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  ueneau  ierrot mon ami

QUENEAU, Raymond - Pierrot Mon Ami

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QueneauPierrotmon amiRaymond QueneauPierrotmonanuGallimardditionsGallimard, 19451- Enlve donc tes lunettes, dit Tortose Pierrot, enlvedonctes lunettes, si tuveuxavoirlagueuledel'emploi.Pierrot obit etlesrangeasoigneusement dansleur tui. II voyait encore peu prs cinqmtres devant lui, mais la sortie du tonneauetles chaises des spectateurs se perdaient dans lebrouillard.- Alors, tu comprends, reprit Tortose -monsieur Tortose -, tu les prends quand ellesarrivent au va-t-et-vient, tules prends par lespoignets, tules maintiens solidement et puis tules colles sur le courant d'air. Combien de temps tudoisles ylaisser, ac'estunematire de tact, c'estdescas d'espce, faudra que tuapprennes. Bon.Maintenant onva rpter, c'est moi qui vais fairela femme, voil, je m'amne par l, au va-t-et-vient comme de juste j'hsite, tu me prendsparles poignets, c'est a, et puis tum'entranes,a va, et tume colles sur le courant d'air, trsbien. Vu?- Vu, monsieur Tortose,- Alors, maintenant descends dehors avec7Petit-Pouce et Paradis et attends la clientle.Compris?- Compris, monsieur Tortose,Pierrot remit ses lunettes et alla retrouverPetit-Pouce et Paradis qui fumaient en silence.Il faisait encore jour, mais dj crpusculaire-ment; avec une bonne petite moyenne au ther-momtre, a vous donnait l'envie de jouir dubeau temps sans causer. Comme les autres, Pierrotalluma une cigarette. Des gens se baguenaudaientpar les alles, mais ce n'tait pas assez compactpour bien s'amuser. Seules, les autos lectriques ressorts commenaient se tamponner sur lapiste du Scooter Perdrix. Les autres manges,quoique dserts encore, ronflaient du Bouffie deleurs orgues, et leurs musiques nostalgiquescontribuaient certes dvelopper la vie intrieuredes employs du Palace de la Rigolade. A sacaisse, Mme Tortose tricotait.Couples et bandes, et, plus rares, des isols, pas-saient et repassaient, toujours en tat de dissmi-nation, point encore agglomrs en foules, modr-ment rieurs. Petit-Pouce, qui avait fini sa cigarette,en crasa la braise contre son talon, et du pouceet de l'index jecta le mgot distance apprciable.- Alors, mon petit pote, dit-il Pierrot, ate dit quelque chose de bosser avec nous?- Pour le moment a n'est pas trop fatigant.- Oui, mais tu verras quand il sera minuit.Paradis, se tournant vers Pierrot, dit Petit-Pouce:- C'est lui qui a fait soixante-sept millesur un Coney-Island.8Detouslesjeuxdebillesunfranc, leConey-Island est le plus cal. Il faut vingt mille pouravoir droit lapartiegratuite, et raressont ceuxqui gagnent. Pierrot, lui, russissait courammentles quarantemille,etunefois mme, en prsencede Paradis, soixante-sept mille, ce qui avait tl'origine de leurs relations.- a m'est arriv, dit Pierrot modeste-ment.- On verra a ensemble, dit Petit-Pouce,parcequej'ytteaussi un peu.- Oh! tu peux t'aligner, dit Paradis quifaisait g-randcas de Pierrot sanstoutefois tendreson admiration au-del du domaine des jeuxdebilles Run franc, o il est vrai, l'autreexcellait.Cetteamitin'tant d'ailleurs vieille que de huitjours, il n'avait pas encore eule temps, ni le souci,des'intresserauxautresaspectsde la personna-litdesonnouveaucopain.Il y avait maintenant dans l'cureuil un soli-taire qui s'vertuait dcrire une circonfrencedans sa cage trois francs le quart d'heure.L'Alpinic-Railway s'exerait gronder de seswagonnets encore vides. Mais les manges netournaient toujours pas, le dancingtait dsert,et les voyantes ne voyaient rienvenir.- y a pas encore grand monde, dit Pierroten essayant d'unsujet anodin. car il ne voulaitpas que les loges de Paradis amenassent Petit-Pouce l'avoir dans le nez, lui Pierrot, et quesa petite tte, lui Pierrot, finisse par ne pluslui revenir, oh! mais plus du tout, lui Petit-Pouce. De toute faon, Pierrot, qui avait eu une9dure enfance, une pnibleadolescence et une rudejeunesse (qui durait encore), et qui, en cons-quence, savait comment vale monde, Pierrot taitmaintenant fix sur un point : c'est qu'unjouroul'autreentrelui et Petit-Pouce, a ferait sansdoute des tincelles, moins que ane soit avecParadis, sait-onjamais?- On verra a, reprit Petit-Pouce qui neperdait pas sa piste, caril aimaitlacomptition.II aurait continu discuter le coup dans cesens (celui desjeuxdebillesunfranc), si deuxpetites, se tenant par le bras et en qute degalants, n'avaient passdevant sonnez.- Cellededroiteest bien, dit-ilavecautorit.Un joli petit cheval.- Alors, Mesdemoiselles, cria Paradis, vousnevousoffrezpas untourderigolade?- Approchez, Mesdemoiselles, hurla Petit-Pouce, approchez.Elles firent uncrochet etrepassrent devantlePalace, au plus prs.- Alors, Mesdemoiselles, dit Petit-Pouce, anevousdit riennotrecabane?Ah! c'estqu'onsemarrel-dedans.Oh! je connais, dit l'une.- Et puis, il n'y apasunchat, dit l'autre.- Justement, s'criaParadis, onn'attendplusque lesvtres.- Vous ne vous tes pas fait mal? deman-drent-elles, parceque pourtrouveratoutseul,faut faire un effort, c'est des foisdangereux.- Ah! bien, elles t'arrangent, dit Petit-Pouce.Ils se mirent rire, tous les cinq, tous tant qu'ils10taient. Envoyant et en entendant a, des pas-sants commencrent s'intresser au Palace dela Rigolade. Mme Tortose, sentant venir larcolte, posa son tricot et prpara les billets.Avec les deux petites comme appt, les philo-sophes allaient s'amener,c'tait sr, et les miteuxs'enverraient tous les trinqueballements pourpouvoir s'asseoir et regarder ensuite les autres.Une queue se forma, compose de grouillots, decommis etdepotachesprts lcher vingtrondspourvoirdelacuisse.- Un tour l'il? proposa Petit-Pouce.:> dglerait le public, a encouragerait lesphilosopheset, une foisembraye, lasoire n'au-rait plus qu'rouler desanceensancejusqueversleminuit, avecenfindecompteune gentillerecettepour le sieur Tortose et lachemise trempede sueur pour les trois athltes. Mais les deuxgosses, pas sottes, trouvaient qu'untour l'il,c'tait donn, de leur part.- Oh! merci, dit l'une, il faudrait nous payerpour entrer dans un truc comme ~ a .- Entrez, entrez, on commence, hurla Petit-Poucesous lenez des badauds.- Ettoi, au boulot, dit ParadisPierrot quis'empressa d'obir.Et ils laissrent tomber les poulettes.Tout ronflait maintenant et beuglait dansl'Uni-Park, etlafoule, mle et femelle, sedistri-huait ententaculespaisvers chacunedesattrac-tions offertes untarif parfois lev, relativements'entend: deux, trois francs engnral. En face duPalacedela Rigolade planaient des avionslis11une hautetour par des filsd'acier, et devant lePalace mme, grande tait l'animation. On prenaitsonbillet suivant lesinjonctions dePetit-Pouce.Ceux qui voulaient subir les brimades mca-niques payaient vingt sous, tandisque lesphilo-sophes en dboursaient le triple, impatientsqu'ils sont de se sentir prts voir. Pierrotrejoignitsaplace, remisa sesbesicles etattendit.Djvibraient les rires, djles impatiences.Les premiersclientsdesdeux sexesapparurentau sommet d'unescalier roulant, blouis par unphare, ahuris d'treainsi livrssans prcautions,les hommes la malignit du public, lesfemmes sa salacit. Dbarqus de leur escalier par laforce des choses, ils se virent en consquenceobligs deglisser surlafacedorsale lelongd'unplan inclin soigneusement astiqu. Les philo-sophes pouvaient dj utiliser l leurs capacitsvisuelles au maximum de leur rendement, exigeantchacun du fonctionnement de ce sens nettet,rapidit, perspicacit, photograflcit. Mais cen'tait encore rien, pas mme autant que neprsagedepluiele vol basdes hirondelles. Il fautcomprendre en effet qu'un tel spectacle, rduitauminimum, sepeut prsenter aucoursdelaviequotidienne laplus banale, chutedanslemtro,glissade hors d'un autobus, culbute sur un parquettrop bien cir. Il n'y avait l quasi rien encorede laspcifit motive que les philosophes venaientchercher pour leprix de troisfrancs auPalacedela Rigolade.Cependant les avanies poursuivaient de leursmalices calcules les dmarches des amateurs :12escaliers aux marches s'aplatissant l'horizontale,planches se redressant angle droit ou s'incur-vant en cuvette, tapis roulant en sens alterns,planchers aux lames agites d'un tremblementbrownien. Et d'autres. Puisvenait un couloir odiverses astuces combines rendaient toute avanceimpossible. Pierrot tait charg de sortir lesgens de cetteimpasse. Pourles hommes, il suffi-saitd'uncoupdemain, maisquands'approchaitune femme effrayeparcepassagedifficile, onlasaisissait par les poignets, onlatirait,onl'attiraitet finalement on la collait sur une bouche d'airqui lui gonflait les jupes, premier rgal pour lesphilosophessi l'envol dcouvraitsuffisamment decuisse. Ce prlude rapide tait complt par lasortie du tonneau, aprs un vague labyrintheimposauxpatients. La premirevisionprpared'ailleurs l'apothose; dans une attente convul-sive, les philosophes reprent les morceaux dechoixet les guignent avecdes ilslargisetdespupilles flamboyantes.Donc, aprs lelabyrinthe, les bardotssetrou-vaient en face d'un cylindre tournant autourde son axeet dans lequel ils devaient s'engagerafind'enfinir avec tous les plaisirs qu'ils s'offraientpour leurs vingt sous. Quelques-unss'entiraientavec honneur : aucun intrt. D'autres, culbu-taient dsquilibrs, entrans par la rotation,se retournaient, s'enroulaient, s'entortillaient,se droulaient, tournoyaient pour le plus granddivertissement de ceux qui, dj dlivrs del'preuve, taient venussejoindreau groupedesphilosophes. Quant ceux-ci, a ne les amusait13pas tellement que a, ces pirouetteset ces vire-vousses. Le ridicule des balourds les intressaitmoins queledshabilldesfemelles, et voici qu'ilenapparaissait une l'entredutonneau, etquireculait devant l'entreprise, crainte de chuter.Petit-Poucelasaisit alors parlesbraset, lapor-tant demi, la fit traverser sans encombrel'appareil; mais au sortir, la dposa sur une bouched'air qui, soufflant dans la robe, dcouvrit deuxjambes et des dessous : les philosophes ravisapplaudirent, tandis que des personnes l'espritinnocent se contentaient de rirede la msaventurearrive la dame. Une, qui suivait, voyant ladite msaventure et voulant l'viter, se refusait suivre Petit-Pouce, retourn chercher desvictimes; maisil l'empoigna. Dans la salle, onrugit d'approbation; il l'entrana, onsetut dansl'attente de la suprme indiscrtion, et il ladposao il se devait et l'ymaintint plus long-temps que l'autre, pourraliser lavengeancedesphilosophes excits par l'bauche d'un refus.Une troisime tait guette avec ardeur par lessatyres parce que lepremier courant d'air avaitpermis d'esprer une sous-vture rduite auminimum.