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partenaires institutionnels | éthique OptionBio | Jeudi 21 février 2008 | n° 395 22 A lors que nous assistons aujourd’hui au développement d’une offre commerciale de tests génétiques accessibles librement en dehors du système de santé, il importe d’en analyser les implications pour l’individu et pour les professionnels de santé et d’envisager des répon- ses appropriées aux plans national et européen. Dans ce contexte, le Conseil de l’Europe, le minis- tère de la Santé et l’Agence de la biomédecine ont organisé un séminaire pour réfléchir, avec tous les acteurs concernés, aux enjeux éthiques, juridiques et sociaux posés par le développement de ces tests. État des lieux La disponibilité croissante des tests en accès libre sur internet nous contraint à nous interroger sur leur signification. Dans les centres de géné- tique, un test génétique n’est proposé qu’après un contact individuel avec un sujet et sa famille, ce qui permet de comprendre la raison de la réalisation du test. Après une évaluation clinique (avec une explication de la procédure éventuelle à suivre) et des risques et impacts du test, une décision commune de réalisation peut être prise entre un patient (ou sa famille) qui consulte et le généticien. Le résultat, une fois obtenu, sera expliqué ainsi que son impact et ses conséquen- ces pour la prise en charge de l’individu. Tests génétiques et indications Un test génétique peut être effectué pour les rai- sons suivantes : – déterminer un diagnostic précis ; – déterminer un risque de développer une maladie plus tard dans la vie ; – déterminer, dans un contexte juridique, une filiation (par exemple). Les tests génétiques pratiqués pour établir le diagnostic d’une maladie génétique recher- chent le problème spécifique d’un individu dans une famille, puis une étude familiale permet de déterminer qui est “porteur” dans la famille. sont réalisés pour prédire l’avenir médical de l’individu, de type : tests présymptomatiques, qui déterminent si un individu a un risque de 100 % de déve- lopper plus tard une maladie ou bien s’il est complètement sain (exemple, la chorée de Huntington) ; tests de susceptibilité, qui vont évaluer un risque de développer une maladie, ce risque étant différent de 100 % en raison de l’inter- vention d’autres facteurs. Au mieux, par exem- ple, dans les formes strictement héréditaires de cancer du sein ou du côlon, ce risque peut atteindre 80 %. Il subsiste toujours une fraction plus ou moins importante de facteurs environ- nementaux pouvant moduler l’expression de la maladie. Ce sont surtout ces tests dits de susceptibi- lité qui sont aujourd’hui en vente libre sur internet. Bien qu’il y ait environ 12 000 maladies “stric- tement héréditaires”, l’anomalie génétique n’a été précisément localisée que pour 2 000 d’en- tre elles ; mais, comme la plupart de ces mala- dies sont rares, des tests n’ont été développés que pour 100 à 150 d’entre elles. Tests génétiques et critères de qualité Les tests doivent répondre à des critères de qua- lité : validité analytique et utilité clinique (c’est- à-dire que le résultat du test doit permettre une meilleure prise en charge de la maladie). Enfin, il faut que les aspects éthiques et légaux ainsi que l’impact de ces tests dans le contexte sociétal soient clairs et acceptés. La qualité de ces tests accessibles en vente libre est-elle équivalente à celle des tests proposés dans les centres de génétique, et ces tests (ven- Quels enjeux individuels et collectifs liés aux tests génétiques en accès libre ? © Fotolia.com/J Moreaux Les tests génétiques rentrent dans un cadre médical de diagnostic précis. Leur vente libre pose des problèmes notamment éthiques (raisons du test, impact du résultat sur le testeur, compréhension du résultat dans le domaine prédictif, etc.). D’autres questions se posent quant à la qualité de ces tests, dont l’apparition est récente, et la possibilité qu’ils contribuent à une médecine à deux vitesses.

Quels enjeux individuels et collectifs liés aux tests génétiques en accès libre ?

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OptionBio | Jeudi 21 février 2008 | n° 39522

Alors que nous assistons aujourd’hui au développement d’une offre commerciale de tests génétiques accessibles librement

en dehors du système de santé, il importe d’en analyser les implications pour l’individu et pour les professionnels de santé et d’envisager des répon-ses appropriées aux plans national et européen.Dans ce contexte, le Conseil de l’Europe, le minis-tère de la Santé et l’Agence de la biomédecine ont organisé un séminaire pour réfléchir, avec tous les acteurs concernés, aux enjeux éthiques, juridiques et sociaux posés par le développement de ces tests.

