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QueLLe DefiniTiOn Du cOncepT De TAngenTe ? pOur QueLLeS rAiSOnS ? K. Balhan, M. KrysinsKa, M. schnEidEr, ladimath Université de liège reperes - irem. N° 101 - octobre 2015 toujours chez Euclide. Elle peut même avoir été créée pour permettre la mise en place d’une organisation déductive, au sens de lakatos, comme le concept de limite dans l’œuvre de cauchy (Job et schneider, 2014). dans la partie 1, nous irons de l’histoire à l’enseignement actuel pour poser quelques jalons à des fins d’analyse didactique. dans la partie 2, nous décrirons les grandes étapes d’un parcours destiné à faire évoluer les élèves dans leur perception du concept de tangente. Et, dans la partie 3, nous analyserons les enjeux a priori de ce parcours. 1. — De l’histoire à l’enseignement dans l’histoire, on observe des défini- tions nombreuses et variées de la notion de tan- Introduction Que ce soit dans l’histoire ou dans les enseignements d’aujourd’hui, les définitions du concept de tangente sont multiples. Et les rai- sons de choisir telle définition ou telle autre pour enseigner le sont tout autant. nous montrerons que le choix dépend de subtiles articulations entre conceptions, obstacles d’apprentissage et pro- jets mathématiques institutionnellement situés. nous illustrerons également que, pour cette notion comme pour d’autres, les défini- tions diverses n’ont pas le même statut. ainsi, comme l’a montré Bkouche (1982), une défi- nition peut être une simple description d’un objet mathématique, laquelle n’a aucun rôle opéra- toire dans le raisonnement comme la notion de ligne droite chez Euclide qui est « également placée entre ses points ». Elle peut, au contrai- re, donner prise au raisonnement comme la définition du cercle en tant que lieu de points, 5 Cet article est également consultable en ligne sur le portail des IREM (onglet : Repères IREM) : http://www.univ-irem.fr/

QueLLe DefiniTiOn Du cOncepT De TAngenTe ? pOur QueLLeS ...le élaboré à des fins de recherche pour interpréter des façons de faire observées chez les indivi-dus pour réaliser

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  • QueLLe DefiniTiOn Du

    cOncepT De TAngenTe ?

    pOur QueLLeS rAiSOnS ?

    K. Balhan, M. KrysinsKa, M. schnEidEr, ladimath

    Université de liège

    reperes - irem. N° 101 - octobre 2015

    toujours chez Euclide. Elle peut même avoirété créée pour permettre la mise en place d’uneorganisation déductive, au sens de lakatos,comme le concept de limite dans l’œuvre decauchy (Job et schneider, 2014).

    dans la partie 1, nous irons de l’histoire àl’enseignement actuel pour poser quelquesjalons à des fins d’analyse didactique. dans lapartie 2, nous décrirons les grandes étapes d’unparcours destiné à faire évoluer les élèves dansleur perception du concept de tangente. Et,dans la partie 3, nous analyserons les enjeux apriori de ce parcours.

    1. — De l’histoire à l’enseignement

    dans l’histoire, on observe des défini-tions nombreuses et variées de la notion de tan-

    Introduction

    Que ce soit dans l’histoire ou dans lesenseignements d’aujourd’hui, les définitionsdu concept de tangente sont multiples. Et les rai-sons de choisir telle définition ou telle autre pourenseigner le sont tout autant. nous montreronsque le choix dépend de subtiles articulations entreconceptions, obstacles d’apprentissage et pro-jets mathématiques institutionnellement situés.

    nous illustrerons également que, pourcette notion comme pour d’autres, les défini-tions diverses n’ont pas le même statut. ainsi,comme l’a montré Bkouche (1982), une défi-nition peut être une simple description d’un objetmathématique, laquelle n’a aucun rôle opéra-toire dans le raisonnement comme la notion deligne droite chez Euclide qui est « égalementplacée entre ses points ». Elle peut, au contrai-re, donner prise au raisonnement comme ladéfinition du cercle en tant que lieu de points,

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    Cet article est également consultable en ligne sur le portail des IREM (onglet : Repères IREM) :http://www.univ-irem.fr/

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    gente à une courbe en un de ses points. Maisil n’est pas facile de tirer une leçon de cettevariété en vue de faire un choix d’une défi-nition à des fins d’enseignement. il faut au préa-lable une grille de lecture de ces définitionscomportant une double dimension épistémo-logique et didactique qui doit permettre d’éclai-rer à la fois les difficultés d’apprentissagedes élèves et les difficultés éprouvées par lesprofesseurs à enseigner cette notion. c’estl’objet de la présente section.

    il arrive aussi que les définitions ne soientpas explicitées en tant que telles par leursauteurs, dans ce cas on les devine à traversl’emploi qu’ils en font et on parlera alors deconception au sens des didacticiens : un modè-le élaboré à des fins de recherche pour interpréterdes façons de faire observées chez les indivi-dus pour réaliser une tâche mathématique quiimplique un concept donné.

    la première question à se poser est desavoir quel est l’environnement culturel qui secache derrière une définition mathématique dela tangente. c’est l’objet de la section 1.1. lasection 1.2 traite des difficultés observéesaujourd’hui chez les élèves et les professeurs.

    1. 1. Des contextes historiques variés

    rouy (2007) fait un inventaire de plu-sieurs définitions avec le souci de montrer queles projets mathématiques qui en sont à l’ori-gine ne sont pas de même nature. Premièrement,la détermination de la tangente peut être consi-dérée comme un but en soi, soit un objectif liéà une étude géométrique, soit éventuellementavec une volonté de modélisation astrono-mique. on dira alors, pour reprendre le voca-bulaire de chevallard (1999), que la tangenteest une tâche. dans ce cadre, rouy parled’Euclide, d’appolonius, de Fermat, de Bar-row, de descartes et de roberval.

    les techniques utilisées par les uns et les autrespour réaliser cette tâche sont variées : certainessont de nature géométrique, d’autres sont algé-briques, d’autres encore de nature « infinitési-male ». Par exemple, Euclide parle de la tangente(au cercle) comme étant une droite qui n’a glo-balement qu’un seul point d’intersection avecla courbe tout en ne la traversant pas. descartes,quant à lui, traduit cette idée en termes algébriques.les procédures de type infinitésimal sont obser-vées chez Fermat et Barrow qui font intervenirla notion d’accroissement infinitésimal jugéambigu à leur époque. ainsi Fermat, en mettanten œuvre sa méthode d’adégalité, considère cetaccroissement tantôt non nul, tantôt nul. notonsune conception différente chez roberval quipense une courbe comme une trajectoire et la direc-tion de la tangente comme résultat d’une com-position de vitesses : « la direction du mouve-ment d’un point qui décrit une ligne courbe[étant] la touchante de la ligne courbe en chaqueposition de ce point là ».

    Mais la tangente peut être aussi une tech-nique (au sens de chevallard, ib.) au service dela réalisation d’une autre tâche. rouy (2007) citearchimède qui utilise la tangente à un arc deparabole pour « quarrer » un « segment » de para-bole. Elle évoque aussi des démarches mathé-matiques toujours d’actualité aujourd’hui, en par-lant, d’une part, des champs de tangentes pourtracer des courbes répondant à des conditionsdifférentielles et, d’autre part, la tangente commeassociée à une approximation affine localed’une fonction quelconque.

    au-delà des tâches et techniques, les tech-nologies au sens de chevallard (ib.) sont desdiscours qui justifient et rendent intelligibles,au regard des tâches, des techniques mathé-matiques nouvelles. la technique s’appelle icile calcul infinitésimal et les historiens s’accor-dent à penser que newton et leibniz en sontles fondateurs :

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    « Both Newton and Leibniz must be creditedwith seeing the calculus as a new and gene-ral method, applicable to many types of func-tions. After their work, the calculus was nolonger an appendage and extension of Greekgeometry, but an independent science capableof handling a vastly expanded range of pro-blems. » (Kline, 1972)

    Mais les mêmes historiens distinguent lesprojets respectifs de newton et de leibniz,situant le premier plutôt dans la résolution deproblèmes divers et le second dans le déve-loppement d’un calcul formel :

    « The first principal idea was a philosophicalone, namely Leibniz’s idea of a characte-ristica generalis, a general symbolic lan-guage, through which all processes of rea-son and argument could be written downin symbols and formulas  ; the symbolswould obey certain rules of combinationwhich would guarantee the correctness ofthe arguments » (Bos, 1980)

    dans l’œuvre de leibniz, il semble bien quela notion même de tangente ait joué un rôle dansune perspective technologique au sens décrit plushaut. En particulier, dans l’établissement duthéorème fondamental qui, chez leibniz, seformule ainsi : le problème général des quadraturesrevient à construire une courbe dont les pentesobéissent à une loi donnée. Et, dans la preuvemême (assez compliquée et que nous ne repren-drons pas ici), leibniz fait intervenir la tangenteen jouant sur la similitude d’un triangle qu’ilappelle « assignable » et d’un autre qu’il qua-lifie d’ « inassignable ». de quoi s’agit-il ? leschéma fondamental sur lequel se base leib-niz est celui de la figure 1 ci-contre.

    dans ce dessin, on voit ce qu’il appelle sontriangle caractéristique, soit le triangle inassi-gnable, dont les côtés de l’angle droit sont

    notés dx et dy. ce triangle est semblable au tri-angle « assignable » TXY et donc

    = .

    dans ce schéma, dx est présenté par leib-niz lui-même comme une longueur arbitraire, dyétant l’accroissement correspondant de y éva-lué sur la tangente en Y. il ne s’agit donc pas for-cément d’infinitésimaux hormis que, dans soncalcul symbolique, dx sera à terme considérécomme négligeable puisque, par exemple si

    y = x 2, sera égalé d’abord à 2x + dx, puis à

    2x. ce résultat, il l’égale au rapport et c’est

    ce qui lui permet de construire la tangente : ilconnaît YX et peut donc construire la sous-tan-

    gente TX telle que = 2x. la tangente est

    alors tracée en joignant les points T et Y.

    avec une marge d’incertitude, on peut sansdoute considérer la tangente comme partici-pant, chez leibniz, au souhait de tenir un dis-cours technologique sur le nouveau calcul enévitant toute référence à la notion douteused’ « infinitésimal ». Mais sa conception de la

    dy

    dx

    YX

    TX

    dy

    dx

    YX

    TX

    YX

    TX

    fig. 1

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    tangente que traduit son propos ci-dessousmontre que ce rôle possible donné à la tan-gente est plus qu’ambigu.