- La loupe pas, cria un amateur Petit-Pouce, tandis que Paradis faisait circuler pourqu'on n'ait pas la vuebouche aupremier rang.Petit-Pouce la russit : un triomphe! On nesavait pas trop si la dame tait offense ou sielle venait faireapprcier ses charmes. Il yen euttrois ou quatre autres, mais beaucoup moinsintressantes, etpuiscefut la findelapremire14sance. Le vulgaire dbarrassa le plancher, maisles fanatiques demeurrent. Paradis passaramas-ser la monnaie. Petit-Pouce encaissa quelquespourboiresqui devaientl'inciter soigner les plusjolies filles. Pierrot s'essuyait le front, car c'taitdu boulot; d'autant plus qu'il y avait quelquespoules qui pesaient leur bon poids d'attraitscharnels; et de tout cela, lui, Pierrot, n'en tiraitaucun plaisir, trop occup par ses transportsd'une part, et de l'autre, le rtrcissement duchamp d'action de son rayon visuel l'empchaitde jouir pleinement des beauts dvoiles lasortiedutonneau.Cependant Petit-Pouceet Paradis hurlant laporte avaient circonvenu un nouveau groupe defriands de la rigolade, et une nouvelle sancecommena. Les philosophes (ceuxqui se passion-naient aussi pour les mots croiss) replirentleurs journaux, s'agitrent sur leurs siges, ets'apprtrent, paisibles, se rincer l'il. Et denouveau Pierrot etPetit-Pouce, l'unici et l'autrel, empoignrent sans douceur des darnes quisedbattaient et gigotaient, humilieset applau-dies. Pierrot commenait avoir le tour demain et faire mcaniquement son nouveaumtier. Allez, amne-toi, la petite blonde, et ilpensait sonpre, mort, unbontype, qui sirotaitmats qui avait le vin gai et qui se matrialisaitvec la soupe, dont lafume semblait se condensersous un aspect. humain. Allons, viens, toi, lagrandebrune, et il pensaitsamre, morteaussi,et qui lui avait tant distribu de marrons qu'ilensentaitencoreles bleus, croyait-il. Encoreune15petite blonde, encore une brune, et puis voil unevieille, et maintenant c'est une fillette, et ilcontinuait penser ces jours lointains, dont il nerestait plus que des lambeaux; il Y songeait cesoir par hasard peut-tre, peut-tre aussi cause deson nouveau mtier, qui inaugurait, qui sait?une nouvelle vie, et, en secouant ces loques, ilen faisait s'envoler des escadrilles de papillonsples et trbuchants.Et alors, la grande brune, avance que je t'em-porte, et il pensait que c'est pas drle d'avoir euune enfance comme la sienne, a se conserve mal,a moisit, et les beaux morceaux o l'on pourraitse revoir tout gentil et plein d'espoir sont ternis jamais par le reste.- Dis donc, l'employ. Bas les pattes, hein.Pierrot laissa s'envoler les dernires mites etentrevit alors un personnage menaant qui taitincontestablement un maquereau. Malgr ledanger imminent, sa conscience professionnellene broncha pas. Il voulut entraner la demoiselleen dpit du veto du souteneur. Elle rsista. Lafoule se mit gronder. Pierrot insista, peina,vainquit : la putain dut le suivre.Les applaudissements furent nombreux. Mais ladception allait tre grande. Le marlou, qui avaitsuivi de prs sa femme, lui maintint les jupes desdeux mains, ce qui annihila l'effet du courant d'air.Une clameur indigne, unanime, explosa.- Cocu 1 hurla un philosophe.- Cocu 1 Cocu 1 reprit la salle.- Si on ne peut plus s'amuser maintenant,dit un monsieur trs convenable.16Derrire le moraliste et sa rgulire venaitun autre couple de mme nature. Le secondc'est-mon-hommeimitanaturellement son amin-che. Les philosophes deux fois frustrs de leurplaisir commencrent grouiller, et les deuxmalfrats poursuivaient leur chemin en dfiantleurs adversaires, et les injures relances d'ungroupe l'autre croissaient chaque rplique tanten vigueur qu'en obscnit. Les principalesfonctions physiologiques du corps humainfurentinvoquesparlesunscommeparles autres, ainsique diffrents organes situsentrele genouet laceinture. Des gestes redonnaient force auxmotsabms par un trop frquent usage. Lorsque lequadrille atteignit le tonneau, on trpigna. Lesdeuxmaqsnevoulaient pas livrerleursmarmitesaux mains de Paradis. Ces messieurs discutaientavec vhmence tandis que le cylindre tournaitvideetquelesexpectantshurlaientleurmprispour une pruderie qui n'tait pas de mise en celieu, surtout de la part d'une engeance aussisuspecte.- Fumiers! Fumiers! dclairaient-ile,Paradis finit par comprendre qu'il fallaitsuivre le conseil du patron : pas d'histoires. Ilappuya sur un levier, la rotation cessa, et lesdeux gonces, suivis de leurs dames, passrenttriomphants et moqueurs. Unphilosophe ne putsupportercetteinsulte. Exasprde sevoirravirleplaisir particulier pour lequel il avait paytroisfrancs. il quitta sa place, sauta sur l'estrade etengagea le combat. Son poingretentit sur l'ild'un des types, mais le copain de ce dernier17riposta sans hsiter et dtruisit une oreille del'agresseur d'un coup pertinent non moinsqu'expert. Surquoi, lephilosophe, exorbitpar ladouleur, se prcipita en chien de fusil sur sesadversaires et tous trois roulrent sur le sol.Paradis et Petit-Pouceessayrent de les sparer,mais d'autresphilosophes, entrans par l'exemple,se prcipitaient; repoussrent lesdeux employsetHe mirentmarcher avec entrain sur les lutteursenlacs. L-dessus, quelques louches individus,provoqusdans leur-s instinctset attirs parleurssympathies, s'avisrent de prendre la dfensedeleurscollgues et tombrent sur lesphilosophes brastant raccourcis qu'allongs. Unsergent deville qui voulut intervenir fut rejet hors dutourbillonpar lavertucentrifuge de l'ardeur descombattants. Paradis s'pongeait le nez, Petit-Pouce se frottait les ctes, la foule, debout,beuglait de joie et d'indignation.Pierrot, demeur sa place, entrevit dans unbrouillard la poussireuse mle, et, commepersonne ne s'intressait plus son activit, ilremit ses lunettes. Aprs avoir examin la situa-tion, il ne douta pas un instant que sa prsencene ft ncessaire, et, bondissant par-dessus lesbalustrades, il plongea dans le tas. D'abord sesbesicles furent jectes, puis lui-mme avec unil tout noircissant. Il rcupra ses verres dontunseul tait fl et s'assit dansuncoin. II enavaitfait autantquesescamarades.Ils regardaient maintenant la bigornade avecintrt, mais dsintressement. Et si une dentbrise ou un bout de nez bouff, puis recrach,18venaient rouler prs d'eux, ils secontentaient debalayer cela durevers de lamain; ils essuyaientensuitelesangquil'avaittache.Mais M. Tortose, prvenu, alerte la police, etbienttlesbtonsblancsrsonnent sur lescrnesforcens. Le prestige. des sergents, surtout leprestige, dissipe la confusion comme la pointed'une pe dsagrge un fantme, et la sallenergiquement vide ne montra plus que lesloqueteux velours de ses siges et la poussiretalonne de son sol.Lepatrondu Palace dela Rigolade, avisparles autorits comptentes que son attractionserait ferme lereste de lasoire, entra, regardavelours et poussire, toboggans et tonneau,renifla, s'approcha lentement de ses trois employequi se frottaient, se brossaient, tchaient de sedonner unair convenable.- Tas de salauds, murmura-t-il. Tas desalauds, profra-t-il d'une voix sourde. Tas desalauds, hurla-t-il.Silencieux, ils l'examinaient.Tas de salauds, hurla-t-il, encore unefois.Ah! patron, si vousaviezvua, ditParadisavec entrain. Le gros mec s'approche. Tu mecherchesdescrosses, qu'ilmedit. Pan, pan, aussisec, mon poing dans chaque il, et toc, mongauche dans le creux de l'estomac, total, voillegros parterre, sansdire ouf.- ava, a va, dit M. Tortose. Onne me lafait pas. Vous vous tes conduits comme dessagouins, des lches, des imbciles. Pas fichus19crarranger unehistoire aussi simple 1Allez, ouste,dkampezl- AUons, voyons, patron, dit Paradis, soyezchic. C'est. pastousles jours qu'il yades phno-mmes comme a. Jusque-lAnotre boulot taitbien fait. Les philosophes taient contente. aroulait.- Jene dis pas, dit H.Tortose.- Je les entendais mme les philosophes,continuaParadis,jeles entendais qui sedisaiententre eux ~ ces petits gars-l ils savent les prendreles poules, avec eux on n'en perdpas une bouche,ce n'est pas de l'argent gaspille, elle rapportehien du plaisir. Voil ce qu'ilsse disaient, et ilsajoutaient : moi je reviendrai tousles soirs.- a, c'est vrai, dit Petit-Pouce, je les aientendus : exactementcomme a.- Tu vois bien que ce ne sont pas de mchantsgarons, dit MmeTortose qui venait de se dcaisseret de rejoindre son poux. Tu ne vas pas leur faireperdreleur saisonil caused'unsaletype. C'tait.pas de leur faute.- OhI merci bien, madame, dit Paradis.- Bon, a va, dit M. Tortose. a va. Revenezdemain.- On ferme? demanda Petit-Pouce.- Oui. Aprsvouspourrezaller vouscouchersi a vouschante.- Bien, patron. Onboucle et on vase prome-ner.Ils bouclrent et allrent se promener.l1saUrent auplus prs, c'est--direqu'ils nesortirent pas de l'Uni-Park, o cedimanche deJUIn dversait, et le beau temps, et la foule,conjugusenunbouillonnement noir et gueulardqu'aspergeaient deleurs feuxet deleursmusiquesplus de vingt attractions. Ici l'on tourne enrond et lonchoit dehaut,icil'onva trsvite etltout detravers, ici l'onsebouscule etlonsecogne, partout onsesecouelestripeset l'onrit,on tte de la fesseet l'on palpe du nichon, onexercesonadresse et l'onmesuresaforce, et l'onrit, onsedchane, onbouffedelapoussire.Pierrot, Petit-Pouce et Paradis s'appuyrentcontre la balustrade qui entourait la piste desautos lectriques ressorts et ils examinrent lasituation. Comme l'habitude, il y avait l descouples (sans intrt), des hommes seuls, desfemmes seules. Tout le jeu consistait pour leshommes seuls tamponner les femmes seules.Quelques hommes seuls, trs jeunes, encoredanstoute la fleur de leur navet, se contentent desjoies de la vanit et s'appliquent dcrire desellipses sans heurts. Peut-tre se consolent-ilsainsinenepas enavoirune vraie, d'auto. Quantaux femmes seules, elles peuvent naturellementtre deux dans la mme voiture,a ne les empchepasd'tr seules, moinsdecasextrmesplusoumoinssaphiques.Petit-Pouce et Paradis, aprs avoir serr lapince de quelques collgues dont la besogneconsistait voltiger d'auto en auto pour fairepayer les amateurs (certains ne dmarraient pasde toute la soire), Petit-Pouceet Paradis aper-urent justement un de ces couples bi-femelleset y reconnurent les deux petites qui avaient21amorclasoire devantlePalace. Ils attendirentavec patiencequedechoc enchoc ellespassassentprs d'eux; et alors les interpellrent, sans ver-gogne. Elles firent toutd'abordfi deces avanceset continurent leurs prgrinations, mais unemle gnrale les ayant coinces face leursgalants, elles voulurent bien sourire.Aucoupdecloche marquantlerenouvellementde l'cot, Petit-Pouceet Paradis enjambrent lacltureet se jetrent dans unvhicule. Ds quela clocheannona la reprise des hostilits, ils semirent la poursuite des deuxenfants pour lespercuter. Et hardi! Ayant ainsi fait amplementeonnaissanee, aucoup de cloche suivant un chass-crois rpartit ces quatre personnes en deuxcouples htrosexuels. Petit-Pouce choisit labrunefriseet Paradis prit ladcolore. Et hardi!Pierrot ne choisit ni ne prit rien.Accoud bien Ason aise, Pierrot pensait lamort de Louis XVI, cequi veut dire, singulire-ment, Ariendeprcis; il n'y avait dans son espritqu'unebuementale, lgreetpresquelumineusecomme le brouillard d'un beau matin d'hiver,qu'un vol demoucheronsanonymes. Les autossecognaient avec nergie, les trolleys crpitaientcontre le filet mtallique, des femmes criaient;et, au-del, dans tout le reste de l'Uni-Park, ily avait cette rumeur de foule qui s'amuse etcette clameur decharlatans et tabarinsqui rusentet ce grondement d'objets qui s'usent. Pierrotn'avait aucune ide spciale sur la moralitpubliqueou l'avenir de la civilisation. Onne luiavait jamais dit qu'il tait intelligent. On lui22avait plutt rptqu'il seconduisait commeunmancheouqu'il avait des analogiesaveclalune.En tout cas, ici, maintenant, il tait heureux,et content, vaguement. D'ailleurs parmi lesmoucherons, il y en avait un plus gros que lesautreset plus insistant. Pierrot avait un mtier,tout au moins pour la saison. En octobre, ilverrait. Pour le moment, il avait un tiers d'andevant lui tintant dj des cus