État des lieuxLa disponibilité croissante des tests en accès libre sur internet nous contraint à nous interroger sur leur signification. Dans les centres de géné-tique, un test génétique n’est proposé qu’après un contact individuel avec un sujet et sa famille,

ce qui permet de comprendre la raison de la réalisation du test. Après une évaluation clinique (avec une explication de la procédure éventuelle à suivre) et des risques et impacts du test, une décision commune de réalisation peut être prise entre un patient (ou sa famille) qui consulte et le généticien. Le résultat, une fois obtenu, sera expliqué ainsi que son impact et ses conséquen-ces pour la prise en charge de l’individu.

Tests génétiques et indicationsUn test génétique peut être effectué pour les rai-sons suivantes :– déterminer un diagnostic précis ;– déterminer un risque de développer une maladie plus tard dans la vie ;– déterminer, dans un contexte juridique, une filiation (par exemple).

Les tests génétiques pratiqués pour établir le diagnostic d’une maladie génétique recher-

chent le problème spécifique d’un individu dans une famille, puis une étude familiale permet de déterminer qui est “porteur” dans la famille.

sont réalisés pour prédire l’avenir médical de l’individu, de type :– tests présymptomatiques, qui déterminent si un individu a un risque de 100 % de déve-lopper plus tard une maladie ou bien s’il est complètement sain (exemple, la chorée de Huntington) ;– tests de susceptibilité, qui vont évaluer un risque de développer une maladie, ce risque étant différent de 100 % en raison de l’inter-vention d’autres facteurs. Au mieux, par exem-ple, dans les formes strictement héréditaires de cancer du sein ou du côlon, ce risque peut atteindre 80 %. Il subsiste toujours une fraction plus ou moins importante de facteurs environ-nementaux pouvant moduler l’expression de la maladie.Ce sont surtout ces tests dits de susceptibi-lité qui sont aujourd’hui en vente libre sur internet.Bien qu’il y ait environ 12 000 maladies “stric-tement héréditaires”, l’anomalie génétique n’a été précisément localisée que pour 2 000 d’en-tre elles ; mais, comme la plupart de ces mala-dies sont rares, des tests n’ont été développés que pour 100 à 150 d’entre elles.

Tests génétiques et critères de qualitéLes tests doivent répondre à des critères de qua-lité : validité analytique et utilité clinique (c’est-à-dire que le résultat du test doit permettre une meilleure prise en charge de la maladie). Enfin, il faut que les aspects éthiques et légaux ainsi que l’impact de ces tests dans le contexte sociétal soient clairs et acceptés.La qualité de ces tests accessibles en vente libre est-elle équivalente à celle des tests proposés dans les centres de génétique, et ces tests (ven-

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Les tests génétiques rentrent dans un cadre médical de diagnostic précis. Leur vente libre pose des problèmes notamment éthiques (raisons du test, impact du résultat sur le testeur, compréhension du résultat dans le domaine prédictif, etc.). D’autres questions se posent quant à la qualité de ces tests, dont l’apparition est récente, et la possibilité qu’ils contribuent à une médecine à deux vitesses.

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dus 200 à 2 000 €/test) ne vont-ils pas contribuer à une médecine à deux vitesses, distinguant les personnes qui pourront débourser et les autres ? Ces questions restent posées.

Les tests génétiques en accès libreL’homme est constitué de 60 000 à 100 000 mil-liards de cellules. Chacune contient la molécule d’ADN qui concentre toute l’information et que l’on va explorer. La longueur du génome est de 6 millions de paires de bases et le nombre de gènes estimé, codant des protéines, est de 20 000 à 25 000, ce qui ne représente que moins de 5 % de l’ADN total.Un test génétique est un test qui analyse la séquence de la molécule d’ADN. Ce que l’on ana-lyse est donc une information et non une activité biologique pour laquelle d’autres facteurs peuvent intervenir. Ainsi, le plus souvent, nous nous retrou-vons dans une condition probabiliste et non dans une certitude.

Tests génétiques et variations des séquences de l’ADNL’objectif des tests génétiques est d’analyser les variations des séquences. Dans l’immense majo-rité des cas, ces variations n’ont pas d’effet (sauf dans certaines conditions environnementales particulières), qu’elles soient situées dans des séquences non codantes ou même, parfois, dans des séquences codantes (il existe une grande tolé-rance de l’organisme vis-à-vis de ces variations). Parfois, une variation conduit à l’altération de la protéine, concourant à la perte de son activité ou bien à une activité nocive : c’est ceci que les tests génétiques vont explorer.Les techniques nous permettant d’analyser les variations des séquences d’ADN sont relativement récentes : la première d’entre elles, le Southern-blot, n’a été mise au point qu’en 1975 et c’est

seulement 10 ans plus tard que sont apparues les premières applications médicales.

