5
Article original Quelles actions daccompagnement pour une coopération internationale ? Possible actions to guide international cooperation programs A. Beauplet ETS Bretagne EST, rue Pierre-Jean-Gineste, BP 1609, 35016 Rennes, France Disponible sur internet le 28 août 2006 Résumé La transfusion est un chaînon essentiel du fonctionnement des services de santé. Face aux difficultés rencontrées dans les pays à faible revenu, des interventions sont réalisées par des établissements français afin de soutenir le système transfusionnel dans différentes régions du monde. Cet article évoque plusieurs expériences de coopération et propose une réflexion sur les conditions qui permettent que ces actions soient efficaces. Lauteur évoque différents aspects dont la présence est nécessaire pour assurer le succès des réorganisations entreprises et de laccompagnement mis en place. Sur un premier plan, il sagit de la définition des responsabilités, le rôle directorial et managérial devant revenir aux structures gouvernementales. Ensuite, se pose la question de la gestion des ressources à disposition que ce soient les ressources humaines, léquipement ou encore les ressources matérielles. Un troisième point concerne les contributions qui peuvent être apportées pour la réalisation du produit lui- même. Enfin, larticle insiste sur la question de lévaluation de laction et de son amélioration constante. À lissue de cette évocation des moda- lités de la coopération, lauteur présente certaines des actions engagées par létablissement français du sang au cours des dernières années, en Afghanistan, en Amérique latine et en Afrique. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Transfusion is an essential element of health services. French HCOs are thriving to sustain the transfusional system throughout the world, especially to support low income countries. This article evokes several tentative cooperation experiences and proposes to think over conditions which would make it possible for such actions to become more efficient. The author sets out different aspects making the undertaken restructur- izing and implemented support successful operations. First is about the definition of responsibilities, supervision and management as dedicated to the public authorities. Second deals with the management of disposable resources, whatever they be of human, equipment or material nature. A third item is devoted to contributions (sup- ports) that may help the implementation of the product itself. The article finally stresses the importance of the action (program) quality assess- ment and continuous improvement. Further to his reporting on the cooperation methods, the author presents some of the actions undertaken by the Etablissement Français du Sang (National Blood Agency) in the last few years in Afghanistan, Latin America and Africa. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Transfusion sanguine ; Coopération ; Qualité ; Établissement français du sang Keywords: Blood transfusion; Cooperation; Quality; Établissement français du sang Dans la continuité des contributions précédentes, mon pro- pos vise à cerner les facteurs daccompagnement quon peut proposer dans un cadre de coopération : comment faire en sorte, en développant des actions, que lon nait pas limpres- sion de faire un « saupoudrage » dans différents pays, mais, bien au contraire, davoir une logique daccompagnement de la coopération. Partons dun constat : la transfusion est une pratique inévi- table quel que soit le stade du pays considéré quil soit développé ou émergent. La transfusion est nécessaire dans les mêmes situations, que celles-ci soient chirurgicales ou médica- les. La transfusion est incontournable, et il est clair que le niveau de la sécurité sanitaire dun pays dépend de son niveau transfusionnel. Il mest arrivé de voir dans des pays lointains http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/ Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 206210 Adresse e-mail : [email protected] (A. Beauplet). 1246-7820/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.tracli.2006.07.005

Quelles actions d'accompagnement pour une coopération internationale ?

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Quelles actions d'accompagnement pour une coopération internationale ?

http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/

Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 206–210

Article original

Quelles actions d’accompagnement pour une coopération internationale ?