de sa paie. Il yavait de quoi tre heureux et content pourquelqu'un qui connaissait en permanence lesjours incertains, les semaines peu probableset les mois trs dficients. Son il beurre noirlui faisait unpeumal, mais est-ce quela souffrancephysique a jamais empch le bonheur?Petit-Pouce et Paradis eux, pour eux la vietait belle, vraiment. Unbras passautour delatailled'unesucculentecaille, del'autrengligem-ment manipulant le volant de leur vhiculerduit, ils se payaient du bonheur quarantesous lescinqminutes. Ils jouissaient doublementde leur sens tactile, directement, par le contactd'une cte ou d'un sein travers une toffeminimum, indirectement par les heurts qu'ilsimposaient ou plus rarement rcoltaient. Ilsjouissaient galement doublement dans leurvanit, directement en heurtant beaucoup plussouventqu'ilsn'taientheurts, indirectement enpensant Pierrot qu'ilsavaientlaisslabourre,et solitaire. Avec la musique en plus, un haut-parleur qui bramait Cl mon amour, toi tou-joursIl, il Yavait vraiment dequoi laisser courir lelong de sonchine le frissondeladouce existence;23etcommequoi il est prouv qu'onpeut trisbiennepas penserlamortdeLouisXVI, et lout. demme continuer exister avec au moins uneappa-rence humaine, et duplaisir dans le cur.Cependant, durant les entractes, Petit-PouceD'tait pas tellement que a un hommeheureux.Paree qu'il tait mari, trs lgitimement. Etil avait des remords. Des tout petits mais desremordstout demme. Alors toutensortant sonIarenqu, il n'en pressait que plus fort la jeunemamelleoseplantaient sesdoigts.Ses copains remettant a, Pierrot, lass, sedtourna. Il avait devant lui la masse babylo-niennedel'Alpinic-Railwayoparfoispassaituntrain de wagonnets dvalant en emportant aveclui des hystries de femmes. Asa droite, tesphilosophes, disperss par la police, s'taientregroups le nez en l'air, quelques pas d'uncureuil dans lequel s'vertuait une gaillarde biceps, et qui n'avait pas froid aux yeux, niailleurs. Asa gauche, se succdaient tirs, jeuxetloteries. C'est dece ct qu'il alla. Il avaitvague-ment envie d'essayer son adresseen dmolissantavecquatreballes unepyramidedecinqbotesdeconserves vides, ou en se photographiant d'uncoupde fusil. Il dambulait charripar ta foule,parfois stationnaire comme unepave abandonneparlesflots surlagrve, puisdenouveaudam-bulant, comme repris dans le bouillonnementd'unecharge triomphante des vagues. La Pche la Ligne, La Vaisselle de Ma Grand'Mre, LaBelle au Bois Dormant ne leretinrent pas, maisleTll' la Mitrailleusel'attira.24Singulirement, la manipulationdecettearmenesemblait sduire personne. L'engin paraissaitlmeffet redoutable. Pierrot s'approcha.Il allongeases quarantesous et fit uncarton.Cen'tait pas brillant.- Pas fameux, dit-il la fille qui tenait lestand.Il essaya encore. C'tait toujours mdiocre.ane m'tonne pas. Avec monil.- Vous vous tes bagarr?- Pasgrand-chose. AuPalacedela Rigolade,tout l'heure.- Ah! oui. On m'en a dj caus. Qu'est-cequi est arriv?Il raconta.- Est-ce pas idiot? conclut-elle.- Vousn'avez pasbeaucoupde clients, remar-qua Pierrot qui pouvait faire allusions demtiermaintenant qu'il avait montr qu'il tait de lapartie.- Je suismal place. On s'arrte LaVaissellede Ma Grand'Mre, et puis ils obliquent sur leBois Dormant en me laissant de ct. C'est lesattractions idiotes qui les attirent. Vous,au moins,c'est lesport.Pierrot la regarda.Moi, jeviendraisrien que pourvous.- Tiens, tiens.- Sans blague. D'ailleurs, je suis sr qu'ily a des tas de types qui viennent vous fairedu plat, sous prtexte de s'amuser avec cetustensile.- a c'est vrai. Il yen a qui sont collants...25Pas moyen de s'en dbarrasser. Et btes par-dessus le march... Et btes...- a, il y en a qui en tiennent une couche.- Ils se croient malins, et ilsnedisentquedesbtises, d'une taille... Et puis des plaisanteries,grosses comme eux.- Jevois a d'ici, dit Pierrot.- Vous, vous n'avez pas l'air comme eux.- Faut pasm'en fairecompliment, dit Pierrot.Jene le fais pas exprs.- Oui, vous n'tes pas comme eux. Ainsi,vous ne m'avez pas encore propos unrancard.- Je vous attends la sortie? demandaPierrot.- C'est queje suisune jeunefille, dit lapoule.J'ai un papa qui mesurveille. J'ai aussi unebelle-mre, pas unevraie, uneque monpreapouse lamairieduvingt et unime, maisaussi emmer-dante qu'une pour de bon. Et vous?- Jesuis unpauvreorphelin, dit Pierrot.- Vous avezdes frres, des surs?- Non.- Vous devez vous ennuyer.- Oh! non. J'aipasuntemprament a. Desfois, ame prend, mais commetout lemonde-- Moi non plus, j'ai pas un caractre medesscher sur place.- Et qu'est-ce quevous diriez si on se revoyaitun de ces jours? Demain?D'unedemi-ttedroite, Pierrot lorgnaderrirelui.- Vous regardez cette grue? demanda-t-on.Moi? Oh! non. Je regardais ce que devenaient26les copains. Ils sont dans les autos, l-bas.- Vous m'en payez une tourne?- Oui. Maisquand?- Tout de suite. Je remise l'appareil.Elle emmaillota la mitrailleuse dans une toilecire noire, rangea les munitions dans unecaisseIerrne d'un cadenas, et dversa la recette dans sonsac main.. - a y est, dit-elle, en route.Trois greluchons apparurent avec des amdefendeurs de naseaux.- Pas si vite, mam'zelle, dit le plus marIe,dballez-nous cet engin qu'ontire unevingtainedecoups.Les deux autres trouvrent la plaisanteriemerveilleuse. Ils s'clatrent de rire comme uncent de pets.- Faudra repasser, dit la possible amie dePierrot. Onferme.- Comment onferme? A cette heure-ci?- C'estcommea.Lesgarshsitrent. Pierrot enlevaseslunettes.Ellelui dit:- Laissez-les. C'est des brelus,Ils restaient l, tout couillons. Leplus faraudd'entre eux, l'orateur, regardait l'il noir dePierrot, avec incertitude. Preuve de courageagressif? ou de facile dfaite? Il n'eut d'ailleurspas rflchir fort longuement, car, cartd'ungeste sr et, ma foi, vigoureux par son interlo-cutrice, il n'eut plus qu' reluquer, d'une part.ledos de deuxpersonnes qui s'loignaient de luiavec mpris et dignit, de l'autre un appareil27entourdetoile. cirenoireet ficel. Alors il s'enallatristouillet avecses deuxcompagnons.Pierrot n'tait pas mcontent d'avoir vitunnouveaubigornage, nonqu'il ft lche, maisenfin anel'amusaitpas. La fillelui avaitprislebras. Elle tait toutetidectdelui, et lasti-que. Elle se parfumait, semettait de la peinturesur les ongles, du rouge sur les lvres. Pierrotpalpait, aspirait, admirait tout cela. II trouvaita chouette. Elletait presque aussi grande quelui, blonde, oupeuprs, avec un visage assezfinde star tuberculeuse, et, quant aureste, rondementcampe. Pierrot remit ses binocles et l'invitapour untour d'autos lectriques.Ilss'insrrentdansundecespetitsvhicules,et enroute. Pierrot selana. La premirevoiturequ'il carambola contenait galement un coupleainsi serr. L'homme, qui se croyait habile, seretourna pour enregistrer l'audacieux qui luiavait manqu de respect. Cet homme s'appelaitPetit-Pouce. II tait petit, rbl, costaud, gde quarante-cinq ans, mari mais courant lagueuse, natif deBezons, lecteur dans l'onzime,pas mal dplum, bref, unparoissienqu'avait latteprs du bonnet. Etalors, un qui fut tonn,ce fut lui, Petit-Pouce, lorsqu'il eut aperu Pierrotavec une poupe ct de lui. D'bahissement,il s'en laissa tamponner par Paradis, lequelvoyant le mme spectacle, en perdit le contrlede son joujou, ce qui entrana unemmlementgnral vraiment trs russi.Cependant Pierrot avait repris sa course,dcrivant avec lgance des lemniscates et des28conchodes. Et la belleenfant se pressait contrelui. Ils taient trs contents, tous deux, aumilieu d'un bruit considrable. Des parfumsvaris qui se pressaient dans ses narines, caout-chouc, tle, vernis, poussire et autres, Pierrotne retenait que le voluptueux houbigant donts'imprgnait la mignonne. Les odeurs lui don-naient des mois et l'immergeaient dans unbrouillardluminescent et paillet.C'est traverscettebrumed'toiles parfumesqu'il se mit distinguer graduellement deuxpersonnages qui semblaient s'intresser lui.L'un tait une femme encore jeune, platine,pompeusement farde, grande et forte. L'autretait unhommed'ungevoisin et dedimensionsgalement considrables. La femme le dsignaitdu doigt, lui Pierrot. Pierrot se demande Uninstant si c'est bienlui qu'ondnonce ainsi avecvhmence. Maisiln'yapashsiter. C'est bienlui. Pourtant il ne la connait pas cette dame.Elleal'air detriompher, dericaner, de menacer.Bref, il yatoutesortedesentimentsqui cavalentsur sonvisage. Lebrouillards'estdissip. Pierrotla distingue trs bien maintenant. Quant aubonhomme, il aune drledette. Lehautenestassez bien dessin, mais aprs la moiti du nez,a fout lecampde tous les cts. Les joues ontcoul dans le bas des mchoires, ingalement.Une narine s'ouvre plus que l'autre. Quant auxoreilles, elles volent au vent.Au coup de cloche, les voitures s'arrtrent.Pierrot allait proposer de remettre encore alorsqu'il comprit que les dnonciations de lablonde virago allaient causer un malheur. En effet,le type qui l'accompagnait enjamba la balustradeet se dirigea vers lui.- Qu'est-ce que tu fous l, hurla-t-il. Et lamitrailleuse? Hein? Et la mitrailleuse?Constatant que ce discours s'adressait sapetite amie en puissance, Pierrot se tourna verselle, qui avait disparu, dj. Cependant, la foules'en brisait les ctelettes, tellement elle trouvaitl'aventure savoureuse. Paradis et Petit-Pouce enpleuraient, eux, de l'normit du drolatique.La fille s'tant enfuie, le furieux tourna sonirritation contre le binoclard sducteur, qui sesortait de sa voiture.- Toi, dit-il, toi, tu vas dguerpir. Ce n'est pasparce que tu as pay trois francs l'entre quetu as achet le droit de dbaucher les employes.Hein?- Non, bien sr, concda Pierrot. Seulement,je n'ai pas pay trois francs.Il ne voulait pas laisser passer cette petiteerreur.- Tu as pay demi-tarif? demanda l'autre. Tun'es pourtant pas militaire.- Non, concda encore Pierrot. Je suis entr l'il.- a c'est le comble, beugla le stentor.Il fit des gestes pour inviter les spectateurs savourer cette drision.- Est-ce que tu te moquerais de moi parhasard? demanda-t-il.Pierrot aurait bien aim savoir qui c'tait, cegrand muscl.30- Jevoulaissimplement vousdirequej'taisde la maison.- Toi?De lamaison? Et depuis quand?- Depuis aujourd'hui.N'tait-ce point la vrit vraie? Cependantl'inquisiteurs'baudit. et, s'adressant de nouveauaux personnes prsentes, susurra ces mots quirecelaient des tonnes d'ironie :- Il veut memettreen bote, cepetitgars-l.Il reprit plus svrement :- Ce petit gars-l veut me mettre en bote.Et conclut tout fait svrement :- Dans ce cas-l, je vais lui casser sa petitegueugueule.Comme il s'adressait au public, il tournait moiti le dos Pierrot, qui jugea prudent deprendrel'initiativeet de profiter de la situation.D'un coup de pied imprvu, il poussa sa petiteauto dans les jambes dugrosmenaant. Il espraitainsi ledsquilibrer;ensuitedequoi, il prendraitlafuite. Il avait adoptcettesolutionrationnelledu fameux problme des deux adversaires deforces disproportionnes.Le vhicule arriva donc dans les pattes ducostaud, qui prorait sans mfiance. Le costaudbasculaen arrire comme prvuet vint s'insrerlesquatrefers en l'airentrelesigeet levolant.Le vhiculepoursuivit encore sonchemin pendantquelques mtres, chargde son passager involon-taire.Des clameurs de jubilation furent poussespar les badauds. Et. Pierrot, au lieudes'esbigner,derneureait l, regardant avec intrt les cons-31quences de sa vaillantise. Ce qui permit unnouvel adversaire de se dresser devant lui: M. Tor-tose.