personnes qui les accomplissent Des chercheurs suisses (3)ont récemment constate un meilleur equilibre entre vieprivee et vie professionnelle, moins de stress et moinsde burn-outs chez les personnes qui pratiquent a côte de

Ert donnant la possibilté d'agir sur notreenvironnement, lactivité bénévole renforcenotre sentiment d'autodétermination.

leur travail une activite bénévole Le benevolat auraitmême un impact sur notre perception du temps, et plusparticulièrement sur la sensation de «ne pas avoir letemps» d'après une etude américaine (4), donner dutemps aux autres nous donne l ' impression d'avoirdavantage de temps disponible, ce qui serait l ie a unsentiment d'efficacité personnelle Le sociologue JohnWilson s'est interesse, lu i , au benevolat chez lesseniors (5) II observe que ce type d'activité contribue aune meil leure sante tant sur le plan mental que sur leplan physiqueD'après Gil Clary et Mark Snyder (6), le benevolat permetaussi de trouver une place dans un groupe En nousdonnant la possibilité d agir sur notre environnement,lactivite bénévole renforce également notre sentimentd'autodétermination et de liberte Serge Moscovici (7)soulignait que le geste altruiste accroît l'estime de soiil citait une etude de la sociologue Jane Allyn Piliavm (8)ayant observe que les personnes qui donnent leur sangéprouvent un sentiment d autosatisfaction le psychologue social Roger Brown constate également uneintense satisfaction chez des personnes qui ont fait dond'un organeRichard L Curwin, specialiste de l'éducation (9), préco-nise de faire appel a l'altruisme pour renforcer l'estimede soi chez des jeunes en echec scolaire Le fait de pro-poser a ces élevés d'aider d'autres personnes entraîneun renversement de situation ils passent de la positiond'aide a la position d'aidant, nettement plus valorisante

Ces élevés voient le regard sur eux changer et sont enfinlibères de I etiquette de mauvais element qui leur collea la peau, car les personnes qu ' i ls a ident ne lesperçoivent pas comme des individus en echec

Existe-t-il un bon et un mauvais altruisme 9

Si Ervm Staub et Johanna Vollhardt considèrent l'al-truisme ne de la souffrance comme un phénomène quiva dans le sens de la reconstruction et de la croissancede l ' individu, ils restent lucides sur les conséquencesnégatives des traumatismes, et soulignent que, danscertains cas, l'altruisme peut être motive par une fausseempathie basée sur une percept ion erronée de ladetresse d'autrui Ils expliquent qu il est important dedistinguer I empathie de I angoisse comme motivationdu comportement altruiste Une apparente empathiepeut cacher une angoisse qui survient en reaction aI angoisse de l'autre Laltruisme est alors un moyen dediminuer cette angoisse, maîs si le «faux altruiste» aI opportunite de reduire cette angoisse par un autremoyen que I aide, il saisira cette occasionEn psychologie et en psychanalyse, l'altruisme a souventete classe parmi les mécanismes de defense Une distmction est parfois opérée entre un altruisme authent i q u e , mécan i sme sam, adapte , e f f i c a c e et un« pseudo altruisme » (10) qui serait un mécanisme moinsadapte Ce faux a l t ruisme peut prendre p lus ieursaspects II concerne des personnes qui, sous couvertd altruisme, poursuivent un but interesseCertains « pseudo altruistes » donnent aux autres cequ'en réalité, ils aimeraient recevoir ils projettent surautrui des désirs qui leur sont propres et qu'ils s'inter-disent d'assouvir Anna Freud (ll) a décrit le cas d'unejeune institutrice célibataire, apparemment peu inté-ressée par la séduction, qui se passionnait pour la vieamoureuse et les belles toilettes de ses armes, et adoraitjouer l'entremetteuse Au cours de I analyse, il s'avéraque derrière son zèle altruiste se cachaient des motiva-tions égoïstes lajeune femme satisfaisait ses désirs atravers la satisfaction d'autruiLe pseudo altruisme peut aussi au travers du sacrificede soi, être un moyen de contrôler I autre par la culpabilite Serge Tisseron (12) souligne pour sa part que I engagement altruiste peut correspondre au désir de se fairedu mal avec l'alibi de faire du bien a autrui «On peut êtresincèrement attache a ce qui nous a f ait souffrir

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JACQUES LECOMTE

« Laltmisme oermet de créer du sens »Jacques Lecomte, psychologue et auteur de La Bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité(Odile Jacob, 2012)

L altruisme peut-il nous aidera guerir de nos blessures ?

Beaucoup de personnes qui ontsouffert s engagent dans desactions altruistes, et souventdans des domaines qui ont unlien avec ce qu elles ont vécuC est le cas, par exemple, denombreux fondateursd associations humanitairesPour designer ce phénomène, onutilise depuis quèlques anneesle terme d altruisme ne de lasouffrance On parle égalementde croissance post-traumatiquele traumatisme peut engendrerde la souffrance, maîs aussi,parallèlement, un phénomènedécroissance Jai pu observercela lors de mon activited accompagnement de groupesde parents qui ont perdu leur(s)enfant(s) au sem de I associationJonathan Pierres Vivantes Dansces groupes des parents qui onttraverse I epreuve de la mortd un enfant s appuient sur leurexperience pour aider d autresparents endeuilles Certainsrn ont confie que ce drame lesavait fait grandir et avait changeleur regard sur le monde lines agit pas d un déni delàsouffrance Cette souffrance estla, bien presente, maîsparallèlement s opere unprocessus de reconstruction, etmême de croissance

Dans te cas des parents qui ontperdu lin enfant, tiya peut-êtreI idée, a travers un engagementaltruiste, de redonner un sens asa vie, car apres un tel drameplus rien n'a de sens '

La plupart des traumatismessont «m-senses», que ce soitune agression un viol, unaccident Plus levenement estdépourvu de sens plus nousavons besoin de recréer dusens Pourquoi ca rn est arrive7

La question du pourquoi est tres

« On peut parfaitement avoir de l'intérêt a la f oispour soi et pour autrui. Il n'y a pas d'antagonisme.

fréquente Parfois lespersonnes parviennent atrouver une réponse, maîs laplupart du temps, il n y en a pasPourquoi la perte d un enfant9

Pourquoi un viol7 Pourquoi unemaladie grave 'Quand il n y apas de réponse, quand on nepeut pas trouver du sens ils agit alors de creer du sensfabriquer a partir du néant (voirp 118) Creer du sens la ou il nyen a pas Lun des principauxmoyens que j ai pu observerpour creer du sens, e estlaltruisme Laltruisme permetde creer du sens a partir dunon-sens

Y a-t-il un bon et un mauvaisaltruisme ' L altruisme est-ilun egoisme cache 7

Certaines personnes ont unemanie qui consiste a voir unfondement négatif même dansles plus belles expressions deI etre humain Peut-êtrefaudrait-il changer determinologie Le terme«altruisme» s oppose

frontalementa «egoisme» SiI on emploie les mots «souci desoi» et «souci d autrui», ou«intérêt pour soi» et «intérêtpour autrui», il n y a plusd antagonisme On peutparfaitement avoir de I intérêt ala fois pour soi et pour autrui, dusouci de soi et du souci d autruiCes termes ne sont pas opposesmaîs parfaitement compatibles,lisse renforcentréciproquement Le désird'aider nous ramené a notreinterdépendance fondamentale,je dirais même, a notremcompletude fondamentaleNous naissons dans ladependance, et nous finironsnotre vie dans la dependanceDans I entre-deux, nous nesommes pas dansI independance maîs dansI interdépendance Letraumatisme et lareconstruction, en particulierpar I altruisme, soulignent avecforce que nous sommes tousmarques par I mcompletude etI interdépendance

Propos recueillis par A.O.