    Dans son principe, trouver la tangenteconsiste à tracer une droite joignant deux pointsinfiniment proches de la courbe, c’est-à-diretracer le côté d’un polygone infinitangulai-re qui à mes yeux équivaut à la courbe.

    En effet, leibniz en revient là à une notiond’infinitésimal en parlant de deux points infi-niment proches de la courbe. nous reviendronsplus loin à cette démarche de leibniz.

    Enfin, au-delà de projets purement mathé-matiques, rouy (2007) parle de la « tangentecomme technique didactique ». la tâche devientalors une tâche didactique, ici enseigner ladérivée; et la technique didactique correspon-dante est « utiliser la tangente pour voir que lequotient a une limite  ». dans l’histoire desmathématiques, cette chercheuse rapprochede ce point de vue un texte de d’alembert, àpropos duquel il est légitime de parler de pro-jet didactique étant donné sa volonté de diffusiondu savoir mathématique auprès d’un publicplus large, dans le contexte d’écriture d’une ency-clopédie. sa conception de la tangente nous inté-resse au plus haut point dans la mesure où onpeut imaginer qu’elle a influencé notre ensei-gnement autant en France qu’en Belgique.Voici son approche :

    Je veux par exemple trouver la tangente d’unecourbe caB au point a. Je prends d’aborddeux points à volonté a, B sur cette ligne cour-be, et par ces deux points, je tire une lignedroite a indéfiniment prolongée vers Z et versX, laquelle coupe la courbe, comme cela estévident; j’appelle cette ligne une « sécante » ;j’imagine ensuite une ligne fixe cE, placéeà volonté dans le plan sur lequel est tracéela courbe, et par les deux points a, B, que

    j’ai pris sur la courbe, je mène des ordonnéesad, BE, perpendiculaires à cette ligne fixecE, que pour abréger j’appelle l’« axe » dela courbe. Il est d’abord évident que la posi-tion de la sécante est déterminée par la dis-tance d des deux ordonnées et par leur dif-férence Bo ; en sorte que si on connaissaitcette distance et cette différence, ou même lerapport des ordonnées à leur différence onaurait la position de la sécante.

    Imaginons à présent que des deux pointsa, B, que nous avons supposés sur la cour-be, il y en ait un, par exemple B, qui se rap-proche continuellement de l’autre point a ;et que, par cet autre point a qu’on supposefixe, on ait tiré une tangente aP à la cour-be; il est aisé de voir que la sécante aB,tirée par ces deux points a, B, dont l’un estsupposé se rapprocher de plus en plus de l’autre,approchera continuellement de la tangente,et enfin deviendra la tangente même, lorsqueles deux points se seront confondus en un seul.La tangente est donc la limite des sécantes,le terme dont elles approchent de plus enplus sans pour autant y arriver tant qu’ellessont sécantes, mais dont elles peuvent appro-cher aussi près qu’on voudra. Or nous venonsde voir que la position de la sécante se déter-mine par le rapport de la différence Bo desordonnées, à leur distance dE. Donc si oncherche la « limite » de ce rapport, c’est-à-dire la valeur dont ce rapport approche deplus en plus à mesure que l’une des ordon-nées se rapproche de l’autre, cette limitedonnera la position de la tangente, puisquela tangente est la limite des sécantes.

    comme on le voit dans le texte de d’alem-bert, celui-ci parle explicitement de « limitede sécantes  », et c’est là le point singulierdans l’histoire des mathématiques par rapportà ce qu’on peut observer ailleurs. Mais l’expres-sion même de limite de sécantes est sujette à

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    caution tant du point de vue mathématiqueque du point de vue didactique. c’est l’objetde la section suivante.

    1. 2. Un obstacle épistémologique majeur : le positivisme empirique

    Partons d’un constat fait par plusieurs cher-cheurs et enseignants : les élèves, à qui l’on montreun dispositif qui rend compte de sécantes tour-nant autour d’un point jusqu’à obtenir la posi-tion de la tangente, n’établissent pas forcémentde lien entre les pentes des sécantes et celle dela tangente :

    La prise de conscience de la dépendancenumérique de la position de la tangente à par-tir des positions de la sécante était très faible.(sierpinska, 1985)

    cornu (1983), sierpinska (1985) et schnei-der (1988) voient, dans ce constat, la trace dece qu’ils appellent l’obstacle géométrique de lalimite. nous expliquons ci-dessous en quoiconsiste cet obstacle, à travers l’analyse deschneider qui l’étudie au-delà du seul contex-te des tangentes. dans ce dernier cas, schnei-der (1988 et 1991 a) l’interprète comme suit.Pour les élèves, la tangente est l’objet premieret la pente est l’objet second :

    Il s’agit pour eux de déterminer d’abord latangente ensuite sa pente plutôt que le contrai-re. Ce qui fait qu’ils perçoivent le passage àla limite en termes géométriques, le mot limi-te ne renvoyant à aucune topologie préala-blement définie sur l’ensemble des droites.

    ce qui donne sens à ce processus, commele développe schneider (1991 a), c’est le mou-vement où l’on voit une sécante tourner autourd’un point jusqu’à une position où elle seratangente. dans ce processus qui va jusqu’à sonterme, les accroissements ∆x et ∆y, déterminés

    par les deux points de rencontre de la sécanteet de la courbe, sont perçus comme des quan-tités qui tendent vers zéro de manière autono-me jusqu’à devenir nulles au bout du compte.

    on est là en présence de limites de variableset non pas de la limite d’une fonction qui est

    la limite de quand ∆x tend vers zéro.

    ces variables sont implicitement fonc-tions d’une variable indépendante qui n’inter-vient pas dans le calcul et qui est le temps dudéroulement de la pensée. Pour désigner ce pointde vue, Krysinska et al. (2009) parlent devariables temporelles. ce passage à la limiteindu est mené à son terme car ∆y et ∆x repré-sentent des grandeurs continues qui se rédui-sent en des points et donc deviennent effecti-vement nuls. cette vision des choses empêcheun retour à la pente car le quotient 0/0 n’a pasde sens et, qu’en outre, le triangle de côté ∆yet ∆x lui-même s’est réduit visuellement en unpoint peu porteur de l’idée de pente.

    schneider (1991 b) montre que cet obstaclegéométrique de la limite n’est qu’une mani-festation d’un obstacle épistémologique plusglobal qui est le positivisme empirique. cet obs-tacle s’apparente à l’expérience première queBachelard situe comme un obstacle majeurdans les sciences expérimentales et qu’il résu-me par un propos significatif :

    On pense ce qu’on voit, on pense commeon voit [...]

    ce positivisme empirique est une attitudeépistémologique analysée par schneider (1988et 1991 b), dans de multiples contextes (tangentes,aires curvilignes, vitesses instantanées...). Ellese constitue en obstacle à la mise à distance parrapport aux faux objets empiriques, nés del’illusion que les faits et les observations sont

    Dy

    Dx

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    des donnés et non des construits. Elle s’oppo-se au passage des élèves du monde 1 des réa-lités physiques de Popper (1973) au monde 2des états de conscience. ainsi donc, on peut sup-poser que le texte de d’alembert illustre cet obs-tacle géométrique de la limite puisqu’il parlede « limite de sécantes ». on peut aussi souli-gner que son approche fait écran au regard deleibniz orienté non pas sur un infinitésimalisolé mais sur le rapport de deux infinitési-maux. En effet, comme nous l’avons expliqué,cet obstacle privilégie un supposé sens dyna-mique à dx comme étant la « limite » de ∆xet dy comme «  limite  » de ∆y. alors que leibniz est plus proche du concept de limite de la

    fonction lorsque ∆x tend vers 0.

    1. 3. Les conceptions induites par l’enseignement

    comme le développe et l’illustre schnei-der (2011), l’expérience première peut êtred’ordre plus contractuel en ce sens que lesélèves éprouvent des difficultés à changer leurrapport personnel (au sens de chevallard, 2006)aux objets de savoir tel que nourri par leur sco-larité antérieure. le travail de castela (1995)l’illustre parfaitement à propos des concep-tions liées à la tangente, ainsi que nous l’expli-quons dans la section suivante.

    1. 3. 1 Changer de conception

    castela (1995) distingue en effet plusieursconceptions qui « se différencient par la natu-re globale ou locale du regard, par la présenceou l’absence des problématiques de position rela-tive et d’approximation ». Elle montre la dif-ficulté éprouvée par les élèves à changer deconception en fonction du contexte; par exemple,pour passer de la tangente au cercle qui ne ren-contre globalement le cercle qu’en un seul

    Dy

    Dx

    point sans le traverser à la conception telle quetravaillée en analyse :

    L’analyse tant qualitative que quantitati-ve en termes de conceptions fait donc appa-raître qu’en ce qui concerne la tangente, unenjeu de l’apprentissage en première et en ter-minale est la rupture partielle avec uneconception primitive indûment généralisée etla prise en compte d’un point de vue radi-calement nouveau. (p. 31)

    on touche là à ce que Brousseau (1998) appel-le le contrat et les obstacles didactiques. on obser-ve en effet, en Belgique comme en France, quele changement de conception est peu géré dansles manuels et les cours en général, et que cer-tains volets du travail, comme celui de l’approxi-mation numérique, sont peu développés.