- C'est encore toi, s'exclama-t-il. Encore entrain de provoquer une bagarre.Alors il s'aperut que la victime de Pierrot,victimeen traindeseremettresur pied, n'taitautrequ'Eusbe Pradonet - monsieur Pradonet- ledirecteur del'Uni-Park.- Oh! dit-il.Et Pierrot :- Toi, j'ai unbon conseil tedonner:dguer-pis immdiatement, et qu'on ne te revoie plusici. Inutilederevenirdemain. Allez, calte.- Et ma journe, monsieur Tortose?Pradonet s'approchait. M. Tortose, bon bougre,donna deuxou trois petits billets Pierrot qui,fuyant lavindicte patronale, seretrouvabienttseul dans l'obscurit, quelques mtres de laflamboyante porte de l'Uni-Park. Il n'avait denouveau plus de mtier.Onlui tapasurl'paule.- Allons, monvieux, dit Paradis, t'en fais pas,viensprendreunverreavecnous, as'arrangera.Mais a ne s'arrangea pas. Le lendemain,malgrl'insistancede Paradiset mme de Petit-Pouce, Tortose, redoutant Pradonet, refusait der'embaucher Pierrot.IIDepuis de longues annes, Pradonet avaitl'habitudedeserasersur lecoup decinq heuresct demie six heures, juste avant l'apro, afin deparatre frais au dner et durant tout le coursdelasoire. Lorsqu'il attendaituninvit, letra-vail tait encore plus soign.Il s'appliqua parce quetrois jours avant, il avait convi sa table lefakir Croua-Bey qui devait pendant quinzejours s'exhiber dans la baraque de l'Uni-Parkrcemment occupe par l'Homme Aquariumetantrieurement, dansl'ordrechronologiqueascen-dant, par la Pithcanthropesse, par la Danse duVentre, par le prestidigitateur Turlupin, parbien d'autres encore.Tandis qu'il s'appliquait se gratter la couenne,Lonie, sa matresse - que l'on appelait MmePradonet - bienqu'elleneftqueveuveProuil-lot, Lonie se comprimait les formes dans unearmatureadhoc, nonqu'elleft obsedj, maisenfin a venait, a venait, et n'aimait-elle pasparatrebelle? Elle parvint donc modrersonpanouissement charnel, et, aprs cet effort,s'assit sur le bord du lit, regardant pensivement33levisage de Pradonet qu'elle voyait reflt danslaglaceavec unejoue gonfle, tenduepour mieuxsabrer le poil. Puis le visage dbarrass de samousse de savonet de sa pilosit s'claira pro-gressivement jusqu' devenir une mine rjouie.- Qu'est-cequi te fait rire? demanda Lonie.Pradonet, qui ne faisait encore que sourire,s'esbaillala goule et hoquetaunrire.- Nem'agace doncpas, dit Lonie.Il ne s'arrtait pas. Elle hausse les paules etcommence mettre ses bas.- Tu ne sais pas quoi je pense? demandaPradonet qui se calmait.- Qu'est-ce que a peut me faire?- Jepense hiersoir. Je devais avoir bonnemine les quatre fers en l'air dans monvoiturin-Ah!Ah!Ah!- Jet'ai toujours considr comme un imb-cile, dit Lonie. Tu manques de dignit. Si tune m'avais pas eue, tu te serais fait rouler partout le monde. Tu ne serais pas directeur del'Uni-Park, a non. Qu'est-ce qui a le plus d'argentdanscetteaffaire?Moi, n'est-ce pas. Pour tefaireplaisir, je laisse croire que tu es un monsieurimportant. Oui, sans moi, queserais-tu devenu?Je me demande mme si tu aurais t capablede poinonner lestickets l'entre, tellementtuescouillondanslefond. Tu as uneme de poire.Onteflanquerait unebaffequetu tendrais l'autrejoue pour enrecevoir uneseconde.- L, je trouve que tu exagres, Lonie.Enfin, en tout cas, moi je trouve qu'il m'a eu,lepetitgars. Ah! Ah! Ah 134- Onl'a fichu la porte, j'espre.- Oui, oui, ne crains rien. Pauvre garon.- C'est Tortose qui l'avait engag?- Oui, il travaillait au Palace.- a, je sais. Je te demandesi c'est Tortoseoutoi qui l'avezengag.- C'est Tortose.- Encoreun quialamain heureuse. Ah!l l,si jen'taispas l, quelle pagaeaserait.Ils finissaientde s'habiller. On sonne laporte.- Tiens, voil le fakir, dit Lonie. Ce qu'ilvient tt. Pour moi,iln'apas d djeuner pourmieux croter ce soir nos dpens. On va lefaire lanterner unpeu, a lui fera les pieds.- Tusais qu'il est fameux.- Sans a je ne l'aurais pas engag.- Ah! bien, non, ah! bien, non, l je trouveque tuexagres. Tu ne vas pas me dire toutdemmequece n'est pasmoiqui l'ai engag?- D'abord, je dirai ce qui me plat, et puisensuite toi, tului aurais consenti des conditionsinvraisemblablessi jenet'avais pas fait laleonpour que tu lui rognes ses prtentions cebonhomme. D'ailleurs, il nefaut pas que tuaiesd'illusions, tu sais, les fakirs, c'est rudementdmod. Il est l parce qu'il n'tait pas cher.Sans a...- Moi, je trouve a patant ces types quis'enfoncent des pingles longues comme adanslegosier. adonne une riche ide des capacits del'homme. Moi, je trouve.- Peuh. Tous leurs trucs sont dbins main-tenant. Dans les music-halls, on n'enveut plus.35Iltiendra tout auplus ses deux semaines ici, justele temps de trouver autre chosepour occuper cettebaraqueaprs lui.- Moi, j'irai levoir. J'aimea.- Grand nigaud, dit Lonie en s'croulantdans les bras de Pradonet.Elle lui faisait des mignardises.- Grand gosse, va, ma grande brebis, monblanc navet, mon gros cochon tout bta, monlourdaud, ma niaise andouille.Onfrappe laporte. Labonnedemandesi onva bientt dlner, sans a tout sera brl, et sion ne se dpche pas l'invit aura bu tout leDubonnet, quoiqu'il trouve fade cet apro, cequ'il amurmur.- Onyva, ditLonie.Elle sedtachadePradonet, aveclebruit quefait la ventouse d'une flche Eurka lorsqu'onl'enlve de la cible.- Qu'est-ce que tu as encore sourire? deman-da-t-elle.- Jepense encore hier soir. a devait trevraiment roulant de me voir les quatre fers enl'air dansmon voiturin. Ahl Ah! Ahl- Quelle gourde, dit Lonie.Ils se mirent en marche et, quelques Instantsaprs, pntrrent dans lesalon. D'unseul coupd'il, Lonie jauge cinq verres bordeauxlaquantit de Dubonnet absorbe par Crouia-Bey.Celui-ci se prcipite vers elleet plonge avec unlger renvoi.- Mes hommages, madame, articule-t-il.Il dgote, Croula-Bey. Il a desyeuxdebraise,36un front de penseur, des mains de pianiste, unetaille de gupe, une barbe de sapeur, des Ivres-de corail, un thorax de taureau, ah! qu'il estbeau! ah! qu'il est beau!Il apasmal tapdansl'il Lonie.Pradonet et lui se serrent cordialement la dextre.Yvonne (c'est la fille Pradonet) entre. Onla prsenteaufakir.On commence bavarder quand on annonceque c'est servi.On s'installe dans la salle manger autourd'une langouste mayonnaiseausujet de laquelleonpilogueun petit bout de temps. Puisc'estlegigot avec dedans des gousses d'ail si grossesqu'on dirait des asticots cuits. Cette masse debidoche s'accompagne de flageolets; tout le mondepenseauxventsqueleurabsorptionprovoquera,mais onadel'ducation ouonn'ena pas: motus lpasdeplaisanteries sur ce sujet 1Pradonet regardeavec admirationlefakir. Qu'est-cequ'il acommecoup de fourchette. Il dvore. Lonie avait rai-son : c'est pas possible, il avait d se retenir dedjeuner. Lonie, elle, a oubli son pronostic.Elle surveilledu coindel'il l'invit. Il setientrudement bien. Foutre! quelle distinction! Il adclaper danslemonde. probable. Loniese sentdel'affectionpour lui. Elleaenviedele taquiner.Yvonne, elle, ne s'occupe de rien de tout a;depuishiersoirelle a unnouvel amant, lejeunePerdrix qui travaille la Rivire Enchante.Elle s'est donne lui dans une despetites barquesqui promnent les amoureuxdans une Veniseencarton ignifug. a oscillait terriblement, ils37avaient peur de tomber dans la flotte, une eaupoussireuse etcendre. Enfin, ilssontjeunes, ilsent cru avoir du plaisir. Aussi a-t-elle d'autresproccupations que ledner, le fakir et lereste.- Jeparie, ditLonie, jepariequevousavezconnu He'lem-Bey.He'lem-Bey, c'est un fakir clbre, natif deRueil et prnommVictor. Il est bienconnu surlaplace deParis.- Moi?s'criaCroua-Bey, jamais dema vie,chre madame! He'lem-Bey? Un fumiste, qui agchlemtier. Pour mapart, jen'ai jamais tenrapport qu'avecdesvrais.- Bah, dit Lonie, il y en a donc des vrais?O a?- Ici mmetout d'abord. Vous n'avez qu' meregarder.- De quel bled vous tes, monsieur Crouia-Bey?demandaLonie.- DeTataouine, dansleSud-Tunisien, rpon-dit lefakir en tranchant avecdcisiondans unefalaise de roquefort. Ahl Tataoulne, Tataoulne,agi mna, fia l'arbiya, choua chouia barka,excusez-moi, c'est le maldupays quime saisit auxtripes, lanostalgie du dsert... dudsert avecseschameauxqui se balancent... tenez comme a.Il se leva etfit letourdelatable enimitant ladmarche dudromadaire. Eusbe et Lonie, renver-ss en arrire sur leur chaise, se dcrochaientlamchoire tellement ils trouvaient a prodigieux.- Fafafafafameux, bgayait Pradonet.Lonie s'essuyait les yeux.- Blague dans le coin, dit-elle, je parie que38vous tes de Houilles ou de Bezons, peut-tremme de Sartrouville, je reconnais a votreaccent._. Non, chre madame, rpondit l'autre, jesuis un Arabe pour de bon, un vrai de vrai.coutez-moi a.Il ponssal'appel lapriredu muezzin.- C'est jet, approuva Pradonet.- a y est, j'ai trouv, s'exclama Lonie.Vous neseriezpaslefrre deJojoMouilleminchequi chantait l'Europen sous le nomde Chalia-queue?- Tais-toi donc, tuvois bien que tu l'enqui-quines, dit Pradonet en voyant la gueule deCroua-Bey s'allonger. Et toi, ajouta-t-il ens'adressant Yvonne, c'est l'heure!Sansmot dire, Yvonneselevadetable.- Mademoiselle nous quitte dj? fit galam-mentlefakir.- Ne la retenez pas, dit Pradonet avec humeur,il faut qu'elle aille son boulot. Pas difficiled'ailleurs, ni bien fatigant, cequ'onlui demande.Yvonne sortit de la pice.- Elle a unpetit standavecune mitrailleuse,al'occupe. Enattendant qu'ellese marie. Moi,pour sr, jenel'entretiendraispas nerien faire.Quoiquej'enaurais bienles moyenssi je voulais.- Jepense bien, dit lefakir. Avecune entre-prise comme celle-l, vous devez avoir pas mald'argent gauche.- Vous pouvezdirequejenesuis pas deceuxqui tremblent quand ils voient arriver le terme.Puisquejesuis monproprepropritaire!39- Tu n'es pas forc de raconter tes affaires,dit Lonie.- Peuh! je ne dis rien de secret. Tout remonde sait qu'elle est moi cette bicoque. Ilaurait peut-tremmetcapabledeledeviner.Aufakir:- Vousfaites deladoublevue?- Non. Voussavezaussi bienquemoi queladouble vue, c'est du chiqu.- Il a des oublis comme a, lui dit Lonie.C'est pasunaigle.- Moi, continua Croua-Bey, ce que je faisc'est du solide, du concret, du rel : les sabres,les pingles chapeau, les planches clous, leverrepil, lescharbons ardents. Et pas de trucageavecmor,- Bigre,dit Pradonet avecconviction.Mais Lonie tait dcide taquiner le fakir.- Vous tes bien sr, demanda-t-elle, quevous n'tes pas le frre de Jojo Mouilleminche?Je me souviens qu'il me racontait tout le temps queson frre aprs avoir fait son temps en Afrique taitrest l-bas. II avait fait toutes sortes de mtiers, etpuis un jour, la vocation lui tait venue: fi voulaitdevenirfakir. a ne serait-il pas vouspar hasard?- Fiche-lui donclapaix, dit Pradonet. Onsecroirait chezlejuged'instruction.- y aerreur, yaerreur, ditCroua-Bey, maisjevoisbienquemadameveutmefairemarcher.Biensr que je ne connais pas ce Jojo Machin.II vida sa tasse de caf, brlant comme il se doit,et lareposad'ungestemditatifquine manquaitpasdegrce. Lonieobservait lesondulationsde40sa barbe qui refltait ses hsitations entrelechemin du mensongeobstinet celui des aveuxplusoumoinspartiels.- Un cigare? proposa Pradonet.L'autre accepta, coupalebout avec prcision(et distinction) et l'allumaau briquet tendupal'sonhte.- Bon, dit-il. Bon, bon, ajouta-t-il. Bon, c'estbon, conclut-il. Faut dire que c'est unedrledeconcidence.- Alors je suis tombe juste? demanda Lonie.