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justement parce que cela nous f ait souffrir et parce quele malheur aiguillonne I action bien plus efficacementque le bonheur S'imposer des taches impossibles peutêtre un moyen de rester fidèle a une souffrance passéeCela permet d'éprouver la volupte du malheur librementchoisi et console du fait d avoir ete si longtemps malheureux sans rien y pouvoir1»

«Lamour abstrait de l'humanité est presque toujours del'egoisme» écrivait Dostoïevski Les comportements

lue de bonheurie le véritable

altruistes sont souvent vus avec méfiance la croyance étanttenace que le désintéressement nexiste pas JacquesLecomte constate que dans nos cultures individualistes lediscours le plus ethiquement correct consiste même arevendiquer son egoisme Souvent les personnes quiaccomplissent des actes altruistes n'osent pas affirmerqu'elles agissent avec une sincère volonté d'aider I autre, ets'empresseront de préciser «Je le fais surtout pour moi1»Jacques Lecomte s insurge contre cette idée selon laquelleI altruisme ne peut etre qu un egoisme cache «S'il est vraique certains actes altruistes permettent de se donner bonneconscience a bon compte, ce n est évidemment pas le cas detous, et probablement seulement d une minorité »A partir du moment ou I acte altruiste apporte la moindresatisfaction a son auteur, nous avons tendance a considerer que e est un altruisme « impur» En poussant cettelogique jusquau bout, il faudrait se sentir malheureuxd avoir aide quelqu un pour etre un « vrai » altruiste ' Or,personne n a envie d etre aide par une personne qui nesemble pas heureuse d'apporter cette aide Nous devrionsnous réjouir que l'altruisme apporte un enrichissement atoutes les personnes impliquées En effet comme le souligne Jacques Lecomte, «c'est dans une logique de bonheurpartage que fonctionne le veritable altruisme » Son his-toire est un exemple éloquent d'altruisme ne de la souffrance A partir d'une experience douloureuse, il a trouve laforce de se reconstruire en aidant les autres par uneapproche novatrice

rencontre

(I) lecomte] La Bonté humaine altruisme empathie generosite Odile

Jacob 2012

(2)Staub E SVoIlhardt J < Altruismbornofsuffermg Therootsof

caring and after victimization and other trauma» Amertcon Journal of

Orthopsychiatry 78(3) 2008

(3) Rames R Brauchli at al < Busyyetsociallyengaged Volunteenng,

work life balance and health in the workingpopulation » Journal of

Occupational and Environmental Médiane 57(2) 2015(4)MogilnerC atal «Givingtimegivesyoutime» Psychological

Science 23 2012

(5) Wilson J «Volunteensm research A review essay > Nonprofit&

Voluntary SectorQuarterfy 41(2) 2012

(6)ClaryEG Snyderatal «Understandmgandassessmgthe

motivations of volunteers Afunctionalapproach» Journal of

Personal^ and Social Psycholoay 74(6) 1998

(7)Moscovici «Les formes élémentaires de I altruisme» Sciences

Humaines 103 2000

(8) Piliavm J A «Whydotheygivethegrftof Iife'Areview of research

on blood donorssince 1977 > Transfusion 30(5) 1990

(9)Cumin,RL <• The healmg power of altruism» CharacterEducation

51(3) 1993

(10)Chabrol H,CaIIahan S Mécanismes de defense et copwg, Dunod

2004

(II) Freud.A Le Moi et les mécanismes de defense, PUF 1978

(12)Tisseron S Que sais je''La Resilience PUF 2014

A G

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D'ANCIENS MALADESPEUVENT-ILS AIDERLES PSYCHIATRES ?L'expérience, très controversée, a été menée en France : d'anciens patientsen psychiatrie sont devenus des «médiateurs cle santé-pairs » au sein d'équipessoignantes. Avec quels résultats? MARCOLANO

"WF ucun programme de retour a l'emploi* * f\ de personnes avec des troubles men

££ f \ taux n'a aussi bien marche Pour^^\ ^^^% nous, e est une^rande réussite, car

^L JLmême parmi les personnes qui ontarrête, plusieurs ont repris des etudes ou un autre emploi »,se félicite Jean LucRoelandt psychiatre et directeur du

Centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la sante(CCOMS) Début 2012, cet organisme lançait un programmeexpérimental pour former 30 ex-usagers de la psychiatrieet les intégrer dans des equipes de soins « C était le fruit

d'une reflexion menée au sem du CCOMS, inspirée de l'expe-rience québécoise des travailleurs de santé-pairs et d'uneexperience similaire aux Etats-Unis», explique a l'époque lepsychiatre En Europe, des programmes de ce type avaientégalement ete lances en Ecosse, en Angleterre et auxPays Bas Les médiateurs de sante pairs* (MSP) sont despersonnes ayant connu des troubles psychiques, souventune hospitalisation, et qui, grâce aux soins, ont acquis unecertaine stabilitéPour Jean-Luc Roelandt, un patient rétabli peut toujoursprésenter certains symptômes de sa pathologie, maîsbénéficie d 'une autonomie et d'un degré de contrôlesuffisants pour mener a bien ses projets « Parson par-cours, le médiateur de sante pair peut f aire naître chezles patients l'espoir d'un rétablissement et d'une integra-tion sociale possible », explique Jean-Luc Roelandt Sonpetit plus est ce que les chercheurs nomment le «savoirexperience/»*, c'est a dire que son vécu de la maladielui a permis de tirer certains enseignements Le MSPpeut donc témoigner de ce qui l'a fait évoluer positive-ment Pour le directeur du CCOMS, il exerce parfois aussiun rôle de «traducteur» entre le langage patient et lelangage soignant « Quand ilyades incompréhensionsentre patients et soignants, une mediation peut s'avérernécessaire dans nos services Le MSP y a donc toute saplace, maîs il se situe bien du côte des professionnels »

Un projet qui fait polémiqueParmi les confrères du Jean Luc Roelandt, certains se sontvivement opposes a ce projet, estimant que le fait d'avoir

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vécu une pathologie psychiatrique ne donnait a la personnequ'une connaissance sur sa propre maladie, maîs ne larendait pas pour autant experte pour d'autres troubles« Comprendre celui qui est malade n'équivaut pas a le soi-gner», pouvait-on lire sur Ie blog du Collectif des 39 al'époque du lancement du programme (I) D'autres, a l'imagede Bernard Durand, craignaient que la professionnalisationdes pairs-aidants entraîne des confusions Pour ce psychiatre, demander a des pairs-aidants d occuper une position de professionnel, revenait en quelque sorte a leur

Des positions soignantes du type « maladeun jour, malade toujours » n'ont pas facilitéleur insertion.

demander d'abandonnerce statut de pair(2) Les infirmiers,quant a eux, ont exprime la crainte de voir leur travaildéqualifie par l'intégration de soignants non formes au semde leurs equipes (3) Ils dénonçaient aussi un budget farammeux pour cette expérimentation alors que le mot d'ordreétait aux economies En outre, des informations circulaientselon lesquelles les MSP allaient percevoir un salaire pluseleve qu'un infirmier en début de carriere (4) A l'annoncedu lancement du programme, les huit organisations syndi-cales de la fonction publique avaient demande unanime-ment son arrêt En réponse a ces revendications, leministere avait temporairement suspendu l'intégration desmédiateurs dans les services Apres quèlques amenage-ments du programme, celui ci a finalement pu suivre soncoursQuant aux associations d usagers, il y a eu, la aussi, deshésitations La Federation nationale des patients enpsychiatrie (FNAPSY) a alerte le CCOMS sur un pointcrucial la diff icul té de s'insérer dans une equipe desoignants lorsqu on y a soi même ete soigne La FNAPSYcraignait notamment qu 'un travail au sem de l'hôpitalmette a mal le rétablissement d anciens patients et lesexpose a des rechutes Apres un premier engagement,puis desengagement, la FNAPSY a finalement regagneIe comite de pilotage

