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Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2001 ; 49 : 335-6 0 2001 Editions scientifiques et mCdicales Elsevier SAS. Tous droits rkservk Chronique du PMSI Quelle mesure pour quelle pratique ? (Le PMSI en psychiatric infanto-juvenile) P. Delaroche* Pkdopsychiatre, h6pital de jour pour adolescents de Ville-d’Avray, 92410 Ville-d’Avray, France Les pedopsychiatres et leurs Cquipes decouvrent avec stupeur, incredulite, revolte, le monstre intitule PMSI’ qu’on ne leur laisse qu’entrevoir pour l’instant et qu’on veut leur imposer pour mesurer leur travail. Ce monstre encore inconnu en grande partie est le produit secret, de dix ans de travail, nous dit-on2 de groupes d’experts dont on aimerait, soit dit en passant, faire la connaissance tant la reaction des pedopsychiatres unanimement reconnus est vive devant les inconsequences multiples de ce texte : dix ans en effet n’ont pas suffi, par exemple, pour inscrire dans ce questionnaire la scolarite des enfants et adolescents et ne plus les considerer comme des adultes ! D’apres ce qu’on veut bien nous montrer, il s’agirait de ne prendre en compte que le quantitutif de l’acte medical en le referant a des groupes homo- genes de malades ou des groupes homogenes de joumees, ce qui aboutirait a une evaluation de 1 ‘acte clinique (!) On obtiendrait ainsi des chiffres coupes de toute realite, mais qui permettraient de comparer des coats rnkdico-techniques (sic) pretendument lies a la prise en charge des patients et a leurs caracteris- tiques medico-sociales. A cBtC de ce fatras 1’Assurance Maladie a heureu- sement adresse recemment aux medecins une circu- laire sur la classification commune des actes mkdicaux (CCAM) destinee precisement au PMSI, qui met le jour sur les intentions de nos technocrates : il s’agit d’un ambitieux programme base sur le principe de (( l’acte global 1) pour aboutir a une * Correspondance et tire% ripart. Programme de Mkdicalisation des Systkmes Informatiques ’ C. Bronnec, minis&e de I’Emploi et de la SolidaritC, direction de I’hospitalisation et de I’organisation des soins - Neuropsychiatrie de I’Enfance 2001 : 49 : 257-63. (( nomenclature neutre )j3, s’appuyant sur le travail medical Cvalue independamment du cot3 et sur le cot3 de la pratique. Chaque acte, s’inserera dans une hierarchic et pourra etre compare (par le biais du tout) a l’acte d’une autre specialite. Le travail medical est une combinaison de quatre composantes : le stress, la dure’e de 1 ‘acte, la technicite’ et 1‘effort mental, donnees subjectives comparees, pour les objectiver, a des actes de reference. Exemple (( colectomie totale avec conservation du rectum et avec anastomose ileorectale, par laparotomie )) (chirurgie digestive) - (( colpohysterectomie )) Clargie aux parametres, avec lymphadenectomie pelvienne, par laparotomie (chirurgie gynecologique). Ces analogies quantitatives laissent reveur mais s’adap- tent, parait-il, a la medecine, la chirurgie et l’obste- trique (MCO), neanmoins, le Professeur Debre, chef de service d’urologie de Cochin signale (( que l’attri- bution des points ISA (indice synthetique d’activite), points de reference de l’activite Ctablis grace a cette nomenclature aboutit a des “manipulations” et surtout des hospitalisations intempestives )) telles que son service, voyant 10 000 malades de plus en consultation que tel autre, beneficiera d’un million de points ISA en moins que ce demier. Mais l’application du PMSI en psychiatric ne peut que revolter les psychiatres dignes de ce nom. L’analogie entre specialites sur laquelle repose ce systeme va conduire dans le meilleur des cas a comparer, le cotit d’un acte chirurgical a celui d’un psychodrame ! Certes, on comprend que certains psychiatres rest& nostalgiques du pouvoir medical cherchent a tout prix (c’est le cas de le dire) a rester ’ InspirC comme il se doit du departement de Sante publique d’l-larvard B Boston.