Possible actions to guide international cooperation programs

A. BeaupletETS Bretagne EST, rue Pierre-Jean-Gineste, BP 1609, 35016 Rennes, France

Disponible sur internet le 28 août 2006

Résumé

La transfusion est un chaînon essentiel du fonctionnement des services de santé. Face aux difficultés rencontrées dans les pays à faible revenu,des interventions sont réalisées par des établissements français afin de soutenir le système transfusionnel dans différentes régions du monde. Cetarticle évoque plusieurs expériences de coopération et propose une réflexion sur les conditions qui permettent que ces actions soient efficaces.L’auteur évoque différents aspects dont la présence est nécessaire pour assurer le succès des réorganisations entreprises et de l’accompagnementmis en place. Sur un premier plan, il s’agit de la définition des responsabilités, le rôle directorial et managérial devant revenir aux structuresgouvernementales. Ensuite, se pose la question de la gestion des ressources à disposition que ce soient les ressources humaines, l’équipement ouencore les ressources matérielles. Un troisième point concerne les contributions qui peuvent être apportées pour la réalisation du produit lui-même. Enfin, l’article insiste sur la question de l’évaluation de l’action et de son amélioration constante. À l’issue de cette évocation des moda-lités de la coopération, l’auteur présente certaines des actions engagées par l’établissement français du sang au cours des dernières années, enAfghanistan, en Amérique latine et en Afrique.© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Transfusion is an essential element of health services. French HCO’s are thriving to sustain the transfusional system throughout the world,especially to support low income countries. This article evokes several tentative cooperation experiences and proposes to think over conditionswhich would make it possible for such actions to become more efficient. The author sets out different aspects making the undertaken restructur-izing and implemented support successful operations.

First is about the definition of responsibilities, supervision and management as dedicated to the public authorities. Second deals with themanagement of disposable resources, whatever they be of human, equipment or material nature. A third item is devoted to contributions (sup-ports) that may help the implementation of the product itself. The article finally stresses the importance of the action (program) quality assess-ment and continuous improvement.

Further to his reporting on the cooperation methods, the author presents some of the actions undertaken by the Etablissement Français duSang (National Blood Agency) in the last few years in Afghanistan, Latin America and Africa.© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Transfusion sanguine ; Coopération ; Qualité ; Établissement français du sang

Keywords: Blood transfusion; Cooperation; Quality; Établissement français du sang

Dans la continuité des contributions précédentes, mon pro-pos vise à cerner les facteurs d’accompagnement qu’on peutproposer dans un cadre de coopération : comment faire ensorte, en développant des actions, que l’on n’ait pas l’impres-sion de faire un « saupoudrage » dans différents pays, mais,

Adresse e-mail : [email protected] (A. Beauplet).

1246-7820/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservésdoi:10.1016/j.tracli.2006.07.005

bien au contraire, d’avoir une logique d’accompagnement dela coopération.

Partons d’un constat : la transfusion est une pratique inévi-table quel que soit le stade du pays considéré — qu’il soitdéveloppé ou émergent. La transfusion est nécessaire dans lesmêmes situations, que celles-ci soient chirurgicales ou médica-les. La transfusion est incontournable, et il est clair que leniveau de la sécurité sanitaire d’un pays dépend de son niveautransfusionnel. Il m’est arrivé de voir dans des pays lointains

.

Page 2: Quelles actions d'accompagnement pour une coopération internationale ?

1 Voir sur ce point l’intervention de Neelam Dhingra et Valentine Hafner,pour l’OMS, dans le même dossier.

A. Beauplet / Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 206–210 207

des « fleurons » chirurgicaux — des salles d’opération, deschirurgiens parfaitement formés dont pouvaient s’enorgueillirles directeurs d’hôpitaux — et lorsque l’on demandait quelétait le niveau de la transfusion, on voyait la complexité dudispositif… Je veux dire par là que cela ne sert à rien, dansun pays, d’avoir une structure chirurgicale avec des chirurgienscapables de greffer des cœurs — ce qu’on peut voir dans beau-coup de pays au monde — si en même temps la transfusionn’est pas de haut niveau. À qui revient la grande partie dumérite ? Autant au chirurgien qu’à l’anesthésiste qui va teniren vie quelqu’un qui n’a plus de cœur et à qui on va en grefferun nouveau. Et si celui-ci n’a pas l’outil transfusionnel à lahauteur de ses espérances, il aura de grandes difficultés et lesconditions seront difficiles pour lui, autant, bien sûr, que pourle chirurgien. Donc il est fondamental de bien intégrer le mes-sage — et nous le faisons toujours passer auprès des instancesministérielles des différents pays dans lesquels nous interve-nons — selon lequel le maillon transfusionnel, quel que soitle pays, est fondamental et incontournable pour élever leniveau de la sécurité sanitaire.

