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Qu'est-ce que le compérage ? 110 rue du Temple, 89000 Auxerre, France U n terme vieillot pour une infraction déontologique toujours actuelle. L'article R4127-23 du code de la santé publique dispose : « Tout compérage entre médecins, entre médecins et pharma- ciens, auxiliaires médicaux ou toutes autres personnes physiques ou morales est interdit. » Cet article ne nit cependant pas ce qu'est le compérage ; le dictionnaire Larousse indique : « Intelligence secrète de deux per- sonnes qui s'entendent pour en tromper d'autres. ». Une précision est apportée par l'article R 5015-35 du code de la santé publique qui vise les pharmaciens : « Par nition, le compé- rage est l'intelligence entre deux ou plusieurs personnes en vue d'avantages obtenus au détriment du malade ou des tiers ». Une autre précision gure dans les commen- taires du Conseil National de l'Ordre des Médecins : « Cet article, qui vise les médecins et les autres professionnels de santé, interdit toute entente illicite qui entacherait la liberté et l'indépendance professionnelle des médecins et porterait ainsi atteinte au libre choix des patients. Cet article concerne toutes les for- mes de compérage, notamment avec d'éven- tuels pourvoyeurs et "rabatteurs'' de clientèle. » Le compérage suppose donc une entente, ayant pour effet une atteinte au libre choix du patient et/ou un avantage retiré ; la juris- prudence a apporté certaines précisions concernant cette notion : Selon le Conseil d'Etat, le compérage peut ainsi être retenu même s'il n'y a pas d'avan- tage nancier prouvé : Cependant, il semble tout de même que l'attitude reprochée doit être habituelle pour pouvoir être qualiée de compérage : « qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.Y avait attesté et facturé l'exécution d'actes qui avaient été en réalité effectués de manière habituelle sur des assurés sociaux. . .par M. X, chirurgien-dentiste, dans le cadre de l'acti- vité libérale que le requérant avait été autorisé à exercer au sein de son service ; que le caractère habituel de cette activité est de nature à autoriser la qualication de compé- rage de celle-ci sans qu'il soit besoin de rechercher si le requérant en retirait un béné- ce » (Conseil d'Etat 22 mars 2000). Dans une affaire un médecin avait reçu des cadeaux d'une société d'ambulances et avait adressé ses patients de façon habituelle à cette société, le compérage a été retenu : « que l'acceptation de ces cadeaux de la part d'une entreprise fournissant une prestation aux clients du médecin constitue à la fois l'acceptation d'une commission, même si la valeur de celle-ci n'est pas calculée en fonc- tion du montant des prestations fournies, et constitue également, du fait du caractère habituel du recours à cette société pour le transport des malades, un compérage au sens de l'article 26 du code de déontologie médi- cale » (section disciplinaire du CNOM 1 , 10 octobre 2001). Une décision de la section des assurances sociales du CNOM, en date du 16 juin 2009, a toutefois considéré qu'il n'y avait pas compérage en l'absence d'avantage nancier, dans une affaire ont pourtant été constatées une entente et une atteinte au libre choix des patients : « considérant que les plaignants reprochent au docteur G d'avoir mis en place avec une pharmacie de la ville et un fabricant de dispositifs médicaux un « accord de partenariat » prévoyant la livrai- son directe au cabinet du médecin des sets de perfusion ainsi que des ampoules de V Véronique Pellegrain, Avocat 1 Conseil National de l'Ordre des Médecins. Adresse e-mail : [email protected] RÉSUMÉ Le compérage est une entente illicite qui porte atteinte à l'indépendance du professionnel de santé ainsi qu'au libre choix du patient. La jurisprudence rapportée permet de mieux cerner cette notion. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Revue francophone d'orthoptie 2013;6:136137 Fiches / Juridique 136 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rfo.2013.09.009

Qu’est-ce que le compérage ?

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Revue francophone d'orthoptie 2013;6:136–137Fiches / Juridique

Qu'est-ce que le compérage ?