- Vous avez mis dans le mille, rpondit.MouilIeminche. Moi, jem'appelleRobert,etmonfranginc'taitbienle chanteur. Alors vousl'avezconnu?C'est drlela vie tout de mme, il y a queles montagnes qui ne se rencontrent pas, alorscommeavousl'avezconnu?- Je veux, dit Lonie. 'a t mon premierbguin.- a ne m'tonne pas, dit Mouilleminche,li n'yavait pas plus coureur que lui.- Qu'est-ce que vous insinuez? demandaLonie.- Vous n'allez pas me dire que c'tait pasun chaud-de-la-pince? s'exclama MouilIeminche.A preuve,c'est de aqu'il est mort.- II est mort? s'exclama Lonie.Ellehsita uninstant. Mais c'tait bien vident.qu'il tait mort.- Monpremier amour 1 gmit-elle.Etce furent despleurs. Pradonetse rapprochad'elle pour la consoler, mais ellene voulait passe laisser consoler, elle.41- C'est malinderaconterdes histoiressansyrflchir, dit-il au fakir. Onpeutledireque vousne l'avez pas, la double vue.- Laisse-le, laisse-le, murmura Lonie. Qu'ilmeracontepluttcomment as'est pass.- Moi, jeveuxbien, dit Mouilleminche. Seule-ment, faut plus pleurer. Qu'est-ce que vousvoulez, c'est des choses qui arrivent tout lemonde, pasvrai? Faut en passer par l. Et puismoi je le pleure bien pas, moi qui suis son frre.II est vrai que maintenant j'y suis habitu cetteide-l: qu'il estmort.- Allez-y doncdevotrehistoire, ditPradonet,vous voyez bien que a lui ferait plaisir, del'entendre.Mais Lonierevenait peu peu untat plusnormal.- Vous devez me trouver idiote, dit-elle aufakir en setamponnant les yeux. tre dans cettat-lpour un typequ'onaconnu dix-sepans,etqui vousalaisstomberdix-sept ans et demi.Comme je vous le dis. Il faut ajouter que c'estlui qui m'a rvl l'amour. Alors. comme a :il estmort?Jem'taistoujours demandcequ'iltait devenu. Jenele voyais plus figurer sur lesaffiches. Je me disais qu'il devait traner lapouille quelque part loin de Paris.- Eh bien. non. cen'est pas a. JI est mort.Depuis. il ne traine plus pouille ni rien. Voilcomment c'est arriv Il chantait Palinsacquandil est t.omhamoureuxd'unejeunefille quitait la fille d'un monsieur t.rs bien de la ville.Il avait, le monsieur, une belle maison dans un42faubourg,tout entoure d'un jardin et d'un grandmur, et monfrangin, qui tait culott, sautaitlemur, traversait le jardin et pntrait dans lasplendidevillaol'attendaitlajeunefillequinemanquait pas d'audace, elle non plus. Maisfigurez-vous qu'un matin on l'a trouv tendu, tout desonlong, aubas du mur, dans la rue. Il s'tait cassla gueule en repartant. Le crne, tout fendu, n'taitplusutilisable. Voil comment mon frre est mort.- ac'est unemort, dit Lonie avecenthou-siasme. C'est romanesque, c'est passionnel, e'estvivant. Cen'est pas monPradonet qui trouveraunefin comme celle-l, hein, mon gros frise--plat?- Hrrouin, fit Pradonet.- Etlajeunefille? demandaLonie, qu'est-cequ'elle est devenue?- Jen'ensais fichtre rien, rpondit le fakir.Je ne pourrais mme pas vous dire sonnomnison adresse. Acettepoque-l, je me trouvais Alexandrie, vous savez, en ~ g y p t e . C'est mamre qui m'a crit tout a, et quand je suisrentrenEurope, mamre tait morte, jen'avaisplus de famille, parce que mon pre je ne l'aimmejamaisconnu.- Vous tiezorphelinquoi, dit Pradonet.- CeJojo, tout de mme, dit Loniepensive.Mourircommea : quellehistoire!Etane nousrajeunit pas. C'tait le bon temps ce temps-l,j'taisjeune, jeme fichais detout et jechantais.Car j'tais chanteuse, sidi Mouilleminche, chan-teuse lgre. Jebatifolais avecune robecourtepaillettes, vous auriezvu a. Et allez doncc'estpas mon pre, que je faisais en me cognant le43nez avec mon genou. J'avais une faon de jeter montalon au-dessus de mon chignon, non! C'estpas les hommes qui me manquaient. Et puis unjour mavoix s'est casse; alorsjeme suis marie,et j'ai tenu la caisse d'une attraction... mais jen'ai pas oubliJojo.- Mme Prouillot est une sentimentale, ditPradonet, tandis que moi, mon premier amour,ah! l l, je serais bienincapablededire cequec'tait.Croua-Beysouleva son verre de fine et pourchanger deconversation:- Alavtre, dit-il.- Ala bonne vtre, dirent Lonie et Pra-donet.Ils se jetrent l'alcool derrire la cravate etrestrent quelques instants silencieux en ttantleur cigare, ils : Eusbe, Robert et Lonie, carcelle-ci s'habillait unpeu l'hommasse et s'adon-nait autabacfort.- Et qu'est-ceque vous dites devotrelocal?demanda Pradonet au fakir.- Pas mal. videmment, j'ai vu mieux,mais lestempssont durs.- Vous avez besoin de servants?- Un seul me suffira. J'ai un costume pourlui. Un chmeur quelconque fera l'affaire.- Et vous me garantissez six reprsenta-tionsentreneufheures etminuit?-Jene vous l'ai pas promis?- Si, si, dit Pradonet. Alors, six fois dans lasoire, vous lecherez une barre de fer rougieblanc?- Parfaitement.- Moi, dit Lonie, moi jemedemandequi apouvait bientrecettejeunefille.- Aucune ide, rpondit le fakir. Je n'alpersonne ence moment, vouspourrezme trouverlintypepourmeprsentermes ustensiles?- On peut se retrouver demain midi pourl'apritif l'Uni-Bar,dit Pradonet, lesclochesn'ymanquent pas.- Entendu, dit le fakir.- Je dois confesser que j'ai connu plus d'unhomme, dit Lonie, mais ma parole,'je ne l'aljamais oubli, lui, alors vous comprenez que am'intrigue, cettejeunefille: ladernirematresselie monJojo.Elle noyalemgot de son cigare dans le bainde pieds qui croupissait dans sa soutasse.- Qu'est-ceque vous en pensez, sidi Mouille-minche? demanda-t-elle au fakir.- Je ne m'en suis jamais souci, rponditCroua-Beyavec ennui.- Si tu permets, m'amour, dit Pradonet, jetrouve que de ta part c'est une ide un peumalsaine.- Qu'est-ce que tuveux, c'est une curiosit.- ternel fminin, soupira galamment lefakir qui joignit cepropos son plus charmantsourire, Eve... Psych... Pandore...- li Brigadier, rpondit PandoreD, chantonnaPradonet, CI brigadier, vous avez raison D.- Pas la peine d'essayer de me mettre enboteavecvosallusionsquejenecomprendspas,dit Lonie. Jenesuis pas idiote, allez.45- Chrie, dit Pradonetenlui prenant tendre-ment lamain.Ils restrent quelques instants se regardergravement les yeuxdans lesyeux. La barbe dufakir ondulait doucement sous l'effet de pensersindicibles.- Allons, au travail, dit Lonie en retirantbrusquement sa main de l'treinte adultre.Elle selve avecdcision. Croua-Bey sedressegalement, assez surpriset embarrass.- Mais restez donc, dit Pradonet. Nous nesommespas presss, nous. A neuf heures tapantes,Lonie estsonposte et...- Tu donneras des explications aprs, ditLonie, jen'ai pas letempsd'attendre. Excusez-moi, sidi Mouilleminche, mais l'exactitude, voyez-vous, c'est cequivousmne la fortune. J'esprequ'on se reverra et qu'on reparlera de tout a.Jojo... tout de mme... Enfin... Aurevoir, Zebbi.Eusbe et sa matresse se bcotrent sansdiscrtion, et de son ct le fakir plongea denouveau sur une main tendue, qu'il remarquacopieusement diamante. Il fallit mmes'corcherlenez, qu'ilavaitlong, surundix caratsagressif.Lonie sortit, le grand patron offrit cigare,nouvelle tournede fine:- Oui, dit-il, elleest commea. Tousles soirspendant la saison neuf heures ptantes, elleva s'asseoir ct de la caissire de l'Alpinic-Railwayet de son poste d'observation elle sur-veille lePark. Si quelquechose neva pas, ellesedplace. Fautvous dire aussi que l'attractionluiappartient : c'tait son mari le propritaire46lorsquenous nous sommes associs. Vous n'avezjamais connu son mari? Albric Prouillot? Unancien prestidigitateur qui s'tait bris desdoigts, un jour, sur la mchoire d'un ngre, etfigurez-vous que ce ngre qui tait de la Marti-nique et qui s'appelait Louis Durand, ce ngreavait unpetit mange qu'il a vendu, et, commeProuillot nepouvait plusexercer sonmtier, ils sesont associs pour acheter l'Alpinic-Railwayquitait alorsflambant neuf, je vous parled'il y a unequinzaine d'annes, depuisjel'aimodernis. PuisDurand est mort, et quandj'ai cr l'Uni-Parkc'est avec Prouillot seul que je me suis associ.Je ne dis pas, remarquez, que c'tait mon seulassoci, parce quepourfonderuneaffaire commea, il enfallait descapitaux, jedisseulement qu'ce moment-l, l'Alpinic appartenait Prouillotseul. Mais a vous embte mes histoires, hein?- Pas du tout.- Enfin... toutcequejepeuxvousdire, c'estque le Jojoen question, votre frre quoi, je nel'ai jamais connu,celui-l. Dans ce temps, Lonie,je n'y pensais mme pas, pour labonne raison queje ne savaismmepasqu'elle existait. C'est vraia. J'avais un mange de chevaux deboispourenfants, des vrais chevaux de bois qui mevenaientde mon pre, c'taitpasriche jevousassure. Jesuispartidepasgrand-chose, c'est certain; maisvoulez-vous voir ce que je suis devenu? Venez.II vida sonverre avec la mme dcision qu'avaiteueLoniepourliquiderlesienet seleva.- Nous allons monter sur la terrasse, conti-nua-t-il, et je vous montrerai cela.47Le fakir lampa les dernires gouttes de laquantit d'alcool que son hte lui avait alloue.- Excellente, cette fine.- Vousavez bien dn?demanda cordialementPradonet. Bon. Eh bien, maintenant, vous allezcontempler un de ces points de vue, vous m'endirez des nouvelles.Il mena donc son invit sur la terrasse del'immeublequ'il avait fait construire l'un desangles du quadrilatre occup par l'Uni-Park,au coin du boulevard Extrieur et de l'avenuede la Porte-d'Argenteuil. Pradonet, sa fille etMme Prouillot habitaient eux trois les deuxderniers tages. Ausecondlogeaient les Tortose,au premier les Perdrix, au rez-de-chausse lesconcierges etdeshtesdepassagequi occupaientdetempsautredeschambresadhoc.- Hein, qu'est-cequevous endites?demandaPradonet lorsqu'ils furent arrivs.L'Uni-Park s'talait lumineux, grouillant etsonore. Les musiques, les bruits et lescris mon-taient tousensemble; d'unseul coup, ilstapaienten bloc dans les oreilles. Au-dessus des multipleslumires, immobiles ou agites, des avions,attachs un haut pylne, tournaient silencieu-sement enronddansunezonedjobscure et parconsquent potique. Mais endessouscelaressem-blait fort un fromage o eussent ramp deslarves noires claires par des vers luisants.- Ehbien, dit Pradonet, tout cela est moi,oupresque. Entout cas, je dirige, jecommande,j'organise. Je ne vous dirai pas mon chiffred'affaires, mais il y a des jours o nousvoyons48cent mille visiteurs. Vingt attractions se lespartagent tour tour, et je ne compte pas lesloteries, les jeux d'adresse et les tirs que vousvoyez runis pour la plupart, l-bas entre l'Alpinic-Hailwayet le Dancing, prs de la porte l'anglede l'avenuede Chaillot et de laruedes Larmes.Mais l'entre principale, c'est l devant nous,celle ducoin du boulevard Extrieur et del'avenuedeChaillot, et droiteenentrant, notregauche nouspar consquent, vous reconnaissez la hucheque je vous ai rserve? Juste devant le MtroFantastiqueo lafouleestentrainde s'empiler?- Je reconnais, dit Croua-Bey.- Oui. Tout a. Tout a, c'est moi. Oupresque. Et je suis parti de rien. Ou presque :unmangedechevauxdebois, desvraischevauxde bois, mon cher monsieur.- Et cette partie obscure, l, qu'est-ce quec'est?- Odonc?- Mais l.,; le long de cette rue... on diraitqu'Il yaune petitechapelle et des arbres...- Oh! a?cen'est rien. Ne m'appartient pas.On varedescendre maintenant, si vous voulez bien.- Tiens, vousfaitesdel'astronomie?demandale fakir en reprant une longue-vue monte surun trpied.- Oh! a? ame sert quelquefois surveillerla marche des oprations. Tenez, vous voulezvoir Mme Prouillot la caisse de l'Alpinic-Hailway?Il orientalalunette. Le fakir colla son il.