Je passe très rapidement sur la chaîne transfusionnelle : c’estune succession d’événements qui nous amène du donneur aureceveur. Le « cœur de métier » est une couche technique quipermet, tout au long du cheminement du produit et de l’échan-tillon, d’arriver à une distribution dans les conditions les meil-leures. C’est une chaîne et le maillon le plus faible va permettrede déterminer la force de la chaîne. La qualification des pro-duits est quelque chose d’important pour amener la sécurité. Sion n’est pas à un niveau adéquat de qualification biologiquedes produits, il est clair que cette chaîne transfusionnelle vaprésenter une faille.

Notre objectif est de répondre à la demande. Il s’agit d’unedemande quantitative — pouvoir disposer du sang en quantitésuffisante — et également qualitative — éviter la transmissionde toutes les pathologies par la transfusion du sang. Et puistout cela doit s’inscrire dans un processus de qualité, commeon le voit dans les recommandations de l’OMS : il s’agit defaire en sorte que notre démarche puisse être un point de départet se continue dans le futur. Les chiffres d’aujourd’hui sontconnus : 17 % de la population des pays développés disposentde 60 % des 75 millions unités de sang recueillies. C’est direl’ampleur du problème : les pays en développement représen-tent 83 % de la population mondiale et n’ont accès qu’à 40 %des ressources en sang. Plus fort encore, ce sang, pour 43 %n’est pas testé. Cela revient à dire qu’en voyageant dans lemonde, on découvre bien des soucis transfusionnels. C’estassez inadmissible qu’on en soit là. Je prends un exemple quiconcerne les femmes, étant gynécologue de formation. Je neconnais pas d’hémorragie cataclysmique plus grave que l’hé-morragie de la délivrance. C’est cette situation banale, de lafemme qui accouche ; le bébé naît; il est rose, la femme vabien… Et d’un seul coup çà se met à saigner et ça va trèsvite — l’artère utérine, en fin de grossesse, c’est la taille dupetit doigt. Et vous ne comprenez pas pourquoi il n’y a pasde sang à disposition. Aujourd’hui, il y a encore, du simplefait d’une grossesse qui n’est pas une pathologie — c’est là

qu’il faut mettre l’accent — des femmes qui meurent parceque qu’il n’y a pas de sang à disposition dans de nombreuxpays. Cela doit interpeller. Le chiffre de 130 000 décès par anest donné dans la littérature, et il est tout à fait cohérent.

Ma présentation se fera en deux parties. J’évoquerai en pre-mier lieu une stratégie d’accompagnement que je vais volontai-rement inscrire dans un cadre « qualité », pour montrer com-ment nous pouvons apporter ou échanger et coopérer avec despays qui ont besoin d’appui. Puis, en seconde partie, très rapi-dement, je ferai le bilan des actions qui prennent leur originedans l’établissement français du sang aussi bien que dansl’agence française du sang, et aussi et surtout dans le travailde nos maîtres et prédécesseurs qui avaient déjà engagé denombreuses actions de coopération.

1. Des stratégies d’accompagnement inscritesdans un cadre de qualité

Alors il nous faut planter le décor — c’est-à-dire essayerd’inscrire notre appui dans un pays donné par rapport à l’étatde ce pays. Cela veut dire que l’on part d’une petite cale quiretient une roue. Cette petite cale décrit ce qui est acquis dansle pays — de quoi partons-nous. Dès lors qu’on a le point dedépart, on va pouvoir adapter la progression dans le pays, dansplusieurs temps, dans plusieurs domaines. On va pouvoir aiderd’un point de vue rédactionnel et procédural, du point de vuede la documentation, de l’élaboration de normes et de règle-ments. Et puis on pourra encourager à faire ce qui est décritet prouver bien sûr que ce qu’on a fait avait été écrit avant.Ensuite, s’il y a des écarts, corriger, améliorer.

Il n’y a pas de retour en arrière possible ! On doit inscrirenotre volonté d’échange et d’accompagnement selon ce proces-sus basique de qualité. Pour rester dans cette perspective nou-velle de qualité et pour se situer dans ces nouvelles normes— ISO 2000 — on découpe en quatre points la manière d’en-gager les actions d’accompagnement :

● sur un premier plan, on envisagera la question de la respon-sabilité et de l’organisation — ce qui relève du rôle del’État, d’un rôle directorial et managérial ;

● ensuite, on verra comment gérer les ressources à dispositionque ce soient des ressources humaines, d’équipement, ouencore des ressources en matériel ;

● puis comment on peut apporter également une contributionpour la réalisation du produit, du processus ;

● enfin, on considérera le dernier point, celui de l’évaluationet de l’amélioration.

