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J’ emprunterai la définition d’un écologiste à Aldo Leopold, ce fores- tier américain qui, à la fin de sa vie, publia l’Almanach d’un com- té des sables, livre dont la publication posthume, en 1949, devait rencontrer un prodigieux succès, et devenir la référence incontestée des éthiques environnementales. Dans la tradition des récits de nature inau- gurée par Thoreau dans Walden, le livre de Leopold se présente comme une série de vignettes ou d’historiettes, égrainées selon les mois de l’an- née. Il y présente la vie qu’il mène dans son domaine du Wisconsin (le « comté des sables ») à la rencontre de la nature. On peut y trouver ceci: « J’ai lu de nombreuses définitions de ce qu’est un écologiste, et j’en ai moi- même écrit quelques-unes, mais je soupçonne que la meilleure d’entre elles ne s’écrit pas au stylo, mais à la cognée. La question est: à quoi pense un homme au moment où il coupe un arbre, ou au moment où il décide de ce qu’il doit couper? Un écologiste est quelqu’un qui a conscience, hum- blement, qu’à chaque coup de cognée, il inscrit sa signature sur la face de sa terre. Les signatures diffèrent entre elles, qu’elles soient tracées avec une plume ou avec une cognée, et c’est dans l’ordre des choses. » L’écologiste est présenté comme quelqu’un qui agit, et cette réfé- rence à l’action me paraît remarquable pour trois raisons, au moins. 1. Agir dans la nature et avec elle Là où la traduction (généralement très bonne) parle d’« écologiste », le terme qui figure en anglais est celui de conservationist, autrement dit (si l’on traduit mot à mot) un protecteur de la nature. Or, à l’époque où vivait Leopold (et encore largement maintenant), protéger la na- ture, aux États-Unis surtout, c’est s’abstenir, c’est ne pas intervenir. La nature que l’on entend protéger est désignée comme wilderness, un espace sauvage, intouché par l’homme. Le texte juridique qui ré- git la protection de la nature aux Etats-Unis, le Wilderness act désigne celle-ci comme un « espace où la terre et sa communauté de vie ne sont pas entravées par l’homme, où l’homme lui-même est un visiteur qui ne reste pas ». L’important, donc, est de laisser de tels espaces à eux- mêmes, hors de toute emprise humaine. Les éthiques environnemen- tales sont, dans leur grande majorité, des éthiques du respect, ce qui s’entend, le plus souvent, comme de la non intervention, du non agir. Qu’est-ce qu’un écologiste ? Catherine Larrère CATHERINE LARRÈRE Professeur émérite à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne. Spécia- liste de philosophie morale et poli- tique, elle s’intéresse aux questions éthiques et politiques liées à la crise environnementale et aux nouvelles technologies. Catherine Larrère est Présidente de la Fondation de l’Ecologie Politique. Dernier ouvrage paru: Penser et agir avec la nature, avec Raphaël Larrère (La Découverte, 2015). LES NOTES DE LA FEP N°1 - Février 2014 (réédition: mai 2015) #Nature #HistoireDeL’Écologie #Environnement #PenseursÉcologistes

Qu'est-ce qu'un écologiste?

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Les Notes De La FEP #1 ***Qu'est-ce qu'un écologiste?***Par Catherine Larrère

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  • Jemprunterai la dfinition dun cologiste Aldo Leopold, ce fores-tier amricain qui, la fin de sa vie, publia lAlmanach dun com-t des sables, livre dont la publication posthume, en 1949, devait rencontrer un prodigieux succs, et devenir la rfrence inconteste des thiques environnementales. Dans la tradition des rcits de nature inau-gure par Thoreau dans Walden, le livre de Leopold se prsente comme une srie de vignettes ou dhistoriettes, graines selon les mois de lan-ne. Il y prsente la vie quil mne dans son domaine du Wisconsin (le comt des sables ) la rencontre de la nature. On peut y trouver ceci: Jai lu de nombreuses dfinitions de ce quest un cologiste, et jen ai moi-mme crit quelques-unes, mais je souponne que la meilleure dentre elles ne scrit pas au stylo, mais la cogne. La question est: quoi pense un homme au moment o il coupe un arbre, ou au moment o il dcide de ce quil doit couper? Un cologiste est quelquun qui a conscience, hum-blement, qu chaque coup de cogne, il inscrit sa signature sur la face de sa terre. Les signatures diffrent entre elles, quelles soient traces avec une plume ou avec une cogne, et cest dans lordre des choses.