Quelle mesure pour quelle pratique ? (Le PMSI en psychiatrie infanto-juvénile)

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Page 1: Quelle mesure pour quelle pratique ? (Le PMSI en psychiatrie infanto-juvénile)

Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2001 ; 49 : 335-6 0 2001 Editions scientifiques et mCdicales Elsevier SAS. Tous droits rkservk

Chronique du PMSI

Quelle mesure pour quelle pratique ? (Le PMSI en psychiatric infanto-juvenile)

P. Delaroche*

Pkdopsychiatre, h6pital de jour pour adolescents de Ville-d’Avray, 92410 Ville-d’Avray, France

Les pedopsychiatres et leurs Cquipes decouvrent avec stupeur, incredulite, revolte, le monstre intitule PMSI’ qu’on ne leur laisse qu’entrevoir pour l’instant et qu’on veut leur imposer pour mesurer leur travail. Ce monstre encore inconnu en grande partie est le produit secret, de dix ans de travail, nous dit-on2 de groupes d’experts dont on aimerait, soit dit en passant, faire la connaissance tant la reaction des pedopsychiatres unanimement reconnus est vive devant les inconsequences multiples de ce texte : dix ans en effet n’ont pas suffi, par exemple, pour inscrire dans ce questionnaire la scolarite des enfants et adolescents et ne plus les considerer comme des adultes !

D’apres ce qu’on veut bien nous montrer, il s’agirait de ne prendre en compte que le quantitutif de l’acte medical en le referant a des groupes homo- genes de malades ou des groupes homogenes de joumees, ce qui aboutirait a une evaluation de 1 ‘acte clinique (!) On obtiendrait ainsi des chiffres coupes de toute realite, mais qui permettraient de comparer des coats rnkdico-techniques (sic) pretendument lies a la prise en charge des patients et a leurs caracteris- tiques medico-sociales.

A cBtC de ce fatras 1’Assurance Maladie a heureu- sement adresse recemment aux medecins une circu- laire sur la classification commune des actes mkdicaux (CCAM) destinee precisement au PMSI, qui met le jour sur les intentions de nos technocrates : il s’agit d’un ambitieux programme base sur le principe de (( l’acte global 1) pour aboutir a une

* Correspondance et tire% ri part. ’ Programme de Mkdicalisation des Systkmes Informatiques ’ C. Bronnec, minis&e de I’Emploi et de la SolidaritC, direction de I’hospitalisation et de I’organisation des soins - Neuropsychiatrie de I’Enfance 2001 : 49 : 257-63.

(( nomenclature neutre )j3, s’appuyant sur le travail medical Cvalue independamment du cot3 et sur le cot3 de la pratique. Chaque acte, s’inserera dans une hierarchic et pourra etre compare (par le biais du tout) a l’acte d’une autre specialite. Le travail medical est une combinaison de quatre composantes : le stress, la dure’e de 1 ‘acte, la technicite’ et 1 ‘effort mental, donnees subjectives comparees, pour les objectiver, a des actes de reference. Exemple (( colectomie totale avec conservation du rectum et avec anastomose ileorectale, par laparotomie )) (chirurgie digestive) - (( colpohysterectomie )) Clargie aux parametres, avec lymphadenectomie pelvienne, par laparotomie (chirurgie gynecologique). Ces analogies quantitatives laissent reveur mais s’adap- tent, parait-il, a la medecine, la chirurgie et l’obste- trique (MCO), neanmoins, le Professeur Debre, chef de service d’urologie de Cochin signale (( que l’attri- bution des points ISA (indice synthetique d’activite), points de reference de l’activite Ctablis grace a cette nomenclature aboutit a des “manipulations” et surtout des hospitalisations intempestives )) telles que son service, voyant 10 000 malades de plus en consultation que tel autre, beneficiera d’un million de points ISA en moins que ce demier.