Évoquons la responsabilité et l’organisation. Il faut qu’unpays donné puisse définir un objectif, même si celui-ci paraîtdécalé et très ambitieux1. Il faut définir un objectif et c’est

Page 3: Quelles actions d'accompagnement pour une coopération internationale ?

A. Beauplet / Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 206–210208

l’intérêt de s’inscrire dans un processus de qualité : lorsquevous allez implémenter un développement transfusionnel dansun pays, il est bien évident que vous devez avoir comme cibled’arriver au meilleur résultat possible. Or aujourd’hui, le pro-cessus de la qualité permet d’encourager, de motiver et d’arri-ver à ce résultat, après un certain temps bien sûr. Alors, il fautdésigner des personnes — rien ne va se faire sans des chefsd’orchestre. Il va donc falloir désigner une personne soit auniveau national, soit au niveau régional. Il va falloir coordon-ner, animer, dire vers où l’on veut aller, et cela quel que soit leniveau du pays considéré. Il faut s’impliquer, au plus hautniveau, auprès des ministères et des instances tutélaires, pourfaire en sorte de rassembler ce qui constitue, à l’origine, unpuzzle de documentation, de formation, d’évaluation. On l’avu également à travers la présentation de Cristina Martinez :il faut, à chaque fois, avoir un souci de documentation, d’in-formation, de formation et d’évaluation. Dans ce premierchamp, quelles actions d’accompagnement sont possibles etcomment peut-on appuyer un pays ? On peut bien sûr proposerd’échanger des expériences — sans avoir la prétention de direque nous avons le modèle, l’exemple. Certes, nous avons unehistoire, un passé, nous avons fait des choses. Pour autant, iln’est pas certain que ce soit transposable. Nous avons vul’exemple du Chili et j’ai participé au projet de réorganisationdu système de transfusion avec le ministère chilien de la santé.Le Chili a 4000 km du nord au sud. Les communications sontdifficiles. Il y a des difficultés qu’il faut prendre en compte. Cequ’on a fait en France n’est pas forcément transposable. Il fautdonc être très modeste dans les propositions qu’on peut faire— même si on sait qu’il n’est pas raisonnable dans le petitcentre isolé du nord de l’Acatama d’aller prélever cinq don-neurs par jour voire deux donneurs par jour et de prétendrefaire une qualification de ces produits.

Il faut y échanger, participer. Il faut raisonner aussi par rap-port aux infrastructures : quels sont les moyens et locauxnécessaires ? Et puis surtout, si le pays n’a pas de normes, ilfaut encourager à mettre en place un cadre juridique, un cadrelégislatif, qui permette d’appuyer une démarche collective quisoit rationnelle et objective et surtout qui soit la même pourtout le pays, afin de chercher à homogénéiser.

La formation sur la qualité paraît incontournable — mêmesi je viens d’une école ancienne où l’on ne parlait pas de qua-lité. On peut avoir construit une culture différente aujourd’huiet l’on ne va pas échapper à ce process, qui permettra d’avan-cer dans la bonne direction.

Et puis vient le benchmarking, ce que je traduis par « repè-res ». Il est bon de pouvoir échanger, de montrer les réalisa-tions et de pouvoir dire : voilà ce qui a été fait, même si cen’est pas forcément ce qu’il faut faire. On a fait ça. À vous devous rendre compte si vous pouvez en tirer parti et adapternotre exemple à votre pays ou au pays considéré. Il convientsurtout d’appuyer par des experts qui peuvent apporter uneconnaissance dans tel ou tel domaine — je me souviens d’uncours sur les transplantations, très important pour le Chili. Onessaie à chaque fois d’apporter, par rapport à l’objectifdemandé, la compétence qui peut être à disposition.