    1. 3. 2 Pratiques ostensives sources d’un cercle vicieux

    Quant à rouy (2007), elle montre que lespratiques enseignantes, en particulier dans lecadre d’une formation initiale, aggravent lerapport empiriste des élèves aux objets mathé-matiques. En particulier, elle relève dans lespropos d’enseignants, autant que dans lespropos de d’alembert, une abondance d’expres-sions telles que « il est aisé de voir », « onmontre que », « il est évident ». il s’agit làde pratiques ostensives dont salin (1999)souligne la récurrence et qui servent ici àboucher les « trous » d’une première approchede l’analyse mathématique ne s’encombrantpas de finesses liées aux propriétés topolo-giques des réels. ces pratiques conduisent icià un cercle vicieux décrit par rouy (ib.) à pro-pos de la dérivée et de la tangente :

    [...] la dérivée, objet de la leçon, est souventdéfinie sur base de la tangente, pourtant elle-même non définie ou parfois même définie ulté-

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    rieurement sur base de la même dérivée. Ce« cercle vicieux » porteur de difficultés est dûau fait que les notions de dérivée et tangen-te sont effectivement intimement liées dans l’his-toire [...] mais aussi que la tangente est unobjet hybride : objet géométrique commetangente aux coniques, objet analytiquecomme droite de coefficient directeur égal aunombre dérivé, mais surtout «  objet men-tal ». (rouy, p. 137)

    ce cercle vicieux résulte du sens de parcoursmental que schneider (1991 a) observe chez lesélèves entre pente et tangente : de la tangentecomme objet premier à sa pente comme objetsecond plutôt que, comme en analyse mathé-matique, du nombre dérivé à la droite tangen-te définie par un point et par une pente qui estprécisément ce nombre dérivé. ce cercle vicieuxrelève, comme le montre rouy (2007), d’unetransposition didactique généralisée qui

    présente la tangente à la fois comme uneillustration géométrique de la dérivée (dansles programmes et les manuels) et comme « unmoyen » d’introduire la dérivée ainsi qu’onle constate dans les activités dites introduc-tives de la plupart des manuels. Cela a pourconséquence de ne plus faire exister la tan-gente en tant que question mathématiquespécifique et d’installer comme une « doubledialectique outil-objet » entre la tangente etle nombre dérivé, chacun des deux servantà définir l’autre. (rouy, p. 141)

    afin d’illustrer le cercle vicieux auquelconduisent les pratiques ostensives, nous ana-lyserons ci-dessous une section d’un manuel belge.

    il s’agit d’une activité intitulée « à proposdes tangentes... » qui sert d’introduction à la foisà la dérivée et à la tangente dans un manuel belge(actimath 5, Van in, 2003). cette activité peutêtre résumée par les trois étapes suivantes :

    — on demande de calculer les valeurs numé-riques des pentes des droites coupant le

    graphique de la fonction notée

    au point a d’abscisse a = 2 et au point Bd’abscisse a + h pour h égal successivementà 1,5 ; 1 ; 0,75 ; 0,5 ; 0,25 ; 0,1 ; 0,01. legraphique n’est ni fourni, ni demandé.l’organisation du calcul est imposée par untableau à remplir, où l’on doit calculer d’abordb = a + h, ensuite ƒ(a + h) – ƒ(a), et finale-ment [ƒ(a + h) – ƒ(a)]/h présenté comme pentede la droite sécante.

    — on pose la question : « Que constatez-vous quand h tend vers 0, c’est-à-dire quandle point B se rapproche du point a ? »

    — on demande de calculer la limite : « cal-culez la pente de la droite aB ainsi que lalimite de celle-ci pour h tendant vers 0. Queconcluez-vous? »

    Voici les résultats du calcul, organisés icidans un tableau plus compact que celui qui estimposé dans le manuel :

    h [ƒ(a + h) – ƒ(a)]/h1,5 1,3751 1,25

    0,75 1,18750,5 1,1250,25 1,06250,1 1,0250,01 1,0025

    la réponse attendue à la question « Queconstatez-vous quand h tend vers 0, c’est-à-direquand le point B se rapproche du point a ? » estque la pente de la sécante tend vers 1. or, les élèvespourraient très bien constater autre chose: par

    x → x2>4

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    cONcepT De TANgeNTe ?…

    exemple que tous les nombres dans la deuxièmecolonne se terminent par le chiffre 5 ou que lesdeux derniers chiffres deviennent 2 et 5, ... ou quetous ces nombres sont plus grands que 1, etc. avecsi peu de résultats numériques, il est difficile deconjecturer qu’ils s’approchent de 1. Quant à laquestion « calculez la pente de la droite aBainsi que la limite de celle-ci pour h tendantvers 0. Que concluez-vous ? », elle renvoie au cal-cul algébrique de la limite d’une fonction avecl’une des techniques déjà étudiées dans le manuelavant le thème de la dérivée. le résultat attendude ce calcul est que la limite est égale à 1. Quantà la conclusion attendue, elle est suggérée par letitre de l’activité « à propos des tangentes... ».

    En paraphrasant salin (1999), nous dironsque le caractère ostensif de ces questions se mani-feste dans le fait qu’au lieu de montrer à l’élèvece qui est à voir, le manuel le dissimule derrièreune fiction, l’élève étant supposé découvrirlui-même grâce à l’observation ou aux calculs.comme le savoir à découvrir est très élaboré,le manuel est obligé de « manipuler » le milieumatériel pour rendre la lecture de ces proprié-tés la plus simple possible. Et, ainsi, l’apportd’information dans la partie théorique du manuel,qui est la réponse aux questions posées, peut êtrevécu par l’élève comme le signe manifeste deson incapacité à voir et comprendre ce qui estévident pour les auteurs du manuel. cette situa-tion pousse l’élève à décoder les intentionsdidactiques du manuel au lieu de chercher le sensdes mathématiques en construction. commele dit si bien salin (ib.), l’ostension « déguisée »apparaît alors comme une solution de com-promis : elle évite à l’enseignant tous les pro-blèmes liés à la gestion d’une situation a-didac-tique, en laissant le manuel et le professeurmaîtres du jeu, tout en faisant semblant deprendre en compte l’activité de l’élève.

    regardons maintenant en quoi consiste lecercle vicieux présent dans la partie théorique

    du même manuel. d’abord, on y définit la tan-gente de la manière suivante :

    « considérons la courbe représentative Gƒ d’unefonction ƒ continue en a et fixons un point a d’abscisse a sur la courbe. considérons un pointM d’abscisse x situé sur la courbe Gƒ , M étantdifférent de a, [...] et menons la droite aM. la droite aM est sécante à la courbe Gƒ .

    lorsque le point M se déplace sur la cour-be Gƒ , la sécante aM varie. Quand M se rap-proche indéfiniment du point a, la sécante aMdevient tangente à la courbe Gƒ . nous pou-vons dire que la tangente à la courbe Gƒ aupoint a d’abscisse a occupe la position limi-te de la sécante aM quand le point M serapproche indéfiniment du point a.

    cette observation va nous permettre dedéfinir la notion de tangente à la courbe en unde ses points et ses conditions d’existence. »

    dans cette citation, on affirme que la tan-gente « occupe la position limite des sécantes »,un fait qui est, paraît-il, issu des observa-tions. Mais la position limite des sécantesn’est pas définie. cela n’empêche pas de don-ner le statut de définition au résultat de cetteobservation. dans la citation suivante, ondéfinit la dérivée :

    « lorsque le point M se rapproche du pointa, son abscisse x tend vers le réel a. lespoints a et M de la courbe Gƒ ayant respec-

    tivement pour coordonnées (a, ƒ(a)) et (x, ƒ(x)),

    la pente de la droite aM est .

    Pour obtenir la pente de la tangente en a,nous pouvons calculer

    .

    f1x 2 2 f1a 2x 2 a

    f1x 2 2 f1a 2x 2 a

    limx S a

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    [...] si la limite obtenue est finie, elles’appelle alors le nombre dérivé de la fonc-tion ƒ en a.

    lorsque cette limite existe dans R, il est natu-rel de la considérer comme la pente de la droi-te tangente à la courbe Gƒ au point a. »

    la tangente est d’abord présentée ici commemoyen d’introduire le nombre dérivé, elledevient ensuite son illustration. cela aboutit à«  recouvrement de discours  » (rouy, 2007)dans le sens qu’on y caractérise la tangente àla fois comme position limite de sécantes et commedroite dont la pente est le nombre dérivé. Unetelle définition contribue à la confusion entrela tangente utilisée comme objet mental et la tan-gente que l’on cherche au même moment àdéfinir comme objet mathématique.