    Lcologiste est prsent comme quelquun qui agit, et cette rf-rence laction me parat remarquable pour trois raisons, au moins.1. Agir dans la nature et avec elle

    L o la traduction (gnralement trs bonne) parle d cologiste , le terme qui figure en anglais est celui de conservationist, autrement dit (si lon traduit mot mot) un protecteur de la nature. Or, lpoque o vivait Leopold (et encore largement maintenant), protger la na-ture, aux tats-Unis surtout, cest sabstenir, cest ne pas intervenir. La nature que lon entend protger est dsigne comme wilderness, un espace sauvage, intouch par lhomme. Le texte juridique qui r-git la protection de la nature aux Etats-Unis, le Wilderness act dsigne celle-ci comme un espace o la terre et sa communaut de vie ne sont pas entraves par lhomme, o lhomme lui-mme est un visiteur qui ne reste pas . Limportant, donc, est de laisser de tels espaces eux-mmes, hors de toute emprise humaine. Les thiques environnemen-tales sont, dans leur grande majorit, des thiques du respect, ce qui sentend, le plus souvent, comme de la non intervention, du non agir.

    Quest-ce quun cologiste ?

    Catherine Larrre

    CATHERINE LARRRE Professeur mrite lUniversit de Paris I-Panthon-Sorbonne. Spcia-liste de philosophie morale et poli-tique, elle sintresse aux questions thiques et politiques lies la crise environnementale et aux nouvelles technologies. Catherine Larrre est Prsidente de la Fondation de lEcologie Politique.Dernier ouvrage paru: Penser et agir avec la nature, avec Raphal Larrre (La Dcouverte, 2015).

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    N1 - Fvrier 2014(rdition: mai 2015)#Nature

    #HistoireDeLcologie

    #Environnement

    #Penseurscologistes

  • Ce nest pas le cas pour Leopold. Protger la nature, pour lui, cest agir, intervenir, et peut-tre mme d-truire. Dans le passage qui prcde immdiatement celui que je viens de citer, il se demande comment savoir quels arbres il faut abattre pour le bien de la terre . Il poursuit en sinterrogeant sur ses choix, lorsquil sagit de planter : donne-t-il la prfrence aux pins ou aux bouleaux ? Sil peut ainsi conjuguer ses prfrences personnelles et le bien de la terre , cest quil ne se considre pas comme en dehors de la nature. Il en fait partie et cette appartenance est source de devoirs moraux. Cest la leon premire de son thique quil nonce dans la prface de son livre : La terre en tant que communaut, voil lide de base de lcologie, mais lide quil faut aussi lai-mer et la respecter, cest une extension de lthique. Dans sa dfinition dun cologiste, Leopold rfl-chit partir de sa pratique de forestier. Quelquun qui agit de faon intentionnelle, de faon interve-nir dans le cours de la nature, de faon linflchir dans le sens o il lentend, mais sans pour autant la dominer. Il ne sagit pas dagir sur la nature ou contre elle, mais avec elle, dans un rapport de par-tenariat. Le problme nest donc pas de sabstenir dagir, mais dagir en sachant ce que lon fait, en rflchissant aux consquences. Aussi la dfinition de Leopold, qui se demande quels arbres couper et quels arbres planter, ne se limite-t-elle pas la pro-tection de la nature, elle vaut comme mtaphore de notre agir, un agir conscient de la faon dont il sins-crit dans son environnement, un agir cologique.

    2. Agir et plus seulement avertir

    Un cologiste cest quelquun qui agit, pas un in-tellectuel : la bonne dfinition scrit avec la co-gne et pas avec un stylo . La critique des livres et dun savoir purement livresque est fr-quente chez les amoureux de la nature, com-mencer par Rousseau. Ce qui ne lempche pas dcrire et dcrire fort bien. Ce qui est le cas de Leopold : lAlmanach dun comt des sables est un superbe livre. Les cologistes savent crire.Si les livres nous dtournent souvent de la ralit, un bon livre peut nous y ramener. Les cologistes ont souvent t des lanceurs dalerte. Ils ont attir