2. Le management des ressources

Le deuxième aspect, dans ce management et dans ce sys-tème de la qualité, c’est le management des ressources. Com-ment avoir le personnel adéquat du point de vue de l’effectif,suivant la taille des établissements, et du point de vue des com-pétences des personnels ? Comment, surtout, aider à définir lesdifférents postes sur lesquels vont travailler ces personnels— quelles fonctions vont-ils occuper ? Comment vont-ils s’yprendre ? Nous reviendrons dans un instant, dans un exemple,sur les infrastructures parce qu’il est clair que très basiquementil est impensable de mettre en place une structure transfusion-nelle si vous n’avez pas le minimum, l’eau et l’électricité — etdans beaucoup de pays de par le monde c’est encore une vraieproblématique bien évidemment. Quant aux équipements, ilfaut, là aussi, garder raison, et trouver des équipements quisoient adaptés à la problématique du pays, et non des automa-tes sophistiqués, décalés en termes de performances, en termesd’utilisation et en termes de maintenance. Donc il est importantde bien réfléchir, pour un pays, à sa capacité à mettre en placetelle ou telle technologie. Et puis, bien sûr, tout cela va reposerégalement sur les réactifs à disposition pour faire l’ensembledes analyses nécessaires, et ces analyses vont être distinguéesselon les technologies concernées.

Prenons un exemple, pour ce qui concerne les infrastructu-res. Les infrastructures imposent très nécessairement un respectdes flux. On ne raisonne pas en transfusion sur les locaux, maissur des flux et, partant de ces flux, on va raisonner sur l’amé-nagement des locaux, afin d’éviter les erreurs. L’intérêt devenir voir en France, c’est de profiter du chemin qui a été faitet de l’adaptation aujourd’hui pour faire d’emblée le bon choixet faire la bonne réalisation. Et puis surtout, être capable d’anti-ciper les nouvelles évolutions qui font que vous pouvez êtreamené à intégrer de nouvelles technologies — ces nouvellestechnologies devant être intégrées dans votre dispositif. Dansun pays, il faut donc toujours faire en sorte que ce que vousavez réalisé permette d’aller plus loin si de nouvelles techno-logies apparaissent. On a vu l’exemple en transfusion de l’im-plémentation de la biologie moléculaire — la PCR. Il nous afallu réaménager les locaux préexistants. Personne n’avait anti-cipé sur cette stratégie et il y a eu des coûts masqués, au-delàdes simples coûts de la PCR — des coûts de réaménagement etd’implémentation de cette analyse biologique. Je partage plei-nement le point de vue de M. Sicard à cet égard et je vousencourage à lire le texte de la conférence qu’il a faite en juillet2000 dans le cadre du Congrès national de transfusion san-guine, dans laquelle il nous dit que ce type d’implémentationd’analyse biologique est plus coûteux qu’utile, et plus specta-culaire qu’efficace et surtout plus sécuritaire qu’utile. Voilàl’exemple même d’une anticipation qu’il faudrait avoir, sanspréjuger de son utilité. Nous allons d’ailleurs aujourd’hui enFrance, dans le même esprit, des réflexions d’implémentationde l’inactivation des produits en cas d’accidents bactériens et— pourquoi pas — de la détection bactérienne. Quand on saitqu’aujourd’hui il y a à peu près un accident bactérien sur535 000 transfusions et un accident bactérien mortel par an,on se pose la question de savoir si l’on doit mettre en place

Page 4: Quelles actions d'accompagnement pour une coopération internationale ?

A. Beauplet / Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 206–210 209

soit la détection bactérienne — à quatre millions d’euros —soit l’inactivation des produits — à 22 millions d’euros —pour éviter un accident gravissime. Voilà encore, là, le risqued’une sorte de confiscation des ressources, mais il nous fautquand même, si on le fait un jour, anticiper sur ces évolutions.

Ce genre de question est valable pour n’importe quel pays.Un jour ou l’autre, il y a des innovations, des changements, etil faut avoir présent à l’esprit les évolutions possibles.

Et puis, il y a le respect des zones — zones de température,de pression, de confinement. Le laboratoire est le seul endroitfinalement où il y a du sang à l’air libre, c’est le seul endroit oùvous avez des tubes qui sont ouverts, parce que nos automates,aussi sophistiqués soient-ils ne savent pas encore travailler àtravers un bouchon. Aussi nous faut-il déboucher ces petitstubes pour la centrifugation et il y a une nébulisation qui pour-rait être porteuse d’éléments pathogènes. On peut donc imagi-ner un confinement de laboratoires dans ces zones où le sangest à l’air libre effectivement.