    1. 3. 3 Absence de questionnement sur ce qu’est une meilleure approximation

    Enfin, un dernier obstacle didactique est liéau fait que, là où la tangente est bien présen-tée comme droite représentative de l’approxi-mation affine locale d’une fonction, elle fait trèspeu l’objet d’un questionnement sur ce quel’on pourrait entendre par «  en quoi cetteapproximation est-elle la meilleure ? ».

    relativement à cet aspect, Perrin-Glorian(1999) nous fait part de son étonnement faceà un phénomène inattendu survenu au coursde la préparation d’un stage destiné à des ensei-gnants sur le thème des dérivées et des tan-gentes. au cours de celle-ci, et plus parti-culièrement en concevant une activitéd’approximation affine d’une courbe à l’aidedu logiciel « Geoplan », les formateurs sontamenés à se demander si la tangente est vrai-ment la droite qui approche le mieux la cour-be au voisinage d’un point et à préciser enquoi cette droite tangente serait considéréecomme la meilleure.

    a l’aide du logiciel, ils tracent la tangen-te d’une courbe en un point considéré ainsique quelques sécantes passant par ce point.Pour chacune de ces droites, ils calculent la dif-férence entre les ordonnées d’un point de la cour-be et d’un point de la droite considérée demême abscisse. leur idée était de montrer quecette différence resterait « nulle » (au sens deinférieure à la précision choisie) sur un inter-valle plus grand pour la tangente que pour touteautre droite sécante. or, leur observation fut autre.selon le logiciel, certaines sécantes sont « confon-dues » avec la courbe sur un intervalle plus grandque pour la tangente.

    afin d’investiguer plus loin, ils affinent, dansun premier temps, leur étude en augmentant laprécision du logiciel. les formateurs constatentque certaines des sécantes restent toujours« confondues » avec la courbe sur un interval-le plus grand que pour la tangente; malgré cela,cette dernière est la seule droite qui ne pourrajamais être évincée de la liste des candidates enfixant une précision plus fine, toutes les autrespouvant être éliminées une à une en considérantun intervalle suffisamment petit. dans un secondtemps, ils considèrent un intervalle centré en l’abs-cisse du point de tangence et les sécantes pas-sant par ses extrémités. ils comparent alors lessécantes à la courbe avec la tangente. Pour cesdroites, soit ils fixent une précision et réitèrentl’expérience, soit ils fixent un intervalle et mesu-rent l’erreur maximale commise en remplaçantla courbe par la droite sur cet intervalle. danscette seconde investigation, la tangente n’est pasnon plus la droite qui « approche » le mieux lacourbe car elle n’est pas suffisamment prochede celle-ci aux extrémités de l’intervalle. ils enarrivent à la conclusion suivante :

    La tangente est vraiment une notion locale !Il s’agit de la meilleure approximation affi-ne de la courbe au voisinage d’un point, à condi-tion de ne fixer à l’avance ni la longueur de

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    l’intervalle contenant le point, ni l’erreuradmise dans l’approximation. Elles doiventpouvoir rester aussi petites que l’on veut.

    2. — Un parcours didactique

    de la tangente au cercle à celle définie etutilisée en analyse... il y a loin de la coupe auxlèvres ! le parcours didactique décrit ci-dessousdans les grandes lignes est balisé de sautsconceptuels majeurs. le premier d’entre eux estconstitué du passage à une approche « infini-tésimale ».

    2. 1. Vers une approche infinitésimale

    cette approche se réalise en deux temps :d’abord, une tâche qui va donner l’occasion, àpropos d’une fonction du second degré, deconfronter plusieurs techniques dont une detype « infinitésimal » ; ensuite, la recherche detangentes relatives à une courbe du troisièmedegré qui va provoquer une confrontation de plu-sieurs conceptions de la tangente.

    2. 1. 1 Recherche du point de contact d’une tangente de pente donnée

    Une première tâche demandée aux élèvesn’est pas, comme on le voit souvent, de déter-miner une tangente en un point d’une courbe maisbien de trouver le point de contact d’une tangenteparallèle à une droite donnée. il s’agit d’abordd’une tâche graphique, la courbe et la droite don-née étant représentées à la figure 2 ci-contre.

    les élèves peuvent placer la tangente à vue.ils peuvent aussi tracer la tangente en glissant larègle graduée parallèlement à la droite donnéejusqu’au dernier point commun, ce qui revientaussi à creuser un écart maximum entre lesordonnées des points de la droite et de la sécan-te. lors des manipulations effectuées, ils obtien-dront soit une droite qui a, de façon nette, deux

    points communs avec la courbe, soit une droitequi semble se confondre localement avec lacourbe, soit une droite qui ne la rencontre pas (voirfigure 3). Mais ils ne pourront qu’estimer seu-lement l’abscisse du point de contact, autour de0,7. Ensuite, on fournit aux élèves l’équationde la droite : y = 1,45x et celle de la courbe :y = x 2. ces données permettent de traduire les

    fig. 2

    fig. 3

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    stratégies graphiques décrites ci-dessus en stra-tégies algébriques.

    Premièrement, les élèves peuvent véri-fier par calculs si, par exemple, la droite pas-sant par le point de la courbe d’abscisse x = 0,7 (ou x = 0,8) et de pente 1,45 est sécan-te ou tangente à la courbe en résolvant le sys-tème d’équations :

    ils trouveront ainsi deux solutions x1 = 0,7 etx2 = 0,75. Ensuite, vu la forme de la courbe avecsa concavité vers le haut, les élèves pourront endéduire que l’abscisse du point de contact estsituée dans l’intervalle [0,7 ; 0,75].

    deuxièmement, les élèves peuvent calcu-ler la valeur de x pour laquelle l’écart entre ladroite et la courbe est maximal, ce qui revientà chercher la valeur maximale d’une fonctiondu second degré donnée par : 1,45x – x 2.

    la réponse est x = = 0,725.

    troisièmement, certains élèves peuventchercher la valeur du paramètre k pour laquel-le le point d’intersection entre la courbe et unedroite de pente 1,45 est unique. cela revient àimposer une condition au paramètre k pour quele système

    ait une solution unique : k = 0,525625 et

    x = = 0,725 comme abscisse du point

    de contact.

    Une autre stratégie encore peut apparaîtreavec les données algébriques. Elle a été obser-

    e y 5 1,451x 2 0,7 2 1 0,7 2y 5 x 2

    1,452

    e y 5 1,45x 1 ky 5 x 2

    1,452

    vée par Gantois et schneider (2012) sur based’une ingénierie dont la nôtre s’inspire et est illus-trée par la figure ci-dessous :

    les élèves découpent l’intervalle [0 ; 1,45] enpetits intervalles et comparent les pentes dessécantes sur ces intervalles avec la pente 1,45de la droite donnée. l’abscisse du point decontact se trouvera alors dans l’intervalle où lapente de la sécante est égale à 1,45.

    cette dernière stratégie rejoint la premiè-re : toutes les deux fournissent un intervalle quicontient l’abscisse du point de contact de la tan-gente et de la courbe. leur précision dépend doncde la longueur de cet intervalle : plus il estpetit, plus de précisions on a au sujet du pointde contact. Pour traiter d’un seul coup les inter-valles de longueur arbitraire, on exprime algé-briquement la structure commune de tous cescalculs en considérant les droites sécantes avecla courbe d’équation y = x 2 aux points d’abs-cisses x et x + ∆x, et de pente 1,45 :

    Pour une valeur numérique de ∆x choisie, onobtient deux valeurs correspondantes de x et,

    1,45 51x 1 Dx 2 2 2 x2

    Dx5 2x 1 Dx

    fig. 4

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    de là, un encadrement de l’abscisse du pointde contact avec une précision de ∆x. lorsque

    ∆x = 0, on obtient x = = 0,725, le même

    résultat que celui obtenu par les deux autresstratégies.

    ce résultat peut être contrôlé par uneméthode algébrique qui consiste à vérifier quele système

    a une seule solution.

    ce travail débouche, à terme, sur une défi-nition de la tangente en x à la courbe représentativede y = x 2 comme droite dont on connaît un pointet dont la pente est 2x, soit le résultat obtenu enannulant ∆x dans l’expression simplifiée dutaux d’accroissement

    Et on écrit = 2x.

    on peut parler ici de limite en un sens très« pratique » que nous commenterons dans la sec-tion 3. Précisons pour l’instant que cette accep-tation du mot limite peut s’adapter à ce stadeaux fonctions polynomiales, à la fonction

    et à la fonction moyennant

    la technique du binôme conjugué.

    dans le cas des courbes relatives à un deuxiè-me degré, la tangente ainsi définie est une droite

    1,452

    • y 5 1,45 a x 21,45

    2b 1 a 1,45

    2b 2

    y 5 x 2

    1x 1 Dx 2 2 2 x2Dx

    5 2x 1 Dx

    dy

    dx

    y 51x

    y 5 "x

    qui possède un point commun avec la courbesans la traverser. Elle correspond donc à la concep-tion de la tangente héritée du cercle. Mais, ce nesera plus le cas pour les courbes relatives à un poly-nôme du troisième degré et ce sera là une occa-sion de confronter plusieurs conceptions.

    2. 1. 2 La confrontation entre deux conceptions de la tangente

    on demande donc aux élèves de calculer, parla nouvelle procédure, les équations de deux tan-gentes à la courbe donnée par y = x 3, l’une depente 0 et l’autre de pente 1/3, et de représenterles deux droites et la courbe sur un même graphique.on leur demande ensuite si les droites ainsi trou-vées peuvent garder leur statut de tangentes. Pourles deux tangentes, on fait les mêmes calculs :

    =

    et = 3x2.

    la première tangente est l’axe des abscisses. ladeuxième tangente a pour équation

    y = (x – ) + .

    les deux droites et la courbe sont représentéesci-dessous :

    Dy

    Dx

    1x 1 Dx 2 3 2 x3Dx

    5 3x2 1 3xDx 1 1Dx 2 2dy

    dx

    13

    13

    127

    fig. 5

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    la première droite traverse franchementla courbe au point de contact, la seconde droi-te a plus d’un point en commun et elle aussitraverse franchement la courbe mais pas au pointde contact.

