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QUELLE RESPONSABILITÉ PÉNALE POUR LES ÉLUS LOCAUX ? LA RÉACTION DE RENÉ DOSIÈRE, PRÉSIDENT DE L’OBSERVATOIRE DE L’ÉTHIQUE PUBLIQUE ET MEMBRE HONORAIRE DU PARLEMENT.
En associant les élus locaux à la mise en œuvre du
« déconfinement » en particulier la réouverture des
établissements scolaires, le Gouvernement a vu surgir -
spontanément ?- la question de la responsabilité pénale des
intéressés. Pourtant, depuis la loi du 10 juillet 2000 sur les délits
non intentionnels, que j’ai co-rédigée, en tant que rapporteur de
l’Assemblée nationale, avec Elisabeth Guigou, Garde des sceaux
et Pierre Fauchon sénateur aujourd’hui décédé, cette question ne
se pose plus.
Quelle était la législation antérieure ? S’agissant des délits non intentionnels, c’était la
fonction même des intéressés qui les rendait responsables pénalement des dommages causés, alors
même qu’ils n’avaient qu’un rapport lointain les faits. Le syndrome de la chute fortuite d’un
panneau de basket occasionnant le décès d’une personne conduisant automatiquement l’enseignant
et le maire devant le tribunal correctionnel existait dans tous les esprits. Alors que la sanction d’un
délit repose sur une faute intentionnelle ou directe, le code pénal concernait de la même manières
les délits non intentionnels, alors même que la responsabilité des auteurs était particulièrement
ténue et indirecte.
Cette législation ne s’appliquait pas seulement aux élus locaux qui disposent avec les
sénateurs, qu’ils élisent, d’une caisse de résonance efficace. Elle concernait également tous les
décideurs publics et privés : enseignants, médecins hospitaliers, directeurs d’hôpitaux et
d’établissements scolaires, fonctionnaires d’autorité, responsables associatifs, organisateurs de
manifestations culturelles et sportives etc.
La modification de la loi a donc eu un impact considérable. En quoi consiste-t-elle ?
Désormais, en cas de délits non intentionnels, la responsabilité pénale n’est applicable que si trois
éléments sont réunis : l’existence d’une « faute caractérisée », c'est-à-dire une faute non ordinaire
ou fugace, mais une faute dont les critères sont bien marqués, affirmés avec netteté. Il faut, en
outre, qu’elle expose autrui à un risque que l’auteur ne pouvait ignorer. Enfin ce risque doit
présenter une particulière gravité. Conséquence de cette nouvelle législation : la suppression de la
confusion existante depuis un siècle (1912) entre les fautes pénales et civiles d’imprudence au point
qu’une relaxe pénale faisait obstacle à une indemnisation civile. Désormais l’instance civile est
indépendante de la procédure pénale. Une véritable révolution juridique. Enfin la loi impose aux
collectivités la prise en charge financière des frais de justice pour les élus faisant l’objet de
poursuites pénales en cas de faute détachable, à l’instar de ce qui existait pour les fonctionnaires.
L’élaboration du texte s’est avérée particulièrement délicate. Le vote initial de la proposition
de loi sénatoriale a suscité une campagne de presse laissant craindre qu’il s’agissait d’un régime de
faveur pour les élus locaux, d’une espèce d’amnistie.A l’occasion de l’examen du texte à
l’Assemblée, il a fallu combattre cette campagne, d’une part en exposant que les élus n’étaient pas
les seuls concernés, et surtout en choisissant une rédaction suffisamment précise et explicite. Ce fut
l’occasion de nombreux échanges entre les deux rapporteurs et la ministre de la justice Elisabeth
Guigou, assistée de son directeur de cabinet Christian Vigouroux, dont les relations avec le Sénat
étaient parfois tendues.
Il fallait rassurer les associations de victimes, inquiètes voire réticentes de ce changement de
législation et dont les préoccupations étaient relayées par les média ; convaincre les organisations
professionnelles que cette modification n’aurait pas de conséquences sur la législation du travail.
Pour y parvenir il a fallu prendre le temps d’écouter et ensuite préciser le texte. Le choix de chaque
mot a fait l’objet de toutes les attentions : un vrai travail de dentelle guidé par la préoccupation
qu’on ne touche à la loi pénale que d’une main tremblante. Objectif atteint puisque c’est un vote
unanime dans les deux assemblées qui est intervenu, ce qui n’avait pas été le cas lors de la première
lecture. Enfin il a fallu surmonter les réticences de nombreux parlementaires - et non des moindres -
envers les magistrats accusés d’ignorer les intentions du législateur et d’interpréter trop largement
les textes votés. De leur côté, les magistrats s’offusquaient de ces procès d’intention, en soulignant
que les textes votés étaient flous et manquaient de précisions sur les intentions du législateur. C’est
pourquoi, j’ai pris soin d’être d’une précision extrême dans chacun de mes deux rapports afin
qu’aucune incertitude ne subsiste sur les intentions du législateur. Les plus hauts magistrats de
l’époque m’ont d’ailleurs exprimé leur satisfaction. Restait à voir comment la loi serait appliquée.