16 médiateurs toujours en posteDébut 2012,29 médiateurs ont ainsi intègre des servicesdesoins volontaires dans trois regions I le de France,

Nord-Pas-de-Calais et PACA En parallèle ils ont benefine de 214 heures de cours dispenses par l'universitéParis VI I I débouchant sur un diplôme universitaire (DU)Les MSP qui ont debute leur formation avaient entre 31et 58 ans Certains ont connu des troubles bipolaires,d autres la depression, des problèmes de dependance oudes troubles borderline Ils ont ete recrutes a partir deplusieurs criteres, notamment leur capacite de reculvis-a-vis de leur pathologie et leur vécu, leur faculté denparler et I envie d'être dans une relation d'aide avecd'autres patients Une des conditions était de ne pasavoir ete hospitalise dans les deux annees précédant leurembaucheQuatre personnes ont dû abandonner le programme peuapres son lancement Pour Berenice Staedel, chargée del'accompagnement des MSP au CCOMS, « ces quatrepersonnes n'étaient pas tout a fait rétablies L'emploi aete un vecteur de stress trop important pour elles » Neufpersonnes ont arrête Ie programme en cours de route oua l'issue de leur formation Parmi elles, quatre ont reprisdes etudes ou un emploi dans un autre secteur Les rai-sons invoquées de ces abandons étaient souvent desproblèmes d'intégration au sem des equipes « Des posi-tions soignantes du type "malade un jour, malade tou-jours' nant pas facilite leur insertion, et certainsmédiateurs ont dû batailler pour trouver leur place Puis,il y a ceux qui ont réussi a convaincre leurs collèguesqu 'une sortie de la maladie était bel et bien possible »,raconte Berenice StaedelA l'heure actuelle, 16 médiateurs diplômes sont toujoursen place au sem des equipes, soit en mira, soit en extrahospitalier Six sont en CDI, pour les autres, les Agencesregionales de sante se sont engagées a continuer iefinancement de leur poste Ce qui les distingue des infir-miers est souvent leur plus grande liberte de ton et uneplus grande proximite avec les patients « Ils les tutoientspontanément et n hésitent pas a les reconforter physiquement Les MSP sont dans le dévoilement de soi, ilstémoignent de leur rétablissement Ils n'adhèrent pas ala notion de distance thérapeutique propre aux infirmiersCertains infirmiers ont d'ailleurs pu exprimer qu'ilsenviaient les MSP de cette liberte d'expression », expliqueBerenice StaedelLa chargée de mission rapporte des echos globalementpositifs de la part des patients qui ont eu affaire aux MSP«Certains patients se confient plus facilement a euxde

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Té.ages

CORINNE, 51 ANS, MÉDIATRICE DE SANTÉ-PAIR DANS UN SERVICEDE PSYCHIATRIE MOBILE À LILLE«J'ai voulu, montrer à d'autres qu'on peut s'en sortir»

sndant toute ma vie, j'ai souffert de' depression. Vers I âge de 40ans, on m'adiagnostiquée un trouble bipolaire Je ne

travaillais plus. Je me sentais comme unventilateur qu on aurait débranche et qui continueà tourner Mon cœur battait, maîsindépendamment de ma volonté. Durant toutecette période, j'ai rêvé tous les jours de rencontrerquelqu'un comme moi qui m'aurait dit qu'il s'étaitsorti de cette maladie. Je n'ai pas eu cette chanceAujourd'hui, cela fait pres de quatre ans que jem'occupe de gens malades, c'est devenu unevocation pour moi Pourtant, ma formation avaitmal commencé. Je suis arrivée dans un servicequi ne savait que faire de moi On m'a dit qu onn'avait rien à me reprocher, maîs que toutel'équipe se sentirait mieux si je n'étais plus la. J'aiensuite ete embauchée dans un autre service, laoù je travaille aujourd'hui. Le chef de Pôle m'aaccueilli en me disant : "Je vous embauche pourdonner de l'espoir aux patients et pour changer lamentalité des professionnels ll ma encouragée àprendre la parole en réunion. Au début, c'était

difficile. Je me disais que les autresprofessionnels devaient me prendre pour unefolle qui venait en visite Maîs en fm de compte,tout le monde m'a adoptée. J'ai vécu des chosesdifficiles. Un jour, j ai failli passer par la fenêtre enessayant de sauver une patiente suicidaire. Uneautre fois, je me suis fait menacer par un patienten état d'ivresse. Ca a eté dur. Je suis quelqu'un desensible, maîs je me suis endurcie avec le temps.J'interviens seule, je vais beaucoup à domicile.Tous les trois mois, j'organise des forumsd'usagers pour recueillir leur parole, leursrevendications, pour leur proposer de devenir desusagers participatifs, présents dans nos groupesde travail et nos prises de décisions. Aujourd'hui,tout le monde est content de mon travail On meconfie des patients avec lesquels les différentsprofessionnels sont en difficulté. Je suismaintenant embauchée en CDI Même si je negagne que 9 euros de l'heure, je fais un travail quel'aime et je ne me sens plus comme un rebut quivit au crochet de la société

Propos recueillis par M.O.

CRISTINA, 44 ANS, MÉDIATRICE DE SANTÉ-PAIR DANS UN SERVICEINTRA-HOSPITALIER À TOURCOING

« On a certains décodeurs Que d'autres professionnels n'ont oas »norexie mentale à18 ans, une vie de coupletumultueuse, perte

d'emploi, tentatives de suicideet hospitalisations...j'ai desannées difficiles derrière moiJe me suis toujours plus oumoins gérée toute seule, car jen'ai jamais adhère à un suivithérapeutique Je pensaissouffrir de depression puis onm'a diagnostiquée comme«état-limite». En2012, j'aientendu parler de ta formationdes médiateurs de santé-pairsJ'étais en train de préparer leconcours d'infirmier, car j'avaisenvie de travailler enpsychiatrie ou avec despersonnes âgées. Je me suisdit que c'était pour moi.D'abord, j'ai éte recrutée dansun Centre d'accueilthérapeutique a temps partielà Arras. Léquipe n'était pas

vraiment préparée à monarrivée. Certains membresavaient du mal à imaginerqu'on puisse travailler avecdes «anciens malades». Poureux, le rétablissement, çan'existait pas. Dès l'instant oùon a un trouble psychique, onn'en sort pas. Aujourd'hui, jetravaille dans un service miraà Tourcoing. Je suis plusparticulièrement sensible auxpatients qui ont tes mêmesdifficultés que moi, cest-a-direune fragilité émotionnelle J'ail'impression qu'ils ne sont pastoujours compris dans leursouffrance, qu'on les considèreinjustement comme desmalades difficiles La plupartdes soignants baissent tesbras, car ils ne comprennentpas leur fonctionnement Or, sion se connecte davantage àleur personne qu'à leur

maladie, on peut les faireavancer sans forcémentpasser par une médicationexcessive. J'aime mon travail,maîs je voudrais être reconnuedans l'exercice de mesfonctions et être davantagesollicitée par l'ensemble demes collègues. Aujourd'hui, jen'ai plus de traitement. Quandje sens que je me vaism'enerver ou que je vais êtretriste, je fais des exercices depleine conscience Rien n'estparfait, maîs je reviens de lomet quand je vois certainscollègues, je me dis qu'il n'y apas que moi. D'autres ont desproblèmes similaires, maisvont se cacher derrière desfausses excuses. En tout cas,c'est une experience de vie quim'a donné beaucoup de forceet de clairvoyance.

Propos recueillis par M.O.