    lattention sur les consquences - extrmement no-cives - de nos actions techniques dans la nature. Ce fut le cas, notamment, dans les annes 1960, quand un certain nombre de scientifiques sont sortis de leur rserve habituelle pour prendre publiquement la parole. En 1962, Rachel Carson, une spcialiste de biologie marine, a mis en vidence, dans Silent Spring (Printemps silencieux) les effets cumuls des pesticides, comme le DDT, quand ils se diffusent dans la chane alimentaire. Le livre eut un grand succs auprs du public et joua un rle important dans lveil de la conscience cologique, il provo-qua galement des ractions violentes de la part des firmes de lindustrie chimique qui accusrent Ra-chel Carson dtre une bonne femme hystrique diffusant des mensonges. En 1972, le rapport Meadows, du club de Rome, a montr limpossibili-t dune croissance illimite sur une terre limite. la fin des annes 1980, Edward O. Wilson, un biolo-giste qui tait rest jusque l dans une attitude de neutralit, a dnonc la disparition acclre des espces en popularisant le terme de biodiversit. Il a contribu faire de la biologie de la conserva-tion une science militante , une science daction.Cest quil ne suffit pas de rvler, dalerter. Il faut galement agir. Le film dAl Gore, Une vrit qui drange (An Inconvenient Truth) est une prsenta-tion claire, pdagogique, frappante du changement climatique : ses mcanismes, ses effets. Tout est fait pour capter lattention : le film alterne la pr-sentation didactique et les moments personnels, linformation scientifique et les images mou-vantes. Nous ne pouvons qutre convaincus de la gravit de la situation. Mais que faire ? Le contraste est frappant entre la svrit du tableau prsent (on pourrait mme reprocher au film dtre net-tement catastrophiste), et la pauvret des solu-tions proposes. Avec le gnrique de fin, dfilent quelques conseils : teindre la lumire en sor-tant, prendre des douches plutt que des bains....Cest drisoire, parce que cela reste individuel. Il y a un dcalage choquant entre lampleur - globale - du problme et la modestie des actions proposes. Si, en reprenant une dfinition de Leopold, un co-logiste est quelquun qui agit en rflchissant aux consquences de ses actes, et si ces actes sont indi-viduels, Al Gore nest pas un cologiste. Tout au long du film, on le voit traverser des aroports en tirant sa valise. Et encore le film ne prcise pas que cest - 2 -

    Note n1 - Fvrier 2014 Quest-ce quun cologiste ?

  • vers son avion personnel quil se dirige. Du point de vue du bilan carbone, ce nest pas excellent. Mais les actions ne peuvent pas tre seulement in-dividuelles. A problme global, il faut des solutions, sinon globales, du moins collectives. Ce qui pose la question de la dimension politique de lcologie.3. Agir : le naturel et le social

    Le bcheron et sa cogne sont, pour Leopold, une mtaphore de nos rapports la nature : agir en sa-chant ce que lon fait, agir en cohsion, en collabora-tion avec la nature. Mais il y voit aussi une mtaphore de nos rapports sociaux. Dans la prface de lAlma-nach, il nous invite rvaluer ce qui est artificiel, domestique et confin laune de ce qui est naturel, sauvage et libre . Il nous propose ainsi dinstiller un peu de sauvage dans notre vie sociale et politique. Il sinscrit dans la continuit de Thoreau. Si celui-ci considrait que in wildness is the preservation of the world (le salut du monde se trouve dans la vie sauvage), cest que sauvage et libre allaient pour lui de pair. Dans le rapport la nature Thoreau et Leo-pold trouvent ainsi une leon politique de libert. Thoreau est celui qui a su lier lattention la nature et la dsobissance civile. Protection de la nature et dmocratie vont de pair. Lcologie est politique.Mais la globalisation des problmes environnemen-taux a transform la situation. lpoque de Thoreau et de Leopold, on pouvait penser quen sinspirant de la nature, il tait possible de rformer notre vie so-ciale. Avec la globalisation, la situation sinverse: si nous ne transformons pas notre vie sociale, nos rap-ports la nature vont se dtriorer jusqu rendre notre propre vie sociale impossible. La question nest plus seulement de voir la nature autrement (sauvage et pas domestique, naturelle et pas artificielle) mais de voir autrement notre vie sociale, de lintrieur.Cest ce quAndr Gorz prsentait, sous le nom dco-logie politique : instaurer de nouveaux rapports des hommes la collectivit, leur environnement, la nature . De Leopold Gorz, le rapport entre le naturel et le social sinverse. Pour Leopold, la nature vient en premier : en transformant nos rap-ports la nature, nous pouvons esprer amliorer nos rapports sociaux. Pour Gorz, la socit est nom-me dabord, la nature relve des consquences : - 3 -

    en transformant nos rapports sociaux, nous pou-vons esprer tre mieux en accord avec la nature. Cela ne va pas de soi, ni dans un sens, ni dans un autre. Cela va dautant moins de soi que lon conti-nue disjoindre les deux soucis, celui de la nature et celui de la socit. Cest ce que lon fait lorsque lon distingue entre environnementalisme (les rapports la nature) et cologie (un autre modle social) et que lon y voit non seulement des tches distinctes, mais deux formes de pense indpendantes. Pour-tant que ce serait un environnementalisme qui ne se rendrait pas compte que nos rapports la nature ne sont pas purement individuels mais engagent notre vision sociale ? Que serait un cologisme qui entreprendrait de transformer le modle social sans y inclure nos rapports la nature et comprendre que la premire transformation cest de mettre en question la sparation du naturel et du social ?