Autre type d’accompagnement, dans ce contexte de gestiondes ressources, nous proposons de réfléchir, avec un pays, àl’adéquation du personnel par rapport aux activités. Transpo-sons nos descriptions des postes et des fonctions — nous yavons beaucoup travaillé en France. Et puis surtout, apportonsun programme de formation. Il y a en France des acteurs fortcapables dans différents domaines d’apporter leurs compéten-ces et de faire participer des assistants d’un pays à une forma-tion, soit « cœur de métier », soit transversale. Sans oublier lesactivités d’ingénierie cellulaire ou d’autres activités, mais je lesai volontairement oubliées aujourd’hui, parce qu’elles sont cer-tainement marginales par rapport à la problématique d’au-jourd’hui, celle des 83 % de la population. Échanges d’expé-rience, de plans locaux : si vous allez à Tunis, vous verrez quele centre de transfusion de Tunis est la copie conforme du cen-tre de Rennes, par échange de plans, pour gagner du temps, cequi a été une bonne opération.

2.2. Process

Enfin, troisième étape, la validation du produit, le processusde production : là encore, aidons à rédiger l’ensemble procédu-ral et à maîtriser ces activités en identifiant ses points critiques.Faisons également tout le champ de documentation et aidonségalement à bien comprendre la préservation du produit, de lachaîne du froid. Pour avoir vu en Afrique le transport des pro-duits sanguins — qui avaient été préparés correctement —dans des petites 4L, à la température ambiante de 50°, j’ai pume convaincre que le transport avait été négligé. Pour cettedistribution des produits, il est clair que la France, commed’autre pays, peut apporter son expertise en matière de traçabi-lité. Elle peut l’apporter aussi pour l’hémovigilance, qui estplutôt faite de constats d’échec. Je suis interpellé lorsque l’onparle du besoin du futur, dont M. van Aken a parlé rapidement.Il y a un souci avec le vieillissement de la population et l’es-pérance de vie — qui va s’accroître de six ans d’ici 2030. Leshommes passeront de 76 à 82 ans en 2030, les femmes irontjusqu’à 90 ans. Cette population qui vieillit est celle quiconsomme le plus de sang. Simultanément, la couche de la

population en âge de donner — de 20 à 60 ans — va diminuerproportionnellement. La population active va diminuer et pas-sera sous la barre des 50 %. Je n’ai pas l’impression qu’on aitune vraie réflexion par rapport à cet objectif du futur en termesde besoins. On a donc vraiment un souci d’anticipation, un vraisujet de réflexion d’anticipation, en parlant bien sûr à activitéstransfusionnelles et moyens constants — je veux dire par làque je ne fais pas interférer ici, ce que j’espère bien sûr, lesnouvelles technologies qui pourraient suppléer un peu notreseule solution d’aujourd’hui qui repose sur le donneur de sang.

Il est nécessaire pour nous d’analyser tous les risques, cesrisques qui sont susceptibles d’entraîner un défaut qualité. Il estimportant de mettre en place toutes les actions pour prévenirces risques et de compléter tout cela par des indicateurs per-mettant de suivre les évolutions et la progression. On peut lefaire dans n’importe quel pays. C’est motivant et cela permetde voir si on va dans la bonne direction.

Toujours dans le champ du process, une autre possibilitéconsiste à échanger les expériences et le savoir-faire. Pourcela, il faut faire des formations et surtout faire venir dansnos établissements ceux qui seront les techniciens de demaindans l’établissement concerné — les faire venir en stage pourqu’ils mettent la main à la pâte, pour qu’ils se rendent comptedes difficultés et qu’ils soient encadrés et que, de retour dansleur pays, ils puissent rapidement devenir opérationnels.