Véronique Pellegrain,

110 rue du Temple, 89000 Auxerre, France Avocat

RÉSUMÉLe compérage est une entente illicite qui porte atteinte à l'indépendance du professionnel desanté ainsi qu'au libre choix du patient. La jurisprudence rapportée permet de mieux cerner cettenotion.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

n terme vieillot pour une infraction dossier soumis aux juges du fond que M.Y

1Conseil National de l'Ordre desMédecins.

Adresse e-mail :[email protected]

Udéontologique toujours actuelle.L'article R4127-23 du code de la

santé publique dispose : « Tout compérageentre médecins, entre médecins et pharma-ciens, auxiliaires médicaux ou toutes autrespersonnes physiques ou morales estinterdit. »Cet article ne définit cependant pas ce qu'estle compérage ; le dictionnaire Larousseindique : « Intelligence secrète de deux per-sonnes qui s'entendent pour en tromperd'autres. ».Une précision est apportée par l'article R5015-35 du code de la santé publique qui viseles pharmaciens : « Par définition, le compé-rage est l'intelligence entre deux ou plusieurspersonnes en vue d'avantages obtenus audétriment du malade ou des tiers ».Une autre précision figure dans les commen-taires du Conseil National de l'Ordre desMédecins : « Cet article, qui vise les médecinset les autres professionnels de santé, interdittoute entente illicite qui entacherait la liberté etl'indépendance professionnelle des médecinset porterait ainsi atteinte au libre choix despatients. Cet article concerne toutes les for-mes de compérage, notamment avec d'éven-tuels pourvoyeurs et "rabatteurs'' declientèle. »Le compérage suppose donc une entente,ayant pour effet une atteinte au libre choixdu patient et/ou un avantage retiré ; la juris-prudence a apporté certaines précisionsconcernant cette notion :Selon le Conseil d'Etat, le compérage peutainsi être retenu même s'il n'y a pas d'avan-tage financier prouvé : Cependant, il sembletout de même que l'attitude reprochée doit êtrehabituelle pour pouvoir être qualifiée decompérage : « qu'il ressort des pièces du

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avait attesté et facturé l'exécution d'actes quiavaient été en réalité effectués de manièrehabituelle sur des assurés sociaux. . .par M.X, chirurgien-dentiste, dans le cadre de l'acti-vité libérale que le requérant avait été autoriséà exercer au sein de son service ; que lecaractère habituel de cette activité est denature à autoriser la qualification de compé-rage de celle-ci sans qu'il soit besoin derechercher si le requérant en retirait un béné-fice » (Conseil d'Etat 22 mars 2000).Dans une affaire où un médecin avait reçu descadeaux d'une société d'ambulances et avaitadressé ses patients de façon habituelleà cette société, le compérage a été retenu :« que l'acceptation de ces cadeaux de la partd'une entreprise fournissant une prestationaux clients du médecin constitue à la foisl'acceptation d'une commission, même si lavaleur de celle-ci n'est pas calculée en fonc-tion du montant des prestations fournies, etconstitue également, du fait du caractèrehabituel du recours à cette société pour letransport des malades, un compérage au sensde l'article 26 du code de déontologie médi-cale » (section disciplinaire du CNOM1,10 octobre 2001).Une décision de la section des assurancessociales du CNOM, en date du 16 juin2009, a toutefois considéré qu'il n'y avaitpas compérage en l'absence d'avantagefinancier, dans une affaire où ont pourtantété constatées une entente et une atteinteau libre choix des patients : « considérantque les plaignants reprochent au docteur Gd'avoir mis en place avec une pharmacie de laville et un fabricant de dispositifs médicaux un« accord de partenariat » prévoyant la livrai-son directe au cabinet du médecin des sets deperfusion ainsi que des ampoules de V