    Un cologiste, cest quelquun qui est capable de pen-ser la fois la nature et la socit. Et ce nest pas facile.---------------------- On peut, en lisant la dfinition que donne Leopold dun cologiste, se dire quil a t entendu. Quest-ce en effet que lempreinte cologique, sinon la si-

    gnature humaine sur terre ? ce titre, si chacun de nous mesure son empreinte cologique et sef-force de la diminuer, ne serons-nous pas tous des cologistes ? Il resterait beaucoup faire, cepen-dant. Car sen tenir une approche individuelle, cest laisser de ct la dimension collective du problme. Et, surtout, la dtermination purement quantitative de cette empreinte laisse entendre quil suffirait de la rduire. Alors quil ne sagit pas seulement de faire moins. Il faut faire autrement.

    Note n1 - Fvrier 2014Quest-ce quun cologiste ?

  • de transformation sociale capable dinstaurer un nou-veau rapport des hommes la collectivit, de transfor-mer leur monde vcu et de modifier leur relation la nature. Cest cette cologie politique dmocratique quil op-pose lcologie scientifique par laquelle le capita-lisme tente de tenir compte des limites de la crois-sance, mais qui lexpose lautoritarisme. Andr Gorz, cologie et Politique, Galile, 1975, d. augmente Le Seuil Points , 1978, qui ajoute le texte cologie et Libert paru en 1977. Andr Gorz, cologie et Libert, Galile, 1977. Andr Gorz, Mtamorphoses du travail, Galile, 1988 et Folio Essais, 2004. Andr Gorz, Capitalisme Socialisme cologie, Gali-le, 1991. Andr Gorz, Ecologica, Galile, 2008.

    La FEP a consacr une publication Andr Gorz:

    Fondation de lEcologie Politique, Lcologie poli-tique dAndr Gorz, fvrier 2014, 93pp., disponible gratuitement sur www.fondationecolo.orgAldo Leopold (1887 - 1948)

    Aldo Leopold, auteur amricain, forestier (form lcole de foresterie de lUniversit de Yale), il a t en charge de la gestion de la faune sauvage dans diffrents Etats amricains, puis professeur lUniversit de Wis-consin. Dfenseur de la protection de la nature, actif dans la So-cit pour la wilderness, il est connu pour son livre, Al-manach dun comt des sables, termin juste avant sa mort (dune crise cardiaque alors quil aidait un voisin combattre un feu de fort), et publi en 1949. Dans la ligne des crits de nature inaugure par Thoreau, il y prsente sa vie et ses rencontres avec la faune et la flore dans son domaine du Wisconsin. Il y introduit la premire thique environnementale (Land Ethic) expli-citement formule, qui joint lexprience personnelle de la nature aux enseignements de lcologie scienti-fique. Il y dfend une vision holiste de notre place dans la nature : Une chose est juste lorsquelle tend prser-ver lintgrit, la stabilit et la beaut de la communau-t biotique. Elle est injuste lorsquelle tend linverse . Il est licne inconteste du mouvement amricain de protection de la nature.- 4 -

    Biographies de penseurs de lcologie

    Rachel Carson (1907-1964)

    Zoologiste et biologiste, ayant travaill au US Bureau of Fisheries, Rachel Carson stait fait connaitre du grand public par une trilogie consacre la vie marine. La parution en 1962, de Silent Spring (Printemps si-lencieux), o elle dnonce les dangers causs par le DDT et son introduction dans les chanes trophiques a provoqu de violentes ractions de la part de lindus-trie chimique qui a mis en cause sa crdibilit scienti-fique et la accuse de vouloir revenir au Moyen-Age. Elle a t soutenue par la plus grande partie de la com-munaut scientifique et par un comit scientifique for-m sur la demande du Congrs.On considre gnralement, que, uvre dune scien-tifique srieuse et reconnue, Silent Spring est un ouvrage engag visant alerter le grand public des dangers que les socits industrielles font courir lenvironnement, en particulier lindustrie chimique. Le livre, et ses rpercussions, ont dclench le mou-vement cologiste aux Etats-Unis dans les annes 60. Il a conduit la cration de lEnvironmental Protection Agency (EPA). Rachel Carson, Silent Spring, 1962 ; trad. fr.: Prin-temps silencieux, Plon 1963; Wildproject 2009.Andr Gorz (1923 - 2007)