    Peut-on encore parler de tangente ? sont iciconfrontées une ancienne conception de la tan-gente inspirée par le cas du cercle (ou desconiques en général) et celle qui vient d’êtreconstruite. il faut se donner ici de bonnes rai-sons de changer de conception... ces raisons sontmultiples : d’une part, les tangentes à la « mode »nouvelle fourniront des approximations affineslocales (ce sera l’objet de la section 2.2 et nousy reviendrons à la section 2.4); d’autre part, lestangentes sont, en tant que « guides », de bonsoutils pour étudier l’allure graphique de fonc-tions (ce sera l’objet de la section 2.3).

    2. 2. La tangente comme source d’approxi-mation affine locale d’une fonction

    les ordinateurs et calculatrices graphiquesoffrent la possibilité de visualiser la linéaritélocale d’une fonction : lorsqu’on fait des« zooms » successifs centrés au voisinage d’unpoint d’une courbe élémentaire, cette derniè-re apparaît comme un segment de droite. ons’appuie sur ce phénomène pour découvrir latangente dans son nouveau rôle d’approxima-tion affine d’une fonction.

    d’abord, on demande aux élèves de consta-ter que la courbe d’équation y = x 3 – 0,5x + 1devient une droite après plusieurs zooms cen-trés en (0,1) et d’expliquer les raisons de cephénomène. En effet, après quelques zooms, lacourbe semble devenir un segment dans le voi-sinage du point (0,1). Pourtant, les deux fonctionsne sont égales qu’en x = 0. ce phénomènes’explique par le fait que, dans la formule y = x 3 – 0,5x + 1, l’ordre de grandeur de x 3 estplus petit que l’ordre de grandeur de – 0,5x + 1.

    fig. 6

    fig. 8

    fig. 7

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    cela signifie que le terme x 3 devient négli-geable par rapport aux termes – 0,5x + 1 et quela fonction donnée par y = x 3 – 0,5x + 1 se com-porte presque comme la fonction du premierdegré y = – 0,5x + 1 au voisinage de 0.

    on peut vérifier, en plus, que la droited’équation y = – 0,5x + 1 est tangente à la cour-be y = x 3 – 0,5x + 1 en x = 0. donc, la tangen-te à l’origine est une bonne approximation de lacourbe dans le voisinage de (0,1) : elle peutremplacer localement la courbe.

    dans la question suivante, on revient surla courbe y = x 2 et sa tangente

    en x = . on demande d’expliquer les rai-

    sons pour lesquelles la courbe et la droite sem-blent se confondre après plusieurs zooms cen-

    trés en . Pour le mettre en

    évidence, on va « développer  » la fonctiondonnée par y = x 2 dans le voisinage du point

    , c’est-à-dire l’exprimer sous

    la forme d’un trinôme du deuxième degré en

    :

    .

    dans la partie affine de cette expression,on reconnaît l’équation de la tangente. le terme

    du second degré devient négli-

    geable par rapport aux termes de la partie affi-

    y 5 1,45 a x 2 1,452b 1 a 1,45

    2b 2

    1,452

    a 1,452

    ; a 1,452b 2 b

    a x 2 1,452b

    x2 5 a x 2 1,452b 2 1 1,45 a x 2 1,45

    2b 1 a 1,45

    2b 2

    a 1,452

    ; a 1,452b 2 b

    a x 2 1,452b 2

    ne pour les valeurs de x proches de car

    son ordre de grandeur est plus petit que l’ordrede grandeur de la partie affine. ici, encore, onpeut associer une approximation affine localeà la tangente.

    2. 3. La tangente comme outil graphique pour étudier des fonctions

    dans la nouvelle acception d’une droite repré-sentative de l’approximation affine locale de lafonction, la tangente peut devenir un outil per-formant pour étudier certaines classes de fonc-tions. considérons, par exemple, la classe de fonc-tions donnée par la formule paramétrée y = ax 3 + cx + d et étudions son identité gra-phique. on peut vérifier par calcul infinitésimalque l’équation y = cx + d est celle de la tan-gente en x = 0 . En même temps, la fonctiondu premier degré donnée par y = cx + d four-nit une approximation, dans le voisinage de 0,de la fonction donnée par y = ax 3 + cx + d carax 3 est négligeable par rapport à cx + d .

    En particulier, la courbe d’équation y = ax 3 + cx peut être obtenue par la « somme »de la courbe de y = ax 3 et de la droite y = cx . de tout cela, il résulte que la courbe« atterrit en douceur » sur la droite tangenteet semble se confondre localement avec elle.

    les six cas de figure (voir encadré ci-contre) sont alors obtenus en fonction dessignes de a (a > 0 ou a < 0) et de c (c > 0 ouc < 0 ou c = 0).

    2. 4. Vers une approche plus formalisée de dérivée : la meilleure approximation au sens de Chilov

    l’élimination des droites sécantes en tantque « meilleure approximation », au sens oùl’entend Perrin-Glorian (1999), est ensuite rap-

    1,452

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    QueLLe DefiNiTiON Du

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    Identité graphique de la famille de fonctions y = ax 3 + cx .

    fig. 9

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    20

    QueLLe DefiNiTiON Du

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    prochée de la conception de la tangente chez chi-lov lequel définit un critère géométrique carac-térisant, à ses yeux, une tangente en un pointa(x0,y0) d’une courbe :

    La tangente en un point a du graphique y(x)est définie en tant que droite amenée par le pointa et telle que la courbe y(x), en s’approchantdu point a, pénètre dans tout angle de sommeta contenant la droite a et y reste, aussi petit quesoit cet angle. (cité et analysé par schneider, 1988)

    En effet, celui-ci imagine un « étau » formédes droites β qui enserrent la tangente et la cour-be dans un voisinage du point a et, cet étau, il peutle resserrer autant qu’il le souhaite. a l’intérieurde l’étau, on peut trouver une portion de courbequi est plus proche de la tangente que de n’impor-te quelle droite sécante extérieure à l’étau, pourautant que l’on considère un voisinage de l’abs-cisse du point a suffisamment petit. la concep-tion de la tangente chez chilov permet ainsi d’éli-miner toutes les sécantes candidates en tant que« meilleure approximation de la courbe » : il suf-fit de considérer un étau suffisamment serré autourde la tangente qui ne contient pas une sécante consi-dérée et, bien entendu, la tangente ne pourrajamais être disqualifiée (par construction).

    on peut se demander si cette droite tangenteest bien celle que l’on a défini plus haut, c’est-à-dire, une droite contenant le point a et dont

    la pente m est : m = , cette limite ayant

    été définie par la suppression des termes conte-

    nant ∆x dans l’expression simplifiée .

    appelons p la pente de la droite tangentetelle que définie par chilov. on peut supposer,sans restriction, que l’angle contenant a soit déli-mité par les droites de pentes p – e et p + e (toutangle contenant α contient et est contenu parun tel angle). Puisque la courbe rentre dans untel angle, elle possède une portion sur laquel-le tout point B(x,y) détermine avec a une droi-te de pente comprise entre p – e et p + e .

    il existe donc un voisinage de x0 dans lequel

    p – e ≤ ≤ p + e

    ⟺ – e ≤ – p ≤ e

    ⟺ ≤ e

    limDx S 0

    Dy

    Dx

    Dy

    Dx

    f1x 2 2 f1x0 2x 2 x0

    f1x 2 2 f1x0 2x 2 x0

    ` f1x 2 2 f1x0 2x 2 x0

    2 p `

    fig. 10

    fig. 11

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    21

    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    et ce, quel que soit e. on doit donc montrer quep = m en confrontant deux définitions fortéloignées de la limite. Une première étape,

    facile, consiste à rapprocher et

    que ne distingue qu’un choix de notation. ladeuxième étape, la plus importante, relève d’unapprofondissement de ce que signifie une écri-ture quantifiée. l’unicité de la limite est évi-demment en jeu ici. d’une part, on montre que

    pouvoir écrire sous la forme d’une somme

    dont m est un terme (fonction de x et indépen-dant de ∆x) et dont les autres termes sont despuissances entières de ∆x et seront donc “sup-primés”, entraîne de façon quasi évidente que :

    m = au sens quantifié de chilov.

    d’autre part, il ne peut exister deux telleslimites p et p’. En effet, l’existence d’un voisinage V de 0 et celle d’un voisinage V’ de 0 dans lesquels, respectivement,

    < ε et < ε , pour

    tout ε, conduirait à une contradiction pour

    ε < car, ainsi qu’illustré par le

    schéma ci-dessous, cela supposerait que, pour

    ∆x dans l’intersection non vide de V et V’,

    soit à la fois dans l’intervalle de centre p et de

    f1x 2 2 f1x0 2x 2 x0

    Dy

    Dx

    Dy

    Dx

    Dy

    DxlimDx S 0

    ` DyDx2

    `p' `` Dy

    Dx2

    `p `

    k p 2 p' k

    2

    Dy

    Dx

    rayon ε et dans celui de centre p’ et de rayon ε.la tangente telle que définie à la section 2.1 etla tangente au sens de chilov sont donc une seuleet même droite puisqu’elles passent par lemême point de tangence et ont la même pente.

    Un tel rapprochement n’est pas évidentpour tous les élèves mais il permet, avec cer-tains, de travailler le concept de limite tel quedéfini dans l’analyse formalisée, le concept detangente donnant ainsi une occasion, parmid’autres, d’établir un lien avec une approche plusintuitive de la limite.