- Elle est l en effet, dit-il poliment.49Pradonet colla son il son tour.- Sacre Lonie, murmura-t-il, solide auposte mais mlancolique cesoir. C'est la faute votreJojo, ajouta-t-il ense tournant vers le fakir.- Si elle n'avait pas insist, n'est-ce pas,on n'enaurait pas parl.- Tout juste. Les femmes, tout de mme,quelles drles de brebis. Jamais des ides commetout le monde. Nous, les hommes, a tournerond, tandis qu'elles : toujours des -coups.Mais faut dire queleurs mensualits ysont pourquelquechose. aleur brouillelefonctionnementdu cerveau, parcequ'il y a unrapport entre lesdeux, c'est moi qui vous le dis. D'ailleurs vousavez d tudier a pour faire vos tours, vousdevezconnaitrele corps humain.Pradonet orientait difIremment son appareil.- Tenez, vousvoulezvoirma fille?Le fakir colla son il.- Elle est l en effet, dit-il poliment.Pradonet colla son il son tour.- Il n'aurait plus manqu que cela, dit-il.Figurez-vousqu'hierelleatoutplaqupourallerse faire offrir untour d'autos ressorts par ungodelureau que je me demande ce qu'il pouvaitbien avoir pour la sduire. La garce n'est pasdifficile, je le sais, mais tout de mmeil yaletravail. On ne lche pas son stand comme a.Parceque, pourlereste, jene me fais pas d'illu-sions : elle ne vaut pas cher. Les tempsveulenta : les journauxnous ont prvenus.Il soupire et change encore une fois l'orientationdelalorgnette.- Maintenant, dit-il, on va unpeuexaminerIPs entres, voirsi a marche.- Allez-y, dit le fakir qui en a soup de lal'arkoscopie.Pradonet colle son il.- a va, le mouvement est bon. Tiens...- II y aquelque chosequi nevapas? demandaJ l ~ fakir.- Tiens, tiens, maisc'estmoncoquin...Toujoursdemi ploy,il se tourna versCroua-Bpy:- C'est le garon qui a dbauch ma fillehier, et qui aprs, il faut que je vousracontea,d qui aprs m'a fait glisser unvoiturindans lesjambes et jeme suisaffall-dedans les quatre fersenJ'air. Si 'avait tun autreque moi, j'auraistrouvlecouppas mal drle. Ce garon travaillait/lU Palace, aprs cette histoire on l'afoutu laporte, naturliche. Ehbien, je viensdele voir ren-trer. II avait pay sonentre, je l'ai vuremettreson ticket. II s'est arrt devant votreaffiche.IIcolla de nouveauson il l'oculaire.- Merde! s'cria-t-il, il a disparu.II se mit le poursuivre, braquant salongue-vuedanstouslescoins. II finit parle rattraper.- Ah! le revoil. Devant le Grand SerpentVert. Non, a ne l'intresse pas. Le voil qui sedirigemaintenantductdudancing, mais il n'asrement pas l'intention d'entrer. C'est bien ce quejepensais, ilcontinuesonchemin. Levoilmain-tenantdevant une loterie, onpourraitcroirequ'ilva jouer, mais non il se contente de regardertournerlaroue. IIenaassez. Ils'enva. Levoil51maintenant devant La Belle au Bois Dormant,une attraction invente par Prouillot, tenez. Vous8 a ~ z , il yaunefemmecouchedansun lit, pourvingt sous onaledroit de viser dansunecible;si on metdansle mille,le litbascule et on voit lapouleroulerpar terre. Elle estdshabille, paslapeine de vous le dire. a rapporte bien, une attrac-tioncommea. Il tait pasbte, Prouillot. Maismongaillardva plus loin. Jesais oil vamongaillard. Naturellement. Je l'avais bien dit. Lerevoil qui lui fait du plat. Il est culott alors.Et qu'est-ce qu'il peut bien lui raconter?- a nevousennuie pas queje vienne unpeubavarderavecvous?demandaPierrot Yvonne.- Mais non bien sr, rpondit Yvonne. Aucontraire, c'est gentil derevenir mevoir.- Vous n'avezpas eud'histoiresaprslecoupd'hier?- L'engueulade traditionnelle, surtout parceque j'avais plaqu le stand.- Alors, sans blague, vous tes lafilledu grandpatron?- Pourquoi pas?- Tout de mme, fit Pierrot, c'est quelqu'un.- Allez, mecharriezpas. JenesuispassortiedelacuisseMachinchouette.- Et vous travaillez, comme a?- Faut bien. C'est les ordres. Et puisa nem'ennuie pas. Je vois du monde. Je fais monducaaaation.- Vous tes rigolote, vous. Vous n'avez pasl'air de vous en faire.- Vous, vousavez le bourdon,hein?ce soir.52- C'est que c'est pas drle. Je n'ai plusd'emploi. Toujourschmeur.- Pauvre vieux. Onvous a fichu la porte,c'est vache.Bah 1Et vous, vraiment pas eud'ennuis?- Mais non, vous voyez.- Et amarche, ce soir?- Couci coua.Un groupe de gamins s'approchait.- Ayez pas peur, dit Pierrot. C'est quaranteROUS les vingt-cinq balles et tu te croirais Chicago.Et puis a t'entrane pour le casse-pipe. Hsitezpas les gars, une occasionunique.Un despetitsyalladesonlarenquet pendantce temps-lYvonne et lui continurent laconver-Ration.- a a l'air d'un terrible le papa, dit Pierrot.- Pensez-vous. Jenele vois pasmchant pasdu tout. Seulement faut bien gueuler quandoncommande.- Possible. Ladameaveclui, elle, nedoit pastre commode. Elleenfaisait une tte.- Aprs tout,qu'est-cequeapeut vous faire?Oh! rien. Jecausais.Causons d'autre chosede plusdrle.Faut m'excuser.Voustes toutexcus, voyons.Le gosse avait fini son carton. Yvonne alla lelui chercher.- Pas fameux, mon petit pre, dit Pierrot.Fautremettrea.L'autre se laissa convaincre et. de nouveaulamitrailleuse crpita.53- Alors, dit PierrotYvonne, onnepourraitpas se voir un peu tranquillement un de cesjours?- C'estdifficile. Jesuis ltoutl'aprs-midi ettoute la soire.Et aprs?- Comme vous y allez.- Quandalors? Lematin?- Peut-tre.- O?- Attendez. Passi vite.- Alors, vous ne voulez pas?- Je vous aidit peut-tre le matin.- O?- Jepassequelquefois vers onze heures dansla rue des Larmes. Maisne m'attendezpas pluslongtemps. Sivousnemevoyezpas, c'est que jen'aurai pas pu.- Oasetrouvecetteruedes Larmes?- La rue derrire, celle qui va de la petiteentFe l'avenue de la Porte-d'Argenteuil.- Vousyserez demain?- Peut-tre.- Moi, j'y serai.Lechargeurtaitpuis. Yvonneallaquerirlecarton. Pierrot se sentit alors des ailes : deuxmalabars venaientde le saisir chacun par unbraset I'entranaient vers la sortie avec une vlocittelle que ses talons ne touchaient pas terre, etavec une habilet si grande que personne neremarqua sa disparition. Prs de la caisse, deuxautres mastardsl'attendaient, qui leregardrentsousle nez. Ilsse dirent entre eux:- Tu reconnatras son portrait? Oui? Alors,dfensedele laisser rentrer.Puistousquatreleprojetrent danslanuit.- Voil dutravail proprement fait, dit Prado-Ildqui suivait la scne du haut de sa terrasse.Vousavezvu comment je procde? Uncoupdet.iphone , et hop! le perturbateur est expuls sanspertes ni fracas. a c'est de l'organisation. VousIlC trouvezpas?- patant, dit le fakir.- Pauvre type, ajouta Pradonet. C'est sre-ment unmalchanceux. Seulement onn'apas idede venir dranger les employes durant leurtravail. Yvonneaautrechose faire qu'couterfies boniments. II n'a pas de veine. On voit atout desuite. Parexemple,ilaurait trs bienpupasserinaperu, cesoir. Maisnon! il a fallu qu'ilfiC fasse reprer : et par moi encore! Vous croyezIl la chance, monsieur MouilIeminche, vous quiHavezdes tasdetrucs?- C'est une chosequi secommande, commelercste.- Non! s'exclama Pradonet. Vous n'allezpasme soutenir que ... lorsqu'il vous tombe un potdeHeurs surlatte, parexemple...- Les fakirs ne reoivent jamais de pots defleurs sur latte.Rveusement, Pradonet rangeala lunette.- Et cette partie qui 11'est pas illumine!demanda Croua-Bey, vous ne m'avez pas ditceque c'est.- Mais si, rponditPradonet agac. Je vous aidit que ce n'tait rien. Rien. Rien.IIIDepuis deux ans, Pierrot habitait le mme htel,c'tait devenuunehabitude, l'htel del'Aveyron,unebtisse d'un matriau lger et un seul tage,avecunbalcon extrieur qui faisaitcommuniquerentreelles les diffrenteschambres. La courtaitune anciennecour deferme, unelucarnedonnaitvuesurunjardinde couvent. Levoisintaitunvieil ouvrier extrmement discret et silencieux.Plus loin,il yavait des couples qui s'occupaientsurtout d'eux-mmes. Les patrons taient insou-cieux. Une servante maritorne n'avait pointcherchattenter lapudeurdePierrot. C'taitd'ailleurs une bonne bougresse assez serviable.Pierrot setrouvaittrsbienence logis.Lelendemaindesaseconde expulsiondel'Unl-Park, 11 ne se leva qu'assez tard, vers les septheures, aprs avoir cagnard au lit. Il se lavasoigneusementtouslesendroitsoapeut sentirmauvais, se mouillales cheveux, se brossade lamain, essuya ses souliers contre le bas de sonpantalon, levoil prt,il est maintenant devantunjusbouillantsurunzinc,il litLa Veine poury chercher le petit dada sur lequel il risquera56deux thunes, il y rflchira toute la matine, iln'cst encore quehuit heures.Il est remontdans sachambre. On apoussetI . ~ parquet et retaplelit. Pierrot taleLaVeinepour ne pas salir le couvre-pied, et puis il s'allonge. Ilhune. Il attend quepassent les heures. Les hommesMont partis au boulot. Les mnagres cancanent. Desnutosroulentdanslarue, despetitesfillesjouentdansle jardin ducouvent. C'est dutrscalme.Detemps autre, Pierrot ferme lesyeux, et ilsaute comme a dixminutes, unquart d'heure.Quandil rouvrelesyeux, tout estpareil. Alors ilrecommence attendre, il reprendunecigarette,,,1, de nouveau de lents et rares pouf-pouf de fumeHetranent mi-plafond. Il yaungrosrayondesoleil couch devant la porte, ouverte sur lebalcon. Degrosses mouchesentrent faireun tour,puis ressortent irrites. Despetites se baladent unpeupartout. Les mnagressont partiesaumar-ch. La rcration est termine. La circulationbourdonne quelquespas. Toutest chang, toutchangera encore, avec les heures.Aneuf heures et demie, Pierrot se lve, plieLa Veine et se met enroute. Ily a un bon bout decheminde chez lui l'Uni-Park; ille fit pied.Il marchait sanssepresser, enn'loignant jamaisbeaucoupses semelles de l'asphalte. Il s'arrtaitdevant les boutiquesqui lui plaisaient :lesmar-chands debiens avecleurs villas la campagne,les marchandsdetimbres-poste,les marchandsdebicyclettes, les marchands de journaux, lesgarages. Il neratapasunfabricant deroulement billes qui exposait dans sa vitrine des rebondisse-57ments mathmatiques de petites sphres d'aciersur des tambourins de mme mtal. Puis il remontal'avenue de Chaillot et bientt il aperut l'Uni-Park : sa porte d'entre monumentale avec desfemmes nues en stuc, leur chignon, leur largebassin etleur ptoseabdominale, leschafaudagesdel'Alpinic-Railway, latourauxavions.Sansse presser plus, il passadevant les portesfermes, illongea le mur dudancing, puis, aucoinde la ruedesLarmes, il tourna sur la droite, devantl'entresecondaire, o portes galement fermes.Jusqu'alors, il n'tait jamais venu dans cette ruedemi zonire. Desateliersderparationd'auto-mobiles et quelques bistrots occupaient la rivegauche, ainsi qu'une villa qui devait dater dutemps de Louis-Philippe.De l'autre ct,le mur del'Uni-Park s'arrtait unevingtainedemtresdel'avenuedeChaillot. Plusloin, il yavait, sparede larue par une grille, unesortedechapelleaumilieu d'une espcedesquare. Tout d'abord, Pier-rot ne s'y intressa gure. Il allait et venait,guettant l'une ou l'autre de ses extrmitsl'apparition d'Yvo.nne. Mais Yvonne ne parutpoint. Lorsque vint midi, il fallut bien croirequ'ellenepasserait pluscejour-l.Pierrot put alorsremarquerunhommequi sor-tait de la maison louis-philipparde ; qui ferme clefderrire lui; qui traverse la rue; qui, aumoyend'une seconde clef, ouvre la grille; qui pntredanslesquare; qui, d'unetroisimeclef, ouvrelaporte de la chapelle, cela semblait bientre unechapelle, mais d'un style inconnu de Pierrot,d'ailleurs fort peu archologue. C'est l qu'entre58l'homme. Laporte se referme derrire lui. Pierrot,mtress, commencesedemander s'il neva pasrisquer quelques pas de cect-l. Cequ'il faitfilialement. Maisl'hommesort cemoment. EtI'ierrot :- Pardon, monsieur, pouvez-vousmedire...Mais l'autre:- Vous tes Poldve, jeunehomme?