3. Évaluons, améliorons

Dernier point et j’en aurai fini pour cette partie, il faut met-tre en place une évaluation. Cette évaluation repose sur desmesures, des analyses et des améliorations. Comment va-t-ons’y prendre ? J’insisterai surtout sur un point : l’utilisation d’in-dicateurs et d’audits internes qui ne sont pas du contrôle et del’inspection, mais simplement un phénomène d’encourage-ment, d’expertise extérieure pour continuer à avancer et mettrel’accent sur ce qui pourrait être un écart, voire un disfonction-nement. On en a vu un exemple simple avec la présentation deMme Martinez : on peut mettre en place des indicateurs dans ledomaine du prélèvement. C’est le souci aujourd’hui de beau-coup de pays d’avoir suffisamment de donneurs : on peut enmesurer les étapes par un indicateur qui doit être simple etpertinent. On a un exemple concret, par rapport à l’organisationdes collectes : on a une prévision et des résultats ; regardons sinous avions bien visé ; si oui, tant mieux, et si non, analysonsles causes et essayons d’y remédier. On va expertiser ainsi cha-cune de nos collectes par un indicateur très simple. De la mêmemanière, pour ce qui est de la sélection médicale des donneurs,il faut regarder, par exemple au Chili, si dans telle ou tellecollecte, la prévalence des donneurs est la même ou pas lamême, si elle a « mieux donné » dans un grand magasin, parexemple… J’ai été très intéressé par cette vision des galeriesLafayette de Concepción. On a poussé les chaussures pourfaire des prélèvements — on ne pourrait pas le faire en France,parce que l’autorité de tutelle sécuritaire nous interdit d’allerdans des magasins faire des collectes de 200 donneurs euégard aux bonnes pratiques. Pour autant, je ne serais pasétonné que la prévalence soit moindre dans une collecte dans

Page 5: Quelles actions d'accompagnement pour une coopération internationale ?

A. Beauplet / Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 206–210210

un grand magasin, mais ce sont des choses à regarder, poursavoir si c’est un lieu acceptable ou non. Je ne sais pas laréponse, mais c’est une chose à considérer, connaissant la dif-ficulté qui existe au Chili pour faire passer le donneur de repo-sition vers un don bénévole. Et puis également, regardons lepourcentage d’ajournement lié aux comportements à risques.Tout cela permet d’expertiser une collecte et l’incidence desdons trouvés a posteriori avec des marqueurs spécifiques dansle screening que l’on fait au laboratoire.

De la même manière, pour le prélèvement, mettons en placeun indicateur simple et regardons si nous travaillons bien. Àchaque fois, ces indicateurs vont être gérés — pour des volu-mes insuffisants, pour des caillots, pour des soudures défec-tueuses — et tout cela va être recueilli. C’est un outil de pro-grès et d’amélioration. Si vous ne faites rien, quel que soit lepays : vous ne saurez pas si vous progressez et vous ne saurezpas où est la cible. Il est important de communiquer par destableaux de bord faciles à voir, qui permettront aux responsa-bles de montrer les difficultés, de progresser et de faire avancerle pays. Surtout, cela permet d’associer l’ensemble de l’équipe :il n’est point de qualité possible sans les participations de tous,sans un corps constitué ou tout au moins un esprit d’équipe.Une grande cohésion et une grande motivation ne sont possi-bles que si on voit régulièrement les choses s’améliorer.

Une dernière intervention, dans ce champ de l’évaluation,concerne les outils : comment peut-on mettre en place des indi-cateurs ? Comment se former à l’audit — c’est-à-dire commenttel technicien appartenant à tel service peut-il aller auditer telautre service et, ayant un œil extérieur, permettra de montrer dudoigt ce que le technicien dans son service ne voit plus à forcede le faire de manière répétitive ? C’est fondamental, il faut s’yformer et cela permet très rapidement et très facilement d’amé-liorer les différentes actions dans un service.

La conclusion de cette partie : en mettant en œuvre lesmesures que j’ai évoquées, les produits deviennent fiables, lepersonnel motivé et compétent. Ce personnel travaille dans uneambiance de qualité dont il sent bien l’intérêt et le côté incon-tournable ; il a confiance et on boucle ainsi et on améliore sansarrêt.