    Parti dune rflexion sur lui-mme qui trouve dans la philosophie de Sartre le guide dune reconstruc-tion personnelle (il est n en 1923 dans une famille juive autrichienne qui a d fuir le nazisme en Suisse), Gorz prolonge assez vite la critique ontologique en une rflexion danthropologie sociale, ce qui le conduit une critique de la socit moderne, du capitalisme et de la rationalit conomique qui ne se satisfait pas de la rponse marxiste, trop conomiste. Il dveloppe un projet social, centr sur la question de lautonomie individuelle, qui doit beaucoup Ivan Illich, mais qui accorde une place particulirement importante la question du travail. Ds le dbut des annes 70, notamment travers la lecture du rapport Meadows, il dcouvre la crise co-logique et la question des limites de la croissance. Cela le conduit nommer cologie politique son projet

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  • Aldo Leopold, A Sand County Almanac, With Essays on Conservation from Round River, Ballantine books, 1966 ; trad. fr.: Almanach dun comt des sables, Aubier, 1995. Aldo Leopold, La Conscience cologique, (anthologie de textes indits en franais), Wildproject, 2013.Henry David Thoreau (1817-1862)

    Confrencier et essayiste, enseignant, philosophe, na-turaliste amateur, et pote amricain. Auteur dun Journal quil a tenu toute sa vie, il est sur-tout connu pour deux uvres. Walden ou la vie dans les bois (1854), dcrit sa vie solitaire et simple, dans le cadre naturel de ltang de Walden, quelques kilo-mtres de son village de Concord (Massachussetts). La Dsobissance civile (1849) texte dune confrence o il dfend lide dune rsistance individuelle un gou-vernement injuste, qui pratique lesclavage, extermine les Indiens et dclare la guerre au Mexique, est consid-r comme tant lorigine du concept de non violence. Cest la conjonction de ces deux textes, lun qui fait lloge du sauvage et du rapport une nature libre, lautre qui dfend une conception active de la dmocra-tie, qui fait de Thoreau un des auteurs fondateurs de lcologie politique. Henry David Thoreau, Walden, ou la vie dans les bois [ Walden or Life in the Woods ], Gallimard, coll. LImaginaire (n 239), 1990 (1re d. 1854). Henry David Thoreau, La Dsobissance civile (Civil Disobedience), Mille et une nuits, 1997 (1re d. 1849).Jean Dorst (1924 - 2001)

    Biologiste et naturaliste, Jean Dorst est entr au Mu-seum national dhistoire naturelle en 1947. Ornitho-logue passionn, grand voyageur, il constate les dgra-dations des milieux naturels et sengage : il contribue la protection des iles Galapagos o il participe la cration de la Fondation Charles Darwin. lu lAcad-mie des sciences en 1973, puis directeur du Museum national dhistoire naturelle, de 1975 1985, il impul-se la rnovation de la galerie de zoologie.Son ouvrage Avant que nature meure (1965), ana-lyse vivante et prmonitoire de la crise drosion de la biodiversit, et qui appelle une rconciliation de lhomme et de la nature, eut une grande influence sur les naturalistes de diverses disciplines, au-del - 5 -

    du monde francophone, qui prirent de plus en plus la mesure des problmes rencontrs par la faune et la flore. Dans les annes qui suivirent sa parution, de nombreuses associations consacres ltude et la protection de la nature virent le jour, notamment en France. Jean Dorst, Avant que nature meure, Delachaux et Niestl, 1965 (red. 2012).Ren Dumont (1904-2001)

    Ingnieur agronome, dabord tent par le producti-visme, il va sen dprendre alors quil occupe la chaire dagriculture compare de lInstitut national agrono-mique et dveloppe des tudes sur la dynamique des systmes agraires. Cest ainsi quil se fera connatre comme spcialiste du Tiers Monde, critique du colo-nialisme, puis du nocolonialisme, attentif aux diffi-cults du dveloppement, analyste sans complaisance des responsabilits qui incombent aux gouvernements post-coloniaux. Sensibilis lcologie par le rapport du Club de Rome (1972), il est, en 1974, candidat llection prsidentielle, et fait entrer officiellement lcologie dans la politique franaise. Il dveloppe ses propositions dans LUtopie ou la mort (1974). Plus quun essai exposant les grands problmes colo-giques sous un angle conomique et politique (inga-lits entre le Nord et le Sud, explosion dmographique, course au profit...), LUtopie ou la mort en appelle linstauration dune nouvelle politique, esquissant un programme dcologie politique. Ren Dumont, LAfrique noire est mal partie, Le Seuil, 1962, red. 2012. Ren Dumont, Nous allons la famine, avec Ber-nard Rosier, Le Seuil, 1966. Ren Dumont, lUtopie ou la mort, Le Seuil, 1974. Ren Dumont, Seule une cologie socialiste, Robert Laffont, 1977. Jacques Ellul (1912-1994)