    2. 5. Vers les développements limités

    l’étape précédente du parcours a per-mis de poser la question d’une meilleureapproximation affine d’une fonction auvoisinage d’un point. la fonction affineassociée à la tangente en ce point y a appor-té une réponse et se devrait d’être exploi-tée sur des exemples de fonctions non poly-nomiales. ces exemples, qui abondent ensciences, montrent l’intérêt de remplacer loca-lement certaines fonctions par des fonc-tions plus « simples ». se posent alors deuxnouvelles questions : celle de l’erreur com-mise et celle d’une approximation polyno-miale non affine.

    la définition que donne chilov de la tan-gente permet d’encadrer l’erreur tout en mon-trant que celle-ci dépend du caractère plus oumoins local de l’approximation. En effet, soita(x,ƒ(x)) un point de la courbe représentatived’une fonction ƒ et B(x + h,ƒ(x + h)) un autrepoint de cette courbe « voisin » de a (figure 12page suivante).

    supposons la fonction f dérivable sur le tronçon considéré et donc continue. approxi-mer ƒ(x + h) par ƒ(x) + hƒ’(x), soit l’ordonnéed’un point c de même abscisse mais sur la tan-

    fig. 11

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    22

    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    gente α de pente ƒ’(x), suppose une erreurégale en valeur absolue à

    ,

    soit la longueur du segment [Bc].

    cette erreur dépend de h et est évidemmentde plus en plus petite au fur et à mesure que hest petit : c’est évident. Mais le critère de chi-lov nous apprend davantage. il nous dit que, quel que soit ε > 0, il existe un voisinage de xdans lequel courbe et tangente sont dans l’étauformé par les sécantes b de pentes ƒ’(x) + ε etƒ’(x) – ε. ce qui conduit à majorer, dans ce voi-sinage, la longueur de [Bc] par celle de [dE],d et E étant les points respectifs de ces sécantesd’abscisse x + h. cela se traduit par

    ou encore :

    < 2ε .

    cette inégalité est vérifiée pour ε quelconque,

    k f1x 1 h 2 2 f1x 2 2 f'1x 2 .h k

    ` f1x 1 h 2 2 f1x 2 2 f'1x 2 .hh

    `

    pourvu que x + h soit dans un voisinage appro-prié de x ou, ce qui revient au même, pour hpris dans un certain voisinage de 0. on enconclut que :

    = 0 .

    Par conséquent, l’erreur commise qui estégale à ƒ(x + h) – (ƒ(x) + ƒ’(x).h) et notée parR(h), non seulement tend vers 0 mais, en outre,tend vers 0 « plus vite » que h. le « tendre vers0 plus vite que h » signifie que R(h) est négli-geable par rapport à h dans un voisinage suf-fisamment petit de 0. ainsi, la définition de latangente donnée par chilov implique quel’erreur commise en remplaçant la courbe parsa tangente est négligeable par rapport àl’accroissement considéré.

    a ce stade, nous concluons que, si unefonction ƒ est connue en x, elle peut êtreapproximée en x + h :

    ƒ(x + h) ≈ ƒ(x) + ƒ’(x).h

    l’erreur commise étant le « reste » R(h) 1 à ajou-ter pour que le signe « ≈ » devienne un signed’égalité :

    ƒ(x + h) = ƒ(x) + ƒ’(x).h + R(h) .

    Evidemment, ce reste ne peut être qu’esti-mé, l’important étant son ordre de grandeur. Etu-dions donc l’ordre de grandeur du reste R(h) ennous appuyant sur la condition

    la réflexion antérieure sur les calculsde limites et indéterminations peut faireprendre conscience qu’il n’y a qu’une maniè-re de s’assurer de ce résultat : c’est d’exigerque l’ordre de grandeur de R(h), pour des h

    limh S 0

    f1x 1 h 2 2 f1x 2 2 f'1x 2 .hh

    fig. 12

    <

    <

    k f1x 2 1 1f'1x 2 1 e 2 .h 2 1f1x 2 1 1f'1x 2 2 e 2 .h 2 kk f1x 1 h 2 2 f1x 2 2 f'1x 2 .h kk 2 h e k

    = = 0.limh S 0

    f1x 1 h 2 2 f1x 2 2 f'1x 2 .hh

    limh S 0

    R1h 2h

    1 d’où le choix de la lettre R

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    proches de 0, soit l’équivalent de celui, nonpas de h, mais de h 2.

    Pensons en effet que, comme h 2 < h dès que

    h < 1, = 0 alors que = k. la

    condition imposée par les mathématiciens

    entraîne celle-là : ils exigent que puis-

    se être majoré, dans un voisinage de 0, par une

    fonction du type :

    <

    dans ce voisinage. a cette condition, le reste R(h)devient plus vite négligeable que le terme en h,soit ƒ’(x).h lorsqu’on « développe » ƒ(x + h)sous la forme ƒ(x) + ƒ’(x).h + R(h).

    cela nous amène à imaginer une suite au« développement » ƒ(x) + ƒ’(x).h en y ajou-tant un terme du second degré c’est-à-dire enapproximant ƒ(x + h) par

    g(x + h) = ƒ(x) + ƒ’(x).h + a.h 2 .

    En effet, une courbe s’ajuste mieux à une cour-be qu’à une droite. Mais comment déterminera ? reconsidérons le but afin de répondre à cettequestion : on cherche à approximer localementune fonction ƒ autour de x non pas par unefonction affine mais par une fonction du seconddegré g, afin de minimiser l’erreur commise lors-qu’on remplace ƒ(x + h) par g(x + h).

    Un dessin (figure 13) permet de com-prendre aisément pourquoi on exige deux condi-tions pour ce faire :

    1. ƒ et g devraient avoir même tangente en x,

    2. ƒ et g devraient avoir même concavité en xou, mieux, une même dérivée seconde, ce quiassurerait un bon contact de ƒ’ et g’ et doncun meilleur ajustement de ƒ et g autour de x.

    limh S 0

    k R1h 2 k

    kh2

    h

    kh

    hlim

    h S 0

    k kh2 k

    k R1h 2 k k kh2 kla première de ces conditions est d’office

    respectée par la forme a priori de g. la secon-de se traduit par g”(x) = 2a = ƒ”(x), c’est-à-

    dire : a = . il vient donc :

    g(x + h) = ƒ(x) + ƒ’(x).h + .h 2.

    Evidemment, comme pour l’approxima-tion affine, on peut se demander si g(x + h)approxime bien ƒ(x + h). de manière analogueà ce qui s’est passé pour la tangente, la condi-tion sera que le reste, ou l’erreur commisequand on remplace ƒ(x + h) par g(x + h), soitd’un « ordre de grandeur », en h, inférieur à celuidu terme du second degré du développement :

    f(x + h) = ƒ(x) + ƒ’(x).h + .h 2 + R(h)

    avec = 0, ce que l’on obtient en exi-

    geant, dans un voisinage de 0, la majoration de

    par une fonction de type . Et, ainsi

    de suite, on développe ƒ(x + h) par des poly-nômes en h de degré sans cesse plus grand...

    f"1x 22

    f"1x 22

    f"1x 22

    limh S 0

    R1h 2h2

    k R1h 2 k k kh3 k

    fig. 13

    = = 0.

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    3. — Enjeux du parcours didactique

    l’enjeu premier du parcours proposé est defaire évoluer la conception qu’ont les élèves duconcept de tangente en même temps que sadéfinition : d’une droite qui ne rencontre glo-balement une courbe qu’en un seul point sansla traverser à son acception au sein de l’analy-se mathématique. Mais ce parcours possèdeaussi un autre enjeu non moins important quiest lié aux raisons d’être de cette évolution etqui est l’acculturation des élèves à différentesproblématiques liées à ce domaine mathéma-tique. comme on l’a vu, un travail sur la tan-gente en donne l’opportunité.

    En guise de préambule, il convient depréciser que nous pensons cette acculturationdans une forme de progressivité laquelles’exprime en termes de niveaux praxéolo-giques. le concept de praxéologie de chevallard(1999) est choisi en ce qu’il modélise lessavoirs mathématiques autant par la pratiquequ’ils autorisent que par la justification decette même pratique.

    les niveaux en question ont été forma-lisés par schneider (2008) en termes depraxéologies « modélisation » et de praxéo-logies « déduction » et retravaillés ensuite parJob et schneider (2014) sous l’appellation« praxéologies pragmatiques » et « praxéo-logies déductives ».

    il n’est pas facile de donner une défini-tion brève de ces concepts encore en évolu-tion. nous préférons les illustrer à travers laquestion de la tangente. d’abord, dans lasection 3.1 où nous expliquons en quoi la tan-gente de l’analyse a évolué, dans l’histoire,d’un niveau praxéologique à l’autre. Ensui-te en situant les enjeux successifs de ce par-cours par rapport à ces deux niveaux praxéo-logiques (sections 3.2 et 3.3).