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nécessaires au traitement des patients ; qu'une telle pratiquedont l'existence n'est pas contestée par le docteur G a néces-sairement pour effet, nonobstant la circonstance que cespatients auraient autorisé par écrit le praticien à leur fournirdirectement les spécialités en cause et qu'elle permettrait unemeilleure efficacité du service rendu à des malades très âgés,de les priver du libre choix du pharmacien. . . ; que toutefois,alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le docteurG aurait retiré un avantage financier particulier d'un tel accord,ces faits ne suffisent pas en eux-mêmes à caractériser de lapart du médecin une situation de compérage prohibée parl'article R 4127-23 du code de la santé publique ; ».S'il n'y a pas d'atteinte au libre choix du patient, il peut y avoirnéanmoins compérage si le praticien retire un avantage finan-cier de son accord avec une autre personne ; dans une affaireoù un médecin ophtalmologiste exerçait au sein d'une SCM,où exerçaient également plusieurs orthoptistes libéraux, laCPAM avait porté plainte contre le médecin en l'accusantnotamment de compérage pour avoir fait réaliser systémati-quement des actes d'orthoptie par l'un des orthoptistes de laSCM ; mais le grief de compérage n'a pas été retenu : lasection des assurances sociales du CNOM (décision du16 octobre 2012) a considéré tout d'abord que « si la présenced'orthoptistes libéraux au sein d'une société de moyens est denature à favoriser le choix de l'un de ces professionnels, cetteseule circonstance n'est pas de nature à établir que le principedu libre choix de l'auxiliaire médical aurait été méconnu » :soulagement : le simple fait d'être en SCM entre un prescrip-teur et les auxiliaires médicaux ne suffit pas à caractériser unnon-respect du libre choix du patient ; attention cependant, siles patients avaient attesté de ce qu'ils n'avaient pas eu lechoix de leur orthoptiste, la solution aurait pu être différente. Ladécision poursuit ainsi : « en l'absence de toute contrepartiefinancière invoquée entre le médecin et l'auxiliaire médical, legrief de compérage au sens de l'article R 4127-23 du code dela santé publique ne peut qu'être écarté ». A contrario, s'il yavait contrepartie financière, il pourrait y avoir compérage.

Dans une autre affaire concernant cette fois des infirmièressalariées de médecins, la section des assurances sociales duCNOM a également écarté le compérage : « considérant quele docteur B avait. . .constitué avec les Drs L et R une sociétécivile professionnelle (SCP) qui employait trois infirmièreschargées de dispenser des soins aux pensionnaires de lamaison de retraite S ; considérant que le fait que cette sociétécivile professionnelle était l'employeur d'infirmières qui exécu-taient des soins prescrits par l'un ou l'autre des trois médecinsne suffit pas à établir, en l'absence d'autres éléments, qu'uncompérage tendant à obtenir des avantages indus existait soitentre les médecins, soit entre les médecins et les infirmières ».S'agissant maintenant du conjoint masseur-kinésithérapeuted'un médecin, une entente entre les deux époux ayant pour butde capter la clientèle profite nécessairement au couple, mêmesi les époux sont mariés sous la séparation de biens : « qu'ilrésulte des attestations versées au dossier que Mme C, mas-seur-kinésithérapeute. . .épouse du docteur F, disposait deprescriptions données par son mari, s'occupait du renouvel-lement de ces prescriptions et du nécessaire auprès de l'assu-rance maladie alors que le Dr. F était ignoré par la plupart despatients ; qu'il existait, ainsi, un compérage destiné, à tout lemoins, à fidéliser la clientèle de Mme C de nature à porteratteinte au libre choix des patients, profitant au couple même siles époux sont mariés sous le régime de la séparation de bienset préjudiciant tant à l'assurance maladie qu'aux autreskinésithérapeutes ».Pour conclure, cette petite étude sur le compérage, il esttentant de citer le docteur Knock s'adressant au pharmacienMousquet : « Comptez sur moi, comme je compte sur vous ».A méditer sans doute. . .

Déclaration d'intérêtsL'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cetarticle.

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