    Jacques Ellul, dascendance anglo-maltaise par son pre et hollandaise par sa mre, fut professeur dhis-toire du droit, la Facult de Bordeaux, sociologue et thologien protestant franais.Il est surtout connu comme un penseur de la technique et de lalination au XXe sicle et il est lauteur dune

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  • soixantaine de livres (la plupart traduits ltranger, notamment aux tats-Unis et en Core du Sud). Grand lecteur de Marx, il transfre la critique sociale du travail et des rapports conomiques la technique. Selon lui, la technique a chang de statut, densemble de moyens au service dune fin, elle sest mue en mi-lieu environnant part entire , elle est dsormais un phnomne autonome, qui chappe au contrle de lhomme et fait peser sur lui un grand nombre de dterminations, parce quelle sest imperceptiblement sacralise.Sa conception de lautonomie de la technique a t souvent juge exagrment fataliste et rductionniste. Sa critique de la socit technicienne, mene avec Bernard Charbonneau, a jou un rle dans la pense cologiste en attirant lattention sur des questions qui allaient tre au centre de la rflexion et de la mobili-sation : importance croissante des risques technolo-giques, choix technologiques imposs sans tre dbat-tus, atteintes renforces lenvironnement. Jacques Ellul, La Technique ou lenjeu du sicle, Ar-mand Colin, 1954 ; Economica, 2008. Jacques Ellul, Le Systme technicien, Armand Colin, 1977 ; Le Cherche Midi, 2012. Jeacques Ellul, Le Bluff Technologique, Hachette, 1988, 3e dition 2012.Flix Guatarri (1939 - 1992)

    Flix Guattari fut tout la fois agitateur politique, psy-chanalyste et philosophe. Son trajet a t marqu par deux expriences majeures : la volont de changer la nature des rapports humains dans le milieu psychia-trique et le militantisme politique dans lextrme gauche non stalinienne.Dans les annes 1980, il sengage dans le mouvement cologiste, auquel il propose une rflexion thorique tout en cherchant unifier ses principales compo-santes. Dans Les trois cologies (1989), il dveloppe la notion dcosophie, travers laquelle doivent tre penses en commun trois cologies :* lcologie environnementale pour les rapports la nature* lcologie sociale pour les rapports au socius, aux ralits conomiques et sociales* lcologie mentale pour les rapports la psych, la question de la production de la subjectivit humaine. Flix Guatarri, Les trois cologies, Galile, 1989.

    Ivan Illich (1926 - 2002)

    Dorigine italienne et allemande, Ivan Illich fait des tudes de thologie et de philosophie. Dabord prtre, il exerce en Amrique latine, il a t vice-recteur de lUniversit catholique de Porto-Rico. Il quitte Por-to-Rico en 1960, la suite dun diffrend avec la hi-rarchie de lglise,sur la question des prservatifs et, en 1961, il fonde le Centre pour la formation in-terculturelle Cuernavaca qui deviendra le fameux Centro Intercultural de Documentacin (CIDOC). Ce centre fonctionnera de 1966 1976. Il reviendra en-suite vivre en Europe, et enseignera en Allemagne.Illich a men une critique de la socit industrielle, dont il a montr la contreproductivit. partir dun certain niveau, la rationalit instrumentale produit le contraire de ce quelle vise : la mdecine rend malade, lcole abtit, le dveloppement conomique trans-forme la pauvret en misre. A une socit productiviste qui entretient lhtrono-mie, il a oppos lautonomie dune socit conviviale et sobre. Ivan Illich, uvres compltes Tome 1, (Librer lave-nir - Une socit sans cole - La Convivialit - Nmsis mdicale - nergie et quit), Fayard, 2004. Ivan Illich, uvres compltes Tome 2, (Le Chmage crateur - Le Travail fantme - Le Genre vernaculaire - H2O, les eaux de loubli - Du lisible au visible - Dans le miroir du pass), Fayard, 2005. Hans Jonas (1903 - 1993)