    3. 1. Sur l’évolution historique des tangentes, de leur modélisation à leurinsertion dans une organisation déductive

    Une tangente est définie, en analysemathématique, par un point et une pente.cette pente est une image de la fonctiondérivée et donc la limite d’un taux de varia-tion de la fonction primitive. cependant, leconcept même de limite est susceptible d’uneévolution dans le parcours des élèves toutcomme il l’a été dans l’histoire des mathé-matiques. au niveau d’une praxéologie« modélisation », schneider (1988, 1991 bet 1992) l’envisage comme un « acte » de sup-pression de termes contenant l’incrément dela variable dans l’expression du taux moyenécrit sous la forme de la somme d’une fonc-tion de x et d’un polynôme en ∆x. c’est lepoint de vue de lagrange (1736-1813) qui défi-nit la dérivée comme «  limite  » du tauxd’accroissement P = [ƒ(x + i) – ƒ(x)]/i, cettelimite étant pensée comme le résultat d’uneaction qui consiste à annuler i et dont l’uti-lisation du verbe « faire » rend particulière-ment bien compte :

    « Or, P étant une nouvelle fonction de x et i,on pourra de même en séparer ce qui estindépendant de i et qui, par conséquent, nes’évanouit pas lorsque i devient nul. Soit doncp ce que devient P lorsqu’on FAIT i = 0. »

    comme on le verra plus loin, ce point devue évoqué spontanément par les élèves est enmême temps sujet à caution à leurs yeux.s’impose alors une validation « pragmatique »(Job et schneider, 2014) qui consiste à contrô-ler, sur des exemples où c’est possible, que lestangentes ainsi obtenues sont bien les mêmesque celles fournies par des techniques déjàéprouvées. on rejoint ici la démarche de Fer-mat (1605 ou 1608, 1665) lequel cherche àjustifier sa méthode d’adégalité — forme

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    embryonnaire du calcul des dérivées où l’incré-ment de la variable est considéré tantôt nul, tan-tôt non nul — en la mettant à l’épreuve dedeux problèmes déjà résolus dans l’antiquitésans usage aucun d’une quelconque considération« infinitésimale » : l’optimisation de l’aire desrectangles isopérimétriques, déjà réglée parEuclide sur base d’une preuve exclusivementgéométrique, et la détermination de la tangen-te en un point d’une parabole réalisée par apol-lonius de Perge.

    ce premier niveau praxéologique a unchamp d’opérationnalité non négligeable :lagrange arrive, à partir de son point de vue surla dérivée, à dériver non seulement des fonc-tions polynomiales mais aussi, au prix d’arti-fices techniques telle que la multiplication parun binôme conjugué, des fonctions de type« racine carrée » et de type « inverse ».

    car on débouche bien là sur une modéli-sation de la tangente équivalente à celle qu’enpropose l’analyse. cependant, celle-ci doitévoluer avec le concept de limite lui-mêmequi devient, dans une praxéologie déductive (Jobet schneider, 2014), ici une théorie mathéma-tique au sens propre du terme qu’on appelle l’ana-lyse, un « proof-generated concept » au sensde lakatos (1984). il s’agit bien, en effet, d’unconcept né d’un souhait de prouver les théo-rèmes sans plus se référer ni à des intuitionsgéométriques ou graphiques, ni à des argu-ments cinématiques. c’est alors le concept delimite qui devient la base de validation del’analyse en termes de quantificateurs et d’inéga-lités et le maillon central de son architecturedéductive. sur ce point, voir Job (2011 et sou-mis pour publication).

    a ce niveau praxéologique, les tangentessont formellement définies comme droites dontla pente est la limite, au sens théorique, de lafonction « taux d’accroissement ».

    3. 2. D’une première conception de la tangente à sa modélisation au sein d’une praxéologie pragmatique

    cette modélisation se base sur deux tâchespréalables concernant, l’une, des fonctions dudeuxième degré et, l’autre, des fonctions du troi-sième degré.

    3. 2. 1 A propos des fonctions du deuxième degré

    la première tâche proposée aux élèves(section 2.1.1) est de déterminer le point de contactd’une tangente dont on connaît la direction,d’abord graphiquement puis algébriquement. ons’éloigne donc de la tradition venue de d’alem-bert selon laquelle on suppose le point decontact connu et on cherche à déterminer la tan-gente comme « limite des sécantes ». le rôlede ce choix didactique, tel qu’analysé parschneider (1991 a, 1992) et par Gantois etschneider (2012), est de favoriser l’identifica-tion d’un calcul de dérivée, qui plus est sous unpoint de vue d’emblée fonctionnel.

    a première vue, il semble aisé de tracer latangente parallèle à une droite donnée sur unefeuille de papier ou sur un graphique fait par unlogiciel. Mais, en pratique, il est difficile de loca-liser le point de contact car la droite semble seconfondre localement avec la courbe et on nepeut alors qu’estimer sa position. néanmoins,les manipulations graphiques, malgré qu’ellesne soient pas concluantes, préparent les straté-gies calculatoires ultérieures. de ces stratégiesgraphiques qui sont décrites à la section 2.1.1,la première et la dernière conduisent à un cal-cul de type « infinitésimal ». notons que le pointde départ est ici une conception primitive de latangente comme droite qui n’a qu’un pointcommun avec la courbe sans la traverser : celaélimine d’emblée toute droite parallèle à l’axed’une parabole.

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    le choix des équations et des valeurs de leurscoefficients a été dicté par la simplicité vouluedes calculs algébriques et par la difficulté vou-lue de deviner le point de contact.

    la courbe y = x 2 a été choisie pour uneraison majeure : elle conduit à plusieurs stra-tégies dont certaines sont de type « infinitési-mal » et d’autres non car elles débouchent surdes équations du second degré dont les techniquesde résolution sont déjà connues des élèves. lessecondes stratégies vont ainsi permettre devalider les premières, au sens pragmatique pré-cisé plus haut. c’est ce mode de validation quiva « justifier » ensuite une modélisation de latangente comme droite dont la pente est obte-nue par un calcul de limite « en acte » à la maniè-re de lagrange. ce qui rend cette validation néces-saire, ce sont les doutes exprimés par les élèvessur la procédure infinitésimale en raison del’annulation de ∆x et selon l’interprétation don-née à la section 1.2. Pour l’illustrer, nous repre-nons ci-après des extraits de Gantois et schnei-der (2012) qui ont conçu une ingénierie —dont la nôtre s’inspire — dans laquelle la déri-vée est construite tant comme vitesse instanta-née que comme pente de candidate-tangente.

    il s’agit en effet, dans une première étapede cette ingénierie, de déterminer le plus pré-cisément possible l’instant où deux mobiles enmouvement rectiligne ont la même vitesselorsque leurs lois de mouvement sont don-nées par les formules suivantes r1(t) = t

    2 et

    r2(t) = . a une étape du calcul, les élèves

    écrivent la vitesse moyenne du premier mou-vement, soit

    (ou )

    et ils l’égalisent à la vitesse constante du second mou-

    vement, soit = ou = .

    "3t

    t22 2 t21

    t2 2 t15 t2 1 t1

    1t 1 Dt 2 2 2 t2Dt

    5 2t 1 Dt

    "32t 1 Dt"3t2 1 t1

    ainsi, les élèves obtiennent une équationà deux inconnues et, comme ils ne voient pascomment trouver une deuxième relation entret1 et t2, ils décident de les égaler :

    M1 donc t2 = – t1.

    E1 donc... oui, et t1 = – t2.

    M1 oui. Et ça nous fait quoi ?E1 Et ça, et ça... oui, c’est ça le problème : une

    fois qu’on a ça, on n’a toujours pas l’instant t.n1 Mais, il faudra trouver une autre façon... Enfin...

    encore un autre truc où tu as t1 + t2 et alors on

    saurait obtenir un système. tu vois ce que je veuxdire ? s’il y a deux inconnues, il faudrait trou-ver une autre manière...

    E1 oui, mais qu’est ce que tu aurais d’autre commeéquation à part ça ?

    n1 Et si... a quel moment... on ne devrait pasjuste prendre un seul t et dire : c’est une vites-se instantanée ? on pourrait prendre juste un tvu que c’est le seul moment.

    M1 oui, mais, limite, ils sont tellement proches, qu’onpeut dire que t1 = t2.

    n1 oui, c’est ça, en fait.

    les élèves trouvent alors la réponse t = /2.des doutes sont cependant exprimés sur la vali-dité de ce résultat :

    M1 Parce qu’en fait, ils sont tellement proches... tumets t2 plus ou moins égal à t1. Et donc, tu n’as

    qu’à dire 2t1 = . donc t1 = /2.

    E1 Ça paraît bizarre d’égaliser t1 et t2.

    c1 c’est un peu facile... ca ne met pas vraimenten commun les deux équations.

    Prof : En fait, vous avez fait... Vous avez renduvotre différence de temps...

    E1 [qui coupe le Professeur et continue sa phrase] :... tellement petite que t2 est égal à t1 ...

    n1 infiniment petite.

    "3

    "3

    "3

    "3

    "3

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    E1 Enfin, presque égale.E1 Mais ce n’est pas imprécis, à ce moment-là ?n1 Ben non : c’est logique. si tu réduis à fond

    l’intervalle de temps, ça deviendra égal.

    comme on le voit donc, c’est bien la ques-tion posée qui induit l’identification du calcul« en acte » de dérivée et, aussitôt, un débat entreélèves sur sa validité.

    3. 2. 2 A propos des fonctions du troisième degré

    ce premier travail sur les tangentes à unsecond degré met sur le tapis une nouvelleconception de la tangente qui n’est pas encoreen rupture par rapport à la conception initialeen ce sens que toutes deux conduisent auxmêmes résultats. ce qui est d’ailleurs la based’une validation pragmatique. Mais les ques-tions relatives à une fonction du troisième degréles opposeront. le choix d’une conceptions’impose alors sans pouvoir être réglé dansl’immédiat: on ne tranchera qu’après avoir tra-vaillé l’idée d’approximation affine et celled’une tangente « droite-guide » pour tracer legraphique d’une fonction.