Près de vingt ans d’application de la loi ont satisfait tous les intéressés, en particulier les
associations de victimes. Lors d’un colloque au Sénat en 2006 pour un bilan des premières années,
le président de la fédération nationale des victimes d’accidents collectifs déclarait : « Cette loi ne
donne plus à ce jour matière à inquiétude aux parties civiles et aux associations de victimes. Je vous
conseille de ne plus rien changer à cette loi ». En 2010, l’éditorial d’une revue juridique des
collectivités territoriales disait : « La jurisprudence porte en elle les preuves de la sagesse de la loi.
La démesure a enfin cédé à l’équilibre (…) le droit a renoué avec la justice ». Mais comme le
changement dans les têtes s’effectue plus lentement que la législation, certains élus locaux - voire
des parlementaires mal informés - ont continué à vivre avec le syndrome du panneau de basket. A
l’occasion de la mise en œuvre de l’urgence sanitaire, l’association des maires a rallumé ce feu,
pour des motifs politiciens. La proximité des élections sénatoriales explique sûrement le vote
unanime du Sénat, y compris chez les sénateurs connus pour leur absence de démagogie. Le
Premier ministre s’est courageusement opposé à une modification de la loi car elle était injustifiée,
mais sa majorité a succombé à la démagogie ambiante.
Ainsi, en commission mixte Sénat-Assemblée, l’article 121-3 du code pénal sur les délits
non intentionnels est complété par cette rédaction : « [cet article] est applicable en tenant compte
des compétences ,du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de
crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire ainsi que la nature de ses missions ou de ses fonctions,
notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».
Une modification dans l’urgence, la précipitation et l’improvisation d’une législation pénale
élaborée aussi rigoureusement et qui donne satisfaction n’avait donc aucune justification juridique
et constitue une double faute politique. Outre que le choix de termes aussi généraux qu’imprécis
dans la législation pénale ne grandit pas le travail législatif, cette formulation ouvre un boulevard
aux juges pour interpréter cas par cas les éventuels délits ce qui ne renforce aucunement la
sécurisation des intéressés. C’est dire l’actualité de cette phrase de Charles Péguy : « La guerre
contre la démagogie est la plus dure de toutes les guerres(…)Le triomphe de démagogies est
passager. Mais les ruines sont éternelles ».
René Dosière
Membre honoraire du Parlement.
Retrouvez l’interview de René Dosière, Président de l’Observatoire de l’éthique
publique et membre honoraire du Parlement, dans Le Point.
RESPONSABILITÉ PÉNALE DES MAIRES : « UN COUP POLITIQUE » SELON RENÉ DOSIÈRE LE LIEN : HTTPS://WWW.LEPOINT.FR/DEBATS/RESPONSABILITE-PENALE-DES-MAIRES-UN-COUP-POLITIQUE-SELON-RENE-DOSIERE-12-05-2020-2375084_2.PHP
René Dosière est un peu en rogne. L'ex-député, devenu président de l'Observatoire de
l'éthique publique, n'a pas du tout aimé la séquence des derniers jours, qui a vu le Sénat puis
l'Assemblée toucher à une loi qui, selon lui, donne entière « satisfaction » depuis vingt ans : la loi
dite Fauchon. Votée en 2000, elle encadre la responsabilité pénale des maires, fonctionnaires ou
dirigeants en édictant la notion de délit non intentionnel. C'est d'ailleurs le premier motif de sa
grogne : si le sénateur du Loir-et-Cher Pierre Fauchon est à l'origine de cette proposition de loi, c'est
lui, René Dosière, qui l'a largement remaniée, sous l'impulsion d'un Laurent Fabius alors au
Perchoir et, déjà, gardien vétilleux des textes de loi (il préside aujourd'hui le Conseil
constitutionnel). Nommé rapporteur, Dosière dit avoir beaucoup consulté, négocié puis retravaillé
ce texte. La version finale a d'ailleurs été adoptée à l'unanimité par les deux chambres. Il serait donc
juste, selon lui, que les médias parlent de « loi Fauchon-Dosière ».
Cette paternité rappelée, René Dosière s'attaque au fond du problème. Pourquoi diable, lors
du vote sur la prolongation de l'état d'urgence sanitaire, avoir introduit une nouvelle notion qui
exonère un peu plus les élus ? Validée par le Conseil constitutionnel lundi soir, cette notion est,
selon Dosière, beaucoup trop vague : leur responsabilité doit être appréciée au regard « des
compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise
ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions,
notamment en tant qu'autorité locale ou employeur ». Pour parler de façon un peu plus claire, le
texte donne la possibilité d'atténuer la responsabilité de l'élu en cas de contamination d'une personne
par le coronavirus, puisqu'il n'agit pas forcément de son propre chef pour faire appliquer les règles
sanitaires.
C'est bien ce qui énerve Dosière. En ajoutant une formulation assez vague à un texte à ses
yeux précis, les parlementaires donnent un pouvoir d'appréciation au juge, en cas de saisie. L'ex-
député y voit un « coup politique » de l'Association des maires de France, à l'origine de cette
initiative, et du Sénat, alors que les municipales et les sénatoriales sont en ligne de mire. Il s'en
explique.