    Hans Jonas, philosophe allemand, form Fribourg, o il suit les cours de Heidegger, en compagnie de Gn-ther Anders et dHannah Arendt. Il sintresse dabord la gnose, sur laquelle il crit sa thse. Juif, il rus-sit quitter lAllemagne nazie et partir en Palestine. Pendant la guerre il sengage dans la brigade de volon-taires juifs qui combat dans le rang des Allis. Revenu en Palestine, il migre aux Etats-Unis o il sintresse la philosophie de la vie : il est lun des premiers phi-losophes sinquiter des consquences possibles des biotechnologies. En 1979, il crit le Principe responsabilit, o il d-veloppe une thique de la technique. Le livre a eu un grand succs particulirement en Allemagne, et on le considre comme une des sources du principe de prcaution et de lthique de responsabilit du dve-loppement durable. Hans Jonas attire lattention sur - 6 -

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  • les consquences potentiellement catastrophiques de notre puissance technique et met laccent sur nos de-voirs vis--vis des gnrations futures et de la nature : Agis de faon ce que les effets de ton action soient compatibles avec une vie authentiquement humaine sur terre . Hans Jonas, Le phnomne de la vie, vers une biolo-gie philosophique (1966), De Boeck, 2001. Hans Jonas, Le principe responsabilit (1979), di-tions du Cerf, 1990.Edgar Morin (1921 --)

    Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, ancien rsistant, est un sociologue et philosophe franais.Il dfinit sa faon de penser comme coconstructi-viste en prcisant : cest--dire que je parle de la collaboration du monde extrieur et de notre esprit pour construire la ralit .Cest comme penseur de la complexit quil a le plus contribu la pense cologique. Ce nest pas tant la multiplicit des composants, ni mme la diversit de leurs interrelations, qui caractrisent la complexit dun systme, la complexit, cest limprvisibilit po-tentielle (non calculable a priori) des comportements de ce systme, lie en particulier la rcursivit qui affecte le fonctionnement de ses composants ( en fonctionnant ils se transforment ), suscitant des ph-nomnes dmergence certes intelligibles, mais non toujours prvisibles. Les comportements observs des systmes vivants et des systmes sociaux fournissent dinnombrables exemples de cette complexit. Ignore par la science positive, la complexit a fini par tre prise en consi-dration. En introduisant le concept de complexit organise en 1948, W. Weaver allait rouvrir de nou-velles voies lintelligence de la complexit que P. Valry avait dj dfinie comme une intelligible im-prvisibilit essentielle . Edgar Morin, partir de 1977 (La Mthode, T. I) ta-blira le Paradigme de la complexit qui assure d-sormais le cadre conceptuel dans lequel peuvent se dvelopper nos exercices de modlisation des ph-nomnes que nous percevons complexes ( point de vue ) : une complexit la fois organise et, rcursi-vement, organisante.Edgar Morin est galement partie prenante du mou-vement cologique. Avec Terre-Patrie, crit en 1993, (avec Anne-Brigitte Kern), Edgar Morin en appelle - 7 -

    une prise de conscience de la communaut du destin terrestre , vritable conscience plantaire : Cest en Californie, en 1969-1970, que des amis scientifiques de lUniversit de Berkeley mont veill la conscience cologique rapporte-t-il, avant de salarmer : Trois dcennies plus tard, aprs lasschement de la mer dAral, la pollution du lac Bakal, les pluies acides, la ca-tastrophe de Tchernobyl, la contamination des nappes phratiques, le trou dozone dans lAntarctique, loura-gan Katrina La Nouvelle-Orlans, lurgence est plus grande que jamais . Il a soutenu des luttes cologiques internationales et particip, avec de nombreux intellectuels, juristes et politiques au lancement dun Tribunal moral pour les crimes contre la nature et le futur de lhumanit lors de la Confrence Rio+20 . Edgar Morin, Le Paradigme perdu : la nature hu-maine, Paris, Le Seuil, 1973. Edgar Morin, La Mthode (6 volumes):- La Nature de la nature (t. 1, 1977), Le Seuil, Nou-velle dition, coll. Points, 1981.- La Vie de la vie (t. 2, 1980), Le Seuil, Nouvelle di-tion, coll. Points, 1985.- La Connaissance de la connaissance (t. 3, 1986), Le Seuil, Nouvelle dition, coll. Points, 1992.- Les Ides (t. 4, 1991), Le Seuil, Nouvelle dition, coll. Points, 1995.- LHumanit de lhumanit - Lidentit humaine (t. 5, 2001), Le Seuil, Nouvelle dition, coll. Points, 2003.- thique (t. 6, 2004), Le Seuil, Nouvelle dition, coll. Points, 2006. Edgar Morin, La Voie, Fayard, 2011.Serge Moscovici (1925 - 2014)

    Psychologue, historien des sciences, philosophe, Serge Moscovici est un thoricien de lcologie politique et a contribu au mouvement cologique en France, par sa participation aux Amis de la Terre.Serge Moscovici a trs tt remis en cause la coupure entre nature et culture, en montrant que la nature nous faisait autant que nous la faisons. Il sintresse la faon dont la nature devient un objet politique et insiste pour dire que lcologie ne sinscrit nullement dans une vision passiste du monde, elle reprsente une tape davenir de notre rapport la nature. Il invite un largissement de la conscience cologique et politique avec lide forte que lcologie, en oprant une rvolution de la science et des consciences, ne

    Note n1 - Fvrier 2014Quest-ce quun cologiste ?