    Mais cette partie du parcours didactique sup-pose quelques précautions. En effet, la linéa-rité « à distance finie » observée dans les zoomssuccessifs a été exploitée par tall (1996) et l’aconduit à la notion de « tangente pratique ». cetteidée à été reproduite dans de nombreux manuelset cours d’analyse. Mais, elle présente deuxfaiblesses. d’abord, les exemples se limitent àla tangente dont l’équation est simple (la penteest un entier petit, de même que d’autres coef-ficients figurant dans son équation). commentfaire alors dans le cas où l’équation de la tan-gente n’a pas de coefficients commodes ? Ensui-te, la droite tangente ainsi déterminée et tracéepar le logiciel semble se confondre avec lacourbe. ce fait laissé sans commentaire risque

    d’introduire une fausse idée selon laquelle la cour-be est localement un morceau de la tangente etne fait qu’aggraver l’obstacle empiriste.

    nous présentons ici des interactions entreprofesseur et élèves (Krysinska et schneider,2010) qui invitent à une certaine prudence faceà la linéarité « à distance finie ». d’abord, leprofesseur attire l’attention des élèves sur le phé-nomène observable de la linéarité locale lors des« zooms » successifs : une courbe semble deve-nir une droite, quelle que soit l’écriture de la fonc-tion. Ensuite, les élèves sont invités à déterminerl’équation d’une courbe du troisième degrédont les racines sont égales à – 2 et 1 et qui, aubout des « zooms in » répétés autour de son pointd’intersection avec l’axe des ordonnées, devientpresque la droite d’équation y = 2x + 3. aprèsun certain temps de recherche individuel etcollectif, les élèves obtiennent l’équation

    Mais, quelques-uns expriment leur doute sur lefait qu’une courbe puisse devenir droite, fut-celocalement.

    le professeur revient donc à la question sui-

    vante : la courbe

    devient-elle réellement une droite après lezoom ? certains élèves font afficher simulta-nément la droite et la courbe, et ils font suffi-samment de zooms pour que l’une et l’autre sesuperposent.

    d’autres répondent : « ca ne peut pas deve-nir un segment de droite car il y a la partie en

    x 3 et en x 2. il faudrait que soit

    égal à 0 pour les x autour de 0. c’est donc quela calculatrice nous a trompés. nous voyons un

    y 5 27

    4 x3 2

    134

    x2 1 2x 1 3

    y 5 27

    4 x3 2

    134

    x2 1 2x 1 3

    27

    4 x3 2

    134

    x2

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    segment, mais c’est un morceau d’une courbe »ou encore « lorsqu’on résout l’équation

    en x, on a x = 0 ou x = , seulement deux

    points communs. »

    Une nouvelle question surgit : Pourquoi alorsvoyons-nous le segment de droite d’équation

    ? a la demande du professeur, les

    élèves comparent, avec le tableau numérique affi-ché par la calculatrice, les valeurs numériques

    des deux expressions

    et : «  il n’y a pas d’égalité car, enregardant le tableau numérique avec le pas de1/100, nous pouvons constater une différencede 4/100 ».

    les comparaisons d’autres valeurs de cesexpressions incitent certains à dire que la dif-férence est petite mais qu’elle existe et qu’elle

    vient des termes . Mais, ajou-

    tent-ils, « Pour des valeurs de x très proches de0, cette expression est quasi nulle, est négligeable.la calculatrice ne fait plus de différence et lacourbe se comporte comme un segment dedroite dans le voisinage de 0. ».

    cette première partie du parcours qui s’ins-crit dans une praxéologie « modélisation »débouche donc sur une nouvelle conceptionde la tangente qui est celle de l’analyse à ceciprès que le concept de limite n’est pas encoreformalisé comme il l’est dans ce domainemathématique. il reste du chemin à faire... c’estl’objet de la section suivante.

    27

    4 x3 2

    134

    x2 1 2x 1 3 5 2x 1 3

    2137

    y 5 2x 1 3

    2x 1 3

    27

    4 x3 2

    134

    x2 1 2x 1 3

    27

    4 x3 2

    134

    x2

    3. 3. La tangente au sein de l’analyse, théorie déductive

    Un deuxième niveau praxéologique se meten place à partir d’un projet de mise en ordredéductive des objets (tangentes, vitesses, ...) modé-lisés au terme de praxéologies « modélisa-tion ». Et c’est dans cette nouvelle perspecti-ve que nous avons envisagé les étapes suivantesde notre parcours didactique décrites aux sec-tions 2.4 et 2.5.

    il s’agit d’abord de faire comprendre auxélèves ce que l’on entend, en analyse mathématique,par meilleure approximation locale dans un voi-sinage d’un point. la réflexion de Perrin-Glo-rian (1999) trouve ici sa place : la tangente dis-qualifie toute candidate-sécante à ce rôle parcequ’on exige de ne pas fixer a priori ni la préci-sion de cette approximation, ni la longueur del’intervalle sur lequel on l’envisage.

    ce point de vue est alors mis en relationavec la définition que donne chilov (1974) duconcept de tangente. cette définition porte impli-citement l’idée de quantification : la courbe doitbien pénétrer dans « tout angle » contenant cettetangente, « aussi petit que soit cet angle », et ce,« en s’approchant » du point de contact, c’est-à-dire dans un voisinage donné de ce point. Biensûr, elle est formulée dans un langage géométriqueet fait appel à des connotations de mouvement àtravers les locutions « en s’approchant », « pénètre »et « y reste ». Mais elle donne l’occasion d’ini-tier les élèves à sa traduction formelle et auxécritures typiques de l’analyse dite formalisée. Undiscours approprié doit viser à leur faire comprendreque les connotations géométriques et/ou ciné-matiques sont délibérément évacuées en raisonde leur ambiguïté (que veut dire « s’approcher »par exemple) et que le quantificateur « pourtout » portant sur un réel arbitraire ε évite de devoirconsidérer des idées intraduisibles quand on lesprend isolées comme « ε tend vers 0 ».

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    dans ce travail, la pente de la tangenteapparaît comme une limite de fonction au sensdu mathématicien. Mais, il est nécessaire de fairele lien, pour les élèves, avec le calcul de limi-te en acte fait antérieurement, à la manière delagrange. le discours sur l’unicité de la limi-te, qui «  tombe un peu du ciel  » dans lesmanuels ou livres d’analyse, trouve pleine-ment sa place ici.

    Mais le travail engagé sur l’idée de « meilleu-re approximation » appelle aussitôt une réflexionsur l’erreur commise et l’exigence que porte surelle la nouvelle définition de la tangente dansl’analyse formalisée. l’enjeu, pour l’élève, estde saisir que ce reste doit être pensé en termesde fonction de l’écart des abscisses entre lepoint où la fonction initiale est connue et le pointoù l’on cherche à l’approximer : h ou, avec d’autresnotations, x – x0. on peut soulever ici l’oppor-tunité de choisir un système de notations plu-tôt qu’un autre mais nos observations nouspoussent à souligner une difficulté avérée dansles deux cas : celle de penser ce reste en termesfonctionnels par rapport à la variable indépen-dante ad hoc.

    l’exigence portée sur le reste : tendvers 0 « plus vite » que h à « la manière deh 2 » laisse entrevoir, par ricochet, l’inté-rêt de poursuivre en «  développant  » lafonction suivant un second degré en h, puisun troisième degré,... Et, par conséquent,ouvre une fenêtre sur un potentiel horizonmathématique pour l’élève. l’ensemble dutravail fait à ce niveau praxéologique pré-pare en effet, à plus ou moins long terme,plusieurs aspects de l’analyse dite supé-rieure : la «  différentielle  » en tant quefonction définie mathématiquement, la dif-férentiabilité qui remplacera la dérivabili-té pour les fonctions de plusieurs variables,la définition de fonctions en termes dedéveloppements illimités.

    Conclusion

    cet article illustre, si besoin est, que leconcept de tangente est, comme la plupart desconcepts mathématiques, défini en lien avec unenvironnement global que nous avons expriméen termes de niveaux praxéologiques, tantôt detype modélisation, tantôt de type déduction.Et que, en cela, il peut être « solidaire », du pointde vue des apprentissages et enseignements,d’autres concepts faisant partie du même champconceptuel (au sens de Vergnaud, 1991) qu’estl’analyse mathématique.

    au premier niveau praxéologique, lesobjets appréhendés de prime abord sur unmode plus ou moins intuitif et décrits souventdans un contexte restrictif deviennent définispar la technique qui permet de les déterminer: ici, un calcul de limite « en acte » définit unnombre dérivé comme objet premier et, par là,une tangente comme objet second. déjà là, pourde nombreuses fonctions relativement simples,un progrès doit être réalisé dans les pratiquesenseignantes où l’on observe un cercle vicieuxà propos de la tangente - lié à l’obstacle empi-riste - dont il n’est pas clair qu’elle préexisteou non à la dérivée. Quant à la définition pri-mitive d’une tangente comme droite rencon-trant la courbe en un seul point sans la traver-ser, qui peut être opératoire dans la géométrieaffine des coniques, elle doit être disqualifiéeà ce niveau aux yeux des élèves pour autant qu’onleur explique ceci : la définition d’un conceptn’est jamais qu’un choix provisoire et l’onpeut en changer, quitte à contredire la précé-dente, en raison de son champ d’opérationna-lité dans une problématique donnée.

    au second niveau praxéologique, lesdéfinitions données aux objets : limite,fonction, dérivée, tangente se doivent depermettre la mise en place d’une organisa-tion déductive autonome, l’analyse mathé-

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    QueLLe DefiNiTiON Du

    cONcepT De TANgeNTe ?…

    matique proprement dite, coupée de sesliens avec la géométrie et la physique d’oùsont issues les problématiques qui lui ontdonné naissance. là aussi, l’empirisme seheurte à une perspective lakatosienne des défi-nitions ainsi que montré par Job (2011 et sou-mis pour publication).

    En effet, ce dernier dénonce globalementle risque majeur lié à l’entendement même dece qu’est une « définition » réduite trop souvent,dans l’enseignement, à des « descriptions d’objetmental ». Et c’est bien pour éviter ce risque quenous avons construit le parcours didactiquedécrit et analysé dans cet article.

    Références

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