4. L’engagement de l’EFS

Sur l’engagement de l’EFS, je vais être très bref. Il y a beau-coup d’actions de l’EFS, des participations qui, d’ailleurs, nesont pas dans les mêmes zones que celles de l’OMS. C’est unhasard et certaines zones sont communes. Surtout, ce n’est pasdu saupoudrage. Ce sont des actions qui répondent à unedemande d’un pays donné et qui permettent de faire progresserdans ce pays la structure transfusionnelle. À Kaboul, en mars2002, j’ai participé à une mission d’expertise du système trans-fusionnel dans ce pays détruit qu’est l’Afghanistan. J’évoquaisplus haut cette petite « cale » de la qualité, et elle était alorsbien basse. De Kaboul, j’ai rapporté une photo sur laquelle onvoit des seringues ayant des aiguilles visibles, non protégées,avec un sparadrap portant le nom du malade. Ces seringuesprélevées chez les malades, arrivaient dans la structure transfu-sionnelle, au centre de transfusion de Kaboul, ou plus précisé-

ment ce qu’il en restait, dans un pays détruit. Ces seringuesvont être réutilisées, bien évidemment, parce qu’il n’y a pasde ressources suffisantes. On en jette quelques-unes, d’autres,non capuchonnées, sont en attente d’examen. Elles voyagentcomme cela : elles viennent d’arriver, non capuchonnées. Etle groupe sanguin se fait sur plaque d’opaline — une plaqued’opaline qui a subi quelques difficultés, elle aussi, dans cepays en crise.

Dans ce pays, on part donc de loin. Depuis, des actions sesont mises en place. Nous avons envoyé du matériel. Nousavons mis en place des formations. Les acteurs locaux sontvivement intéressés. Bien sûr, il y a l’appui de l’OMS et debeaucoup d’organisations non gouvernementales. Voilà com-ment on peut essayer de faire progresser les choses dans cepays. Aujourd’hui encore, il y a à Kaboul une énorme mater-nité, qui frise les 60 à 80 accouchements par jour. Or, cettematernité ne dispose que de trois unités de sang à 300 mdans un frigo à 14°… Il meurt aujourd’hui encore à Kaboul,17 femmes sur 1000 lors de l’accouchement. Je vous rappelleque l’accouchement n’est pas une maladie. Il est anormal queces femmes meurent à Kaboul par hémorragie. Et quand onvoit les progrès transfusionnels, il nous paraît tout à fondamen-tal de pouvoir apporter notre aide.

Parmi les actions qui ont été réalisées, on retrouve aussil’Argentine — Cristina Martinez l’a évoquée. Nous avions par-ticipé à un plan quinquennal du Cône Sud. Il avait été créé àl’époque une structure de formation pour les acteurs responsa-bles du Paraguay, de l’Uruguay, du Chili, du Brésil et de l’Ar-gentine. On avait aussi au Brésil — c’est la coopération fran-çaise la plus ancienne — de 250 à 300 stagiaires qui sont venusen France. Quant au Chili, nous démarrons un diplôme interu-niversitaire dans les mois qui viennent, en collaboration avecdifférentes universités. Ce sera le premier diplôme nationaldestiné à former les acteurs de demain en transfusion au Chili.

L’Afrique — le Congo, la Côte-d’Ivoire — également esttrès présente dans les participations de l’EFS, à travers des for-mations et des missions d’expertise. On essaye d’aborder l’an-gle d’attaque qui nous paraît prépondérant. L’apport fait auChili diffère de celui qui est fait en Afghanistan, en Argentineou encore au Congo.

Pour conclure, je rappellerai qu’il faut bien faire compren-dre aux plus hauts responsables politiques l’importance de latransfusion. Celle-ci n’est pas une discipline médicale et d’ail-leurs n’est pas reconnue comme telle, ce qui la rend peu attrac-tive pour les médecins. Pour l’avenir, je ne suis pas certain quela consommation augmente dans nos pays : il y aura, enFrance, moins de médecins et donc moins de prescripteurs.On doit donc avoir un souci constant d’analyse et d’anti-cipation.

Quoi qu’il en soit, quand on échange avec un pays, on nedoit pas être là pour modéliser ou moraliser ! On doit essayerde comprendre la problématique et la capacité du pays, enfonction de ses ressources et de ses compétences, pour mettreen place le meilleur outil transfusionnel et permettre de faire« monter d’un cran » la sécurité sanitaire dans ce pays.