LE POINT : LES MAIRES, AVANT TOUT, ÉTAIENT INQUIETS DE VOIR LEUR RESPONSABILITÉ PÉNALE ENGAGÉE EN CAS DE CONTAMINATION PAR LE CORONAVIRUS. VOUS N'ENTENDEZ PAS CETTE CRAINTE ?
René Dosière : Je trouve surtout que la modification de la loi du 10 juillet 2000 sur les délits
non intentionnels était inutile. C'est un coup d'épée dans l'eau. Les sénateurs et l'Association des
maires de France ont fait n'importe quoi, dans l'urgence et la précipitation. Depuis l'adoption de la
loi en 2000, la question de la responsabilité pénale des élus locaux ne se pose plus. Avant, les élus
étaient, de par leur fonction, pénalement responsables des dommages causés, alors même qu'ils
n'avaient qu'un rapport lointain avec les faits. L'intention n'était pas nécessaire. C'était le syndrome
du panneau de basket : sa chute fortuite sur un élève, provoquant sa mort, avait automatiquement
conduit l'enseignant et le maire devant le tribunal correctionnel.
QU'A CHANGÉ LA LOI DE 2000 ?
Désormais, en cas de délits non intentionnels, la responsabilité pénale d'un élu, d'un
fonctionnaire ou d'un dirigeant n'est applicable que si trois éléments sont réunis : l'existence d'une
« faute caractérisée », c'est-à-dire une faute non ordinaire ou fugace, mais une faute dont les critères
sont affirmés avec netteté ; il faut, en outre, qu'elle expose autrui à un risque que l'auteur ne pouvait
ignorer ; enfin, ce risque doit présenter une particulière gravité. Cette nouvelle législation
supprimait la confusion vieille d'un siècle entre les fautes pénales et civiles d'imprudence, au point
qu'une relaxe pénale faisait obstacle à une indemnisation civile. Désormais, l'instance civile est
indépendante de la procédure pénale. Une véritable révolution juridique. La loi impose aussi aux
collectivités la prise en charge financière des frais de justice pour les élus qui font l'objet de
poursuites pénales en cas de faute détachable, à l'instar de ce qui existait pour les fonctionnaires.
Au départ, la proposition de loi a suscité une campagne de presse, qui critiquait un régime de faveur
pour les élus locaux, une espèce d'amnistie. Mais, après un travail de dentelle guidé par la
préoccupation qu'on ne touche à la loi pénale que d'une main tremblante, l'objectif a été atteint.
C'est un vote unanime dans les deux assemblées qui est intervenu. Près de vingt ans d'application de
la loi ont satisfait tous les intéressés, en particulier les associations de victimes. Lors d'un colloque
au Sénat en 2006 pour un bilan des premières années, le président de la Fédération nationale des
victimes d'accidents collectifs a dit : « Cette loi ne donne plus à ce jour matière à inquiétude aux
parties civiles et aux associations de victimes. Je vous conseille de ne plus rien changer à cette loi. »
Y A-T-IL EU DEPUIS 2000 DES CONDAMNATIONS PÉNALES DE MAIRES OU DE TOUTE AUTRE PERSONNE CONCERNÉE PAR CETTE LOI ?
Non, aucune, alors que des situations auraient pu en entraîner (chaque année de nombreux
élus sont toutefois condamnés pour d'autres raisons, comme le manquement à la probité, NDLR). Il
y a eu en revanche des indemnisations civiles, ce qui n'était pas autorisé jusqu'alors en cas de relaxe
au pénal. Les associations de victimes sont satisfaites. Elles ne cherchent pas la vengeance, elles
cherchent la justice.
COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS L'INITIATIVE PARLEMENTAIRE DE RENFORCER LA PROTECTION QUE LA LOI DE 2000 OCTROIE DÉJÀ AUX MAIRES OU AUX FONCTIONNAIRES ?
Le Premier ministre était contre le premier texte proposé par le Sénat, car il considérait que
la rédaction de la loi de 2000 était déjà assez nette et protectrice, et qu'elle satisfaisait tout le monde.
En matière pénale, on ne joue pas avec les mots, et la rédaction finale de l'article 121-3 du Code
pénal est trop imprécise. Elle va entraîner l'alternative suivante : soit le juge ne s'en servira pas,
estimant cet article trop général pour aller plus loin, soit il l'interprétera justement parce qu'il est
rédigé en des termes flous. L'ennui, c'est qu'un autre juge pourra l'interpréter différemment ! C'est
un boulevard qui leur est ouvert. Au lieu de sécuriser la responsabilité des élus, ce texte risque de
l'aggraver. Mais il ne s'agissait pas de faire du droit, il s'agissait de faire de la politique. On est dans
une période d'élections municipales et sénatoriales. Les maires sont à l'origine de ce texte, et les
sénateurs sont sensibles aux maires, qui sont aussi leurs électeurs. Ce texte, c'est un coup politique.