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par cette proximite de vécus et admettent par exempleplus aisément de ne pas prendre leurs medicaments oude reconsom/ner de l'alcool Leur temoignage est unvecteur d'espoir d'une amélioration possible de leurstroubles »

Pour le CCOMS, le but de ce projet était aussi de faireévoluer les mentalités en psychiatr ie et de rompreavec l ' image de fatal i té associée aux troubles psy

Le but erfatalité as^jugés longtemps

chiques,

chiques, juges longtemps « incu rab le s » « Tout leprincipe de la psychiatrie, c'est de dire il y a eux etnous Only a beaucoup de professionnels qui ont eux-mêmes ete soignes pour des troubles psychiques, maîsne le disent pas», affirme Jean-Luc Roelandt «Avecce projet, nous mettons en cause les frontieres clas-siques et ça dérange La question n'est pas défairemieux ou moins bien que les autres, maîs d'apporterune experience supplementaire a une equipe multidisciplmaire ll faut sortir du systeme médico-centre Plusil y a d'ouvertures, mieux cela vaut1» Pour Jean LucRoelandt, les médiateurs vont compléter l 'offre desoins en psychiatrie, comme ce put être le cas lorsqueles premiers éducateurs, animateurs ou artistes ontfait leur entrée dans les hôpitaux psy « Ce ne sont pasdes malades qu'on fait travailler, ce sont des personnesqui ont une mission de mediation pour laquelle ellessont formées On va vérifier, si le fait d'avoir etemalade permet d'avoir une approche différente desusagers de la psychiatrie Maîs ça bouscule le systemeetabli »La particularité du programme français a ete d'embaucherdes médiateurs dans le secteur public, ce qui n a pas forcernent ete le cas dans les autres pays, ou ils ont plutôt eterecrutes par des associations locales, parfois en tant quesimples bénévoles «On a permis aux gens d'accéder a uneformation rémunérée et un emploi », affirme Jean-LucRoelandt «La psychiatrie publique a montre quelle étaitcapable d intégrer en son sein d'anciens malades »

Encourage par les retours positifs de cette experience,le CCOMS se projette sur une possible poursuite, maîssuggère què lques amenagements du dispositif l lsouhaite notamment une mei l leure selection et preparation des equipes dans lesquelles seront intégréesles MSP, afin d'améliorer les conditions d'accueil Para i l l e u r s , J ean -Luc Roelandt veut é largir le champd in tervent ion des média teurs de santé-pairs auxetabl issements du secteur médico-soc ia l E n f i n , i lpréconise d'étoffer le programme de formation pouraboutir a une formation niveau Bac +2, comme pourle diplôme d'animateur socio cul turel Puis, la possi-bi l i té d'une passerelle vers un diplome de médiateurde sante tout cour t est éga l emen t évoquée parBérénice StaedelEn résume cette experience tente d ' in t rodui re desouvertures dans notre systeme de prise en chargepsychiatrique Elle interroge surtout la barriere historique entre les «valides» et les «maladespsy», commeI avait fait Michel Foucault dans son Histoire de la foliea l'âge classique Avec les médiateurs de santé-pairs,le « eux et nous » devient plus f l ou , les genres semélangent, les murs se fissurent pour laisser place audoute Aurions-nous f inalement plus de choses encommun qu on ne le pense 7

(1) http //www collectifpsychiatne fr/>p=1174

(2) http //www collectifpsychiatne hf f-589

(3) http //www syndicat infirmier com/Mediateurs en sante

mentale html

(4) En réalité, les MSP sont rémunères sur la grille mdiciaire des

adjoints administratifs de catégorie C avec un salaire de 1486 euros

brut en début de carriere, les infirmiers débutent avec un salaire de

1514 euros brut en catégorie B

* MOTS-CLÉSMédiateur de santé-pair. Personne ayant connu destroubles psychiques dans le passe et qui est formée a un travailde mediation dans le cadre des soins en psychiatrie

Savoir experience! : I idée que le vécu de la maladie procureaux malades des savoir faire et savoir-être spécifiques,

transmissibles a d autres personnes qui se trouveraient dansune situation similaire

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EX-PATIENTS...ET NOUVEAUX PSYSLes «psys» aussi peuvent rencontrer des troubles psychiques. Une expérienceparfois à l'origine de leur orientation professionnelle. Certains ont accepté de seraconter... AUDREYMINART

^Te me trouvais enfer-

« m mee avec la seulern chose que je pos-m s e d a i s en abon

rn donce le vide »fc^^Voila comment Arnhild

Lauveng, psychologue norvégienneet ancienne schizophrène, expliqueles raisons de sa compulsion a manger tout ce qui lui passait sous lamam carton, papier-toilette Dansson livre temoignage, elle raconte ladizaine d'années ou elle a lutte contrela maladie, y compris les sejours en

faisais parce queje suis schizophrène"Ça n'est pas tres bon pour l'image queI bn a de soi » Ainsi sur les loups quelleretrouvait régulièrement dans seshallucinations «Ils n'étaient que dessensations, des sensations humainesreconnaissables et compréhensibles,maîs déguisées C'était tout » II sem-blerait d'ailleurs que ce soit grâce aI interprétation de ses symptômesquelle a pu, peu a peu, s'orienter versla guenson Tout l'intérêt de ce retourd'expérience, non seulement filtre parcertaines connaissances en psycholo-

« J'incarne le f ait que laguérison est possible, et quel'on peut être bien dans sa peau même lorsque l'on aconnu des extrêmes. »

hôpital psychiatrique jusqu'à saguenson C'est adolescente que lavoix du «Capitaine» a commence ala tourmenter Multipliant les mjonctons dormir moins, travailler pluset même se frapper elle-même Auto-mutilations, hallucinations, et autrescomportements Q priori vides de senspour l'observateur lambda, y sont icidécryptes par celle qui, comme elle lesouhaitait, est devenue psychologue« II vaut bien mieux penser qu 'une par-tie de ces automutilations était unetentative perturbée et insensée pourprendre le contrôle d'une situationincontrôlable et agir pour ceux que j ai-mais, que de savoir seulement que "je le

gie, maîs ayant également le mentede présenter la maladie de l'intérieurDifficile de mieux mêler la (relative)objectivité du professionnel et la sub-jectivité du patient, une combinaisoncruciale pour bien appréhender lamaladie psychique et critiquer l'ins-titution psychiatrique

-.experience de la maladie eclairela pratique

De fait, lorsque les psys, ou futurs psys,tombent malades psychiquement,l'institution psychiatrique passe sou-vent au scanner Tout en recommandan i de r e spec t e r « l e besoind'attention manifeste par le patient»,

Arnhild Lauveng met également engarde contre certains comportementsde soignants susceptibles de le confor-ter dans son «rôle» de malade «Toutcequejesais, c'est qu'ils attendaient delafohe, et c'est ce qu'ils ont eu »De mauvais souvenirs reviennentaussi a Irene Cazanave, 39 ans, actuel-lement Gestalt-therapeute et enreprise detudes de psychologie, cequelle s'était promis si elle guérissaitde ses troubles de lalimentation «Jeme souviens de l'univers tres carceraldu premier hôpital dans lequel] 'ai eteon ne nous laissait pas sortir, mêmedans le jardin Tout était confisque,mesure, même les crayons de couleurC'était tres dur Maîs ça fonctionnaitEt je comprends que dans des casdurgence vitale, nécessite f ait loi »«Je n'ai pas trop confiance en les psy-chiatres», assené quan t a lu iThomas* psychiatre «Etsurtoutdans le milieu mtra-hospitaher, quin'est pas forcement bienveillant »Observation qui se nourrit de l'expe-nence de sa sœur et de ses propresepisodes dépressifs alors qu'il étaitdéjà psychiatre « Si c'était moi quiavais ete consulte,j'aurais probable-ment pose le diagnostic de troubles del'humeur, étant donne mon tempera-ment parfois excessif et certainesconduites addicùves » Maîs ne s'étantjamais trouve dans un etat démesuré-ment grave, il a toujours refuse l'hos-pitalisation, préférant se soignerlui-même et demander ponctuelle-