Mais l’application du PMSI en psychiatric ne peut que revolter les psychiatres dignes de ce nom. L’analogie entre specialites sur laquelle repose ce systeme va conduire dans le meilleur des cas a comparer, le cotit d’un acte chirurgical a celui d’un psychodrame ! Certes, on comprend que certains psychiatres rest& nostalgiques du pouvoir medical cherchent a tout prix (c’est le cas de le dire) a rester

’ InspirC comme il se doit du departement de Sante publique d’l-larvard B Boston.

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dans le giron de la medecine. Alors que c’est preci- sement un changement de discours par rapport au discours medical, qui donne au psychiatre leur speci- kite (la psychotherapie) et leur efficacite a l’hopital general - le medecin en effet, ecoute dans le dire du patient les signes qu’il pourra regrouper dans un syndrome, le psychiatre au contraire, les signifiunts qui font sens dans I’histoire du malade. 11 est vrai que le psychiatre est aussi medecin, comme le montre sa fonction diagnostique et soignante (chimiotherapie, electrochocs.. .) c’est bien pourquoi la psychiatric ne saurait etre separee de la medecine. Mais comment peut-on comparer l’acte psychothepeutique du psychiatre, a l’acte du medecin ou du chirurgien ? Comment en effet Cvaluer le stress face a un malade mental, avec quoi comparer la dure’e d’une seance de psychotherapie, avec quoi mesurer la technicite’ d’une intervention interpretative, comment enfin definir 1 ‘effort mental pour comprendre un compor- tement ? Si on raisonne en temps quantitatif en effet, ce sont les psychiatres les plus incompetents qui devraient beneficier le plus des points ISA !

C’est pourquoi l’absurdite, les contradictions, le danger de l’application de ce PMSI culminent en pedopsychiatrie, la ou - Dieu merci - l’activite psychotherapeutique reste preponderante. 11 ne faudrait pas en deduire cependant que nous remsons toute evaluation, loin de la. J’ai pratique pour ma part une etude statistique a l’aide de certains items caracterisant la prise en charge des adolescents en hopital de jour : d’apres ma recherche ce sont les

troubles du comportement (qualifies de caracteriels ou de psychopathes) qui necessitaient la prise en charge la plus lourde, cotitaient done le plus cher, et cela pour un resultat quasiment nul. Cela nous a amen& a mieux cerner nos indications. Mais ce qui Ctait valable pour notre Ctablissement, aurait pu etre totalement different pour un autre, plus adapte a cette pathologie. On voit dans ce bref exemple qu’on ne peut &parer le quantitatif du qualitatif et de la tina- lit6 de l’institution. Et on pourrait t-ever d’une evaluation adaptee a celle-ci - or, dans le PMSI, on nous annonce qu’ x il n ‘y a pas de recueil de 1 ‘acti- vite’ pour l’hospitalisation - complete ou partielle : “la consommation de soins” dans ces cas est sup- pose’e avoir Ltte’ bvalue’e ~3 partir des expe’rimenta- tions ante’rieures )14. Si I’evaluation a CtC faite ante- rieurement, et c’est le but du controle de nos tutelles (Direction de l’action sanitaire et sociale et securite sociale), a quel peut done servir ce pretendu outil : contradictoire, mauvais, dangereux et couteux ? Car, last but not least, ce sont des sommes considerables qui doivent etre depensees pour cette mise on place alors meme que la pedopsychiatrie est en crise (manque criant de place dans les hopitaux de jour, penurie desastreuse de pedopsychiatres) et que, par exemple, on nous refuse depuis dix ans les 170 OOOF (par an !) necessaires a notre service de suite !

4 Encore le PMSI oti les aventures de la SFPEA et de I’API (circulaire de la Soci& fran$aise de psychiatric de l’enfant et de I’adolescent). C’est moi qui souligne.