  • simposera que si elle devient un vritable phnomne culturel. Serge Moscovici, Essai sur lhistoire humaine de la nature, Flammarion, 1968/1977. Serge Moscovici, La Socit contre nature, Union g-nrale dditions, 1972 / Seuil, 1994. Serge Moscovici, De la nature : pour penser lcolo-gie (entretiens avec Pascal Dibie), Mtaili, 2002. Serge Moscovici, Renchanter la nature : entretiens avec Pascal Dibie, Aube, 2002.Arne Naess (1912-2009)

    Arne Naess est un philosophe norvgien. Aprs un pas-sage en France, il participe Vienne aux travaux de Mo-ritz Schlick et du cercle de Vienne avant de faire une thse de psychologie et de philosophie des sciences lUniversit de Berkeley en Californie. Revenu en Nor-vge, il y est professeur de philosophie lUniversit. Pendant la guerre, il sengage dans la rsistance, sur des bases non violentes, et continuera militer dans des mouvements pacifistes. En 1972, il publie larticle The Shallow and the Deep Long Range Ecology Movements qui va lancer lexpression de deepecologyet la distinc-tion entre deep and shallowecology (cologie profonde et superficielle). Il en dveloppe la philosophie dans Ecologie, communaut et style de vie, livre dabord publi en norvgien, puis rcrit en anglais (avec laide de David Rothenberg), en 1989. Le mouvement de la deepecology est surtout connu dans sa branche am-ricaine, o il sagit essentiellement dun mouvement de dfense de la nature sauvage (wilderness) souvent

    considr comme fondamentaliste en Europe. Mais, si le rapport la nature sauvage et lpanouissement de soi que lon peut trouver y vivre jouent un rle important dans la philosophie de Naess (ce quil ap-pelle une cosophie), celle-ci ne sy rduit pas. Il sagit bien dune cologie politique qui dveloppe une vision positive de la technique, une rflexion globale sur la socit, et une conception non violente de la politique. Arne Naess, Ecologie, communaut et style de vie, ditions MF, coll. Dehors , 2009. Arne Naess, Vers lcologie profonde (avec David Rothenberg), Wildproject, coll. Domaine Sauvage 2009.Pierre Samuel (1921 - 2009)

    Mathmaticien franais connu pour son travail sur les algbres commutatives et leurs applications la go-mtrie algbrique.Il sintresse lhistoire du fminisme et publie Ama-zones, guerrires et gaillardes (1975).Politiquement trs engag gauche (notamment en mai 1968), et la suite dune prise de conscience Harvard en 1969-1970, il fonde le groupe cologiste Survivre et vivre en 1970, avec Alexandre Grothen-dieck et Claude Chevalley, avant de le quitter pour le groupe plus modr Les Amis de la Terre en 1973. Pierre Samuel, Ecologie: dtente ou cycle infernal, UGE, Collection 10-18, 1973.

    Note n1 - Fvrier 2014 Quest-ce quun cologiste ?

    lauteur

    Catherine LARRRE est Professeur mrite lUniversit de Paris I. Spcialiste de philosophie morale et politique, elle sintresse aux questions thiques et politiques lies la crise environnementale et aux nouvelles technologies. Cathe-rine Larrre est Prsidente de la FEP. Elle est lauteur, notamment, de Les philosophies de lenvironnement (PUF, 1997), et de Penser et agir avec la nature, avec Raphael Larrre, (La Dcouverte, 2015).La Fondation de lEcologie Politique - FEP31/33 rue de la Colonie 75013 ParisTl. +33 (0)1 45 80 26 07 - [email protected] FEP est reconnue dutilit publique. Elle a pour but de favoriser le rassemblement des ides autour du projet de transformation cologique de la socit, de contribuer llaboration du corpus thorique et pratique correspondant ce nouveau modle de socit et aux valeurs de lcologie politique. Les travaux publis par la Fondation de lEcologie Politique prsentent les opinions des leurs auteurs et ne refltent pas ncessairement la position de la Fondation en tant quinstitution. www.fondationecolo.org

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