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ment conseil a des amis psychiatres«J'ai la chance de pouvoir m'entourerde bienveillance quand je ne vais pasbien »

II s'est cependant aujourd'hui éloignede I hopital ou il exerçait afin de remphr un rôle plus «politique»que therapeutique, développant des alternativesa l'hospitalisation a travers la reme-diation cognitive (voir p 66 ) et l'education thérapeutique (voir p 62) IIvise aussi la destigmatisation desusagers du soin qu'il rencontre tresrégulièrement «Si moi même je nem'étais pas senti malade, si je n'avaispas connu plusieurs etapes psychopa-thologiques comme les crises d angoisse, l'impression d'être persécuteJe ne comprendrais peut-être pas aussibien ce qu ils me racontent Donc çaenrichit ma pratique psychiatrique Jetiens aussi plus compte de leurs sou-haits, et tente de limiter le recours auxmedicaments Je croîs, par ailleurs, quele diagnostic peut être délétère pour lepatient parce qu il vehicule des repré-

sentations négatives il peut s'isoler etdélirer encore plus, dans le cas notam-ment de la schizophrenie »Un avis que partage Florent BabiIIote,ancien schizophrène devenu infirmierpsychiatrique suite a sa guenson« Quandj ai reçu mon diagnostic, lemonde s'est arrête On a souvent unevision tronquée de la maladie Dans lediscours mediatique on associe lesschizophrènes aux faits divers demeurtre Alors que les statistiquesmontrent qu ils ne sont pas plus danDereux que les gens 'normaux" » Etd'expliquer que l'art therapie, l'a beau-coup aide dans sa guenson«Au début,/ai eu peur de f aire desprojections» raconte Irene Cazanavequi travaille aujourd h u i avec despatients rencontrant eux mêmes destroubles de l'alimentation «Maîs enfait, chaque personne a ses specificites Cela ne correspondra jamaistotalement a mon vécu Et je com-prends bien ce que les patients medisent C'est au-delà du savoir C'estune impression incarnée Et j'ai lesentiment qued etre compris, et non

juge, peut aider Ces personnes sejugent suffisamment elles mêmes Etça renforce le lien avec eux » Sanscompter l'espoir qu elle représente«J'incarne le fait que laguerison estpossible, et que l'on peut etre biendans sa peau même lorsque ion aconnu des extrêmes ll y a eu desmoments ou je me disais que ma vieétait foutue Je ne souhaite cela apersonne maîs cela explique peut êtrema plus grande envie de profiter de lavie aujourd'hui »La prise de fonction n'a cependantpas toujours ete sereine «j'avaistres peur des critiques quand je suisretournée, en tant que thérapeutedans le service dans lequel j étais passee comme patiente », se souvientIrene Cazanave « Maîs un infirmierpsy a trouve ça génial" ' Et certainsmedecins, au courant de mon vécuenvoient vers moi certains de leurspatients » Florent Babillote raconte«Lespremiers temps entete difficilesles patients avaient les mêmes typesde troubles que moi Maîs ensuite,tout s est bien passe «Comment sait-on que l'on est guéri ~> Irene CazanaveI a réalise grace a quèlques signes,comme le jour ou elle s'est trouvéemince devant le miroir alors qu ellepesait 60 kg (apres etre tombée a 35,pour Im75, ndlr) «Je me souviensaussi d une fois, a Sainte Anne, ou unejeune femme anorexique rn a ditqu'elleme trouvait grosse Je ne me suis passentie heurtée j etats plutôt compatissante J'étais "de l'autre côte 'Je croîsaussi qu'il a ete important pour moi detrouver un metier qui me plaît »Décider de soigner les autres en deve-nant psy représente parfois une etapeimportante de sa propre guenson

* Le prénom a ete modifie

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I

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CE QUI NE GUERIT PASY a-t-il des troubles psychiques dont on ne guérit pas? Une psychothérapieest-elle censée tout soigner ? Quel intérêt trouve-t-on parfois à rester malade ?

SARAH CHICHE

I est des maladies physiques qu'on associe a Pinguenssable Ainsi du diabete, avec lequel il faut, bon grémal gré, apprendre a vivre on ne cesse pas d'êtrediabétique On apprend a se faire sa piqûre d'insulinequotidienne seul et a ne pas manger certains aliments

Maîs peut-on apprendre a vivre avec sa schizophrenie ouses troubles obsessionnels compulsifs (TOC) comme on vitavec son diabete7

C'est en tout cas ce que postulent les mouvements prochesdu Recovery qui ne par lent plus de «malades» maîsd'«usagers en sante mentale» dont les «symptômes»(entendre des voix, présenter des troubles du spectreautistique, avoir des TOC de lavage etc ) sont envisagescomme une modalite existentielle Ici, il ne s'agit plus dechercher a guerir maîs de faire avec ce qui ne guérit pas

« l'ai ete malade dans une autre vie »D autres maladies physiques, cancers dont le taux de remission avoisme a peine les 2 % tumeurs au cerveau inopé-rables, quand elles surviennent dans lavie d'un individu,font surgir la question d un inguérissable qui mènera a unemort prochaine Les malades doivent composer avec cetteangoisse Rien de commun toutefois avec l'angoisse del'hypocondriaque, réputée difficilement guérissable, pour-tant physiquement bien portant, celui qui se sent persécutésans cesse par son organe (la tête, le ventre, le cœur) qu ilsuppose malade au point qu'aucun discours médical nevient le guerir de sa conviction, délirante, qu'il va mourirbientôtCertaines autres affections physiques surviennent a la suited'un accident accident vasculaire cérébral (AVC) qui laisse

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des séquelles, accident de la route dont on survit, maîs enayant perdu lusage de ses membres inférieurs Maîs comment vivent les personnes apres une depression severe(anciennement melancolie) qui les a conduites a une hos-pitalisation, des traitements medicamenteux lourds, voirede la sismotherapie (électrochocs) ~> Certains individus, quin'ont pas fait de rechute, témoignent qu'ils ont récupèretoutes leurs facultés, voire que leur vie est bien plus richeet heureuse qu'avant, maîs que l'effondrement depressiffutcomme dans «une autre vie» - ce qui suppose alorsqu'avant de guerir ils ont ete, symboliquement, laisses pour

Des patients confessent que s'ils n'ont pasrechuté, ils n'ont pas récupéré l'intégralitéde leurs/acuités, de leur goût pour la vie.

morts D'autres font état du fait que cet effondrement fut,dans leur trajectoire de vie, comme une «cassure», une«brisure», et que, depuis, s'ils n'ont pas forcement rechute,ils n'ont pas récupère l'intégralité de leurs facultés cognitives, de leur goût pour la vie, ou de leur intérêt pour ce qui,auparavant, retenait toute leur attention (lamour, les amis,le travail )Enfin, d'autres affections, telles que les maladies neurodegeneratives (Alzheimer, maladie de Charcot, sclérose enplaques ) sont aujourd'hui, réputées inguérissables Audébut de la maladie, une personne atteinte d'un Alzheimerse voit perdre certaines de ses facultés cognitives et c'est ace moment que des affects dépressifs, pouvant parfoisconduire a des passages a l'acte suicidaire, sont a redouterDe même, dans une therapie avec un patient psychotique,le moment ou le patient, tout fou qu'il est, arrive a produireun discours sur sa folie, et se voit agir, penser, vivre de façondélirante, comprenant qu'il devra prendre des neuroleptiques toute sa vie, est toujours un moment délicat, ou lerisque de tentative de suicide est accru