- Moi? Non. D'ailleursjenesaispasce...- Alors? Uncurieux?- C'est--dire que je passais par hasard et que..- Ah! ah! jeunehomme,vous voulezdirequevous ne savez pasce quec'est quecette chapelle?- Pasdutout, monsieur.- Ah! ah! c'est qu'en effet ce n'est pas unmonument trs connu. Il ya biendes livres qui enparlent, mais ils sont trs savants et on ne lestrouve que danslesbibliothques.- Je n'ai jamais eu beaucoup le temps d'yaller.- Je ne vous en fais pas un reproche, jeunehomme. Alors, comme a, vous vous demandezce queapeut bien tre.- Oui, monsieur. Si jenesuis pas indiscret...- Pas dutout. Mais...Il tira un bel oignon de sa poche et regardal'heure.- ... il est tempsd'aller djeuner. Ce sera pourune autrefois. Aurevoir, jeune homme.Et il traversalarue. Ouvrantavecsapremireclef laportedesamaison, il rentrachezlui.Devant un garage, des ouvriers discutaient lecoup. Pierrot s'approcha de leur groupe et s'enquit59poliment des origineset de la nature de cepetitmonument qu'onvoitl, danscesquare.- J'ensaisrien, dit l'un.- Entrenous, qu'est-ce que a peut te faire?demandel'autre.- C'est unechapelle, rpond untroisime. Pourvisiter, faut s'adresserautypequi habiteenface.- Ah!oui?firentlesdeuxpremiers patsparcette science.Ils se mirent examiner ce truc que jusqu'prsentilsn'avaientjamaisremarqu.Pierrot remercia pour lerenseignement, puisilse dirigea vers l'Uni-Bar, un caf clbredans lequartier,aucoin de l'avenuedelaPorte-d'Argen-teuil et du boulevard Extrieur, en face del'immeuble de Pradonet. Les employs de l'Uni-Park y venaient nombreux; un tabac et un P.M.U.y attiraient un supplment de clientle; desfemmes qui racolaient autour des (et grce aux)attractions y tenaient un poste d'observationetd'information; les sandwiches y taient bons.Pierrot en commande un, au jambon, avec dubeurreet beaucoupdemoutarde, et selonl'usagel'arrosedevinblanc. Il espraitrencontrer Para-dis, qu'il ne trouva pas. Alors, tout en mordantdans son djeuner, il s'approcha de la cage del'employdu P.M. U. Il taittroptard. Pierrotlesavait. Sur le programme, il chercha son cheval,ne regretta pas trop de n'avoir point jou. Il serabattit sur un appareil billes, mit vingt sousdansII' monnayeur. Bientt, il y eut cercle autourdelui, et cercle admiratif. C'tait merveille de voirlespetitesboulesrussirlesitinrairesmaximum,60s'engager dans lescouloirs lesmieuxdfendus parles plus astucieux obstacles, tomber dans Jescuvettes, clairer les bornes, tapoter les plots.Pierrot fit vingt-deuxmillepoints sa premirepartie, soit sept mille deplus qu'il nelui enfallaitpour avoir droit unegratuite. Ala seconde,ilatteint lestrentemille; latroisime, il revient seizemille;laquatrime, il regrimpe trente etun mille. Tout a pour vingt sous. Il avait finison sandwich; il abandonna gracieusement lapartie rejouer pour un quelconque gamin quine craindrait pas deseridiculiser en manipulantl'appareil aprslui.- Ehbien, mongaron, on peut dire que tuy ttes.Pierrot crut reconnatre son interlocuteur; iln'entait pas sr. Il but son vin blancsans sepresser, puis:- Onfaitde sonmieux, dit-il modestement,- Tu fais de tonmieuxaussi lorsquetufouston patron Jes quatre fers en J'air, rpliquaPradonet.- a fait combien? demanda Pierrot au garon.- Faut pas tesauver, jene te ferai pas demal.Ah! ah! tum'asjou undrledetour, cejour-l.Ahl ah!Pierrot empochasa monnaieet ne savait tropcomment s'esquiver.- Je te reconnais bien, insistaPradonet, j'ailecoupd'il amricain. Et qu'est-cequetufaismaintenant?- Je suis dans le cirage, dit Pierrot avecrsolution.61Pradonet l'examina quelques instants en silence,puis:- Tumedonnesdesremords, tiens.Il se tourna vers un individu aussi barbuquedistinguqui pitinait derrirelui :- Tenez, lui dit-il, voil un garon qui feravotreaffaire.- Je veuxbien, dit Croua-Bey, mais faudraqu'il enlveses lunettes.- C'est pourquel boulot?demandaPierrot.- Vous vous habillerez en Hindou, dit lefakir, j'ai un costume, et vous me passez lesustensiles avec des signes de respect. Je vousmontrerai a. Jevousbronzerai le teintaussi.- a teva? demanda Pradonet. Tutravaillerasdanslapremirehuchedroite, aprslacaisse.- Soyez l ce soir huit heures, dit Croua-Bey.- Maison ne me laissera pas entrer, dit Pierrot.- Je donnerai des ordres, dit Pradonet. Maisnerecommencepas faire duplat ma fille, sansa,. gare! A l'extrieur a vous regarde, mienbalance. Maispendantle travail, fautsetenir.Je vousremercie, monsieur, dit Pierrot.- Alors, cesoir, dit Croua-Bey.Onmedonneracombien?demandaPierrot.Dix francs par soire, dit Croua-Bey.Toute lasoire? demandaPierrot.Oui, dit Croua-Bey.Alors vingt francs, dit Pierrot.Pradonet semitrire.- Il a de l'audace, s'exclama-t-il,Et aufakir:- Allons, lchez-lui donc quinze balles.62- Je ne veux pas discuter, dit Croula-Bey,mais a diminue mon bnfice. Je fais a pourvous.Et Pierrot:- Entendu, quinze francs. A ce soir, huitheures.Les deuxhommes s'enallrent, Pradonet toutjoyeux, le fakirassezmcontent.Pierrot sortit aprs eux pour garder ses dis-tances. IIrevint vers laruedes Larmes, regardalamaison, la chapelleet n'osait repasser devantelles. Il eut alors envie devoir laSeine, et poursui-vit son chemindans cette direction. Il marchaitavec ngligence, selon son habitude, et pensaitmoinssanouvelle situationqu'lasignificationdupetit monument.A quelques mtres de l'octroi, il passa devant unvieux caf o devait l'intrieur agoniser unbillard; la terrasse compose de deux ou troistables de fer entoures de quelques chaises de rotin,il vit son bonhomme qui buvait un demi. IIs'approcha.- Tiens, tiens, dit le gardien de la rue desLarmes,vous mecherchiez, jeune homme?- Non, pas du tout, dit Pierrot. C'est parhasard que...- Maisonpeut direquecelavoussatisfait enquelquefaondemerencontrerainsi.- a me serait difllcile de dire le contraire,mais ...- Asseyez-vous donc, jeune homme.Pierrot. s'assit, Unemnagre vint lui demandercequ'il dsirait. consommer;l'ancienterminason63demi avec rapidit; ct. deux autres furent comman-ds.- La curiosit vous a donn du flair, dit levieux. Vous m'avez tout de suite dnich.- Mais je vous assure que je ne vous cherchaispas...- Allons, ne niez pas. D'ailleurs en quoiseriez-vous indiscret? Importun la rigueur...Pierrot se leva :- Je ne voudrais pas que vous croyiez.- Asseyez-vous donc.Et Pierrot s'assit.-- Asseyez-vous donc : je vais vous raconterma vic.- - Mais... la chapelle? .. demanda Pierrot.- coutez, ct ne m'interrompez pas.Il toussa par trois fois et pronona ces mots- Je suis n dans cette maison que vous avezpu voir dans la rue des Larmes, o j'habitetoujours. Dans ce temps-l cette rue des Larmesn'tait qu'un chemin peine praticable en hiver,et l'Uni-Park n'existait pas encore. II n'y. avaitautour de nous que terrains vagues, petits ateliers,remises ou curies. baraques zonires, entreprisesinsalubres, quarrisseurs, fermes el, prs mme.Le quartier tait mal frquent; on y trouvaitparfois des femmes en morceaux ou des mouchardsexcuts. Nous nous barricadions le soir; et monpre avait un fusil. Plusieurs fois. j'entendis hur-ICI' dans la nuit: il faire frmir. Et je ne dormais pas,I( Mon pre tait un grand bonhomme osseuxd'environ six pieds de haut. et le d c r n i ~ r reprsen-tant d'une vieille famille d'Argenteuil, qui un64moment se trouvapossderla plupart des terrainssitus entre les fortifications et la Seine, de cect-ci de Paris; et celopin de terresur lequels'lve maintenant l'Uni-Park lui appartint.mme enpropre. A monpre.Lui, c'tait ce qu'onappellerait maintenant unrat.Cela nel'empchapas d'tre heureux, me semble-t-il, malgr, hiensr, quelques regrets. Il s'tait cruartiste, il avaitvoulu devenir peintre, il nerussit qu'faire unenfant unegrisette, mamre, qui, parlasuite,devintuneexcellentefemme, untrebientimidoet modeste : c'est ainsi que je l'ai connue, aillJOiquejelavis mourir.Il Aprs avoirtranlapouillependant quelquetemps, mon pre finit par adopter unmtier, letravail de la circ. Il alimentait de son art 101'exhibitions foraines et les muses d'anatomie.C'tait lemodeleurleplusrputsur laplace deParis: ilrussissaitles ressemblancesil laperfec-tion et nul ne savait mieux quelui reproduire avecsonmatriaules particularits des physionomiesou les aberrations des organes etles dtriorationsdes chairs. Je'Vous ai dittoutl'heureque, dansmon enfance, le quartier n'avait riende rassurant;mais la maisonc'tait encorepire. Quoiqueje nepntrasse point dans l'atelier de mon pre, jetombais de Lemps autre, en des lieux inattendus,sur des ttes figesqui me menaaient deleursyeuxd'mail ousur des objets ignobles qui tuebrouillaient la digestion. Et, lorsque couch,j'entendais des plaintes incohrentes ou des appelssans espoir, il me semblait que cc mort encoretout frais et mouill desonsangallait. pntrerdansnotremaisonpour ydiriger le chur abomi-nable des figures de cire. Dans mon lit, je suaisd'angoisse.Il Aussi, ds l'gedetreizeans, fis-jetousmesefforts pour convaincre mes parents dememettreen apprentissage. Je quittai joyeux cet endroitdsol, mais oj'allai je trouvai bien pire, dans unautre genre. Vous ne vous imaginez pas ce quec'tait que la vie d'unapprenti il y a un demi-sicle et ce que l'existence qui semontrait durepour les ouvriers pouvait tre atroce pour desenfants de quinze ans. Combienje regrettais lessolitudes qui stagnaient quelques mtres desfortifications. Maisil tait troptard; il me fallutcontinuer subir-les brimades, travailler sansperdre haleine, crever de faim. Aussi le servicemilitaire, quellesvacances! Quels bons souvenirs!Lescopains... les voyages... J'aifait montemps enAlgrie, jeune homme, et dans les zouaves encore...unfier rgiment. Je faillismme rengager. Et puisau dernier moment le mal du pays me prit. Jerevins. Durant mon absence, le coin ne s'tait quepeumodifi. Les baraques et les jardins zoniers semultipliaient, et dans les terrains vagues desnergumnes dcouvraient les sports. Al'angledel'avenuedeChaillot, un ratodromesatisfaisaitlesgots d'une clientledevoyous, d'amateursdechienset de gens riches. Mais la nuit, tout celaretombait dans une dtresse taciturne et les appelsdes assassins venaient seuls distraire une attentioncaptive par l'intensit du silence. Notre vieillemaison tait toujours l : je ne devais plus la66quitter. J'appris le mtier paternel : j'tais unhomme, et j'enavais vud'autres; de plus, monpre avait abandonn la confection des picesanatomiques pour sespcialiser dans les manne-quins ressemblance. C'est dans cette branche queje me suisexerc jusqu' maintenant, et j'y soutinstoujours larputationpaternelle.Monpre, je n'ai pas besoinde vous ledire,tait d'un temprament saturnien et mlancolieux,temprament qu'il m'aenpartielgu. Peut-treune influencesolaire ou mercurienne m'empchatoutd'abord tant enfantdemerjouirdelavuedeskystescotonneux oudeschancres suppurants.Maisil estdefait quetrs tt j'en vinsaimerlasolitude, la vie retire, la pipe, la socit desfemmes de maisonclose lorsquelebesoinvous ypousse; bref, les habitudes clibataires. Jene mesuis jamais mari, bien qu'il me soit arriv plusieurs reprises d'aimer une femme avec quelqueviolence : une danseuse arabe pour laquelle jefaillis devenir musulman; plus tard, une jeunecharcutire de l'avenue de Chaillot; vous savezque