Tests génétiques et maladies monogéniquesLes premières indications des tests génétiques en 1984 ont concerné les maladies héréditaires monogéniques. L’intérêt était de déterminer dans une famille chez qui sévissait une maladie, qui pré-sentait le risque de développer cette maladie et qui ne le présentait pas. Une fois le diagnostic établi, il devenait possible d’avoir recours au diagnostic prénatal. Une autre application a rapidement été la confirmation d’un diagnostic : il y a encore peu de situations où un test génétique est nécessaire pour cela car, souvent, la confirmation est clini-que et/ou biologique. Toutefois, un bon exemple est celui de la fièvre méditerranéenne familiale, ou maladie périodique, fréquente dans le Bassin méditerranéen (Arméniens, juifs sépharades), dont les signes cliniques sont peu spécifiques (fièvre, arthralgies). Or, la complication majeure de cette maladie est l’amylose et nous disposons d’un trai-tement, la colchicine, capable de la prévenir. Le test génétique est alors fondamental, car il permet de détecter ceux qui possèdent l’anomalie généti-que et donc d’instaurer le traitement.Bien que l’offre soit importante, le nombre de tests pratiqués concernant le diagnostic de maladies héréditaires, le typage HLA ou des tests de pater-nité (interdits en France en dehors d’un contexte juridique) reste limité. Outre des problèmes éthi-ques, ces tests posent des problèmes de disponi-bilité car, pour nombre de maladies rares, aucun test n’est développé. Or, même en l’absence de traitement, le droit de savoir reste fondamental.

Deux marchés faramineux en développementLa pharmacogénétiqueLorsque nous prescrivons des médicaments, nous souhaitons en limiter les effets nocifs, mais nous voudrions aussi pouvoir vérifier qu’ils sont actifs. Le problème est qu’actuellement un médecin prescrit des doses par kilo de poids, prenant en compte le volume de distribution, mais ignorant totalement les autres étapes pharmacocinétiques, et notamment le métabolisme. Or, le métabolisme des médicaments est contrôlé par des gènes d’ac-tivité variable selon les individus (“métaboliseurs” lents ou rapides). Il nous reste encore beaucoup de progrès à faire avant de pouvoir déterminer, chez un sujet donné, la dose optimale de médi-cament à prescrire.

La médecine prédictiveNous avons tous des “constitutions” différentes, ce qui reflète au niveau génétique nos “polymor-phismes”. Or, ces polymorphismes qui sont des événements “normaux” se révèlent, dans certai-nes circonstances environnementales, néfastes ou délétères. L’analyse de ces polymorphismes peut permettre d’apporter une information quant à la susceptibilité d’un individu à une maladie. L’une des premières maladies pour lesquelles il a été mis en évidence une liaison avec un poly-morphisme est la spondylarthrite ankylosante : 90 % des sujets ayant cette maladie possèdent l’antigène HLA B27. Mais 10 % de la population générale est HLA B27 et ne développera jamais la maladie. Donc, le fait de trouver cet antigène n’indique qu’un risque de développer la maladie, et non pas la maladie elle-même. De plus, le fait de ne pas le trouver n’indique pas l’absence de risque (rôle des facteurs environnementaux).

PerspectivesL’avenir consisterait à analyser de plus en plus de séquences d’ADN pour un coût acceptable. Or, aujourd’hui, analyser un gène coûte très cher. Ce coût devrait être prochainement réduit grâce au développement de microtechnologies qui permet-tront d’analyser simultanément un grand nombre de gènes : puces, fibres optiques, billes, transistors, voire laboratoires sur puce, capables de travailler à partir de sang total. La révolution de demain ? |

Éduquer et informerDans le cadre de la médecine prédictive,

les tests génétiques ne posent pas un dia-

gnostic mais détectent un risque. Or, le

risque est une notion abstraite. Pour illus-

trer cela, il suffit de savoir qu’un fumeur

fumant plus d’un paquet de cigarettes

par jour a un risque de 1/30 de dévelop-

per un cancer du poumon, tandis qu’une

personne qui joue au loto a un risque de

1/13 millions de gagner !

Tests et valeurs prédictivesSi le test génétique a une bonne valeur

prédictive positive (le fait de trouver la

mutation indique que le sujet est malade

ou va être malade), sa valeur prédictive

négative est médiocre, c’est-à-dire que le

fait de ne pas trouver la mutation ne signi-

fie pas que la personne n’est pas atteinte

(car une grande partie du génome n’est

pas explorée). Un résultat négatif n’a

donc pas de valeur.!

ESTHER SACCOUN

Journaliste scientifique, Paris (75)

SourceCommunications de Carlos de Sola et de Marc Delpech, lors du séminaire européen, organisé par le Conseil de l’Europe, le ministère de la Santé et l’Agence de la biomédecine, Tests génétiques en accès libre et pharmacogénétique, Paris, octobre 2007.