TS secrètes d' 'II y a une infinité de raisons pour lesquelles un patient serend un jour chez un psy Maîs arrive toujours un momentou se pose la question de la demande de guenson. «Est-ceque je vais m'en sortir?», «Combien de temps ça vaprendre 7», «Est ce que je suis fichu7» Avec les thérapiescomportementales et cognitives (TCC), le contrat de depart

est clair la therapie vise la suppression de tel ou tel symp-tôme gênant Guerir suppose alors de se débarrasser d'unTOC, d'une phobie, de ses crises de panique.. En revanche,selon (e paradigme psychanalytique freudien, le symptômeest un compromis entre un désir et un interdit Un désirinconscient qui ne peut se satisfaire se transformera ensymptôme Le symptôme apporte une satisfaction de subs-titution au désir inconscient et procure une decharge pul-sionnelle C'est un benefice primaire et, a ce titre, il procure,inconsciemment, une jouissance au patient Et entant qu'ilprocure une jouissance au patient, il se pourrait bien que cesymptôme ne guérisse pas Quels avantages retire unefemme qui prendra plaisir a humilier son compagnonchaque fois qu'il plie Ie linge ou range le lave-vaisselle d'unefaçon qu'elle juge mauvaise 7 Quel compromis secret unepersonne atteinte de troubles digestifs retirera-t-elle apouvoir émettre des flatulences qui l'empêcheront de pou-voir aller dîner avec la personne dont elle est éprise7 Lesdétracteurs de la psychanalyse objecteront qu'il n'y a, dansce discours, de jouissance, mauvaise, que chez l'analystequi, en ne s'intéressant pas a la suppression du symptôme,chercherait a maintenir l'inguérissable chez les patients,pendant des annees Lesquels restent donc scotches audivan, puisque le symptôme dont ils se plaignent ne guéritpas Les psychanalystes, eux, estiment que le dispositifanalytique va reconstruire, artificiellement, une «maladie»,la névrose de transfert, qui va être soignée pendant la cureEn soignant la névrose de transfert, on soigne la névrosequi a conduit le patient a demander une analyse II estd'ailleurs étonnant de constater, en matiere de psychothé-rapie ou d'analyse, que ce qui ne guérit pas peut dépendreaussi largement du transfert noue avec le thérapeute IIn'est pas rare d'entendre des patients raconter que telleangoisse, telle honte, tel syndrome d echec, qui avec telthérapeute n'avait jamais guéri, a «miraculeusement»disparu lors de séances avec un nouveau psy, qui avait unefaçon de travailler tres différente

Peut-on guerir de I'aut'r •*-n

delà schizophrenie ou de I 'Si on peut espérer, grâce a une therapie, une guenson ou entout cas une amelioration significative de sa qualite de vie,certains troubles psychiques, dit chroniques, sont tradition-ne l lement envisages comme inguérissables I ls sedéclenchent dans lenfance (troubles du spectre autistique),a l'adolescence ou a l'entrée dans lage adulte (schizo

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phreme ou troubles bipolaires), parfois même a la qua-rantaine (ainsi de certaines paranoïas, notamment chez lessujets masculins) Ces troubles supposent un accompagne-ment au long cours, ponctue d'hospitalisations, et un trai-tement medicamenteux, que le patient devra prendre toutesa vieOn trouvera toutefois sur Internet, via les blogs ou les videosYoutube, comme dans certains livres, toutes sortes detemoignages ou des personnes racontent comment elles

Le symptôme apporte une satisfaction desubstitution au désir inconscient II procure,inconsciemment, une jouissance au patient

ont ete autistes, ou schizophrènes, ou bipolaires, et comment elles ont réussi a ne plus l'être Ces temoignages nesont pas a négliger Maîs les proches des malades et lesmalades eux mêmes étant souvent prets a tout par desespoir, il convient d'être prudent Entre le sérieux du livred'Arnhild Lauveng, Demain] etms/oi/e(editionsAutrement),veritable temoignage de sortie d une schizophrenie, et lesescrocs qui promettent, moyennant finance, de soigner leshallucinations de votre adolescent schizophrène avec deI homéopathie ou une hydrothérapie du côlon, se trouvetoute une litterature scientifique, a exammerau cas par casCaractérisée par une discordance, une dissociation mentale,des idees délirantes et/ou des hallucinations, la schizophre-nie touche I % de la population generale et se déclare generalement entre IS ans et la trentaineToutefois, les psychiatres s'accordent a observer qu'aprèsla cinquantaine, certains symptômes de la schizophrenie(les delires et les hallucinations) tendent a diminuer, voirea guerir, laissant subsister chez les patients les symptômesdits négatifs (emoussement affectif, dissociation, etc ) qui,eux, ne guériraient pasPlus délicat est le cas de la paranoïa, caractérisée par uneconservation totale des facultés intellectuelles accompagnee d un délire interprétatif a base de raisonnementsparalogiques Un suivi psychotherapeutique, toujours enface a-face, et une hospitalisation, en cas d agressivité etde risque de passage a I acte heteroagressif, quand parexemple le patient veut tuer ceux qui, pensent ils luiveulent du mal, peuvent lui permettre de sentir que sasouffrance est entendue Maîs les traitements medicamen

teux a base de neuroleptiques, souvent prescrits pourd autres troubles psychotiques, n'ont que tres peu d'effetsur le délire interprétatif des paranoïaquesRécemment, Ie New York Times (i) faisait etat detudesaméricaines qui ont montre que quèlques enfants avaientpu complètement guerir de leur autisme Ainsi d'un garçonqui, entre l'âge de un à trois ans, présentait une perte ducontact oculaire, parlait a peine et passait son temps a setaper la tete contre les murs, maîs qui se serait totalementdébarrasse de ces symptômes a la suite d'une therapiecomportementale En janvier 2013, l 'universi té duConnecticut a examine B et 33 de ses camarades, quiavaient initialement reçu un diagnostic d'autisme puisavaient par la suite fait des progres sidérants La mêmeannee, le Wet!! Corne!/ Medical College faisait etat d uneetude sur 85 enfants pendant vingt ans a partir du momentou ils avaient ete diagnostiques autistes a l'âge de deux ansEtonnamment, 9 % des jeunes examines n avaient presqueplus aucun symptôme Tous les parents de ses enfantsexpliquent que «plus personne ne les croît quand ils disentque leur enfant était autiste Les medecins considèrent tou-jours qu'ils'agissait de faux diagnostics»Si, aujourd hui, on ne peut évidemment pas affirmer qu'onpeut guerir de lautisme, il est certain que des personnesautistes peuvent apprendre a vivre avec leur maladie Et cefaisant, elles améliorent non seulement leur quotidien maîscelui de leurs proches C'est le cas du jeune Thomas Leclerc,heros du remarquable et tres documente roman de PaulVacca Comment Thomas Leclerc, W ans 3 mois et 4jours,est devenu Tom l'éclair et a sauve le monde (Belfond, 2015)Aujourd hut, on dirait probablement de Tom qu'il est unautiste Asperger Maîs dans le roman jamais Ie mot n'estutilise Depuis la prison de verre de son handicap, cetenfant, trop solitaire, car «différent», voit ses parentss'entre-dechirer et leur couple se déliter jusqu'à ce qu'ilprenne une decision radicale, pour les guerir « Et a la fin,tout le monde meurt» Si cette vente n a rien a voir avec lafin heureuse des contes de fées, quelle nous incite cepen-dant a guerir de ce dont nous pouvons guerir - a commen-cer par nos petites bassesses et nos grandes médiocritésLavie est trop courte, la maladie et le malheur viendrontbien assez tôt