cespersonnes ontlapeaud'unequalittoutespciale. Enfin ni celle-ci, ni celle-l, ni d'autresnem'enfirent dsirer la socit jusqu' laconsom-mationdetousmesjours sur terre. Mon pre mourut quelques mois aprs mamre.C'est alors que jepusapprcier, savourer lesdlices et amertumesdelaviesolitaire; maisjelerpte, jenememariai jamais. Je vous ai dit aussiquema famille possdatout cemorceaude ban-lieue, jusqu'laSeine. Lorsquemonpren'enfutplus que l'unique reprsentant, il ne lui restait67que notre maison, d'un ct du chemin, et del'autre le quadrilatre occup maintenant parl'Uni-Park - et par la chapelle. Vous avez peut-tre remarqu que le terrain qui dpend de cene-cfa la forme d'un rectangle trs allong; e'estl'emplacement d'un jardin potager que mon pres'tait rserv l. Peu de temps aprs sa mort, nnquidam vint me proposer de lui vendre les terrainsque je possdais encore. J'hsitai. Il m'oft'rait unesomme assez considrable pour l'poque. Je cdai;mais je gardai pour moi le jardin potager et je luipromis de le lui rserver lorsque je songerais m'en dfaire. La vie continua comme avant, cetteexception prs que j'avais un peu d'argent, et peude soucis pour ma vieillesse, car plac en bonnesvaleurs franaises et trangres, mon argent.Quant mon jardin, nous continumes lecultiver.fl Or donc, un beau matin que je bInais meslaitues (j'en avais justement un joli carr cetteanne-l - il Ya de cela un peu moins de vingt ans,ct je venais moi-mme de passer la cinquan-taine -J, c'tait en juin, le soleil cru et sanglantau-dessus des ardoises venai t peine de dpasserles toits de Paris, une brume trs mince dansaitdu ct du Bois, - j'entendis le galop d'un cheval,puis un grand cri. Mon champ tait entour d'unepetite palissade en planches. La bte vnt s'abattrecontre elle la suite de je ne sais quel cart, et soncavalier, suivant cet lan, viint tomber comme unbolide au milieu de mon pot ager, Il ne bougeait pas.Il Je me prcipitai. Il tait: vanoui. II me parut68li moiti mort. J'appelai l'aide. Des voisins accou-rurent. On allachercher un mdecin, la police, plustardune ambulance. Onemmenale bless. Entre-temps, il avait repris connaissance et voulutrentrer chez lui. Le lendemain, les journauxm'apprirent qu'il y tait mort, peude temps aprs.Ils m'apprirent aussi qu'il s'agissait du princeLuigiVoudzo, unprince poldve qui terminait sestudes enFrance. Un chotier mchant prtendaitqu'elles consistaientsurtout en beuverieset bac-chanales.Les obsqueseurent lieu quelques joursplustard. J'yassistai. Ce fut trsbeau etpittoresque,de plus : mouvant. On inhuma le prince Luigiau Pre-Lachaise, et, la crmonie termine, jedemeurai jusqu'ausoir rver en ces lieuxquidominent notre capitale. Je repris mon binage.Maistoutencultivant monjardin, jene pouvaism'empcher de penser cet accident: l'vnementleplus important dansma vie, avec mon tempspass dans les zouaves en Afrique du Nord. Ilm'avait rendu clbre dans la zone, et jeme voyaisoblig deraconter plusieursfois parjourcedontj'avaistletmoin. Bientt ledsir mevint deconnatreplusfondl'histoiredes Poldves, qui,d'aprs les quotidiens, taient des autochtonesdansleurrgion, lointaine etmontagneuse. J'em-pruntai des livres la bibliothque municipaled'Argenteuil, et je dcouvris que l'histoirene sepouvait comprendre sans la chronologie et lagographie, qui ne me parurent pas comprhen-sibles sans l'astronomie et la cosmographie, etl'astronomie et lacosmographie sans lagomtrie69et l'arithmtique. Je recommenai donc moninstructionab ovo, cequi veut dire partir ducommencement enlanguelatine(mais c'estbeau-coup plus rapide et expressif - vous voyez, jeunehomme, les avantages de l'instruction). Au boutde quelques mois, j'appris ou rappris les rglesd'accord des participes, la formule des intrtscomposs, les dates cruciales de l'histoire deFrance, lesdpartementsavecchefs-lieux et sous-prfectures, l'emplacement de la Grande Ourseet quelques tirades de nos classiques. Je passai donc ainsi l't et une partie del'automne. Un jour ojem'tais assis surlepasde maporte pour profiter d'un soleil sur son dclin,j'aperus un jeune monsieur fort bien vtu quisemblait chercher quelque chose. Il s'approchade moi et me demanda trs poliment si je nepourrais pas lui indiquer exactement l'endroitprcis o un noble tranger avait pri de mortviolente quelques mois auparavant. "Riende plusais ", lui dis-je, " car je fus le seul et uniquetmoinde l'accident: C'estenface ", ajoutai-je," dans ce petit jardin potager que vous voyezdevant vous etqui est ma proprit. "" Ne vousserait-ilpaspossibledeme conduire surleslieuxmmes? "me demanda-t-il.Il s'empressa d'ailleursdedclarerque si cela me drangeait enquelquefaon, il reviendrait une autre fois. Il me priaenfin de croire que ce n'tait pas par vainecuriosit qu'il venait solliciter de moi ce petitdrangement; il avait pour celade valables raisons,et, afindem'enconvaincre, il dclinasesnometqualit, cequ'il jugea. suffisant, etl'tait. J'avais'10eneffet devant moiunprincepoldve. "Prince",lui rpondis-je, " je n'hsiterai pas un instant remplir ce pieux devoir ",et jele menai devant lecarr de salades o l'autre avait chu. Deuxmodestes croix de bois marquaient l'une l'emplace-ment de la tte, l'autre celle des pieds; j'avais ainsivouluconserver le souvenirdecefait mmorable.Le prince fut touch par cette attention et dudoigt cueillit une larme;puis, il se mit enprire etdemeura quelques instants en mditation. Il mefit ensuitesigne denousretirer et sortit d'unairprofondment absorb. Je respectai son silence,et demeuraidansunesorte degarde--vousmoralen attendant qu'il voult bien de nouveau m'adres-serlaparole. Ce qu'il fit ences termes:fi: " Si j'ai biencompris ", dit-il, " ce potagervous appartient? " .. Oui, prince ", rpondis-je." Vous tes aussi le propritaire du terrain? ""Oui, prince", rpondis-je., Voudriez-voustreassez aimable pour me rappe.ler votre nom? "" Arthme Mounnezergues", rpondis-je. " Voushabitez?.. " .. En face, prince, " rpondis-je" huit, chemin de la Tuilerie."" Et vous assisttes l'accident du Prince Luigi? " " Oui, prince, "rpondis-je, " et j'enfusl'uniquetmoin". Alors,il mepriadelui raconterceque jevis cejour-l.Je le fis aussitt avec un vif plaisir. Le princem'coutait dans le plus grand recueillement, et,lorsque j'eus termin monrcit, il m'assura quelesprinces poldves n'oublieraient pas la raret dessentiments tmoigne par les deux croix quej'avais plantes dans mon jardin. Il n'ajoutaquece seul mot:"merci "et monta dansunecalche71qui, sans doute, l'avait amen et queje n'avais pasremarque. Ils s'loignrent.\( Cettevisite ne me rendit que plus ardent poursuivre mes tudes afin de mieux connatrele peuple poldve et ses princes. Elle revivifiaaussi messouvenirs, et jenetardai pasm'aper-cevoirque lelieumarquparmoi semontraitdelui-mmefatidique. Les plantessefltrirent dansson voisinage, les limaces qui s'y aventuraientprissaient morfondues, et j'ytrouvai des dbrisdechenillescalcines. Puis, lorsquecettedmons-trationgrossire fut enquelquesorteacquise, jeconstatai que cet endroit diffrait de tout autreet qu'on y sentait toujours l'ombre d'une ideabstraite qui le survolait, l'ombre d'unfait. Dema chambre, la nuit, je pouvais regarder monchamp, et, quoique je n'y visseaucun fantme s'ytraner argent aux rayonsde lalune, jemedisaisque jamais, nonjamaisplusjen'ypourraisfairecrotre des carottes et des navets, salades ouconcombres. Et jerestais rveur.Il Des annes passrent. Bienlongtemps aprsla visite dont je viens de vous parler, je fushonor d'unemissive singulire. Je nefuspas peusurpris ce matin-l d'entendre le facteur meconvier la rception d'Une lettre. On ne m'encrivait en effet jamais. Celle-ci tait de grandformat, dt' papier pais, et de plus : scelleauxarmespoldves.. desablel'orledehuitlarmesd'argent ". Je devinai aussitt quel en taitl'expditeur. On m'invitait me rendre en uncertain htel duQuartierLatinlelendemain versles cinq heures. J'y fus. Aprs avoir subi un72examen des plus vexatoires de la part du concierge,onm'indiqualenumrodelachambre. EUe taitbienpetite,etobscure;leprince tait tendusurson lit, et fumait. Prs de lui, unebouteille luisait,et deux verres. Il mefitsignede m'asseoir prs delui dans un fauteuil, et meversalui-mmedesapropremainune bonne dose du raki qu'il taitentrainde consommer. ame rappelal'AfriqueduNord, maisjen'osai lui demander s'ilconnais-sait cette contre; c'et t par trop familier. Maisj'coutai mon hte. " Monsieur ", me dit-il ensubstance, ocles princes poldves ont dcid defaire lever une chapellesur les lieuxmmes oLuigi trouva la mort. Nous voulons tablir unmmorial perptuel de ce douloureuxvnementet, pour cela, vous le compreneztout desuite, ilest ncessaire que ce terrain que vous possdezactuellement devienne notre proprit. Je suis doncchargde vous demander quel prix vous consen-tiriez cder votre jardin potager. " Aprs lesrflexions que je faisais alors sur les endroitsfatidiques et dont je vous ai fait part tout l'heure, vousneserezpas surprisd'apprendrequejenefuspas tonn par cette proposition. Jedoismme ajouter qu'elle m'apporta une sorte desoulagement. Mais j'avais tenirdes engagementspris antrieurement. Jetchai d'expliquermoninterlocuteur quel empchement pouvait prsenterpour moi le fait d'avoir rserv cette vente l'acqureur de mes autres terrains. Le princes'empressa de dissiper mes scrupules. N'tait-cepas unesortede casdeforcemajeure?Pouvait-onmettreen balancelerespectabledsir de princes73poldvesavecl'excutionmcaniqued'uncontratqui n'en tait mme pas un, puisque ce n'taitgurequ'unepromesse, pas mme une promesse,mais unpravis, une notification. Allais-je crerdes difficults dansl'excutiond'unacte de pitsousle vainprtextedesatisfairelarapacit d'unpropritairedsireuxd'arrondirsonchamp?Non,n'est-cepas? Jeconsentisdonc vendremonterrain, maisjem'aperusbienttquemonvisiteurn'tait pasentatdelefaire sur-le-champ. IImeproposaunpaiement chelonn sur de nombreuses annes,qui servirait galement me ddommager desennuis et soucis quepourraitmeprocurer lagardedu tombeauqu'onprojetaitd'lever. Finalement,noustombmesd'accordsurunerenteviagre.Les travauxde constructionfurent entreprisaussitt et en moins de six mois on difia unechapelle. Puis ony inhuma le princeLuigi, dterrdu Pre-Lachaiseoil avait reposjusqu'alors.Grce la vente des terrains dont j'avaishritet la rente viagre que me versaient lesprinces poldves, je pus continuer mes tudesque j'orientai principalement vers l'histoireancienne et moderne, la gographie physique etpolitique, les mathmatiques pures et appliques,les principales langues mortes et vivantes, lessciences physiques et naturelles, la rhtoriqueetlathologie.J'eusdeuxoutroisdouces annes. Puis, toutcoup, naquitl'Uni-Park, aveclaviolencedesesbruits, l'insolence de ses clameurs. C'tait unehonte, me disais-je, d'installer unlieu de plaisir74aussi prs d'une tombe. Je fis unedmarche auprsdu directeur, dj Pradonet. Lui, au contraire,trouvait lugubre et dsolant le voisinage de cecimetire destinationsi limite. Il me proposade racheter le terrain et de renvoyer le princeLuigi au Pre-Lachaise. Je refusai. Il se fcha..Jele laissai. Depuis il m'a fait plusieurs fois lamme proposition que j'ai toujours repousse,bienqu'entre-tempsla situation se soit singulire-ment modifie. En effet deux outroisans aprslaconstruction de la chapelle, les princes poldvescessrent de me payer ma rente viagre. On ne