(I) Information relayée par nos confrères de S/ote httpy/www slate

fr/story/9065Vguenr autisme

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DONNERUN SENSA SA MALADIETomber malade est bien souvent une expérience qui nous confronte à l'absurdité.Paradoxalement, c'est aussi parfois l'occasion de donner un sens (nouveau?) àson existence... AUDREY MINART

^T e vois que beaucoup

« m de gens meurentrn parce qu'ils esti-S ment que la vie ne

rn vaut pas la peine\J d'être vécue J'en vois

d'autres qui se f ont paradoxalementtuer pour les idees ou les illusionsqui leur donnent une raison de vivre( ) Je juge donc que le sens de la vieest la plus pressante des questions »,écrivait Albert Camus en 1942, dansLe Mythe de Sisyphe C'est aussi l'une

que Frankl présentait comme unetroisieme voie a la psychanalyse etla psychologie comportementaliste,est de responsabiliser les patients enles aidant a donner, ou redonner, unsens a leur vie et notamment a par-tir d'une experience douloureuse Lepsychologue humaniste americain,Abraham Maslow disait d'ailleurs« On pourrait dire que Freud a decouvert la psychologie pathologique etqu'il reste maintenant a f aire la psychologie de la sante »

Avec la maladie, on rentre dans une expérience defragilité et on apprend à vivre avec d'autres valeurs, età développer un autre sens existentiel.

des citations qu'a choisie JacquesLecomte, psychologue, charge decours a l'université Paris X Nanterre,dans son livre Donner un sens a sa neDonner un sens a sa vie ? La formuleserait digne de figurer dans un livrede developpement personnel venduen supermarche Et pourtant elleest tres sérieuse Un courant en particuher met en avant l'importancedu sens donne a l'existence la logotherapie, du grec ancien «logos»(qui renvoie a la «raison») Elle aete fondée a l'apres guerre par lepsychiatre autrichien Viktor Frankl,ancien concentrat ionnaire (voirencadre) Le but de cette therapie,

Une vie p l e ine de sens, signe desante 7 C'est en tout cas une voiequ'exploré Jacques Lecomte dans sonouvrage Plusieurs etudes ont, eneffet, montre que le bonheur nécessi-terait a la fois une bonne sante men-tale et physique, maîs aussi une vie«richedesens» «Etsil'accumulationdéplaisirs, l'hédonisme, nesuffitpasaubonheur, lesens, seul, nesuffitpasnon plus »M a î s qu e n t e n d r e par « sens» 7

Jacques Lecomte renvoie notammenta deux concepts fondamentaux la«signification », qui inclut I intentionnahte ou le fait de donner une direction a sa vie, ou encore celui eponyme

de «sens» qui impl ique une cohé-rence dans l'existence, ou encore une«compréhension de soi, du monde, etdu soi dans le monde » Une questiontres phi losophique Existentiel lemême, et évolutive Pour ne pas direfragile

Selon le professeur de psychologiesociale, Gustave-Nicolas Fischer, quitravaille avec des patients cancé-reux, « le sens de la vie, de maniereglobale, est une illusion fondamen-tale, qui nous fait cultiver notrepropre sentiment d'immortalité» «IIrenvoie a un etat psychique f ace a lavie qui va se traduire a travers lessentiments de confiance et decroyance qu'elle vaut vraiment lapeine d'être vécue, et a une capacitéd'accepter ce qui va nous arriver Or,lepreuve de la maladie nous f ait nonseulement comprendre que notretemps est limite, maisfaitaussi voleren eclat le sens sur lequel reposenthabituellement nos vies larnaudieest précisément la mise a l'épreuvedu sens que nous avons donne a notrevie » Une veritable experience du«chaos» D'où la nécessite, dans cecas de f igure, de faire évoluer lesraisons qui ont fait vivre le patientjusqu a l'arrivée de la maladie «Onrentre alors dans une experience defragilite, de transformation parfoisde sa propre image du f a i t de cette

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maladie, et ou I on apprend a vivreavec d'autres valeurs, et a developperun autre sens existentiel a son existence apprendre a apprécier leschoses les plus simples, les gestesquotidiens s'arrêter pour contemplerce qui est anodin »Et aussi prendre conscience que toutpeut s'arrêter demain « Vivre autre-ment e est apprendre a mourir Passeulement a comprendre que l'on estmortels au sens philosophique duterme, maîs developper une autreattitude f ace au sens de la vie Pourvivre, il faut abandonner se détacher,lâcher prise Or, dans notre cultureoccidentale, tout cela est perçu néga-tivement, assimile a un renoncement Maîs l'expérience de lamaladie grave peut potentiellementvehiculer une force pour vivre » Cetteattitude pourrait même, selon lui,

participer a une forme de guenson« Pour moi, tout agir du malade sursa situation est un f acteur de guen-son, maîs dans le sens de la transformarion de soi La guerison n'est pasque physique ' Certains patientsétant 'guens medicalement ne lesont pas toujours psychologiquement Ils se voient toujours commemalades Maîs, par contre, il n'y ajamais de retour a l'état antérieurApres la maladie, c'est toujours uneautre vie qui commence »Pour Jacques Lecomte, la maladiepeut aussi être porteuse d'un mes-sage « Tout comme la douleur physique, la souffrance psychique peut,selon moi, constituer une alerte,quand notre actualite, notre passe,ou nos attentes pour l'avenir, nenous conviennent pas «Le psycho-logue préconise alors de creer du

sens a partir de ce «malheur» «Jefais cependant une vraie distinctionentre "trouver du sens" et "creer dusens" La souffrance, qu'elle soitphysique ou psychique, n'a pas desens en elle-même Elle est, défait,insensée En revanche, on peut creerdu sens, en fabriquer a partir derien »Dans son ouvrage, le psychologuedéveloppe notamment la notion de« croissance post traumatque» quirenvoie a « I approfondissement dusens de la vie» pouvant résulter lasurvenue d'un drame dans son existence « La personne ( ) auraitgénéralement prefere ne pas vivrecette epreuve, maîs considère parai/element quelle en a tire une dimensian personnelle superieure,inconnue jusqu'alors », y écr i t - i lnotamment Du sens peut-être7

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ViktorFmnklet la logothémpiC'est à partir de son -;

expérience dans les camps deconcentration que ViktorFrankl, professeur de \neurologie et de psychiatla faculté de médecine àef

Vienne, et ancien élève de'Freud et Adler, a mis en a'l'intérêt de donner un senson existence. Dans son ;ouvrage Un Psychiatredéporté témoigne, écrit dilafouleedelaguerre.i lraconte la manière dont il estparvenu à survivre dans cecontexte, malgré la «mortémotionnelle» à laquelle lesconcentrationnaires ont dûfaire face, et celle, physique cette fois-ci, de toute sa famille. C'est notammenten se fixant pour objectif de réécrire un manuscrit qui lui avait été soustraitlors de son arrivée dans un des camps de la mort, et en se référantrégulièrement au souvenir de sa femme, que le psychiatre a réussi à ne pas selaisser mourir. Il a également mis en avant l'importance de la dimensionspirituelle : « Grâce à sa vie intérieure, le prisonnier pouvait se protéger duvide, de la désolation et de la pauvreté spirituelle de son existence.il appelaitle passé à la rescousse. » Et de citer Spinoza : «Affectas, qui passio est, desinitesse passio simulatque eius claram et distinctam formamus ideam. » («Lasouffrance cesse d'être souffrance sitôt que ion en forme une représentationnette et précise.»! L'homme serait en fait prêt à souffrir, assurait-il, mais à lacondition que sa souffrance ait un sens, et qu'il puisse se projeter dansl'avenir. «Rien au monde ne peut aider une personne à survivre aux piresconditions mieux que ne peut le faire sa raison de vivre.»L'approche logothérapique serait par ailleurs moins rétrospective etintrospective que la psychanalyse. Il plaidait pour «une psychologie deshauteurs», visant à compléter «la psychologie des profondeurs» qu'est lapsychanalyse. La question du sens, par ailleurs, semblait laisser froidSigmund Freud, qui écrivait en 1937 à Marie Bonaparte: «Dés qu'ons'interroge sur le sens et la valeur de la vie, on est malade, car ni l'un ni l'autren'existe objectivement.» C'est pourtant bien, selon Frankl, la question dusens, véritable besoin humain, qui permettrait parfois de survivre à desévénements graves. Une question existentielle, donc. Dans sa postface de1984, il ajoutait, en guise de conclusion : «Lorsqu'une personne a trouvé unsens à sa vie, elle est non seulement heureuse, mais elle est aussi capable defaire face à la souffrance. La personne qui cherche en vain une signification àson existence peut en mourir. »La togothérapie est aujourd'hui peu pratiquée en France, même si elle atrouvé des continuateurs chez George-Elia Sarfati, Pascal Le Vaou, ou encoreAnna-Maria Stegmaier, et Elisabeth Lukas en Allemagne. Cesquestionnements existentiels figurent également en partie dans la démarchedu psychanalyste américain, et auteur de best-sellers, Irvin Yalom.

A savoir qu'il existerait selon lu iplusieurs moyens d'en creer deve-lopper une plus grande sensibilitéaccordée aux relations humaines eta la souffrance d autrui, s'engagerdans une action, par exemple dansdes associations en lien avec l'évé-n e m e n t sub i (de pa t i en t s , parexemple), porter un nouveau regardsur l ' ex is tence , developper unemeilleure image de soi, ou enfin delancer dans une quête p h i l o s o -phique ou religieuse approfondie

Maîs parce que la « maladie » peutne pas être que physique, creer dusens ou retrouver du sens peuts ' a p p l i q u e r éga lemen t lors detroubles d'ordre psychique assezr é p a n d u s «Je pensais êtrequelqu'un de tres positif», raconteC a r o l i n e , une ense ignan te de28 ans, qui a traverse une longued e p r e s s i o n « Maîs je réaliseaujourd'hui que personne n'est al'abri II y a eu un enchaînement desituations, et de rencontres » C'estlors d'un stage dans levenementielréalise a Newyork, dans le cadre deson Master, que son etat a com-mence a se dégrader in tenseshoraires de travail, pressions de lapart de ses superieurs pour adhérera une organisation religieuse pourtant classée comme secte en Francepuis, selon ses termes, un «harcè-lement moral» lie a son ref us C'estalors la descente aux enfers isole-ment social prise de drogues etretour en catastrophe en France, ouelle s'efforce de se remettre de cetteexperience Maîs le ver était dans lef ru i t Une « relation amoureuselarvée», ainsi qu'un autre patron«un peu illumine» l'empêchent de

LE CERCLE PSY HORS SERIEDate : NOV/DEC 15Pays : France

Périodicité : Parution Irrégulière Page de l'article : p.104,105,...,121Journaliste : Audrey Minart /Andrea Ostojic / Marc Olano /Sarah Chiche

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JACOB2 1756885400501Tous droits réservés à l'éditeur

véritablement remonter la pente Ettout a coup, alors qu ' e l l e étaitencore en pleine depression, ce futIe déclic «Je l'ai quitte J'ai arrête defumer Et décide de partir en volontanat en Afrique J'avais besoind'une coupure radicale avec cettevie Ma famille et mes amis l'ont tresmal pris, maîs c'était la premierefois que je faisais vraiment quelquechose pour moi «C'est ainsi qu'elle

dire "guerir" je ne suis même passûre que cela existe vraiment Jecroîs que e est plutôt un chemin, etil me semble que je suis sur le bonEn tout cas, aujourd'hui, je saispourquoi je me leve le matin »Et si la dimension spir i tuel le neconvainc pas, libre a chacun de creerdu sens a partir de ses propres incli-naisons D'après la demarche logothérapeutique d'ailleurs, le praticien

Le sens que l'on donne à son existence a l'avantage derenforcer nos défenses immunitaires, et de constituerun f acteur protecteur f ace au cancer.

s'est envolee pour Ie Congo, ou elleenseignait Ie français a des adoles-cents, et vivait dans un couvent« Ça a ete une experience vraimentextrême Maîs aussi une renais-sance Ma vie là-bas, extrêmementsimple, n'avait nen a voir avec celleque je menais en France »C'est aussi dans ce cadre qu 'e l les'est tournee dans une versionmodérée, vers la re l ig ion catho-lique «Pour moi, c'est ça le sens delavie lamour, pour soi même et lesautres Le principal message decette religion j'y ai aussi découvertun metier plein de sens l'enseignement «Uneexperience de quèlquesmois dont elle revient apaisée Etavec un projet professionnel qui abien fini par se concrétiser «A monretour, il y a maintenant deux ans,j'ai aussi rencontre l'homme de mavie», poursuit elle, tout sourire«Aujourd'hui, je m'efforce de mettredu sens dans tout ce que je faisdans le choix des aliments que jemange, dans lafaçon de traiter moncorps Je ne sais pas ce que veut

n'est pas cense influencer ie patientavec ses valeurs, ce dernier devantrester libre dans sa quête de sensUne liberte qu i était justement aucœur des écrits de Viktor Frank!« Même si on le brutalise physiquement et moralement, l'homme peutpréserver une partie de sa libertespirituelle et son independanced'esprit » Quelle liberte de I hommedans un camp de concentration, ouiorsqu il est atteint d'une maladie,plus ou moins grave ~> « Celle de déci-der de sa conduite, quelles que soientles circonstances dans lesquelles il setrouve ( ) C'est cette liberte spiri-tuelle - qu'on ne peut nous enlever- qui donne un sens a la vie »

Trouver un sens a la maladiephysique en investiguant ses

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L'absurdité apparente de la maladieaussi amener le patient a s'interrogersur les causes de celles-ci notam-ment psychologiques C'est un sujetqu'abordé le psychothérapeute etancien chirurgien Thierry Janssen,

dans un ouvrage, ou il retrace l'histoire de la psychosomatique II inviteses lecteurs a ne pas rejeter d un blocl'existence de liens entre ie «psy» etle somatiqueEt même s il est généralement impos-sible d'assurer que chaque troublephysiologique trouve nécessairementses origines dans la psychologie del ' individu, cela n'empêche pas quedonner un sens a la maladie puisseavo i r des e f f e t s b é n é f i q u e s«Identifier les causes de ce qui nousarrive [permet] de rationaliser dessituations dont l'absurdité est intolé-rable pour nos esprits avides de compréhension Nous pensons alorspouvoir exercer un contrôle sur lesevenements de notre existence Réelleou illusoire, cette espérance génère ennous des emotions agréables et, ducoup, met en branle une cascaded'effets psycho-neuro-endocrmo-immunologiqu.es tres positifs pournotre survie, en particulier lorsquenous sommes malades »En effet, l'optimisme qui peut sansaucun doute être renforce par Iesens que I on donne a son existenceet aux épreuves subies, a non seulement l'avantage de renforcer nosdéfenses immunitaires, maîs pour-rait même aussi peut être, constituer un facteur protecteur face aucancer, ou lors d'une infection par levirus du sida Voltaire lu i -mêmeavait eu cette intuition «J'ai décided'être heureux parce que c'est bonpour la sante »Encore une citation, la derniere, deNietzsche cette fois-ci « Celui qui aun pourquoi qui lm tient lieu de but,de finalité, peut vivre avec n 'importequel comment » Une question eminemment philosophique, disions-nous